CA Rennes, 2e ch., 9 septembre 2025, n° 22/05987
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
X
Défendeur :
CA Consumer Finance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jobard
Conseiller :
M. Pothier
Conseiller :
Mme Picot-Postic
Avoués :
Me Le Couls-Bouvet, SCP Philippe Colleu, Dominique Le Couls-Bouvet
Avocats :
Me Castres, SELEURL Hugo Castres
EXPOSE DU LITIGE :
Suivant bon de commande du 6 juillet 2020, M. [N] [R] et Mme [J] [X], son épouse, ont conclu dans le cadre d'un démarchage avec la société LTE un contrat de fourniture et de pose d'une pompe à chaleur et d'un ballon thermodynamique pour un coût de 24 900 euros. Les travaux ont été financés par la souscription d'un prêt auprès de la société CA Consumer Finance exerçant sous la dénomination commerciale Sofinco (la banque).
Suivant acte extrajudiciaire du 30 juillet 2021, les époux [R] ont assigné la société LTE et la banque devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nantes.
Suivant jugement du 20 juin 2022, le premier juge a :
- Prononcé l'annulation des contrats de vente et de crédit.
- Condamné la société LTE à reprendre l'ensemble des matériels posés au domicile des époux [R] et à remettre les lieux en l'état dans un délai de deux mois suivant la signification du jugement.
- Condamné la société LTE à restituer aux époux [R] la somme de 24 900 euros.
- Condamné les époux [R] à payer à la banque la somme de 24 900 euros.
- Ordonné à la banque de procéder à la radiation de l'inscription des époux [R] du Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers.
- Condamné la société LTE aux dépens.
- Rejeté les autres demandes.
Suivant déclaration du 11 octobre 2022, les époux [R] ont interjeté appel.
Suivant jugement du 21 décembre 2021, le tribunal de commerce de Bobigny avait ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société LTE et désigné Me [G] [D] en qualité de liquidateur judiciaire.
Suivant acte extrajudiciaire du 28 décembre 2022, les époux [R] ont assigné Me [G] [D] ès qualités en intervention forcée.
Suivant conclusions du 21 mars 2023, la banque a interjeté appel incident.
En leurs dernières conclusions du 18 septembre 2024, les époux [R] demandent à la cour de :
Vu les articles L. 111-1 et suivants, L. 112-1, L. 221-5 et suivants, L. 242-2, L. 312-48 et suivants du code de la consommation,
Vu l'article L. 622-21 du code de commerce,
Vu les articles 1178 et 1182 du code civil,
- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- Condamné la société LTE à leur restituer la somme de 24 900 euros.
- Prononcé leur condamnation à payer à la banque la somme de 24 900 euros.
- Condamné la société LTE aux dépens.
- Rejeté leurs demandes tendant à être dispensés de restituer à la banque la somme de 24 900 euros ainsi qu'à voir condamner celle-ci, outre aux dépens, à leur payer la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau,
- Déclarer irrecevable comme nouvelle en cause d'appel la demande de la banque tendant à les voir déclarer irrecevables en leurs demandes.
- Débouter la banque de ses demandes.
- Les dispenser de lui restituer le capital emprunté.
- La condamner à leur payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- La condamner aux dépens de la procédure d'appel en ce compris les frais d'expertise de la société E3 concept.
En ses dernières conclusions du 8 octobre 2024, la banque demande à la cour de :
Vu les articles L. 221-5 et suivants, L. 312-39, L. 312-55, L. 312-56 et suivants du code de la consommation,
Vu les articles 1134, 1147, 1184, 1315 et 1325 du code civil,
Vu les articles 1103, 1104, 1124, 1193, 1217, 1240, 1353 et 1375 nouveaux du code civil,
- Réformer le jugement déféré en ce qu'il a :
- Prononcé l'annulation des contrats de vente et de crédit.
- Retenu une faute à son encontre.
- Ordonné la radiation de l'inscription des époux [R] du Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers.
- Rejeté sa demande au titre des frais irrépétibles.
Statuant à nouveau,
- Déclarer irrecevables les demandes d'annulation des contrats de vente et de crédit en l'absence de mise en cause régulière des organes de la procédure de liquidation judiciaire du vendeur.
- Débouter les époux [R] de leurs demandes.
- Les condamner solidairement à lui payer la somme de 27 944 euros outre les intérêts au taux de 3,836 % l'an à compter du 6 juillet 2021.
- Si la cour déclarait que la déchéance du terme n'est pas acquise ou que la résolution du contrat de prêt n'est pas encourue, les condamner solidairement à payer la somme de 13 496,63 euros au titre des mensualités impayées du mois de janvier 2021 au mois de septembre 2024 et à reprendre le remboursement du prêt par mensualités de 284,02 euros.
Subsidiairement,
- Dire qu'elle n'a pas commis de faute.
- Dire que les époux [R] ne justifient d'aucun préjudice en lien avec sa faute éventuelle.
- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il les a condamnés à lui payer la somme de 24 900 euros.
Plus subsidiairement,
- Condamner les époux [R] à lui payer la somme de 24 900 euros outre les intérêts au taux légal «à compter des présentes».
- Juger que le préjudice subi par eux avec un lien avec une faute éventuelle qui lui serait imputable s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter, dont la probabilité est de 5 %, soit une somme maximale de 1 245 euros.
- Ordonner la compensation des sommes dues entre les parties.
En tout état de cause,
- Condamner les époux [R] à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.
Me [G] [D] n'a pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 octobre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
En préalable, la banque conclut à l'irrecevabilité des demandes d'annulation des contrats de vente et de crédit en l'absence de mise en cause régulière des organes de la procédure de liquidation judiciaire du vendeur. Elle soutient encore que le vendeur n'a pas été appelé à la cause et que la nullité du jugement est encourue.
Contrairement à ce que prétendent les époux [R], cette demande est recevable en cause d'appel puisqu'elle tend, au sens de l'article 564 du code de procédure civile, à voir écarter les prétentions adverses.
La société LTE a été régulièrement assignée le 30 juillet 2021. Le mandataire à la liquidation judiciaire, prononcée le 21 décembre 2021, a été appelé à la cause le 28 décembre 2022.
Selon l'article 369 du code de procédure civile, l'instance est interrompue de plein droit par l'effet du jugement qui prononce la sauvegarde, le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire dans les causes où il emporte assistance ou dessaisissement du débiteur.
Une instance en cours n'est cependant pas interrompue par l'effet du jugement d'ouverture d'une liquidation judiciaire dès lors que ce jugement est prononcé postérieurement à l'ouverture des débats.
Il résulte des termes du jugement déféré que les débats ont été ouverts le 13 décembre 2021, soit antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. La sanction de l'article 372 du code de procédure civile n'est pas encourue.
Selon l'article L. 622-22 du code de commerce, les instances interrompues sont reprises de plein droit le mandataire judiciaire dûment appelé.
Il convient de constater que le liquidateur judiciaire de la société LTE a été régulièrement appelé à la cause devant la cour de sorte que l'instance a été reprise de plein droit.
Pour prononcer la nullité du contrat de vente, le premier juge a retenu que le formulaire de rétractation inséré dans le bon de commande, en prévoyant des exigences non prévues par les textes, ne répondait pas aux prescriptions des articles L. 221-5, L. 221-9 et R. 221-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable. Il a retenu également que le formulaire contenait des mentions erronées de nature à induire le consommateur en erreur, le point de départ de délai de rétraction étant inexact au regard de l'article L. 221-18 du code de la consommation.
Au soutien de son appel, la banque fait valoir que la mention portée dans le bordereau de rétractation selon laquelle il doit être envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception, si elle est surabondante, n'est pas de nature à entraîner la nullité du contrat de vente. Elle soutient également que la nullité n'est pas encourue du fait de l'absence d'information sur le droit de rétractation, celui-ci pouvant être exercé dans le délai d'un an en application de l'article L. 221-20 du code de la consommation.
Les époux [R] bénéficiaient, conformément aux articles L. 221-18 et L. 221-1 du code de la consommation, le contrat ayant pour objet à la fois la fourniture de prestation de services et la livraison de biens étant assimilé à un contrat de vente, d'un délai de quatorze jours pour exercer leur droit de rétractation à compter du jour de la réception des biens.
Le formulaire de rétractation comporte une mention erronée en ce qu'il indique que le délai de rétractation expire au plus tard le quatorzième jour à partir du jour de la commande ou si ce délai expire normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé le premier jour ouvrable suivant. Par ailleurs, les informations relatives aux modalités d'exercice du droit de rétractation sont de nature à induire en erreur. Or le consommateur qui n'a pas été informé sur son droit de rétractation avant et lors de la conclusion d'un contrat hors établissement peut en demander l'annulation conformément aux articles L. 221-9 et L. 242-1.
La banque prétend que les époux [R] auraient confirmé les irrégularités des bons de commande.
Aucun acte ne révèle que, postérieurement à la conclusion du contrat, les époux [R] ont eu connaissance de la violation du formalisme imposé par le code de la consommation. L'absence d'opposition à la livraison du matériel et à la réalisation des travaux, de même que l'ordre donné à la banque de verser les fonds entre les mains du vendeur, ne suffisent pas à caractériser qu'ils ont, en pleine connaissance de l'irrégularité du bon de commande, entendu renoncer à la nullité du contrat et qu'ils ont manifesté une volonté non équivoque de couvrir les irrégularités du document.
Il faut rappeler au surplus que la reproduction des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite du contrat en l'absence de circonstances permettant de justifier d'une telle connaissance.
Il convient donc pour les causes de nullité sus-évoquées, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens de nullité du bon de commande présentés par les époux [R], écartant le moyen de la banque tiré de la confirmation du contrat irrégulier, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé l'annulation du contrat de vente.
Comme sollicité par les époux [R], le jugement déféré sera infirmé en ce que la société LTE a été condamnée à leur restituer la somme de 24 900 euros puisque l'article L.622-21 du code de commerce prohibe les poursuites individuelles.
Aux termes de l'article L.312-55 du code de la consommation, le contrat de prêt affecté est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. En raison de l'interdépendance des contrats, l'annulation du contrat principal conclu avec la société LTE emporte annulation de plein droit du contrat accessoire de prêt conclu avec la société CA consumer finance. Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a constaté l'annulation du contrat de prêt.
Le premier juge a ordonné à juste titre à la banque de procéder à la radiation de l'inscription des époux [R] du Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers eu égard à l'annulation du contrat de prêt.
Les époux [R] soutiennent que la banque a commis une faute la privant de sa créance de restitution en finançant une opération irrégulière. Ils lui reprochent également d'avoir procédé de manière fautive au déblocage des fonds alors que la prestation était manifestement incomplète.
L'annulation du contrat de prêt a pour conséquence de remettre les parties dans leur situation antérieure, de sorte qu'elle doit en principe entraîner la restitution des prestations reçues de part et d'autre. La banque soutient qu'elle n'a commis aucune faute de nature à la priver de sa créance de restitution.
Le prêteur, qui n'a pas à assister les emprunteurs lors de l'exécution du contrat principal, ni à vérifier le bon fonctionnement d'une installation exempte de vice ou la conformité du matériel livré aux stipulations contractuelles, ne commet pas de faute lorsqu'il libère les fonds au vu d'un certificat de livraison qui lui permet de s'assurer de l'exécution complète du contrat principal. En l'occurrence, le certificat de livraison signé par les époux [R] le 22 juillet 2020 faisait ressortir sans ambiguïté que la livraison des biens et les prestations promises avaient été pleinement effectuées, les emprunteurs demandant expressément à la banque par un second document de procéder à la mise à disposition des fonds entre les mains du vendeur.
La banque pouvait donc légitimement en déduire que les biens commandés avaient été livrés et que les prestations accessoires de pose et de mise en service de l'installation avaient été réalisées.
Il est aussi de principe que le prêteur commet une faute excluant le remboursement du capital emprunté lorsqu'il libère la totalité des fonds alors qu'à la simple lecture du contrat de vente, il aurait dû constater que sa validité était douteuse au regard des dispositions protectrices du code de la consommation relatives au démarchage à domicile. Or, il a été précédemment relevé que le bon de commande comportait des irrégularités formelles apparentes qui auraient dû conduire la banque, professionnelle des opérations de prêt, à ne pas libérer les fonds entre les mains du vendeur avant d'avoir à tout le moins vérifié auprès des époux [R] qu'ils entendaient confirmer l'acte irrégulier. Il en résulte qu'en versant les fonds entre les mains du vendeur, sans procéder à des vérifications complémentaires, la banque a commis une faute susceptible de la priver du droit d'obtenir le remboursement du capital emprunté.
La banque fait valoir à juste titre que la dispense de remboursement du capital emprunté est subordonnée à la démonstration par l'emprunteur de l'existence d'un préjudice en lien causal avec la faute du prêteur.
Les époux [R] font valoir notamment que la société LTE a été placée en liquidation judiciaire et qu'ils ne pourront obtenir sa garantie pour un quelconque remboursement.
L'annulation ou la résolution d'un contrat de crédit affecté, consécutive à celle du contrat principal, emporte, en principe, restitution par l'emprunteur au prêteur du capital que celui-ci a versé au vendeur à la demande de l'emprunteur. Lorsque la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné, par suite de l'annulation du contrat principal de vente ou de prestation de service, est devenue impossible du fait de l'insolvabilité du vendeur ou du prestataire, l'emprunteur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d'une perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente ou de prestation de service annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n'a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal (Civ. 1 - 10 juillet 2024 - pourvoi n° 22-24.754).
Les époux [R] subissent un préjudice consistant à ne pas pouvoir obtenir auprès du vendeur placé en liquidation judiciaire la restitution du prix de vente du matériel dont ils ne sont plus propriétaires. Il existe un lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n'a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal.
La demande en paiement de la société CA Consumer Finance à l'encontre des époux [R] au titre de la restitution du capital emprunté sera rejetée.
Il n'est pas inéquitable de condamner la banque à payer aux époux [R] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel.
La banque, qui succombe à titre principal, supportera les dépens de première instance et d'appel. Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande des époux [R] d'inclure dans les dépens les frais de la société E3 concept.
Ces frais ne constituent pas des dépens au sens de l'article 695 du code de procédure civile mais des honoraires payés à un technicien non désigné par le juge et pris en compte au titre des frais irrépétibles.
Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant dans les limites de l'appel principal et de l'appel incident,
Infirme le jugement rendu le 20 juin 2022 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nantes en ce qu'il a :
- Condamné la société LTE à restituer aux époux [R] la somme de 24 900 euros.
- Condamné les époux [R] à payer à la société SA CA Consumer Finance la somme de 24 900 euros.
- Rejeté les demandes de M. [N] [R] et Mme [J] [X], son épouse, au titre des frais irrépétibles.
- Condamné la société LTE aux dépens.
Statuant à nouveau,
Constate l'irrecevabilité de la demande en paiement formulée par M. [N] [R] et Mme [J] [X], son épouse, à l'encontre de la société LTE.
Rejette la demande en paiement de la société SA CA Consumer Finance à l'encontre de M. [N] [R] et Mme [J] [X], son épouse, au titre de la restitution du capital emprunté.
Condamne la société SA CA Consumer Finance à payer à M. [N] [R] et Mme [J] [X], son épouse, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel.
Condamne la société SA CA Consumer Finance aux dépens de première instance et d'appel.
Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions.
Rejette les autres demandes.