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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 13, 10 septembre 2025, n° 24/19694

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Valay-Briere

Vice-président :

Mme D'Ardailhon Miramon

Conseiller :

Mme Cochet

Avocat :

Me Devaux

Paris, du 15 mars 2024

15 mars 2024

***

Envisageant de céder son cabinet d'avocat, M. [F] a conclu le 14 décembre 2021 avec M.[O] un 'contrat de collaboration dans la perspective d'une cession' lequel a pris effet le 15 mars 2022 moyennant une rétrocession mensuelle fixe de 7100 euros HT au bénéfice de M. [O], la date butoir pour la réalisation de la cession étant fixée au 31 décembre 2024.

Sur la base de l'avis de valeur du cabinet émis le 5 avril 2023 par l'Anaafa et de son bilan comptable transmis à M. [O] le 2 mai 2023, une discussion s'est ouverte sur les modalités de cette cession, sans que les parties parviennent à s'accorder sur son prix.

Dès lors M. [F] a notifié le 9 mai 2023 à M. [O] la rupture du contrat qui les liait, pour une rupture effective au 8 août suivant compte tenu du délai de prévenance de trois mois contractuellement prévu.

Cependant, par courrier recommandé avec accusé de réception du 6 juin 2023, il lui a notifié l'interruption immédiate du préavis en raison des manquements graves qu'il aurait commis, et s'estimant de ce fait libéré de l'obligation de respecter le délai de prévenance, il a refusé de lui verser le montant des rétrocessions correspondant à cette période.

La tentative de conciliation menée par la commission de réglement des difficultés de l'exercice en groupe saisie par M. [F] ayant échoué, M. [O] a le 17 novembre 2023 saisi du litige le bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris, lequel par décision du 15 mars 2024 a

- constaté que le montant de la rétrocession d'honoraires mensuelle de M. [O] était de 7100 euros HT,

- dit et jugé que les déductions faites sur la rétrocession d'honoraires du mois de mai 2023 de M. [O] étaient injustifiées,

- déclaré fondée la créance de 3 033,03 euros HT correspondant au solde de la rétrocession du mois de mai 2023 et condamné en tant que de besoin M. [F] à payer ladite somme à M. [O],

- dit et jugé que le délai de prévenance de trois mois imposé par le contrat devait être respecté,

- dit et jugé que les rétrocessions d'honoraires devaient être payées pendant la période de prévenance,

- déclaré fondée la créance de 16 261,29 euros outre la TVA au taux légal de M. [O] à l'égard de M. [F] et condamné 'en tant que de besoin' ce dernier à payer ladite somme à M. [O],

- dit et jugé que les condamnations prononcées dans la décision susvisée au titre des rétrocessions d'honoraires porteront intérêt de droit à compter de la saisine du bâtonnier, soit le 17 novembre 2023,

- dit que la domiciliation d'urgence subie par M. [O], causée par M. [F], doit donner lieu à indemnisation à hauteur de 2 400 euros et condamné 'en tant de besoin' M. [F] à payer cette somme à M. [O],

- rappelé que le courrier de M. [O] doit lui être réexpédié à sa nouvelle adresse professionnelle ou à sa toque,

- débouté les parties de toutes demandes contraires ou plus amples,

- dit n'y avoir lieu d'accorder quelque somme que ce soit au titre des frais irrépétibles et laissé à chacune des parties la charge de ses dépens éventuels,

- rappelé les conditions de l'exécution de la décision.

Par déclaration remise contre récepissé au greffe le 25 avril 2024, M. [F] a interjeté appel de cette décision .

Enrôlé par erreur devant la chambre en charge des contestations d'honoraires, le dossier a fait l'objet le 26 novembre 2024 d'une ordonnance de renvoi par le délégué du premier président ainsi saisi devant la formation compétente de cette cour, devant laquelle il a été enregistré le 4 décembre 2024 sous le numéro de répertoire général 24/19694, puis à nouveau le 6 février 2025 sous le numéro 25/02214.

Dans les conclusions communiquées en temps utile, déposées au greffe et visées le 14 mai 2025 qu'il soutient oralement à l'audience, M. [F] demande à la cour de :

- infirmer la décision dont appel en ce qu'elle l'a condamné à régler à M. [O] diverses sommes au motif que ce dernier n'aurait pas commis de graves manquements justifiant qu'il soit mis fin à son délai de prévenance,

- juger que M. [O] a accompli des actes de concurrence déloyale constituant des fautes déontologiques ayant pour objet /effet de détourner sa propre clientèle,

en conséquence, de :

- juger que celui-ci a commis des manquements graves justifiant la fin du délai de prévenance au 6 juin 2023,

- infirmer la décision qui l'a condamné à lui régler les sommes de 16 261,29 euros au motif que le délai de prévenance de trois mois aurait dû être respecté, et celle de 2 400 euros au titre de la domiciliation d'urgence,

- condamner en tant que de besoin M. [O] à lui rembourser ces sommes,

- le condamner à lui verser la somme de 147 121,74 euros à titre de dommages-intérêts pour le détournement du dossier [G],

- juger que le dénigrement cause nécessairement un préjudice moral,

- condamner M. [O] à lui verser à ce titre la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- juger qu'il est lui-même fondé en cas de succès du dossier [G] à obtenir une part de l'honoraire de résultat, calculée conformément à sa contribution au succès du dossier,

- ordonner à M. [O] de communiquer sous un délai d'un mois de son prononcé, toute décision de justice définitive rendue ou transaction conclue dans le cadre du dossier [G],

- le condamner à lui verser la part lui revenant dans l'honoraire de résultat convenu pour le dossier [G] dont le montant, à parfaire, sera déterminé conformément à la réglementation et à l'usage en la matière,

- confirmer la décision en ce qu'elle a rejeté les demandes de remboursement des sommes exposées par M. [O] dans l'optique de la reprise du cabinet [F], des actes d'entrave à l'exercice et à la liberté d'établissement,

en conséquence,

- débouter purement et simplement M. [O] de l'ensemble de ses demandes,

- le condamner à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans les conclusions en réponse communiquées en temps utile, déposées au greffe et visées le 14 mai 2025 qu'il soutient oralement à l'audience, M. [O] demande à la cour de :

- infirmer la décision dont appel seulement en ce que le bâtonnier a rejeté sa demande tendant à la condamnation de M. [F] à lui payer une indemnité égale aux frais exposés en préparation de la reprise, soit 1200 et 1350 euros, et jugeant à nouveau, condamner celui-ci à lui régler une indemnité de 2 550 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 11 novembre 2023,

- la confirmer en toutes ses autres dispositions,

- à titre liminaire, rejeter à titre principal comme irrecevables les demandes nouvelles de M. [F] présentées à hauteur d'appel et tendant à lui voir ordonner la communication 'de toute décision de justice rendue ou transaction conclue dans le cadre du dossier [G]', et à le voir condamner au versement 'de la part lui revenant dans l'honoraire de résultat convenu' pour ce dossier, pour un montant à parfaire qui sera déterminé 'conformément à la réglementation et aux usages en la matière' et subsidiairement les rejeter comme infondées,

- rejeter les autres demandes et toutes les fins et exceptions de l'appelant,

- le condamner à supporter les dépens avec distraction à son profit, ainsi qu'au paiement de la somme de 7 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE,

Les deux instances dont la cour est saisie étant identiques dans leurs cause et demandes et opposant les mêmes parties, la cour en ordonne la jonction.

Sur la retenue sur les honoraires de mai 2023

Le bâtonnier, retenant que les frais prétendûment injustifiés déduits de la rétrocession d'honoraires de M. [O] pour mai 2023 avaient en fait été dûment notifiés au cabinet et pris en charge par celui-ci, a jugé qu'ayant été ainsi facturés et remboursés, ils ne pouvaient faire l'objet d'aucune récupération sur la rémunération due à M. [O] pour ce même mois, et il a condamné M. [F] au paiement de la somme indûment prélevée à ce titre.

Quoique appelant sur ce point selon sa déclaration d'appel, M. [F] ne fournit cependant aucune explication ou pièce qui permettrait de remettre en cause la pertinente appréciation du bâtonnier, dont la décision à cet égard est par conséquent confirmée comme le demande l'intimé.

Sur les conditions de la rupture contractuelle et le paiement du préavis

Le bâtonnier a jugé que les actes de concurrence déloyale et de détournement de clientèle allégués par M. [F] à la charge de M. [O] n'étaient pas caractérisés, faute de preuve que M. [O] se soit livré à des manoeuvres ou dissimulations visant à s'accaparer le dossier de l'indivision [G], qui a librement fait choix de quitter le cabinet [F].

Pareillement, il n'a pas considéré comme suffisamment probants les témoignages produits par M. [F] pour démontrer que M. [O] aurait fautivement tenu à son encontre des propos dénigrants de sa personne et du cabinet.

De cette absence de tout manquement reprochable, il a déduit que la rupture du délai de prévenance était injustifiée et abusive, avec pour conséquence que les trois mois de rétrocession dus au titre de ce préavis devaient être payés à M. [O].

M. [F] souligne à titre liminaire que c'est l'intransigeance de M. [O] qui est à l'origine de la rupture du contrat de collaboration, ce dernier, après avoir catégoriquement refusé la valorisation du cabinet à 468 583 euros par l'Anaafa, s'en étant tenu à lui indiquer dès ce montant connu qu'il ne pouvait accepter un tel prix de cession, sans même chercher à demander une autre évaluation, sa seule proposition étant de lui servir après la cession une rente basée sur le chiffre d'affaires qui aurait constitué la totalité du prix payé, ce dont il n'avait jamais été question auparavant et qu'il ne pouvait évidemment pas accepter.

Il expose ensuite avoir réalisé, dès après la notification de la rupture, que M. [O] s'était en fait lancé dans un vaste opération de désorganisation du cabinet et de détournement de clientèle, d'une part en colportant divers mensonges dénigrants au sein du cabinet, d'autre part en entreprenant de capter le plus important de ses dossiers, le dossier [G], relatif à la récupération de biens spoliés par les nazis durant la seconde guerre mondiale - la spécialité du cabinet -, dont il lui a annoncé dès le 19 mai 2023 que l'indivision cliente avait décidé d'en décharger le cabinet pour le lui confier, cela bien qu'il soit dépourvu de la formation lui permettant d'en assurer seul le suivi.

En fait, ayant lui-même joint dès cette annonce Mme [W] [G] - interlocutrice du cabinet pour le compte de l'indivision -, il apprenait qu'elle avait reçu de M. [O] un appel l'informant du départ de ce dernier du cabinet et de son propre départ à la retraite, cette annonce l'ayant logiquement déterminée à confier pour l'avenir le dossier à M. [O], décision sur laquelle elle n'est pas revenue malgré son démenti et ses assurances sur son intention de poursuivre son activité professionnelle dans un régime de retraite active.

En outre, M. [O] a ensuite envoyé un message à un autre des coindivisaires en lui demandant de l'appeler, ce dans un but qui ne pouvait être autre que de l'inciter à le suivre à son départ du cabinet.

Compte tenu de la compétence reconnue du cabinet [F] dans cette spécialité très particulière, le changement de volonté du client n'a pu comme l'allègue M. [O] avoir été déterminé par le manque d'avancées dans le dossier, mais il est résulté des informations erronées qu'il a fournies en pleine connaissance de leur impact. Sa captation illicite est ainsi avérée, et contrairement à ce qu'a décidé le bâtonnier, le choix libre et éclairé qui a présidé à la décision de départ qui lui a été notifiée le 28 juin 2023 par l'indivision n'est pas exonératoire à l'égard de M. [O] dès lors que le lien de causalité entre sa communication fautive et la décision de changement est établi, par le timing, par la nature de l'information fausse donnée et par l'absence de toute autre explication fournie par la cliente pour justifier cette décision.

Quant aux actes de dénigrement, c'est en informant les membres du cabinet de la perte du dossier qu'il a été mis au courant des propos négatifs tenus par M. [O] auprès de plusieurs avocats du cabinet, rapportés par Mmes [Z], [I] et [T], auxquelles il a déclaré que la structure se trouvait dans une situation financière catastrophique et était promise à péricliter après son départ, soit une attitude notoirement contraire aux principes déontologiques de la profession.

Ces éléments caractérisent donc bien les manquements graves commis par M. [O] justifiant la rupture immédiate et l'exonérant lui-même de l'obligation de procéder au paiement des trois mois du préavis, sa condamnation injustifiée de ce chef devant donc être infirmée.

Présentant liminairement à son tour le contexte du projet de reprise et de son échec, l'intimé expose que son grand intérêt pour l'aboutissement de l'opération l'avait conduit, en l'absence de toute détermination de ses modalités financières au moment de la signature du contrat de collaboration, à faire réaliser à ses frais deux études, et que dans cette perspective encore, il avait en décembre 2022 proposé à M. [F] un travail conjoint sur un dossier qui venait de lui être personnellement confié mais que l'appelant s'est accaparé, conservant par-devers lui tous les honoraires perçus en faisant disparaître aux yeux du client les heures de travail qu'il avait lui-même accomplies, s'exonérant ainsi d'avoir à mettre en oeuvre la disposition du contrat prévoyant à son profit une rémunération additionnelle liée au volume de chiffre d'affaires suscité par son activité.

Il souligne ensuite que M. [F], tout en insistant pour obtenir de sa part une proposition chiffrée, a lui-même avancé un montant très élevé, correspondant à 75 % du chiffre d'affaires du cabinet, tout en lui annonçant qu'il entendait continuer de pratiquer après liquidation de sa retraite, sa contre-proposition face à ces exigences inacceptables n'ayant reçu pour réponse de M. [F] que le courrier par lequel il résiliait le contrat, consacrant ainsi l'échec de sa quatrième tentative de cession de son cabinet.

Sur le dossier [G], le seul qui soit évoqué pour étayer le grief de détournement de clientèle qui lui est fait, il précise d'abord que les droits des héritiers sur les oeuvres restituables tenant à leur qualité d'associés dans les sociétés qui en étaient les propriétaires, seul le liquidateur de celles-ci pouvait être en mesure de faire valoir les créances de restitution, en sorte qu'obtenir une rémunération sur les opérations à venir exigeait d'être préalablement désigné comme tel, cette désignation excluant tout cumul avec la qualité d'avocat des héritiers [G] en prévention du risque évident de conflit d'intérêts.

Puis il indique que le cabinet étant l'avocat de sept des neuf membres de l'indivision successorale - cinq ressortissants américains, et Mme [W] [G] et sa mère vivant en France - tous animés d'une très forte volonté de voir ce dossier particulièrement volumineux avancer après les lenteurs antérieurement subies du fait de leur précédent avocat et de sa fille liquidatrice, il y a travaillé seul à compter d'août 2022, ce qu'au demeurant M. [F] reconnait, et il était donc depuis des mois l'unique interlocuteur de Mmes [G], sans que M. [F] l'ait fait bénéficier d'un quelconque transfert d'informations ou de savoir-faire ni ne réponde aussi bien aux divers projets qu'il lui a alors soumis, en particulier celui qui tendait à le faire désigner liquidateur des sociétés, qu'aux relances adressées par Mme [G] les 12 février, 10 avril et 1er mai 2023, ce qui n'a pu qu'indisposer celle-ci à son encontre.

Il soutient que tant le relevé d'heures que produit M. [F] au soutien de sa demande indemnitaire que la chronologie des divers courriels et appels téléphoniques échangés entre la résiliation de son contrat de collaboration le 9 mai 2023 et la date du 29 août 2023 à laquelle les membres de l'indivision [G] l'ont officiellement mandaté établissent que ce sont les clients - Mme [G] et l'indivisaire américain M. [H] - qui l'ont contacté, et non l'inverse, qu'il n'a jamais informé Mme [G] du départ en retraite de M. [F], ainsi qu'elle en atteste, et que la décision des héritiers procède de leur choix libre et éclairé guidé par leur seule volonté de voir avancer le dossier, et non d'une quelconque manoeuvre de sa part.

En réalité, c'est M. [F] qui a été l'artisan de cette décision, en ne mettant pas à profit le délai de près d'un mois dont il a disposé entre l'expression d'une première intention de lui retirer le dossier le 19 mai 2023 et sa confirmation le 28 juin suivant pour démontrer son implication, par exemple en demandant au tribunal allemand de le désigner en tant que liquidateur, et en avisant lui-même Mme [G] le 15 juin de sa décision de mettre immédiatement fin au contrat de collaboration conclu entre eux.

Il ne s'est pas davantage livré un quelconque acte de dénigrement qui aurait conduit à la désorganisation du cabinet, les affirmations de M. [F] en ce sens n'étant étayées que par trois attestations émanant d'avocates toutes en communauté d'intérêts avec lui, qui mentionnent en outre des points matériellement inexacts : il n'a pas pu en effet faire état devant elles d'une inquiétude générale sur la situation financière du cabinet mais seulement de faits avérés, à savoir le retard de plus d'une semaine dans le réglement de sa rétrocession d'avril et le fait que plusieurs factures de fournisseurs étaient en souffrance, ce dont il était fondé à se préoccuper en tant que futur repreneur du cabinet. Quant aux propos qui lui sont prétés par Mme [Z], il n'en a aucun souvenir, et s'ils ont été tenus, c'est dans le contexte particulièrement difficile où il venait d'apprendre la rupture de son contrat.

L'absence avérée de tout manquement grave de sa part aux règles professionnelles devra donc conduire à la confirmation de la décision dont appel.

Aux termes de l'article 14-4-1 du règlement intérieur national (RIN), la rupture du contrat de collaboration est libre sous réserve d'un délai de préavis de trois mois, lequel n'a pas à être observé en cas de manquement grave flagrant aux règles professionnelles.

Dès lors que les parties n'ont pu s'entendre sur les conditions de la cession projetée, la collaboration conduite dans ce but n'avait plus de raison de se poursuivre, et la rupture du contrat notifiée à M. [O] le 9 mai 2023 comme une conséquence objective de cet échec n'est pas en elle-même discutable, la seule question étant de savoir si les griefs faits à M. [O] sont ou non caractérisés et justifient le non paiement du préavis et les divers dédommagements auxquels prétend l'appelant.

Quant au détournement de clientèle allégué, il est constant que Mme [G] a informé M. [F] de son intention de confier pour l'avenir son dossier à M. [O] le 19 mai 2023, que cette intention lui a été confirmée par M. [H] au nom de l'indivision le 28 juin suivant, et que M. [O] en a été officiellement chargé quelques semaines plus tard, à la mi-août 2023.

Contrairement à ce que soutient M. [F], il n'apparaît pas que le contact téléphonique de M. [O] avec Mme [G] le 15 mai 2023 ait été à son initiative au vu du mail de celle-ci daté du 12 mai précédent à 8 h 41 du matin qu'il produit, lui demandant 'à quel numéro puis je vous joindre ce jour '' auquel il n'a répondu que le lendemain samedi 'j'étais en conférence hier (y retourne aujourd'hui) et ne lis votre courriel que ce matin, j'en suis navré. Vous pouvez appeler au cabinet et demander à me joindre, l'appel sera alors transféré sur mon portable ...S'il y a urgence, dites moi' . C'est donc Mme [G] qui a cherché à le joindre, ce qu'explique en toute probabilité le fait, établi par les relevés d'heures du dossier [G] produit par M. [F] lui-même, qu'elle avait eu la veille 11 mai un contact direct avec ce dernier pour faire le point sur l'évolution du dossier ; elle a d'autant mieux pu vouloir échanger ensuite avec M. [O] que les nombreux items de ce même relevé confirmant l'intervention largement prédominante de celui-ci dans ce dossier, il était donc son interlocuteur habituel, et que ce point téléphonique avc M. [F] n'avait pu lui donner satisfaction puisqu'à cette date, la procédure de désignation d'un nouveau liquidateur sur l'avancée de laquelle elle avait vainement interrogé à plusieurs reprises au cours des mois précédents était toujours au point mort, faute de suite donnée par M. [F] aux propositions que M. [O] établit lui avoir soumises sur le sujet. Certes M. [O] n'a pu lors de cette conversation du 15 mai manquer d'évoquer son départ prochain du cabinet, puisque la rupture venait de lui être notifiée, mais ni cette annonce à Mme [G], ni davantage son contact quelques jours plus tard - le 22 mai - avec M. [H], l'un des coindivisaires américains avec lequel il était aussi en lien, par lesquels il ne faisait que les informer d'une situation intéressant indiscutablement le traitement de leur dossier, ne peuvent en soi constituer une tentative de détourner leur clientèle à son profit.

Par ailleurs, aucune certitude de ce que M. [O] aurait annoncé à Mme [G] le départ à la retraite de M. [F] ne peut découler de l'attestation de Mme [T], qui se limite à rapporter un épisode au cours duquel, ayant entendu M. [F] protester au téléphone qu'il n'entendait pas prendre sa retraite, puis lui commenter qu'il parlait avec Mme [G] faussement informée d'un tel fait, pour en déduire - selon ses propres termes - que cette information n'avait pu émaner que de M. [O] ; elle ne témoigne ainsi directement ni de l'identité effective de l'interlocutrice, ni de l'imputabilité à M. [O] de cette révélation, laquelle est formellement démentie par Mme [G] dans son courriel du 21 mai 2023 à ce dernier, étant observé que l'âge assez avancé de M. [F] pouvait en soi justifier un certain questionnement de la cliente sur la temporalité de ses perspectives professionnelles au regard de celle du dossier.

Au demeurant, à supposer même que cette indiscrétion ait été le fait de M. [O], la preuve de l'intention manoeuvrière déloyale qui l'aurait animé fait ici encore défaut, de même que celle de la relation causale entre les propos qu'il a pu échanger avec Mme [G] et M. [H] et la décision prise par l'indivision cliente, qui est démentie au contraire par le calendrier. En effet, après une première intention manifestée le 19 mai 2023 par Mme [G], la décision a été mise en suspens pendant plusieurs semaines et le retrait du dossier à M. [F] n'a été officialisé que le 28 juin 2023 par un mail de M. [H], au résultat par conséquent d'une concertation ardue entre les coindivisaires dont il fait expressément état, un délai du même ordre s'étant écoulé avant qu'ils ne donnent mandat à M. [O], sans aucune intervention de celui-ci dans l'intervalle, M. [F] ayant en revanche exercé dans le même temps sur ses clients une forme de pression en leur adressant le 15 juin 2023 un mail les informant de la résiliation avec effet immédiat du contrat et de la saisine du conseil de l'ordre à l'encontre de M. [O], réitérant ses assurances sur le maintien de ses activités professionnelles et rappelant qu'ayant engagé 'des sommes considérables' dans cette affaire, il avait l'intention de mener le dossier vers 'ce que j'espère une issue favorable'' avant de conclure que ' les conventions que nous avons signées sont conclues entre vous et mon cabinet et j'ai la ferme intention d'obtenir des résultats'.

N'est ainsi avérée, parmi les éléments de démonstration de la concurrence déloyale reprochée à M. [O], que la concomitance entre la rupture du contrat et la première intention émise par l'indivision de lui confier le dossier, ce qui n'établit pas qu'elle aurait été inspirée par des manoeuvres caractérisant un emport déloyal, et c'est donc à juste titre que le bâtonnier a considéré qu'il n'y avait eu en l'occurrence qu'un usage par l'indivision cliente de son libre droit de changer d'avocat et exclu tout détournement de la part de M. [O].

Le grief d'avoir tenu des propos dénigrants fait à M. [O] repose sur les attestations de trois collaboratrices du cabinet,

- Mme [T], à laquelle il aurait déclaré, 'avant que la cession ne soit exclue', que M. [F] ne lui avait pas réglé des factures et qu'il était inquiet de la situation, l'attestante précisant 'j'ai appris par la suite que cette information était mensongère', sans préciser la source d'une telle information;

- Mme [I], faisant état des mêmes propos qu'elle date du 5 mai 2023 et dont elle s'étonne en considération de ce qu'elle a toujours vu M. [F] acquitter ponctuellement ses propres factures,

- et Mme [Z], à qui M. [O] a déclaré le 9 mai 2023, une fois la cession écartée, qu'il ne se faisait pas de souci pour lui mais pour son avenir à elle et celui du cabinet qui 'allait péricliter du fait de son départ'.

Or M. [O], qui justifie du règlement retardé de sa rétrocession d'avril 2023, a pu légitimement s'en inquiéter dans le contexte d'incertitude relative de la situation, où M. [F] lui demandait de prendre position sur la cession tout en formulant une proposition qui n'était ni rassurante ni conforme au principe du départ à la retraite du cédant prévu par le contrat initial, et les termes rapportés par les deux collaboratrices dans lesquels il s'est ouvert de ces inquiétudes auprès d'elles ne sont que la manifestation de cette inquiétude, et non un dénigrement. Quant à la formule que lui prête Mme [Z] - 'je suis très inquiet pour vous car le cabinet va périciliter du fait de mon départ'-, elle est certes plus brutale, mais le point de vue ainsi émis concomitamment à la rupture du contrat par M. [O] sur les perspectives du cabinet à la suite de son départ, certes négatif et peut être erroné, est cependant explicable par le contexte, et il n'a reçu d'autre publicité qu'à l'égard de l'attestante, ni elle ni l'appelant n'alléguant une quelconque conséquence de ce fait sur leur relation professionnelle. Dès lors la qualification de manquement grave et flagrant ne peut être retenu pour ce propos unique, ni par conséquent justifier l'absence de règlement du préavis contractuel.

La décision dont appel est donc confirmée en ce qu'elle a retenu l'absence de manquement de M. [O] et condamné par suite l'appelant à lui verser sa rémunération pendant les trois mois du préavis contractuel.

Sur les frais de domiciliation exposés par M. [O]

Après avoir constaté que les circonstances de la rupture excluaient de facto la possibilité du maintien de la domiciliation de M. [O] au sein du cabinet [F] durant les trois mois d'usage, ce qui rendait sans incidence l'absence de demande formelle de sa part en ce sens, le bâtonnier a jugé que les trois mois de maintien de la domiciliation auraient dû courir du 8 août 2023, date de son départ effectif théorique, et qu'ayant dû recourir dès le 1er juillet à une domiciliation extérieure d'urgence, il est donc fondé à obtenir le remboursement des 600 euros mensuels exposés à ce titre de cette date à celle du 31 octobre 2023.

M. [F] demande à la cour de retenir qu'en raison des circonstances fautives de la rupture, M. [O] ne peut prétendre lui faire supporter le coût de cette domiciliation d'urgence, d'autant qu'il n'a jamais sollicité son maintien pour trois mois au sein du cabinet, alors que s'agissant d'une faculté ouverte par l'article 14.4.3 du RIN, il lui appartenait de faire connaître qu'il souhaitait en bénéficier, ce qui ne lui aurait pas été refusé.

M. [O] demande à la cour de suivre la motivation du bâtonnier, l'impossibilité d'obtenir le maintien de sa domiciliation au cabinet [F] étant évidente au vu de l'attitude de l'appelant, qui a omis de lui assurer la transmission de ses courriers professionnels et de ses appels comme de lui restituer l'intégralité du dossier [G] en dépit de l'intervention du bâtonnier.

L'article 14-4-3 du RIN prévoit que l'avocat collaborateur ou salarié en rupture de contrat peut demeurer domicilié au cabinet qu'il a quitté jusqu'à ce qu'il ait fait connaître à l'ordre ses nouvelles conditions d'exercice, et ce pendant un délai maximal de trois mois,

Cette disposition est une faculté ouverte au collaborateur, qui n'oblige le cabinet que pour autant qu'il veuille s'en prévaloir.

Il n'est pas contesté que M. [O] a immédiatement quitté le cabinet [F] pour une domiciliation extérieure d'urgence, faisant ainsi le choix de ne pas faire jouer la possibilité qui lui était ouverte d'y demeurer pour trois mois.

En décidant d'indemniser M. [O] à ce titre sans qu'il justifie en avoir fait la demande en excipant de l'impossibilité de son maintien du fait des circonstances de la rupture, le bâtonnier arbitre a présumé de la réponse qu'aurait pu faire M. [F] à une demande en ce sens, et dès lors que celle-ci ne lui a pas été faite, le choix d'un départ immédiat qui a été fait par M. [O] ne peut produire de conséquence défavorable à son encontre, le fait qu'il ait par la suite été réticent à remplir ses obligations de transférer à M. [O] la correspondance arrivée au cabinet ne permettant pas non plus de préjuger de ce qu'aurait pu être sa position face à une demande de M. [O] de demeurer domicilié pour trois mois dans les lieux.

La décision est donc infirmée sur ce point.

Sur l'appel incident de M. [O] au titre des dépenses par lui exposées dans l'optique de la reprise

Le bâtonnier a considéré que M. [O] ayant lui-même pris l'initiative de faire évaluer le cabinet pour apprécier la faisabilité de la reprise qu'il projetait, ne pouvait faire peser les frais ainsi exposés de son seul chef sur M. [F].

Alors que M. [F] demande la confirmation de la décision dont appel sur ce point, M. [O], par voie d'appel incident, maintient sa demande en paiement de ce chef, exposant qu'il a dépensé ces sommes en juin et octobre 2022 en pure perte compte tenu de la modification ultérieure par M. [F] des conditions de la reprise, laquelle supposait son départ à la retraite avec arrêt de l'exercice de la profession, et qu'il a donc rendue impossible en décidant de poursuivre son activité en raison de l'intuitu personae très fort lié à sa pratique individuelle et du fait que le cabinet aurait conservé son nom.

En l'état du flou du contrat initial sur les conditions de la cession envisagée et sur les obligations à charge de l'une et l'autre des parties pour y parvenir, le coût des initiatives prises par M. [O] dans la perspective de déterminer un juste prix de cession, en parallèle aux demandes d'évaluation faites par M. [F] auprès de l'Anafaa, ne peut que rester à sa charge, ce quoi qu'il en soit de l'imputabilité de l'échec de l'opération, ces débours exposés en amont n'étant pas la conséquence de cet échec.

Sur les demandes indemnitaires de M. [F]

[E] écarté toute faute commise par M. [O] tant au titre des faits de concurrence déloyale que des actes de dénigrement allégués, tous jugés inexistants, le bâtonnier a rejeté les demandes formées par M. [F] pour obtenir réparation des préjudices financier et moral que celui-ci estimait résulter de l'une et l'autre de ces fautes.

La cour, ayant adhéré à l'appréciation du bâtonnier à cet égard, confirme par suite le rejet des demandes de M. [F] tendant au remboursement par l'intimé de la perte des débours engagés sans contrepartie dans le traitement du dossier Openheimer et à la réparation du préjudice moral allégué.

Sur les nouvelles demandes de M. [F]

M. [F] demande à la cour de fixer le principe de son droit à une part de l'honoraire de résultat dont il était conventionnellement convenu avec l'indivision [G], et d'imposer en conséquence à M. [O], sous astreinte, de l'informer sans délai de toute transaction ou jugement à intervenir dans la suite de la procédure intéressant le dossier.

Sur la recevabilité

M. [F] soutient que ces demandes, fondées sur la perte de chance de percevoir les honoraires du dossier [G] et sur des manoeuvres déloyales avérées, ne sont que des accessoires conplémentaires ou des conséquences des prétentions initiales, et comme telles sont parfaitement recevables, procédant de la même cause juridique que les demandes initiales, à savoir la rupture fautive du contrat.

Pour M. [O], il s'agit de demandes nouvelles qui ne portent ni sur un contentieux entre avocats ni sur une demande indemnitaire et qui, n'étant ni l'accessoire ni la conséquence des demandes initialement soumises au bâtonnier, ni celle de la survenue d'un élément nouveau, n'entrent dans aucune des exceptions prévues par les articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile à l'interdiction de formuler des demandes nouvelles en appel, ce qui les rend irrecevables.

L'article 564 du code de procédure civile prévoit qu' 'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la résolution d'un fait'.

L'article 565 du même code dispose que 'les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent',

Enfin, en son article 566, ce même code édicte que ' les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire'.

Les demandes de voir fixer par la cour le principe d'une obligation de M. [O] à verser à M. [F] une partie de l'honoraire qu'il percevra sur les résultats à venir des procédures de restitution relatives au dossier [G] et à l'informer du devenir de ces procédures, additionnelles à celles formulées devant le bâtonnier, n'apparaissent relever d'aucune des exceptions ainsi prévues au principe de l'irrecevabilité d'une demande nouvelle en appel. En particulier, l'appelant invoque une identité de fondement juridique des demandes qui résiderait dans le caractère fautif de la rupture contractuelle, mais dès lors que celui-ci n'est pas retenu par la cour, il ajoute en fait aux demandes indemnitaires initiales, pour la première fois en cause d'appel, la réclamation d'un règlement d'honoraires non fixés à ce jour, dont la finalité est différente de celle indemnitaire initialement poursuivie, en se dispensant en outre de respecter la procédure spécifique prévue en la matière.

Contrairement à ce que l'appelant soutient, elles ne sont donc ni l'accessoire, ni la conséquence ni le complément nécessaire des demandes initiales, et la cour les dit en conséquence irrecevables.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Partie principalement succombante, M. [F] est condamné aux dépens, ainsi qu'à payer à M. [O] la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ordonne la jonction des procédures enregistrées au répertoire général de la cour sous les numéros 24/19694 et 25/02214,

Confirme la décision dont appel, sauf quant à la condamnation de M. [L] [F] à rembourser à M. [C] [O] les frais liés à sa domiciliation d'urgence entre le 1er juillet et le 31 octobre 2023,

Statuant à nouveau sur ce point,

Déboute M. [C] [O] de sa demande relative au remboursement de ces frais,

Y ajoutant

Dit irrecevables les demandes de M. [L] [F] tendant à :

- voir retenir le principe d'une dette de M. [C] [O] à son égard au titre de sa part sur des honoraires de résultat à percevoir dans le dossier [G],

- voir condamner M. [C] [O] au paiement de la somme à évaluer selon les règles et usages à ce titre,

- lui voir ordonner sous astreinte la production de toute transaction et de tout jugement à intervenir dans le cadre du dossier des restitutions des biens spoliés appartenant aux sociétés dépendant de l'indivision [G],

Condamne M. [L] [F] aux dépens

Condamne M. [L] [F] à payer à M. [C] [O] la somme de 6000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

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