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Décisions

CA Bordeaux, ch. soc. A, 9 septembre 2025, n° 24/04935

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 24/04935

9 septembre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 09 SEPTEMBRE 2025

N° RG 24/04935 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-OADA

Monsieur [H] [K]

c/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE TARN ET GARONNE

Nature de la décision : AU FOND

SUR RENVOI DE CASSATION

Grosse délivrée le :

à

Me Carole LAPORTE, avocat au barreau de BORDEAUX

Me PEREZ, avocat au barreau de MONTAUBAN

Me Cécile AUTHIER de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de BORDEAUX

Me LEPLAIDEUR, avocat au barreau de TOULOUSE

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 10 octobre 2019 (R.G. N°F17/00180) par le conseil de prud'hommes de MONTAUBAN - Formation paritaire, Section Activités diverses

Après arrêt de la Cour de cassation rendu le 11 septembre 2024, cassant partiellement l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE du 21 janvier 2022, suivant déclaration de saisine du 7 novembre 2024 de la cour d'appel de Bordeaux, désignée cour de renvoi,

DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION :

Monsieur [H] [K]

né le 20 septembre 1958 à [Localité 6] (82)

de nationalité française

demeurant [Adresse 1] France

représenté par Me Carole LAPORTE, avocat au barreau de BORDEAUX et assisté de Me PEREZ, avocat au barreau de MONTAUBAN

DEFENDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE TARN ET GARONNE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité [Adresse 2]

représentée par Me Cécile AUTHIER de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée de Me LEPLAIDEUR, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 juin 2025 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie HYLAIRE, présidente chargée d'instruire l'affaire et Madame Laure Quinet, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Laure Quinet, conseillère

Greffière lors des débats : Sandrine Lachaise

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

EXPOSÉ DU LITIGE

1. Monsieur [H] [K], né en 1958, a été engagé en qualité de technicien de prestations par la caisse primaire d'assurance maladie de Tarn-et-Garonne (ci-après CPAM) par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 25 mars 1980.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne des douze derniers mois s'élevait à la somme de 2 868,48 euros.

2. Le 1er février 2017, la caisse de Tarn-et-Garonne a été alertée par celle de la Haute-Garonne du transfert par un des agents de la première, M. [Y] [G], d'un mail "personnel et confidentiel" qui lui avait été adressé par Mme [P] [T], également employée de la caisse de Tarn-et-Garonne, à la liste des cadres de la CPAM 31, le contenu de ce courriel comportant des propos racistes et xénophobes à l'égard de la communauté musulmane.

Le 7 février 2017, en présence de chacun des salariés, de la responsable informatique et d'un représentant du personnel, il a été procédé à des investigations sur la messagerie des intéressés qui a révélé que d'autres agents, dont M. [O] et M. [K], avaient pu aussi être les expéditeurs de courriels à connotation raciste.

Un procès-verbal de ces opérations a ensuite été établi par le directeur de la caisse le 8 février 2017.

Par courrier daté du 8 février 2017, le directeur de la CPAM a saisi Mme [W], responsable du service informatique, en ces termes :

« Conformément à l'article 8 de la Charte d'utilisation de la messagerie HERMES, je vous saisis en tant qu'administrateur de la messagerie électronique au sein de la CPAM de Tarn-et-Garonne et en tant qu'administrateur système d'information.

Je vous donne ainsi accès au contenu des BAL nominatives de Monsieur [H] [K] et Monsieur [H] [O], y compris les mails dont l'objet est "personnel" (ou équivalent) ou classés dans un dossier nommé "personnel" (ou équivalent) afin de rechercher :- Tout mail de Monsieur [O] et de Monsieur [K] soit en tant que destinataire soit en tant qu'expéditeur dont l'adresse de messagerie du destinataire est un mail professionnel de la CPAM de [Localité 3] à caractère raciste et xénophobe ou contraire à la législation et règlement en vigueur.

Je vous donne également accès au contenu de l'ensemble des données sauvegardées sous les matériels informatiques mis à disposition de Monsieur [K] et Monsieur [O], y compris ceux qui pourraient s'intituler "personnel" (ou équivalent) afin d'y rechercher tout contenu illicite.

Pour ce faire, vous pourrez vous adjoindre les compétences d'un, ou plusieurs, administrateur(s) messagerie et administrateur(s) système d'information, si nécessaire.

Je vous demande ainsi de procéder à des opérations le jeudi 9 février 2017 à 10h00 ».

Par lettre datée du 8 février 2017, M. [K] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 22 février 2017.

4. Le 9 février 2017, les opérations de consultation de la messagerie de Messieurs [K] et [O] ainsi que des fichiers sauvegardés dans leur ordinateur ont eu lieu en la présence de ceux-ci, d'un représentant du personnel et d'un représentant de la caisse, chacun d'entre eux attestant de leur présence "conformément à l'article 8 de la Charte d'utilisation de la messagerie HERMES".

Un procès-verbal des opérations a été établi le 14 février 2017 et communiqué aux salariés.

5.Le 20 février 2017, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire.

La sanction envisagée étant un licenciement pour faute grave, conformément aux dispositions de l'article 48 de la convention collective nationale de travail des personnels des organismes de sécurité sociale, le directeur de la CPAM a convoqué le conseil régional de discipline.

Celui-ci s'est réuni le 10 mars 2017 et a rendu l'avis suivant :

« A l'unanimité, les membres du Conseil de Discipline considèrent que les faits son établis.

Les faits de violation du secret professionnel et de détention de fichiers pornographiques sont de nature suffisamment grave pour justifier, à eux seuls, la sanction proposée de licenciement pour faute grave, pour laquelle le Conseil de Discipline Régional vote POUR, à la majorité absolue, de la façon suivante :

6 POUR

2 ABSTENTION ».

M. [K] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 16 mars 2017 pour avoir été auteur et destinataire de courriels au contenu illicite, en raison de leur caractère incitatif à la discrimination et à la haine raciale, pour avoir enregistré un volume important de dossiers sans lien avec son emploi, et notamment certains de nature pornographiques, et pour avoir porté gravement atteinte aux règles du secret professionnel.

A la date du licenciement, M. [K] avait une ancienneté de 36 années et 11 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

6. Par requête reçue le 1er août 2017, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Montauban contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités outre des rappels de salaires.

Par jugement rendu le 10 octobre 2019, le conseil de prud'hommes a :

- jugé que le licenciement pour faute grave de M. [K] est justifié,

- débouté M. [K] de toutes ses demandes,

- condamné M. [K] aux dépens de l'instance.

Par déclaration communiquée par voie électronique le 23 octobre 2019, M. [K] a relevé appel de cette décision.

Par arrêt du 21 février 2022, la cour d'appel de Toulouse a :

- infirmé le jugement, sauf en ce qu'il a débouté M. [K] de sa demande au titre du compteur souple, et débouté la CPAM de Tarn-et-Garonne de sa demande reconventionnelle, ces dispositions étant confirmées,

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant,

- dit que le licenciement de M. [K] n'était justifié ni par une faute grave ni par une faute simple constitutive d'une cause réelle et sérieuse,

- condamné la CPAM de Tarn-et-Garonne à payer à M. [K] les sommes suivantes:

* 945,24 euros brut de salaire pendant la mise à pied conservatoire,

* 6 310,66 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis,

* 31 768,06 euros d'indemnité de licenciement,

* 28 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné le remboursement par la CPAM de Tarn-et-Garonne à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à M. [K] du jour de son licenciement au jour du jugement, à hauteur de 3 mois,

- condamné la CPAM de Tarn-et-Garonne aux dépens de première instance et d'appel.

8. Suite au pourvoi formé par la CPAM et par arrêt du 11 septembre 2024, la Cour de cassation a :

- cassé et annulé, sauf en ce qu'il déboute M. [K] de sa demande au titre du compteur souple et déboute la caisse primaire d'assurance maladie de Tarn-et-Garonne de sa demande reconventionnelle, l'arrêt rendu le 21 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse,

- remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux,

- condamné M. [K] aux dépens,

- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes,

- dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.

L'arrêt rendu par la Cour de cassation est ainsi motivé :

« Pour juger que le licenciement ne reposait ni sur une faute grave ni même sur une faute constitutive d'une cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'il est incontestable que le salarié a violé le secret professionnel mais qu'il avait une ancienneté de plus de 3639 ans au sein de la CPAM et n'avait fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire.

En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le salarié avait méconnu l'obligation de secret professionnel à laquelle il était astreint en transmettant à un tiers, sans raison valable, la fiche du répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie d'un ministre en exercice, contenant des données dont la caisse est garante du caractère confidentiel à laquelle il avait eu accès dans le cadre de ses fonctions, ce qui était de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ».

9. Par déclaration communiquée par voie électronique le 7 novembre 2024, M. [K] a saisi la cour d'appel de Bordeaux.

Par décision du 18 novembre 2024, l'affaire a été fixée à bref délai et la clôture a été prononcée le 19 mai 2025.

10. Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 14 mai 2025, M. [K] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montauban en date du 10 octobre 2019 en ce qu'il :

- a dit que son licenciement pour faute grave était justifié,

- l'a débouté de toutes ses demandes,

- l'a condamné aux dépens de l'instance,

- l'a débouté de sa demande de juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et donc abusif,

- l'a débouté de sa demande de condamnation de la CPAM de Tarn-et-Garonne au paiement des sommes suivantes :

* 945,24 euros au titre de la mise à pied conservatoire (indemnité de congés payés comprise),

* 6 310,66 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (indemnité de congés payés comprise),

* 31 768,06 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 119 810 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau, de :

- juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et donc abusif,

- condamner en conséquence la CPAM de Tarn-et-Garonne au paiement des sommes suivantes :

* 945,24 euros au titre de la mise à pied conservatoire (indemnité de congés payés comprise),

* 6 310,66 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (indemnité de congés payés comprise),

* 31 768,06 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 119 810 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

11. Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 février 2025, la caisse primaire d'assurance maladie de Tarn-et-Garonne demande à la cour de':

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par la section activités diverses du conseil de prud'hommes de Montauban le 10 octobre 2019,

En conséquence,

- débouter M. [K] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [K] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [K] aux dépens de l'instance.

12. Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

13. La lettre de licenciement adressée le 16 mars 2017 à M. [K] est ainsi rédigée :

« [...]

Le 1er février 2017, j'apprends qu'un salarié de mon entreprise a transféré de sa messagerie professionnelle vers la messagerie professionnelle d'un salarié de la CPAM 31, un mail « personnel et confidentiel » contenant un poème incitant à la provocation et à la haine raciste et xénophobe envers la communauté musulmane.

Le 07 février 2017, je décide de mettre en 'uvre la procédure interne de vérification des messageries nominatives et des fichiers des personnes ayant diffusé ou fait suivre le mail susmentionné.

Il ressort de ces opérations que vous êtes impliqué dans la transmission de mails à caractère raciste et xénophobe.

Saisi de cette affaire, je vous ai convoqué le 8 février à un entretien préalable en date du 22 février.

Le 09 février, j'ai décidé d'investiguer de manière plus approfondie votre messagerie et matériels informatiques conformément à la jurisprudence et la procédure interne (article 8.3 de la Charte d'utilisation de la messagerie Hermès).

Les résultats de ces investigations réalisées en la présence d'un délégué du personnel, d'un représentant de la direction et de vous-même, ont permis de découvrir d'autres mails visant à la provocation, à la discrimination, à la haine raciste et xénophobe à l'encontre de la communauté musulmane ainsi qu'une atteinte grave au secret professionnel.

Aussi, ai-je décidé dès votre retour de congés le 20 février, de prendre à votre encontre une mesure de mise à pied à titre conservatoire et ce jusqu'au prononcé de la décision.

Il ressort des investigations réalisées dans votre BAL professionnelle que vous avez

délibérément

- été auteur et destinataire de courriels au contenu illicite

- enregistré un volume important de dossiers sans lien avec son emploi (de 5.35 giga)

et notamment certains de nature pornographiques

- atteint gravement aux règles du secret professionnel.

En 2016, vous avez émis sept mails au contenu illicite car incitatif à la discrimination et à la haine raciale dans le cadre de vos fonctions au moyen de votre messagerie professionnelle « [Courriel 4] » et avez reçu dès 2011 de nombreux courriels de même tonalité. ».

Dans un courriel du 22 Janvier 2016, je relève une atteinte grave au secret professionnel puisque vous transmettez, à un tiers, la fiche du Répertoire National Inter-Régimes des bénéficiaires de l'Assurance Maladie (dite RNIAM), d'un ministre en cours d'exercice appartenant à la communauté islamique. Cette fiche comporte des données hautement confidentielles dont le numéro de sécurité sociale, la date et le

lieu de naissance de l'intéressée et de ses parents entre autres.

Le 22 février, lors de l'entretien disciplinaire , vous niez avoir voulu transmettre la fiche RNIAM d'un ministre en cours d'exercice, alléguant une erreur de manipulation de la pièce jointe.

En effet, si vous reconnaissez avoir consulté le RNIAM (pour vérifier une rumeur sur le nom de cette personnalité publique), vous indiquez n'avoir jamais voulu transmettre ces données à quelqu'un d'extérieur, d'autant que l'adresse en question (pierre@sott net) n'existerait pas comme le prouve un vérificateur d'adresse dont vous remettez une copie d'écran

Je ne peux que souligner votre mauvaise foi puisque d'autres mails antérieurs (dont un datant du 29/06/2016) à destination de la messagerie en question (pierre @sott net) ont pu être relevés, attestant de la validité de cette adresse électronique . Dans le droit fil, je m'interroge sur la manière dont une fiche RNIAM disponible sous I'application EOPSS et qui doit être nécessairement enregistrée sous format « pdf » (sous le nom BN) puis joint à un courriel aurait pu par erreur être transmise en lieu et place d' un article de la Dépêche

Concernant le volume important de fichiers non professionnels (5,35 Giga) dont certains à nature hautement pornographigue, vous précisez que c'est un collègue désormais à la retraite qui par clè USB les aurait enregistrés sous votre disque dur professionnel, il y a dix ans. Vous ajoutez les avoir oubliés et ne pas avoir pensé à les supprimer. Je m'étonne, à nouveau, de cette version des faits compte tenu que certains de ces fichiers ont été enregistrés il y a deux ans.

Conformément aux dispositions de l'article 48 de la convention collective nationale, vous avez été invité le 10 mars à vous présenter devant le conseil de discipline régional auprès duquel j'ai sollicité votre licenciement pour faute grave.

Le conseil de discipline régional considère que les faits sont avérés et s'est prononcé comme suit « les faits de violation du secret professionnel et de détention de fichiers pornographiques sont de nature suffisamment grave pour justifier, à eux seuls, la sanction proposée de licenciement pour faute grave proposée par la CPAM ». Vous trouverez, ci-joint, une copie de l'avis de cette instance.

En agissant de la sorte, vous avez délibérément contrevenu :

- au principe constitutionnel de laïcité et de l'obligation de neutralité subséquente s'imposant à tout salarié d'un organisme de sécurité sociale, tenu, en application du principe de laïcité de la République française posé à l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, à une obligation de neutralité dans l'exercice de ses fonctions. Cette exigence de neutralité oblige les collaborateurs de l'Assurance maladie à s'interdire

de faire état de leurs opinions et convictions religieuses dans l'exercice de leurs fonctions,

- aux dispositions de l'article 26 du Règlement Intérieur . « ll est interdit d' utiliser pour son propre compte et sans autorisation préalable les équipements, véhicules, matériels ... appartenant à la caisse, y compris dans le domaine de l'informatique ».

Je ne peux accepter que des collaborateurs détournent de leur finalité strictement professionnelle les moyens et ressources informatiques mis à leur disposition dans le cadre de leurs missions. L'exigence de protection et de secret des données nominatives et personnelles des assurés contenues dans le système d'information de I'Assurance Maladie impose que l'utilisation du système informatique soit exclusivement réservée à des fins professionnelles.

- aux dispositions de l'article 27 du Règlement Intérieur : « Sans que cette liste soit limitative, les actes suivants sont interdits : (..).. propos racistes ou discriminatoires ».

- aux dispositions de I'article 1er de la charte d'utilisation de la messagerie opposable aux salariés de l'organisme car annexée au règlement intérieur, en ce qu'elle interdit aux utilisateurs « la provocation à la discrimination, à la haine notamment raciale, ou à la violence ».

Enfin, vous n'avez pas respecté les règles du secret professionnel auquel tout salarié d'un organisme de sécurité sociale est tenu et avez enfreint :

- les dispositions de I'article 18 du Règlement Intérieur : « Les agents sont tenus par les dispositions concernant le secret professionnel. En particulier, ils ne peuvent détourner ou communiquer à des tiers des documents appartenant à l'entreprise et concernant des assurés ou partenaires enregistrés à des fichiers informatiques ou autres ».

- les dispositions de la LR-DDO-143/2014 sur les conditions d'utilisation du RNCPS : Répertoire National Commun de la Protection Sociale (qui comprend l'applicatif EOPSS : « les données du RNCPS ne doivent en aucun cas être communiquées à des tiers, par respect du secret professionnel et en application du principe de protection des données personnelles ».

Compte tenu, d'une part, de la gravité des faits reprochés, et d'autre part, que vous ne pouviez ignorer causer nécessairement un préjudice à la CPAM de Tarn et Garonne et, d'une manière plus générale, à I'Assurance Maladie, la poursuite de la relation contractuelle et votre maintien dans l'organisme s'avèrent impossibles . J

Je vous notifie donc par la présente votre licenciement pour faute grave à effet à effet du 16 mars 2017 au soir, sans indemnités de préavis ni de licenciement.

[...] ».

14. Pour voir infirmer le jugement déféré qui a retenu l'existence d'une faute grave justifiant le licenciement prononcé à son encontre, M. [K] invoque tout d'abord les irrégularités affectant la procédure de licenciement en invoquant les éléments suivants:

- la cour devra se poser la question de savoir comment l'employeur a pu le convoquer le 8 février 2017 à un entretien préalable au licenciement alors que la procédure de vérification contradictoire n'avait pas eu lieu ;

- selon l'appelant, une seule réponse serait possible, à savoir que la vérification de son ordinateur aurait eu lieu hors sa présence avant le 9 février 2017, la procédure menée à cette date étant "une véritable mascarade", l'employeur ayant déjà pris connaissance auparavant du contenu de son ordinateur ;

- l'enquête menée le 9 février serait donc irrégulière puisqu'il ne savait pas qu'il s'agissait d'une procédure disciplinaire alors que l'employeur était au courant, suivant ses dires, depuis le 1er février 2017 ;

- une telle précipitation serait attentatoire à ses droits d'autant qu'il n'est pas justifié par l'intimée que seuls trois salariés, les plus anciens, ont été licenciés, à savoir lui-même, M. [O] et Mme [T] ;

- la charte d'utilisation de la messagerie serait irrégulière comme n'ayant pas été portée à sa connaissance ni soumise à la CNIL, aux institutions représentatives du personnel ou encore à l'inspection du travail ;

- la réunion du conseil de discipline serait aussi irrégulière dès lors qu'il n'est pas prévu que le directeur de la caisse soit assisté de la responsable des ressources humaines alors que l'article 53 de la convention collective prévoit que seul le directeur de la caisse est entendu ;

- la consultation de ses mails "personnels" était prohibée en raison de l'atteinte à sa vie privée et au secret des correspondances.

Sur la cause du licenciement, l'appelant fait valoir qu' à l'exception du courriel du 22 janvier 2016, objet de la cassation, il n'a jamais été l'auteur des mails qui lui sont reprochés en étant seulement le destinataire, ce dont il ne peut être tenu pour responsable.

Ces mails ont tous des contenus publics, émanant de différents médias et n'ont pas fait l'objet de poursuites pénales pour provocation à la haine raciale.

Leur contenu n'a jamais été jugé illicite et il n'avait pas conscience d'enfreindre une règle en relayant ces messages qui circulent sur Internet, soulignant que cette action ne concerne que 7 mails en 2016 et que la CPAM évoque, sans plus de précision, "de nombreux courriels de même tonalité à compter de 2011".

Il fait également état de ce qu'outre lui-même, deux autres salariés ont été licenciés, M. [O] et Mme [T], alors que d'une part, le licenciement de Mme [T] a été invalidé par la cour d'appel de Toulouse le 26 novembre 2021, le pourvoi formé contre l'arrêt rendu ayant été rejeté, que d'autre part, d'autres salariés étaient certainement concernés et qu'enfin, l'employeur n'explique pas sa mansuétude à l'égard de M. [G], autrement que par le fait qu'il appartenait au même diocèse que le directeur de la caisse.

Il invoque par ailleurs le fait que la caisse ne justifie d'aucun préjudice quant à son image.

M. [K] conteste la violation du secret professionnel au motif que l'adresse à laquelle les renseignements sont censés avoir été envoyés n'existerait pas et que la révélation ne serait dès lors pas effective.

Il prétend également qu'il y a eu erreur sur la pièce jointe sans plus de précision.

15. La CPAM sollicite la confirmation du jugement déféré.

Elle fait tout d'abord observer que le débat sur les moyens de preuve est dépourvu de pertinence dans la mesure où M. [K] a reconnu les faits qui lui sont reprochés mais a tenté notamment lors de l'entretien préalable d'expliquer le courriel du 22 janvier 2016 par une mauvaise manipulation informatique et par le fait qu'un collègue parti à la retraite avait enregistré les fichiers à caractère pornographique sur son ordinateur.

Elle soutient en tout état de cause que les investigations ont été menées conformément à sa charte informatique, que c'est à la suite de celles effectuées le 7 février 2017, que le nom de l'appelant est apparu sur l'ordinateur de M. [G], que le contrôle de l'ordinateur de M. [K] a été effectué le 9 février 2017 en sa présence mais aussi celle d'un délégué du personnel, ce qui autorisait l'employeur à ouvrir des fichiers ou messages "personnels".

Elle fait également valoir que la procédure de licenciement a été régulièrement conduite, qu'au cours de son entretien disciplinaire, M. [K] a été assisté par 5 délégués du personnel outre M. [S] qui l'accompagnait et que la convention collective n'interdit pas que le directeur puisse être assisté lorsqu'il est entendu par le conseil de discipline.

Sur le fond, la caisse fait valoir que M. [O] a bien adressé un mail au contenu raciste à M. [Y] [G] et qu'il est apparu à deux reprises au cours de l'année 2013 qu'il avait relayé à des collègues ou des tiers des courriels au contenu incitant à la haine raciale.

Elle invoque à ce sujet la nécessaire neutralité que doivent respecter les agents et qu'elle doit garantir aux assurés, rappelant notamment que le règlement intérieur prohibe les propos racistes ou discriminatoires.

Elle conteste l'inégalité de traitement alléguée, exposant que M. [G] a été sanctionné par une suspension de traitement pendant 7 jours, le choix de cette sanction s'expliquant par le fait qu'il n'a été trouvé dans sa messagerie qu'un seul mail de transfert et surtout que celui-ci ne s'est pas vu reprocher une violation du secret professionnel.

Elle ajoute que les autres personnes apparues dans les investigations étaient, sauf M. [O], M. [K] et Mme [T], extérieures à la caisse.

La caisse invoque par ailleurs la violation du secret professionnel commise par l'appelant, secret prévu à la fois par une note générale relative aux conditions d'utilisation du répertoire national commun de la protection sociale et par le règlement intérieur et dont la violation est sanctionnée pénalement..

Réponse de la cour

16. L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.

Sur les irrégularités de procédure

17. Contrairement à ce que prétend l'appelant, l'employeur peut ouvrir des fichiers identifiés par le salarié comme étant personnels en présence de celui-ci ou après l'avoir dûment convoqué.

Les critiques quant à l'irrégularité de la charte informatiques sont donc sans emport.

18. La chronologie des faits établit que le 7 février 2017 au matin, l'employeur a pris connaissance de l'implication de Messieurs [K] et [O] dans des échanges de mails à l'occasion des investigations menées sur les ordinateurs de M. [G] et de Mme [T].

Il ne peut donc être retenu que la caisse, qui a convoqué M. [O] et M. [K] par lettre du 7 février, avait irrégulièrement pris connaissance de leur messagerie auparavant.

19. Contrairement à ce que soutient l'appelant, les investigations effectuées dans son ordinateur le 9 février 2017 ont eu lieu en sa présence, un représentant d'une part, de la direction, d'autre part, du service informatique et, enfin, du personnel y ayant également participé.

Aucune précipitation ne peut être utilement reprochée à l'employeur qui, confronté à une problème grave, se devait de faire diligence et qui a respecté les modalités prévues par la charte informatique de l'entreprise.

20. Si l'article 53 de la convention collective prévoit que le conseil de discipline entend le directeur et l'agent de l'organisme en cause, il n'exclut pas la possibilité pour le directeur d'être assisté du responsable des ressources humaines, étant relevé que

M. [O] était lui-même assisté de son avocat.

Sur la cause du licenciement

21. En vertu des dispositions de l'article L. 161-29 du code de la sécurité sociale, le personnel des organismes d'assurance maladie est soumis au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues à l'article 226-13 du code pénal.

22. Le règlement intérieur de la caisse rappelle dans son article 18 l'interdiction faite aux agents de détourner ou communiquer à des tiers des documents appartenant à l'entreprise et concernant des assurés, dont la caisse est garante du caractère confidentiel.

22. Le mail invoqué par la caisse au sujet du manquement de M. [K] à ce titre est un message que celui-ci a envoyé à un certain "[I]" à l'adresse suivante "[Courriel 5]" le 22 janvier 2016 ainsi rédigé : « Bonjour [I], suite à notre conversation, je t'envoie cette information. Hoax [canular diffusé sur les réseaux sociaux] ou falsification ' Cela reste à découvrir ; Toutes mes amitiés [R] ». Figure une pièce jointe dénommée "BN.pdf" que la caisse a produit en copie cancellée : il s'agit de la fiche du répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie (RNIAM).

Les explications données par M. [K] sur l'erreur qu'il aurait commise en joignant cette fiche alors qu'il voulait envoyer un article d'un journal local ne sont pas en adéquation avec le contenu du mail ni avec la procédure décrite par la caisse quant aux modalités d'enregistrement sous un format "BN.pdf" non contestées par le salarié qui, au cours de l'entretien préalable, n'a pas démenti qu'il s'agissait de la fiche d'un ministre alors en exercice.

Par ailleurs, si M. [K] produit la consultation d'un site de vérification des adresses de messagerie, la réponse donnée est incertaine "nous pensons que "[Courriel 5]" n'est pas valide", le document produit n'étant au demeurant pas daté, la cour relève que si cette adresse n'avait pas été valide à la date du 22 janvier 2016, ce courriel aurait été immédiatement suivi d'un message d'erreur et de non-distribution, ce qui aurait été constaté lors des investigations.

Or, le contenu d'un autre mail adressé à une certaine "[U]" le 4 août 2016 sous une adresse "sott.net" montre le lien entre cette personne et "[I]" et avec M. [K].

Il sera en conséquence considéré que l'envoi reproché à M. [K] est établi.

23. La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est une infraction pénale passible d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

24. La transmission à un tiers, sans raison valable, de la fiche du répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie, en l'occurrence celle d'un ministre en exercice, contenant des données dont la caisse est garante du caractère confidentiel, à laquelle le salarié avait eu accès dans le cadre de ses fonctions, constitue une faute grave justifiant son licenciement immédiat nonobstant son ancienneté et son absence de passé disciplinaire, en ce qu'elle caractérise une violation du secret professionnel auquel il était astreint et est de nature à porter atteinte à la confiance que les assurés sont en droit d'attendre de leur caisse d'assurance maladie.

25. Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [K] reposait sur une faute grave et débouté ce dernier de l'ensemble de ses prétentions.

Sur les autres demandes

26. M. [K], partie perdante à l'instance et en son recours, sera condamné aux dépens ainsi qu'à payer à la CPAM la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 10 octobre 2019 par le conseil de prud'hommes de Montauban dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [K] aux dépens ainsi qu'à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de Tarn-et-Garonne la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par Sandrine Lachaise, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Sandrine Lachaise Sylvie Hylaire

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