CA Lyon, ch. soc. a, 10 septembre 2025, n° 22/05373
LYON
Arrêt
Autre
AFFAIRE PRUD'HOMALE
DOUBLE RAPPORTEUR
N° RG 22/05373 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OOB3
[R]
C/
S.A.S. UNITED PARCEL SERVICE FRANCE - UPS
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 07 Juillet 2022
RG : 19/00508
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRET DU 10 Septembre 2025
APPELANT :
[L] [R]
né le 08 Janvier 1965 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Matthieu BAGLAN, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
Société UNITED PARCEL SERVICE FRANCE - UPS
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON,
Ayant pour avocat plaidant Me Loïc HERON de la SELARL MGG LEGAL, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Louis ROBINEAU, avocat au même barreau
DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Avril 2025
Présidée par Catherine MAILHES, président et Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Catherine MAILHES, présidente
- Anne BRUNNER, conseillère
- Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller
ARRET : CONTRADICTOIRE
rendu publiquement le 10 Septembre 2025 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Catherine MAILHES, présidente, et par Malika CHINOUNE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE:
La société UPS France (ci-après la société, ou l'employeur) a pour activité principale la livraison de colis en France et à l'étranger.
M. [R] (ci-après le salarié) a été embauché en contrat à durée indéterminée par la société à compter du 23 novembre 1991, l'annexe III de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport régissant les relations contractuelles.
Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié occupait les fonctions de responsable régional de réseau.
Par ailleurs, il a été élu délégué du personnel suppléant sur le centre de [Localité 6] le 30 mai 2017.
Le 24 novembre 2017, M. [R] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, dans les suites d'une plainte déposée à son encontre par Mme [G], technicien ingénieur industriel, pour des faits de harcèlement. L'entretien s'est déroulé le 4 décembre suivant. L'intéressé a par ailleurs été entendu par le comité d'entreprise, lequel a rendu l'avis suivant sur le projet de licenciement : 2 votes favorables, 4 abstentions et 3 votes défavorables.
Le 6 décembre 2017, l'employeur a saisi l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de licenciement de M. [R]. En l'absence de réponse dans les délais impartis, est advenue une décision implicite de rejet.
Par décision expresse du 15 février 2018, l'inspectrice du travail a annulé sa décision implicite de rejet du 12 février 2018, et autorisé le licenciement.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 23 février 2018, l'employeur a notifié à M. [R] son licenciement pour faute grave en lui reprochant des " agissements (pressions, chantage, menaces, manipulations'), assimilables à du harcèlement tant moral que sexuel " à l'égard de trois salariées de l'entreprise.
Le 15 avril 2018, le salarié a formé un recours hiérarchique à l'encontre de la décision administrative autorisant son licenciement. Le 19 août suivant, une décision implicite de rejet a été rendue par la ministre. Le 7 septembre 2018, la ministre du Travail a rendu une décision expresse aux termes de laquelle :
- La décision implicite de rejet du recours hiérarchique a été retirée ;
- La décision de l'inspectrice du travail du 15 février 2018 a été annulée ;
- Son licenciement a néanmoins été autorisé.
Saisi par M. [R], le tribunal administratif de Paris a, par jugement du 28 mai 2019, rejeté son recours à l'encontre de la décision de la ministre du Travail, et confirmé l'autorisation de licenciement rendue.
Par arrêt du 2 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement précité du tribunal administratif de Paris et la décision de la ministre du Travail, en retenant notamment que les faits qui lui sont reprochés " relèvent exclusivement de la vie privée du salarié et, entièrement extérieurs à celui-ci, ne sont pas rattachables à l'exécution de son contrat de travail ".
Le recours formé par l'employeur à l'encontre de cet arrêt a été rejeté par le Conseil d'Etat le 23 février 2021.
Parallèlement, M. [R] a saisi, le 22 février 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon pour solliciter une indemnisation afférente à l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement, et, d'autre part, contester son licenciement et solliciter des indemnités de rupture et dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 7 juillet 2022, le conseil des prud'hommes de Lyon a :
- Dit et jugé que le préjudice subi par M. [R] au titre de l'annulation de l'autorisation administrative de son licenciement par la cour d'appel administrative de Paris est limité à la période du 23 février 2018 au 2 février 2020 ;
- Dit et jugé que le licenciement de M. [R] est fondé sur une faute grave ;
- Dit et jugé que le licenciement de M. [R] n'est pas nul ;
- Condamné la société UPS - United Parcel Service France à verser à M. [R] la somme de 53 443,18 € au titre du préjudice subi sur le fondement de l'article L. 2422 - 4 du code du travail ;
- Débouté M. [R] de sa demande indemnitaire pour préjudice moral lié à la perte de son emploi ;
- Débouté M. [R] de sa demande indemnitaire pour le préjudice distinct résultant de la perte de chance de percevoir une pension de retraite supplémentaire et dévaloriser ses capitaux investis dans le PEE ;
- Débouté M. [R] de sa demande indemnitaire pour dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement et préjudice d'image ou de réputation ;
- Débouté M. [R] de sa demande indemnitaire pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat et manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail ;
- Dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire autre que celle de droit ;
- Rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R. 1454 - 28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire les jugements ordonnant la délivrance de toute pièce que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de salaire, certificat de travail') ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R. 1454 - 14 du code du travail dans la limite de 9 mensualités, le salaire moyen brut des 3 derniers mois et en fixer à la somme de 4467,94 € ;
- Condamné la société UPS - United Parcel Service France à verser à M. [R] la somme de 1800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances salariales et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées ;
- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif;
- Condamné la société UPS - United Parcel Service France aux entiers dépens.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 21 juillet 2022, M. [R] a interjeté appel de ce jugement et sollicité son infirmation en ce qu'il :
- L'a débouté de ses demandes suivantes :
o 107 058,58 € au titre de la perte de salaire et des dommages et intérêts pour licenciement nul ;
o 13 095 € au titre de rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire, outre 1 309,50 € au titre des congés payés afférents ;
o 13 403,85 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 340,38 € au titre des congés afférents ;
o 45 386,93 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
o 53 791,56 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat ;
o 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 17 octobre 2022, M. [R] demande à la cour de :
1°) Infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 7 juillet 2022 en ce qu'il a:
- Jugé que le licenciement dont il a fait l'objet est fondé sur une faute grave ;
- Jugé que le licenciement dont il a fait l'objet n'est pas nul ;
- L'a débouté de sa demande indemnitaire pour préjudice moral lié à la perte de son emploi ;
- L'a débouté de sa demande indemnitaire pour le préjudice distinct résultant de la perte de chance de percevoir une pension de retraite supplémentaire et dévaloriser ses capitaux investis dans le PEE ;
- L'a débouté de sa demande indemnitaire pour dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement et préjudice d'image ou de réputation ;
2°) Confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 7 juillet 2022 en ce qu'il a :
- Condamner la société UPS - United Parcel Service France à lui verser la somme de 53 443,18 € au titre du préjudice subi sur le fondement de l'article L. 2422 - 4 du code du travail ;
- Rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances salariales et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées ;
3°) Et statuant de nouveau :
3.a) À titre principal :
- Juger nul le licenciement dont il a fait l'objet au constat de l'annulation de la décision administrative d'autorisation du licenciement ;
- Condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes :
o 53615,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
o 13095 € au titre de rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire, outre 1309,50 € au titre des congés payés afférents ;
o 13403,85 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1340,38 € au titre des congés payés afférents ;
o 45386,93 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
3.b) À titre subsidiaire :
- Juger le licenciement dont il a fait l'objet dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- Condamner la société UPS - United Parcel Service France à lui verser les sommes suivantes :
o 53615,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
o 13095 € au titre de rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire, outre 1309,50 € au titre des congés payés afférents ;
o 13403,85 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1340,38 € au titre des congés payés afférents ;
o 45386,93 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
4°) En tout état de cause :
- Condamner la société UPS - United Parcel Service France à lui verser la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la même aux entiers dépens.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 22 décembre 2022, la société UPS - United Parcel Service France demande à la cour de :
1°) À titre principal :
- Confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 7 juillet 2022 en ce qu'il a :
o Juger que le licenciement de M. [R] est fondé sur une faute grave ;
o Juger que le licenciement de M. [R] n'est pas nul ;
o Débouter M. [R] de sa demande indemnitaire pour préjudice moral lié à la perte de son emploi ;
o Débouter M. [R] de sa demande indemnitaire pour le préjudice distinct résultant de la perte de chance de percevoir une pension de retraite et dévaloriser ses capitaux investis dans le PEE ;
o Débouter M. [R] de sa demande de dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement et préjudice d'image ou de réputation ;
o Débouter M. [R] de sa demande indemnitaire pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat et manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail ;
- Infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 7 juillet 2022 en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [R] la somme de 53'443,18 € au titre du préjudice subi sur le fondement de l'article L. 2422 - 4 du code du travail ;
- Statuant à nouveau :
o Limiter l'indemnité octroyée à M. [R] au titre de l'article L. 2422 - 4 du code du travail a 45'669,54 € ;
o Débouter M. [R] de l'ensemble de ses autres demandes ;
2°) À titre subsidiaire :
- Dire et juger que le licenciement de M. [R] repose sur une cause réelle et sérieuse;
En conséquence :
- Limiter le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement à 45'386,93 € ;
3°) À titre infiniment subsidiaire :
- Limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement abusif à 13'447,89 € bruts ;
4°) En tout état de cause :
- Débouter M. [R] de ses autres demandes, fins et conclusions et notamment de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [R] au paiement de la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La clôture des débats a été ordonnée le 13 mars 2025 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 15 avril 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les " demandes " tendant à voir " constater " ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des " demandes " tendant à voir " dire et juger " lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
I - Sur la rupture du contrat de travail.
I.A - Sur la contestation du bien fondé du licenciement.
À titre liminaire, il convient de rappeler les termes de la lettre de licenciement du 23 février 2018, qui fixe les termes du litige (les encadrés sont mentionnés par l'employeur) : " le 21 novembre 2017, la société a été informée qu'une plainte a été déposée ce même jour au commissariat de [Localité 8] à votre encontre par Mme [D] [G], technicien ingénieur industriel.
Dans sa plainte, Mme [D] [G] indique avoir fait l'objet d'un harcèlement de votre part.
Extrait de la plainte de Mme [D] [G] :
" J'ai fréquenté entre février 2016 et juillet 2017 mon ancien chef de service M. [L] [R] ".
" Notre relation a été houleuse et je suis toujours allée dans son sens, car si je le contredisais, il me menaçait de s'en prendre à moi en cas de rupture et je craignais que notre relation ne nuise à mon cadre professionnel et personnel ".
" Il a continué à m'envoyer des textos jusqu'au 7 novembre 2017, en continuant à me harceler ".
" Du 7 novembre 2017 et jusqu'au 17 novembre 2017, [L] m'a envoyé une dizaine de textos par jour, pour me dire qu'il m'aimait et qu'il me demande des explications et il me menace de le dire ".
" Mon frère a reçu sur Facebook des messages de [L] l'informant de notre relation passée, et qu'il fallait que je prévienne mon concubin de la fin de notre relation, que s'il ne le faisait pas, il allait s'en charger ".
" Ce matin sur son compte Facebook, mon concubin M. [J] [A] a reçu des menaces de mort ".
" Je ne dors plus, je ne mange, j'ai peur de rentrer chez moi et de le croiser au travail, et de perdre mon travail, je suis coincée et je ne sais pas comment m'en sortir ".
Face à cette plainte, la direction des ressources humaines a immédiatement mené une enquête interne.
Au cours de cette enquête, il a été recueilli les témoignages de trois salariées qui se sont plaintes de votre comportement déplacé et obscène à leur égard.
Ces salariés sont respectivement :
- Mme [D] [G],
- Mme [N] [E],
- Mme [B] [M].
1. Mme [D] [G].
Mme [D] [G] avait 24 ans au moment de son embauche. Vous étiez son tuteur dans le cadre de son contrat d'apprentissage en alternance.
Lors de l'enquête, Mme [D] [G] s'est confiée sur votre relation qui a commencé par des compliments de votre part sur son physique telle que " tu es jolie ", " ça te va bien les cheveux comme ça ", des sollicitations par SMS, courriels, mais aussi par des critiques sur son conjoint.
Elle a expliqué avoir rapidement comprit l'erreur qu'elle commettait mais ne pas être parvenue à vous éloigner. Elle a ajouté avoir eu peur de vous.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Malheureusement, c'était mon tuteur et mon supérieur hiérarchique et lorsque j'avais besoin d'informations professionnelles ou universitaires j'étais obligée d'aller le voir. Au fil des mois, j'ai eu de plus en plus peur de lui, j'avais peur de ce que les gens pensaient et je faisais tout pour que les gens pensent que nous étions juste deux collègues qui s'entendaient bien. Je n'osais plus le contredire, j'avais peur qu'il dise que nous avions une relation de couple et je me disais que les gens l'auraient cru vu qu'au début nous nous entendions très bien. J'avais peur qu'il brise mon couple, peur de perdre mon travail, de rater mon Master' Je pensais qu'il avait le pouvoir de détruire ma vie et mon avenir simplement ['] Pour protéger mon copain, mes études et mon avenir professionnel, j'étais prêt à tout pour ne pas le contrarier".
Mme [D] [G] a indiqué que vous organisiez régulièrement des déplacements professionnels afin de vous retrouver seul avec elle et avoir des rapports sexuels. Vous avez d'ailleurs profité d'un déplacement professionnel pour avoir votre premier rapport sexuel avec elle.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Un soir en déplacement, il est venu frapper à la porte de ma chambre. Nous n'étions que tous les deux dans une chambre d'hôtel. Loin de chez moi, je n'avais eu nulle part où aller, je n'ai pas pu fuir, un endroit où courir me réfugier si je partais. Nous avons couché ensemble. Je n'en avais pas envie, mais je n'ai pas osé lui dire, ni lui montrer. J'avais peur de ce qu'il pourrait faire si je lui résistais. Je n'avais pas d'autre choix que de me laisser faire et attendre que ça passe. J'étais terrifiée ".
Mme [D] [G] explique que, tout au long de la relation, elle avait peur. Elle se sentait prise au piège.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" J'étais bloquée, il était trop tard, s'il décidait d'en parler à qui que ce soit, ma vie serait finie. Je perdais tout. J'ai donc fait tout ce que j'ai pu pour qu'il n'en parle jamais à personne. Je savais que si je le contrariais, il en parlerait ".
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Notre relation a été houleuse et je suis toujours allé dans son sens, car si je le contredisais il me menaçait de s'en prendre à moi en cas de rupture, et je craignais que notre relation ne nuise à mon cadre professionnel et personnel ".
Mme [D] [G] a mis fin votre relation au mois de juillet 2017.
Malgré cette rupture, vous avez continué à lui adresser des messages.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Il m'envoyait des déclarations d'amour par SMS, sur Skype, me suppliant de revenir avec lui ".
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Je recevais de nombreux textos, ou il me disait qu'il m'aimait et qu'il serait patient qu'il ne pouvait pas se passer de moi ".
Vous adressiez à Mme [D] [G] des messages, des photos en souvenir de votre relation passée' pour lui faire regretter sa décision.
Messages envoyés à Mme [D] [G] :
" Craps. On se dit tout. Ce retour sans te voir ni t'entendre plus la sortie [Localité 8]. Ça fait beaucoup' je sais que je n'étais pas obligé de t'attendre. Pas de souci je partirai avant à l'avenir mais' je ne sais pas trop où on va. À demain ".
" Dis tu t'en fous ' Je te saoule ' "
" Craps. J'aimerais tant que tu sois là. Bon après t'es pas trop raclette ".
" Bon laisse tomber t'en a rien à faire de moi je devais rêver ".
" Je n'ai pas dit mon dernier mot ".
" À mon tour d'être impatient de tes commentaires ".
Mme [D] [G] est restée distante.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Je n'ai jamais répondu dans son sens, et je lui répondais qu'une simple relation amicale serait possible entre nous ".
Vous veniez également la voir très régulièrement dans son bureau, l'importunant ainsi pendant son temps de travail.
Extrait du témoignage de Mme [F] [X] :
" Depuis qu'elle [[D] [G]] a intégré l'équipe à la fin du mois de septembre 2017, j'ai constaté qu'elle est sollicitée en continu par [L] et perturbée durant ses heures de travail, qui finit par monter de 3 à 4 fois par jour ".
" J'ai commencé à voir qu'elle était manipulée par [L] ".
" Mes doutes sur sa manipulation étaient alimentés par les déplacements fréquents qu'ils faisaient ensemble quand [D] était " scheduler " auxquels il nous invitait même si notre présence n'est pas justifiée ou nos déplacements dans laquelle il s'incluait même si sa présence n'est pas primordiale ".
À compter du 6 novembre 2017, Mme [D] [G] a pris la décision de vous ignorer totalement.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" J'ai décidé de l'ignorer peu importe ce que les gens diraient. Le lendemain, mardi 7 novembre, il est monté dans mon bureau en disant : bon maintenant, tu m'expliques ! Pourquoi tu ne réponds pas mes messages ' Pourquoi tu es si distante ' Qu'est-ce qui se passe ' ".
Face à l'ignorance de Mme [D] [G], vous vous êtes montré de plus en plus menaçant.
Messages envoyés à Mme [D] [G] :
" Je vais exposer après ce que tu dis. Prépare-toi ".
" Donc je fais semblant d'être saine, c'est pas le cas. Me larguer 2 fois t'es joueuse' Tu réfléchis dac c'est pas une menace à la [C] juste moi ".
" Tu te décides vite très vite d'ac ".
" Tu assumes quand tu racontes à [N] que tu voulais simplement qu'on soit amis ' T'es sérieuse ' Celle que j'aime c'est un bonhomme' J'ai honte de moi de toi. Tu te souviens que j'ai tellement confiance en toi que je t'ai déjà confié [O]' Reprends-toi vite mon chat ".
Mme [D] [G] a fait part de ses craintes à Mme [N] [E], salarié de l'entreprise, quant à votre comportement depuis votre rupture.
Mme [D] [G] a indiqué à Mme [N] [E] que vous continuiez à la contacter " par messages interposés et également par des appels nocturnes quand il était (vous étiez) sous l'emprise de l'alcool, messages d'amour puis de haine devant le silence ".
Mme [D] [G] indique que vous l'avez menacé de prévenir sa famille de votre relation.
Mme [N] [E] indique également que vous lui avez fait part de votre " sentiment de vengeance " à l'encontre de Mme [D] [G], de votre souhait que cette dernière et son compagnon souffrent autant que vous.
Vous lui avez expliqué être très en colère et souhaiter contacter le frère de Mme [D] [G], M. [W] [G], ainsi que son compagnon, M. [J] [A].
Échange entre vous et Mme [N] [E] sur Skype entreprise :
Mme [N] [E] : " c'est quoi qui est bon pour toi ' "
Vous : " que je me venge en faisant mal à l'autre ".
Extrait un courriel envoyé à Mme [N] [E] :
" Après toi, je préviendrai son frère puis son mec' J'ai beaucoup de colère en moi et je ne souhaite plus me faire mal pour l'évacuer ".
Vous avez par la suite confirmé à Mme [N] [E] avoir contacté ces 2 personnes en leur adressant un message sur Facebook.
Vous avez d'abord écrit un message Facebook à M. [W] [G], le frère de Mme [D] [G], lui décrivant votre relation avec cette dernière et lui demandant de lui parler.
Extrait d'un message reçu par M. [W] [G] sur Facebook :
" Je suis profondément amoureux de [D] et n'ai pas supporté cette déchirure' J'ai fait quelques séjours à [5] entre autres pour dépression, alcoolisation aiguë et tentative de suicide' [']
Sachant que vous avez une relation fusionnelle toi et [D] je souhaiterais que tu lui en parles je suis persuadé qu'elle va me détester à nouveau mais que cela lui sera profitable. ['].
Ta première réaction sera certainement de vouloir me faire la peau' pas de souci' Mais ne te trompe pas sur mes intentions je suis vraiment amoureux de ta s'ur et je ne veux que son bonheur. Par contre qu'elle fasse les choses bien avec l'autre' avant que je m'en occupe ".
Puis, vous avez écrit à M. [J] [A], le conjoint de [D] [G]. Vous lui avez d'abord transféré le message que vous aviez adressé à M. [W] [G] puis lui vous lui avez tenu les propos suivants : " si tu t'approches de chez moi je te tue, t'as compris. Tu t'approches de ma famille je te tue. Sois prudent. Et si tu t'en prends à L. Je te défonce. "
2. Madame [N] [E].
Au cours de l'enquête, Mme [N] [E] a indiqué que vous l'aviez récemment informé que vous aviez entretenu une relation extraconjugale, depuis le mois de février 2016, avec Mme [D] [G], alors que cette dernière était alternante dans votre service. Vous lui avez également fait part de votre rupture récente.
Premier temps, Mme [N] [E] explique avoir tenté de vous soutenir, car vous lui aviez indiqué être " dévasté " par cette séparation. Vous avez ainsi échangé plusieurs SMS, messages Skype entrepris ou courriel. Mais peu à peu, vous avez adopté un comportement de plus en plus insistant et ambigu allant jusqu'à tenir des propos extrêmement déplacés à son égard.
Vous la contactiez par tous moyens et à tout moment en lui envoyant des photos de vous, des messages' Vous lui faisiez régulièrement des remarques déplacées telles que " montre-moi ta robe ", " tu es habillé comment ' ", " Tu peux me masser ".
Mme [N] [E] indique avoir toujours gardé ses distances avec vous et refusait vos demandes de massage.
Échange entre vous et Mme [N] [E] par SMS :
Vous : " Rends-la [[D] [G]] jalouse et masse moi les épaules ".
Mme [N] [E] : " mdrrr non toujours non "
Vous lui avez également proposé d'avoir des relations sexuelles en lui disant : " allez demanda [D], je suis un bon coup ".
Mme [N] [E] a refusé mais vous avez continué d'insister.
Extrait du témoignage de Mme [N] [E] :
" Je lui ai répondu par la négative et il a insisté en expliquant que je devais avoir un point de comparaison avec mon copain car lui avait de l'expérience. J'ai insisté pour lui faire comprendre que je n'étais nullement intéressée. Il a alors utilisé des termes disant " je suis vieux mais en forme ", " j'assure le service après-vente " qu'avec lui c'est " satisfait ou remboursé ", mais je que je ne pourrais qu'être satisfaite ".
3. [B] [M]
Vous avez adopté un comportement déplacé à l'égard de Mme [B] [M], ancienne salariée de la société, en s'enfermant avec elle dans un bureau et en lui tenant des propos inconvenants.
Extrait du témoignage de Mme [B] [M] :
" Il a fermé les stores et nous nous sommes retrouvés complètement isolés lui et moi. J'étais très mal à l'aise à son arrivée dans la pièce et ne comprenait pas pourquoi il fermait la porte. Il m'a dit " c'est sympa de se retrouver juste toi et moi dans ce bureau seuls. À ce moment-là je me suis mise en colère en lui disant d'ouvrir cette porte immédiatement et je suis sortie ".
De tels agissements (pression, chantage, menaces, manipulations'), assimilables à du harcèlement moral que sexuel, ne peuvent être tolérés.
Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien dans l'entreprise. Dans ces conditions, votre licenciement prendra effet dès la première présentation de cette lettre par les services postaux, sans indemnité ni préavis.
En outre, en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laquelle nous vous avons mis à pied à titre conservatoire ne vous sera pas versé (') ".
***
Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir les éléments suivants :
- L'arrêt rendu le 2 décembre 2019 par la cour administrative d'appel de Paris a expressément relevé que les griefs relevaient " expressément de la vie privée du salarié " et étaient " non rattachables à l'exécution du contrat de travail ". Dès lors, en application du principe constitutionnel de la séparation du pouvoir exécutif et de l'autorité judiciaire, de la dualité des ordres de juridiction en France, lorsque le juge administratif annule une autorisation de licenciement au motif que les griefs ne sont pas établis que ceux-ci ne justifient pas la mesure de licenciement, le juge judiciaire perd toute liberté dans l'appréciation des faits et se trouve lié par la qualification donnée par le jugement administratif.
- Dès lors, le licenciement est exclusivement fondé sur un motif tiré de sa vie privée, et constitue, comme tel, une atteinte au respect de sa vie privée protégée au titre de ses droits fondamentaux. Il doit s'analyser comme un licenciement illicite.
En réponse, l'employeur fait valoir les arguments suivants :
- En cas d'annulation de la décision administrative autorisant le licenciement d'un salarié protégé, dans la mesure où cette annulation ne laisse rien subsister de celle-ci, il appartient au juge judiciaire, saisi de la demande d'indemnité, d'apprécier le caractère réel et sérieux de la cause de licenciement.
- Si la cour administrative d'appel a considéré que les manquements relevaient de la vie privée du salarié et avaient en conséquence été mal qualifiés par le ministre du travail dans son autorisation de licenciement, elle n'en a pas contesté la réalité.
C'est donc à juste titre que le conseil des prud'hommes a pu considérer que M. [R] avait commis une faute grave justifiant son licenciement en relevant que si la relation entretenue par M. [R] avec Mme [G] relevait de sa vie privée, celle-ci a pris le pas sur le professionnel, puisque cette salariée en a été affectée, et que M. [R] a utilisé des moyens de communication professionnelle pour en alimenter les échanges, et qu'il a eu des comportements inappropriés avec d'autres salariés de l'entreprise, Mme [E] et Mme [M], sur le lieu de travail et en dehors.
L'employeur considère que dans la mesure où la décision administrative autorisant le licenciement de l'appelant n'existe plus, le juge judiciaire a retrouvé sa liberté de juger de la cause du licenciement intervenu, que la cour ne pourra que confirmer la faute grave retenue.
- Le licenciement d'un salarié pour des faits relevant de sa vie privée n'est pas en soi discriminatoire, dès lors que son comportement a créé un trouble objectif au sein de la société (Cass Soc 14 novembre 2000).
Or, en l'espèce, son comportement a eu de fortes répercussions au sein de la société, notamment après de ses trois collègues de travail, toutes très jeunes, alors qu'il occupait des fonctions d'encadrement ainsi que des fonctions représentatives du personnel.
Sur ce,
En application de la loi des 16-24 août 1790 posant le principe de la séparation des pouvoirs entre juridictions administratives et judiciaires, et de l'article L. 2421-3 du code du travail, il a été jugé que lorsque le juge administratif a retenu que les faits fautifs invoqués par l'employeur, soit n'étaient pas établis, soit ne justifiaient pas la mesure de licenciement, sa décision s'oppose à ce que le juge judiciaire, appréciant les mêmes faits, décide qu'ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass Soc 26 septembre 2007, n°05-42.599).
En l'occurrence, l'ensemble des griefs contenus dans la lettre de licenciement ont été examinés et écartés par les décisions de l'inspectrice du travail du 15 février 2018 et du ministre du travail du 7 septembre 2018, ainsi que par les décisions du tribunal administratif de Paris du 28 mai 2019 et de la cour administrative d'appel de Paris du 2 décembre 2019, décision devenue définitive après la décision du Conseil d'Etat du 23 février 2021 rejetant le recours dirigé à son encontre.
A ce titre, la cour administrative d'appel de Paris a notamment retenu que les griefs " qui fondent la décision attaquée de la ministre du travail du 7 septembre 2018 autorisant le licenciement de M. [R] relèvent exclusivement à la vie privée du salarié et (') ne sont pas rattachables à l'exécution de son contrat de travail ". Elle a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 28 mai 2019 et l'article 3 de la décision du ministre du travail du 7 septembre 2018 autorisant le licenciement du salarié.
Dès lors, contrairement à ce que soutient l'employeur, la juridiction prud'homale est tenue par l'autorité de la chose jugée qui s'attache à ces décisions en ce compris ses motifs et ne peut plus apprécier les motifs du licenciement lorsqu'ils ont été examinés par le juge administratif, mais uniquement en tirer les conséquences de droit quant à la rupture du contrat de travail.
Aussi, la cour ne peut-elle que constater qu'en application de la décision de la cour administrative d'appel de Paris précitée, le licenciement est nul en raison de l'annulation ultérieure de l'autorisation administrative et de la violation du droit fondamental au respect de la vie privée, retenue par cette même décision. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que le licenciement notifié au salarié n'était pas nul, et était fondé sur une faute grave.
I.B - Sur les conséquences financières du licenciement.
Le salarié sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer :
- 53 615,40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
- 13 095 euros à titre de rappel de salaire pour mise à pied conservatoire, outre les congés payés afférents ;
- 13 403,85 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1 340,38 euros;
- 45 386,93 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
L'employeur s'y oppose en faisant valoir que le licenciement du salarié n'est pas nul ni discriminatoire dès lors que son comportement a créé un trouble objectif au sein de la société; qu'il n'est pas davantage dépourvu de cause réelle et sérieuse. A titre subsidiaire, il sollicite la réduction des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au plancher de trois mois de salaires, c'est-à-dire la somme de 13 447,89 euros bruts.
1 - Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire.
Le salarié a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire du 24 novembre 2017 au 23 février 2018, c'est-à-dire 2 mois et 30 jours.
Il ressort des bulletins de salaire produits que le montant du salaire s'élève à 4 365 euros bruts, outre 102,95 euros au titre de l'avantage en nature au titre de la voiture.
Dans les limites de la demande, l'employeur sera donc condamné à payer au salarié la somme de 13 095 euros au titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire, outre les congés payés afférents, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point.
2 - Sur la demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.
Aux termes de l'article 17 de l'annexe III de la convention collective applicable, la durée du préavis est, sauf faute lourde ou grave, de deux mois pour les agents de maîtrise des groupe 1 à 5 justifiant d'une ancienneté de plus de 2 ans, ce qui est le cas du salarié.
Le montant de l'avantage en nature devant être pris en compte, l'indemnité compensatrice de préavis s'élève à la somme de 8 935,90 euros, outre les congés payés afférents. L'employeur sera condamné à payer cette somme au salarié, le jugement étant réformé sur ce point.
3 - Sur l'indemnité de licenciement.
L'article 18 de l'annexe III de la convention collective applicable prévoit que l'agent de maîtrise justifiant d'au moins trois années d'ancienneté bénéficie d'une indemnité de licenciement égale à 3/10ème de mois par année de présence, sur la base de son salaire effectif au moment où il quitte ses fonctions.
Cette indemnité est donc plus favorable que celle supplétive de l'article R. 1234-2 du code du travail, et sera donc celle appliquée.
En l'occurrence, le salarié justifie d'une ancienneté de 26 ans et 3 mois. En application de l'article R. 1234-4 du code du travail, sera retenue la moyenne des douze derniers mois précédant le licenciement, plus favorable au salarié.
En conséquence, l'indemnité de licenciement sera fixée à la somme de 42 924,87 euros. L'employeur sera condamné à payer cette somme au salarié, le jugement étant infirmé sur ce point.
4 - Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul.
En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, lorsque le licenciement est entaché de nullité pour violation d'une liberté fondamentale et que le salarié ne sollicite pas sa réintégration, le juge lui octroie une indemnité, mise à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
En l'occurrence, le salarié était âgé de 53 ans au moment du licenciement, et justifiait d'une ancienneté de 26 années complètes. Il produit également ses justificatifs d'imposition montrant qu'il a perçu, pour 2018, des salaires et assimilés pour un montant annuel de 28 429 euros, et, au titre de 2019, de 31 176 euros. Il verse au débat une attestation fiscale de Pôle Emploi montrant qu'il a perçu au titre de 2020 des indemnités à hauteur de 23 947 euros. Il expose avoir en outre un enfant à charge, ce qui est corroboré par les avis d'imposition produits.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, des circonstances de la rupture, le préjudice subi par le salarié du fait du licenciement nul dont il a fait l'objet sera justement réparé par l'octroi d'une indemnité de 35 000 euros. L'employeur sera condamné à payer cette somme au salarié, le jugement étant infirmé sur ce point.
II - Sur l'indemnité au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail.
L'employeur conteste le calcul opéré par le premier juge pour fixer la somme mise à sa charge par le premier juge au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail, aux motifs suivants:
- La période à prendre en compte court du 23 février 2018 au 2 février 2020, soit 1 an, 11 mois et 6 jours ;
- Il convient de prendre en compte l'ensemble des salaires auxquels le salarié aurait pu prétendre sur cette période, et de déduire de ce montant l'ensemble des indemnités ou salaires qu'il a perçus durant cette période.
La rémunération du salarié s'élevait à 4 467,95 euros bruts, dont 102,95 euros au titre de l'avantage en nature véhicule ;
En 2016, sa rémunération nette imposable était de 53 484 euros ;
Au vu des calculs du salariés, il aurait dû percevoir une rémunération nette imposable globale de 107 270, 12 euros. Or, il a perçu sur cette période une rémunération de 61 600,58 euros, de sorte qu'il ne peut prétendre qu'à une indemnité de 45 669,54 euros.
Pour sa part, le salarié sollicite la confirmation de la décision entreprise sur ce point, et fait valoir les éléments suivants :
- La période d'indemnisation s'étend de la date du licenciement, le 23 février 2018, à l'expiration du délai de deux mois suivant la décision d'annulation du 2 décembre 2019, soit jusqu'au 2 février 2020.
- Doivent être pris en compte dans le calcul de l'indemnité :
Le montant net imposable de ses revenus sur la base de ses avis d'impôts sur les revenus ;
Les augmentations individuelles de salaire qu'il a obtenues par le passé, qui conduisent à retenir qu'il aurait dû bénéficier d'une augmentation annuelle moyenne de 1,28% sur la période concernée ;
Au regard de ces éléments, il aurait dû percevoir sur la période concernée la somme de 107 562 euros et n'a en réalité perçu que 61 600 euros, aboutissant à un manque à gagner de 45 692 euros ; qu'au regard d'un taux de cotisation salariale entre salaire brut et net de 18,4526 %, il convient de retenir la somme de 54 443,18 euros.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail, " lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision.
L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration.
Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire ".
En l'occurrence, les parties conviennent de ce que la durée à prendre en compte s'étend du 23 février 2018 au 2 février 2020, c'est-à-dire 1 an, 11 mois et 10 jours. Il a été vu précédemment que le salaire du salarié s'élevait à 4 467,95 euros, avantage en nature compris.
Les parties conviennent encore de ce que l'intéressé aurait dû percevoir une rémunération nette imposable globale de 107 270,12 euros ; qu'il n'a perçu sur la période que la somme de 61 600 euros. En conséquence, la différence s'établit à 45.670,12 euros nets, soit 54097,44 euros bruts.
La cour ne pouvant statuer ultra petita, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à verser au salarié la somme de 53 443,18 euros (bruts) au titre de l'indemnité relative à la violation du statut protecteur.
III - Sur les frais irrépétibles et dépens.
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens.
Succombant à l'instance, l'employeur sera débouté de ses demandes sur ces mêmes fondements.
L'équité commande de le condamner à payer au salarié la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera en outre condamné aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile,
Dans la limite de la dévolution,
INFIRME le jugement rendu le 7 juillet 2022 par le conseil de prud'hommes de Lyon dans le litige opposant M. [R] à la société UPS - United Parcel Service France en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le licenciement de M. [R] n'est pas nul et est fondé sur une faute grave ;
CONFIRME ledit jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau, dans cette limite,
Vu l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 décembre 2019 annulant le jugement du tribunal administratif de Paris du 28 mai 2019 et l'article 3 de la décision de la ministre du travail du 7 septembre 2018 autorisant le licenciement de M. [R] ;
CONDAMNE la société UPS - United Parcel Service France à payer à M. [R] les sommes suivantes :
- 13 095 euros au titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire, outre 1 309,50 euros au titre des congés payés afférents ;
- 8 935,90 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 893,59 euros au titre des congés payés afférents ;
- 42 924,87 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;
- 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
RAPPELLE que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Ordonne la remise par la société UPS - United Parcel Service France à M. [R] des documents de fin de contrat et d'un bulletin de salaire rectifié dans un délai de deux mois à compter de ce jour ;
Y AJOUTANT,
ORDONNE le remboursement par la UPS - United Parcel Service France à Pôle Emploi devenu France Travail des indemnités de chômages versées à [R] du jour de son licenciement dans la limite d'un mois d'indemnités de chômage ;
DIT qu'en application des dispositions de l'article R.1235-2 du code du travail, lorsque le remboursement des allocations chômages est ordonné d'office par la cour d'appel, le greffier de cette juridiction adresse une copie certifiée conforme de l'arrêt à Pôle Emploi devenu France Travail ;
CONDAMNE la société UPS - United Parcel Service France à verser à M. [R] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes ;
CONDAMNE la société UPS - United Parcel Service France aux entiers dépens de l'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
DOUBLE RAPPORTEUR
N° RG 22/05373 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OOB3
[R]
C/
S.A.S. UNITED PARCEL SERVICE FRANCE - UPS
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 07 Juillet 2022
RG : 19/00508
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRET DU 10 Septembre 2025
APPELANT :
[L] [R]
né le 08 Janvier 1965 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Matthieu BAGLAN, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
Société UNITED PARCEL SERVICE FRANCE - UPS
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON,
Ayant pour avocat plaidant Me Loïc HERON de la SELARL MGG LEGAL, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Louis ROBINEAU, avocat au même barreau
DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Avril 2025
Présidée par Catherine MAILHES, président et Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Catherine MAILHES, présidente
- Anne BRUNNER, conseillère
- Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller
ARRET : CONTRADICTOIRE
rendu publiquement le 10 Septembre 2025 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Catherine MAILHES, présidente, et par Malika CHINOUNE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE:
La société UPS France (ci-après la société, ou l'employeur) a pour activité principale la livraison de colis en France et à l'étranger.
M. [R] (ci-après le salarié) a été embauché en contrat à durée indéterminée par la société à compter du 23 novembre 1991, l'annexe III de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport régissant les relations contractuelles.
Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié occupait les fonctions de responsable régional de réseau.
Par ailleurs, il a été élu délégué du personnel suppléant sur le centre de [Localité 6] le 30 mai 2017.
Le 24 novembre 2017, M. [R] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, dans les suites d'une plainte déposée à son encontre par Mme [G], technicien ingénieur industriel, pour des faits de harcèlement. L'entretien s'est déroulé le 4 décembre suivant. L'intéressé a par ailleurs été entendu par le comité d'entreprise, lequel a rendu l'avis suivant sur le projet de licenciement : 2 votes favorables, 4 abstentions et 3 votes défavorables.
Le 6 décembre 2017, l'employeur a saisi l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de licenciement de M. [R]. En l'absence de réponse dans les délais impartis, est advenue une décision implicite de rejet.
Par décision expresse du 15 février 2018, l'inspectrice du travail a annulé sa décision implicite de rejet du 12 février 2018, et autorisé le licenciement.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 23 février 2018, l'employeur a notifié à M. [R] son licenciement pour faute grave en lui reprochant des " agissements (pressions, chantage, menaces, manipulations'), assimilables à du harcèlement tant moral que sexuel " à l'égard de trois salariées de l'entreprise.
Le 15 avril 2018, le salarié a formé un recours hiérarchique à l'encontre de la décision administrative autorisant son licenciement. Le 19 août suivant, une décision implicite de rejet a été rendue par la ministre. Le 7 septembre 2018, la ministre du Travail a rendu une décision expresse aux termes de laquelle :
- La décision implicite de rejet du recours hiérarchique a été retirée ;
- La décision de l'inspectrice du travail du 15 février 2018 a été annulée ;
- Son licenciement a néanmoins été autorisé.
Saisi par M. [R], le tribunal administratif de Paris a, par jugement du 28 mai 2019, rejeté son recours à l'encontre de la décision de la ministre du Travail, et confirmé l'autorisation de licenciement rendue.
Par arrêt du 2 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement précité du tribunal administratif de Paris et la décision de la ministre du Travail, en retenant notamment que les faits qui lui sont reprochés " relèvent exclusivement de la vie privée du salarié et, entièrement extérieurs à celui-ci, ne sont pas rattachables à l'exécution de son contrat de travail ".
Le recours formé par l'employeur à l'encontre de cet arrêt a été rejeté par le Conseil d'Etat le 23 février 2021.
Parallèlement, M. [R] a saisi, le 22 février 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon pour solliciter une indemnisation afférente à l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement, et, d'autre part, contester son licenciement et solliciter des indemnités de rupture et dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 7 juillet 2022, le conseil des prud'hommes de Lyon a :
- Dit et jugé que le préjudice subi par M. [R] au titre de l'annulation de l'autorisation administrative de son licenciement par la cour d'appel administrative de Paris est limité à la période du 23 février 2018 au 2 février 2020 ;
- Dit et jugé que le licenciement de M. [R] est fondé sur une faute grave ;
- Dit et jugé que le licenciement de M. [R] n'est pas nul ;
- Condamné la société UPS - United Parcel Service France à verser à M. [R] la somme de 53 443,18 € au titre du préjudice subi sur le fondement de l'article L. 2422 - 4 du code du travail ;
- Débouté M. [R] de sa demande indemnitaire pour préjudice moral lié à la perte de son emploi ;
- Débouté M. [R] de sa demande indemnitaire pour le préjudice distinct résultant de la perte de chance de percevoir une pension de retraite supplémentaire et dévaloriser ses capitaux investis dans le PEE ;
- Débouté M. [R] de sa demande indemnitaire pour dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement et préjudice d'image ou de réputation ;
- Débouté M. [R] de sa demande indemnitaire pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat et manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail ;
- Dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire autre que celle de droit ;
- Rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R. 1454 - 28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire les jugements ordonnant la délivrance de toute pièce que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de salaire, certificat de travail') ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R. 1454 - 14 du code du travail dans la limite de 9 mensualités, le salaire moyen brut des 3 derniers mois et en fixer à la somme de 4467,94 € ;
- Condamné la société UPS - United Parcel Service France à verser à M. [R] la somme de 1800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances salariales et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées ;
- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif;
- Condamné la société UPS - United Parcel Service France aux entiers dépens.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 21 juillet 2022, M. [R] a interjeté appel de ce jugement et sollicité son infirmation en ce qu'il :
- L'a débouté de ses demandes suivantes :
o 107 058,58 € au titre de la perte de salaire et des dommages et intérêts pour licenciement nul ;
o 13 095 € au titre de rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire, outre 1 309,50 € au titre des congés payés afférents ;
o 13 403,85 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 340,38 € au titre des congés afférents ;
o 45 386,93 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
o 53 791,56 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat ;
o 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 17 octobre 2022, M. [R] demande à la cour de :
1°) Infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 7 juillet 2022 en ce qu'il a:
- Jugé que le licenciement dont il a fait l'objet est fondé sur une faute grave ;
- Jugé que le licenciement dont il a fait l'objet n'est pas nul ;
- L'a débouté de sa demande indemnitaire pour préjudice moral lié à la perte de son emploi ;
- L'a débouté de sa demande indemnitaire pour le préjudice distinct résultant de la perte de chance de percevoir une pension de retraite supplémentaire et dévaloriser ses capitaux investis dans le PEE ;
- L'a débouté de sa demande indemnitaire pour dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement et préjudice d'image ou de réputation ;
2°) Confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 7 juillet 2022 en ce qu'il a :
- Condamner la société UPS - United Parcel Service France à lui verser la somme de 53 443,18 € au titre du préjudice subi sur le fondement de l'article L. 2422 - 4 du code du travail ;
- Rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances salariales et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées ;
3°) Et statuant de nouveau :
3.a) À titre principal :
- Juger nul le licenciement dont il a fait l'objet au constat de l'annulation de la décision administrative d'autorisation du licenciement ;
- Condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes :
o 53615,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
o 13095 € au titre de rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire, outre 1309,50 € au titre des congés payés afférents ;
o 13403,85 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1340,38 € au titre des congés payés afférents ;
o 45386,93 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
3.b) À titre subsidiaire :
- Juger le licenciement dont il a fait l'objet dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- Condamner la société UPS - United Parcel Service France à lui verser les sommes suivantes :
o 53615,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
o 13095 € au titre de rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire, outre 1309,50 € au titre des congés payés afférents ;
o 13403,85 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1340,38 € au titre des congés payés afférents ;
o 45386,93 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
4°) En tout état de cause :
- Condamner la société UPS - United Parcel Service France à lui verser la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la même aux entiers dépens.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 22 décembre 2022, la société UPS - United Parcel Service France demande à la cour de :
1°) À titre principal :
- Confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 7 juillet 2022 en ce qu'il a :
o Juger que le licenciement de M. [R] est fondé sur une faute grave ;
o Juger que le licenciement de M. [R] n'est pas nul ;
o Débouter M. [R] de sa demande indemnitaire pour préjudice moral lié à la perte de son emploi ;
o Débouter M. [R] de sa demande indemnitaire pour le préjudice distinct résultant de la perte de chance de percevoir une pension de retraite et dévaloriser ses capitaux investis dans le PEE ;
o Débouter M. [R] de sa demande de dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement et préjudice d'image ou de réputation ;
o Débouter M. [R] de sa demande indemnitaire pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat et manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail ;
- Infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 7 juillet 2022 en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [R] la somme de 53'443,18 € au titre du préjudice subi sur le fondement de l'article L. 2422 - 4 du code du travail ;
- Statuant à nouveau :
o Limiter l'indemnité octroyée à M. [R] au titre de l'article L. 2422 - 4 du code du travail a 45'669,54 € ;
o Débouter M. [R] de l'ensemble de ses autres demandes ;
2°) À titre subsidiaire :
- Dire et juger que le licenciement de M. [R] repose sur une cause réelle et sérieuse;
En conséquence :
- Limiter le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement à 45'386,93 € ;
3°) À titre infiniment subsidiaire :
- Limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement abusif à 13'447,89 € bruts ;
4°) En tout état de cause :
- Débouter M. [R] de ses autres demandes, fins et conclusions et notamment de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [R] au paiement de la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La clôture des débats a été ordonnée le 13 mars 2025 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 15 avril 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les " demandes " tendant à voir " constater " ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des " demandes " tendant à voir " dire et juger " lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
I - Sur la rupture du contrat de travail.
I.A - Sur la contestation du bien fondé du licenciement.
À titre liminaire, il convient de rappeler les termes de la lettre de licenciement du 23 février 2018, qui fixe les termes du litige (les encadrés sont mentionnés par l'employeur) : " le 21 novembre 2017, la société a été informée qu'une plainte a été déposée ce même jour au commissariat de [Localité 8] à votre encontre par Mme [D] [G], technicien ingénieur industriel.
Dans sa plainte, Mme [D] [G] indique avoir fait l'objet d'un harcèlement de votre part.
Extrait de la plainte de Mme [D] [G] :
" J'ai fréquenté entre février 2016 et juillet 2017 mon ancien chef de service M. [L] [R] ".
" Notre relation a été houleuse et je suis toujours allée dans son sens, car si je le contredisais, il me menaçait de s'en prendre à moi en cas de rupture et je craignais que notre relation ne nuise à mon cadre professionnel et personnel ".
" Il a continué à m'envoyer des textos jusqu'au 7 novembre 2017, en continuant à me harceler ".
" Du 7 novembre 2017 et jusqu'au 17 novembre 2017, [L] m'a envoyé une dizaine de textos par jour, pour me dire qu'il m'aimait et qu'il me demande des explications et il me menace de le dire ".
" Mon frère a reçu sur Facebook des messages de [L] l'informant de notre relation passée, et qu'il fallait que je prévienne mon concubin de la fin de notre relation, que s'il ne le faisait pas, il allait s'en charger ".
" Ce matin sur son compte Facebook, mon concubin M. [J] [A] a reçu des menaces de mort ".
" Je ne dors plus, je ne mange, j'ai peur de rentrer chez moi et de le croiser au travail, et de perdre mon travail, je suis coincée et je ne sais pas comment m'en sortir ".
Face à cette plainte, la direction des ressources humaines a immédiatement mené une enquête interne.
Au cours de cette enquête, il a été recueilli les témoignages de trois salariées qui se sont plaintes de votre comportement déplacé et obscène à leur égard.
Ces salariés sont respectivement :
- Mme [D] [G],
- Mme [N] [E],
- Mme [B] [M].
1. Mme [D] [G].
Mme [D] [G] avait 24 ans au moment de son embauche. Vous étiez son tuteur dans le cadre de son contrat d'apprentissage en alternance.
Lors de l'enquête, Mme [D] [G] s'est confiée sur votre relation qui a commencé par des compliments de votre part sur son physique telle que " tu es jolie ", " ça te va bien les cheveux comme ça ", des sollicitations par SMS, courriels, mais aussi par des critiques sur son conjoint.
Elle a expliqué avoir rapidement comprit l'erreur qu'elle commettait mais ne pas être parvenue à vous éloigner. Elle a ajouté avoir eu peur de vous.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Malheureusement, c'était mon tuteur et mon supérieur hiérarchique et lorsque j'avais besoin d'informations professionnelles ou universitaires j'étais obligée d'aller le voir. Au fil des mois, j'ai eu de plus en plus peur de lui, j'avais peur de ce que les gens pensaient et je faisais tout pour que les gens pensent que nous étions juste deux collègues qui s'entendaient bien. Je n'osais plus le contredire, j'avais peur qu'il dise que nous avions une relation de couple et je me disais que les gens l'auraient cru vu qu'au début nous nous entendions très bien. J'avais peur qu'il brise mon couple, peur de perdre mon travail, de rater mon Master' Je pensais qu'il avait le pouvoir de détruire ma vie et mon avenir simplement ['] Pour protéger mon copain, mes études et mon avenir professionnel, j'étais prêt à tout pour ne pas le contrarier".
Mme [D] [G] a indiqué que vous organisiez régulièrement des déplacements professionnels afin de vous retrouver seul avec elle et avoir des rapports sexuels. Vous avez d'ailleurs profité d'un déplacement professionnel pour avoir votre premier rapport sexuel avec elle.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Un soir en déplacement, il est venu frapper à la porte de ma chambre. Nous n'étions que tous les deux dans une chambre d'hôtel. Loin de chez moi, je n'avais eu nulle part où aller, je n'ai pas pu fuir, un endroit où courir me réfugier si je partais. Nous avons couché ensemble. Je n'en avais pas envie, mais je n'ai pas osé lui dire, ni lui montrer. J'avais peur de ce qu'il pourrait faire si je lui résistais. Je n'avais pas d'autre choix que de me laisser faire et attendre que ça passe. J'étais terrifiée ".
Mme [D] [G] explique que, tout au long de la relation, elle avait peur. Elle se sentait prise au piège.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" J'étais bloquée, il était trop tard, s'il décidait d'en parler à qui que ce soit, ma vie serait finie. Je perdais tout. J'ai donc fait tout ce que j'ai pu pour qu'il n'en parle jamais à personne. Je savais que si je le contrariais, il en parlerait ".
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Notre relation a été houleuse et je suis toujours allé dans son sens, car si je le contredisais il me menaçait de s'en prendre à moi en cas de rupture, et je craignais que notre relation ne nuise à mon cadre professionnel et personnel ".
Mme [D] [G] a mis fin votre relation au mois de juillet 2017.
Malgré cette rupture, vous avez continué à lui adresser des messages.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Il m'envoyait des déclarations d'amour par SMS, sur Skype, me suppliant de revenir avec lui ".
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Je recevais de nombreux textos, ou il me disait qu'il m'aimait et qu'il serait patient qu'il ne pouvait pas se passer de moi ".
Vous adressiez à Mme [D] [G] des messages, des photos en souvenir de votre relation passée' pour lui faire regretter sa décision.
Messages envoyés à Mme [D] [G] :
" Craps. On se dit tout. Ce retour sans te voir ni t'entendre plus la sortie [Localité 8]. Ça fait beaucoup' je sais que je n'étais pas obligé de t'attendre. Pas de souci je partirai avant à l'avenir mais' je ne sais pas trop où on va. À demain ".
" Dis tu t'en fous ' Je te saoule ' "
" Craps. J'aimerais tant que tu sois là. Bon après t'es pas trop raclette ".
" Bon laisse tomber t'en a rien à faire de moi je devais rêver ".
" Je n'ai pas dit mon dernier mot ".
" À mon tour d'être impatient de tes commentaires ".
Mme [D] [G] est restée distante.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" Je n'ai jamais répondu dans son sens, et je lui répondais qu'une simple relation amicale serait possible entre nous ".
Vous veniez également la voir très régulièrement dans son bureau, l'importunant ainsi pendant son temps de travail.
Extrait du témoignage de Mme [F] [X] :
" Depuis qu'elle [[D] [G]] a intégré l'équipe à la fin du mois de septembre 2017, j'ai constaté qu'elle est sollicitée en continu par [L] et perturbée durant ses heures de travail, qui finit par monter de 3 à 4 fois par jour ".
" J'ai commencé à voir qu'elle était manipulée par [L] ".
" Mes doutes sur sa manipulation étaient alimentés par les déplacements fréquents qu'ils faisaient ensemble quand [D] était " scheduler " auxquels il nous invitait même si notre présence n'est pas justifiée ou nos déplacements dans laquelle il s'incluait même si sa présence n'est pas primordiale ".
À compter du 6 novembre 2017, Mme [D] [G] a pris la décision de vous ignorer totalement.
Extrait du témoignage de Mme [D] [G] :
" J'ai décidé de l'ignorer peu importe ce que les gens diraient. Le lendemain, mardi 7 novembre, il est monté dans mon bureau en disant : bon maintenant, tu m'expliques ! Pourquoi tu ne réponds pas mes messages ' Pourquoi tu es si distante ' Qu'est-ce qui se passe ' ".
Face à l'ignorance de Mme [D] [G], vous vous êtes montré de plus en plus menaçant.
Messages envoyés à Mme [D] [G] :
" Je vais exposer après ce que tu dis. Prépare-toi ".
" Donc je fais semblant d'être saine, c'est pas le cas. Me larguer 2 fois t'es joueuse' Tu réfléchis dac c'est pas une menace à la [C] juste moi ".
" Tu te décides vite très vite d'ac ".
" Tu assumes quand tu racontes à [N] que tu voulais simplement qu'on soit amis ' T'es sérieuse ' Celle que j'aime c'est un bonhomme' J'ai honte de moi de toi. Tu te souviens que j'ai tellement confiance en toi que je t'ai déjà confié [O]' Reprends-toi vite mon chat ".
Mme [D] [G] a fait part de ses craintes à Mme [N] [E], salarié de l'entreprise, quant à votre comportement depuis votre rupture.
Mme [D] [G] a indiqué à Mme [N] [E] que vous continuiez à la contacter " par messages interposés et également par des appels nocturnes quand il était (vous étiez) sous l'emprise de l'alcool, messages d'amour puis de haine devant le silence ".
Mme [D] [G] indique que vous l'avez menacé de prévenir sa famille de votre relation.
Mme [N] [E] indique également que vous lui avez fait part de votre " sentiment de vengeance " à l'encontre de Mme [D] [G], de votre souhait que cette dernière et son compagnon souffrent autant que vous.
Vous lui avez expliqué être très en colère et souhaiter contacter le frère de Mme [D] [G], M. [W] [G], ainsi que son compagnon, M. [J] [A].
Échange entre vous et Mme [N] [E] sur Skype entreprise :
Mme [N] [E] : " c'est quoi qui est bon pour toi ' "
Vous : " que je me venge en faisant mal à l'autre ".
Extrait un courriel envoyé à Mme [N] [E] :
" Après toi, je préviendrai son frère puis son mec' J'ai beaucoup de colère en moi et je ne souhaite plus me faire mal pour l'évacuer ".
Vous avez par la suite confirmé à Mme [N] [E] avoir contacté ces 2 personnes en leur adressant un message sur Facebook.
Vous avez d'abord écrit un message Facebook à M. [W] [G], le frère de Mme [D] [G], lui décrivant votre relation avec cette dernière et lui demandant de lui parler.
Extrait d'un message reçu par M. [W] [G] sur Facebook :
" Je suis profondément amoureux de [D] et n'ai pas supporté cette déchirure' J'ai fait quelques séjours à [5] entre autres pour dépression, alcoolisation aiguë et tentative de suicide' [']
Sachant que vous avez une relation fusionnelle toi et [D] je souhaiterais que tu lui en parles je suis persuadé qu'elle va me détester à nouveau mais que cela lui sera profitable. ['].
Ta première réaction sera certainement de vouloir me faire la peau' pas de souci' Mais ne te trompe pas sur mes intentions je suis vraiment amoureux de ta s'ur et je ne veux que son bonheur. Par contre qu'elle fasse les choses bien avec l'autre' avant que je m'en occupe ".
Puis, vous avez écrit à M. [J] [A], le conjoint de [D] [G]. Vous lui avez d'abord transféré le message que vous aviez adressé à M. [W] [G] puis lui vous lui avez tenu les propos suivants : " si tu t'approches de chez moi je te tue, t'as compris. Tu t'approches de ma famille je te tue. Sois prudent. Et si tu t'en prends à L. Je te défonce. "
2. Madame [N] [E].
Au cours de l'enquête, Mme [N] [E] a indiqué que vous l'aviez récemment informé que vous aviez entretenu une relation extraconjugale, depuis le mois de février 2016, avec Mme [D] [G], alors que cette dernière était alternante dans votre service. Vous lui avez également fait part de votre rupture récente.
Premier temps, Mme [N] [E] explique avoir tenté de vous soutenir, car vous lui aviez indiqué être " dévasté " par cette séparation. Vous avez ainsi échangé plusieurs SMS, messages Skype entrepris ou courriel. Mais peu à peu, vous avez adopté un comportement de plus en plus insistant et ambigu allant jusqu'à tenir des propos extrêmement déplacés à son égard.
Vous la contactiez par tous moyens et à tout moment en lui envoyant des photos de vous, des messages' Vous lui faisiez régulièrement des remarques déplacées telles que " montre-moi ta robe ", " tu es habillé comment ' ", " Tu peux me masser ".
Mme [N] [E] indique avoir toujours gardé ses distances avec vous et refusait vos demandes de massage.
Échange entre vous et Mme [N] [E] par SMS :
Vous : " Rends-la [[D] [G]] jalouse et masse moi les épaules ".
Mme [N] [E] : " mdrrr non toujours non "
Vous lui avez également proposé d'avoir des relations sexuelles en lui disant : " allez demanda [D], je suis un bon coup ".
Mme [N] [E] a refusé mais vous avez continué d'insister.
Extrait du témoignage de Mme [N] [E] :
" Je lui ai répondu par la négative et il a insisté en expliquant que je devais avoir un point de comparaison avec mon copain car lui avait de l'expérience. J'ai insisté pour lui faire comprendre que je n'étais nullement intéressée. Il a alors utilisé des termes disant " je suis vieux mais en forme ", " j'assure le service après-vente " qu'avec lui c'est " satisfait ou remboursé ", mais je que je ne pourrais qu'être satisfaite ".
3. [B] [M]
Vous avez adopté un comportement déplacé à l'égard de Mme [B] [M], ancienne salariée de la société, en s'enfermant avec elle dans un bureau et en lui tenant des propos inconvenants.
Extrait du témoignage de Mme [B] [M] :
" Il a fermé les stores et nous nous sommes retrouvés complètement isolés lui et moi. J'étais très mal à l'aise à son arrivée dans la pièce et ne comprenait pas pourquoi il fermait la porte. Il m'a dit " c'est sympa de se retrouver juste toi et moi dans ce bureau seuls. À ce moment-là je me suis mise en colère en lui disant d'ouvrir cette porte immédiatement et je suis sortie ".
De tels agissements (pression, chantage, menaces, manipulations'), assimilables à du harcèlement moral que sexuel, ne peuvent être tolérés.
Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien dans l'entreprise. Dans ces conditions, votre licenciement prendra effet dès la première présentation de cette lettre par les services postaux, sans indemnité ni préavis.
En outre, en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laquelle nous vous avons mis à pied à titre conservatoire ne vous sera pas versé (') ".
***
Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir les éléments suivants :
- L'arrêt rendu le 2 décembre 2019 par la cour administrative d'appel de Paris a expressément relevé que les griefs relevaient " expressément de la vie privée du salarié " et étaient " non rattachables à l'exécution du contrat de travail ". Dès lors, en application du principe constitutionnel de la séparation du pouvoir exécutif et de l'autorité judiciaire, de la dualité des ordres de juridiction en France, lorsque le juge administratif annule une autorisation de licenciement au motif que les griefs ne sont pas établis que ceux-ci ne justifient pas la mesure de licenciement, le juge judiciaire perd toute liberté dans l'appréciation des faits et se trouve lié par la qualification donnée par le jugement administratif.
- Dès lors, le licenciement est exclusivement fondé sur un motif tiré de sa vie privée, et constitue, comme tel, une atteinte au respect de sa vie privée protégée au titre de ses droits fondamentaux. Il doit s'analyser comme un licenciement illicite.
En réponse, l'employeur fait valoir les arguments suivants :
- En cas d'annulation de la décision administrative autorisant le licenciement d'un salarié protégé, dans la mesure où cette annulation ne laisse rien subsister de celle-ci, il appartient au juge judiciaire, saisi de la demande d'indemnité, d'apprécier le caractère réel et sérieux de la cause de licenciement.
- Si la cour administrative d'appel a considéré que les manquements relevaient de la vie privée du salarié et avaient en conséquence été mal qualifiés par le ministre du travail dans son autorisation de licenciement, elle n'en a pas contesté la réalité.
C'est donc à juste titre que le conseil des prud'hommes a pu considérer que M. [R] avait commis une faute grave justifiant son licenciement en relevant que si la relation entretenue par M. [R] avec Mme [G] relevait de sa vie privée, celle-ci a pris le pas sur le professionnel, puisque cette salariée en a été affectée, et que M. [R] a utilisé des moyens de communication professionnelle pour en alimenter les échanges, et qu'il a eu des comportements inappropriés avec d'autres salariés de l'entreprise, Mme [E] et Mme [M], sur le lieu de travail et en dehors.
L'employeur considère que dans la mesure où la décision administrative autorisant le licenciement de l'appelant n'existe plus, le juge judiciaire a retrouvé sa liberté de juger de la cause du licenciement intervenu, que la cour ne pourra que confirmer la faute grave retenue.
- Le licenciement d'un salarié pour des faits relevant de sa vie privée n'est pas en soi discriminatoire, dès lors que son comportement a créé un trouble objectif au sein de la société (Cass Soc 14 novembre 2000).
Or, en l'espèce, son comportement a eu de fortes répercussions au sein de la société, notamment après de ses trois collègues de travail, toutes très jeunes, alors qu'il occupait des fonctions d'encadrement ainsi que des fonctions représentatives du personnel.
Sur ce,
En application de la loi des 16-24 août 1790 posant le principe de la séparation des pouvoirs entre juridictions administratives et judiciaires, et de l'article L. 2421-3 du code du travail, il a été jugé que lorsque le juge administratif a retenu que les faits fautifs invoqués par l'employeur, soit n'étaient pas établis, soit ne justifiaient pas la mesure de licenciement, sa décision s'oppose à ce que le juge judiciaire, appréciant les mêmes faits, décide qu'ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass Soc 26 septembre 2007, n°05-42.599).
En l'occurrence, l'ensemble des griefs contenus dans la lettre de licenciement ont été examinés et écartés par les décisions de l'inspectrice du travail du 15 février 2018 et du ministre du travail du 7 septembre 2018, ainsi que par les décisions du tribunal administratif de Paris du 28 mai 2019 et de la cour administrative d'appel de Paris du 2 décembre 2019, décision devenue définitive après la décision du Conseil d'Etat du 23 février 2021 rejetant le recours dirigé à son encontre.
A ce titre, la cour administrative d'appel de Paris a notamment retenu que les griefs " qui fondent la décision attaquée de la ministre du travail du 7 septembre 2018 autorisant le licenciement de M. [R] relèvent exclusivement à la vie privée du salarié et (') ne sont pas rattachables à l'exécution de son contrat de travail ". Elle a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 28 mai 2019 et l'article 3 de la décision du ministre du travail du 7 septembre 2018 autorisant le licenciement du salarié.
Dès lors, contrairement à ce que soutient l'employeur, la juridiction prud'homale est tenue par l'autorité de la chose jugée qui s'attache à ces décisions en ce compris ses motifs et ne peut plus apprécier les motifs du licenciement lorsqu'ils ont été examinés par le juge administratif, mais uniquement en tirer les conséquences de droit quant à la rupture du contrat de travail.
Aussi, la cour ne peut-elle que constater qu'en application de la décision de la cour administrative d'appel de Paris précitée, le licenciement est nul en raison de l'annulation ultérieure de l'autorisation administrative et de la violation du droit fondamental au respect de la vie privée, retenue par cette même décision. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que le licenciement notifié au salarié n'était pas nul, et était fondé sur une faute grave.
I.B - Sur les conséquences financières du licenciement.
Le salarié sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer :
- 53 615,40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
- 13 095 euros à titre de rappel de salaire pour mise à pied conservatoire, outre les congés payés afférents ;
- 13 403,85 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1 340,38 euros;
- 45 386,93 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
L'employeur s'y oppose en faisant valoir que le licenciement du salarié n'est pas nul ni discriminatoire dès lors que son comportement a créé un trouble objectif au sein de la société; qu'il n'est pas davantage dépourvu de cause réelle et sérieuse. A titre subsidiaire, il sollicite la réduction des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au plancher de trois mois de salaires, c'est-à-dire la somme de 13 447,89 euros bruts.
1 - Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire.
Le salarié a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire du 24 novembre 2017 au 23 février 2018, c'est-à-dire 2 mois et 30 jours.
Il ressort des bulletins de salaire produits que le montant du salaire s'élève à 4 365 euros bruts, outre 102,95 euros au titre de l'avantage en nature au titre de la voiture.
Dans les limites de la demande, l'employeur sera donc condamné à payer au salarié la somme de 13 095 euros au titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire, outre les congés payés afférents, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point.
2 - Sur la demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.
Aux termes de l'article 17 de l'annexe III de la convention collective applicable, la durée du préavis est, sauf faute lourde ou grave, de deux mois pour les agents de maîtrise des groupe 1 à 5 justifiant d'une ancienneté de plus de 2 ans, ce qui est le cas du salarié.
Le montant de l'avantage en nature devant être pris en compte, l'indemnité compensatrice de préavis s'élève à la somme de 8 935,90 euros, outre les congés payés afférents. L'employeur sera condamné à payer cette somme au salarié, le jugement étant réformé sur ce point.
3 - Sur l'indemnité de licenciement.
L'article 18 de l'annexe III de la convention collective applicable prévoit que l'agent de maîtrise justifiant d'au moins trois années d'ancienneté bénéficie d'une indemnité de licenciement égale à 3/10ème de mois par année de présence, sur la base de son salaire effectif au moment où il quitte ses fonctions.
Cette indemnité est donc plus favorable que celle supplétive de l'article R. 1234-2 du code du travail, et sera donc celle appliquée.
En l'occurrence, le salarié justifie d'une ancienneté de 26 ans et 3 mois. En application de l'article R. 1234-4 du code du travail, sera retenue la moyenne des douze derniers mois précédant le licenciement, plus favorable au salarié.
En conséquence, l'indemnité de licenciement sera fixée à la somme de 42 924,87 euros. L'employeur sera condamné à payer cette somme au salarié, le jugement étant infirmé sur ce point.
4 - Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul.
En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, lorsque le licenciement est entaché de nullité pour violation d'une liberté fondamentale et que le salarié ne sollicite pas sa réintégration, le juge lui octroie une indemnité, mise à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
En l'occurrence, le salarié était âgé de 53 ans au moment du licenciement, et justifiait d'une ancienneté de 26 années complètes. Il produit également ses justificatifs d'imposition montrant qu'il a perçu, pour 2018, des salaires et assimilés pour un montant annuel de 28 429 euros, et, au titre de 2019, de 31 176 euros. Il verse au débat une attestation fiscale de Pôle Emploi montrant qu'il a perçu au titre de 2020 des indemnités à hauteur de 23 947 euros. Il expose avoir en outre un enfant à charge, ce qui est corroboré par les avis d'imposition produits.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, des circonstances de la rupture, le préjudice subi par le salarié du fait du licenciement nul dont il a fait l'objet sera justement réparé par l'octroi d'une indemnité de 35 000 euros. L'employeur sera condamné à payer cette somme au salarié, le jugement étant infirmé sur ce point.
II - Sur l'indemnité au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail.
L'employeur conteste le calcul opéré par le premier juge pour fixer la somme mise à sa charge par le premier juge au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail, aux motifs suivants:
- La période à prendre en compte court du 23 février 2018 au 2 février 2020, soit 1 an, 11 mois et 6 jours ;
- Il convient de prendre en compte l'ensemble des salaires auxquels le salarié aurait pu prétendre sur cette période, et de déduire de ce montant l'ensemble des indemnités ou salaires qu'il a perçus durant cette période.
La rémunération du salarié s'élevait à 4 467,95 euros bruts, dont 102,95 euros au titre de l'avantage en nature véhicule ;
En 2016, sa rémunération nette imposable était de 53 484 euros ;
Au vu des calculs du salariés, il aurait dû percevoir une rémunération nette imposable globale de 107 270, 12 euros. Or, il a perçu sur cette période une rémunération de 61 600,58 euros, de sorte qu'il ne peut prétendre qu'à une indemnité de 45 669,54 euros.
Pour sa part, le salarié sollicite la confirmation de la décision entreprise sur ce point, et fait valoir les éléments suivants :
- La période d'indemnisation s'étend de la date du licenciement, le 23 février 2018, à l'expiration du délai de deux mois suivant la décision d'annulation du 2 décembre 2019, soit jusqu'au 2 février 2020.
- Doivent être pris en compte dans le calcul de l'indemnité :
Le montant net imposable de ses revenus sur la base de ses avis d'impôts sur les revenus ;
Les augmentations individuelles de salaire qu'il a obtenues par le passé, qui conduisent à retenir qu'il aurait dû bénéficier d'une augmentation annuelle moyenne de 1,28% sur la période concernée ;
Au regard de ces éléments, il aurait dû percevoir sur la période concernée la somme de 107 562 euros et n'a en réalité perçu que 61 600 euros, aboutissant à un manque à gagner de 45 692 euros ; qu'au regard d'un taux de cotisation salariale entre salaire brut et net de 18,4526 %, il convient de retenir la somme de 54 443,18 euros.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail, " lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision.
L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration.
Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire ".
En l'occurrence, les parties conviennent de ce que la durée à prendre en compte s'étend du 23 février 2018 au 2 février 2020, c'est-à-dire 1 an, 11 mois et 10 jours. Il a été vu précédemment que le salaire du salarié s'élevait à 4 467,95 euros, avantage en nature compris.
Les parties conviennent encore de ce que l'intéressé aurait dû percevoir une rémunération nette imposable globale de 107 270,12 euros ; qu'il n'a perçu sur la période que la somme de 61 600 euros. En conséquence, la différence s'établit à 45.670,12 euros nets, soit 54097,44 euros bruts.
La cour ne pouvant statuer ultra petita, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à verser au salarié la somme de 53 443,18 euros (bruts) au titre de l'indemnité relative à la violation du statut protecteur.
III - Sur les frais irrépétibles et dépens.
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens.
Succombant à l'instance, l'employeur sera débouté de ses demandes sur ces mêmes fondements.
L'équité commande de le condamner à payer au salarié la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera en outre condamné aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile,
Dans la limite de la dévolution,
INFIRME le jugement rendu le 7 juillet 2022 par le conseil de prud'hommes de Lyon dans le litige opposant M. [R] à la société UPS - United Parcel Service France en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le licenciement de M. [R] n'est pas nul et est fondé sur une faute grave ;
CONFIRME ledit jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau, dans cette limite,
Vu l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 décembre 2019 annulant le jugement du tribunal administratif de Paris du 28 mai 2019 et l'article 3 de la décision de la ministre du travail du 7 septembre 2018 autorisant le licenciement de M. [R] ;
CONDAMNE la société UPS - United Parcel Service France à payer à M. [R] les sommes suivantes :
- 13 095 euros au titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire, outre 1 309,50 euros au titre des congés payés afférents ;
- 8 935,90 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 893,59 euros au titre des congés payés afférents ;
- 42 924,87 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;
- 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
RAPPELLE que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Ordonne la remise par la société UPS - United Parcel Service France à M. [R] des documents de fin de contrat et d'un bulletin de salaire rectifié dans un délai de deux mois à compter de ce jour ;
Y AJOUTANT,
ORDONNE le remboursement par la UPS - United Parcel Service France à Pôle Emploi devenu France Travail des indemnités de chômages versées à [R] du jour de son licenciement dans la limite d'un mois d'indemnités de chômage ;
DIT qu'en application des dispositions de l'article R.1235-2 du code du travail, lorsque le remboursement des allocations chômages est ordonné d'office par la cour d'appel, le greffier de cette juridiction adresse une copie certifiée conforme de l'arrêt à Pôle Emploi devenu France Travail ;
CONDAMNE la société UPS - United Parcel Service France à verser à M. [R] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes ;
CONDAMNE la société UPS - United Parcel Service France aux entiers dépens de l'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE