CA Versailles, ch. com. 3-1, 10 septembre 2025, n° 23/02449
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Speed Rabbit Pizza (SA)
Défendeur :
Domino's Pizza France (SAS), Jeremy Pizz (SARLU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubois-Stevant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, Mme Meurant
Avocats :
Me Zerhat, Me Mze, Me Voitellier, Me Semoun, Me Riera-Thiebault, Me Saint-Esteben, Me Faivre
Exposé des faits et du litige
La société Domino's Pizza France (« la société DPF ») et la société Speed Rabbit Pizza (« la société SRP ») ont pour activité l'exploitation en franchise de points de vente de pizza à emporter et livraison rapide à domicile sur l'ensemble du territoire.
Considérant que la société DPF s'est rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses notamment par l'usage de la mention « pâte fraîche » dans sa communication, la société SRP l'a assignée, par acte du 22 février 2019, devant le tribunal de commerce de Nanterre en concurrence déloyale.
La société Jeremy Pizz, qui exploitait en location-gérance deux points de vente de pizzas sous l'enseigne Pizza Sprint à [Localité 9], est intervenue volontairement à l'instance le 12 février 2020.
Dans le cadre d'une autre instance les opposant devant le tribunal de commerce de Nanterre, des échanges entre des juges ont été enregistrés illégalement et publiés sur internet. Considérant que leur impartialité était susceptible d'être mise en cause, les juges du tribunal de commerce de Nanterre ont décidé de s'abstenir et toutes les affaires opposant les parties ont été renvoyées devant le tribunal de commerce de Versailles.
Par jugement du 20 janvier 2023, le tribunal de commerce de Versailles a :
- dit recevable la société Jeremy Pizz en son intervention volontaire ;
- condamné la société DPF à payer à la société SRP la somme de 31.042 euros à titre de dommages et intérêts pour pratiques commerciales trompeuses ;
- condamné la société DPF à payer à la société Jeremy Pizz la somme de 8.466 euros à titre de dommages et intérêts pour pratiques commerciales trompeuses ;
- débouté la société SRP de sa demande de faire interdiction à la société DPF d'utiliser la mention « fraîche » pour qualifier ses pâtes à pizza ;
- débouté la société Jeremy Pizz de sa demande pour préjudice moral ;
- débouté la société DPF de sa demande de dommages et intérêts pour violation du secret des affaires ;
- débouté la société DPF de sa demande au titre de la procédure abusive ;
- condamné la société DPF à payer à la société SRP la somme de 10.000 euros et à la société Jeremy Pizz la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société DPF aux dépens.
Le tribunal a retenu l'existence de pratiques commerciales trompeuses commises par la société DPF entre 2014 et 2018 en raison de l'utilisation de la mention « pâte fraîche » et l'a écartée pour la période postérieure à 2018. Il n'a pas retenu de telles pratiques s'agissant de l'utilisation du terme « frais » pour les ingrédients de la garniture.
Par déclaration du 13 avril 2023, la société SRP a fait appel de ce jugement, en intimant la société DPF, en ce qu'il a condamné la société DPF à lui payer la somme de 31.042 euros à titre de dommages et intérêts pour pratiques commerciales trompeuses et la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de faire interdiction à la société DPF d'utiliser la mention « fraîche » pour qualifier ses pâtes à pizza.
Par acte du 10 octobre 2023, remis à une personne habilitée à le recevoir, la société DPF a assigné en appel provoqué la société Jeremy Pizz.
Par dernières conclusions n° 5 remises au greffe et notifiées par RPVA le 21 février 2025, la société SRP demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société DPF à lui payer la somme de 31.042 euros à tire de dommages et intérêts pour pratiques commerciales trompeuses et l'a déboutée de sa demande de faire interdiction à la société DPF d'utiliser la mention « fraîche » pour qualifier ses pâtes à pizza et, statuant à nouveau, de :
- condamner la société DPF à lui verser à titre principal la somme de 27.056.000 euros, subsidiairement la somme de 13.528.000 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts correspondant à l'avantage concurrentiel indu dont a bénéficié la société DPF en raison de ses pratiques commerciales trompeuses ;
- sur les demandes reconventionnelles de la société DPF, rejeter ses demandes visant à sa condamnation in solidum avec la société Jeremy Pizz à lui verser la somme de 280.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du secret des affaires, la somme de 30.000 euros en réparation du préjudice subi pour procédure abusive, la somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
- en tout état de cause, débouter la société DPF de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, faire interdiction à la société DPF d'utiliser la mention « fraîche » sur quelque support que ce soit et à quelque destination que ce soit (y compris au sein du réseau Domino's Pizza) pour qualifier ses pâtes à pizza, ses ingrédients et donc ses pizzas, sous astreinte de 10.000 euros par infraction et par jour d'utilisation à compter de la notification de la décision à intervenir, dire que la cour se réservera de liquider l'astreinte, condamner la société DPF à lui payer la somme de 70.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par dernières conclusions n° 5 remises au greffe et notifiées par RPVA le 13 février 2025, la société DPF demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a refusé d'écarter des débats et déclarer prescrites les pièces produites par les sociétés SRP et Jeremy Pizz, l'a condamnée à payer à la société SRP la somme de 31.042 euros et à la société Jeremy Pizz la somme de 8.466 euros à titre de dommages et intérêts pour pratiques commerciales trompeuses, l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour violation du secret des affaires, l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre des sociétés SRP et Jeremy Pizz pour procédure abusive ;
- statuant à nouveau, d'écarter des débats, ou à tout le moins déclarer mal fondé l'ensemble des éléments factuels invoqués par les sociétés SRP et Jeremy Pizz relativement à une période antérieure au 22 février 2014, de débouter les sociétés SRP et Jeremy Pizz de leur demande visant à sa condamnation à leur verser respectivement la somme de 27.056.000 euros et la somme de 240.589 euros à titre de dommages et intérêts pour pratiques commerciales trompeuses, de débouter la société Jeremy Pizz de sa demande visant à sa condamnation à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de réparation de son préjudice moral, de condamner in solidum les sociétés SRP et Jeremy Pizz à lui verser la somme de 280.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du secret des affaires, de fixer au passif de la société Jeremy Pizz sa créance à ce titre à hauteur de 280.000 euros à titre chirographaire, de condamner in solidum les sociétés SRP et Jeremy Pizz à lui verser la somme de 30.000 euros en réparation du préjudice subi pour procédure abusive et de fixer au passif de la société Jeremy Pizz sa créance à ce titre à hauteur de 30.000 euros à titre chirographaire ;
- en tout état de cause, de condamner in solidum les sociétés SRP et Jeremy Pizz à lui verser la somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de fixer au passif de la société Jeremy Pizz sa créance à ce titre à hauteur de 200.000 euros à titre chirographaire, de condamner les sociétés SRP et Jeremy Pizz aux dépens, de fixer au passif de la société Jeremy Pizz sa créance à ce titre à titre chirographaire, de débouter les sociétés SRP et Jeremy Pizz de toutes demandes contraires au présent dispositif, de fixer au passif de la société Jeremy Pizz sa créance au titre de la restitution de la somme qu'elle lui a versée en première instance à hauteur de 8.466 euros à titre chirographaire.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 27 décembre 2023, la société Jeremy Pizz demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société DPF à lui payer la somme de 8.466 euros seulement à titre de dommages et intérêts pour pratiques commerciales trompeuses, l'a déboutée de sa demande de réparation au titre du préjudice moral et, statuant à nouveau, de condamner la société DPF à lui payer la somme de 240.589 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des pratiques commerciales trompeuses et la somme de 10.000 euros à titre de réparation de son préjudice moral, de débouter la société DPF de l'intégralité de ses demandes, de la condamner à lui payer la somme de 12.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux dépens.
Par jugement du tribunal de commerce de Rennes du 11 septembre 2024, la société Jeremy Pizz a été placée en liquidation judiciaire et Me [D] [N] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte du 5 novembre 2024, remis à une personne habilitée à recevoir l'acte, la société DPF a assigné en intervention forcée Me [D] [N], ès qualités. Me [N] ès qualités n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 27 février 2025.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
La cour n'est pas saisie du chef du jugement ayant dit recevable la société Jeremy Pizz en son intervention volontaire, aucune partie n'en ayant fait appel.
La société Jeremy Pizz a été placée en liquidation judiciaire pendant l'instance d'appel, avant l'ouverture des débats.
Elle a formé un appel incident du jugement en ce qu'il a condamné la société DPF à lui payer la somme de 8.466 euros seulement à titre de dommages et intérêts pour pratiques commerciales trompeuses et l'a déboutée de sa demande au titre du préjudice moral. Mais Me [N] ès qualités n'ayant pas comparu devant la cour, cet appel incident n'est plus soutenu. Si le premier de ces deux chefs a également fait l'objet d'un appel incident de la société DPF que la cour doit examiner, la cour ne peut que confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la société Jeremy Pizz au titre d'un préjudice moral.
La société DPF formant des demandes en paiement à l'encontre de la société Jeremy Pizz, la cour examinera les moyens que la société Jeremy Pizz soutient pour s'y opposer et ce, en vertu des droits propres du débiteur sous procédure collective.
1. Sur la demande de la société DPF de rejet de certains éléments factuels des débats
Devant le tribunal, la société DPF, assignée le 22 février 2019, a demandé au tribunal d'écarter des débats ou, à tout le moins, de juger inopérants et non pertinents les éléments factuels invoqués relativement à une période antérieure au 22 février 2024 et en particulier les pièces n° 6 à 25 produites par la société SRP couvrant une période allant de 1999 à 2013. Le tribunal, écartant dans ses motifs la prescription dès lors que les sociétés SRP et Jeremy Pizz formaient des demandes indemnitaires relatives à des préjudices subis à compter du 22 février 2014, a rejeté la demande de la société DPF.
Devant la cour, la société DPF demande l'infirmation de ce dernier rejet et réitère sa demande de voir écarter des débats, ou de déclarer mal fondé, l'ensemble des éléments factuels invoqués par les sociétés SRP et Jeremy Pizz relativement à la période antérieure au 22 février 2014. Elle vise ainsi les pièces n° 6 à 25 produites par la société SRP, « une partie des éléments figurant dans le constat d'huissier du 17 septembre 2009 » produit par la société SRP en pièce n° 115 et par la société Jeremy Pizz en pièce n° 9 et les autres pièces de la société Jeremy Pizz, identiques à celles de la société SRP.
Elle soutient que ces pièces sont dénuées de pertinence, en ce qu'elles portent sur une période allant de 1999 à 2013 antérieure aux actes reprochés après le 22 février 2014, et qu'elles ne peuvent dès lors être utiles à la démonstration de l'existence de ces actes et de l'ampleur des préjudices allégués.
La société SRP, qui rappelle qu'elle demande une réparation au titre des agissements mensongers de la société DPF seulement à compter du 22 février 2014, s'oppose à la demande de la société DPF.
Elle fait valoir que le juge peut fonder son analyse sur des faits prescrits, que les pièces visées, régulièrement obtenues et communiquées, ne peuvent pas être écartées des débats et qu'en démontrant que les agissements de la société DPF s'étendent au-delà de la période non prescrite, elles ont nécessairement un impact sur l'ampleur du préjudice.
La société Jeremy Pizz n'a pas conclu sur ce point.
Sur ce,
La pertinence des éléments factuels et des pièces s'y rapportant au regard des demandes formulées par une partie relève de l'appréciation au fond de ces demandes par la cour. Le défaut apparent, même manifeste, de pertinence d'un fait invoqué par une partie ou d'une pièce produite ne saurait justifier que ces pièces soient écartées des débats par la cour avant tout examen au fond.
La cour, ajoutant au jugement, rejettera la demande de la société DPF.
2. Sur l'action en concurrence déloyale exercée par la société SRP et fondée sur une pratique commerciale trompeuse de la société DFP
La société SRP soutient que ni la pâte à pizza ni les ingrédients utilisés par la société DPF ne peuvent être qualifiés de frais au sens d'un avis du Conseil national de la consommation (« le CNC ») du 8 février 1990, dont la valeur normative est admise, et qu'en utilisant le terme « frais » pour qualifier sa pâte à pizza et ses ingrédients et en ayant bâti sa stratégie commerciale et de communication sur cette fraîcheur supposée, à partir d'un raccourci trompeur entre le caractère frais de la pâte à pizza et son absence de congélation, la société DPF a adopté une pratique commerciale trompeuse au sens des articles L.121-1 et suivants du code de la consommation.
Elle fait valoir que la société DPF a utilisé avant 2018, et utilise encore aujourd'hui, des additifs alimentaires, de l'huile hydrogénée et du gluten déshydraté qui influent sur la conservation, l'aspect et les qualités organoleptiques et hygiéniques de la pâte à pizza et la privent de tout caractère « frais », que les autres ingrédients entrant dans la composition de la pizza ne sont pas non plus frais dès lors qu'ils sont congelés ou contiennent des additifs modifiant leurs caractéristiques organoleptiques, que la communication massive autour de la fraîcheur de la pâte, encore d'actualité en 2024, est de nature à altérer le comportement économique des consommateurs en leur faisant croire au caractère artisanal de la fabrication des pizzas, que les contenus publicitaires de la société DPF mentionnent à la fois la fraîcheur de la pâte et son absence de congélation ou ne font même pas référence à l'absence de congélation de sorte qu'il ne peut être soutenu que le terme « fraîcheur » serait une référence à l'absence de congélation, qu'en tout état de cause, associer la fraîcheur et l'absence de congélation est trompeur pour le consommateur.
Elle affirme que c'est à la société DPF, qui se prévaut de la fraîcheur de sa pâte et de ses ingrédients dans ses messages publicitaires, de démontrer la véracité de ses allégations conformément à la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 et prétend que la société DPF échoue à rapporter cette preuve en communiquant des rapports d'experts, non contradictoires donc inopposables, qui ne sont, en tout état de cause, pas pertinents.
La société DPF réplique qu'il appartient à la société SRP de démontrer l'existence d'une pratique commerciale trompeuse et que la directive n° 2005/29/CE ne prévoit pas de renversement de la charge de la preuve, contrairement à ce qu'elle affirme.
Elle soutient que la société SRP échoue à démontrer une communication constante, omniprésente et multisupports de sa part quant à la fraîcheur de sa pâte et de ses ingrédients.
Elle fait valoir que le tribunal, qui a retenu à tort une pratique commerciale trompeuse entre le 22 février 2014 et juin 2018, s'est fondé sur des pièces qui sont antérieures au 22 février 2014 ou relatives à des articles de presse dont elle n'est pas responsable ou relatives à l'absence de congélation ou encore postérieures au mois de juin 2018, ou non datées, que sa communication concernant la fraîcheur de sa pâte est en réalité anecdotique, que les avis du CNC n'ont aucune valeur normative, qu'en tout cas la recette de sa pâte respecte les trois conditions de l'avis du 8 février 1990 de sorte que le terme frais pouvait être utilisé avant et après le mois de juin 2018, date de modification de la recette de sa pâte, que le terme frais peut être utilisé pour certains ingrédients de sa pizza, qu'elle n'a jamais prétendu que tous les ingrédients composant une pizza étaient frais, c'est-à-dire jamais congelés, que le fait que certains ingrédients soient congelés n'a aucune incidence vu qu'il n'est pas démontré qu'elle a communiqué sur la fraîcheur de ces ingrédients spécifiquement.
Sur ce,
L'article L. 121-1 du code de la consommation, créé par l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, interdit les pratiques commerciales déloyales et qualifie de déloyale une pratique commerciale « lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service ». Il ajoute que « constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 ».
La société SRP invoque en particulier le I, 2°,b, de l'article L. 121-1 devenu le 2°,b, de l'article L. 121-2, dans sa rédaction applicable en l'espèce, qui dispose qu'une pratique commerciale est trompeuse « lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur (') les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ».
Il appartient à la société SRP, qui se prévaut d'une pratique commerciale trompeuse de la société DPF au soutien de son action en concurrence déloyale exercée sur le fondement de l'article 1240 du code civil, d'apporter la preuve du caractère trompeur des allégations litigieuses « pâte fraîche » et « frais », étant observé que la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005, au demeurant transposée en droit français, énonce dans son considérant 21 que la charge de la preuve est déterminée conformément à la législation nationale.
Dès lors que la société SRP invoque une pratique commerciale trompeuse de la société DPF en France à compter du 22 février 2014, parmi les pièces qu'elle produit seules celles datées postérieurement au 22 février 2014 sont susceptibles d'en apporter la preuve et, parmi celles-ci, la vidéo concernant une pizza commercialisée aux Etats-Unis et au Royaume-Uni est inopérante.
La société SRP démontre suffisamment que, sur cette période pertinente, la société DPF a communiqué auprès des consommateurs, constamment et largement, sur la qualité de la pâte de ses pizzas en la qualifiant de « fraîche » : l'expression « pâte fraîche » est la seule apparaissant sur une photographie de pizza apposée en août 2019 sur la devanture de l'une de ses usines de fabrication de la pâte, à [Localité 11] ; la société DPF impose à ses franchisés les supports publicitaires dont ils doivent équiper leur établissement parmi lesquels figurent l'information « de la pâte garantie jamais jamais jamais congelée » ou « une pâte garantie jamais congelée » ou « une pâte fraîche » ; le site de la société DPF indiquait le 18 octobre 2014 que la « pâte est toujours fraîche et jamais congelée » ; la société DPF communique auprès d'agences de presse, en vue d'un relais dans la presse, et de la presse locale, lors de l'ouverture d'un nouvel établissement, ou sur les réseaux sociaux en reprenant systématiquement la particularité de ses pizzas élaborées « à partir de pâte fraîche » (18 octobre 2014, 14 septembre 2015, 4 novembre 2016, 10 avril 2017, 3 novembre 2017, 4 janvier 2018, 18 juin 2020, 21 décembre 2020), cette communication étant in fine à destination des consommateurs ; ses prospectus font état de « pizza pâte fraîche » (mai 2017, été 2018) de même que la page de son site de commande en ligne (14 juin 2018) ; les camions de livraison ont supporté à compter de 2018 une signalétique mettant en exergue l'emploi de pâte fraîche.
Pour soutenir que cet emploi de l'expression « pâte fraîche » est trompeur, la société SRP se prévaut d'une note du CNC du 8 février 1990 qui vise l'emploi du mot frais se rapportant à l'état d'une denrée alimentaire lors de sa présentation à la vente.
Ainsi pour avoir droit au qualificatif « frais » un produit alimentaire doit, selon cette note, satisfaire à une triple condition :
- posséder, au moment de la vente, les caractéristiques essentielles, notamment organoleptiques et hygiéniques, qu'il présentait lors de la production ou de la fabrication ;
- ne pas avoir été conservé grâce à l'emploi de tout traitement ou à l'addition de toute substance destinée à stopper l'activité des enzymes et de la microflore, exception faite de la réfrigération et, dans certains cas, de la pasteurisation ;
- avoir été produit ou fabriqué depuis moins de trente jours.
Mais cette note est dépourvue de force obligatoire de sorte que le non-respect de l'une des conditions qu'elle énonce ne peut à lui seul établir une pratique commerciale trompeuse.
Si elle présente un intérêt, car elle tend à aboutir à un usage du terme « frais » en matière de denrées alimentaires propre à éviter des distorsions de concurrence, elle ne constitue pour autant qu'une simple référence parmi d'autres éléments ' tels que la compréhension par le consommateur moyen, et non par les professionnels, des termes employés à son attention ' permettant d'apprécier si, en l'espèce, en communiquant auprès du consommateur sur « une pâte fraîche » et le caractère « frais » des ingrédients utilisés, la société DPF a employé une allégation fausse ou induit en erreur le consommateur sur cette qualité et si cette pratique a altéré ou est susceptible d'avoir altéré de manière substantielle le comportement économique du consommateur de pizzas livrées à domicile ou à emporter, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l'égard de ces produits.
Or en l'espèce, l'introduction d'additifs ou l'utilisation d'huile partiellement hydrogénée ne remettent pas en cause le fait que les pâtons sont fabriqués par la société DPF dans deux usines dont l'une située en Ile-de-France, à la demande de chaque franchisé, qu'ils sont livrés le lendemain de leur fabrication et utilisés entre le 3ème et le 5ème jours après leur fabrication, la conservation étant assurée par la seule réfrigération.
A supposer même pour les besoins du raisonnement que ces additifs et huile partiellement hydrogénée aient des vertus en termes d'amélioration de la conservation de la pâte, ce qui est contesté par la société DPF, il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce les pâtons sont employés pour l'élaboration de pizzas à la commande au plus tard le 6ème jour de leur fabrication, la société DPF déconseillant toutefois l'emploi d'un pâton ce jour-là.
De telles conditions d'emploi des pâtons peu de jours après leur fabrication correspondent à ce qu'un consommateur, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ayant recours à un service de livraison à domicile ou de vente à emporter, peut lui-même qualifier de « pâte fraîche », l'essentiel pour lui étant que le produit n'ait été ni congelé ni surgelé ni conditionné sous vide ou sous atmosphère modifiée avant utilisation, comme c'est le cas des pâtons fabriqués par la société DPF. L'allégation de « pâte fraîche » dont se prévaut la société DPF n'est pas fausse ni n'est de nature à induire en erreur ce consommateur sur la qualité de la pâte, alors qu'elle correspond au sens commun compris par tout consommateur moyen, et elle n'est manifestement pas de nature à altérer de manière substantielle son comportement économique, aucun élément en discussion ne permettant d'affirmer, comme le fait la société SRP, que le vocable « pâte fraîche » induit en soi une fabrication artisanale et encore moins qu'il confère au réseau de commerce de vente à emporter et de livraison à domicile de pizzas développé par la société DPF un caractère artisanal trompant le consommateur.
S'agissant des additifs empêchant, selon la société SRP, la société DPF d'user du terme « pâte fraîche », la société SRP se borne à produire des documents à portée générale : une présentation générale et théorique de la fermentation panaire, une fiche pratique de la DGCCRF sur les techniques de conservation des aliments, un extrait du site de l'ANSES sur les additifs alimentaires en général, un court article numérique d'un industriel, spécialisé dans les gaz industriels, sur l'hydrogénation de l'huile et une publication numérique de L'UFC Que choisir sur l'additif E 481, précisant que l'E 481 « améliore le temps de conservation ».
A l'opposé, la société DPF verse aux débats une analyse des additifs invoqués par la société SRP produite par M. [V], expert près la cour d'appel de Paris dans la section « agro-alimentaire et biotechnologie », dans deux rapports établis en octobre et décembre 2021, analyse selon laquelle les additifs artificiels E 300, E 480, E 481 et E 920, les huiles hydrogénées et le gluten n'ont pas de rôle dans la conservation des pâtons ni ne sont de nature à modifier leurs caractéristiques organoleptiques et hygiéniques entre leur fabrication et leur emploi pour la vente. Ce rapport, sur pièces, est constitué d'une seule description scientifique des ingrédients invoqués par la société SRP à l'appui de son action de sorte que son caractère non contradictoire ne remet pas en cause son intérêt pour l'appréciation des éléments de la cause par la cour.
La société DPF produit également un rapport d'expertise de M. [G], docteur en pharmacie, expert près la cour d'appel de Paris, rapport établi à partir des cahiers des charges du premix utilisé par la société DPF avant et après juin 2018, de relevés de température à chaque étape de fabrication et d'un audit du processus de fabrication fait le 13 septembre 2019 dans l'une des deux usines de la société DPF. Cet expert constate qu'aucun des premix fabriqués par divers fournisseurs et utilisés par la société DPF ne contient d'ingrédients entrant dans la catégorie des conservateurs, qu'aucun conservateur ne figure dans la composition des pâtons et que leur conservation est assurée par leur maintien à une température inférieure à 4° C. Le caractère non contradictoire de ce rapport est justifié par le secret des affaires dès lors que l'expert a eu accès aux cahiers des charges imposés par la société DPF à ses fournisseurs et à l'une des usines de fabrication de la pâte. Il ne vient au demeurant que corroborer les explications de M. [V].
La société DPF produit encore un rapport d'audit du même site de production et une expertise technologique de pâtons établis le 6 octobre 2023 par le Laboratoire d'essais des matières et produits alimentaires, qui confirment que les pâtons présentent les caractéristiques des produits frais.
Il doit être souligné que la société SRP ne produit de son côté aucune analyse d'un expert contredisant ces différentes descriptions concordantes.
Si ces additifs alimentaires, en ce qu'ils ne sont pas naturels, s'opposent à la possibilité de qualifier un produit de « vegan » ou de « clean », c'est-à-dire d'origine non animale ou d'origine naturelle, ces qualifications de « vegan » ou de « clean » sont sans lien avec le caractère frais d'un produit. A compter de juin 2018, la société DPF affirme ainsi avoir fabriqué une pâte exempte d'ingrédient artificiel sans qu'il puisse en être déduit que la pâte utilisée avant n'était pas fraîche et ce, nonobstant la communication interne de la société DPF à ce sujet qui confond la notion de « frais » avec celle de « vegan » ou « clean ».
Il résulte de tout ce qui précède que la société SRP n'établit pas qu'en désignant la pâte utilisée pour la confection de pizzas par l'expression « pâte fraîche », la société DPF a usé d'une fausse allégation ou induit en erreur le consommateur sur la qualité de ce produit dont elle a fait un argument de vente central de sa stratégie, que ce soit avant ou après juin 2018, ni qu'une telle allégation a altéré ou a été susceptible d'altérer le comportement économique des consommateurs.
S'agissant de l'emploi par la société DPF des termes « produits frais » à destination des consommateurs, il est bien moins répandu sur la période considérée postérieure à février 2014 et, en tout cas, marginal par rapport à la communication centrée sur la pâte fraîche.
En dehors d'un usage par les journalistes de la presse locale ou de la presse spécialisée à destination des professionnels, et non des consommateurs, qui n'est pas imputable à la société DPF ni à ses franchisés, l'adjectif « frais » pour désigner des ingrédients n'est employé que ponctuellement et seulement par quelques franchisés dans leur communication locale. Il en est ainsi sur leur réseau social, le site d'information d'une ville, lors d'entretiens donnés à la presse local (« ses légumes frais », « fraîcheur des produits », « produits frais (pas de surgelés) », « tous nos produits sont frais », « des produits frais », « l'enseigne travaille essentiellement avec des produits frais »), en particulier dans la presse locale à l'occasion du rachat par la société DPF d'un réseau concurrent en 2016, dont faisait partie la société Jeremy Pizz. Il ne peut être déduit de ces rares expressions empruntées par quelques personnes l'existence d'une pratique commerciale ayant pour objet ou effet de tromper le consommateur, même localement.
Le mot « frais » est en revanche mis en avant dans un support publicitaire (« c'est toujours frais ») parmi d'autres expressions, que les franchisés ont été invités par la société DPF à afficher dans leur établissement. Même si ce slogan ne figure plus parmi les expressions à afficher dans les établissements dans le cahier des charges relatif à l'agencement des magasins que la société SRP date de 2017, il n'a pas été retiré des magasins où il a été apposé. Ce slogan, par sa généralité, introduit une ambiguïté sur ce qu'il désigne, l'adjectif « frais » étant susceptible de qualifier la pâte, les ingrédients, la confection de la pizza à la commande, l'absence de congélation. Mêlé à au moins une dizaine d'autres slogans, tous affichés à l'intérieur des établissements, donc susceptibles d'être vus par un consommateur ayant déjà fait le choix de s'adresser à un commerce franchisé DPF, il n'est cependant en toute hypothèse pas susceptible d'altérer le comportement économique du consommateur de manière substantielle.
Quant aux ingrédients garnissant les pizzas identifiés spécifiquement par la société SRP comme étant faussement qualifiés de « frais », si leur congélation n'est pas discutée, la société SRP ne démontre pas que la société DPF a spécialement communiqué sur la fraîcheur de chacun de ces produits.
Ainsi, que les faits allégués par la société SRP soient analysés isolément ou pris dans leur ensemble, il n'est pas établi que la société DPF a, à compter du 22 février 2014, adopté une pratique commerciale trompeuse sur le caractère frais de la pâte des pizzas ou des ingrédients utilisés qui a altéré ou a été susceptible d'altérer le comportement économique des consommateurs.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société DPF à payer à la société SRP la somme de 31.042 euros et à la société Jeremy Pizz la somme de 8.466 euros à titre de dommages et intérêts pour pratiques commerciales trompeuses et confirmé en ce qu'il a débouté la société SRP de sa demande de faire interdiction à la société DPF d'utiliser la mention « fraîche » pour qualifier ses pâtes à pizza.
Les demandes indemnitaires de la société SRP fondées sur un avantage concurrentiel indu tiré de pratiques commerciales trompeuses seront rejetées.
La société DPF s'étant acquittée du paiement à la société Jeremy Pizz de la somme de 8.466 euros et le présent arrêt étant prononcé postérieurement au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Jeremy Pizz, la cour fixera une créance de restitution de ce montant au passif de la procédure collective.
3. Sur les demandes reconventionnelles de la société DPF
3.1. Sur les violations du secret des affaires
La société DPF soutient que les sociétés SRP et Jeremy Pizz engagent leur responsabilité délictuelle pour avoir porté atteinte au secret des affaires en se procurant et en produisant aux débats, s'agissant de la société SRP, ses pièces n° 53, 61 et 91 en première instance et en appel et ses pièces n° 120, 125 et 119 en appel et, s'agissant de la société Jeremy Pizz, ses pièces n° 17, 21, 27, 28 et 29 produites devant le tribunal.
Elle fait valoir que ces pièces relèvent du secret des affaires aux motifs que ces informations internes n'avaient pas vocation à être partagées avec un concurrent, qu'elles ont une valeur commerciale et qu'elle avait pris diverses mesures pour en empêcher la diffusion hors de son réseau, que ces documents ont été obtenus par les sociétés SRP et Jeremy Pizz sans son consentement et qu'ils n'ont pu leur être transmis que par un franchisé ou un salarié en violation de leur obligation de confidentialité, que la société SRP a en outre supprimé sans son consentement et de manière déloyale la confidentialité d'informations figurant dans un courriel qu'elle avait produit aux débats, que la production de ces pièces en violation du secret des affaires n'est pas justifiée par l'exercice des droits de la défense.
La société SRP soutient que la société DPF n'établit pas que les pièces litigieuses relèvent du secret des affaires ni qu'elle les a obtenues et utilisées de manière illicite et qu'en tout état de cause elle a un intérêt légitime à la divulgation des pièces visées dès lors qu'elle est indispensable à l'exercice du droit de la preuve et proportionnée au but poursuivi.
Elle fait valoir que la société DPF ne démontre pas que les pièces n° 53, 61, 91, 120 et 121 contiennent une information confidentielle ou des éléments qui ne sont pas généralement connus par les acteurs du secteur et que les pièces n° 53 et 121 ont une valeur économique, qu'en raison de leur ancienneté, elles n'ont aucune valeur commerciale, que la société DPF ne démontre pas non plus que la production de ces pièces lèse gravement ses intérêts ou lui donnerait un avantage concurrentiel indu, qu'enfin la société DPF ne démontre pas non plus qu'elle a mis en 'uvre des moyens de protection raisonnable pour conserver leur caractère secret.
Elle ajoute que les franchisés de la société DPF auxquels ces pièces ont été envoyées en étaient des détenteurs légitimes et qu'il n'est pas démontré qu'elles étaient toutes soumises à une clause de confidentialité et fait observer qu'en tout état de cause la production des documents litigieux est strictement proportionnée à la démonstration des pratiques commerciales de la société DPF.
La société Jeremy Pizz soutient que le secret des affaires invoqué par la société DPF ne lui est pas opposable dans la mesure où elle a produit les pièces litigieuses pour la protection d'un intérêt légitime, soit l'exercice des droits de la défense de ses intérêts, que la société DPF n'a pas mis en place des mesures de protection raisonnables pour protéger les informations litigieuses.
Sur ce,
L'article L. 151-1 du code de commerce dispose qu'« est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :
1° elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;
2° elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »
L'article L. 151-8, 3°, du même code prévoit qu' « à l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue (') pour la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national. »
Il résulte de ces textes que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments couverts par le secret des affaires, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
- sur le guide d'apprentissage de la maîtrise produit :
La société SRP a produit ce document en appel en pièce n° 119 tandis que la société Jeremy Pizz l'avait produit devant le tribunal en pièce n° 29.
Ce guide, daté de 2018, en ce qu'il expose avec précision aux franchisés les étapes de la gestion, dont le stockage, et le façonnage de la pâte fraîche, l'élaboration d'une pizza et d'autres produits, les tests de cuisson, l'entretien des équipements de cuisson et des directives de formation du personnel et qu'il constitue ainsi la transmission d'un savoir-faire propre à la société DPF, relève manifestement du secret des affaires dès lors qu'il n'est pas généralement connu ou aisément accessible pour les personnes agissant dans ce secteur d'activité, qu'il revêt une valeur commerciale du fait de son caractère secret et que la société DPF a pris les mesures de protection pour en conserver le caractère secret en y apposant les mentions « strictement confidentiel et à destination exclusive des membres du réseau » et « toute communication partielle ou totale est interdite » et en insérant dans les contrats de franchise et les contrats de travail une clause de confidentialité dont la violation est sanctionnée dans le premier contrat par une clause pénale et dans le second contrat par la possibilité d'une sanction disciplinaire, de poursuites civiles en dommages et intérêts et de poursuites pénales.
Les sociétés SRP et Jeremy Pizz, franchisée d'un autre réseau de vente à emporter et de livraison à domicile de pizzas, toutes deux ainsi concurrentes directes de la société DPF, ne sont pas des détenteurs légitimes de ce guide diffusé aux seuls franchisés de la société DPF et elles n'ont pu les détenir qu'en violation des clauses de confidentialité précitées et sans le consentement de la société DPF.
L'obtention et la production de ce document en justice constituent une grave atteinte au secret des affaires qui n'est pas justifiée par l'exercice par la société SRP de son droit à la preuve dès lors que son contenu ne vient pas au soutien de ses arguments tendant à démontrer une pratique commerciale trompeuse et qu'elle n'y fait pas même référence dans ses conclusions en appel.
Cette grave atteinte au secret des affaires n'était pas justifiée, la production de ce guide n'étant pas indispensable, et elle est en tout cas disproportionnée au but poursuivi par la société Jeremy Pizz dès lors que la société DPF ne conteste pas utiliser les pâtons quelques jours après leur fabrication, que le guide complet a été obtenu et produit devant le tribunal alors que seules deux pages étaient susceptibles d'être utiles et que même ces deux pages étaient insuffisantes à la démonstration présentée compte tenu de l'absence d'identification des additifs en cause et de la confusion entretenue notamment par la société Jeremy Pizz sur les notions de « frais » et de produits exempts d'additif.
Les sociétés SRP et Jeremy Pizz ont ainsi, sans motif légitime, porté gravement atteinte au secret des affaires de la société DPF.
- sur le courriel du 2 mai 2018 de l'ancien président de la société DPF :
La société SRP a produit ce document en première instance et en appel en pièce n° 53 et en fait état dans ses conclusions d'appel en pages 57 et 58.
Ce courriel dont l'objet est « Communication proposal fresh dough » porte notamment sur une stratégie commerciale nouvelle définie à partir des conclusions d'une étude auprès de consommateurs dont il est fait expressément référence. Il ressort de l'intitulé de son objet et de sa teneur qu'il était destiné à demeurer diffusé au sein de la société DPF et que ces informations n'étaient pas généralement connues ou aisément accessibles pour les professionnels du secteur d'activité. Elles ont une valeur commerciale du fait de son secret, s'agissant d'adapter la production et la stratégie commerciale aux attentes des consommateurs, et sont couvertes par les clauses de confidentialité précédemment visées.
La société SRP, concurrente de la société DPF, n'a pu obtenir ce courriel qu'en violation de ces clauses de confidentialité et sans le consentement de la société DPF.
La société SRP a ainsi porté gravement atteinte au secret des affaires de la société DPF.
Cette violation n'est pas proportionnée au droit à la preuve revendiqué par la société SRP. En effet, intitulé « communication proposal », rien n'établit que ce courriel a constitué l'information diffusée aux franchisés et les destinataires de ce message sont inconnus, l'exemplaire produit aux débats mentionnant comme seul destinataire son auteur lui-même, alors même que ce courriel comprenant une confusion entre la notion de « pâte fraîche » et « sans additif » était susceptible d'être corrigé ou précisé avant diffusion plus large. En outre ce courriel ne rapporte pas la preuve du fait argué par la société SRP, soit l'ajout dans la pâte d'additifs « destinés à la conservation », dès lors qu'il ne fait pas état de tels additifs, lesquels ne sont pas même identifiés.
Il s'ensuit que la société SRP a en toute hypothèse porté atteinte au secret des affaires de la société DPF de manière disproportionnée au but poursuivi.
- sur le courriel du 13 juin 2018 du directeur du réseau franchise de la société DPF :
La société SRP a produit ce document en première instance et en appel en pièce n° 61 tandis que la société Jeremy Pizz l'avait produit devant le tribunal en pièce n° 21.
Ce courriel du 13 juin 2018, à l'attention explicite des franchisés, en ce qu'il expose avec précision notamment la nouvelle campagne de communication du réseau centrée sur la pâte fraîche présentée comme le savoir-faire de la société DPF ayant fait son succès, les changements opérés dans les grammages, une nouvelle charte graphique appliquée aux boîtes, de nouvelles grilles adaptées aux nouveaux pâtons, les attentes des consommateurs ayant justifié ces changements, c'est-à-dire l'absence d'additifs artificiels dans les ingrédients, et comprend ainsi les éléments de la stratégie de production et de vente de la société DPF, relève manifestement du secret des affaires dès lors que les informations ne sont pas généralement connues ou aisément accessibles pour les personnes agissant dans ce secteur d'activité, qu'elles ont une valeur commerciale du fait de leur caractère secret, s'agissant d'éléments relatifs à une stratégie de production et de vente destinée à se démarquer de la concurrence, qu'elles sont couvertes par les clauses de confidentialité insérées dans les contrats de franchise et de travail.
Les sociétés SRP et Jeremy Pizz, concurrentes de la société DPF, n'ont pu obtenir ce courriel qu'en violation de ces clauses de confidentialité et sans le consentement de la société DPF.
Cette grave violation du secret des affaires n'est pas non plus proportionnée au droit à la preuve revendiqué par la société SRP. En effet, déclinant auprès des franchisés la stratégie définie dans le courriel du 2 mai 2018, ce courriel du 13 juin 2018 ne reproduit pas de la même manière le lien entre « pâte fraîche » et « sans additif », sans non plus au demeurant identifier ces additifs, et ne remet en tout cas pas en cause la possibilité que la société DPF avait de communiquer auparavant sur une « pâte fraîche » mais présente de manière globale la démarche de la société DPF de se passer pour tout produit, et pas seulement pour la pâte, d'éléments artificiels. Dépourvu de caractère suffisamment probant des faits allégués, les additifs n'étant pas identifiés, son obtention et sa production en justice ont constitué une atteinte au secret des affaires disproportionnée au but poursuivi. Il en est de même de l'obtention et de la production en justice par la société Jeremy Pizz non seulement du courriel mais aussi des illustrations accompagnant ces explications destinées aux seuls franchisés.
- sur le courriel du 4 janvier 2017 de la personne chargée de projet au sein de la société DPF :
La société Jeremy Pizz a également produit un courriel daté du 4 janvier 2017 adressé par un salarié de la société DPF aux franchisés leur transmettant les nouvelles références de produits destinés au seul habillage des murs de certains magasins. Ce courriel comprend le nom des fournisseurs et les prix d'achat de ces produits. Ces informations, qui ne sont pas généralement connues ou aisément accessibles pour les personnes agissant dans ce secteur d'activité, ont une valeur commerciale du fait de leur secret et sont couvertes par les clauses de confidentialité insérées dans les contrats de franchise et de travail, relèvent du secret des affaires.
La société Jeremy Pizz n'a pu obtenir ce courriel qu'en violation de ces clauses de confidentialité et sans le consentement de la société DPF.
Cette grave atteinte au secret des affaires n'était manifestement pas justifiée par l'exercice d'une partie de son droit à la preuve. En effet la production de ce courriel n'était pas indispensable dès lors que le fait allégué, devant être prouvé par la société Jeremy Pizz, est propre à la seule décoration de magasins franchisés comprenant l'affichage en magasin de l'expression 'pâte fraiche' et que la preuve de cet affichage en magasin de l'expression « pâte fraîche » pouvait être obtenue par un autre procédé.
Il s'ensuit que la société Jeremy Pizz a porté atteinte au secret des affaires de la société DPF sans motif légitime.
- sur les courriels des 27 décembre 2017 et 4 mai 2018 de M. [P], « procurement director Europe » au sein de la société DPF :
La société Jeremy Pizz avait produit les deux courriels devant le tribunal en pièces n° 21 et 28 tandis que la société SRP a produit le courriel du 27 décembre 2017 en appel en pièce n° 125, en y faisant référence en page 89 de ses conclusions
S'agissant du courriel du 27 décembre 2017, produit par les deux sociétés SRP et Jeremy Pizz, il a été adressé aux franchisés et responsables de magasins par le directeur des achats de la société DPF. Il donne des explications sur l'augmentation du prix des matières premières conduisant à une hausse des prix à compter du 1er janvier 2018 et rappelle le travail mené en 2017 sur le retrait d'additifs artificiels, notamment des conservateurs, sans pour autant identifier ces additifs artificiels. Dépourvu de toute référence à la pâte et à des ingrédients que la société DPF présente comme « frais », il n'est d'aucune valeur probante quant aux faits alléguées par les sociétés SRP et Jeremy Pizz.
Les informations contenues dans ce courriel relèvent du secret des affaires en ce qu'exposant les conditions déterminant la fixation des prix des ingrédients pratiqués auprès des franchisés de la société DPF, elles ne sont pas généralement connues ou aisément accessibles pour les personnes agissant dans ce secteur d'activité, ont une valeur commerciale du fait de leur secret et sont couvertes par les clauses de confidentialité insérées dans les contrats de franchise et de travail. Leur obtention et leur production en justice n'ont pu être possibles qu'en violation des clauses de confidentialité insérées dans les contrats de franchise et de travail conclus par la société DPF et ses franchisés et sans le consentement de la société DPF.
Les sociétés SRP et Jeremy Pizz ont ainsi violé le secret des affaires de la société DPF sans que cette violation ait été justifiée par l'exercice de leur droit à la preuve.
Le courriel du 4 mai 2018, adressé aux franchisés et responsables de magasins par le directeur des achats de la société DPF, informe ses destinataires de modifications tarifaires sur la mozzarella, les nouveaux pâtons et les nouvelles grilles devant équiper les cuisines. Ces informations tarifaires, qui ne sont pas généralement connues ou aisément accessibles pour les personnes agissant dans ce secteur d'activité, ont une valeur commerciale du fait de leur secret et sont couvertes par les clauses de confidentialité insérées dans les contrats de franchise et de travail, relèvent du secret des affaires. Leur obtention et leur production en justice n'ont pu être possibles qu'en violation des clauses de confidentialité insérées dans les contrats de franchise et de travail conclus par la société DPF et ses franchisés et sans le consentement de la société DPF.
La divulgation de ce courriel par la société Jeremy Pizz constitue également une atteinte au secret des affaires disproportionnée par rapport au but poursuivi en ce que, reprenant une confusion entre la fraîcheur d'un produit et l'absence d'ingrédient artificiel, sans identifier des additifs artificiels, il n'est pas suffisamment probant des faits allégués.
- sur la liste de prix datée du 20 mars 2017 :
La société SRP a produit ce document en appel en pièce n° 120 tandis que la société Jeremy Pizz l'avait produit devant le tribunal en pièce n° 17.
Cette pièce est la grille tarifaire de la société DPF arrêtée au 20 mars 2017. Elle porte sur les prix des produits vendus par le franchiseur aux franchisés, précisant les produits nouveaux, ceux dont la vente est arrêtée, ceux en édition limitée et ceux connaissant un changement de prix.
Il n'est pas discutable qu'une telle grille tarifaire, complète, est couverte par le secret des affaires, n'étant pas généralement connue ou aisément accessible pour les personnes agissant dans ce secteur d'activité, ayant une valeur commerciale du fait de son secret et étant protégée par les clauses de confidentialité insérées dans les contrats de franchise et de travail.
Il n'est pas davantage discutable qu'elle a été obtenue par les sociétés SRP et Jeremy Pizz en violation des clauses de confidentialité et sans le consentement de la société DPF.
Or la production de cette pièce n'était pas indispensable dès lors que la société SRP ne fait pas même référence dans ses conclusions à cette grille tarifaire qui, en outre, dépourvue de toute référence à la pâte et à des ingrédients que la société DPF présente comme « frais », n'est d'aucune valeur probante quant aux faits allégués par les sociétés SRP et Jeremy Pizz.
Il résulte de tout ce qui précède qu'en ayant porté atteinte à de multiples reprises au secret des affaires de la société DPF, sans motif légitime ou de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi, les sociétés SRP et Jeremy Pizz ont engagé leur responsabilité civile à l'égard de la société DPF. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté la société DPF de sa demande de dommages et intérêts pour violation du secret des affaires.
- sur la « déconfidentialisation » par la société SRP de deux courriels produits par la société DPF :
La société SRP a produit en première instance et en appel, en pièce n° 91, un constat d'huissier du 14 avril 2021 établi à sa demande. L'huissier instrumentaire a, à l'aide de l'outil PDF Expert, ôté le cache qui occulte des mentions dans deux courriels du 18 avril 2018 et du 15 mai 2019, communiqués par la société DPF, courriels émanant du fournisseur en premix de celle-ci.
Ces deux courriels ont été adressés à la société DPF qui avait interrogé à deux reprises son fournisseur quant aux additifs utilisés, ces questions étant directement en lien avec le litige l'opposant aux société SRP et Jeremy Pizz.
Le fournisseur y affirme, en énumérant les additifs, que le premix utilisé pour la fabrication de la pâte à pizza en cause ne contient pas de conservateurs. En vue de la production en justice des deux courriels, l'identification des additifs cités a été occultée, empêchant ainsi les parties de discuter les assertions du fournisseur.
Les informations contenues dans ces courriels relèvent du secret des affaires en ce qu'elles portent, avec précision, sur des composants de la pâte fabriquée par la société DPF selon un cahier des charges, aucun de ses concurrents n'employant cette même pâte, qu'elles ne sont pas généralement connues ou aisément accessibles pour les personnes agissant dans ce secteur d'activité, qu'elles ont une valeur commerciale du fait de leur secret. En occultant l'identité des additifs, la société DPF avait pris les mesures nécessaires pour conserver leur caractère secret.
Leur divulgation par la société SRP a été faite sans le consentement de la société DPF et en dehors de tout cadre judiciaire. Elle constitue une grave atteinte au secret des affaires.
Mais, dès lors que les parties ont été amenées à discuter de l'ajout possible, dans la pâte de la société DPF, d'une substance destinée à stopper l'activité des enzymes et de la microflore, ajout considéré par la note du CNC du 8 février 1990 comme ne permettant pas de présenter un produit comme « frais », tandis que la société SRP soutenait que cette note avait une portée suffisante pour que son non-respect établisse une pratique commerciale trompeuse constitutive d'actes de concurrence déloyale, l'identification des additifs employés par le fournisseur de la société DPF à seule fin de production en justice était indispensable à l'exercice par la société SRP de son droit à la preuve et la mise à jour de telles données contenues dans des pièces communiquées par la partie adverse dans le cadre de l'instance n'est pas disproportionnée au but poursuivi.
Si la société SRP n'a, dans ces conditions, pas porté une atteinte excessive au secret des affaires de la société DPF au regard du but poursuivi, la cour observe qu'elle a agi de manière déloyale dans le cadre d'un débat judiciaire en procédant à un acte de divulgation sans recueillir le consentement de la partie ayant produit les pièces partiellement occultées et sans, à défaut d'un tel consentement, saisir le juge de la difficulté.
3.2. Sur l'indemnisation de la violation du secret des affaires
Invoquant l'article L. 152-6 du code de commerce, la société DPF soutient que la société SRP a bénéficié des conclusions de l'étude de marché dont il est fait état dans les courriels internes en réalisant une économie sur le coût de cette étude qu'elle a elle-même payée 12.480 euros, que n'ayant pas pu tirer un avantage concurrentiel de cette étude, elle a subi un manque à gagner et une perte de chance d'optimiser ses ventes estimés au montant global de 100.000 euros, que la violation par les sociétés SRP et Jeremy Pizz de secrets des affaires récents et précis lui a causé un préjudice moral dont elle fixe la réparation à 20.000 euros, que les sociétés SRP et Jeremy Pizz ont obtenu un bénéfice indu grâce aux analyses qu'elle avait faites de la demande des consommateurs, aux conditions d'approvisionnement de ses franchisés, à son savoir-faire dans la gestion d'un magasin de vente de pizzas exposé dans le guide d'apprentissage de la maîtrise produit, à la connaissance de l'un des composants de sa recette de pâte à pizza, bénéfice indu qu'elle estime à 160.000 euros.
La société SRP réplique que la société DPF ne justifie pas du préjudice allégué et qu'elle ne peut demander sa condamnation in solidum avec la société Jeremy Pizz dès lors qu'il n'y a pas un dommage unique et que chaque partie est responsable de sa propre communication de pièces.
La société Jeremy Pizz fait observer que la société DPF ne démontre pas l'existence d'un préjudice résultant de la production des pièces litigieuses.
Sur ce,
L'article L. 152-6 du code de commerce dispose que :
« Pour fixer les dommages et intérêts dus en réparation du préjudice effectivement subi, la juridiction prend en considération distinctement :
1° les conséquences économiques négatives de l'atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;
2° le préjudice moral causé à la partie lésée ;
3° les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte au secret des affaires, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte.
La juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tient notamment compte des droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le secret des affaires en question. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »
C'est à juste titre que la société DPF affirme que les sociétés SRP et Jeremy Pizz ont pu bénéficier des résultats d'une étude de marché sans bourse délier, faisant ainsi l'économie du prix de ce type d'étude, soit 12.480 euros selon la facture de l'étude commandée par la société DPF. La société DPF n'explique en revanche ni comment ni dans quelle mesure elle n'a pas pu tirer un avantage concurrentiel de cette étude, en ayant subi un manque à gagner et une perte de chance d'optimiser ses ventes. Elle ne justifie pas de l'existence d'un tel préjudice alors qu'elle a pu mettre en 'uvre sa stratégie commerciale en 2018, quelques mois après la réception de l'étude et suffisamment tôt avant la production en justice des pièces litigieuses, nécessairement postérieure à l'assignation délivrée par la société SRP le 22 février 2019, étant observé que la date de production de certaines des pièces devant le tribunal n'est pas précisée par la société DPF et que seuls les courriels des 4 janvier 2017 et 4 mai et 13 juin 2018 portent trace d'une transmission par la société Jeremy Pizz à son conseil en novembre 2019.
Le secret des affaires a été violé dans quasiment tous les domaines de la fabrication, de la confection et de la vente de pizzas et d'autres produits par le biais du guide d'apprentissage de la maîtrise 2018, particulièrement complet, de la connaissance des prix pratiqués auprès des franchisés et de la présentation interne de la stratégie commerciale, offensive, mise en place en 2018. La connaissance d'une telle violation du secret des affaires est déstabilisante pour la société DPF dont le préjudice moral doit être réparé à hauteur de 20.000 euros.
La société DPF ne justifie pas de l'existence de bénéfices réalisés par les sociétés SRP et Jeremy Pizz autres que l'économie réalisée par l'obtention des conclusions de l'étude de marché.
Les sociétés SRP et Jeremy Pizz ayant toutes deux contribué aux dommages subis par la société DPF du fait de la violation de ses secrets des affaires doivent supporter in solidum leur réparation. La société SRP sera dès lors condamnée à payer à la société DPF, in solidum avec la société Jeremy Pizz, la somme de 12.480 euros au titre de l'économie d'investissement et celle de 20.000 euros au titre du préjudice moral et ces mêmes sommes seront fixées au passif de la société Jeremy Pizz à titre chirographaire, la société DPF justifiant de sa déclaration de créance pour un montant total de 1.330.446 euros.
3.2. Sur le caractère abusif des procédures initiées par les sociétés SRP et Jeremy Pizz
La société DPF soutient que les sociétés SRP et Jeremy Pizz cherchent à déstabiliser son réseau en multipliant les procédures depuis des années et qu'elles ont abusé de leur droit d'agir de sorte qu'elles doivent être condamnées à lui verser la somme de 30.000 euros à ce titre.
La société SRP s'oppose à cette demande faisant valoir l'absence de démonstration d'une faute de sa part dans l'exercice de son droit d'agir en justice.
La société Jeremy Pizz soutient que la société DPF n'expose pas les raisons pour lesquelles elle aurait abusé de son droit d'agir, qu'elle ne justifie pas d'un préjudice résultant de son intervention volontaire et que l'évaluation forfaitaire d'un préjudice est prohibée.
Sur ce,
Si l'action des sociétés SRP et Jeremy Pizz apparaît téméraire, elle ne constitue pas pour autant un abus de leur droit d'ester en justice et ce, quand bien même elle s'ajoute à d'autres actions exercées à l'encontre de la société DPF.
La société DPF ne justifie pas en toute hypothèse d'un préjudice né de cette action distinct de celui subi par la violation de ses secrets des affaires d'ores et déjà réparé par l'allocation de dommages et intérêts et des dépenses engagées pour sa défense, susceptibles d'être indemnisées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté la société DPF de sa demande à ce titre.
4. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Parties perdantes, les sociétés SRP et Jeremy Pizz doivent supporter les dépens de première instance, le jugement étant infirmé sur ce point, et les dépens d'appel. Elles ne peuvent de ce fait prétendre à une indemnité procédurale de sorte que le jugement sera également infirmé du chef des frais irrépétibles. Compte tenu des frais d'expertise privée que la société DPF a été contrainte d'exposer, les sociétés SRP et Jeremy Pizz devront également supporter, in solidum, une somme de 60.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par la société DPF en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant par arrêt réputé contradictoire, dans les limites de sa saisine,
Déboute la société Domino's pizza France de sa demande de voir écarter des débats, ou à tout le moins, déclarer mal fondé l'ensemble des éléments factuels invoqués par les sociétés Speed Rabbit pizza et Jeremy Pizz relativement à une période antérieure au 22 février 2014 ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions déférées à la cour sauf en ce qu'il a débouté la société Jeremy Pizz de sa demande pour préjudice moral, débouté la société Speed Rabbit pizza de sa demande de faire interdiction à la société Domino's pizza France d'utiliser la mention « fraîche » pour qualifier ses pâtes à pizza et débouté la société Domino's pizza France de sa demande au titre de la procédure abusive ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Constate que les demandes formées par la société Jeremy Pizz à l'encontre de la société Domino's pizza France ne sont pas soutenues par son liquidateur judiciaire ;
Déboute la société Speed Rabbit pizza de ses demandes indemnitaires fondées sur un avantage concurrentiel indu tiré de pratiques commerciales trompeuses alléguées à l'encontre de la société Domino's pizza France ;
Fixe au passif de la procédure collective de la société Jeremy Pizz la créance de restitution de la société Domino's pizza France pour un montant de 8.466 euros à titre chirographaire ;
Dit que les sociétés Speed Rabbit pizza et Jeremy Pizz ont violé à plusieurs reprises le secret des affaires de la société Domino's pizza France et qu'elles ont toutes deux contribué aux dommages subis par la société Domino's pizza France en conséquence de ces violations du secret des affaires ;
Dit en conséquence que les sociétés Speed Rabbit pizza et Jeremy Pizz sont tenues in solidum de payer à la société Domino's pizza France la somme de 12.480 euros au titre de l'économie d'investissement et celle de 20.000 euros au titre du préjudice moral ;
Fixe au passif de la procédure collective de la société Jeremy Pizz les créances indemnitaires de la société Domino's pizza France pour un montant de 12.480 euros et un montant de 20.000 euros à titre chirographaire ;
Condamne la société Speed Rabbit pizza à payer à la société Domino's pizza France la somme de 12.480 euros au titre de l'économie d'investissement et celle de 20.000 euros au titre du préjudice moral ;
Dit que les sociétés Speed Rabbit pizza et Jeremy Pizz sont tenues in solidum aux dépens de première instance et d'appel et de payer à la société Domino's pizza France la somme de 60.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;
Fixe au passif de la procédure collective de la société Jeremy Pizz les dépens de première instance et d'appel ;
Fixe au passif de la procédure collective de la société Jeremy Pizz la créance de frais irrépétibles de la société Domino's pizza France pour un montant de 60.000 euros à titre chirographaire ;
Condamne la société Speed Rabbit pizza à payer à la société Domino's pizza France la somme de 60.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;
Condamne la société Speed Rabbit pizza aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.