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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 9 septembre 2025, n° 22/19221

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/19221

8 septembre 2025

1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à [Localité 7], le 12 août 2022, sous l'égide du [Adresse 3] (CIRDI), dans le cadre d'une procédure conduite conformément au règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial (« CNUDCI »), dans une affaire enregistrée sous les références « CIRDI No. UNCT/19/1 » opposant Madame [S] [J] à l'État du Koweït.

2. Le différend à l'origine de cette sentence porte sur le traitement dont Mme [J] a fait l'objet dans le cadre d'enquêtes conduites et de condamnations pénales prononcées à son encontre par l'État du Koweït pour malversations financières et dont la demanderesse allègue qu'il constitue des violations de l'Accord entre la Fédération de Russie et l'Etat du Koweit relatif à l'Encouragement et à la Protection Réciproque des Investissements, conclu le 21 novembre 1994 et entré en vigueur le 30 mai 1996 (ci-après le « Traité »).

3. Mme [J], ressortissante russe, arrivée au Koweït en 2004, est depuis 2006, administrateur, directeur général, vice-président et actionnaire minoritaire de la société koweïtienne Kuwait & Gulf Link Investment (« KGLI »), société de capital investissement (' private equity'), qui a pour objet de créer et gérer des fonds d'investissement dans divers domaines.

4. En 2013, en 2019 et en 2020, l'État du Koweït a lancé des poursuites et enquêtes pénales à l'encontre de Mme [J], à l'issue desquelles celle-ci a été condamnée pour détournements de fonds publics, fausses factures et blanchiment d'argent.

5. En 2018, Mme [J], alors en détention au Koweit, a initié une procédure d'arbitrage à l'encontre de l'État du Koweït sur le fondement du Traité, considérant que sa participation dans KGLI constitue un investissement au sens dudit Traité et alléguant que les enquêtes pénales et procédures subséquentes lancées par l'État du Koweït ont violé ses droits fondamentaux et que les jugements en cause ont fait preuve d'iniquité, qu'en conséquence de ces actions, KGLI a perdu toute valeur et qu'elles constituent des violations du Traité lui causant un préjudice pour lequel elle sollicite réparation.

6. Par une sentence rendue à Paris le 12 août 2022, le tribunal arbitral s'est déclaré incompétent pour répondre aux demandes de Mme [J]. La majorité du tribunal a estimé que Mme [J] avait bien la qualité « d'investisseur » au sens de l'article 1(2) (a) (i) du Traité, mais qu'elle n'avait pas réalisé un « investissement » au sein de KGLI au sens de l'article 1(1) du Traité et a statué en ces termes :

'For the reasons set forth above, the Tribunal by majority decides as follows :

(1) The Arbitral Tribunal does not have jurisdiction over the claims submitted to it in this arbitration ;

(2) The Arbitral Tribunal awards the Respondent US$ 3,421,062.51 and KWD 107,453.78 in legal costs, payable by the Claimant within sixty (60) days from the date of this Award.'

Traduction libre :

« Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal, à la majorité, décide ce qui suit :

(1) Le Tribunal Arbitral n'est pas compétent pour connaître des demandes qui lui sont été soumises dans cer arbitrage ;

(2) Le Tribunal Arbitral accorde au Défendeur 3,421,062.51 USD et 107,453.78 KWD au titre de ses frais juridiques, dont la Demanderesse doit s'acquitter dans un délai de soixante (60) jours à compter de la date de la présente Sentence. »

7. Mme [J] a formé un recours en annulation contre cette sentence devant la cour de céans le 10 novembre 2022.

8. La clôture a été prononcée le 18 mars 2025 et l'affaire appelée à l'audience du 1er avril 2025 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.

9. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 avril 2024, Madame [J] demande à la cour, au visa des articles 1520, 1°, 1520, 2°, 1520, 4° et 1520, 5°, du code de procédure civile, de bien vouloir :

- DECLARER RECEVABLES les moyens d'annulation tirés de l'irrégularité de constitution du tribunal arbitral et de la violation de l'ordre public international ;

- JUGER bien fondé le recours en annulation sur le fondement de l'article 1520 du Code de procédure civile ;

- ANNULER la Sentence rendue à Paris le 12 août 2022, sur le fondement de l'Accord entre la Fédération de Russie et l'Etat du Koweït relatif à l'encouragement et la protection mutuelle des investissements en date du 21 novembre 1994 et en vertu du Règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (« CNUDCI ») de 1976, par le tribunal arbitral composé de Monsieur David Unterhalter, Président, Monsieur [C] [F], Arbitre et Monsieur [R] [K], Arbitre, dans l'arbitrage CIRDI N° UNCT/19/1 entre [S] [J] et l'Etat du Koweït :

' sur le fondement de l'article 1520.4 du Code de procédure civile en ce que le tribunal arbitral a violé le principe du contradictoire ;

' sur le fondement de l'article 1520.1 du Code de procédure civile en ce que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort incompétent pour examiner les demandes de Mme [J] à l'encontre du Koweït sur le fondement du Traité ;

' pour irrégularité dans la constitution du tribunal arbitral sur le fondement de l'article 1520.2 du Code de procédure civile ;

' sur le fondement de l'article 1520.5 du Code de procédure civile pour violation de l'ordre public international ;

- CONDAMNER l'Etat du Koweït à payer à Mme [J] la somme de 250.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER l'Etat du Koweït aux entiers dépens et frais de la présente instance qui seront recouvrés par Maître Boccon-Gibod conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

10. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 mai 2024, l'État du Koweït demande à la cour de bien vouloir :

- Déclarer irrecevables les moyens d'annulation de Madame [S] [J] tirés de l'irrégularité de constitution du tribunal arbitral et de la violation de l'ordre public international ;

En tout état de cause, juger mal fondé et rejeter le recours en annulation de Madame [S] [J] ;

- Confirmer la sentence du 12 août 2022 ;

- Condamner Madame [S] [J] à payer à l'Etat du Koweït la somme de 100.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

11. La cour renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

12. Au soutien de son recours, Madame [J] invoque quatre moyens d'annulation tirés de la violation du principe de la contradiction, du fait que le tribunal arbitral se serait déclaré à tort incompétent, de l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral et de la violation de l'ordre public international. L'État du Koweït invoque, à titre préalable, l'irrecevabilité de deux de ces quatre moyens d'annulation.

A. Sur la recevabilité des griefs tirés de l'irrégularité de constitution du tribunal arbitral et de la violation de l'ordre public international

A.1. Sur la recevabilité du grief tiré de l'irrégularité de constitution du tribunal arbitral

i. Position des parties

13. L'État du Koweït fait valoir que Mme [J] s'est abstenue d'invoquer devant le tribunal arbitral le grief tiré de l'irrégularité de sa constitution pour défaut d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre désigné par l'Etat du Koweit, de sorte qu'elle a renoncé à s'en prévaloir en application de l'article 1466 du code de procédure civile, aux motifs que :

- Les arbitres n'ont pas à révéler les informations notoires ou aisément accessibles, la jurisprudence faisant peser sur les parties une obligation de curiosité lors de la constitution du tribunal arbitral ;

- La jurisprudence, si elle considère que l'accessibilité ne doit pas nécessiter plusieurs opérations successives s'apparentant à des mesures d'investigation, estime que la publication d'une information sur une base communément consultée par les cabinets faisant de l'arbitrage suffit à démontrer la notoriété d'une information ;

- Les autres désignations de l'arbitre par le cabinet défendant les intérêts de l'Etat du Koweit dans le cadre de la procédure arbitrale, pour trois d'entre elles, remontaient à 20212, 2013 et 2016, de sorte qu'elles étaient notoires ;

- Mme [J] reproche à l'arbitre de ne pas avoir révélé qu'il avait été désigné par le cabinet Curtis, Mallet-Prevos, Colt & Mosle LLP dans l'affaire Venoklim II, alors que cette information était à tout le moins aisément accessibles, puisque l'affaire Venoklim avait donné lieu à une précédente procédure arbitrale dans laquelle le cabinet Curtis, Mallet-Prevos, Colt & Mosle LLP représentait le Vénézuela et que deux articles de presse faisaient état de ce que le Venezuela était également représenté par ce cabinet dans la seconde ;

- Mme [J] affirme, sans en justifier, que la nomination de M. [F] par le cabinet Curtis n'était plus identifiable en août 2018 sur le site du CIRDI ;

- Le Venezuela avait principalement recours au cabinet Curtis pour le représenter ;

- A supposer que la cour retienne que Mme [J] n'avait pas eu connaissance de la désignation de M. [F] par le cabinet Curtis dans l'arbirage Venoklim II, cette information n'est pas de nature à aggraver de manière significative ses doutes sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre, Mme [J] reconnaissant avoir eu connaissance de quatre des cinq désignations qu'elle critique, sans que cela suscite quelque réaction de sa part en temps utile.

14. Madame [J] réplique que :

- Elle n'avait pas connaissance, pendant la durée de l'arbitrage, de la désignation de M. [F] en janvier 2018, soit huit mois avant sa nomination par ce même cabinet dans l'arbitrage litigieux, en tant qu'arbitre dans l'affaire Venoklim II, elle ne peut donc être réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ;

- L'information n'était pas aisément accessible puisque le Venezuela avait changé de conseil en cours de procédure, de sorte que le cabinet Curtis n'était pas mentionné sur le site du CIRDI ;

- En tout état de cause, elle ne peut être réputée avoir renoncé à se prévaloir de ce grief car elle n'avait pas pu savoir que M. [F] n'avait pas satisfait à son obligation de révélation durant la procédure arbitrale ;

- Elle aurait nécessairement porté un regard différent sur les désignations précédentes de l'arbitre par le cabinet Curtis si elle avait eu connaissance de celle intervenue dans Venoklim II.

ii. Appréciation de la cour

15. Selon l'article 1466 du code de procédure civile, rendu applicable à l'arbitrage international par l'article 1506 du même code, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.

16. En application de ce texte, une partie qui, durant la procédure arbitrale, n'a pas protesté contre un fait connu propre à mettre en cause l'indépendance de l'arbitre n'est pas recevable à s'en prévaloir lors du recours en annulation, son abstention s'appréciant au regard de chacune des circonstances propres à affecter cette indépendance.

17. Il incombe au juge de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances allégués comme constitutifs d'une irrégularité, la partie qui s'en prévaut en avait connaissance alors que la procédure arbitrale était en cours, de sorte qu'elle aurait dû alors s'en prévaloir et à défaut est réputée y avoir renoncé.

18. En l'espèce, il convient de constater qu'à aucun moment l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral ou le défaut d'impartialité de l'arbitre désigné par l'Etat du Koweit n'ont été invoqués devant le tribunal arbitral.

19. Si Mme [J] soutient qu'il appartenait à l'arbitre désigné par l'Etat du Koweit de faire état de l'ensemble des désignations par le conseil du défendeur, le cabinet Curtis, Mallet-Prevos, Colt & Mosle LLP, elle n'invoque, comme grief caractérisant le défaut d'impartialité et d'indépendance de l'arbitre, que l'absence de révélation de sa désignation, le 16 janvier 2018, dans l'arbitrage CIRDI Venoklim c. Venezuela (II).

20. A cet égard, elle soutient qu'elle aurait porté un regard différent sur les trois désignations antérieures par le cabinet Curtis, si elle avait eu connaissance de celle intervenue dans Venoklim II, seulement huit mois avant sa nouvelle désignation dans l'arbitrage litigieux, et qui portait à cinq le nombre des désignations de M. [F] par le cabinet Curtis sur une période de six ans.

21. La cour relève, en premier lieu, que les désignations de M. [F] par le cabinet Curtis intevenues en 2012, dans l'affaire Saint-Gobain Performance Plastics Europe c. Venezuela (CIRDI No. ARB/12/13), le 5 août 2013, dans l'affaire Venezuela US, S.R.L. (Barbade) c. Venezuela (PCA No. 2013-34) et en 2016, dans l'affaire Gold Pool JV Limited c. Kazakhstan (PCA No. 2016-23), sont très antérieures à la procédure arbitrale opposant les parties et constituent des informations notoires, ce que Mme [J], tout en considérant qu'elles auraient dû être révélées, ne conteste pas.

22. En deuxième lieu, s'agissant de la désignation de M. [F] par le cabinet Curtis, le 16 janvier 2018, dans l'affaire Venoklim c. Venezuela (II) (CIRDI No. ARB(AF)/17/4), il convient de relever que :

- Le Venezuela a changé de conseil en cours de procédure arbitrale et ce, selon les dires de la demanderesse elle-même, en juin 2018, soit avant la désignation de M. [F], notifiée, par le conseil de l'Etat du Koweit au conseil de Mme [J] le 12 septembre 2018 (pièce demanderesse n° 19) ;

- La désignation de M. [F] comme arbitre dans la procédure dite Venoklim II (pièce demanderesse n° 95 ; pièce défendeur n° 6) et l'intervention régulière du cabinet Curtis en défense des intérêts du Vénézuela présentaient un caractère notoire, le défendeur produisant des articles de presse (pièces n° 6 et 7), notamment de la Global Arbitration Review, datant de février et mars 2018, faisant état de la procédure d'arbitrage Venoklim II, de la désignation de M. [F] comme arbitre désigné par l'Etat du Venezuela et de l'intervention du cabinet Curtis comme conseil de celui-ci.

23. En troisième lieu, Mme [J] ne démontre pas en quoi la connaissance de cette désignation de M. [F] dans l'affaire Venoklim II l'aurait conduite, si elle en avait eu connaissance au moment de sa désignation dans la procédure d'arbitrage entre les parties, à considérer différemment les précédentes désignations de l'arbitre, quand bien même la désignation serait intervenue huit mois avant, a fortiori sachant que le cabinet Curtis n'était plus conseil dans la procédure.

24. En quatrième lieu, de l'aveu même de Mme [J], c'est à la faveur des recherches qu'elle a elle-même conduites à la reddition de la sentence, compte tenu de l'arbitrage en sa défaveur, qu'elle a découvert la désignatation antérieure de M. [F] dans l'affaire Venoklim II, de sorte qu'elle aurait été tout à fait à même d'en avoir connaissance en temps utile en procédant à ces mêmes recherches à la suite de la notification par le cabinet Curtis de la désignation de M. [F] par l'Etat du Koweit.

25. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Mme [J] n'est pas recevable à se prévaloir du grief tiré de l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral.

A.2. Sur la recevabilité du grief tiré de la violation de l'ordre public international

i. Position des parties

26. L'Etat du Koweit conclut à l'irrecevabilité du grief tiré d'une violation de l'ordre public international en exposant que :

- Mme [J], qui invoque un prétendu défaut d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre désigné par l'Etat du Koweit et soutient ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable, fait valoir des griefs qui relèvent de l'ordre public international de protection, auquel les parties peuvent renoncer ;

- Pour les mêmes raisons que celles précédemment exposées, elle doit être réputée avoir renoncé à se prévaloir du défaut d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre ;

- S'agissant de l'allégation selon laquelle elle n'aurait pas bénéficié d'un procès équitable, elle n'a formulé aucune objection ni aucune réserve à ce titre dans le cadre de la procédure arbitrale, les pièces produites à ce titre étant sans rapport avec la procédure arbitrale.

27. Mme [J] répond que :

- L'atteinte au devoir d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre a pu être considéré comme relevant de l'ordre public de direction par la doctrine et la jurisprudence, de sorte qu'elle n'est pas sujet à renonciation, et qu'elle n'a en tout état de cause pas pu y renoncer puisque l'arbitre a omis de révéler la circonstance créant un doute raisonnable quant à son indépendance et son impartialité ;

- S'agissant de la violation de son droit à une procédure arbitrale équitable, elle a fait état auprès du tribunal de toutes les irrégularités subies.

ii. Appréciation de la cour

28. L'article 1466 du code de procédure civile ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d'ouverture du recours en annulation des sentences arbitrales, à l'exception des moyens tirés de ce que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence violerait l'ordre public international de direction.

29. En l'espèce, Mme [J] invoque deux violations de l'ordre public international :

- Les doutes quant à l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre désigné par l'Etat du Koweit ;

- L'atteinte à ses droits fondamentaux et le fait d'avoir été privée d'un procès équitable au cours de la procédure arbitrale.

30. Le moyen tiré du doute raisonnable sur l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre désigné par l'Etat du Koweit reprend, sous couvert de l'ordre public international, le grief déjà invoqué au titre de l'irrégularité de constitution du tribunal arbitral, lequel ne relève pas de l'ordre public international de direction, de sorte qu'une partie peut y renoncer.

31. Pour les raisons ci-dessus exposées, Mme [J] n'est pas recevable à l'invoquer au soutien de son recours en annulation.

32. L'atteinte à ses droits fondamentaux et la violation de son droit à un procès équitable tient, selon la demanderesse, à sa réclusion au cours de la procédure arbitrale, aux menaces de l'Etat du Koweit à l'encontre des conseils de Mme [J] et des témoins potentiels, au « harcèlement judiciaire » entrepris et aux pressions exercées par l'Etat du Koweit à son encontre.

33. Contrairement à ce que soutient l'Etat du Koweit, ces allégations ne relèvent pas du seul ordre public procédural, dès lors qu'elles portent sur la dénonciation de violations des droits humains et de comportements répréhensibles affectant le bon déroulement de la procédure arbitrale, de sorte que, à les supposer constitués, il ne pourrait être renoncé par Mme [J] au droit de s'en prévaloir.

34. Les violations invoquées de ses droits fondamentaux relèvent donc de l'ordre public international de direction et il ne saurait être reproché à Mme [J] d'y avoir renoncé.

35. Par suite, Mme [J] sera déclarée irrecevable en son moyen tiré d'une violation de l'ordre public international en raison d'un doute raisonnable sur l'indépendance ou l'impartialité de l'arbitre mais recevable en son moyen tiré d'une violation de l'ordre public international en raison du caractère inéquitable de la procédure arbitrale.

B. Sur le premier moyen d'annulation tiré de la violation du principe de la contradiction

i. Position des parties

36. Madame [J] conclut à l'annulation de la sentence pour violation du principe de la contradiction par le tribunal arbitral en faisant valoir que :

- Les arbitres doivent soumettre au débat contradictoire tout moyen relevé d'office ;

- Alors que le débat devant le tribunal arbitral avait porté, de manière consensuelle, sur la question du contrôle exercé par Mme [J] sur la société KGLI dont elle alléguait qu'elle constituait son investissement au Koweït au sens du TBI, la majorité du tribunal arbitral a énoncé que finalement cette question n'était pas le « bon point de départ », qu'il lui appartenait de déterminer si les compétences de Mme [J] mises au service de KGLI et de ses actionnaires représentent un investissement et plus particulièrement si elles constituent un actif possédé ou contrôlé par un investisseur et investi sur le territoire de l'Etat du Koweit, sans que cette question ait été plaidée par les parties, ni invoquée lors de la procédure, ni soumise aux observations des parties ;

- Cette requalification unilatérale et non contradictoire des termes du débat a été relevée par le troisième arbitre, le Juge [U], qui a refusé de s'y associer et a formulé une opinion dissidente.

37. L'État du Koweït conclut au rejet du moyen d'annulation en répliquant que :

- Le tribunal a appréhendé le débat dans sa totalité et au lieu de se contenter d'apprécier si les critères du contrôle au sens du Protocole complétant le Traité étaient remplis, il a examiné la notion « d'investissement » dans son intégralité au sens de l'article 1 du Traité ;

- La question du contrôle de KGLI a bien été tranchée par le tribunal arbitral, ce que Mme [J] reconnaît puisque c'est précisément ce qu'elle reproche au tribunal arbitral au titre de son deuxième moyen d'annulation tenant à ce qu'il se serait déclaré à tort incompétent ;

- La question examinée aux paragraphes 130 à 136 de la sentence critiquée par Mme [J] n'est pas distincte de celle du contrôle et a bien été débattue entre les parties dans leurs échanges ;

- M. [U], dans son opinion dissidente, ne mentionne pas de prétendue violation du contradictoire, contrairement à ce que Mme [J] laisse entendre ;

- En tout état de cause, la question de la suffisance du critère du contrôle pour faire de KGLI un investissement a fait l'objet d'un débat contradictoire.

ii. Appréciation de la cour

38. L'article 1520, 4°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation si le principe de la contradiction n'a pas été respecté.

39. Le principe de la contradiction veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et qu'elles aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire.

40. Le tribunal arbitral n'est pas tenu de soumettre aux parties l'argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé. Il ne peut toutefois fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués.

41. En l'espèce, Mme [J] considère que le tribunal arbitral a violé le principe de la contradiction en relevant d'office, sans le soumettre au débat, le moyen tenant à la nécessité de déterminer si les compétences de la demanderesse mises au service de KGLI et de ses actionnaires représentaient un investissement et plus particulièrement si elles constituaient un actif possédé ou contrôlé par un investisseur et investi sur le territoire de l'Etat du Koweit, alors que la seule question débattue avait été celle du contrôle de KGLI par Mme [J].

42. Elle fait grief au tribunal arbitral de ne pas avoir limité son analyse à la caractérisation de ce contrôle.

43. La cour relève que le tribunal arbitral s'est employé à rappeler (§ 51 de la sentence) que la demanderesse « allègue que KGLI est l'investissement qui fonde la compétence » arbitrale en s'appuyant sur trois éléments, dont il précise qu'ils sont tous trois contestés par l'Etat du Koweït (§52) :

- Elle détient 101.244 actions dans KGLI ;

- Elle a accordé à KGLI un prêt ;

- KGLI, dans sa globalité, était l'investissement de la demanderesse car elle avait tous les pouvoirs structurels et l'autorité nécessaires pour contrôler KGLI à travers son emploi par KGLI et ses nominations au conseil d'administration.

44. Le tribunal arbitral précise par ailleurs que l'Etat du Koweït conteste que KGLI dans son ensemble puisse être considéré comme un investissement protégé, notamment parce que « KGLI dans son ensemble n'est pas un investissement réalisé par la Demanderesse elle-même » (pièce demanderesse 1bis : traduction libre de la sentence).

45. Il ressort en outre des écritures de l'Etat du Koweit dans de la procédure arbitrale que les débats portaient en particulier sur la question de savoir quels éléments permettaient à Mme [J] de considérer que son investissement au sens du Traité était KGLI dans sa globalité.

46. L'Etat du Koweit relevait ainsi :

' The last sentence of that paragraph seems to signal that an explanation is forthcoming as to why KGLI should be considered Ms. [J]'s investment if the company is viewed as a "bundle of concepts". However, the paragraph is immediately followed by ten paragraphs discussing how the English High Court's decision in Dayyani shows that Respondent is wrong to argue that an investment must be "made by the investor" in terms of involving an active investment of capital in the host State.'

Traduction proposée par la cour :

« La dernière phrase de ce paragraphe semble signaler qu'une explication va suivre sur le point de savoir pourquoi KGLI devrait être considéré comme l'investissement de Mme [J] si la société est représentée comme un « ensemble de concepts ». Cependant, le paragraphe est immédiatement suivi de dix paragraphes analysant comment la décision Dayyani de la High Court anglaise montre que le Défendeur a tort de soutenir qu'un investissement doit être « réalisé par l'investisseur » comme impliquant un investissement en capital actif dans l'Etat d'accueil. »

47. Contrairement à ce qu'invoque Mme [J], le tribunal arbitral était tenu d'analyser la caractérisation d'un investissement au sens du Traité, laquelle ne pouvait se cantonner à la question du contrôle de KGLI, au demeurant examinée par les arbitres.

48. Il ressort de la sentence et des écritures des parties que le tribunal arbitral s'est attaché à analyser quels étaient les actifs que Mme [J] possédait ou contrôlait et qu'elle avait investis dans l'Etat du Koweit lui permettant de considérer KGLI dans sa globalité comme son investissement, conformément aux moyens soulevés par les parties et en particulier par le défendeur.

49. S'agissant par ailleurs du grief tenant plus particulièrement à ce que le tribunal arbitral aurait retenu d'office, au paragraphe 132 de la sentence notamment, que la question était de savoir si les compétences de Mme [J] constituaient un actif possédé ou contrôlé par un investisseur et investi sur le territoire de l'Etat du Koweit, alors que cette question n'aurait selon la recourante jamais été soumise au débat entre les parties, il s'agit en réalité d'une étape de raisonnement du tribunal arbitral qui fait suite à l'exposé, au paragraphe 131, des arguments ou éléments de fait invoqués par la demanderesse pour justifier que KGLI dans sa globalité constituait son investissement :

« Selon le témoignage de la Demanderesse, elle concevait KGLI comme son propre investissement : il s'agissait de son idée et, de fait, elle en « tenait les rênes ». La Demanderesse a indiqué que c'est son inspiration qui a persuadé KGL et la famille [T] de constituer KGLI en tant que société d'investissement pour développer une activité de capital-investissement. La Demanderesse a informé le Tribunal qu'elle a investi son propre capital humain dans KGLI, sous forme de travail et d'expertise ainsi que ses capitaux propres, à travers un prêt en cours afin de soutenir la trésorerie de KGLI. La Demanderesse a également déclaré au Tribunal qu'elle a développé et mis en 'uvre la stratégie de la société. La Demanderesse affirme qu'à travers les différentes fonctions qu'elle a occupées au sein de KGLI, que ce soit comme Directeur Général, Administrateur et enfin Vice-Président, elle était la décisionnaire clé. La Demanderesse identifiait les opportunités d'investissement, a structuré et exécuté les transactions, géré les investissements effectués et enfin assuré la sortie de KGLI de ces investissements. Si tout ceci a été réalisé sous l'auspice du mandat généreux octroyé à la Demanderesse par le Conseil d'Administration de KGLI, sans la Demanderesse, KGLI n'aurait jamais pu voir le jour ni bâtir l'activité de capital-investissement qui a été la sienne ».

50. Mme [J] ne saurait donc reprocher au tribunal arbitral d'avoir tenu compte des moyens et arguments qu'elle avait elle-même invoqués.

51. Sous couvert d'une violation du principe de la contradiction, c'est le raisonnement du tribunal arbitral que Mme [J] entend contester et qu'il n'appartient pas au juge de l'annulation de réviser.

52. Mme [J] n'établissant aucune violation du principe de la contradiction par le tribunal arbitral, le moyen qu'elle invoque à ce titre au soutien de son recours en annulation sera rejeté.

C. Sur le deuxième moyen d'annulation tiré du fait que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort incompétent

i. Position du demandeur

53. Madame [J] soutient que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort incompétent aux motifs que :

- La majorité du tribunal s'est déclarée à tort incompétente après avoir ajouté aux termes du Traité une condition supplémentaire pour qualifier un investissement, à savoir démontrer que l'actif a été investi par l'investisseur dans l'État d'accueil (« investissement actif »), puis considérer que ladite condition n'était pas remplie ;

- L'investissement aurait dû être qualifié au sens du Traité en ce que (i) KGLI est un actif au regard de l'article 1(1) du Traité, (ii) ledit actif a été investi au Koweït, KGLI ayant son siège social au Koweït, et (iii) Mme [J] exerce un contrôle sur cet actif ;

- Le seuil requis pour établir le contrôle de l'investissement est peu élevé et n'exige nullement un contrôle total ou exclusif mais, parmi d'autres critères, une « influence substantielle » sur l'investissement en question. Ainsi, quand bien même plusieurs personnes auraient été à même d'exercer une influence sur la gestion et le fonctionnement de KGLI, ceci ne serait pas de nature à nier l'influence substantielle de Mme [J] sur KGLI ;

- En violation de sa mission, le tribunal arbitral a procédé à une analyse purement formelle/légale de la notion de contrôle, ignorant les circonstances factuelles particulières de l'espèce ainsi que les textes applicables, qui imposent précisément de ne pas s'arrêter au contrôle formel mais d'apprécier le contrôle de facto ;

- Mme [J] contrôlait dans les faits KGLI au sens du Traité et de son Protocole car elle avait :

(1) « un intérêt substantiel dans l'investissement » en détenant 101.244 actions dans KGLI, en accordant un prêt substantiel à la société d'un montant d'à peu près 3,6 millions de USD et en ayant droit à un intéressement lié à la performance de KGLI ;

(2) une influence substantielle si ce n'est totale sur le management et la conduite des affaires de KGLI, notamment Mme [J] était à l'origine de la création de KGLI, siégeait au conseil d'administration depuis sa création, et contrôlait la gestion quotidienne de KGLI en sa qualité de présidente du comité exécutif ;

(3) la capacité d'exercer une influence substantielle sur la composition du Conseil d'administration, puisque c'est elle qui soumettait le nom des personnes à nommer au conseil d'administration et que M. [T], l'un des principaux actionnaires de KGLI, se contentait de mettre en 'uvre ces propositions.

54. L'État du Koweït conclut au rejet du moyen en soutenant que :

- Dans sa demande d'arbitrage et sa demande de mesures provisoires, Mme [J] n'a pas identifié KGLI comme constituant l'un de ses investissements et faisait seulement état du faible nombre d'actions qu'elle détenait dans cette société, soit à peine 0,047% du capital social de l'entreprise. Ce n'est que plus tard, que Mme [J] a changé de thèse et a soutenu que KGLI dans son ensemble constituait un investissement ;

- L'argumentation de Mme [J] repose sur une lecture erronnée de l'article 1(1) du Traité et du Protocole en présentant le Protocole comme devant être lu indépendemment ;

- Le tribunal arbitral n'a pas ajouté de condition « d'investissement actif », ce dernier a simplement appliqué les termes ' invested in the territory ' de l'article 1(1) du Traité et a retenu que la participation dans KGLI et le prêt constituent des investissements au sens du Traité, mais ne permettent pas de considérer que KGLI dans son ensemble constitue l'investissement de Mme [J], le réel investissement se limitant à son travail et son expertise ;

- L'arbitre dissident n'a pas critiqué la majorité pour avoir ajouté une exigence d'investissement « actif » ;

- Contrairement à ce que Mme [J] soutient, le Protocole ne dit pas que le seuil requis pour établir le contrôle de l'investissement est peu élévé et qu'une influence substantielle sur l'investissement serait suffisante. Ce Protocole impose au contraire d'examiner tous les facteurs pertinents pour apprécier si, dans les faits, l'investissement est bien « contrôlé » par l'investisseur et dans ce cas, si le contrôle est en majeure partie exercé par d'autres personnes, il n'est pas possible de considérer KGLI comme un investissement appartenant à Mme [J] ;

- En tout état de cause, même en admettant la théorie de Mme [J], le contrôle prétendument exercé sur KGLI par Mme [J] fait défaut. En effet, le contrôle le plus pertinent ne peut être que le contrôle sur la société en tant qu'actif et donc la capacité de céder cet actif. Or, Mme [J] n'a pas cette capacité.

ii. Appréciation de la cour

55. L'article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.

56. Pour l'application de ce texte, il appartient au juge de l'annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage.

57. En matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l'État à l'arbitrage procède de l'offre permanente d'arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d'investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu'il définit.

58. Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l'annulation n'ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé.

59. En l'espèce, l'offre d'arbitrage est définie à l'article 9 du Traité qui prévoit que :

« 1. Les différends entre une Partie Contractante et un investisseur de l'autre Partie Contractante eu égard à un investissement de ce dernier sur le territoire de la première, devront, dans la mesure du possible, être réglés à l'amiable.

2. Si ce différend ne peut pas être réglé dans les six mois suivant la date à laquelle la partie au litige a demandé son règlement amiable, il sera soumis par l'une ou l'autre des parties au litige en vue de son règlement :

a) conformément à toute procédure de règlement des différends préalablement convenue ; ou

b) par un tribunal arbitral ad hoc constitué en vertu du Règlement d'Arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (CNUDCI) ['] »

60. L'article 1 du TBI définit comme suit les investissements et les investisseurs :

' The term "investment" shall mean every kind of asset owned or controlled by an investor of one Contracting Party and invested in the territory of the other Contracting Party in accordance with its legislation. This term shall include, in particular:

a) movable and immovable property as well as any property rights such as mortgages;

b) shares, debentures and other securities, as well as stocks and any other forms (') of interests in a company or enterprise;

c) debt, claims to money or to any performance under loan agreement or under other contract having an economic value and related to an investment;

d) intellectual property rights, including in particular, copyrights, patents, trade marks, industrial designs, trade names as well as know-how, trade secrets, and goodwill;

e) rights conferred by law or under contract to carry out economic activity, or by virtue of any licenses and permits pursuant to law, including rights to search for, cultivate, extract or exploit natural resources;

Any alteration of the form in which assets are invested or reinvested shall not affect their character as investment.

2. The term "investor" shall mean with regard to each Contracting Party:

a) (i) any natural person holding the citizenship or nationality of that Contracting Party in accordance with its legislation;

(ii) any legal entity, constituted in accordance with the legislation in force in the territory of that Contracting Party, including a corporation, company, association, enterprise, partnership or other organisation, irrespective of whether their liabilities are limited or otherwise;

provided that such natural person or legal entity is competent, in accordance with the legislation of that Contracting Party, to make investments in the territory of the other Contracting Party.

b) that Contracting Party. '

Traduction proposée par la cour :

« Le terme "investissement" désignera tout type d'actif détenu ou contrôlé par un investissement d'une Partie contractante et investi sur le territoire de l'autre Partie contractante en accord avec sa légilsation. Ce terme inclura, en particulier :

a) les biens meubles ou immeubles, ainsi que tous droits immobiliers tels que des hypothèques ;

b) les actions, obligations ou autres valeurs mobilières, ainsi que les titres et toutes formes d'intérêts dans une société ou entreprise ;

c) les dettes ou créances ou droits financiers au titre d'un prêt ou de tout contrat ayant une valeur économique et relatif à un investissement ;

d) les droits de propriétés intellectuelle, en ce compris les droits d'auteur, brevets, marques, dessins industriels, noms commerciaux, ainsi que le savoir-faire, les secrets commerciaux et fonds de commerce ;

e) les droits conférés par la loi ou au titre d'un contrat à exercer une activité économique, ou en vertu d'une licence ou d'une autorisation en application de la loi, en ce compris les droits de rechercher, de cultiver, d'extraire ou d'exploiter des ressources naturelles.

Toute modification de la forme dans laquelle sont investis ou réinvestis les actifs n'affectera pas leur nature d'investissement.

2. Le terme "investisseur" désignera, relativement à chaque Partie Contractant :

a) (i) toute personne physique titulaire de la citoyenneté ou de la nationalité de cette Partie Contractante conformément à sa législation ;

(ii) toute personne morale, constituée conformément à la legislation en vigueur sur le territoire de cette Partie Contractante, en ce compris une société, une structure sociale, une association, une entreprise, un partenariat ou toute autre structure, peu important qu'elle soit à responsabilité limitée ou non ;

sous reserve que cette personne physique ou personne morale soit en droit, conformément à la legislation de cette Partie Contractante, de faire des investissements sur le territoire de l'autre Partie Contractante ;

b) cette Partie Contractante. »

61. L'article 13 du Traité precise que le protocole, conclu le même jour fait partie intégrante du Traité (' The Protocol to this Agreement shall form an integral part of this Agreement '). Ce protocole precise les notions d'investissement et de contrôle de la manière suivante :

' The term "investment" includes investments controlled directly by investors of the Contracting Party as well as investments controlled indirectly by such investors through investors of a third state. The foregoing also applies to investments "owned" as used in Article 1, paragraph 1 of the said Agreement.

The Contracting Parties also acknowledge that the question whether control exist will depend on the factual circumstances of the particular case.

To this end consideration should be given, inter alia to whether there is:

a) a substantial interest in the investment, taking into account the extent of equity or other forms of financial interest;

b) the ability to exercise substantial influence over the management and operation of the investment; or

c) the ability to exercise substantial influence over the composition of the board of directors or over the composition of any other managing body. '

Traduction libre :

« Le terme « investissement » inclut les investissements contrôlés directement par les investisseurs de la Partie Contractante ainsi que les investissements contrôlés indirectement par ces investisseurs à travers des investisseurs d'un état tiers.

Ce qui précède s'applique également aux investissements « détenus », tel qu'employé à l'Article 1, paragraphe 1 dudit Accord.

Les Parties Contractantes reconnaissent également que la question de savoir si le contrôle existe dépendra des circonstances factuelles du cas d'espèce.

À cette fin, il convient de prendre en considération, entre autres, s'il y a :

a) un intérêt substantiel dans l'investissement, en tenant compte du nombre d'actions ou des autres formes d'intérêts financiers ;

b) la capacité à exercer une influence substantielle sur la gestion et le fonctionnement de l'investissement ; ou

c) la capacité à exercer une influence substantielle sur la composition du conseil d'administration ou sur la composition de tout autre organe de direction. »

62. Mme [J] reproche au tribunal arbitral d'avoir ajouté une condition à la définition d'investissement au sens du Traité en exigeant que l'actif considéré ait été investi par l'investisseur lui-même, d'une part, et d'avoir retenu à tort qu'elle ne contrôlait pas KGLI, d'autre part.

63. Elle considère que c'est KGLI dans son intégralité qui constitue son investissement au sens du Traité et lui permet de fonder son action en indemnisation dans le cadre de la procédure arbitrale au titre de la protection que lui confère le Traité, sans qu'il soit besoin de démontrer que cet investissement aurait été investi par elle au Koweit.

64. Ce faisant, Mme [J] décorrèle l'investisseur de l'investissement, soutenant que, pour bénéficier de la protection du Traité, il convient et il suffit de démontrer le contrôle d'un investissement par un ressortissant de l'autre Etat, peu important que ce dernier ait lui-même réalisé cet investissement.

65. Si l'article 1 du Traité définit l'investissement comme tout type d'actif détenu ou contrôlé par un investisseur d'une Partie Contractante et investi sur le territoire de l'autre, sans préciser expressément qu'il doit avoir été investi " par lui ", il ne peut être interprété en ce sens qu'il confèrerait sa protection à un investisseur pour un investissement réalisé par un autre.

66. La protection que confère le Traité s'entend de la protection des ressortissants d'un Etat contractant au titre des investissements qu'ils réalisent sur le territoire de l'autre. Si ces investissements peuvent être constitués par tous types d'actifs et si le Traité prévoit que ces actifs puissent être soit contrôlés soit détenus par l'investisseur, l'article 1 n'en exige pas moins expressément qu'ils soient investis par l'investisseur qui revendique la protection sur le territoire de l'Etat qui accepte, par le Traité, de conférer celle-ci et de se soumettre à l'arbitrage.

67. La définition de la notion « investisseur » prévue par le Traité précise d'ailleurs qu'une personne ne peut être qualifiée d'investisseur que sous reserve qu'elle soit en droit, conformément à la legislation de cette Partie Contractante, de faire des investissements sur le territoire de l'autre Partie Contractante (' provided that such natural person or legal entity is competent, in accordance with the legislation of that Contracting Party, to make investments in the territory of the other Contracting Party ').

68. L'article 1 du protocole, qui précise la notion de contrôle permettant de caractériser un investissement au sens du Traité, confirme la nécessité que l'investissement protégé soit réalisé par celui-là même qui revendique la protection, puisqu'il vise « les investissements contrôlés directement par les investisseurs de la Partie Contractante ainsi que les investissements contrôlés indirectement par ces investisseurs à travers des investisseurs d'un état tiers ».

69. De la même manière, l'article 2(2) du Traité, sur lequel la demanderesse fondait notamment sa demande d'indemnisation dans le cadre de l'arbitrage, impose à chaque Etat partie d'accorder un traitement juste et équitable, une protection et une sécurité aux investissements réalisés par les investisseurs de l'autre partie contractantes, visant à cet égard les " investissements par les investisseurs d'une Partie Contractante " :

' Investments by investors of one Contracting Party shall be accorded fair and equitable treatment and shall enjoy full protection and security in the territory of the other Contracting Party. '

Traduction proposée par la cour :

« Les investissements par les investisseurs d'une Partie Contractante se verront accorder un traitement juste et équitable et jouiront d'une pleine protection et d'une pleine sécurité sur le territoire de l'autre Partie Contractante ».

70. L'exigence d'un investissement réalisé par l'investisseur qui revendique la protection est également confirmée par les termes de l'article 9, qui définit l'offre d'arbitrage et vise les différends entre l'une des Parties Contractantes et un investisseur de l'autre Partie Contractante, en prenant le soin de préciser « eu égard à un investissement de ce dernier sur le territoire de la première » (' Disputes between a Contracting Party and an investor of the other Contracting Party relating to an investment of the latter in the territory of the former ').

71. Mme [J] ne peut donc valablement soutenir que le tribunal arbitral aurait ajouté une condition au Traité en retenant que l'actif constituant l'investissement protégé ait été investi par l'investisseur lui-même, cette condition étant consubstantielle à la protection conférée par le Traité et à l'offre d'arbitrage.

72. Mme [J] ne pouvait donc se contenter de soutenir qu'elle contrôlait KGLI dans son intégralité pour revendiquer la protection du Traité, sans établir qu'il s'agissait d'un investissement qu'elle avait elle-même réalisé au Koweit.

73. La cour relève qu'en tout état de cause Mme [J] échoue à démontrer qu'elle contrôlait KGLI au sens du Traité tel que complété par le protocole.

74. Le protocole précise que « la question de savoir si le contrôle existe dépendra des circonstances factuelles du cas d'espèce » et indique qu'il convient à cet égard de prendre notamment en considération un intérêt substantiel dans l'investissement, en tenant compte du nombre d'actions ou des autres formes d'intérêts financiers, la capacité à exercer une influence substantielle sur la gestion et le fonctionnement de l'investissement ou encore la capacité à exercer une influence substantielle sur la composition du conseil d'administration ou sur la composition de tout autre organe de direction.

75. En premier lieu, la détention de moins de 1% du capital, quand bien même s'y ajouterait l'octroi d'un prêt de 1 120 000 KWD, ne suffit pas à démontrer un intérêt substantiel dans l'investissement au sens du Traité tel qu'éclairé par le protocole. A cet égard, le bénéfice d'un intéressement n'apparaît pas pertinent pour caractériser un intérêt substantiel dans l'investissement, dans la mesure où il ne s'agit que de la potentialité de détenir, à terme, une participation dans la société.

76. En deuxième lieu, s'agissant de l'affirmation de Mme [J] selon laquelle elle exerçait dans les faits une influence substantielle, si ce n'est totale, sur le management et la conduite des affaires de KGLI, et une influence substantielle sur la composition des organes d'administration, Mme [J] n'en justifie que par les fonctions opérationnelles qu'elle exerçait au sein de la société en qualité de membre du conseil d'administration, de vice-présidente, de président directeur général autorisée à représenter la société à l'égard des tiers, de présidente du comité exécutif et du comité d'investissement. Si ces fonctions lui conféraient effectivement les pouvoirs de gestion dont disposent classiquement les dirigeants des sociétés, elles ne suffisent pas à constituer une influence substantielle au sens du traité dès lors qu'elle était salariée de KGLI et donc subordonnée à son employeur.

77. Il résulte de ce qui précède que Mme [J] n'est pas fondée à soutenir que KGLI dans son intégralité constitue un investissement au sens du Traité, de sorte que le tribunal arbitral s'est à juste titre déclaré incompétent pour connaître du litige opposant la demanderesse à l'Etat du Koweit.

78. Le moyen invoqué par Mme [J] tiré de ce que le tribunal se serait déclaré à tort incompétent sera donc rejeté.

D. Sur le quatrième moyen d'annulation tiré de la violation de l'ordre public international

i. Position des parties

79. Madame [J] soutient qu'elle n'a pas bénéficié d'une procédure arbitrale équitable, de sorte que celle-ci est nécessairement viciée et doit entraîner l'annulation à la sentence, faisant valoir à cet égard que :

- elle a été détenue au Koweït depuis novembre 2017 dans des conditions éprouvantes, non conformes aux normes internationales, avec notamment des contacts très limités avec l'extérieur, y compris ses avocats ;

- les conseils et témoins potentiels de Mme [J] ont fait l'objet de pressions, menaces et autres tentatives d'intimidations de la part du Koweït ;

- elle a été la cible d'une campagne de harcèlement judiciaire orchestrée par l'État du Koweït et a ainsi dû se défendre simultanément dans de multiples procédures locales ;

- elle a fait l'objet de pressions inadmissibles pour la contraindre à abandonner ses demandes dans le cadre de l'arbitrage et d'autres procédures internationales.

80. L'État du Koweït répond que :

- Mme [J] prétend avoir été privée d'un procès équitable car elle a été mise dans l'incapacité de défendre correctement sa position, mais l'historique de la procédure contredit cette prétention en ce que de nombreux mémoires ont été échangés, des audiences de procédure et deux audiences sur le fond se sont tenues.

- En tout état de cause :

o l'incarcération de Mme [J] ne l'a en aucun cas empêchée de préparer sa défense, puisque notamment, elle a pu bénéficier d'une libération sous caution, d'une prolongation de deux mois pour déposer son mémoire et après sa fuite à l'ambassade de Russie elle a toujours été en mesure de fournir à son conseil tous les éléments nécessaires à la préparation de sa défense ;

o les accusations de Mme [J] quant aux menaces à l'encontre des conseils et témoins potentiels sont mensongères ;

o Mme [J] n'a subi aucun « harcèlement judiciaire », elle a toujours été assistée de ses conseils, très réputés en matière d'arbitrage international, ainsi que par un avocat koweïtien de premier plan dans le domaine pénal et a fait l'objet de plusieurs poursuites pénales mais sur la base de faits différents ;

o Mme [J] allègue qu'elle aurait fait l'objet de pressions inadmissibles, notamment que le Koweït lui aurait fait « miroiter la possibilité d'être graciée » mais cette affirmation est mensongère, cette allégation vise une solution amiable qui avait été envisagée fin 2021 mais qui n'a reçu réponse affirmative qu'après la reddition de la sentence arbitrale, la privant ainsi de tout effet ;

o En tout état de cause, ces accusations n'ont aucune conséquence sur la capacité de la demanderesse à organiser sa défense dans l'arbitrage.

ii. Appréciation de la cour

81. Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.

82. L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

83. La lutte contre les violations des droits de l'homme, protégés notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et le Pacte des droits civils et politiques du 16 décembre 1966, figurent au rang des principes dont l'ordre juridique français ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

84. Ces principes entrent ainsi dans le champ de l'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge de l'annulation en application de l'article 1520, 5°, précité du code de procédure civile.

85. Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.

86. En l'espèce, Mme [J] invoque l'atteinte portée à ses droits fondamentaux dans le cadre des procédures pénales initiées à son encontre par les autorités de l'Etat du Koweit, et met en particulier en avant le rapport du groupe de travail sur la détention arbitraire du 28 août 2019 (pièce demanderesse n° 13) et les actions qui s'en sont suivies (pièces n° 63 à 66, 70 à 72), ainsi que la dénonciation de menaces à son encontre ou à celle de ses conseils (pièce demanderesse n°69), immédiatement portées à la connaissance du tribunal arbitral.

87. Pour autant, Mme [J] n'établit pas en quoi ses droits de la défense auraient été bafoués dans le strict cadre de la procédure arbitrale ayant conduit à la sentence dont la cour est saisie.

88. La procédure arbitrale a été initiée par Mme [J], selon ses propres dires, alors qu'elle était incarcérée. Tout au long de cette procédure, Mme [J] a été représentée par des avocats spécialisés en matière d'arbitrage international et a été en mesure d'organiser la défense de ses intérêts dans un délai raisonnable et de déposer des mémoires développés pour faire valoir ses droits dans le cadre d'une procédure contradictoire (pièces demanderesse n° 12 et 18 notamment). Les transcriptions des audiences attestent de ce qu'elle a également été en mesure d'y assister, accompagnée de ses conseils (pièces demanderesse n° 20 et 22).

89. Il résulte de ces éléments que la sentence frappée du recours en annulation, par laquelle le tribunal arbitral s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande d'indemnisation de Mme [J], a été rendue à l'issue d'une procédure dans le cadre de laquelle les droits de Mme [J] ont été respectés.

90. Il n'est dès lors pas démontré que l'exécution ou la reconnaissance de la sentence arbitrale violerait de manière caractérisée l'ordre public internationl, de sorte que ce moyen d'annulation doit être écarté.

91. Par suite, aucun des moyens soutenus n'étant de nature à motiver l'annulation de la sentence arbitrale, le recours formé par Mme [J] sera rejeté.

E. Sur les frais du procès

92. Mme [J], partie perdante, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre des frais irrépétibles étant rejetée.

93. L'équité commande par ailleurs de limiter à 20 000 euros le montant des frais irrépétibles mis à la charge de Mme [J] en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs, la cour :

1) Déclare irrecevable le moyen tiré de l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral ;

2) Rejette le recours en annulation formé par Madame [S] [J] contre la sentence arbitrale rendue à [Localité 7] le 12 août 2022 sous l'égide du [Adresse 4] (CIRDI) dans l'affaire enregistrée sous les références « Affaire CIRDI No. UNCT/19/1 » opposant Madame [S] [J] à l'État du Koweït ;

3) Rappelle qu'en application de l'article 1527 du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l'exequatur à la sentence arbitrale ;

4) Condamne Madame [S] [J] aux dépens ;

5) Rejette la demande formée par Madame [S] [J] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

6) Condamne Madame [S] [J] à payer à l'Etat du Koweit la somme de vingt mille (20 000) euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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