Cass. com., 10 septembre 2025, n° 24-20.833
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 24 septembre 2024), les 17 mars 2016 et 26 octobre 2017, Mme [K], exerçant une activité agricole, a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires, la société Gérard Bodelet, devenue la société Bodelet Long, étant désignée liquidateur.
2. Par une lettre du 10 novembre 2017, le liquidateur a autorisé Mme [K] à ouvrir et faire fonctionner seule un compte dans l'établissement de son choix pour ses besoins privés.
3. Mme [K] a continué à utiliser le compte qu'elle détenait, avant l'ouverture de la procédure collective, dans les livres de la caisse de Crédit mutuel de [Localité 4] (la banque), sur lequel elle a perçu des revenus et opéré des débits jusqu'à la clôture du compte, intervenue à la demande du liquidateur, le 6 juillet 2022.
4. Le 25 octobre 2022, soutenant que les paiements débités de ce compte, depuis le prononcé de la liquidation judiciaire jusqu'au 6 juillet 2022, étaient inopposables à la procédure collective, la société Bodelet Long, ès qualités, a assigné la banque pour en obtenir le remboursement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors « que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée, les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine étant exercés, pendant toute la durée de la liquidation judiciaire, par le liquidateur ; que tout acte accompli par le débiteur après l'ouverture de la liquidation, non autorisé par le liquidateur, est inopposable à la procédure collective ; qu'en l'espèce, le liquidateur avait exigé du débiteur l'ouverture d'un nouveau compte pour pouvoir effectuer les opérations liées à ses besoins personnels ; qu'en retenant que Mme [K] était autorisée par le liquidateur judiciaire à utiliser un compte pour ses besoins personnels, quand l'autorisation de ce dernier portait uniquement sur l'ouverture et l'utilisation d'un nouveau compte et non sur l'utilisation du compte ouvert antérieurement à la procédure de liquidation judiciaire, la cour d'appel a étendu l'autorisation donnée par le liquidateur au-delà de ses termes et a violé les articles 1103 du code civil et L. 641-9 du code de commerce, dans sa rédaction applicable. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 641-9, I, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2022-172 du 14 février 2022 :
6. Selon ce texte, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée et les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.
7. En conséquence, les actes accomplis par le débiteur au mépris de la règle du dessaisissement, édictée pour préserver le gage des créanciers au cours de la procédure, sont frappés d'une inopposabilité à la liquidation judiciaire.
8. Pour rejeter la demande du liquidateur tendant au paiement par la banque du montant des opérations débitées du compte à compter de la liquidation judiciaire jusqu'à la clôture de ce compte, l'arrêt retient que le liquidateur a autorisé Mme [K] à utiliser un compte bancaire pour ses besoins privés et que l'analyse des relevés bancaires montre que le compte a été alimenté en grande partie par des paiements de la MSA ou de la Carsat, outre des versements du liquidateur, et que les dépenses figurant au débit du compte correspondent à des besoins de la vie courante, de sorte qu'elles ne dépassent pas les besoins privés autorisés par le liquidateur et sont donc opposables à la liquidation judiciaire.
9. En statuant ainsi, alors que la lettre du liquidateur du 10 novembre 2017 autorisait la débitrice à ouvrir et faire fonctionner seule, pour ses besoins privés, un nouveau compte, nécessairement distinct de celui existant dans les livres de la banque au jour du prononcé de la liquidation judiciaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il déclare recevable la demande du liquidateur contre la caisse de Crédit mutuel de [Localité 4] et condamne celle-ci à lui payer la somme de 2 406,70 euros, correspondant au solde créditeur du compte [XXXXXXXXXX01] au jour de sa clôture, l'arrêt rendu le 24 septembre 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne la caisse de Crédit mutuel de [Localité 4] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse de Crédit mutuel de [Localité 4] et la condamne à payer à la société Selas Bodelet Long, ès qualités de liquidateur de Mme [K], la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le dix septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.