CA Lyon, 1re ch. civ. b, 9 septembre 2025, n° 21/05683
LYON
Arrêt
Autre
N° RG 21/05683 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NXPG
Décision du
Tribunal Judiciaire de LYON
Au fond
du 03 juin 2021
RG : 21/02161
ch n°10 cab 10 H
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 09 Septembre 2025
APPELANTE :
La SAS SIP HOTELS D'ENTREPRISES
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Raoudha BOUGHANMI de la SELARL CABINET CHAUPLANNAZ AVOCATS ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 172
INTIMEE :
La SCI CAVOUR
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475
ayant pour avocat plaidant Me Jean-paul SANTA-CRUZ de la SCP D'AVOCATS JURI-EUROP, avocat au barreau de LYON
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 06 Décembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Avril 2025
Date de mise à disposition : 10 Juin 2025 prorogée au 09 Septembre 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Patricia GONZALEZ, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE
La SCI Cavour a acquis le 16 novembre 1993 un tènement immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 5].
Par acte sous seing privé du 30 décembre 2003, elle a conclu un bail commercial avec la société Ramos (constituée le 27 août 1986 entre les associés MM [W] [I] et [Z] [D], leurs enfants étant actuellement associés au sein de la SCI) sur l'intégralité du tènement immobilier pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2004, contre le versement d'un loyer annuel de 20.000 euros ; et qui se serait tacitement prolongé à partir du 31 décembre 2012.
La société SIP (constituée de membres de la famille [I]) a donné à bail le 1er juillet 2015 seize sous-lots du tènement immobilier sis [Adresse 2] à différentes sociétés.
La SCI Cavour a adressé le 11 septembre 2019 à la société Ramos un commandement de payer pour un montant de 80.035,44 euros puis par ordonnance du 6 janvier 2020 rectifiée le 27 janvier 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon a notamment :
- constaté qu'à la suite du commandement de payer du 11 septembre 2019, le jeu de la clause résolutoire est acquis au bénéfice de la SCI Cavour,
- débouté la société Ramos de ses demandes de délai de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire et dit qu'elle et tous occupants de son chef devront avoir quitté les lieux dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'ordonnance et que, passé cette date, ils pourront être expulsés avec le concours de la force publique,
- condamné la société Ramos à verser à la société Cavour la somme provisionnelle de 97.178,50 euros au titre des loyers et charges dus au 11 novembre 2019, et à verser à la SCI Cavour une indemnité d'occupation mensuelle équivalente au montant du loyer et des charges en cours à compter du 12 novembre 2019 et jusqu'à la libération effective des lieux.
La société Ramos a interjeté appel de cette ordonnance devant la cour d'appel de Lyon puis par jugement du 28 août 2020, le tribunal de commerce de Bastia a ordonné la dissolution anticipée de cette société et a mis fin à son administration provisoire.
Par acte introductif d'instance du 25 mars 2021, après autorisation par ordonnance du 18 mars 2021, la SCI Cavour a fait assigner à jour fixe la société SIP devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins notamment d'être autorisée à signer des baux commerciaux directement avec les occupants effectifs des lieux pour lesquels la société SIP revendique le bénéfice d'un bail principal comme fondement de ses locations commerciales et d'obtenir l'expulsion de la société SIP et de tous occupants de son chef des locaux situés [Adresse 3] à [Localité 5], sauf meilleur accord avec les occupants du site sur la base de la signature de nouveaux baux directement auprès d'elle.
Par jugement contradictoire du 3 juin 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- rejeté la demande de renvoi de la société SIP de renvoi et déclaré irrecevables les notes en délibéré des parties,
- débouté la SCI Cavour de ses demandes tendant à l'autoriser à signer des baux directement avec les occupants effectifs des lieux et à l'expulsion de la société SIP et de tous occupants de son chef sauf meilleur accord avec les occupants du site,
- déclaré le caractère civil du bail verbal entre la SCI Cavour et la société SIP,
- débouté la société SIP de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,
- condamné la SCI Cavour à payer à la société SIP, la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce compris le préjudice lié aux tracas causés par le litige et la procédure judiciaire,
- condamné la SCI Cavour aux dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 6 juillet 2021, la société SIP a interjeté appel.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 octobre 2022, la société SIP demande à la cour de :
- la juger recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,
En conséquence,
- réformer en conséquence le jugement du tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a déclaré civil le bail la liant à la SCI Cavour,
Et statuant à nouveau,
- dire et juger que le bail entre la SCI Cavour et la concluante revêt un caractère commercial,
- juger que la date d'effet du bail commercial remonte au 1er juillet 2015,
- condamner la société Cavour à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens d'instance.
***
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 22 novembre 2022, la société Cavour demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 3 juin 2021 en ce qu'il a déclaré le caractère civil du bail verbal entre elle et la société SIP,
Ce faisant,
- rejeter toutes les demandes de la société SIP,
Et y ajoutant,
- condamner la société SIP à lui payer la somme de 8.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 décembre 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nature du bail verbal
Aucune des parties ne conteste l'existence d'un bail verbal et le litige soumis à la cour ne porte que sur la seule nature de ce bail liant les parties. Il n'y a donc pas lieu d'examiner à nouveau les éléments débattus par la SCI dans ses conclusions pour réfuter l'existence d'un bail alors qu'elle indique expressément par ailleurs ne plus contester cette existence.
Sur la nature du bail la société SIP fait valoir que :
- elle exerce une activité de construction et de prestations aux entreprises comme précisé au RCS,
depuis sa création en 1960, elle loue chaque année des locaux équipés à des entreprises et son siège social est actuellement [Adresse 2] à [Localité 5],
- la SCI Cavour créée en 1987 a acquis le tènement litigieux en 1987 et a signé en 1993 un premier bail commercial,
- en 2003, 11.000 m² lui ont été donnés en location par un second bail commercial pour une durée de 9 ans, pour une sous-location à une soixantaine de locataires,
- en 2013, les enfants des familles [D] et [I], associés à parts égales ont proposé un nouveau loyer augmenté à la société Ramos détenue par leurs deux parents, mais celle-ci a refusé et a réduit sa surface de location à 5.541 m² pour le montant de loyer initial ; la SCI Cavour s'est tournée vers elle et la société Beauchamp de Durante (famille [D]) pour louer des lots au 195, soit le lot 200 pour elle, composé de 16 bureaux d'affaires plus annexes en contrepartie d'un loyer de 15.000 euros annuel pour une surface de 1.877 m² sur 2.932 m² de terrain et le lot 300 pour l'autre société ; la division en lots et le plan MCD ont été établis par les trois associés, de la SCI et son nom de locataire apparaît pour le lot 200,
- à compter du 1er juillet 2015, la SCI lui a donné à bail commercial des locaux précédemment donnés à bail à la société Ramos mais le bail n'a pu être régularisé faute de représentant légal de la SCI, cependant, tous les associés ont donné leur accord et la conclusion des trois baux n'est plus contestée,
- sur le contentieux avec la société Ramos, la décision rendue avec des pièces falsifiées est très contestable et une plainte pour escroquerie au jugement est en cours,
- le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur de fait, elle est inscrite au RCS et exerce entre autres une activité de location de bureaux d'affaires,(gestion d'hôtels d'entreprise), du fait de son activité propre, elle est nécessairement titulaire d'un bail commercial, et tous ses clients sont inscrits au RCS, elle dispose d'une clientèle propre et effective,
- la convention lui a permis d'exercer une activité au service d'une clientèle qui lui est propre, ce qui caractérise suffisamment le bail commercial, les mises à dispositions suffisent à établir l'existence d'une clientèle en dehors de prestations accessoires,
- elle produit de nombreuses factures correspondant à des prestations accomplies au profit des clients, elle offre un véritable service de conciergerie (entretien des locaux, manutention, fourniture de mobiliers,
- il y a eu soumission volontaire au statut des baux commerciaux, ces baux ont été rédigés par M. [B] mais non régularisés en l'absence de représentant légal,
- le litige avec la société Ramos portait sur un bail commercial, elle doit bénéficier du même statut, l'activité est la même pour les trois sociétés.
La SCI réplique que :
- la société Ramos n'a jamais nié dans la procédure les opposant que le bail de 2003 était toujours en vigueur et qu'elle louait l'intégralité du tènement,
- plutôt que d'expulser les occupants, elle a signé la majorité d'entre eux de nouveaux baux ; 15 occupants l'ont contactée en indiquant avoir signé un bail commercial avec la société SIP et lui payer des loyers, et devant leur inquiétude, elle a fait assigner la société SIP sur la question de l'état locatif du site,
- le premier juge n'a pas tenu compte de son refus de signer des baux sur la base du projet de [W] [I] alors que son gérant a été privé de ses éléments comptables et a permis à ce dernier d'intervenir dans son fonctionnement, et la société Beauchamp de Durante a nié l'existence d'un bail; toutefois, elle a pris acte de la décision de première instance sur l'existence d'un bail et elle a fait délivrer congé pour le bail civil le 26 octobre 2021 pour le 30 avril 2022,
- la société SIP n'a pas contesté le congé de sorte que des baux ont été directement signé entre le bailleur et presque tous les occupants du site,
- le statut des baux commerciaux ne s'applique que sous trois conditions dont l'exploitation d'un fonds de commerce, et la soumission volontaire au statut des baux commerciaux doit être non équivoque ; une telle soumission n'existe pas en l'espèce,
- son gérant a toujours refusé de signer le bail et le projet de M. [I] ne mentionnait pas au titre de la destination des lieux une activité de bureau d'affaires mais de stockage, aucun accord pour une activité commercial n'a été donnée,
- aucun amalgame ne peut être fait avec la signature du bail avec la société Ramos dans un climat serein,
- la société SIP n'exploite aucun fonds de commerce dans les lieux et ne dispose d'aucune clientèle, et l'activité qui consiste à donner des immeubles en location ou sous-location n'est pas commerciale, la société SIP n'a toujours revendiqué que le droit de percevoir des loyers, et considérer le contraire serait faire de tous les bailleurs des commerçants,
- il n'existe pas d'activité de type bureau d'affaires ou coworking avec une flexibilité offerte aux occupants ; les baux écrits de 9 ans ne mentionnent aucune activité de service et l'activité de SIP est la promotion immobilière, les locataires ne sont pas ses clients, les services étaient assurés par la société Ramos jusqu'à sa liquidation et sont désormais repris par la concluante,
- les locataires ont confirmé l'absence de prestations intérieures ou extérieures,
- la société SIP, pour les besoins de la cause, a modifié son siège après le jugement déféré et modifié son objet social en 2021, elle a changé sa dénomination sociale pour la transformer en hôtel d'entreprise et elle essaie de faire croire à une activité de conciergerie (panneau, autocollants, factures sans lien avec le litige, modification des factures de loyer),
- la comptabilité de Sip mentionne des loyers et non des prestations, les baux commerciaux non produits par l'appelante ne visent aucune prestation de service.
Réponse de la cour
L'article 1709 du Code civil dispose que « Le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer ».
Par ailleurs, l'article 145-1 du Code de commerce dispose que 'Les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au Registre du Commerce et des Sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce ».
Selon l'article 110-1 du code de commerce, 'La loi répute actes de commerce : 6° Toute entreprise de fournitures, d'agence, bureaux d'affaires, établissements de ventes à l'encan, de spectacles publics...'.
Par ailleurs, la simple location de locaux commerciaux par un bailleur ne constitue pas un acte de commerce et la location d'immeuble revêt une nature civile ; il appartient dès lors à l'appelante qui a donné à bail en sous-location des locaux commerciaux de rapporter la preuve de l'existence d'un bail commercial la liant à la SCI et plus particulièrement de l'exploitation par elle d'un fonds de commerce et non la simple perception de revenus locatifs.
C'est par des motifs pertinents, justement déduits des faits de la cause et des pièces produites, que la cour adopte, que le premier juge a retenu que les baux produits (baux avec les sociétés Ze Watt et Topeniture) étaient insuffisants à démontrer que la bailleresse dispensait des prestations de services tirées du gardiennage, de la surveillance vidéo, de la sécurité, du nettoyage, de l'enlèvement des poubelles, de l'entretien d'espaces verts et de manutention par des instruments de levage et du personnel à ses divers locataires, et en a déduit que le bail était en conséquence un bail civil au vu de ces productions.
Pour répondre aux moyens d'appel et aux pièces produites, la cour relève que :
- il ne peut rien être déduit du litige en référé avec la société Ramos, tiers au présent litige, ni d'une plainte pénale dont le sort est inconnu, sur la nature du bail liant les parties dans le présent litige,
- il en est de mêmes de relations d'affaires entre familles devenues incontestablement conflictuelles et dont chaque partie donne une version nécessairement subjective au soutien de ses intérêts, et, en l'absence de signature d'un bail écrit, rien ne permet de déduire de manière non équivoque des productions la volonté conjointe des parties de conclure par écrit un bail commercial comme affirmé par l'appelante ; l'analogie avec le bail signé avec la société Ramos est par ailleurs inopérante alors que notamment des attestations de locataires affirment que si cette société Ramos assurait effectivement des prestations, il n'en était pas de même de la société SIP,
- s'agissant de l'activité qui aurait été exercée par cette dernière au bénéfice des locataires, la jurisprudence produite apparaît inopérante, ne s'agissant pas d'espèces similaires, notamment en ce qui concerne la notion de clientèle propre ; par ailleurs, la mention 'prestation y compris location'sur les factures est également inopérante si elle n'est cas confirmée par d'autres éléments confirmant la réalité de telles prestations et il en est de même de mentions comptables similaires,
- or, plusieurs locataires on réfuté dans le cadre de sommations interpellatives que la société SIP ait pu effectuer des prestations autres que la location d'un local et les baux produits ne mentionnent pas de telles prestations,
- l'attestation [J] n'est donc pas déterminante, il en est de même de quelques factures d'achat de meubles qui peuvent se rapporter également à un bail civil, et de la manipulation d'engins de chantier,
- il est patent que la société SIP a effectivement procédé à des modifications juridiques postérieurement au jugement déféré (modification des statuts, modification du RCS) et qui apparaissent effectivement faites pour les besoins de la cause,
- la photographie (pièce 12) indiquant 'conciergerie' sur une porte n'a aucune date certaine.
En conséquence, au vu de ces productions, le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu le caractère civil du bail à défaut de preuve par la société SIP de son caractère commercial.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens d'appel sont à la charge de la société SIP qui succombe sur ses prétentions en cause d'appel et, ayant contraint son adversaire à exposer des frais en appel, elle lui versera la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme le jugement déféré sur ses dispositions critiquées,
Y ajoutant
Condamne la SAS SIP aux dépens d'appel et à payer à la SCI Cavour la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La Présidente,
Décision du
Tribunal Judiciaire de LYON
Au fond
du 03 juin 2021
RG : 21/02161
ch n°10 cab 10 H
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 09 Septembre 2025
APPELANTE :
La SAS SIP HOTELS D'ENTREPRISES
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Raoudha BOUGHANMI de la SELARL CABINET CHAUPLANNAZ AVOCATS ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 172
INTIMEE :
La SCI CAVOUR
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475
ayant pour avocat plaidant Me Jean-paul SANTA-CRUZ de la SCP D'AVOCATS JURI-EUROP, avocat au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 06 Décembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Avril 2025
Date de mise à disposition : 10 Juin 2025 prorogée au 09 Septembre 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Patricia GONZALEZ, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
La SCI Cavour a acquis le 16 novembre 1993 un tènement immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 5].
Par acte sous seing privé du 30 décembre 2003, elle a conclu un bail commercial avec la société Ramos (constituée le 27 août 1986 entre les associés MM [W] [I] et [Z] [D], leurs enfants étant actuellement associés au sein de la SCI) sur l'intégralité du tènement immobilier pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2004, contre le versement d'un loyer annuel de 20.000 euros ; et qui se serait tacitement prolongé à partir du 31 décembre 2012.
La société SIP (constituée de membres de la famille [I]) a donné à bail le 1er juillet 2015 seize sous-lots du tènement immobilier sis [Adresse 2] à différentes sociétés.
La SCI Cavour a adressé le 11 septembre 2019 à la société Ramos un commandement de payer pour un montant de 80.035,44 euros puis par ordonnance du 6 janvier 2020 rectifiée le 27 janvier 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon a notamment :
- constaté qu'à la suite du commandement de payer du 11 septembre 2019, le jeu de la clause résolutoire est acquis au bénéfice de la SCI Cavour,
- débouté la société Ramos de ses demandes de délai de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire et dit qu'elle et tous occupants de son chef devront avoir quitté les lieux dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'ordonnance et que, passé cette date, ils pourront être expulsés avec le concours de la force publique,
- condamné la société Ramos à verser à la société Cavour la somme provisionnelle de 97.178,50 euros au titre des loyers et charges dus au 11 novembre 2019, et à verser à la SCI Cavour une indemnité d'occupation mensuelle équivalente au montant du loyer et des charges en cours à compter du 12 novembre 2019 et jusqu'à la libération effective des lieux.
La société Ramos a interjeté appel de cette ordonnance devant la cour d'appel de Lyon puis par jugement du 28 août 2020, le tribunal de commerce de Bastia a ordonné la dissolution anticipée de cette société et a mis fin à son administration provisoire.
Par acte introductif d'instance du 25 mars 2021, après autorisation par ordonnance du 18 mars 2021, la SCI Cavour a fait assigner à jour fixe la société SIP devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins notamment d'être autorisée à signer des baux commerciaux directement avec les occupants effectifs des lieux pour lesquels la société SIP revendique le bénéfice d'un bail principal comme fondement de ses locations commerciales et d'obtenir l'expulsion de la société SIP et de tous occupants de son chef des locaux situés [Adresse 3] à [Localité 5], sauf meilleur accord avec les occupants du site sur la base de la signature de nouveaux baux directement auprès d'elle.
Par jugement contradictoire du 3 juin 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- rejeté la demande de renvoi de la société SIP de renvoi et déclaré irrecevables les notes en délibéré des parties,
- débouté la SCI Cavour de ses demandes tendant à l'autoriser à signer des baux directement avec les occupants effectifs des lieux et à l'expulsion de la société SIP et de tous occupants de son chef sauf meilleur accord avec les occupants du site,
- déclaré le caractère civil du bail verbal entre la SCI Cavour et la société SIP,
- débouté la société SIP de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,
- condamné la SCI Cavour à payer à la société SIP, la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce compris le préjudice lié aux tracas causés par le litige et la procédure judiciaire,
- condamné la SCI Cavour aux dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 6 juillet 2021, la société SIP a interjeté appel.
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Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 octobre 2022, la société SIP demande à la cour de :
- la juger recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,
En conséquence,
- réformer en conséquence le jugement du tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a déclaré civil le bail la liant à la SCI Cavour,
Et statuant à nouveau,
- dire et juger que le bail entre la SCI Cavour et la concluante revêt un caractère commercial,
- juger que la date d'effet du bail commercial remonte au 1er juillet 2015,
- condamner la société Cavour à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens d'instance.
***
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 22 novembre 2022, la société Cavour demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 3 juin 2021 en ce qu'il a déclaré le caractère civil du bail verbal entre elle et la société SIP,
Ce faisant,
- rejeter toutes les demandes de la société SIP,
Et y ajoutant,
- condamner la société SIP à lui payer la somme de 8.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 décembre 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nature du bail verbal
Aucune des parties ne conteste l'existence d'un bail verbal et le litige soumis à la cour ne porte que sur la seule nature de ce bail liant les parties. Il n'y a donc pas lieu d'examiner à nouveau les éléments débattus par la SCI dans ses conclusions pour réfuter l'existence d'un bail alors qu'elle indique expressément par ailleurs ne plus contester cette existence.
Sur la nature du bail la société SIP fait valoir que :
- elle exerce une activité de construction et de prestations aux entreprises comme précisé au RCS,
depuis sa création en 1960, elle loue chaque année des locaux équipés à des entreprises et son siège social est actuellement [Adresse 2] à [Localité 5],
- la SCI Cavour créée en 1987 a acquis le tènement litigieux en 1987 et a signé en 1993 un premier bail commercial,
- en 2003, 11.000 m² lui ont été donnés en location par un second bail commercial pour une durée de 9 ans, pour une sous-location à une soixantaine de locataires,
- en 2013, les enfants des familles [D] et [I], associés à parts égales ont proposé un nouveau loyer augmenté à la société Ramos détenue par leurs deux parents, mais celle-ci a refusé et a réduit sa surface de location à 5.541 m² pour le montant de loyer initial ; la SCI Cavour s'est tournée vers elle et la société Beauchamp de Durante (famille [D]) pour louer des lots au 195, soit le lot 200 pour elle, composé de 16 bureaux d'affaires plus annexes en contrepartie d'un loyer de 15.000 euros annuel pour une surface de 1.877 m² sur 2.932 m² de terrain et le lot 300 pour l'autre société ; la division en lots et le plan MCD ont été établis par les trois associés, de la SCI et son nom de locataire apparaît pour le lot 200,
- à compter du 1er juillet 2015, la SCI lui a donné à bail commercial des locaux précédemment donnés à bail à la société Ramos mais le bail n'a pu être régularisé faute de représentant légal de la SCI, cependant, tous les associés ont donné leur accord et la conclusion des trois baux n'est plus contestée,
- sur le contentieux avec la société Ramos, la décision rendue avec des pièces falsifiées est très contestable et une plainte pour escroquerie au jugement est en cours,
- le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur de fait, elle est inscrite au RCS et exerce entre autres une activité de location de bureaux d'affaires,(gestion d'hôtels d'entreprise), du fait de son activité propre, elle est nécessairement titulaire d'un bail commercial, et tous ses clients sont inscrits au RCS, elle dispose d'une clientèle propre et effective,
- la convention lui a permis d'exercer une activité au service d'une clientèle qui lui est propre, ce qui caractérise suffisamment le bail commercial, les mises à dispositions suffisent à établir l'existence d'une clientèle en dehors de prestations accessoires,
- elle produit de nombreuses factures correspondant à des prestations accomplies au profit des clients, elle offre un véritable service de conciergerie (entretien des locaux, manutention, fourniture de mobiliers,
- il y a eu soumission volontaire au statut des baux commerciaux, ces baux ont été rédigés par M. [B] mais non régularisés en l'absence de représentant légal,
- le litige avec la société Ramos portait sur un bail commercial, elle doit bénéficier du même statut, l'activité est la même pour les trois sociétés.
La SCI réplique que :
- la société Ramos n'a jamais nié dans la procédure les opposant que le bail de 2003 était toujours en vigueur et qu'elle louait l'intégralité du tènement,
- plutôt que d'expulser les occupants, elle a signé la majorité d'entre eux de nouveaux baux ; 15 occupants l'ont contactée en indiquant avoir signé un bail commercial avec la société SIP et lui payer des loyers, et devant leur inquiétude, elle a fait assigner la société SIP sur la question de l'état locatif du site,
- le premier juge n'a pas tenu compte de son refus de signer des baux sur la base du projet de [W] [I] alors que son gérant a été privé de ses éléments comptables et a permis à ce dernier d'intervenir dans son fonctionnement, et la société Beauchamp de Durante a nié l'existence d'un bail; toutefois, elle a pris acte de la décision de première instance sur l'existence d'un bail et elle a fait délivrer congé pour le bail civil le 26 octobre 2021 pour le 30 avril 2022,
- la société SIP n'a pas contesté le congé de sorte que des baux ont été directement signé entre le bailleur et presque tous les occupants du site,
- le statut des baux commerciaux ne s'applique que sous trois conditions dont l'exploitation d'un fonds de commerce, et la soumission volontaire au statut des baux commerciaux doit être non équivoque ; une telle soumission n'existe pas en l'espèce,
- son gérant a toujours refusé de signer le bail et le projet de M. [I] ne mentionnait pas au titre de la destination des lieux une activité de bureau d'affaires mais de stockage, aucun accord pour une activité commercial n'a été donnée,
- aucun amalgame ne peut être fait avec la signature du bail avec la société Ramos dans un climat serein,
- la société SIP n'exploite aucun fonds de commerce dans les lieux et ne dispose d'aucune clientèle, et l'activité qui consiste à donner des immeubles en location ou sous-location n'est pas commerciale, la société SIP n'a toujours revendiqué que le droit de percevoir des loyers, et considérer le contraire serait faire de tous les bailleurs des commerçants,
- il n'existe pas d'activité de type bureau d'affaires ou coworking avec une flexibilité offerte aux occupants ; les baux écrits de 9 ans ne mentionnent aucune activité de service et l'activité de SIP est la promotion immobilière, les locataires ne sont pas ses clients, les services étaient assurés par la société Ramos jusqu'à sa liquidation et sont désormais repris par la concluante,
- les locataires ont confirmé l'absence de prestations intérieures ou extérieures,
- la société SIP, pour les besoins de la cause, a modifié son siège après le jugement déféré et modifié son objet social en 2021, elle a changé sa dénomination sociale pour la transformer en hôtel d'entreprise et elle essaie de faire croire à une activité de conciergerie (panneau, autocollants, factures sans lien avec le litige, modification des factures de loyer),
- la comptabilité de Sip mentionne des loyers et non des prestations, les baux commerciaux non produits par l'appelante ne visent aucune prestation de service.
Réponse de la cour
L'article 1709 du Code civil dispose que « Le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer ».
Par ailleurs, l'article 145-1 du Code de commerce dispose que 'Les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au Registre du Commerce et des Sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce ».
Selon l'article 110-1 du code de commerce, 'La loi répute actes de commerce : 6° Toute entreprise de fournitures, d'agence, bureaux d'affaires, établissements de ventes à l'encan, de spectacles publics...'.
Par ailleurs, la simple location de locaux commerciaux par un bailleur ne constitue pas un acte de commerce et la location d'immeuble revêt une nature civile ; il appartient dès lors à l'appelante qui a donné à bail en sous-location des locaux commerciaux de rapporter la preuve de l'existence d'un bail commercial la liant à la SCI et plus particulièrement de l'exploitation par elle d'un fonds de commerce et non la simple perception de revenus locatifs.
C'est par des motifs pertinents, justement déduits des faits de la cause et des pièces produites, que la cour adopte, que le premier juge a retenu que les baux produits (baux avec les sociétés Ze Watt et Topeniture) étaient insuffisants à démontrer que la bailleresse dispensait des prestations de services tirées du gardiennage, de la surveillance vidéo, de la sécurité, du nettoyage, de l'enlèvement des poubelles, de l'entretien d'espaces verts et de manutention par des instruments de levage et du personnel à ses divers locataires, et en a déduit que le bail était en conséquence un bail civil au vu de ces productions.
Pour répondre aux moyens d'appel et aux pièces produites, la cour relève que :
- il ne peut rien être déduit du litige en référé avec la société Ramos, tiers au présent litige, ni d'une plainte pénale dont le sort est inconnu, sur la nature du bail liant les parties dans le présent litige,
- il en est de mêmes de relations d'affaires entre familles devenues incontestablement conflictuelles et dont chaque partie donne une version nécessairement subjective au soutien de ses intérêts, et, en l'absence de signature d'un bail écrit, rien ne permet de déduire de manière non équivoque des productions la volonté conjointe des parties de conclure par écrit un bail commercial comme affirmé par l'appelante ; l'analogie avec le bail signé avec la société Ramos est par ailleurs inopérante alors que notamment des attestations de locataires affirment que si cette société Ramos assurait effectivement des prestations, il n'en était pas de même de la société SIP,
- s'agissant de l'activité qui aurait été exercée par cette dernière au bénéfice des locataires, la jurisprudence produite apparaît inopérante, ne s'agissant pas d'espèces similaires, notamment en ce qui concerne la notion de clientèle propre ; par ailleurs, la mention 'prestation y compris location'sur les factures est également inopérante si elle n'est cas confirmée par d'autres éléments confirmant la réalité de telles prestations et il en est de même de mentions comptables similaires,
- or, plusieurs locataires on réfuté dans le cadre de sommations interpellatives que la société SIP ait pu effectuer des prestations autres que la location d'un local et les baux produits ne mentionnent pas de telles prestations,
- l'attestation [J] n'est donc pas déterminante, il en est de même de quelques factures d'achat de meubles qui peuvent se rapporter également à un bail civil, et de la manipulation d'engins de chantier,
- il est patent que la société SIP a effectivement procédé à des modifications juridiques postérieurement au jugement déféré (modification des statuts, modification du RCS) et qui apparaissent effectivement faites pour les besoins de la cause,
- la photographie (pièce 12) indiquant 'conciergerie' sur une porte n'a aucune date certaine.
En conséquence, au vu de ces productions, le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu le caractère civil du bail à défaut de preuve par la société SIP de son caractère commercial.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens d'appel sont à la charge de la société SIP qui succombe sur ses prétentions en cause d'appel et, ayant contraint son adversaire à exposer des frais en appel, elle lui versera la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme le jugement déféré sur ses dispositions critiquées,
Y ajoutant
Condamne la SAS SIP aux dépens d'appel et à payer à la SCI Cavour la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La Présidente,