Cass. crim., 10 septembre 2025, n° 24-82.385
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une information ouverte des chefs d'escroqueries aggravées, blanchiment aggravé, abus de biens sociaux et banqueroute, la somme de 3 220 euros en numéraire et des bijoux ont été saisis.
3. L'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel a été rendue par le juge d'instruction le 23 décembre 2020.
4. Mme [S] [U], divorcée [M], a saisi le tribunal correctionnel d'une demande de restitution de ces biens.
5. Par jugement du 7 septembre 2023, le tribunal correctionnel a rejeté sa demande.
6. Mme [U] a relevé appel de la décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de restitution présentée par Mme [M], alors :
« 1°/ d'une part que par mémoire distinct et motivé, l'exposante sollicite le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions des articles 131-21 du Code pénale, 41-4, alinéa 1 et 99 du Code de procédure pénale, interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de cassation en ce qu'elles ne permettent pas au tiers propriétaire d'un bien saisi dans le cadre d'une procédure pénale d'accéder à un juge pour en réclamer la restitution, postérieurement à l'ordonnance de renvoi délivrée par un juge d'instruction, mais antérieurement à la fixation et à la tenue d'une audience devant la juridiction de jugement, dont elle soutient qu'elles méconnaissent, ainsi interprétées, le droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que le droit de propriété, protégé par les articles 2 et 17 de la même Déclaration, et traduisent l'incompétence négative du législateur affectant ces mêmes droits, en violation de l'article 34 de la Constitution ; que la déclaration d'inconstitutionnalité ou la réserve d'interprétation qui sera prononcée par le Conseil constitutionnel privera de fondement l'arrêt attaqué. »
Réponse de la Cour
8. La Cour de cassation ayant, par arrêt du 4 décembre 2024, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, le grief est devenu sans objet.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche, et sur le moyen relevé d'office et mis dans le débat
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de restitution présentée par Mme [M], alors :
« 2°/ d'autre part que méconnaît le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le droit au respect des biens, protégé par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention, la Cour d'appel qui dénie au tiers propriétaire de biens saisis en 2009 dans le cadre d'une procédure pénale, tout droit d'accéder à un juge pour en réclamer la restitution, entre l'ordonnance de renvoi délivrée par un juge d'instruction le 23 janvier 2020 et la fixation et la tenue d'une audience devant la juridiction de jugement, alors même qu'aucun délai impératif d'audiencement n'existe et que l'intervalle pendant lequel le tiers ne peut saisir de juge afin de restitution de ses biens est dès lors illimité ; qu'en affirmant, au cas d'espèce, pour rejeter la demande de restitution de Madame [U], que celle-ci ne pourrait être présentée que devant la juridiction de jugement, la Cour d'appel a violé les textes susvisés. »
10. Le moyen relevé d'office est pris de la violation des articles 479 et 481, alinéa 1er, du code de procédure pénale.
Réponse de la Cour
11. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 6, § 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention, 479 et 481, alinéa 1er, du code de procédure pénale :
12. Il résulte des quatre premiers de ces textes que toute personne qui prétend avoir des droits sur un bien placé sous la main de la justice peut en réclamer la restitution au tribunal saisi de la poursuite.
13. Aux termes du dernier, si le tribunal correctionnel estime que les objets placés sous la main de la justice sont utiles à la manifestation de la vérité ou susceptibles de confiscation, il sursoit à statuer jusqu'à sa décision sur le fond.
14. Pour rejeter la demande en restitution de biens saisis, l'arrêt attaqué énonce qu'un bien n'est confiscable que lorsque le prévenu a été déclaré coupable.
15. Les juges en déduisent que le tribunal correctionnel ne pouvait se prononcer sur la demande en restitution présentée par un tiers alors qu'il n'avait pas encore statué au fond à l'égard des mis en examen renvoyés devant lui.
16. Ils concluent qu'il appartiendra à Mme [U] d'intervenir volontairement lors de l'évocation du dossier correctionnel pour faire valoir ses moyens et prétentions.
17. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait d'apprécier si les biens dont la restitution est réclamée étaient utiles à la manifestation de la vérité ou s'ils étaient confiscables au regard des dispositions de l'article 131-21 du code pénal et, dans la négative, de restituer les biens, dans l'affirmative, de surseoir à statuer jusqu'à sa décision sur le fond, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
18. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 22 mars 2024, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;