Livv
Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. B, 9 septembre 2025, n° 21/08954

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Audricam (Sté)

Défendeur :

Locam (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gonzalez

Conseillers :

Mme Lemoine, Mme Lecharny

Avocats :

Me Le Guillous, Me Mesuron, Me Peyron, Me Bellasri, Me Dafia

T. com. Saint-Etienne, du 7 sept. 2021

7 septembre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Audricam exerce une activité de garde d'enfants à domicile dans le cadre d'un contrat de franchise.

Pour les besoins de son activité, elle a signé le 9 novembre 2018, par l'intermédiaire de la société Cliqeo, fournisseur, un contrat de « location de site Web » avec la société Locam, prévoyant le versement de 24 loyers mensuels de 490,80 euros HT chacun.

Le 28 décembre 2018, la société Audricam a signé un procès-verbal de livraison et de conformité de la solution Web.

Plusieurs loyers étant demeurés impayés, la société Locam a assigné en paiement la société Audricam qui a appelé en la cause la société Cliqeo.

Par jugement du 7 septembre 2021, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

- dit que la société Audricam ne démontre pas que l'objet du contrat de location est illusoire au sens de l'article 1169 du code civil,

- dit que la société Audricam ne démontre pas l'existence d'un vice du consentement,

- débouté la société Audricam de sa demande d'annulation du contrat de location de site Web conclu le 9 novembre 2018 entre elle et la société Locam,

- débouté la société Audricam de sa demande de restitution des loyers payés,

- débouté la société Audricam de sa demande d'indemnisation,

- dit l'action de la société Locam à l'encontre de la société Audricam recevable et bien fondé,

- condamné la société Audricam à payer à la société Locam la somme de 10'797,60 euros outre intérêts au taux légal à compter du 21 août 2019,

- condamné la société Audricam à payer à la société Cliqeo la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Audricam à payer à la société Locam la somme de 250 euros sur le même fondement,

- dit que les dépens dont frais de greffes taxés et liquidés à 138,78 euros sont à la charge de la société Audricam,

- rejeté la demande d'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 17 décembre 2021, la société Audricam a relevé appel du jugement.

Par jugement du tribunal de commerce d'Évry du 6 avril 2022, la société Cliqeo, devenue la société BforBiz, a bénéficié de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. La société MJC2A, prise en la personne de Maître [R] [L], a été nommée mandataire judiciaire de la société. La société FHB, prise en la personne de Maître [F] [H], a été nommée administrateur judiciaire de la société.

La société MJC2A a été assignée en intervention forcée devant la cour d'appel et la société FHB est intervenue volontairement instance.

Par jugement du 30 septembre 2022 le tribunal de commerce d'Evry a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire et désigné la société MJC2A en qualité de liquidateur judiciaire.

Par arrêt du 16 janvier 2024, la cour a constaté l'interruption d'instance par l'effet du jugement du 30 septembre 2022, ordonné la réouverture des débats, renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 21 mars 2024 et invité les parties à effectuer des diligences utiles à la reprise de l'instance.

Par acte de commissaire de justice du 19 avril 2024, la société Audricam a fait assigner la société MJC2A en intervention forcée.

Par conclusions notifiées le 27 août 2024, la société Audricam demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son action,

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

en conséquence et statuant à nouveau,

- juger que l'objet du contrat de location de site web est illusoire au sens de l'article 1169 du code civil,

- juger que les sociétés Locam et BforBiz sont les auteures de pratiques commerciales trompeuses et partant qu'elle est victime d'un dol,

- prononcer l'annulation du contrat de location de site web,

- ordonner toutes conséquences de droit inhérentes à l'annulation du contrat et en particulier la restitution des loyers payés, soit 1 963,20 euros,

- fixer consécutivement au passif de la société BforBiz la somme de 1963,20 euros,

- condamner la société Locam au remboursement de cette même somme 1963,20 euros en deniers ou quittances,

- condamner la société Locam à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- fixer au passif de la société BforBiz la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- débouter les sociétés Locam, FHB et MJC2A, ès qualités, de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner solidairement les sociétés Locam et MJC2A, ès qualités, au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 24 août 2022, la société MJC2A et la société FHB demandent à la cour de :

- les déclarer recevables et bien fondées en leurs demandes,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- condamner la société Audricam à leur payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 4 septembre 2024, la société Locam demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- débouter la société Audricam de l'intégralité de ses demandes, prétentions et fins,

Y ajoutant,

- condamner la société Audricam à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 Septembre 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes tendant à voir « juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

1. Sur la nullité du contrat de « location de site web »

La société Audricam fait valoir que :

- le contrat faisant l'objet du litige est bien un contrat tripartite conclu entre les sociétés Locam, Audricam et BforBiz, ce qui implique que la relation contractuelle doit être appréciée dans son ensemble ; l'anéantissement du contrat conclu entre les sociétés BforBiz et Audricam a pour conséquence l'anéantissement du contrat conclu entre les sociétés Locam et Audricam, et inversement ; la clause d'indépendance prévue par l'article 10.1 du contrat de location financière est inapplicable car réputée non décrite ;

- le contrat est nul car la prestation de création d'un site Internet est totalement illusoire dans la mesure où elle n'a jamais commandé une telle prestation car elle disposait déjà d'un site internet mis à sa disposition par le franchiseur ; ainsi, alors qu'elle était exclusivement intéressée par la réalisation de la prestation de référencement, les conditions générales du contrat de location de site Web précisent que l'objet de l'engagement des parties porte exclusivement sur des prestations de création et entretien d'un site Web ;

- malgré la signature du procès-verbal le 28 décembre 2018, aucun site internet n'avait été mis en ligne par la société BforBiz à cette date ; le site n'a été mis en ligne qu'après l'envoi, le 18 juin 2019, par la société Audricam à la société Locam d'un courrier lui indiquant que la prestation de référencement était inexistante et qu'elle n'avait jamais eu de site internet fabriqué par la société BforBiz, justifiant ainsi le non paiement des échéances ; la page d'accueil du site est un simple copier-coller de celle du franchiseur ;

- le contrat est encore nul pour dol, la société BforBiz s'étant rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses, en promouvant, dans l'unique but de la tromper et de la pousser à conclure le contrat litigieux, une prestation de référencement qu'elle n'a pourtant jamais exécutée.

Les sociétés MJC2A et FHB font valoir que :

- le contrat de prestation de services conclu avec la société BforBiz et le contrat de financement conclu avec la société Locam sont divisibles et indépendants juridiquement, ainsi qu'il ressort des conditions générales de la location de site Web ; ces contrats ne peuvent être considérés comme formant un contrat unique sans contrevenir au principe de l'effet relatif des contrats ;

- deux prestations étaient initialement prévues : la création et la livraison d'un site Internet, d'une part, et un référencement, d'autre part ; aucune de ces prestations ne peut être qualifiée d'illusoire ou de dérisoire au sens de l'article 1169 du code civil ; il ressort du bon de commande et du procès-verbal de livraison et conformité que la société Audricam a bien commandé la « création et la mise en place d'une solution Web globale » ; le site internet a été réalisé selon les instructions de la société Audricam ; elle a réalisé la prestation de référencement convenue ainsi qu'il ressort du tableau de bord de campagne versé aux débats ;

- elle a parfaitement respecté les obligations qui lui incombaient au titre de la prestation de référencement, lesquelles ne constituaient qu'une partie de la prestation confiée par la société Audricam ; cette dernière n'a pas été trompée au sens des dispositions de l'article L. 121-2 du code de la consommation et ne peut dès lors pas affirmer avoir été victime d'un dol.

La société Locam fait valoir que :

- le contrat de location financière conclu entre la société Audricam et la société Locam n'est pas un contrat tripartite, la société Audricam étant liée par de relations contractuelles distinctes et indépendantes, conformément à l'article 10.1 du contrat de location financière et l'article 1199 du code civil ; en conséquence, aucun manquement de la société BforBiz, à le supposer établi, ne peut lui être opposé par la société Audricam pour cesser de payer les loyers ;

- la société Audricam ne démontre pas le caractère prétendument illusoire de la prestation réalisée par la société BforBiz, alors qu'elle a signé le procès-verbal de livraison et de conformité et s'est acquittée ensuite de quatre loyers sans émettre la moindre protestation ou réserve ; à l'inverse, la société BforBiz démontre qu'elle a accompli les prestations commandées ; en tout état de cause, pour sa part, la société Locam a parfaitement rempli son obligation qui était de financer la prestation commandée par la société Audricam ;

- compte tenu de l'indépendance entre les relations contractuelles loueur/locataire et prestataire/locataire, elle ne saurait se voir imputer un quelconque manquement dans le cadre des pourparlers qui ont eu lieu entre la société Audricam et la société BforBiz, ou concernant la prestation de référencement ; en outre, aucun élément de preuve tendant à démontrer que la société Audricam a été victime d'une tromperie commerciale constitutive d'un dol de la part de la société BforBiz n'est produit.

Réponse de la cour

1.1. Sur le caractère illusoire de la contrepartie convenue

Au termes de l'article 1169 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire.

En l'espèce, il résulte des documents contractuels versés aux débats qu'en contrepartie de l'obligation de la société Audricam de payer un loyer mensuel de 490,80 euros TTC pendant 24 mois, la société Cliqeo s'est engagée à lui fournir un « site Web » dont le contenu et l'architecture ont été « librement défini[s] » par la société Audricam « en fonction des qualités techniques requises et de l'utilisation auquel il le destine » (article 1.1 du contrat) et la société Locam lui a concédé « une licence d'utilisation sur les éléments constitutifs du site Web » (article 3.3). En outre, si les pièces contractuelles ne mentionnent pas la souscription auprès du fournisseur d'un contrat de prestations annexes ou de maintenance au sens de l'article 10.1 des conditions générales, la société Audricam et les sociétés MJC2A et FHB reconnaissent dans leurs conclusions qu'une prestation de référencement était également prévue.

La société Audricam allègue qu'elle n'a jamais commandé la fourniture d'un site internet mais n'en rapporte pas la preuve, alors que le contrat qu'elle a accepté s'intitule « contrat de location de site web » et qu'elle a signé, sans restriction ni réserve, le 28 décembre 2018 un procès-verbal de livraison et de conformité portant sur le site www.garde-enfant-bordeaux.fr dans lequel elle a reconnu « avoir librement défini le contenu et l'architecture du Site Web répondant à ses besoins, en fonction des qualités techniques requises et de l'utilisation auquel il le destine » et s'être « assuré[e] de la compatibilité du Site Web avec son système d'information ».

Enfin, alors que le caractère illusoire ou dérisoire de la contrepartie s'apprécie au moment de la formation du contrat, l'inexécution fautive alléguée par la société Audricam, qui soutient que la prestation de référencement n'a jamais été exécutée, ne saurait être sanctionnée par la nullité du contrat.

Au vu de ce qui précède, il n'apparaît pas que la contrepartie de l'engagement de la société Audricam soit illusoire.

1.2. Sur le dol

La société Audricam soutient encore que la société Cliqeo s'est rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses, en promouvant, dans l'unique but de la tromper et de la pousser à conclure le contrat litigieux, une prestation de référencement qu'elle n'a jamais exécutée.

Toutefois, à l'exclusion de la copie d'un mail qu'elle a adressé à la société Locam le 18 juin 2019 pour dénoncer le défaut d'exécution de la prestation de référencement par le fournisseur du site internet, la société appelante ne verse aux débats aucune pièce de nature à établir que la société Cliqeo a eu recours à une pratique commerciale trompeuse au sens des articles L. 121-2 et suivants du code de la consommation et que cette pratique a vicié son consentement.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a retenu que la société Audricam ne démontre ni le caractère illusoire de la contrepartie de son engagement, ni un vice du consentement et l'a en conséquence déboutée de ses demandes d'annulation du contrat de location de site web et de restitution des loyers payés.

2. Sur la demande de dommages-intérêts

La cour ayant jugé que la société Audricam ne rapporte pas la preuve de l'existence de pratiques commerciales trompeuses, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi du fait du recours à de telles pratiques.

3. Sur la demande en paiement la société Locam

L'article 18 des conditions générales du contrat stipule que la convention « peut-être résiliée de plein droit par le loueur, sans formalité judiciaire, huit jours après une mise en demeure restée infructueuse dans les cas suivants : - non-paiement à l'échéance d'un seul terme de loyer [...] ».

L'article 18-3 ajoute qu'en cas de résiliation, « le locataire devra verser au loueur :

- une somme égale au montant des loyers impayés au jour de la résiliation majorée d'une clause pénale de 10% et des intérêts de retard,

- une somme égale à la totalité des loyers restant à courir jusqu'à la fin du contrat majoré d'une clause pénale de 10 % sans préjudice de tous dommages-intérêts que le locataire pourrait devoir au loueur du fait de la résiliation ».

En l'espèce, la société Locam a, par courrier recommandé du 15 août 2019 visant la clause résolutoire, mis en demeure la société Audricam d'avoir à régler les loyers échus impayés, l'informant qu'à défaut de paiement dans le délai de huit jours, la déchéance du terme serait prononcée et le solde de la dette immédiatement exigible.

Au vu de cette mise en demeure et des dispositions contractuelles précitées, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Audricam à payer à la société Locam la somme de 9 816 euros en principal et 981,60 euros au titre de la clause pénale, soit un total de 10'797,60 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 21 août 2019, date de réception de la date de la mise en demeure.

4. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement est enfin confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.

En cause d'appel, la société Audricam, partie perdante, est condamnée aux dépens.

Il n'apparaît pas contraire à l'équité, en revanche, de laisser à la charge de la société Locam, d'une part, des sociétés MJC2A et FHB, d'autre part, leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Audricam aux dépens d'appel.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site