Cass. crim., 10 septembre 2025, n° 24-81.914
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
N° G 24-81.914 F-D
N° 01009
SL2
10 SEPTEMBRE 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 SEPTEMBRE 2025
M. [M] [I] et la société [1] ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 26 février 2024, qui, pour, notamment, détention de marchandise contrefaisante, les a condamnés, le premier à dix mois d'emprisonnement avec sursis, la seconde à 15 000 euros d'amende, et tous deux, solidairement, à une amende douanière, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [M] [I] et de la société [1], les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de la société [2], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocats de M. [U] [F], des sociétés [U] [F] SAS et [3], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 juin 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [M] [I] a été le gérant de la société [1] de sa création en 1995 jusqu'au mois de juillet 2022.
3. Le 17 mai 2017, les agents de l'administration des douanes ont procédé à un contrôle dans les locaux de la société [1]. Y étaient découverts, notamment, six-cent-vingt-huit sacs semblant contrefaire une marque de la société [2] (ci-après « société [2] ») ainsi que douze paires de chaussures semblant contrefaire une marque de la société [U] [F].
4. Un procès-verbal d'infraction a été dressé le 1er juin 2017 et les faits dénoncés au procureur de la République.
5. M. [I] et la société [1] ont été cités devant le tribunal correctionnel des chefs rappelés ci-dessus.
6. Par jugement du 22 mars 2022, le tribunal, après avoir annulé le procès-verbal portant sur les pièces saisies pouvant contrefaire la marque d'une autre société, a déclaré les prévenus coupables des faits reprochés, les a condamnés à diverses peines et a prononcé sur les intérêts civils.
7. M. [I] et la société [1] ont interjeté appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur les premier et sixième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables d'importation en contrebande, détention de marchandise présentée sous une marque contrefaisante et vente ou mise en vente de marchandise présentée sous une marque contrefaisante et, a, en conséquence, prononcé sur les peines, l'amende douanière et les intérêts civils, alors :
« 1°/ que est nulle la marque constituée d'un signe constitué exclusivement par la forme du produit imposée par la nature même de celui-ci, même colorée ; qu'en retenant, pour retenir l'existence d'une contrefaçon, que l'apposition de la couleur rouge sur une semelle « présente un caractère fantaisiste et arbitraire » et donc « apte à distinguer les chaussures revêtues de ce signe », cependant que la marque se réduisait à la forme du produit imposée par la nature même de celui-ci (la semelle d'un soulier) qui, même colorée, ne pouvait pas être enregistrée, la cour d'appel a violé les articles L. 711-2, 5e, du code de la propriété intellectuelle, tel qu'interprété à la lumière du droit de l'Union européenne, 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ subsidiairement que l'apposition d'une couleur sur un emplacement spécifique du produit pour caractériser la marque ne peut jouer un rôle distinctif que si cette couleur contraste avec le reste du produit ; qu'en se bornant à relever, pour retenir l'existence d'une contrefaçon, que la marque litigieuse, constituée par la couleur rouge apposée sur la semelle du soulier, « présente un caractère fantaisiste et arbitraire » pour en déduire qu'elle est « apte à distinguer les chaussures revêtues de ce signe », sans rechercher si, pour jouer son rôle distinctif, ladite couleur apposée sur un emplacement spécifique ne devait pas contraster avec le reste du soulier, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article L. 711-2, 2e, du code de la propriété intellectuelle tel qu'interprété à la lumière du droit de l'Union et a violé les articles 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour écarter le moyen de nullité de l'enregistrement de la marque en cause, selon lequel cette dernière ne présenterait pas un caractère suffisamment distinctif, l'arrêt attaqué énonce notamment, par motifs propres et adoptés, que l'application d'une couleur spécifique, identifiée par son code Pantone, en un endroit précis de la semelle à l'exception du talon présente un caractère fantaisiste, et par conséquent arbitraire, dans le secteur concerné (chaussures à talons), apte à les distinguer comme étant des [F].
11. Les juges ajoutent que les rappels historiques invoqués par la défense ne permettent pas de fonder une demande de nullité.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
13. En premier lieu, un signe ne saurait être considéré comme étant constitué « exclusivement » par la forme, et donc dépourvu de caractère distinctif au sens du droit des marques, lorsque, comme en l'occurrence, l'objet principal de ce signe est une couleur précisée au moyen d'un code d'identification internationalement reconnu (CJUE, arrêt du 12 juin 2018, [U] [F] et [U] [F] SAS / [5] BV, C-163/16).
14. En second lieu, la cour d'appel a souverainement apprécié le caractère distinctif de la marque en cause.
15. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables d'importation en contrebande, détention de marchandise présentée sous une marque contrefaisante et vente ou mise en vente de marchandise présentée sous une marque contrefaisante et, a, en conséquence, prononcé sur les peines, l'amende douanière et les intérêts civils, alors « que le risque de confusion entre un signe litigieux et une marque déposée doit s'apprécier globalement en considération, notamment, du degré de similitude conceptuelle entre les signes ; qu'en retenant qu'il existait un risque de confusion, caractérisant une contrefaçon au sens des textes d'incrimination, entre une chaussure intégralement rouge et la marque déposée par M. [F], distinguée par la présence d'une semelle rouge, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions, p. 25), si le choix de la couleur rouge pour l'ensemble de la chaussure ne relevait pas de la simple décoration, exclusif de toute fonction distinctive, de sorte qu'il n'y avait pas de similitude conceptuelle entre les signes, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 7132 et L.716-10 du code de la propriété intellectuelle et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Pour déclarer les prévenus coupables de contrefaçon de la marque rappelée ci-dessus, l'arrêt attaqué énonce notamment que la contrefaçon s'apprécie au regard des ressemblances, et par référence à un consommateur moyen.
18. Les juges ajoutent que l'utilisation d'une semelle de couleur rouge constitue une référence à ce qui fait la spécificité des chaussures de la marque [4], susceptible d'induire en erreur un consommateur moyen.
19. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a suffisamment caractérisé l'existence d'un risque de confusion pour un consommateur moyen, en prenant en compte les éléments pertinents, a justifié sa décision.
20. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [1] à une amende délictuelle de 15 000 euros, a condamné M. [I] à un peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et les a condamnés solidairement à une amende douanière de 100 000 euros, alors « que le juge pénal qui prononce une peine douanière et une peine pénale est tenu de s'assurer que la charge finale résultant de l'ensemble des sanctions prononcées, quelle que soit leur nature, ne soit pas excessive par rapport à la gravité de l'infraction qu'il a commise ; qu'en condamnant la société [1] à une amende délictuelle de 15 000 euros, M. [I] à une peine d'emprisonnement et les deux prévenus solidairement à une amende douanière de 100 000 euros sans vérifier que le cumul de ces peines n'était pas excessif par rapport à la gravité des faits, la cour d'appel a violé les articles 414 du code des douanes, 132-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
22. Le moyen est inopérant pour les motifs qui suivent.
23. En premier lieu, les sanctions pénales et douanières ne forment pas un tout indivisible.
24. En second lieu, le principe de proportionnalité, en cette matière, exige seulement que le montant cumulé des amendes douanières et pénales prononcées ne soit pas supérieur au montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné solidairement les prévenus au paiement d'une amende douanière de 100 000 euros, alors « que la solidarité dans la condamnation à une amende douanière doit être justifiée au regard de la gravité des faits et de la personnalité des prévenus ; qu'en condamnant solidairement les prévenus à une peine d'amende douanière de 100 000 euros sans s'expliquer sur l'ampleur et la gravité de l'infraction commise ni sur la personnalité des prévenus, qu'elle devait prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d'appel a violé les articles 369 et 406 du code des douanes et 485, 512 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
26. Le moyen est inopérant dès lors que les juges ne sont pas tenus de motiver spécialement leur refus de supprimer la solidarité pour le paiement de l'amende, qui constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public et non une peine au sens de l'article 132-1 du code pénal.
Mais sur le septième moyen
Enoncé du moyen
27. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné les prévenus à verser la somme de 120 000 euros à la société [2] et la somme de 5 000 euros à la société [3] en réparation de leur préjudice matériel, alors « qu'en matière de contrefaçon de marque, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction dispose d'une alternative entre une indemnisation sur une base objective, qui tient compte des conséquences économiques négatives de la contrefaçon et des bénéfices réalisés par le contrefacteur et une indemnisation forfaitaire qui doit être supérieure au montant des redevances ou droits éludés ; qu'en condamnant les prévenus à verser aux sociétés [2] et [3], au titre de la réparation de leur préjudice matériel, les sommes respectives de 120 000 euros et 5 000 euros aux seuls motifs adoptés qu'elle « trouve dans les éléments du dossier les motifs de la condamnation » (jugement, p. 10), la cour d'appel a privé sa décision de motif en violation de l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable à la date des faits poursuivis, et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 593 du code de procédure pénale et L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version issue de la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 :
28. En application du premier de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
29. En application du second, pour fixer les dommages-intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, le préjudice moral causé au titulaire de ce droit du fait de l'atteinte, et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits ; toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages-intérêts une somme forfaitaire qui est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte.
30. Pour fixer le montant des dommages-intérêts dus aux parties civiles, l'arrêt attaqué énonce que le tribunal a, au vu des pièces versées aux débats, fait une exacte évaluation du préjudice.
31. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur les critères qu'elle devait prendre en considération au titre de l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle dans sa version alors applicable, et qui n'a pas constaté qu'elle était saisie par la partie lésée d'une demande d'indemnisation forfaitaire prévue par ce même article, n'a pas justifié sa décision.
32. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
33. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux intérêts civils. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
34. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. Les déclarations de culpabilité de M. [I] et de la société [1] étant devenues définitives par suite de la non admission ou du rejet des autres moyens, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 26 février 2024, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 2 000 euros la somme globale que M. [I] et la société [1] devront payer aux parties représentées par la SAS Hannotin Avocats, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix septembre deux mille vingt-cinq.
N° 01009
SL2
10 SEPTEMBRE 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 SEPTEMBRE 2025
M. [M] [I] et la société [1] ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 26 février 2024, qui, pour, notamment, détention de marchandise contrefaisante, les a condamnés, le premier à dix mois d'emprisonnement avec sursis, la seconde à 15 000 euros d'amende, et tous deux, solidairement, à une amende douanière, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [M] [I] et de la société [1], les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de la société [2], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocats de M. [U] [F], des sociétés [U] [F] SAS et [3], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 juin 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [M] [I] a été le gérant de la société [1] de sa création en 1995 jusqu'au mois de juillet 2022.
3. Le 17 mai 2017, les agents de l'administration des douanes ont procédé à un contrôle dans les locaux de la société [1]. Y étaient découverts, notamment, six-cent-vingt-huit sacs semblant contrefaire une marque de la société [2] (ci-après « société [2] ») ainsi que douze paires de chaussures semblant contrefaire une marque de la société [U] [F].
4. Un procès-verbal d'infraction a été dressé le 1er juin 2017 et les faits dénoncés au procureur de la République.
5. M. [I] et la société [1] ont été cités devant le tribunal correctionnel des chefs rappelés ci-dessus.
6. Par jugement du 22 mars 2022, le tribunal, après avoir annulé le procès-verbal portant sur les pièces saisies pouvant contrefaire la marque d'une autre société, a déclaré les prévenus coupables des faits reprochés, les a condamnés à diverses peines et a prononcé sur les intérêts civils.
7. M. [I] et la société [1] ont interjeté appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur les premier et sixième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables d'importation en contrebande, détention de marchandise présentée sous une marque contrefaisante et vente ou mise en vente de marchandise présentée sous une marque contrefaisante et, a, en conséquence, prononcé sur les peines, l'amende douanière et les intérêts civils, alors :
« 1°/ que est nulle la marque constituée d'un signe constitué exclusivement par la forme du produit imposée par la nature même de celui-ci, même colorée ; qu'en retenant, pour retenir l'existence d'une contrefaçon, que l'apposition de la couleur rouge sur une semelle « présente un caractère fantaisiste et arbitraire » et donc « apte à distinguer les chaussures revêtues de ce signe », cependant que la marque se réduisait à la forme du produit imposée par la nature même de celui-ci (la semelle d'un soulier) qui, même colorée, ne pouvait pas être enregistrée, la cour d'appel a violé les articles L. 711-2, 5e, du code de la propriété intellectuelle, tel qu'interprété à la lumière du droit de l'Union européenne, 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ subsidiairement que l'apposition d'une couleur sur un emplacement spécifique du produit pour caractériser la marque ne peut jouer un rôle distinctif que si cette couleur contraste avec le reste du produit ; qu'en se bornant à relever, pour retenir l'existence d'une contrefaçon, que la marque litigieuse, constituée par la couleur rouge apposée sur la semelle du soulier, « présente un caractère fantaisiste et arbitraire » pour en déduire qu'elle est « apte à distinguer les chaussures revêtues de ce signe », sans rechercher si, pour jouer son rôle distinctif, ladite couleur apposée sur un emplacement spécifique ne devait pas contraster avec le reste du soulier, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article L. 711-2, 2e, du code de la propriété intellectuelle tel qu'interprété à la lumière du droit de l'Union et a violé les articles 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour écarter le moyen de nullité de l'enregistrement de la marque en cause, selon lequel cette dernière ne présenterait pas un caractère suffisamment distinctif, l'arrêt attaqué énonce notamment, par motifs propres et adoptés, que l'application d'une couleur spécifique, identifiée par son code Pantone, en un endroit précis de la semelle à l'exception du talon présente un caractère fantaisiste, et par conséquent arbitraire, dans le secteur concerné (chaussures à talons), apte à les distinguer comme étant des [F].
11. Les juges ajoutent que les rappels historiques invoqués par la défense ne permettent pas de fonder une demande de nullité.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
13. En premier lieu, un signe ne saurait être considéré comme étant constitué « exclusivement » par la forme, et donc dépourvu de caractère distinctif au sens du droit des marques, lorsque, comme en l'occurrence, l'objet principal de ce signe est une couleur précisée au moyen d'un code d'identification internationalement reconnu (CJUE, arrêt du 12 juin 2018, [U] [F] et [U] [F] SAS / [5] BV, C-163/16).
14. En second lieu, la cour d'appel a souverainement apprécié le caractère distinctif de la marque en cause.
15. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables d'importation en contrebande, détention de marchandise présentée sous une marque contrefaisante et vente ou mise en vente de marchandise présentée sous une marque contrefaisante et, a, en conséquence, prononcé sur les peines, l'amende douanière et les intérêts civils, alors « que le risque de confusion entre un signe litigieux et une marque déposée doit s'apprécier globalement en considération, notamment, du degré de similitude conceptuelle entre les signes ; qu'en retenant qu'il existait un risque de confusion, caractérisant une contrefaçon au sens des textes d'incrimination, entre une chaussure intégralement rouge et la marque déposée par M. [F], distinguée par la présence d'une semelle rouge, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions, p. 25), si le choix de la couleur rouge pour l'ensemble de la chaussure ne relevait pas de la simple décoration, exclusif de toute fonction distinctive, de sorte qu'il n'y avait pas de similitude conceptuelle entre les signes, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 7132 et L.716-10 du code de la propriété intellectuelle et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Pour déclarer les prévenus coupables de contrefaçon de la marque rappelée ci-dessus, l'arrêt attaqué énonce notamment que la contrefaçon s'apprécie au regard des ressemblances, et par référence à un consommateur moyen.
18. Les juges ajoutent que l'utilisation d'une semelle de couleur rouge constitue une référence à ce qui fait la spécificité des chaussures de la marque [4], susceptible d'induire en erreur un consommateur moyen.
19. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a suffisamment caractérisé l'existence d'un risque de confusion pour un consommateur moyen, en prenant en compte les éléments pertinents, a justifié sa décision.
20. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [1] à une amende délictuelle de 15 000 euros, a condamné M. [I] à un peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et les a condamnés solidairement à une amende douanière de 100 000 euros, alors « que le juge pénal qui prononce une peine douanière et une peine pénale est tenu de s'assurer que la charge finale résultant de l'ensemble des sanctions prononcées, quelle que soit leur nature, ne soit pas excessive par rapport à la gravité de l'infraction qu'il a commise ; qu'en condamnant la société [1] à une amende délictuelle de 15 000 euros, M. [I] à une peine d'emprisonnement et les deux prévenus solidairement à une amende douanière de 100 000 euros sans vérifier que le cumul de ces peines n'était pas excessif par rapport à la gravité des faits, la cour d'appel a violé les articles 414 du code des douanes, 132-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
22. Le moyen est inopérant pour les motifs qui suivent.
23. En premier lieu, les sanctions pénales et douanières ne forment pas un tout indivisible.
24. En second lieu, le principe de proportionnalité, en cette matière, exige seulement que le montant cumulé des amendes douanières et pénales prononcées ne soit pas supérieur au montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné solidairement les prévenus au paiement d'une amende douanière de 100 000 euros, alors « que la solidarité dans la condamnation à une amende douanière doit être justifiée au regard de la gravité des faits et de la personnalité des prévenus ; qu'en condamnant solidairement les prévenus à une peine d'amende douanière de 100 000 euros sans s'expliquer sur l'ampleur et la gravité de l'infraction commise ni sur la personnalité des prévenus, qu'elle devait prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d'appel a violé les articles 369 et 406 du code des douanes et 485, 512 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
26. Le moyen est inopérant dès lors que les juges ne sont pas tenus de motiver spécialement leur refus de supprimer la solidarité pour le paiement de l'amende, qui constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public et non une peine au sens de l'article 132-1 du code pénal.
Mais sur le septième moyen
Enoncé du moyen
27. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné les prévenus à verser la somme de 120 000 euros à la société [2] et la somme de 5 000 euros à la société [3] en réparation de leur préjudice matériel, alors « qu'en matière de contrefaçon de marque, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction dispose d'une alternative entre une indemnisation sur une base objective, qui tient compte des conséquences économiques négatives de la contrefaçon et des bénéfices réalisés par le contrefacteur et une indemnisation forfaitaire qui doit être supérieure au montant des redevances ou droits éludés ; qu'en condamnant les prévenus à verser aux sociétés [2] et [3], au titre de la réparation de leur préjudice matériel, les sommes respectives de 120 000 euros et 5 000 euros aux seuls motifs adoptés qu'elle « trouve dans les éléments du dossier les motifs de la condamnation » (jugement, p. 10), la cour d'appel a privé sa décision de motif en violation de l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable à la date des faits poursuivis, et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 593 du code de procédure pénale et L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version issue de la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 :
28. En application du premier de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
29. En application du second, pour fixer les dommages-intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, le préjudice moral causé au titulaire de ce droit du fait de l'atteinte, et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits ; toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages-intérêts une somme forfaitaire qui est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte.
30. Pour fixer le montant des dommages-intérêts dus aux parties civiles, l'arrêt attaqué énonce que le tribunal a, au vu des pièces versées aux débats, fait une exacte évaluation du préjudice.
31. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur les critères qu'elle devait prendre en considération au titre de l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle dans sa version alors applicable, et qui n'a pas constaté qu'elle était saisie par la partie lésée d'une demande d'indemnisation forfaitaire prévue par ce même article, n'a pas justifié sa décision.
32. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
33. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux intérêts civils. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
34. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. Les déclarations de culpabilité de M. [I] et de la société [1] étant devenues définitives par suite de la non admission ou du rejet des autres moyens, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 26 février 2024, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 2 000 euros la somme globale que M. [I] et la société [1] devront payer aux parties représentées par la SAS Hannotin Avocats, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix septembre deux mille vingt-cinq.