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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 9 septembre 2025, n° 24/05257

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/05257

9 septembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 35Z

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 SEPTEMBRE 2025

N° RG 24/05257 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WWJB

AFFAIRE :

S.A.R.L. COMPAGNIE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION DE LA SEINE

C/

[R], [F], [K] [D]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Juin 2024 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 01

N° RG : 2023F00064

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Philippe CHATEAUNEUF

Me Guillaume BOULAN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANT :

S.A.R.L. COMPAGNIE DE CONSTRUCTION ET DE PROMOTION DE LA SEINE

N° SIRET : 480 637 024 RCS [Localité 9]

Ayant son siège

[Adresse 4]

[Localité 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643 - N° du dossier 20240101 -

Plaidant : Me Jason BENIZRI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1543

****************

INTIMES :

Madame [R], [F], [K] [D]

née le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 11] (03)

de nationalité Française

[Adresse 3]

Naussau/BAHAMAS

Représentant : Me Guillaume BOULAN de la SCP C R T D ET ASSOCIES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 713 - N° du dossier 2240408

Madame [H] [T]

née le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 6] (73)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 10]/BAHAMAS

Représentant : Me Guillaume BOULAN de la SCP C R T D ET ASSOCIES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 713 - N° du dossier 2240408

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Cyril ROTH, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,

Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,

Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,

EXPOSE DU LITIGE

Entre 2011 et 2013, Mme [T] et sa fille, Mme [D], ont versé diverses sommes à la société Compagnie de construction et de promotion de la Seine, promoteur immobilier (le promoteur, ou la société CCPS), en vue de la construction d'une maison dans le Calvados.

Le 23 janvier 2012, elles sont devenues associées de la société CCPS.

Le 4 mai 2022, elles l'ont assignée devant le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre.

Le 10 janvier 2023, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé et les a autorisées à assigner au fond à l'audience du 2 février suivant.

Le même jour, les parties ont signé un procès-verbal de comparution volontaire en vue de l'audience du tribunal de commerce du 2 février 2023.

Le 26 juin 2024, par jugement contradictoire, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- débouté la société CCPS de sa demande d'annulation du procès-verbal de présentation volontaire des parties du 2 février 2023 ;

- débouté la société CCPS de sa demande de déclarer irrecevables les conclusions communiquées par les demanderesses le 6 septembre 2023 ;

- débouté la société CCPS de sa demande de condamnation de Mme [H] [T] à lui rembourser la somme de 2 100 000 euros ;

- condamné la société CCPS à payer à Mme [D] la somme en principal de 730 000 euros en remboursement de son compte courant, avec intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2020 ;

- condamné la société CCPS à payer à Mme [T] la somme en principal de 174 842 euros au titre du solde de son compte courant, avec intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2020 ;

- débouté la société CCPS de sa demande de condamner Mmes [D] et [T] au paiement de la somme de 222 779 euros au titre de la moins-value sur la vente de la maison ;

- condamné la société CCPS à payer à Mmes [D] et [T] chacune la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- condamné la société CCPS à supporter les dépens.

Le 2 août 2024, le promoteur a saisi la cour d'une déclaration d'appel tendant à l'annulation ou à l'infirmation du jugement en tous ses chefs de disposition.

Par conclusions du 31 octobre 2024, il demande à la cour de :

In limine litis :

- annuler le procès-verbal de présentation volontaire des parties du 2 février 2023 constituant la saisine du tribunal ;

- constater que le tribunal n'a pas été valablement saisi et en conséquence, annuler toute la procédure subséquente et y compris le jugement dont appel ;

- la dévolution sur le fond ne pouvant s'opérer, renvoyer Mmes [D] et [T] à mieux se pourvoir ;

A titre subsidiaire,

- réformer le jugement en tous ses chefs de disposition ;

Et statuant à nouveau :

- déclarer irrecevables les conclusions communiquées par les demanderesses le 6 septembre 2023 en violation de l'article 768 du code de procédure civile ;

- débouter Mmes [D] et [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

Reconventionnellement,

- condamner Mme [T] à lui reverser la somme de 2 100 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

A titre très subsidiaire,

- condamner solidairement Mmes [D] et [T] à lui verser la somme de 222 779 euros qu'elle a avancée au titre de la moins-value sur la vente de la maison ;

En tout état de cause,

- débouter Mmes [D] et [T] de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires aux présentes ;

- condamner solidairement Mmes [D] et [T] à lui verser une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [D] et [T] aux entiers dépens d'instance, dont distraction directement au profit de Maître Chateauneuf, avocat, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Les intimées ont constitué avocat mais n'ont pas conclu.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 mai 2025.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelante, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

Sur les demandes liminaires

L'appelante soutient que le procès-verbal de comparution volontaire ne contient pas les prétentions respectives des parties, en violation de l'article 57 du code de procédure civile ; qu'il encourt donc la nullité ; que le jugement critiqué est nul par voie de conséquence.

Réponse de la cour

Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, réformant les dispositions de l'article 854 du code de procédure civile, a supprimé la possibilité de saisir le tribunal de commerce par procès-verbal de comparution ; il est entré en vigueur le 1er janvier 2020.

L'article 873-1 du code de procédure civile dispose :

A la demande de l'une des parties, et si l'urgence le justifie, le président saisi en référé peut renvoyer l'affaire à une audience dont il fixe la date pour qu'il soit statué au fond. Il veille à ce que le défendeur dispose d'un temps suffisant pour préparer sa défense. L'ordonnance emporte saisine du tribunal.

Le 10 janvier 2023, le président du tribunal de commerce de Nanterre, statuant en référé, sur le siège, a dit n'y avoir lieu à référé et autorisé Mme [T] et Mme [D] à assigner au fond le promoteur pour l'audience du 2 février 2023.

Ainsi que l'a retenu le jugement entrepris, cette ordonnance doit être considérée comme ayant en réalité renvoyé la cause à une audience au fond du tribunal de commerce, dont le juge des référés a fixé la date ; elle a donc emporté saisine de cette juridiction en application de l'article 873-1 précité.

Le même jour, les parties et le greffier d'audience ont signé un procès-verbal de comparution volontaire à l'audience du 2 février 2023.

A cette date, ce mode de saisine du tribunal de commerce n'existait plus. Ce procès-verbal n'est donc d'aucun effet. Dans la mesure où il ne constitue pas un acte de procédure, la demande tendant à son annulation est sans objet et doit être écartée.

Il n'y a donc pas lieu d'annuler le jugement entrepris.

Sur les créances de Mmes [T] et [D]

Pour condamner le promoteur à verser à Mme [D] la somme de 730 000 euros et à Mme [T] la somme de 174 842 euros, le tribunal de commerce a retenu que ces sommes correspondaient à leurs comptes courants d'associé respectifs dans les livres de la société ; que ces comptes courants sont mentionnés au bilan de l'exercice 2018, dont les comptes ont été approuvés le 28 juin 2019 par une assemblée générale, alors que le promoteur était détenteur de 99,65% des parts sociales ; que le promoteur n'établit pas l'erreur matérielle qu'il allègue et qui aurait conduit par erreur à ces inscriptions en compte courant ; que par un courriel du 15 février 2022, il en a confirmé l'existence ; que la preuve n'était pas rapportée de ce que Mmes [D] et [T] avaient formulé une demande de paiement du solde de leurs comptes courants d'associé en septembre 2013, cette demande n'ayant été formulée que par une mise en demeure du 11 mars 2020.

Le promoteur soutient que la demande de Mmes [D] et [T] est prescrite, dès lors que celles-ci ont demandé ce remboursement en septembre 2013, ainsi qu'elles l'ont admis par une lettre de leur conseil du 14 janvier 2022.

Réponse de la cour

Le compte courant d'associé est remboursable à tout moment (voir par exemple Com, 3 novembre 2004, n°01-17.491 ; Com, 10 mai 2011, n°10-18.749, publié).

Le délai de prescription de l'action en remboursement d'un compte courant d'associé créditeur est le délai de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 (Com, 27 mai 2021, n°19-18.983).

Ce délai court du jour où l'associé en demande le paiement (Com, 18 octobre 2017, n°15-21.906).

L'appelante ne verse aux débats aucune pièce accréditant la thèse selon laquelle Mmes [D] et [T] auraient sollicité le remboursement de leurs comptes courants d'associé respectifs " en septembre 2013 ", en tout cas avant une mise en demeure de 2020.

L'action en remboursement des comptes courants d'associé introduite en 2022 ne se heurte donc à aucune prescription.

La cour adopte les motifs pertinents par lesquels le tribunal de commerce l'a accueillie.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de remboursement dirigée contre Mme [T]

Devant le tribunal de commerce, le promoteur a demandé la condamnation de Mme [T] à lui rembourser une somme de 2 100 000 euros, prétendant la lui avoir versée alors que sa dette était prescrite.

Pour écarter cette demande, le tribunal de commerce a retenu que Mmes [T] et [D] ont formulé leur demande de paiement de leurs comptes courants d'associé en 2020, de sorte que la prescription n'était pas encourue.

Le promoteur soutient qu'ignorant qu'il ne devait plus rien en raison de la prescription, il s'est engagé en novembre 2020 à verser à Mme [T] diverses sommes, puis lui a versé entre mai 2021 et décembre 2021, soit la somme totale de 2 100 000 euros après la vente des maisons de [Localité 8] et [Localité 7], intervenue le 11 mai 2021 et le 18 mai suivant ; que la reconnaissance de son engagement ne lui est pas opposable, car sa dette était déjà prescrite.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 2249 du code civil, le paiement effectué pour éteindre une dette ne peut être répété au seul motif que le délai de prescription était expiré.

Le promoteur reconnaît qu'il devait à Mme [T] la somme qu'il lui a remboursée en 2021, se bornant à soutenir en substance que ce paiement était indu, en raison de la prescription de cette dette.

Le rejet de l'exception de prescription de cette dette en application de l'article 2249 précité impose d'écarter cette argumentation.

Elle est de surcroît inopérante, le promoteur n'alléguant ni contrainte ni menace et ne prouvant aucune erreur de nature à entraîner le jeu d'une des exceptions jurisprudentielles au principe prévu à l'article 2249 précité.

Le jugement entrepris doit en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande du promoteur en répétition de la somme de 2 100 000 euros.

Sur la demande de remboursement dirigée contre Mmes [D] et [T]

A titre subsidiaire, le promoteur soutient que les sommes dues à Mmes [D] et [T] au titre de leur compte courant doivent être réduites du montant de la perte qu'il a subie sur le prix de vente des maisons, dont Mmes [D] et [T] étaient propriétaires bien qu'aucun acte notarié n'ait été passé ; que Mmes [D] et [T] avaient prévu de dépenser 3 004 842 euros pour les immeubles, lesquels ont été vendus 2 782 063 euros, de sorte qu'il existe une différence de 222 779 euros ; que cette somme constitue une avance faite par la société à Mmes [D] et [T] à l'occasion des ventes des 11 et 18 mai 2021, qu'elles doivent lui rembourser.

Pour écarter cette demande, le tribunal a retenu que par un courrier du 25 novembre 2020 adressé à Mmes [D] et [T], le promoteur s'est engagé à affecter à la réduction du montant de leurs comptes courants une partie, précisément définie, du produit de la vente de divers biens immobiliers ; qu'il n'était pas convenu que ce produit serait " net vendeur " ; que le promoteur ne justifie pas de la moins-value qu'il allègue.

Réponse de la cour

Aucun moyen de droit n'est invoqué par le promoteur au soutien de sa demande subsidiaire.

Le promoteur ne prouve ni que Mmes [D] et [T] " avaient prévu " de dépenser une certaine somme pour les maisons, ni que ces immeubles étaient leur propriété, ni le prix d'acquisition de ces immeubles, encore moins qu'il était convenu que les comptes courants d'associé de Mmes [D] et [T] puissent être diminués d'une quelconque moins-value au moment de la vente d'immeubles réalisée par la seule société.

De là suit qu'en ce qu'il a écarté la demande subsidiaire du promoteur, le jugement entrepris ne peut qu'être confirmé.

Sur les demandes accessoires

L'appelante, qui succombe en toutes ses prétentions, supportera les dépens et les frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS,

la cour, statuant contradictoirement,

Dit n'y avoir lieu d'annuler le procès-verbal de comparution volontaire du 10 janvier 2023 ;

Rejette la demande tendant à l'annulation du jugement du 26 juin 2024 ;

Confirme ce jugement en toutes ses dispositions ;

Laisse les dépens à la charge de la Compagnie de construction et de promotion de la Seine ;

Rejette la demande formulée au titre des frais non compris dans les dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT,

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