Livv
Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 9 septembre 2025, n° 22/02028

CHAMBÉRY

Autre

Autre

CA Chambéry n° 22/02028

9 septembre 2025

MR/SL

N° Minute

[Immatriculation 2]/502

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 09 Septembre 2025

N° RG 22/02028 - N° Portalis DBVY-V-B7G-HEN2

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 7] en date du 08 Novembre 2022

Appelante

S.C.I. LES CREPINES, dont le siège social est situé [Adresse 4]

Représentée par la SELARL EME & CUTTAZ AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY

Intimées

S.C.P. BTSG es qualité de Liquidateur Judiciaire de la SARL CAPRICES, sss [Adresse 3]

S.E.L.A.R.L. AJ UP es qualité d'Administrateur provisoire de la Copropriété [Adresse 6], dont le siège social est situé [Adresse 5]

Sans avocats constitués

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 24 Mars 2025

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 17 juin 2025

Date de mise à disposition : 09 septembre 2025

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Composition de la cour :

- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Faits et procédure

Par acte sous seing privé du 28 septembre 2011, la SCI Les Crépines a donné à bail commercial à la société Caprices un local à usage commercial d'une superficie de 80 m² composant le lot n° 7 de la galerie commerciale dénommée Centre Commercial Galion située à Bassens (73000), et comprenant une surface de vente de 80m² dont 18m² de bureaux et de toilettes ainsi que des combles à usage de stockage. Le bail commercial a pris effet le jour de sa signature et a été consenti pour une durée de 9 années moyennant un loyer initial annuel de 10.275 euros HT.

Par acte d'huissier du 26 février 2020, la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Caprices, a assigné la SCI Les Crépines devant le tribunal judiciaire de Chambéry, notamment aux fins de voir prononcer la résolution du bail commercial rétroactivement au mois d'octobre 2017.

Par acte d'huissier délivré le 31 mars 2021, la SCI Les Crépines a attrait en la cause la société AJ UP, prise en sa qualité d'administrateur provisoire de la copropriété « [Adresse 6]», laquelle n'a pas constitué avocat.

Par jugement réputé contradictoire du 8 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Chambéry, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a notamment :

- Déclaré recevables les demandes de la société BTSG ;

- Rejeté la demande de résolution du bail ;

- Dit qu'en vertu du principe d'exception d'inexécution, la société La Fée Caprice, représentée par la société BTSG n'est redevable d'aucun loyers ou indemnité d'occupation à compter du mois d'octobre 2017 inclus jusqu'à la fin du bail ;

- Ordonné une mesure d'expertise et désigne pour y procéder : M. [W] [R] [Adresse 1], 04 79 68 50 61, Mèl : [Courriel 9] lequel s'adjoindra si nécessaire tout sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne avec pour mission de :

- Convoquer toutes les parties, et leur conseil en les informant de la faculté de se faire assister ;

- Se faire communiquer toutes les pièces utiles,

- Donner son avis sur le préjudice subi par la société Caprices résultant du manque d'entretien de la galerie commerciale Galion et notamment :

- Donner son avis sur l'évaluation de la perte d'investissement(s),

- Donner son avis sur l'évaluation de la perte de chance de voir son activité prospérer du fait du manque d'entretien de la galerie commerciale,

- Renvoyé la présente affaire à l'audience de mise en état électronique du jeudi 11 mai 2023 à partir de 08h30,

- Rejeté la demande de provision ;

- Rejeté la demande relative au remboursement de charges ;

- Débouté la SCI Les Crepines de sa demande tendant à être relevée et garantie par la société AJ UP de toute condamnation pouvant intervenir à son encontre ;

- Réservé les demandes relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté toute demande plus ample ou contraire.

Au visa principalement des motifs suivants :

La carence du bailleur dans l'exécution de son obligation ayant rendu extrêmement difficile l'exercice de son activité par le preneur et se trouvant suffisamment grave, autorise celui-ci à se soustraire à son obligation de payer les loyers pour la période allant d'octobre 2017 jusqu'à la fin du bail ;

La SCI Les Crépines ne développe aucun moyen de droit ni de fait au soutien de sa demande tendant à la condamnation de la société AJ UP représentée par Me [B] ès qualités d'administrateur provisoire de la copropriété « [Adresse 6] », à la relever et garantir de toute condamnation à son encontre au titre d'un défaut d'entretien des parties communes de cette copropriété ;

La demande de remboursement des charges de copropriété, n'est chiffrée ou étayée par aucune pièce.

Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 6 décembre 2022, la SCI Les Crépines a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis en ce qu'elle a :

- Rejeté la demande de résolution du bail ;

- Dit que cette somme devra être versée par la société BTSG, ès qualités de liquidateur de la société Caprices, au régisseur de ce tribunal par virement bancaire (IBAN [XXXXXXXXXX08]) avant le 15 décembre 2022 ;

- Rappelé qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis, la désignation de l'expert sera caduque selon l'article 272 du code de procédure civile ;

- Rappelé que l'article 173 du code de procédure civile fait obligation l'expert d'adresser copie du rapport à chacune des parties, ou pour elles à leur avocat ;

- Renvoyé la présente affaire à l'audience de mise en état électronique du jeudi 11 mai 2023 à partir de 8h30,

- Rejeté la demande de provision.

La déclaration d'appel a été signifiée le 1er février 2023 à la société BTSG, ès qualités, (à étude), et à la société AJ UP, ès qualités (à personne).

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 1er mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Caprices, et la société AJ UP, ès qualités d'administrateur provisoire de la copropriété [Adresse 6], par actes d'huissier du 3 mars 2023, la SCI Les Crépines sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :

- Déclarer irrecevables et non fondées les demandes de l'Etude BTSG agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Caprices, et l'en débouter ;

A titre subsidiaire,

- Déclarer que la société AJ UP représentée par Me [B] ès qualités d'administrateur provisoire de la copropriété « [Adresse 6] » devra la relever et garantir de toute condamnation qui interviendrait à son encontre au titre d'un défaut d'entretien des parties communes de cette copropriété ;

En tout état de cause,

- Condamner la société BTSG à lui verser, outre les dépens, la somme de 5.000 euros en vertu des dispositions prévues à l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel et de première instance.

Au soutien de ses prétentions, la SCI Les Crépines fait notamment valoir que :

La société Caprices n'apporte absolument aucun élément justifiant la réalité ou l'ampleur des manquements allégués autant qu'elle n'apporte aucun élément justifiant d'un soi-disant préjudice qui découlerait directement de ces manquements dans l'exécution de ses obligations de délivrance, d'entretien et de réparation ;

La société Caprices n'a jamais été placée dans l'impossibilité d'exercer son activité et que si tel avait été le cas, elle aurait alors procédé à la fermeture de son commerce, dès lors, il n'existe aucun moyen justifiant le non-paiement des loyers ;

Elle n'a cessé d'exécuter son contrat de bonne foi et que si la société Caprices a pu rencontrer des difficultés dans l'exercice de son activité, celles-ci ne peuvent nullement lui être imputées.

Les sociétés BTSG, et AJ UP, ès qualités, n'ont pas comparu ni constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance du 24 mars 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 17 juin 2025.

MOTIFS ET DECISION

Il sera rappelé qu'en appel, en application de l'article 472 du code de procédure civile, si l'intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond, et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés et d'autre part, qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, l'intimé qui ne constitue pas (ou ne conclut pas) est réputé s'approprier les motifs du jugement.

Il doit être relevé en premier lieu que la société les Crépines, bien que prétendant à l'irrecevabilité des demandes de la société BTSG, ès qualités, ne soulève au sein de ses conclusions aucune fin de non-recevoir. Le premier chef du jugement sera en conséquence confirmé.

I- Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de bail

Aux termes de l'article 1184 du Code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige 'La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.'

Par courrier du 3 juillet 2018, la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Caprices a écrit à la société Les Crépines : 'je fais suite à votre courrier du 12 juin 2018. Compte tenu des fautes qui sont reprochées à votre mandante la SCI les Crépines dans le cadre de la procédure en cours, je vous confirme résilier le bail qui la liait à mon administrée la SARL Caprices. Le fonds étant ruiné et invendable en l'état, je vous restitue sous ce pli les clés du local.'

C'est à l'issue d'une analyse pertinente que le premier juge a retenu que la SCP BTSG pour le compte de la société Caprices avait mis fin au contrat de bail commercial, ce qui fait obstacle à la demande de résiliation judiciaire présentée, qui doit être rejetée.

II- Sur l'exception d'inexécution

L'article 1719 du code civil dispose 'Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant;

2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;

3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;

4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations.'

Il est constant que dès lors que les conditions de fond d'opposabilité de l'exception d'inexécution sont réunies, la partie intéressée peut faire jouer cette exception qui constitue une riposte à une demande d'exécution, sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure préalable. L'exception d'inexécution est un moyen invoqué en défense et à titre temporaire par un débiteur qui se borne à suspendre l'exécution de sa prestation tant que son partenaire n'aura pas lui-même rempli ses engagements. Il s'agit d'une mesure comminatoire destinée à faire pression sur le partenaire pour qu'il exécute ses engagements. Elle suspend simplement l'exigibilité de la créance contre l'excipiens jusqu'au paiement par l'autre partie de ses propres dettes : elle est un moyen de geler, à titre provisoire un rapport synallagmatique, en attendant qu'un événement nouveau mette fin à ce blocage.

Le contrat de bail commercial signé entre les parties le 14 avril 2011 stipulait 'Le preneur prendra les lieux loués tels qu'ils existent et se comportent sans pouvoirréclamer au bailleur quelque indemnité que ce soit fut-ce pour vétusté ou erreur dans les désignations et contenances. (...) Le preneur ne pourra exiger du bailleur aucune réparation autre que celles visées à l'article 606 du code civil.'

Il ressort du jugement rendu en première instance que :

- la société Caprices s'est plainte par courrier du 03 novembre 2018 auprès de son bailleur de diverses dégradations des parties communes de la copropriété au sein desquels elle exerce ses activités, à savoir l'absence de chauffage et de climatisation, des carreaux de carrelage décollés ou manquants occasionnant des risques de chutes, des dalles de plafonds imbibées d'eau et menaçant de s'effondrer, aucune lumière à l'extérieur, des luminaires à l'intérieur des communs menaçant de tomber sur les clients, la présence de rats, des canalisations percées, et l'absence de passage de la commission de sécurité depuis 2012

- le constat d'huissier établi à la demande d'une autre société de la galerie marchande le 24 juillet 2017 relevait effectivement que les lumières de la galerie sont éteintes lors de son constat de même que celles situées à l'extérieur (à 10 heures du matin, sous une forte pluie), que la climatisation est à l'arrêt, que des travaux sont en cours sur le parking, précision faite par le requérant que le parking est dans cet état depuis plusieurs mois, que le carrelage présent le long des commerces est en très mauvais état, cassé ou manquant, que l'ensemble de la galerie semble laissé à l'abandon, que l'extérieur n'est pas entretenu, les mauvaises herbes étant plus hautes que les pots de fleurs présents, que de nombreux bris de verre jonchent le sol du parking et devant les commerces sous le porche

- le syndic de copropriété du [Adresse 6] reconnaissait par courrier du 29 novembre 2017 que la climatisation et le chauffage ne fonctionnaient pas, et qu'une assemblée générale des copropriétaires se tiendrait le 18 décembre 2017, pour se prononcer sur un devis de réparation. S'agissant du décollement des carreaux, il était répondu que cela concernait uniquement la galerie extérieure, et aucune solution ne semblait envisagée. Concernant les dalles de plafond, le syndic reconnaissait que celles-ci étaient incontestablement dégradées, mais qu'il n'y avait pas eu d'évolution à sa connaissance depuis 2012, soit près de 5 années auparavant. Aucune réparation à venir n'était évoquée. Il était ensuite précisé que les éclairages-extérieurs avaient été remis en service, que le propriétaire du luminaire défectueux avait été alerté, qu'un contrat de dératisation annuel était mis en place depuis plusieurs années. Le syndic s'interrogeait enfin sur les canalisations percées évoquées, indiquant ne pas voir de quoi il était question.

Si ces éléments caractérisent potentiellement une diminution des facteurs de commercialité du fonds, ils ne démontrent pas une impossibilité d'exploiter, l'accès aux parties privatives dans lesquelles était exploité le fonds de commerce ayant toujours été possible, et la société Caprices ne fait état d'aucune difficulté particulière concernant les locaux loués eux-mêmes.

Il est en outre à relever que la bailleresse a consenti par avenant des 17 et 18 septembre 2015, une diminution du loyer de 20% portant sur le dernier trimestre de l'année, afin d'aider sa locataire qui avait fait part de problèmes financiers. La société les Crépines démontre en outre que des travaux d'entretien sur les entrées principales et secondaires de la galerie commerciale le Galion ont été commandés pour 33.600 euros à la société Ecora Bâtiment, et que la bailleresse a interpellé le syndic sur les désordres affectant les parties communes, et a voté favorablement aux travaux de reprise d'alimentation du gaz, a approuvé les comptes de l'exercice 2017 et a voté le budget prévisionnel 2018 devant permettre l'entretien des parties communes. Aucune faute spécifiquement imputable à la société les Crépines n'étant mise en évidence, et en l'absence d'impossibilité matérielle démontrée d'exploiter les locaux loués, l'exception d'inexécution et la suspension des loyers doit être rejetée.

III- Sur les demandes accessoires

Succombant au fond, la société Caprices, représentée par son liquidateur judiciaire, supportera les dépens de l'instance. L'équité n'impose pas d'accorder des sommes à la société La Crépine.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision rendue par défaut et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme la décision entreprise en toutes les dispositions entreprises, sauf en ce qu'elle a déclaré recevables les demandes de la société BTSG,

Statuant à nouveau,

Rejette l'exception d'inexécution soulevée par la société BTSG ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Caprices,

Condamne la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Caprices, aux dépens de première instance et d'appel,

Déboute la société Les Crépines de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt rendu par Défaut, publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie simple et exécutoire délivrée le 09 septembre 2025

à

la SELARL EME & CUTTAZ AVOCATS ASSOCIES

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site