CA Grenoble, ch. soc. - A, 9 septembre 2025, n° 23/00689
GRENOBLE
Arrêt
Autre
C4
N° RG 23/00689
N° Portalis DBVM-V-B7H-LWNT
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Laura COURTOT
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 09 SEPTEMBRE 2025
Appel d'une décision (N° RG 20/00076)
rendue par le tribunal judiciaire de Valence
en date du 31 janvier 2023
suivant déclaration d'appel du 14 février 2023
Ordonnance de jonction rendue le 06 juin 2023 du N° RG 23/01088 au N° RG 23/00689
APPELANTE et intimée dans le N° RG 23/01088 :
S.A.S. ORANO CHIMIE-ENRICHISSEMENT, venant aux droits, pour le présent contentieux, de la société ORANO CYCLE, cette dernière agissant pour son compte et celui d'EURODIF PRODUCTION,
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Laura COURTOT, avocat postulant au barreau de la Drôme
et par Me Juliana KOVAC de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat plaidant au barreau de Paris
INTIMES et appelants dans le N° RG 23/01088 :
Comité d'établissement COMITE SOCIAL ECONOMIQUE DE LA SOCIETE ORANO CHIMI E-ENRICHISSEMENT venant aux droits du COMITE SOCIAL ECONOMIQUE DE LA SOCIETE ORANO CYCLE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 2]
Syndicat CGT EURODIF PRODUCTION pris en la personne de son représentant légal en exercice sis au-dit siège [Adresse 7]
[Localité 3]
Syndicat DU PERSONNEL DE L'ENERGIE ATOMIQUE DE TRICASTIN CF DT (SPEA DU TRICASTIN CFDT) pris en la personne de son représentant légal dument mandaté à cet effet, et domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 6]
[Localité 2]
Syndicat FORCE OUVRIÈRE (FO) ORANO TRICASTIN prise en la personne de son représentant dument mandaté à cet effet et domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 5]
[Localité 2]
tous représentés par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LX GRENOBLE- CHAMBERY, avocat postulant au barreau de Grenoble
et par Me Emilie LACOSTE de la SELARL BRIHI KOSKAS & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Jean-Pierre DELAVENAY, président,
Monsieur Frédéric BLANC, conseiller,
Madame Hélène BLONDEAU-PATISSIER, conseillère,
Assistés lors des débats de Mme Carole COLAS,
DÉBATS :
A l'audience publique du 21 mai 2025,
Madame Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSE DU LITIGE
La société Eurodif production, spécialisée dans l'enrichissement d'uranium, est une filiale de la société anonyme (SA) Eurodif SA appartenant au groupe Orano.
Un accord d'entreprise de la société Eurodif Production en date du 16 mars 1982 prévoyait dans son article 37 " Régime de prévoyance invalidité - décès " que :
" La Société institue, par l'intermédiaire d'une Société mutualiste ou d'une société d'assurances, un régime de prévoyance assurant aux salariés un complément des prestations servies par la Sécurité Sociale en ce qui concerne la maladie.
Les garanties de ce régime sont maintenues aux retraités et aux membres de leur famille à charge au sens de la Sécurité sociale dans le cadre des dispositions en vigueur, sous réserve qu'ils en fassent la demande dans les trois mois précédant la date de liquidation de leur retraite.
La Société assure, par le même moyen, la couverture des risques Invalidité- décès des salariés
Les conditions dans lesquelles interviennent ces organismes font l'objet de Textes de Base intérieurs".
Les régimes de protection sociale complémentaires ont par la suite été modifiés à plusieurs reprises, et étaient en dernier lieu prévus par les accords collectifs suivants :
- Pour la mutuelle : l'accord relatif au contrat de frais de santé (ACSS) Eurodif production du 29 décembre 2008, dont l'article 2.1 définit les salariés bénéficiaires dans termes suivants :
" Le présent accord concerne l'ensemble salariés d'Eurodif Production.
[']
L'adhésion est également maintenue au personnel en situation de pré-retraite, dite TB6, au
personnel ayant adhéré au dispositif CATS, et aux retraités. "
Et l'article 4, intitulé " financement du régime " précise : " Les cotisations du contrat frais de santé sont intégralement prises en charge par l'entreprise tel que posé dans les dispositions de l'article 37 de la convention collective d'entreprise Eurodif Production de mars 1982 ".
- Pour la prévoyance : l'accord relatif au contrat de prévoyance (GID) Eurodif production en date du 29 décembre 2008, dont l'article 2.1 définit les salariés bénéficiaires dans termes suivants :
" Le présent accord concerne l'ensemble salariés d'Eurodif Production.
[...]
L'adhésion est également maintenue au personnel en situation de pré-retraite dite TB6, au personnel ayant adhéré au dispositif CATS, et aux retraités, jusqu'à la fin du trimestre civil correspondant au 65ème anniversaire. "
Et l'article 4, intitulé " financement du régime " précise : " Les cotisations du contrat garantie invalidité décès sont intégralement prises en charge par l'entreprise tel que posé dans les dispositions de l'article 37 de la convention collective d'entreprise Eurodif Production de mars 1982 ".
L'ensemble des salariés, en activité ou en pré-retraite, ainsi que les retraités, bénéficiaient ainsi d'un régime de mutuelle jusqu'à leur décès et d'une garantie invalidité-décès jusqu'à leur 65ème anniversaire, intégralement financés par l'employeur.
La société Eurodif production a fait l'objet d'une fusion/absorption par la société Orano cycle avec effet au 1er janvier 2020.
Le 31 décembre 2020, la société Orano cycle a transféré l'ensemble de son activité de chimie enrichissement à une autre entité juridique dénommée Orano chimie-enrichissement, qui vient aux droits de la société Orano cycle, elle-même venant aux droits de la société Eurodif production (la société Orano).
A l'occasion de cette opération de fusion/absorption, la société Orano cycle a décidé de supprimer le financement par l'entreprise du régime frais de mutuelle et de garantie invalidité-décès des salariés et retraités.
Le 8 janvier 2020, les syndicats ont demandé à l'entreprise d'ouvrir une négociation sur la conclusion d'un accord de substitution.
Aucun accord de substitution n'a pu être signé avant l'opération de fusion/absorption, ni dans les 15 mois suivants la fusion.
Par actes d'huissier de justice du 09 janvier 2020, le comité social économique de la société Eurodif production, le comité social économique de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'énergie atomique de Tricastin CFDT, le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin ont assigné la société Eurodif production et la société Orano cycle devant le tribunal judiciaire de Valence, au visa des articles L 2132-3, L 2261-14, L 2262-11, L 2312-78 et suivants du code du travail, L 911-1 du code de la sécurité sociale, 1103 et 1104 du code civil, 515, 700 et 788 du code civil, L 131-1 du code des procédure civiles d'exécution.
Le 10 juillet 2020, la société Orano a dénoncé l'engagement unilatéral invoqué à son encontre à propos du financement du régime frais de santé et du régime de prévoyance avec effet au 1er avril 2021.
Par ordonnance du 24 septembre 2020, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Valence a notamment :
- Rejeté l'exception de nullité soulevée par la société Orano Cycle, agissant pour son propre compte ainsi que pour le compte de la société Eurodif ;
- Renvoyé l'affaire à l'audience collégiale du 06 octobre 2020, sans clôture de l'instruction, afin
qu'il soit statué par la formation de jugement sur les fins de non-recevoir soulevée par la société Orano Cycle agissant pour son propre compte ainsi que pour le compte de la société Eurodif et, le cas échéant, sur les questions de fond préalables à leur règlement.
Par jugement du 28 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Valence a notamment :
- dit que le comité social et économique de la SA Eurodif Production n'avait plus d'existence légale,
- l'a dit en conséquence irrecevable en son action dirigée à l'encontre de la SA Orano Cycle,
- dit que le comité social et économique de la SA Orano Cycle n'avait pas qualité à agir concernant la demande visant à obtenir le respect par la SA Orano Cycle de l'engagement unilatéral allégué,
- l'a dit en conséquence irrecevable à agir en ce qui concerne ce chef de demande,
- débouté la SA Orano Cycle du surplus de ses fins de non-recevoir.
Par jugement en date du 31 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Valence a :
- Constaté que la demande tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture du 10 septembre 2021 est sans objet ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à maintenir le financement à sa charge de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif Production ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, jusqu'à leur décès;
- Dit n'y avoir lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au Syndicat CGT Eurodif Production, au syndicat du personnel de l'Energie
atomique de [Adresse 8] CFDT et au Syndicat Force Ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 3.000 euros chacun en réparation du préjudice subi par la collectivité de travail qu'ils représentent ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au comité social économique de la société Orano Cycle, au syndicat CGT
Eurodif Production, au syndicat du personnel de l'Energie atomique de [Adresse 8] CFDT et au syndicat Force Ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 2.000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement aux entiers dépens de l'instance ;
- Rejeté le surplus des demandes ;
- Ecarté l'exécution provisoire de droit prévue par l'article 514 du code de procédure civile.
Le jugement a été signifié à la société Orano chimie-enrichissement par acte d'huissier de justice en date du 13 février 2023 remis à personne morale.
Par déclaration en date du 14 février 2023, la société Orano chimie-enrichissement a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
Par déclaration en date du 13 mars 2023, le comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement venant aux droits de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin ont également interjeté appel à l'encontre du jugement du 31 janvier 2023.
Par ordonnance en date du 6 juin 2023, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des deux procédures sous le numéro RG 23/00689.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 14 avril 2025, la société Orano chimie-enrichissement sollicite de la cour de :
" Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Valence du 31 janvier 2023 en ce qu'il a condamné l'appelante à :
- maintenir le financement à sa charge de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif Production ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020 jusqu'à leur décès ;
- verser aux intimés 3.000 € chacun en réparation du préjudice subi par la collectivité de travail qu'ils représentent ;
- verser aux intimés 2.000 € chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- payer les entiers dépens de l'instance.
Le confirmer pour le surplus.
Statuant à nouveau,
Débouter les organisations syndicales et le comité social et économique de l'intégralité de leurs demandes ;
Subsidiairement, réduire substantiellement les dommages et intérêts demandés ;
En tout état de cause, les condamner à payer les dépens qui seront recouvrés par le cabinet Follet et Rivoire Avocats en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamner chacun des intimés à payer à l'appelante 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. "
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 avril 2025, le comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement venant aux droits de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin sollicitent de la cour de :
" Juger le Comité Economique de la société Orano Chimie Enrichissement, le Syndicat CGT Eurodif Production, le Syndicat du personnel de l'Energie atomique de [Adresse 8] CFDT et le Syndicat Force Ouvrière Orano Tricastin recevables et bien fondés en leur appel incident, fins
et conclusions,
Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valence du 31 janvier 2023 en ce qu'il a :
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production à maintenir le financement à sa charge de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif Production, ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, jusqu'à leur décès,
- Condamné la Société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au comité social économique de la société Orano Cycle, au syndicat CGT Eurodif Production, au syndicat du personnel de l'Energie atomique du Tricastine CFDT et au Syndicat Force Ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 2.000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production aux entiers dépens ;
Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valence du 31 janvier 2023 en ce qu'il
a :
- Limité la condamnation de la société Orano Chimie-Enrichissement venant aux droits de la société Eurodif Production à maintenir le financement à sa charge de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif Production, aux seuls salariés ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, jusqu'à leur décès,
- Dit n'y avoir lieu à assortir la condamnation d'une astreinte,
- Limité la condamnation de la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au syndicat CGT Eurodif Production, au Syndicat du personnel de l'Energie atomique du Tricastine CFDT et au Syndicat Force Ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 3.000 euros chacun en réparation du préjudice subi par la collectivité de travail qu'ils représentent.
- Rejeté le surplus des demandes,
Statuant à nouveau,
- Condamner la société Orano Chimie-Enrichissement venant aux droits de la société Eurodif Production, à respecter son engagement et celui du groupe de maintenir le financement, à sa charge exclusive, des régimes de protection sociale complémentaire applicables dans l'entreprise, au bénéfice des pré-retraites et retraités de la société Eurodif Production et qui ont fait valoir leurs droits à retraite ou à pré-retraite au sein d'Eurodif Production, pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur décès s'agissant de la garantie frais de santé et jusqu'à leur 65ème anniversaire s'agissant de la garantie prévoyance/ décès,
- Ordonner à la société Orano Chimie - Enrichissement venant aux droits de la Société Eurodif Production de régulariser l'adhésion et de payer les cotisations dues au titre de régimes de protection sociale complémentaire de frais de santé applicable au sein de l'entreprise, ou tout autre régime au moins équivalent au bénéfice des pré-retraites et retraités de la Société Eurodif Production et qui ont fait valoir leurs droits à retraite ou à pré-retraite avant le 10 juillet 2020, auprès des organismes assureurs en charge desdits régimes de protection sociale complémentaires, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, jusqu'à leur décès,
- Condamner la société Orano Chimie - Enrichissement venant aux droits de la Société Eurodif Production à régulariser les cotisations dues au titre du régime de protection sociale complémentaire de prévoyance lourde " prévoyance/décès " applicable au sein de l'entreprise, ou tout autre régime au moins équivalent au bénéfice des pré-retraites et retraités de la Société Eurodif Production et qui ont fait valoir leurs droits à retraite ou à pré-retraite avant le 10 juillet 2020, auprès des organismes assureurs en charge des régimes de protection sociale complémentaires applicables au sein de l'entreprise, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, jusqu'à leur 65ème anniversaire,
- Ordonner à la société Orano Chimie - Enrichissement venant aux droits de la Société Eurodif Production à régulariser les cotisations dues au titre du régime de protection sociale complémentaire de prévoyance lourde " prévoyance/décès " applicable au sein de l'entreprise, ou tout autre régime au moins équivalent au bénéfice des pré-retraites et retraités de la Société Eurodif Production et qui ont fait valoir leurs droits à retraite ou à pré-retraite avant le 10 juillet 2020 auprès des organismes assureurs en charge des régimes de protection sociale complémentaires applicables au sein de l'entreprise, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, jusqu'à leur 65ème anniversaire,
- Assortir ces condamnations d'une astreinte de 15.000€ par jour de retard et par infraction, qui
commencera à courir dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- Se réserver la liquidation de l'astreinte, sur simple requête, sur le fondement de l'article L131-3 du Code des procédures civiles d'exécution ;
- Condamner la société Orano Chimie - Enrichissement venant aux droits de la Société Eurodif Production, à verser à chacun des syndicats requérants la somme de 25 000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la violation délibérée de l'obligation de loyauté sur le respect des engagements pris à l'égard de la collectivité de travail qu'ils représentant.
- Condamner la société Orano Chimie - Enrichissement venant aux droits de la Société Eurodif Production aux entiers dépens de la présente instance, ainsi qu'à verser au titre de l'article 700 du Code de procédure civile une somme de 20.000,00 € HT à chacun des requérants ;
- Débouter la société Orano Chimie-Enrichissements de l'ensemble de ses demandes. ".
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient, au visa de l'article 455 du code de procédure civile, de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 mai 2025.
L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 21 mai 2025, a été mise en délibéré au 9 septembre 2025.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1 - Sur les prétentions fondées sur la violation d'un engagement unilatéral
A titre liminaire, la cour constate qu'au soutien de leur action, le CSE et les syndicats invoquent un moyen tiré d'une violation d'un engagement unilatéral devenu avantage de retraite et non pas un moyen tiré d'une violation d'un accord collectif au visa de l'article L 2261-14.
Aussi, il n'est pas discuté que les accords collectifs, mis en cause par l'effet de la fusion, ont cessé de produire effet au terme de la période de maintien légal de l'accord collectif résultant des dispositions de l'article L. 2261-14 du code du travail, soit le 31 mars 2021.
Dès lors, aucune prétention n'étant fondée sur un maintien du bénéfice des accords collectifs portant mise en place des régimes de protection sociale complémentaire au sens de l'article L.911-1 du code de procédure civile, les moyens développés sur les effets de la dénonciation des accords collectifs sont inopérants.
1.1 - Sur l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur
Premièrement, l'engagement unilatéral se définit comme la manifestation de volonté, claire et non équivoque, de son auteur, en l'occurrence de l'employeur, de faire naître une obligation à sa charge au profit de celui ou de ceux envers qui il s'engage.
L'auteur de l'engagement unilatéral détermine seul l'objet et les conditions de cet engagement.
Les engagements résultant de telles décisions unilatérales ont force obligatoire.
Lorsqu'un engagement unilatéral est invoqué, les juges du fond en apprécient souverainement l'existence en fonction des éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis (Soc., 3 mai 2018, pourvoi n°17-11.768).
Deuxièmement, lorsqu'un accord collectif ayant le même objet qu'un engagement unilatéral ou un usage est conclu entre l'employeur et une ou plusieurs organisations représentatives de l'entreprise, cet accord a pour effet de mettre fin à l'engagement unilatéral ou à l'usage (Soc., 26 janvier 2005, pourvoi n°02-47.507 concernant le cas d'un usage).
En l'espèce, le CSE et les syndicats invoquent non pas un engagement unilatéral de l'employeur de prendre en charge le financement du régime de mutuelle jusqu'au décès et de la garantie prévoyance/décès jusqu'au 65ème anniversaire, mais l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur de maintenir les régimes de protection sociale complémentaire applicables dans l'entreprise, postérieurement à la cessation de l'activité de la société Eurodif production et partant, après expiration du délai de maintien légal de l'accord collectif résultant de l'application de l'article L 2261-14 du code du travail.
Il convient d'examiner les éléments produits en respectant la chronologie des actes visés.
D'une première part, le procès-verbal du conseil d'administration de la société Eurodif production en date du 21 juin 2006 a retracé l'échange suivant :
" M. [R] souhaite savoir ce qu'il adviendra de l'assurance complémentaire de sécurité sociale dont le bénéfice est accordé à vie aux retraités d'Eurodif Production, lorsque la société disparaitra '
M. [I] répond qu'Eurodif honorera ses engagements et qu'Eurodif production existera a minima jusqu'à la fin de la phase de démantèlement soit d'ici 2022-2025. En accord avec M. [J], il propose que la valorisation de cet engagement soit confiée à des actuaires et qu'une réflexion soit menée pour répondre précisément à cette question ".
Et le procès-verbal du conseil d'administration du 14 février 2007 consigne : " M. [I] précise que la réunion qui suit le présent conseil avec les représentations des organisations syndicales d'Eurodif production traitera notamment de ces questions. Il indique que les accords signés par d' Eurodif production seront respectés. d'Eurodif production cessera certes d'exister un jour, Areva cessera peut-être un jour d'exister, quoiqu'il en soit il tient à rappeler que pour les entités qui existeront les accords seront respectés.
M. [E] précise que dans l'hypothèse où Eurodif production et Eurodif SA disparaissaient, la société mère reprendrait les garanties dûes. [']
M. [I] précise que l'étude est en cours mais que sur le principe l'engagement pris en 1982 n'est pas remis en cause ".
Il en ressort la volonté clairement exprimée par M. [E], en sa qualité de directeur général délégué de la société Eurodif production, de maintenir les garanties au titre des frais de santé, l'engagement pris en 1982 faisant nécessairement référence, dans ce contexte, à l'accord d'entreprise du 16 mars 1982, y compris en cas de disparition de la société reprise par une société mère, ce dont il se déduit qu'il s'engageait à maintenir les garantie de financement de l'assurance complémentaire sécurité sociale après expiration du délai de maintien légal des effets de l'accord collectif.
Cependant, aucune précision n'est apportée quant au maintien de la garantie concernant la prévoyance.
D'une deuxième part, selon un courrier en date du 21 février 2007 adressé au secrétaire du CSE, M. [E] indique : " Eurodif production s'engage à maintenir le système d'Assurance Complémentaire Sécurité Sociale (Mutuelle) pour les salariés actuels et les retraités. [']
Les engagements d'Eurodif production seront repris par Eurodif SA si Eurodif production venait à s'arrêter définitivement (après démantèlement). Les engagements d'Eurodif SA seraient repris par Areva si Eurodif SA venait à disparaitre. ".
En outre, il précisait que " Les engagements financiers correspondant à ces passifs sociaux figurent dans les comptes consolidés d'Areva ".
Ce courrier, répondant à la question " Que deviennent les engagements concernant l'Assurance Complémentaire et les droits TB6 à la date d'arrêt d'Eurodif Production " et qui fait suite à la réunion du conseil d'administration susvisé, indique donc clairement, tel que relevé par le premier juge, qu'Eurodif production s'engageait à maintenir le système d'assurance complémentaire sécurité sociale (mutuelle) pour les salariés et les retraités, ce qui inclut à la fois le régime d'assurance et son financement.
Cependant, aucune précision n'est apportée quant au maintien de la garantie concernant la prévoyance.
Et la société Orano ne peut sérieusement soutenir que cet engagement n'aurait été pris que dans le cadre de l'application des accords collectifs de 1982 alors que le courrier de M. [E] répond expressément à l'hypothèse d'une cessation de l'activité de la société Eurodif production, et vise le cas d'une mise en cause des accords par l'effet d'une disparition de la société.
D'une troisième part, aux termes d'un courrier en date du 15 avril 2008 adressé aux délégués syndicaux, M. [Y], en qualité de directeur général délégué de groupe Areva, devenu Orano, indique : " En réponse à vos demandes et interrogations concernant les dispositions sociales applicables au sein d' Eurodif production, je vous confirme par la présente que les durées d'anticipation validées au titre de la préretraite des Services Continus/ travaux pénibles, dite " TB6 " seront conservées et que les droits correspondants seront honorés en application de nos obligations légales, y compris après la cessation d'activité de la société Eurodif production.
Il en va de même pour ce qui concerne le financement employeur du régime complémentaire de frais de santé durant la période de retraite pour les salariés prenant leur retraite à Eurodif production ".
Il en ressort clairement, tel que constaté par le premier juge, que la société Areva a confirmé son engagement à maintenir le financement employeur du régime complémentaire des frais de santé pour les retraités après la cessation d'activité de la société Eurodif production, et par voie de conséquence, dans le cas d'une mise en cause des accords par l'effet d'une disparition de la société.
Cependant, ici encore, aucune précision n'est apportée quant au maintien de la garantie concernant la prévoyance.
Il convient de relever que les termes de ce courrier ne visent nullement les négociations relatives à l'accord collectif intitulé " accord passerelle ", signé le 5 août 2008, sur les conditions de mobilité des salariés entre Eurodif production et la société d'Enrichissement du Tricastin SAS (SET), de sorte que la société Orano cycle prétend à tort que cet accord se serait substitué à la lettre du 15 avril 2008 pour y être annexé.
En outre, cet accord du 5 octobre 2008 ne vise pas le même objet que l'engagement unilatéral pris par l'employeur puisqu'il porte, non pas sur la garantie des frais santé mais sur le bénéfice du dispositif de cessation anticipée d'activité, dit TB6, en cas de mobilité au sein d'une autre entité du groupe.
D'une quatrième part, la société Orano soutient à tort que l'accord d'entreprise du 29 décembre 2008 a mis fin aux engagements pris par l'employeur dans les deux lettres susvisées du 21 février 2007 et du 15 avril 2008 en ce qu'il a le même objet.
Ainsi, l'accord d'entreprise du 29 décembre 2008 relatif au contrat frais de santé prévoit en son article 1er intitulé " Objet " : " Le présent accord a pour objet l'adhésion des salariés visés à l'article 2 ci-après, au contrat collectif d'assurance souscrit à cet effet par l'entreprise auprès d'un organisme habilité, sur la base des garanties et de leurs modalités d'application résumées en annexe ".
Or, il résulte de ce qui précède que les deux lettres des 21 février 2007 et 15 avril 2008 concernent certes le régime des frais de santé des salariés et des retraités, mais visent, contrairement à l'accord d'entreprise du 29 décembre 2008, le cas d'une disparition de la société Eurodif production, et donc l'hypothèse d'une mise en cause des accords, contrairement à l'accord d'entreprise du 29 décembre 2008.
D'une cinquième part, la société Orano soutient vainement que des négociations engagées depuis 2011 en vue de remplacer le régime frais de santé mis en place par Eurodif production par celui en vigueur au sein du groupe dénient l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur, alors que l'existence de négociations ne suffit pas à remettre en cause l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur.
D'une sixième part, le CSE et les syndicats se prévalent d'un document intitulé " Annexe n°3 - Engagement des directions d'Eurodif production et d'Areva Tricastin " signé le 28 mars 2013 par M. [U] pour Eurodif production et M. [L] pour Areva Tricastin, selon lequel les dirigeants s'engageaient " A maintenir la possibilité jusqu'à minima le 15 mars 2017, à tous les actuels salariés d'Eurodif production partant à la retraite avant cette date, de bénéficier à titre volontaire de la prévoyance complémentaire (frais de santé et régime incapacité, invalidité, décès) telle que définie dans la convention d'entreprise ".
Toutefois, cet engagement précise expressément qu'il est signé " Dans le cadre des projets de simplification des structures juridiques des entités du Tricastin, en cas de fusion entre les sociétés Eurodif production et Areva NC avant le terme de l'actuelle convention d'entreprise d'Eurodif production (15 mars 2017) ", de sorte que l'engagement était expressément limité au cas d'une fusion devant intervenir avant le 15 mars 2017, ce qui n'a pas été le cas, tel que relevé par le premier juge.
D'une septième part, c'est par un moyen inopérant que la société Orano invoque les conditions d'exonération des cotisations de sécurité sociale du financement des régimes de protection sociale complémentaire tels que fixées par les dispositions de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale, qui sont sans incidence sur la réalité et l'étendue de l'engagement de l'employeur de maintenir le financement des frais de santé.
D'une huitième part, l'existence de l'engagement pris par l'employeur de maintenir la garantie des frais de santé en cas de cession ou fusion de l'entreprise est corroborée par le fait que dans le cadre de l'opération de fusion, la société Orano a bénéficié d'une garantie financière lui permettant de couvrir l'ensemble des engagements repris par l'effet du transfert, dont ceux résultant de la prise en charge de la mutuelle à vie et de la prévoyance jusqu'à 65 ans.
En effet, le CSE et les syndicats démontrent que la société Eurodif production, aux droits de laquelle vient la société Orano cycle, a bénéficié d'une augmentation de capital de 204,3 millions en complément d'une provision déjà existante de 60 millions d'euros, et que ce financement était destiné à couvrir l'ensemble de ses engagements, dont ceux concernant les frais de santé et la garantie invalidité/ décès avant de réaliser l'opération de fusion/absorption.
Ainsi, il ressort du procès-verbal de la réunion du conseil d'administration d'Eurodif production en date du 8 octobre 2019 que M. [P], président, expliquait, concernant le projet de cession :
" Pour réaliser cette opération, il est apparu que l'ensemble des passifs sociaux dans les comptes d'Eurodif production devaient être provisionnés préalablement à la cession. ['] Ainsi sur les 260 millions d'euros à provisionner, seulement 60 millions l'étaient dans les comptes sociaux d'Eurodif production. Il a donc été décidé de passer le complément de provisions avec pour résultat des comptes fortement négatifs de l'ordre de -200M€ pour Eurodif production.
Orano cycle ne pouvant pas reprendre une société en l'état, il s'est avéré nécessaire de procéder à une augmentation préalable du capital social d'Eurodif production par Eurodif SA. ".
Interrogé sur la question de savoir sur les 200 millions d'euros de capitalisation concernaient les acquis sociaux, il précisait que " le montant de 200 millions d'euros, c'est un complément car en totalité les engagements sociaux représentant 260 millions d'euros (cela concerne la population " TB 6 ", la GID, la mutuelle, les indemnités de fin de carrière, et la médaille du travail valorisés au 31 août 2019 par les actuaires du Groupe). " ajoutant que cet engagement était calculé " sur la base des accords sociaux actuels ".
Quoiqu'il ait pris soin de préciser que cette augmentation de capital était destinée à répondre à des exigences juridiques et fiscales, la négociation sociale étant menée en parallèle, cet engagement financier confirme l'existence de cet engagement unilatéral, indépendamment de l'intervention éventuelle d'un nouvel accord d'entreprise.
Aussi, aux termes du rapport du conseil d'administration à l'assemblée générale extraordinaire du 23 octobre 2019, il était précisé " La garantie financière d'Eurodif SA sur les passifs sociaux d'Eurodif production prendra fin par effet de la cession des titres d'Eurodif production. En conséquence la société comptabilisera dans ses comptes sociaux la totalité des engagements sociaux estimés au 31 août 2019 à 260,5 millions d'euros contre 59,0 millions d'euros provisionnés au 30 décembre 2018 entraînant une dégradation de sa situation nette de plus de 200 millions d'euros. Pour rétablir la situation nette de la société préalablement à la cession, le conseil d'administration demande à Eurodif SA en sa qualité d'actionnaire de souscrire à une augmentation de capital de la société pour un montant de 204,3 millions d'euros. ".
Encore, le traité de fusion signé le 30 octobre 2019 entre Orano cycle et Eurodif production prévoit que " La société Orano cycle sera tenue à l'acquittement de la totalité du passif de la société absorbée, dans les termes et conditions où il est et deviendra exigible, au paiement de tous intérêts et à l'exécution de toutes les conditions d'actes et titres de créances pouvant exister, sauf à obtenir, de tous les créanciers, tous accords modificatifs de ces termes et conditions ".
Et les comptes des sociétés établis au 31 décembre 2018 après validation des commissaires aux comptes, annexés au traité de fusion, font apparaître, au titre des engagements sociaux, un montant total de 258 236 milliers d'euros en 2017, dont 82 316 milliers d'euros pour " ACSS et GID " correspondant à la garantie assurance complémentaire sécurité sociale et à la garantie prévoyance/décès.
Il en résulte que les engagements de maintien du financement des régimes de frais de santé et de prévoyance vis-à-vis des retraités de la société Eurodif production ont été évalués dans le passif de la société avant l'opération de fusion, et garantis par une augmentation du capital social de la société absorbée, la société absorbante s'étant engagée à s'acquitter de la totalité de ce passif.
Il s'évince de l'ensemble des éléments versés aux débats à la présente instance que l'employeur a expressément, comme soutenu par les intimés, pris l'engagement clair et non équivoque de maintenir le financement à 100% du régime de mutuelle des salariés et retraités jusqu'à leur décès en cas de mise en cause de l'accord collectif des suites d'une disparition de la société Eurodif production.
En revanche, si la garantie prévoyance/décès a été financée dans les mêmes conditions que le régime mutuelle, aucun engagement clair et non équivoque ne ressort des éléments ci-dessus exposés concernant le maintien du régime de prévoyance financé par l'employeur jusqu'au 65ème anniversaire du salaire en cas de cession ou de fusion de l'entreprise après expiration du délai de maintien légal de l'accord collectif.
Aussi, la dénonciation faite selon les termes du courrier du 10 juillet 2020 " en tant que de besoin, de l'engagement de maintenir le financement des régimes de protection sociale complémentaire au bénéficie des salariés et retraités, tel qu'indiqué dans l'assignation reçue le 9 janvier 2020 " ne permet de caractériser la reconnaissance par l'employeur d'un tel engagement dès lors que les termes employés expriment au contraire les doutes de l'employeur quant à l'existence d'un tel engagement, qui n'est envisagé qu'à titre hypothétique.
Enfin, il y a lieu de constater qu'aucun accord de substitution a mis fin à l'engagement unilatéral pris par l'employeur de maintenir le financement à 100% du régime de frais de santé des salariés et des retraités, postérieurement à la disparition de la société Eurodif production et de l'expiration du délai légal de survie de l'accord collectif.
1.2 - Sur l'opposabilité de l'engagement unilatéral à la société Orano Chimie Enrichissement
L'article L 1224-1 du code du travail énonce :
Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
Dans ce cas, le nouvel employeur est tenu d'appliquer les engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur à l'égard des salariés dont le contrat était en cours au jour du transfert. (Soc., 7 déc. 2005, no 04-44.594).
En l'espèce, l'engagement unilatéral pris par la société Eurodif production de maintenir, après sa disparition, le financement du régime de mutuelle pour les salariés actifs ou en situation de retraite jusqu'à leur décès, a été transféré de plein droit à la société absorbante Orano cycle, et reprise par la société Orano chimie-enrichissement.
Au demeurant, il a été vu précédemment que cet engagement avait fait l'objet d'un financement par voie de recapitalisation de la société cédée, préalablement à l'opération de fusion/absorption, révélant que la société cédante et la société absorbante connaissaient précisément l'existence et l'étendue des obligations résultant de cet engagement.
Et c'est par un moyen inopérant que la société Orano invoque les conséquences d'une application volontaire d'une convention collective dès lors que l'obligation litigieuse ne résulte pas d'un accord collectif mais d'un engagement unilatéral de l'employeur.
1.3 - Sur les effets de la dénonciation de l'engagement unilatéral
Par courrier en date du 10 juillet 2020, la société Orano a envoyé une dénonciation rédigée comme suit: " Il est mis fin aux régimes Frais de santé et Prévoyance définis par l'Accord relatif au contrat Frais de Santé (ACSS) Eurodif production du 29 décembre 2008 et par l'accord relatif au contrat de prévoyance (GID) Eurodif production du 29 décembre 2008 et à la prise en charge intégrale par l'entreprise des cotisations correspondantes pendant la durée de la retraite, que cette prise en charge résulte ou non d'un engagement unilatéral d'Eurodif production ".
Les parties conviennent que cette dénonciation est opposable aux salariés issus de la société Eurodif production.
En revanche, elles divergent quant à l'opposabilité de cette dénonciation aux retraités et pré-retraités de la société Eurodif production, laquelle dépend de l'analyse de l'avantage résultant de la prise en charge des frais de santé, le CSE et les syndicats invoquant les règles spécifiques applicables en matière d'avantage retraite alors que la société Orano soutient que le maintien du financement des régimes frais de santé pour d'anciens salariés devenus retraités ne constitue pas un avantage retraite.
Premièrement, il n'est pas discuté qu'un avantage instauré par décision unilatérale de l'employeur peut être révisé ou supprimé à effet immédiat dès lors que les représentants du personnel ont été préalablement informés, que les bénéficiaires ont reçu une information individualisée écrite et qu'un délai de préavis suffisant permettant l'engagement d'éventuelles négociations a été respecté (Soc. 25 février 1988, pourvoi n°85-40.821), et que par exception, la dénonciation par l'employeur d'un engagement unilatéral accordant un avantage de retraite est inopposable aux retraités après la liquidation de la retraite (Soc. 30 novembre 2004, pourvoi n°02-45.367).
Deuxièmement, pour qu'un avantage soit qualifié d'avantage de retraite, il est nécessaire, d'une part, que l'avantage financier soit financé par l'employeur et, d'autre part, que l'avantage financier soit accordé par l'employeur à ses anciens salariés retraités postérieurement à la liquidation de leur retraite.
Ainsi, le Mensuel de droit du travail de la Cour de cassation de mai 2014 retient qu'il s'agit de " toute somme, qu'elle soit versée par une institution gestionnaire d'un régime de retraite ou directement par l'employeur, attribuée, en raison de sa qualité de retraité, à un ancien salarié ayant fait liquider ses droits à pension de retraite du régime général de la sécurité sociale ".
Troisièmement, en matière d'avantage retraite, la jurisprudence retient qu'une fois accordé, un avantage retraite ne peut être remis en cause après la liquidation de la retraite, sauf nouvel accord collectif (Soc., 30 novembre 2004, n°02-45.367 ; Soc., 12 mai 2009, n°07-44.625).
Aussi, il est jugé que si la dénonciation par l'employeur de l'avantage de retraite consenti par voie d'usage ou d'engagement unilatéral ne peut remettre en cause cet avantage pour les salariés retraités, en revanche, dès lors que les syndicats représentent aussi les retraités et non seulement les salariés en activité, un accord collectif de substitution peut mettre fin à cet avantage, y compris pour les retraités (Soc., 20 mai 2014, n°12-26.322).
Il est également jugé que seul un accord collectif conclu entre l'employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans l'entreprise qui ont vocation à négocier pour l'ensemble des salariés et anciens salariés peut apporter, de façon opposable aux anciens cadres salariés adhérents de l'association, des modifications au régime de retraite surcomplémentaire à prestations définies et garanties (Soc. 19 janvier 2022 n°19-23.272).
En l'espèce, l'analyse de l'engagement unilatéral de l'employeur de maintenir, après la disparition de la société Eurodif production, le financement du régime mutuelle à 100% pour les salariés actifs ou en situation de retraite jusqu'à leur décès, transféré de plein droit à la société absorbante Orano cycle, et reprise par la société Orano chimie-enrichissement, impose d'analyser l'avantage défini par l'accord collectif relatif au contrat de frais de santé du 29 décembre 2008.
D'une première part, il est établi que l'avantage litigieux se traduit par la prise en charge à 100% par l'employeur des cotisations du contrat de frais de santé du salarié retraité jusqu'à son décès, de sorte qu'il s'agit d'un avantage pécuniaire résultant de paiements effectués par l'employeur bénéficiant au salarié retraité.
D'une deuxième part, c'est par un moyen inopérant que la société Orano objecte qu'elle versait le paiement des cotisations à un organisme tiers et non pas directement au salarié retraité.
En effet, cette prise en charge mensuelle de frais de santé constitue un complément de pension de retraite, peu important qu'elle soit payée directement à la mutuelle pour exonérer les bénéficiaires de leur cotisation (Soc., 27 avril 2000, n°98-14.241).
D'une troisième part, la société Orano objecte que chaque retraité avait la possibilité d'accepter ou de refuser d'adhérer à la mutuelle pour en déduire que la cause du versement de l'avantage ne résultait pas de la qualité de retraité mais de son adhésion à la mutuelle.
L'article 37 de la convention d'entreprise du 16 mars 1982 énonce que " Les garanties de ce régime sont maintenues aux retraités et aux membres de leur famille à charge au sens de la sécurité sociale dans le cadre des dispositions en vigueur, sous réserve qu'ils en fassent la demande dans les trois mois précédant la date de liquidation de leur retraite ".
Et l'accord collectif du 29 décembre 2008 prévoit " Pour les assurés liquidant leur retraite à compter du 1er janvier 2008, les demandes d'affiliation individuelle doivent être adressées à l'assureur dans les trois mois précédant la date de liquidation de leur pension retraite. Le dépassement visé ci-dessus entraîne la forclusion définitive ".
Il en ressort que la cause principale du bénéfice de cet avantage résulte de la qualité de retraité, la démarche volontaire des salariés souscripteurs s'analysant en une condition susceptible de priver le bénéficiaire de cet avantage par l'effet d'une forclusion, l'avantage n'étant pas automatiquement obtenu par le seul fait de liquidation des droits à la retraite.
D'une quatrième part, la société Orano soutient vainement qu'il s'agirait d'un avantage collectif dès lors que chacun des salariés de l'entreprise en bénéficie à titre individuel, l'employeur prenant en charge les cotisations dues pour chacun des retraités à titre personnel.
D'une cinquième part, il n'est pas discuté qu'aucun accord collectif de substitution décidant de mettre fin à cet avantage pour les retraités n'est intervenu.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'engagement unilatéral de l'employeur de maintenir la prise en charge des frais mutuelle des salariés retraités jusqu'à leur décès s'analyse en un avantage de retraite.
Dès lors qu'il constitue un avantage retraite, cet engagement unilatéral ne peut être remis en cause par une dénonciation de la part de l'employeur.
L'acte de dénonciation du 10 juillet 2020 est donc inopposable aux anciens salariés ayant liquidé leur droit à la retraite.
S'agissant des salariés en situation de préretraite, le dispositif prévu par l'accord du 28 juin 2016 relatif à la cessation anticipée d'activité définit :
- une suspension des contrats de travail des salariés préretraités, dispensés de présence et d'activités professionnelles dans la société jusqu'à leur départ à la retraite,
- l'engagement des bénéficiaires à partir à la retraite " le 1er juin 2026, date prévisionnelle à laquelle vous serez en mesure de liquider votre pension de retraite du régime général de sécurité sociale à taux plein ", en notifiant leur départ à la retraite six mois avant le terme de la cessation anticipée d'activité,
- une indemnité de départ à la retraite à percevoir lors de la rupture du contrat " dont le barème et l'assiette sont définis par les dispositions légales et conventionnelles applicables au sein de l'entreprise", déduction faite des versements partiels anticipés représentant 40% de cette indemnité.
Il en ressort que si ces salariés ont bien exprimé leur consentement à la rupture du contrat de travail, en revanche, contrairement à ce que soutiennent le CSE et les syndicats, la date d'effet du départ à la retraite n'est pas fixée de manière certaine, ni les conditions de liquidation leurs droits.
Le CSE et les syndicats invoquent vainement une décision prononcée le 22 juin 2023 (Cass. 2ème civ., 22 juin 2023, pourvoi n°21-15.803.) selon laquelle la prise en charge par l'employeur, à la place des anciens salariés en situation de préretraite, des cotisations de prévoyance et de mutuelle, dans le cadre du dispositif de départ anticipé de fin de carrière, constituait un avantage de retraite entrant dans l'assiette de la cotisation prévue à l'article L. 131-2 du code de la sécurité sociale, puisque ce régime concernait dans cette hypothèse le cas de préretraités dont le contrat de travail était rompu contrairement au cas litigieux.
Par voie de conséquence, la société Orano est fondée à soutenir que l'acte de dénonciation emporte à l'égard des préretraités les mêmes effets qu'à l'égard des salariés dont le contrat de travail n'est pas suspendu.
Il s'en déduit que l'acte de dénonciation du 10 juillet 2020 est opposable aux salariés préretraités.
Enfin, la société soulève un moyen inopérant tiré d'une différence de traitement injustifiée entre les salariés pour lesquels l'avantage a été supprimé et les retraités pour lesquels il est maintenu, cette différence étant inhérente à la qualification de l'avantage retraite.
Et s'agissant de la différence de traitement entre les anciens salariés de la société Eurodif production et ceux relevant des autres entités du groupe, la jurisprudence retient que l'obligation à laquelle est légalement tenu le nouvel employeur, en cas de transfert d'une entité économique, de maintenir au bénéfice des salariés qui y sont rattachés les droits qu'ils tiennent d'un usage en vigueur au jour du transfert, justifie la différence de traitement qui en résulte par rapport aux autres salariés (Soc., 11 janvier 2012, pourvoi n°10-14.614).
Par voie de confirmation, il y a donc lieu de condamner la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif production, à maintenir le financement, à sa charge exclusive, de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif production, ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur décès.
Le CSE et les syndicats sont déboutés de leurs demandes tendant à voir maintenir ce financement au bénéfice des préretraités. Ils sont également déboutés de leurs demandes tendant à voir maintenir le financement de la garantie prévoyance/décès des préretraités et retraités pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur 65ème anniversaire.
Il y a lieu à infirmation de ces chefs des prétentions omis du dispositif du jugement déféré.
Par infirmation, il convient de dire que la société Orano chimie-enrichissement devra justifier du maintien du financement, à sa charge exclusive, de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif production, ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur décès, dans les 90 jours suivant la notification du présent arrêt ou de l'acquiescement éventuel, sous astreinte provisoire, passé ce délai, de 2 000 euros par jour de retard pendant six mois.
2 - Sur les demandes de régularisation
Premièrement aux termes de l'article L. 2132-3 du code du travail : " Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice.
Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent. ".
Il est jugé que si un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par l'employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ou au regard du principe d'égalité de traitement et demander, outre l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l'intérêt collectif de la profession, qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin à l'irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte, il ne peut prétendre obtenir du juge qu'il condamne l'employeur à régulariser la situation individuelle des salariés concernés, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts (Soc., 22 novembre 2023, pourvoi n°22-11.238 ; Soc., soc., 22 novembre 2023, n° 22-14.807 ; Soc., 6 novembre 2024, pourvoi n° 22-21.966 ; Soc., 22 janvier 2025, pourvoi n° 23-17.782).
Deuxièmement, l'article L. 2262-11 dispose que : " Les organisations ou groupements ayant la capacité d'agir en justice, liés par une convention ou un accord, peuvent intenter en leur nom propre toute action visant à obtenir l'exécution des engagements contractés et, le cas échéant, des dommages-intérêts contre les autres organisations ou groupements, leurs propres membres ou toute personne liée par la convention ou l'accord. ".
En l'espèce, la société Orano soulève l'irrecevabilité des demandes de régularisation formées par le CSE et les syndicats en ce qu'elles ne relèvent pas de la défense de l'intérêt collectif de la profession.
Le CSE et les syndicats précisent d'abord, à juste titre, qu'ils ne sollicitent pas le paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées.
Ils relèvent ensuite exactement que pour le passé, ils ne demandent pas la régularisation des situations individuelles mais sollicitent, à leur profit, des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.
En revanche, pour l'avenir, ils demandent à voir ordonner à la société de régulariser l'adhésion et de payer les cotisations dues au titre de régimes de protection sociale complémentaire de frais de santé applicable au sein de l'entreprise, ou tout autre régime au moins équivalent au bénéfice des pré-retraites et retraités de la société Eurodif production et qui ont fait valoir leurs droits à retraite ou à pré-retraite avant le 10 juillet 2020, auprès des organismes assureurs en charge desdits régimes de protection sociale complémentaires, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, jusqu'à leur décès.
Et il en est de même s'agissant de la demande de régularisation de l'adhésion des cotisations dues pour le régime de prévoyance à compter de la signification de l'arrêt jusqu'à la 65ème année.
Ces demandes de régularisation de l'adhésion et de paiement des cotisations pour l'avenir créent nécessairement des effets de droit à l'égard des retraités à titre personnel.
Or, le Conseil constitutionnel a jugé (Décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion) que les modalités de mise en 'uvre des prérogatives reconnues aux organisations syndicales doivent respecter la liberté personnelle du salarié qui, comme la liberté syndicale, a valeur constitutionnelle et que, s'il est loisible au législateur de permettre à des organisations syndicales représentatives d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective, c'est à la condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action. (Soc., 20 avril 2023, pourvoi n° 23-40.003).
Ces demandes de régularisation pour l'avenir sont donc déclarées irrecevables, par infirmation du jugement déféré.
3 - Sur les obligations d'information, de conseil et de loyauté
Il s'évince de ce qui précède que la violation de l'engagement unilatéral de l'employeur de maintenir, après la disparition de la société Eurodif production, le financement du régime de mutuelle à 100% pour les retraités jusqu'à leur décès, a porté atteinte à l'intérêt collectif de la profession que les syndicats représentent.
En effet, si dans le cadre de l'opération de fusion/absorption la société Orano n'a pas manqué d'engager des négociations afin de remettre en cause les accords précédemment passés, elle a délibérément mis fin à l'ensemble des prises en charge, y compris la mutuelle financée par la société pour les salariés partis à la retraite à compter du 1er avril 2021, alors qu'elle était toujours tenue de la financer.
En outre, et alors même que la société Eurodif production avait obtenu de la société mère des garanties financières destinées à lui permettre de respecter cet engagement, lequel était expressément chiffré et analysé dans le traité de fusion, la société absorbante a choisi de mettre fin à cette prise en charge en dépit du financement obtenu, en violation de ses obligations à l'égard des salariés retraités qui avaient d'ores et déjà liquidé leurs droits à la retraite.
Par voie d'infirmation, il y a lieu de condamner la société Orano à réparer le préjudice subi par le paiement à chacun des syndicats d'une somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts.
4 - Sur les demandes accessoires
La société Orano, qui succombe en ses prétentions, est condamnée aux dépens de première instance, par confirmation du jugement déféré, y ajoutant les dépens d'appel.
Elle est, en outre, condamnée à payer au CSE et aux syndicats intimés une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 2 000 euros chacun en première instance, par confirmation du jugement entrepris, y ajoutant une indemnité complémentaire de 2 000 euros chacun au titre des frais exposés en cause d'appel.
Elle est déboutée de ses prétentions présentées sur le même fondement en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à maintenir le financement à sa charge de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif Production ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur décès ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au comité social économique de la société Orano Cycle, au syndicat CGT Eurodif Production, au syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et au syndicat Force Ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 2.000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejeté les prétentions de la société Orano Chimie-Enrichissement au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement aux entiers dépens de l'instance ;
L'INFIRME pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs d'infirmation et y ajoutant,
DIT que la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif production, devra justifier du maintien du financement, à sa charge exclusive, de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif production, ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur décès, dans les 90 jours suivant la notification du présent arrêt ou de l'acquiescement éventuel, sous astreinte provisoire, passé ce délai, de 2 000 euros par jour de retard pendant six mois ;
DEBOUTE le comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits du comité social économique de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin de leurs demandes tendant à voir maintenir ce financement des frais de santé au bénéfice des préretraités ;
DEBOUTE le comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits du comité social économique de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin de leurs demandes tendant à voir maintenir le financement de la garantie prévoyance/décès des préretraités et retraités pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur 65ème anniversaire ;
DECLARE irrecevables les demandes de régularisations présentées par le comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits du comité social économique de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'Energie atomique de [Adresse 8] CFDT et le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin ;
CONDAMNE la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif production, à verser au syndicat CGT Eurodif production, au syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et au syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice subi par la collectivité de travail qu'ils représentent ;
CONDAMNE la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits du comité social économique de la société Orano cycle, au syndicat CGT Eurodif production, au syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et au syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin une indemnité complémentaire de 2 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel ;
DEBOUTE la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif production, de ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
CONDAMNE la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif production, aux entiers dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
Signé par Mme Hélène Blondeau-Patissier, conseillère substituant M. Jean-Pierre DELAVENAYprésident de chambre régulièrement empêché, et par Mme Fanny Michon, greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffière, La conseillère faisant fonction de présidente,
N° RG 23/00689
N° Portalis DBVM-V-B7H-LWNT
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Laura COURTOT
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 09 SEPTEMBRE 2025
Appel d'une décision (N° RG 20/00076)
rendue par le tribunal judiciaire de Valence
en date du 31 janvier 2023
suivant déclaration d'appel du 14 février 2023
Ordonnance de jonction rendue le 06 juin 2023 du N° RG 23/01088 au N° RG 23/00689
APPELANTE et intimée dans le N° RG 23/01088 :
S.A.S. ORANO CHIMIE-ENRICHISSEMENT, venant aux droits, pour le présent contentieux, de la société ORANO CYCLE, cette dernière agissant pour son compte et celui d'EURODIF PRODUCTION,
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Laura COURTOT, avocat postulant au barreau de la Drôme
et par Me Juliana KOVAC de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat plaidant au barreau de Paris
INTIMES et appelants dans le N° RG 23/01088 :
Comité d'établissement COMITE SOCIAL ECONOMIQUE DE LA SOCIETE ORANO CHIMI E-ENRICHISSEMENT venant aux droits du COMITE SOCIAL ECONOMIQUE DE LA SOCIETE ORANO CYCLE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 2]
Syndicat CGT EURODIF PRODUCTION pris en la personne de son représentant légal en exercice sis au-dit siège [Adresse 7]
[Localité 3]
Syndicat DU PERSONNEL DE L'ENERGIE ATOMIQUE DE TRICASTIN CF DT (SPEA DU TRICASTIN CFDT) pris en la personne de son représentant légal dument mandaté à cet effet, et domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 6]
[Localité 2]
Syndicat FORCE OUVRIÈRE (FO) ORANO TRICASTIN prise en la personne de son représentant dument mandaté à cet effet et domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 5]
[Localité 2]
tous représentés par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LX GRENOBLE- CHAMBERY, avocat postulant au barreau de Grenoble
et par Me Emilie LACOSTE de la SELARL BRIHI KOSKAS & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Jean-Pierre DELAVENAY, président,
Monsieur Frédéric BLANC, conseiller,
Madame Hélène BLONDEAU-PATISSIER, conseillère,
Assistés lors des débats de Mme Carole COLAS,
DÉBATS :
A l'audience publique du 21 mai 2025,
Madame Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSE DU LITIGE
La société Eurodif production, spécialisée dans l'enrichissement d'uranium, est une filiale de la société anonyme (SA) Eurodif SA appartenant au groupe Orano.
Un accord d'entreprise de la société Eurodif Production en date du 16 mars 1982 prévoyait dans son article 37 " Régime de prévoyance invalidité - décès " que :
" La Société institue, par l'intermédiaire d'une Société mutualiste ou d'une société d'assurances, un régime de prévoyance assurant aux salariés un complément des prestations servies par la Sécurité Sociale en ce qui concerne la maladie.
Les garanties de ce régime sont maintenues aux retraités et aux membres de leur famille à charge au sens de la Sécurité sociale dans le cadre des dispositions en vigueur, sous réserve qu'ils en fassent la demande dans les trois mois précédant la date de liquidation de leur retraite.
La Société assure, par le même moyen, la couverture des risques Invalidité- décès des salariés
Les conditions dans lesquelles interviennent ces organismes font l'objet de Textes de Base intérieurs".
Les régimes de protection sociale complémentaires ont par la suite été modifiés à plusieurs reprises, et étaient en dernier lieu prévus par les accords collectifs suivants :
- Pour la mutuelle : l'accord relatif au contrat de frais de santé (ACSS) Eurodif production du 29 décembre 2008, dont l'article 2.1 définit les salariés bénéficiaires dans termes suivants :
" Le présent accord concerne l'ensemble salariés d'Eurodif Production.
[']
L'adhésion est également maintenue au personnel en situation de pré-retraite, dite TB6, au
personnel ayant adhéré au dispositif CATS, et aux retraités. "
Et l'article 4, intitulé " financement du régime " précise : " Les cotisations du contrat frais de santé sont intégralement prises en charge par l'entreprise tel que posé dans les dispositions de l'article 37 de la convention collective d'entreprise Eurodif Production de mars 1982 ".
- Pour la prévoyance : l'accord relatif au contrat de prévoyance (GID) Eurodif production en date du 29 décembre 2008, dont l'article 2.1 définit les salariés bénéficiaires dans termes suivants :
" Le présent accord concerne l'ensemble salariés d'Eurodif Production.
[...]
L'adhésion est également maintenue au personnel en situation de pré-retraite dite TB6, au personnel ayant adhéré au dispositif CATS, et aux retraités, jusqu'à la fin du trimestre civil correspondant au 65ème anniversaire. "
Et l'article 4, intitulé " financement du régime " précise : " Les cotisations du contrat garantie invalidité décès sont intégralement prises en charge par l'entreprise tel que posé dans les dispositions de l'article 37 de la convention collective d'entreprise Eurodif Production de mars 1982 ".
L'ensemble des salariés, en activité ou en pré-retraite, ainsi que les retraités, bénéficiaient ainsi d'un régime de mutuelle jusqu'à leur décès et d'une garantie invalidité-décès jusqu'à leur 65ème anniversaire, intégralement financés par l'employeur.
La société Eurodif production a fait l'objet d'une fusion/absorption par la société Orano cycle avec effet au 1er janvier 2020.
Le 31 décembre 2020, la société Orano cycle a transféré l'ensemble de son activité de chimie enrichissement à une autre entité juridique dénommée Orano chimie-enrichissement, qui vient aux droits de la société Orano cycle, elle-même venant aux droits de la société Eurodif production (la société Orano).
A l'occasion de cette opération de fusion/absorption, la société Orano cycle a décidé de supprimer le financement par l'entreprise du régime frais de mutuelle et de garantie invalidité-décès des salariés et retraités.
Le 8 janvier 2020, les syndicats ont demandé à l'entreprise d'ouvrir une négociation sur la conclusion d'un accord de substitution.
Aucun accord de substitution n'a pu être signé avant l'opération de fusion/absorption, ni dans les 15 mois suivants la fusion.
Par actes d'huissier de justice du 09 janvier 2020, le comité social économique de la société Eurodif production, le comité social économique de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'énergie atomique de Tricastin CFDT, le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin ont assigné la société Eurodif production et la société Orano cycle devant le tribunal judiciaire de Valence, au visa des articles L 2132-3, L 2261-14, L 2262-11, L 2312-78 et suivants du code du travail, L 911-1 du code de la sécurité sociale, 1103 et 1104 du code civil, 515, 700 et 788 du code civil, L 131-1 du code des procédure civiles d'exécution.
Le 10 juillet 2020, la société Orano a dénoncé l'engagement unilatéral invoqué à son encontre à propos du financement du régime frais de santé et du régime de prévoyance avec effet au 1er avril 2021.
Par ordonnance du 24 septembre 2020, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Valence a notamment :
- Rejeté l'exception de nullité soulevée par la société Orano Cycle, agissant pour son propre compte ainsi que pour le compte de la société Eurodif ;
- Renvoyé l'affaire à l'audience collégiale du 06 octobre 2020, sans clôture de l'instruction, afin
qu'il soit statué par la formation de jugement sur les fins de non-recevoir soulevée par la société Orano Cycle agissant pour son propre compte ainsi que pour le compte de la société Eurodif et, le cas échéant, sur les questions de fond préalables à leur règlement.
Par jugement du 28 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Valence a notamment :
- dit que le comité social et économique de la SA Eurodif Production n'avait plus d'existence légale,
- l'a dit en conséquence irrecevable en son action dirigée à l'encontre de la SA Orano Cycle,
- dit que le comité social et économique de la SA Orano Cycle n'avait pas qualité à agir concernant la demande visant à obtenir le respect par la SA Orano Cycle de l'engagement unilatéral allégué,
- l'a dit en conséquence irrecevable à agir en ce qui concerne ce chef de demande,
- débouté la SA Orano Cycle du surplus de ses fins de non-recevoir.
Par jugement en date du 31 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Valence a :
- Constaté que la demande tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture du 10 septembre 2021 est sans objet ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à maintenir le financement à sa charge de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif Production ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, jusqu'à leur décès;
- Dit n'y avoir lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au Syndicat CGT Eurodif Production, au syndicat du personnel de l'Energie
atomique de [Adresse 8] CFDT et au Syndicat Force Ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 3.000 euros chacun en réparation du préjudice subi par la collectivité de travail qu'ils représentent ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au comité social économique de la société Orano Cycle, au syndicat CGT
Eurodif Production, au syndicat du personnel de l'Energie atomique de [Adresse 8] CFDT et au syndicat Force Ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 2.000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement aux entiers dépens de l'instance ;
- Rejeté le surplus des demandes ;
- Ecarté l'exécution provisoire de droit prévue par l'article 514 du code de procédure civile.
Le jugement a été signifié à la société Orano chimie-enrichissement par acte d'huissier de justice en date du 13 février 2023 remis à personne morale.
Par déclaration en date du 14 février 2023, la société Orano chimie-enrichissement a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
Par déclaration en date du 13 mars 2023, le comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement venant aux droits de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin ont également interjeté appel à l'encontre du jugement du 31 janvier 2023.
Par ordonnance en date du 6 juin 2023, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des deux procédures sous le numéro RG 23/00689.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 14 avril 2025, la société Orano chimie-enrichissement sollicite de la cour de :
" Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Valence du 31 janvier 2023 en ce qu'il a condamné l'appelante à :
- maintenir le financement à sa charge de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif Production ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020 jusqu'à leur décès ;
- verser aux intimés 3.000 € chacun en réparation du préjudice subi par la collectivité de travail qu'ils représentent ;
- verser aux intimés 2.000 € chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- payer les entiers dépens de l'instance.
Le confirmer pour le surplus.
Statuant à nouveau,
Débouter les organisations syndicales et le comité social et économique de l'intégralité de leurs demandes ;
Subsidiairement, réduire substantiellement les dommages et intérêts demandés ;
En tout état de cause, les condamner à payer les dépens qui seront recouvrés par le cabinet Follet et Rivoire Avocats en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamner chacun des intimés à payer à l'appelante 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. "
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 avril 2025, le comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement venant aux droits de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin sollicitent de la cour de :
" Juger le Comité Economique de la société Orano Chimie Enrichissement, le Syndicat CGT Eurodif Production, le Syndicat du personnel de l'Energie atomique de [Adresse 8] CFDT et le Syndicat Force Ouvrière Orano Tricastin recevables et bien fondés en leur appel incident, fins
et conclusions,
Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valence du 31 janvier 2023 en ce qu'il a :
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production à maintenir le financement à sa charge de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif Production, ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, jusqu'à leur décès,
- Condamné la Société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au comité social économique de la société Orano Cycle, au syndicat CGT Eurodif Production, au syndicat du personnel de l'Energie atomique du Tricastine CFDT et au Syndicat Force Ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 2.000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production aux entiers dépens ;
Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valence du 31 janvier 2023 en ce qu'il
a :
- Limité la condamnation de la société Orano Chimie-Enrichissement venant aux droits de la société Eurodif Production à maintenir le financement à sa charge de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif Production, aux seuls salariés ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, jusqu'à leur décès,
- Dit n'y avoir lieu à assortir la condamnation d'une astreinte,
- Limité la condamnation de la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au syndicat CGT Eurodif Production, au Syndicat du personnel de l'Energie atomique du Tricastine CFDT et au Syndicat Force Ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 3.000 euros chacun en réparation du préjudice subi par la collectivité de travail qu'ils représentent.
- Rejeté le surplus des demandes,
Statuant à nouveau,
- Condamner la société Orano Chimie-Enrichissement venant aux droits de la société Eurodif Production, à respecter son engagement et celui du groupe de maintenir le financement, à sa charge exclusive, des régimes de protection sociale complémentaire applicables dans l'entreprise, au bénéfice des pré-retraites et retraités de la société Eurodif Production et qui ont fait valoir leurs droits à retraite ou à pré-retraite au sein d'Eurodif Production, pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur décès s'agissant de la garantie frais de santé et jusqu'à leur 65ème anniversaire s'agissant de la garantie prévoyance/ décès,
- Ordonner à la société Orano Chimie - Enrichissement venant aux droits de la Société Eurodif Production de régulariser l'adhésion et de payer les cotisations dues au titre de régimes de protection sociale complémentaire de frais de santé applicable au sein de l'entreprise, ou tout autre régime au moins équivalent au bénéfice des pré-retraites et retraités de la Société Eurodif Production et qui ont fait valoir leurs droits à retraite ou à pré-retraite avant le 10 juillet 2020, auprès des organismes assureurs en charge desdits régimes de protection sociale complémentaires, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, jusqu'à leur décès,
- Condamner la société Orano Chimie - Enrichissement venant aux droits de la Société Eurodif Production à régulariser les cotisations dues au titre du régime de protection sociale complémentaire de prévoyance lourde " prévoyance/décès " applicable au sein de l'entreprise, ou tout autre régime au moins équivalent au bénéfice des pré-retraites et retraités de la Société Eurodif Production et qui ont fait valoir leurs droits à retraite ou à pré-retraite avant le 10 juillet 2020, auprès des organismes assureurs en charge des régimes de protection sociale complémentaires applicables au sein de l'entreprise, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, jusqu'à leur 65ème anniversaire,
- Ordonner à la société Orano Chimie - Enrichissement venant aux droits de la Société Eurodif Production à régulariser les cotisations dues au titre du régime de protection sociale complémentaire de prévoyance lourde " prévoyance/décès " applicable au sein de l'entreprise, ou tout autre régime au moins équivalent au bénéfice des pré-retraites et retraités de la Société Eurodif Production et qui ont fait valoir leurs droits à retraite ou à pré-retraite avant le 10 juillet 2020 auprès des organismes assureurs en charge des régimes de protection sociale complémentaires applicables au sein de l'entreprise, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, jusqu'à leur 65ème anniversaire,
- Assortir ces condamnations d'une astreinte de 15.000€ par jour de retard et par infraction, qui
commencera à courir dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- Se réserver la liquidation de l'astreinte, sur simple requête, sur le fondement de l'article L131-3 du Code des procédures civiles d'exécution ;
- Condamner la société Orano Chimie - Enrichissement venant aux droits de la Société Eurodif Production, à verser à chacun des syndicats requérants la somme de 25 000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la violation délibérée de l'obligation de loyauté sur le respect des engagements pris à l'égard de la collectivité de travail qu'ils représentant.
- Condamner la société Orano Chimie - Enrichissement venant aux droits de la Société Eurodif Production aux entiers dépens de la présente instance, ainsi qu'à verser au titre de l'article 700 du Code de procédure civile une somme de 20.000,00 € HT à chacun des requérants ;
- Débouter la société Orano Chimie-Enrichissements de l'ensemble de ses demandes. ".
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient, au visa de l'article 455 du code de procédure civile, de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 mai 2025.
L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 21 mai 2025, a été mise en délibéré au 9 septembre 2025.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1 - Sur les prétentions fondées sur la violation d'un engagement unilatéral
A titre liminaire, la cour constate qu'au soutien de leur action, le CSE et les syndicats invoquent un moyen tiré d'une violation d'un engagement unilatéral devenu avantage de retraite et non pas un moyen tiré d'une violation d'un accord collectif au visa de l'article L 2261-14.
Aussi, il n'est pas discuté que les accords collectifs, mis en cause par l'effet de la fusion, ont cessé de produire effet au terme de la période de maintien légal de l'accord collectif résultant des dispositions de l'article L. 2261-14 du code du travail, soit le 31 mars 2021.
Dès lors, aucune prétention n'étant fondée sur un maintien du bénéfice des accords collectifs portant mise en place des régimes de protection sociale complémentaire au sens de l'article L.911-1 du code de procédure civile, les moyens développés sur les effets de la dénonciation des accords collectifs sont inopérants.
1.1 - Sur l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur
Premièrement, l'engagement unilatéral se définit comme la manifestation de volonté, claire et non équivoque, de son auteur, en l'occurrence de l'employeur, de faire naître une obligation à sa charge au profit de celui ou de ceux envers qui il s'engage.
L'auteur de l'engagement unilatéral détermine seul l'objet et les conditions de cet engagement.
Les engagements résultant de telles décisions unilatérales ont force obligatoire.
Lorsqu'un engagement unilatéral est invoqué, les juges du fond en apprécient souverainement l'existence en fonction des éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis (Soc., 3 mai 2018, pourvoi n°17-11.768).
Deuxièmement, lorsqu'un accord collectif ayant le même objet qu'un engagement unilatéral ou un usage est conclu entre l'employeur et une ou plusieurs organisations représentatives de l'entreprise, cet accord a pour effet de mettre fin à l'engagement unilatéral ou à l'usage (Soc., 26 janvier 2005, pourvoi n°02-47.507 concernant le cas d'un usage).
En l'espèce, le CSE et les syndicats invoquent non pas un engagement unilatéral de l'employeur de prendre en charge le financement du régime de mutuelle jusqu'au décès et de la garantie prévoyance/décès jusqu'au 65ème anniversaire, mais l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur de maintenir les régimes de protection sociale complémentaire applicables dans l'entreprise, postérieurement à la cessation de l'activité de la société Eurodif production et partant, après expiration du délai de maintien légal de l'accord collectif résultant de l'application de l'article L 2261-14 du code du travail.
Il convient d'examiner les éléments produits en respectant la chronologie des actes visés.
D'une première part, le procès-verbal du conseil d'administration de la société Eurodif production en date du 21 juin 2006 a retracé l'échange suivant :
" M. [R] souhaite savoir ce qu'il adviendra de l'assurance complémentaire de sécurité sociale dont le bénéfice est accordé à vie aux retraités d'Eurodif Production, lorsque la société disparaitra '
M. [I] répond qu'Eurodif honorera ses engagements et qu'Eurodif production existera a minima jusqu'à la fin de la phase de démantèlement soit d'ici 2022-2025. En accord avec M. [J], il propose que la valorisation de cet engagement soit confiée à des actuaires et qu'une réflexion soit menée pour répondre précisément à cette question ".
Et le procès-verbal du conseil d'administration du 14 février 2007 consigne : " M. [I] précise que la réunion qui suit le présent conseil avec les représentations des organisations syndicales d'Eurodif production traitera notamment de ces questions. Il indique que les accords signés par d' Eurodif production seront respectés. d'Eurodif production cessera certes d'exister un jour, Areva cessera peut-être un jour d'exister, quoiqu'il en soit il tient à rappeler que pour les entités qui existeront les accords seront respectés.
M. [E] précise que dans l'hypothèse où Eurodif production et Eurodif SA disparaissaient, la société mère reprendrait les garanties dûes. [']
M. [I] précise que l'étude est en cours mais que sur le principe l'engagement pris en 1982 n'est pas remis en cause ".
Il en ressort la volonté clairement exprimée par M. [E], en sa qualité de directeur général délégué de la société Eurodif production, de maintenir les garanties au titre des frais de santé, l'engagement pris en 1982 faisant nécessairement référence, dans ce contexte, à l'accord d'entreprise du 16 mars 1982, y compris en cas de disparition de la société reprise par une société mère, ce dont il se déduit qu'il s'engageait à maintenir les garantie de financement de l'assurance complémentaire sécurité sociale après expiration du délai de maintien légal des effets de l'accord collectif.
Cependant, aucune précision n'est apportée quant au maintien de la garantie concernant la prévoyance.
D'une deuxième part, selon un courrier en date du 21 février 2007 adressé au secrétaire du CSE, M. [E] indique : " Eurodif production s'engage à maintenir le système d'Assurance Complémentaire Sécurité Sociale (Mutuelle) pour les salariés actuels et les retraités. [']
Les engagements d'Eurodif production seront repris par Eurodif SA si Eurodif production venait à s'arrêter définitivement (après démantèlement). Les engagements d'Eurodif SA seraient repris par Areva si Eurodif SA venait à disparaitre. ".
En outre, il précisait que " Les engagements financiers correspondant à ces passifs sociaux figurent dans les comptes consolidés d'Areva ".
Ce courrier, répondant à la question " Que deviennent les engagements concernant l'Assurance Complémentaire et les droits TB6 à la date d'arrêt d'Eurodif Production " et qui fait suite à la réunion du conseil d'administration susvisé, indique donc clairement, tel que relevé par le premier juge, qu'Eurodif production s'engageait à maintenir le système d'assurance complémentaire sécurité sociale (mutuelle) pour les salariés et les retraités, ce qui inclut à la fois le régime d'assurance et son financement.
Cependant, aucune précision n'est apportée quant au maintien de la garantie concernant la prévoyance.
Et la société Orano ne peut sérieusement soutenir que cet engagement n'aurait été pris que dans le cadre de l'application des accords collectifs de 1982 alors que le courrier de M. [E] répond expressément à l'hypothèse d'une cessation de l'activité de la société Eurodif production, et vise le cas d'une mise en cause des accords par l'effet d'une disparition de la société.
D'une troisième part, aux termes d'un courrier en date du 15 avril 2008 adressé aux délégués syndicaux, M. [Y], en qualité de directeur général délégué de groupe Areva, devenu Orano, indique : " En réponse à vos demandes et interrogations concernant les dispositions sociales applicables au sein d' Eurodif production, je vous confirme par la présente que les durées d'anticipation validées au titre de la préretraite des Services Continus/ travaux pénibles, dite " TB6 " seront conservées et que les droits correspondants seront honorés en application de nos obligations légales, y compris après la cessation d'activité de la société Eurodif production.
Il en va de même pour ce qui concerne le financement employeur du régime complémentaire de frais de santé durant la période de retraite pour les salariés prenant leur retraite à Eurodif production ".
Il en ressort clairement, tel que constaté par le premier juge, que la société Areva a confirmé son engagement à maintenir le financement employeur du régime complémentaire des frais de santé pour les retraités après la cessation d'activité de la société Eurodif production, et par voie de conséquence, dans le cas d'une mise en cause des accords par l'effet d'une disparition de la société.
Cependant, ici encore, aucune précision n'est apportée quant au maintien de la garantie concernant la prévoyance.
Il convient de relever que les termes de ce courrier ne visent nullement les négociations relatives à l'accord collectif intitulé " accord passerelle ", signé le 5 août 2008, sur les conditions de mobilité des salariés entre Eurodif production et la société d'Enrichissement du Tricastin SAS (SET), de sorte que la société Orano cycle prétend à tort que cet accord se serait substitué à la lettre du 15 avril 2008 pour y être annexé.
En outre, cet accord du 5 octobre 2008 ne vise pas le même objet que l'engagement unilatéral pris par l'employeur puisqu'il porte, non pas sur la garantie des frais santé mais sur le bénéfice du dispositif de cessation anticipée d'activité, dit TB6, en cas de mobilité au sein d'une autre entité du groupe.
D'une quatrième part, la société Orano soutient à tort que l'accord d'entreprise du 29 décembre 2008 a mis fin aux engagements pris par l'employeur dans les deux lettres susvisées du 21 février 2007 et du 15 avril 2008 en ce qu'il a le même objet.
Ainsi, l'accord d'entreprise du 29 décembre 2008 relatif au contrat frais de santé prévoit en son article 1er intitulé " Objet " : " Le présent accord a pour objet l'adhésion des salariés visés à l'article 2 ci-après, au contrat collectif d'assurance souscrit à cet effet par l'entreprise auprès d'un organisme habilité, sur la base des garanties et de leurs modalités d'application résumées en annexe ".
Or, il résulte de ce qui précède que les deux lettres des 21 février 2007 et 15 avril 2008 concernent certes le régime des frais de santé des salariés et des retraités, mais visent, contrairement à l'accord d'entreprise du 29 décembre 2008, le cas d'une disparition de la société Eurodif production, et donc l'hypothèse d'une mise en cause des accords, contrairement à l'accord d'entreprise du 29 décembre 2008.
D'une cinquième part, la société Orano soutient vainement que des négociations engagées depuis 2011 en vue de remplacer le régime frais de santé mis en place par Eurodif production par celui en vigueur au sein du groupe dénient l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur, alors que l'existence de négociations ne suffit pas à remettre en cause l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur.
D'une sixième part, le CSE et les syndicats se prévalent d'un document intitulé " Annexe n°3 - Engagement des directions d'Eurodif production et d'Areva Tricastin " signé le 28 mars 2013 par M. [U] pour Eurodif production et M. [L] pour Areva Tricastin, selon lequel les dirigeants s'engageaient " A maintenir la possibilité jusqu'à minima le 15 mars 2017, à tous les actuels salariés d'Eurodif production partant à la retraite avant cette date, de bénéficier à titre volontaire de la prévoyance complémentaire (frais de santé et régime incapacité, invalidité, décès) telle que définie dans la convention d'entreprise ".
Toutefois, cet engagement précise expressément qu'il est signé " Dans le cadre des projets de simplification des structures juridiques des entités du Tricastin, en cas de fusion entre les sociétés Eurodif production et Areva NC avant le terme de l'actuelle convention d'entreprise d'Eurodif production (15 mars 2017) ", de sorte que l'engagement était expressément limité au cas d'une fusion devant intervenir avant le 15 mars 2017, ce qui n'a pas été le cas, tel que relevé par le premier juge.
D'une septième part, c'est par un moyen inopérant que la société Orano invoque les conditions d'exonération des cotisations de sécurité sociale du financement des régimes de protection sociale complémentaire tels que fixées par les dispositions de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale, qui sont sans incidence sur la réalité et l'étendue de l'engagement de l'employeur de maintenir le financement des frais de santé.
D'une huitième part, l'existence de l'engagement pris par l'employeur de maintenir la garantie des frais de santé en cas de cession ou fusion de l'entreprise est corroborée par le fait que dans le cadre de l'opération de fusion, la société Orano a bénéficié d'une garantie financière lui permettant de couvrir l'ensemble des engagements repris par l'effet du transfert, dont ceux résultant de la prise en charge de la mutuelle à vie et de la prévoyance jusqu'à 65 ans.
En effet, le CSE et les syndicats démontrent que la société Eurodif production, aux droits de laquelle vient la société Orano cycle, a bénéficié d'une augmentation de capital de 204,3 millions en complément d'une provision déjà existante de 60 millions d'euros, et que ce financement était destiné à couvrir l'ensemble de ses engagements, dont ceux concernant les frais de santé et la garantie invalidité/ décès avant de réaliser l'opération de fusion/absorption.
Ainsi, il ressort du procès-verbal de la réunion du conseil d'administration d'Eurodif production en date du 8 octobre 2019 que M. [P], président, expliquait, concernant le projet de cession :
" Pour réaliser cette opération, il est apparu que l'ensemble des passifs sociaux dans les comptes d'Eurodif production devaient être provisionnés préalablement à la cession. ['] Ainsi sur les 260 millions d'euros à provisionner, seulement 60 millions l'étaient dans les comptes sociaux d'Eurodif production. Il a donc été décidé de passer le complément de provisions avec pour résultat des comptes fortement négatifs de l'ordre de -200M€ pour Eurodif production.
Orano cycle ne pouvant pas reprendre une société en l'état, il s'est avéré nécessaire de procéder à une augmentation préalable du capital social d'Eurodif production par Eurodif SA. ".
Interrogé sur la question de savoir sur les 200 millions d'euros de capitalisation concernaient les acquis sociaux, il précisait que " le montant de 200 millions d'euros, c'est un complément car en totalité les engagements sociaux représentant 260 millions d'euros (cela concerne la population " TB 6 ", la GID, la mutuelle, les indemnités de fin de carrière, et la médaille du travail valorisés au 31 août 2019 par les actuaires du Groupe). " ajoutant que cet engagement était calculé " sur la base des accords sociaux actuels ".
Quoiqu'il ait pris soin de préciser que cette augmentation de capital était destinée à répondre à des exigences juridiques et fiscales, la négociation sociale étant menée en parallèle, cet engagement financier confirme l'existence de cet engagement unilatéral, indépendamment de l'intervention éventuelle d'un nouvel accord d'entreprise.
Aussi, aux termes du rapport du conseil d'administration à l'assemblée générale extraordinaire du 23 octobre 2019, il était précisé " La garantie financière d'Eurodif SA sur les passifs sociaux d'Eurodif production prendra fin par effet de la cession des titres d'Eurodif production. En conséquence la société comptabilisera dans ses comptes sociaux la totalité des engagements sociaux estimés au 31 août 2019 à 260,5 millions d'euros contre 59,0 millions d'euros provisionnés au 30 décembre 2018 entraînant une dégradation de sa situation nette de plus de 200 millions d'euros. Pour rétablir la situation nette de la société préalablement à la cession, le conseil d'administration demande à Eurodif SA en sa qualité d'actionnaire de souscrire à une augmentation de capital de la société pour un montant de 204,3 millions d'euros. ".
Encore, le traité de fusion signé le 30 octobre 2019 entre Orano cycle et Eurodif production prévoit que " La société Orano cycle sera tenue à l'acquittement de la totalité du passif de la société absorbée, dans les termes et conditions où il est et deviendra exigible, au paiement de tous intérêts et à l'exécution de toutes les conditions d'actes et titres de créances pouvant exister, sauf à obtenir, de tous les créanciers, tous accords modificatifs de ces termes et conditions ".
Et les comptes des sociétés établis au 31 décembre 2018 après validation des commissaires aux comptes, annexés au traité de fusion, font apparaître, au titre des engagements sociaux, un montant total de 258 236 milliers d'euros en 2017, dont 82 316 milliers d'euros pour " ACSS et GID " correspondant à la garantie assurance complémentaire sécurité sociale et à la garantie prévoyance/décès.
Il en résulte que les engagements de maintien du financement des régimes de frais de santé et de prévoyance vis-à-vis des retraités de la société Eurodif production ont été évalués dans le passif de la société avant l'opération de fusion, et garantis par une augmentation du capital social de la société absorbée, la société absorbante s'étant engagée à s'acquitter de la totalité de ce passif.
Il s'évince de l'ensemble des éléments versés aux débats à la présente instance que l'employeur a expressément, comme soutenu par les intimés, pris l'engagement clair et non équivoque de maintenir le financement à 100% du régime de mutuelle des salariés et retraités jusqu'à leur décès en cas de mise en cause de l'accord collectif des suites d'une disparition de la société Eurodif production.
En revanche, si la garantie prévoyance/décès a été financée dans les mêmes conditions que le régime mutuelle, aucun engagement clair et non équivoque ne ressort des éléments ci-dessus exposés concernant le maintien du régime de prévoyance financé par l'employeur jusqu'au 65ème anniversaire du salaire en cas de cession ou de fusion de l'entreprise après expiration du délai de maintien légal de l'accord collectif.
Aussi, la dénonciation faite selon les termes du courrier du 10 juillet 2020 " en tant que de besoin, de l'engagement de maintenir le financement des régimes de protection sociale complémentaire au bénéficie des salariés et retraités, tel qu'indiqué dans l'assignation reçue le 9 janvier 2020 " ne permet de caractériser la reconnaissance par l'employeur d'un tel engagement dès lors que les termes employés expriment au contraire les doutes de l'employeur quant à l'existence d'un tel engagement, qui n'est envisagé qu'à titre hypothétique.
Enfin, il y a lieu de constater qu'aucun accord de substitution a mis fin à l'engagement unilatéral pris par l'employeur de maintenir le financement à 100% du régime de frais de santé des salariés et des retraités, postérieurement à la disparition de la société Eurodif production et de l'expiration du délai légal de survie de l'accord collectif.
1.2 - Sur l'opposabilité de l'engagement unilatéral à la société Orano Chimie Enrichissement
L'article L 1224-1 du code du travail énonce :
Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
Dans ce cas, le nouvel employeur est tenu d'appliquer les engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur à l'égard des salariés dont le contrat était en cours au jour du transfert. (Soc., 7 déc. 2005, no 04-44.594).
En l'espèce, l'engagement unilatéral pris par la société Eurodif production de maintenir, après sa disparition, le financement du régime de mutuelle pour les salariés actifs ou en situation de retraite jusqu'à leur décès, a été transféré de plein droit à la société absorbante Orano cycle, et reprise par la société Orano chimie-enrichissement.
Au demeurant, il a été vu précédemment que cet engagement avait fait l'objet d'un financement par voie de recapitalisation de la société cédée, préalablement à l'opération de fusion/absorption, révélant que la société cédante et la société absorbante connaissaient précisément l'existence et l'étendue des obligations résultant de cet engagement.
Et c'est par un moyen inopérant que la société Orano invoque les conséquences d'une application volontaire d'une convention collective dès lors que l'obligation litigieuse ne résulte pas d'un accord collectif mais d'un engagement unilatéral de l'employeur.
1.3 - Sur les effets de la dénonciation de l'engagement unilatéral
Par courrier en date du 10 juillet 2020, la société Orano a envoyé une dénonciation rédigée comme suit: " Il est mis fin aux régimes Frais de santé et Prévoyance définis par l'Accord relatif au contrat Frais de Santé (ACSS) Eurodif production du 29 décembre 2008 et par l'accord relatif au contrat de prévoyance (GID) Eurodif production du 29 décembre 2008 et à la prise en charge intégrale par l'entreprise des cotisations correspondantes pendant la durée de la retraite, que cette prise en charge résulte ou non d'un engagement unilatéral d'Eurodif production ".
Les parties conviennent que cette dénonciation est opposable aux salariés issus de la société Eurodif production.
En revanche, elles divergent quant à l'opposabilité de cette dénonciation aux retraités et pré-retraités de la société Eurodif production, laquelle dépend de l'analyse de l'avantage résultant de la prise en charge des frais de santé, le CSE et les syndicats invoquant les règles spécifiques applicables en matière d'avantage retraite alors que la société Orano soutient que le maintien du financement des régimes frais de santé pour d'anciens salariés devenus retraités ne constitue pas un avantage retraite.
Premièrement, il n'est pas discuté qu'un avantage instauré par décision unilatérale de l'employeur peut être révisé ou supprimé à effet immédiat dès lors que les représentants du personnel ont été préalablement informés, que les bénéficiaires ont reçu une information individualisée écrite et qu'un délai de préavis suffisant permettant l'engagement d'éventuelles négociations a été respecté (Soc. 25 février 1988, pourvoi n°85-40.821), et que par exception, la dénonciation par l'employeur d'un engagement unilatéral accordant un avantage de retraite est inopposable aux retraités après la liquidation de la retraite (Soc. 30 novembre 2004, pourvoi n°02-45.367).
Deuxièmement, pour qu'un avantage soit qualifié d'avantage de retraite, il est nécessaire, d'une part, que l'avantage financier soit financé par l'employeur et, d'autre part, que l'avantage financier soit accordé par l'employeur à ses anciens salariés retraités postérieurement à la liquidation de leur retraite.
Ainsi, le Mensuel de droit du travail de la Cour de cassation de mai 2014 retient qu'il s'agit de " toute somme, qu'elle soit versée par une institution gestionnaire d'un régime de retraite ou directement par l'employeur, attribuée, en raison de sa qualité de retraité, à un ancien salarié ayant fait liquider ses droits à pension de retraite du régime général de la sécurité sociale ".
Troisièmement, en matière d'avantage retraite, la jurisprudence retient qu'une fois accordé, un avantage retraite ne peut être remis en cause après la liquidation de la retraite, sauf nouvel accord collectif (Soc., 30 novembre 2004, n°02-45.367 ; Soc., 12 mai 2009, n°07-44.625).
Aussi, il est jugé que si la dénonciation par l'employeur de l'avantage de retraite consenti par voie d'usage ou d'engagement unilatéral ne peut remettre en cause cet avantage pour les salariés retraités, en revanche, dès lors que les syndicats représentent aussi les retraités et non seulement les salariés en activité, un accord collectif de substitution peut mettre fin à cet avantage, y compris pour les retraités (Soc., 20 mai 2014, n°12-26.322).
Il est également jugé que seul un accord collectif conclu entre l'employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans l'entreprise qui ont vocation à négocier pour l'ensemble des salariés et anciens salariés peut apporter, de façon opposable aux anciens cadres salariés adhérents de l'association, des modifications au régime de retraite surcomplémentaire à prestations définies et garanties (Soc. 19 janvier 2022 n°19-23.272).
En l'espèce, l'analyse de l'engagement unilatéral de l'employeur de maintenir, après la disparition de la société Eurodif production, le financement du régime mutuelle à 100% pour les salariés actifs ou en situation de retraite jusqu'à leur décès, transféré de plein droit à la société absorbante Orano cycle, et reprise par la société Orano chimie-enrichissement, impose d'analyser l'avantage défini par l'accord collectif relatif au contrat de frais de santé du 29 décembre 2008.
D'une première part, il est établi que l'avantage litigieux se traduit par la prise en charge à 100% par l'employeur des cotisations du contrat de frais de santé du salarié retraité jusqu'à son décès, de sorte qu'il s'agit d'un avantage pécuniaire résultant de paiements effectués par l'employeur bénéficiant au salarié retraité.
D'une deuxième part, c'est par un moyen inopérant que la société Orano objecte qu'elle versait le paiement des cotisations à un organisme tiers et non pas directement au salarié retraité.
En effet, cette prise en charge mensuelle de frais de santé constitue un complément de pension de retraite, peu important qu'elle soit payée directement à la mutuelle pour exonérer les bénéficiaires de leur cotisation (Soc., 27 avril 2000, n°98-14.241).
D'une troisième part, la société Orano objecte que chaque retraité avait la possibilité d'accepter ou de refuser d'adhérer à la mutuelle pour en déduire que la cause du versement de l'avantage ne résultait pas de la qualité de retraité mais de son adhésion à la mutuelle.
L'article 37 de la convention d'entreprise du 16 mars 1982 énonce que " Les garanties de ce régime sont maintenues aux retraités et aux membres de leur famille à charge au sens de la sécurité sociale dans le cadre des dispositions en vigueur, sous réserve qu'ils en fassent la demande dans les trois mois précédant la date de liquidation de leur retraite ".
Et l'accord collectif du 29 décembre 2008 prévoit " Pour les assurés liquidant leur retraite à compter du 1er janvier 2008, les demandes d'affiliation individuelle doivent être adressées à l'assureur dans les trois mois précédant la date de liquidation de leur pension retraite. Le dépassement visé ci-dessus entraîne la forclusion définitive ".
Il en ressort que la cause principale du bénéfice de cet avantage résulte de la qualité de retraité, la démarche volontaire des salariés souscripteurs s'analysant en une condition susceptible de priver le bénéficiaire de cet avantage par l'effet d'une forclusion, l'avantage n'étant pas automatiquement obtenu par le seul fait de liquidation des droits à la retraite.
D'une quatrième part, la société Orano soutient vainement qu'il s'agirait d'un avantage collectif dès lors que chacun des salariés de l'entreprise en bénéficie à titre individuel, l'employeur prenant en charge les cotisations dues pour chacun des retraités à titre personnel.
D'une cinquième part, il n'est pas discuté qu'aucun accord collectif de substitution décidant de mettre fin à cet avantage pour les retraités n'est intervenu.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'engagement unilatéral de l'employeur de maintenir la prise en charge des frais mutuelle des salariés retraités jusqu'à leur décès s'analyse en un avantage de retraite.
Dès lors qu'il constitue un avantage retraite, cet engagement unilatéral ne peut être remis en cause par une dénonciation de la part de l'employeur.
L'acte de dénonciation du 10 juillet 2020 est donc inopposable aux anciens salariés ayant liquidé leur droit à la retraite.
S'agissant des salariés en situation de préretraite, le dispositif prévu par l'accord du 28 juin 2016 relatif à la cessation anticipée d'activité définit :
- une suspension des contrats de travail des salariés préretraités, dispensés de présence et d'activités professionnelles dans la société jusqu'à leur départ à la retraite,
- l'engagement des bénéficiaires à partir à la retraite " le 1er juin 2026, date prévisionnelle à laquelle vous serez en mesure de liquider votre pension de retraite du régime général de sécurité sociale à taux plein ", en notifiant leur départ à la retraite six mois avant le terme de la cessation anticipée d'activité,
- une indemnité de départ à la retraite à percevoir lors de la rupture du contrat " dont le barème et l'assiette sont définis par les dispositions légales et conventionnelles applicables au sein de l'entreprise", déduction faite des versements partiels anticipés représentant 40% de cette indemnité.
Il en ressort que si ces salariés ont bien exprimé leur consentement à la rupture du contrat de travail, en revanche, contrairement à ce que soutiennent le CSE et les syndicats, la date d'effet du départ à la retraite n'est pas fixée de manière certaine, ni les conditions de liquidation leurs droits.
Le CSE et les syndicats invoquent vainement une décision prononcée le 22 juin 2023 (Cass. 2ème civ., 22 juin 2023, pourvoi n°21-15.803.) selon laquelle la prise en charge par l'employeur, à la place des anciens salariés en situation de préretraite, des cotisations de prévoyance et de mutuelle, dans le cadre du dispositif de départ anticipé de fin de carrière, constituait un avantage de retraite entrant dans l'assiette de la cotisation prévue à l'article L. 131-2 du code de la sécurité sociale, puisque ce régime concernait dans cette hypothèse le cas de préretraités dont le contrat de travail était rompu contrairement au cas litigieux.
Par voie de conséquence, la société Orano est fondée à soutenir que l'acte de dénonciation emporte à l'égard des préretraités les mêmes effets qu'à l'égard des salariés dont le contrat de travail n'est pas suspendu.
Il s'en déduit que l'acte de dénonciation du 10 juillet 2020 est opposable aux salariés préretraités.
Enfin, la société soulève un moyen inopérant tiré d'une différence de traitement injustifiée entre les salariés pour lesquels l'avantage a été supprimé et les retraités pour lesquels il est maintenu, cette différence étant inhérente à la qualification de l'avantage retraite.
Et s'agissant de la différence de traitement entre les anciens salariés de la société Eurodif production et ceux relevant des autres entités du groupe, la jurisprudence retient que l'obligation à laquelle est légalement tenu le nouvel employeur, en cas de transfert d'une entité économique, de maintenir au bénéfice des salariés qui y sont rattachés les droits qu'ils tiennent d'un usage en vigueur au jour du transfert, justifie la différence de traitement qui en résulte par rapport aux autres salariés (Soc., 11 janvier 2012, pourvoi n°10-14.614).
Par voie de confirmation, il y a donc lieu de condamner la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif production, à maintenir le financement, à sa charge exclusive, de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif production, ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur décès.
Le CSE et les syndicats sont déboutés de leurs demandes tendant à voir maintenir ce financement au bénéfice des préretraités. Ils sont également déboutés de leurs demandes tendant à voir maintenir le financement de la garantie prévoyance/décès des préretraités et retraités pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur 65ème anniversaire.
Il y a lieu à infirmation de ces chefs des prétentions omis du dispositif du jugement déféré.
Par infirmation, il convient de dire que la société Orano chimie-enrichissement devra justifier du maintien du financement, à sa charge exclusive, de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif production, ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur décès, dans les 90 jours suivant la notification du présent arrêt ou de l'acquiescement éventuel, sous astreinte provisoire, passé ce délai, de 2 000 euros par jour de retard pendant six mois.
2 - Sur les demandes de régularisation
Premièrement aux termes de l'article L. 2132-3 du code du travail : " Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice.
Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent. ".
Il est jugé que si un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par l'employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ou au regard du principe d'égalité de traitement et demander, outre l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l'intérêt collectif de la profession, qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin à l'irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte, il ne peut prétendre obtenir du juge qu'il condamne l'employeur à régulariser la situation individuelle des salariés concernés, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts (Soc., 22 novembre 2023, pourvoi n°22-11.238 ; Soc., soc., 22 novembre 2023, n° 22-14.807 ; Soc., 6 novembre 2024, pourvoi n° 22-21.966 ; Soc., 22 janvier 2025, pourvoi n° 23-17.782).
Deuxièmement, l'article L. 2262-11 dispose que : " Les organisations ou groupements ayant la capacité d'agir en justice, liés par une convention ou un accord, peuvent intenter en leur nom propre toute action visant à obtenir l'exécution des engagements contractés et, le cas échéant, des dommages-intérêts contre les autres organisations ou groupements, leurs propres membres ou toute personne liée par la convention ou l'accord. ".
En l'espèce, la société Orano soulève l'irrecevabilité des demandes de régularisation formées par le CSE et les syndicats en ce qu'elles ne relèvent pas de la défense de l'intérêt collectif de la profession.
Le CSE et les syndicats précisent d'abord, à juste titre, qu'ils ne sollicitent pas le paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées.
Ils relèvent ensuite exactement que pour le passé, ils ne demandent pas la régularisation des situations individuelles mais sollicitent, à leur profit, des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.
En revanche, pour l'avenir, ils demandent à voir ordonner à la société de régulariser l'adhésion et de payer les cotisations dues au titre de régimes de protection sociale complémentaire de frais de santé applicable au sein de l'entreprise, ou tout autre régime au moins équivalent au bénéfice des pré-retraites et retraités de la société Eurodif production et qui ont fait valoir leurs droits à retraite ou à pré-retraite avant le 10 juillet 2020, auprès des organismes assureurs en charge desdits régimes de protection sociale complémentaires, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, jusqu'à leur décès.
Et il en est de même s'agissant de la demande de régularisation de l'adhésion des cotisations dues pour le régime de prévoyance à compter de la signification de l'arrêt jusqu'à la 65ème année.
Ces demandes de régularisation de l'adhésion et de paiement des cotisations pour l'avenir créent nécessairement des effets de droit à l'égard des retraités à titre personnel.
Or, le Conseil constitutionnel a jugé (Décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion) que les modalités de mise en 'uvre des prérogatives reconnues aux organisations syndicales doivent respecter la liberté personnelle du salarié qui, comme la liberté syndicale, a valeur constitutionnelle et que, s'il est loisible au législateur de permettre à des organisations syndicales représentatives d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective, c'est à la condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action. (Soc., 20 avril 2023, pourvoi n° 23-40.003).
Ces demandes de régularisation pour l'avenir sont donc déclarées irrecevables, par infirmation du jugement déféré.
3 - Sur les obligations d'information, de conseil et de loyauté
Il s'évince de ce qui précède que la violation de l'engagement unilatéral de l'employeur de maintenir, après la disparition de la société Eurodif production, le financement du régime de mutuelle à 100% pour les retraités jusqu'à leur décès, a porté atteinte à l'intérêt collectif de la profession que les syndicats représentent.
En effet, si dans le cadre de l'opération de fusion/absorption la société Orano n'a pas manqué d'engager des négociations afin de remettre en cause les accords précédemment passés, elle a délibérément mis fin à l'ensemble des prises en charge, y compris la mutuelle financée par la société pour les salariés partis à la retraite à compter du 1er avril 2021, alors qu'elle était toujours tenue de la financer.
En outre, et alors même que la société Eurodif production avait obtenu de la société mère des garanties financières destinées à lui permettre de respecter cet engagement, lequel était expressément chiffré et analysé dans le traité de fusion, la société absorbante a choisi de mettre fin à cette prise en charge en dépit du financement obtenu, en violation de ses obligations à l'égard des salariés retraités qui avaient d'ores et déjà liquidé leurs droits à la retraite.
Par voie d'infirmation, il y a lieu de condamner la société Orano à réparer le préjudice subi par le paiement à chacun des syndicats d'une somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts.
4 - Sur les demandes accessoires
La société Orano, qui succombe en ses prétentions, est condamnée aux dépens de première instance, par confirmation du jugement déféré, y ajoutant les dépens d'appel.
Elle est, en outre, condamnée à payer au CSE et aux syndicats intimés une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 2 000 euros chacun en première instance, par confirmation du jugement entrepris, y ajoutant une indemnité complémentaire de 2 000 euros chacun au titre des frais exposés en cause d'appel.
Elle est déboutée de ses prétentions présentées sur le même fondement en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à maintenir le financement à sa charge de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif Production ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur décès ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au comité social économique de la société Orano Cycle, au syndicat CGT Eurodif Production, au syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et au syndicat Force Ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 2.000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejeté les prétentions de la société Orano Chimie-Enrichissement au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Orano Chimie-Enrichissement aux entiers dépens de l'instance ;
L'INFIRME pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs d'infirmation et y ajoutant,
DIT que la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif production, devra justifier du maintien du financement, à sa charge exclusive, de la garantie frais de santé des anciens salariés d'Eurodif production, ayant liquidé leurs droits à la retraite avant le 10 juillet 2020, pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur décès, dans les 90 jours suivant la notification du présent arrêt ou de l'acquiescement éventuel, sous astreinte provisoire, passé ce délai, de 2 000 euros par jour de retard pendant six mois ;
DEBOUTE le comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits du comité social économique de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin de leurs demandes tendant à voir maintenir ce financement des frais de santé au bénéfice des préretraités ;
DEBOUTE le comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits du comité social économique de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin de leurs demandes tendant à voir maintenir le financement de la garantie prévoyance/décès des préretraités et retraités pour la période du 1er avril 2021 jusqu'à leur 65ème anniversaire ;
DECLARE irrecevables les demandes de régularisations présentées par le comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits du comité social économique de la société Orano cycle, le syndicat CGT Eurodif production, le syndicat du personnel de l'Energie atomique de [Adresse 8] CFDT et le syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin ;
CONDAMNE la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif production, à verser au syndicat CGT Eurodif production, au syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et au syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice subi par la collectivité de travail qu'ils représentent ;
CONDAMNE la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif Production, à verser au comité social économique de la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits du comité social économique de la société Orano cycle, au syndicat CGT Eurodif production, au syndicat du personnel de l'Energie atomique de Tricastin CFDT et au syndicat Force ouvrière (FO) Orano Tricastin une indemnité complémentaire de 2 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel ;
DEBOUTE la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif production, de ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
CONDAMNE la société Orano chimie-enrichissement, venant aux droits de la société Eurodif production, aux entiers dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
Signé par Mme Hélène Blondeau-Patissier, conseillère substituant M. Jean-Pierre DELAVENAYprésident de chambre régulièrement empêché, et par Mme Fanny Michon, greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffière, La conseillère faisant fonction de présidente,