CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 septembre 2025, n° 23/05634
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Abbax France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
M. Richaud, Mme Dallery
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Chauleur, Me Lioubtchansky, Me Calliés
FAITS ET PROCÉDURE
LES PARTIES
La société [B] est spécialisée dans les solutions de contrôle-qualité dédiées à l'industrie du verre creux.
La société Abbax France a pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation d'outils destinés à différents secteurs industriels dans le domaine de la métallurgie. En 2017, elle a absorbé la société Rexo France.
La société [B] s'approvisionnait auprès d'Abbax France et Rexo France en pièces de tôlerie nécessaires à la fabrication de ses machines et solutions industrielles. Ces relations étaient fondées sur des commandes groupées dites « CG », sans contrat cadre, définissant les périodes de livraison et de fabrication des machines.
À l'occasion de chaque nouvelle commande générale, le fournisseur procédait à l'acquisition des matières premières nécessaires et engageait l'assemblage des machines en fonction du calendrier de livraison établi par la société [B]. En pratique, deux commandes générales se chevauchaient généralement afin d'éviter toute rupture dans les approvisionnements.
En dernier lieu, la société Abbax France a essentiellement fourni à la société [B] des pièces nécessaires aux machines Multi 4 et MCAL.
Dans un courriel du 27 juin 2018 interne à [B], lequel précise par ailleurs qu' » Abbax France (Auvergne) conserve à ce jour : Multi, TTV2, Argos, Astra sur le site français (historiquement Rexo) », est évoquée une réunion entre Abbax et [B] intervenue le 20 juin 2018 évoquant la « non relance de MCAL à l'issue du contrat actuel (') 23 châssis (restant) à consommer sur le contrat actuel ».
Ces commandes MCAL, qui s'élevaient à 94 machines en 2016, 99 machines en 2017 et 136 machines en 2018, ont été poursuivies dans ce cadre jusqu'au mois de mai 2019.
S'agissant des Multi 4, la dernière commande générale (référencée CG19M0053) portait sur 30 machines et a été passée par la société [B] le 27 février 2019. Le matériel, fabriqué sur le site de [Localité 9] (63), a été livré entre avril 2019 et janvier 2020.
Elle avait été précédée de commandes de 100 machines en 2017 et de 131 en 2018. Puis, le 11 juin 2019, [B] a envoyé un mail à Abbax évoquant « l'ordre du jour de la réunion du 14 juin 2019 concernant notre activité future » :
« 1. la non reconduction de la tôlerie de la Multi, envoyée chez un des sous-traitants chinois (de [B]) »
« 2. Le reste des machines [B] : Argos, Astra, Multiposte, Icare »
« 3. l'avenir de notre relation » (soit la « gamme V5 (et) les machines secteur chaud »).
La non reconduction Multi 4 a été confirmée lors d'une réunion le 14 juin 2019, puis réitérée dans un compte rendu adressé le 19 juin suivant, les commandes de ce produit étant honorées jusqu'à l'échéance de la commande générale.
Par courrier du 5 juillet 2019, Abbax après avoir rappelé que « sur les trois dernières années, la moyenne du chiffre d'affaires réalisé par (son) établissement de [Localité 9] avec ([B]) s'élevait à 1 ,1 millions d' euros », a dénoncé cette « décision de cesser de s'approvisionner du jour au lendemain auprès (d'elle) en ce qui concerne ce produit, sans préavis » et a demandé une prolongation des commandes sur une période a minima de 20 mois afin de lui permettre de se réorganiser. Par un second courrier daté du 26 juillet 2019, la société Abbax France a réitéré sa demande, en joignant une estimation de son préjudice à hauteur de 1 145 000 euros, ainsi qu'une évaluation du stock résiduel, chiffré à 14000 euros. La société [B] s'est opposée à ces demandes.
Par acte du 10 mars 2020, la société Abbax France a assigné la société [B] devant le tribunal de commerce de Lyon pour obtenir réparation des préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies.
Par jugement du 6 février 2023, le tribunal de commerce de Lyon a :
- Jugé que la société [B] a rompu abusivement les relations commerciales établies avec la société Abbax France sans aucun préavis écrit ;
- Fixé à 18 mois le préavis dont aurait dû bénéficier la société Abbax ;
- Condamné la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 696.402. € ;
- Condamné la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 13.98,49 € HT, outre TVA pour les stocks résiduels ;
- Débouté la société Abbax France de sa demande au titre des coûts des ruptures de contrat de travail ;
- Débouté la société Abbax France la somme de sa demande au titre du préjudice moral ;
- Jugé que le montant du préjudice tel qu'il sera déterminé par le tribunal portera intérêt au taux légal à compter de l'assignation et qu'en application des dispositions de l'article 1343-2 code civil, els intérêts échus seront eux-mêmes productifs d'intérêts à l'issue d'une période d'une année ;
- Condamné la société [B] aux intérêts susvisés à compter du 10 mars 2020 ;
- Ordonné la capitalisation desdits intérêts par année entière à compter du 10 mars 2020 ;
- Condamne la société [B] à payer la somme de 15.000 € à la société Abbax France au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Ordonne l'exécution provisoire ;
- Condamne la société [B] aux entiers dépens ;
- Débouté la société [B] de toutes ses autres demandes.
La société [B] a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 22 mars 2023, intimant la société Abbax France.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 26 mars 2025, la société [B] demande à la Cour de :
Vu l'article L. 442-1, II du code de commerce, dans sa version applicable après l'entrée en vigueur de l'Ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019,
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa version applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon du 6 février 2023 en ce qu'il a :
. Débouté la société Abbax France de sa demande au titre des coûts des ruptures de contrat de travail,
. Débouté la société Abbax France la somme de sa demande au titre du préjudice moral,
- Infirmé le jugement rendu en ce qu'il a :
. Jugé que la société [B] a rompu abusivement les relations commerciales établies avec la société Abbax France sans aucun préavis écrit,
. Fixé à 18 mois le préavis dont aurait dû bénéficier la société Abbax,
. Condamné la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 696.402 €,
. Condamné la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 13.98,49 € HT outre TVA pour les stocks résiduels,
. Jugé que le montant du préjudice tel qu'il sera déterminé par le tribunal portera intérêt au taux légal à compter de l'assignation et qu'en application des dispositions de l'article 1343-2 code civil, les intérêts échus seront eux-mêmes productifs d'intérêts à l'issue d'une période d'une année,
. Condamné la société [B] aux intérêts susvisés à compter du 10 mars 2020,
. Ordonné la capitalisation desdits intérêts par année entière à compter du 10 mars 2020,
. Condamné la société [B] à payer la somme de 15.000 € à la société Abbax France au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. Ordonné l'exécution provisoire,
. Condamné la société [B] aux entiers dépens,
. Débouté la société [B] de toutes ses autres demandes.
Statuant à nouveau,
I. À titre principal
- Déclarer la rupture des relations commerciales entre les sociétés [B] et Abbax portant sur les pièces MCAL comme étant le résultat d'un commun accord entre elles ;
- Déclarer dès lors que la rupture de la relation commerciale portant sur les pièces MCAL ne peut pas être qualifiée de « brutale » et écarter toute responsabilité de la société [B] à ce titre ;
- Déclarer comme non-démontrée l'ancienneté, alléguée par la société Abbax, de 21 ans des relations commerciales établies entre les sociétés [B] et Abbax ;
- Fixer le point de départ de la période de préavis relative aux pièces Multi 4 à date à laquelle la société [B] a notifié la non-reconduction de la dernières Commande générale portant sur les pièces Multi 4, soit le 11 juin 2019 ;
- Déclarer que la société Abbax a bénéficié d'un préavis de transition concernant les pièces Multi 4 d'une durée de 8 mois ;
- Déclarer qu'au regard de la durée de la relation commerciale portant sur les pièces Multi 4 et de ses caractéristiques propres, le préavis dont la société Abbax a bénéficié était suffisant ;
- Déclarer que, dès lors que le délai de préavis effectivement octroyé par la société [B] à la société Abbax était suffisant, la rupture de la relation commerciale portant sur les pièces Multi 4 ne peut pas être qualifiée de « brutale » et écarter toute responsabilité de la société [B] à ce titre ;
- Débouter en conséquence la société Abbax de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, en ce compris de :
- ses demandes indemnitaires au titre d'une prétendue rupture brutale des relations commerciales portant sur les pièces MCAL et Multi 4 ;
- ses demandes indemnitaires au titre de la rupture de contrats de travail ;
- ses demandes relatives aux stocks résiduels comme infondées ;
- ses demandes en paiement de stocks résiduels ;
- ses demandes en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
II. A titre subsidiaire
Si par extraordinaire la Cour d'appel de Paris estimait que la responsabilité de la société [B] était engagée du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies portant sur les seules pièces MCAL,
- Déclarer que dès lors que le délai de préavis de 8 mois effectivement octroyé par la société [B] à la société Abbax était suffisant, la rupture de la relation commerciale portant sur les pièces Multi 4 ne peut pas être qualifiée de « brutale » et écarter toute responsabilité de la société [B] à ce titre ;
- Déclarer l'article L. 442-1, II du code de commerce, dans sa version applicable après l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, comme applicable à la rupture de relations commerciales entre les sociétés [B] et Abbax ;
- Déclarer comme non-démontrée l'ancienneté, alléguée par la société Abbax, de 21 ans des relations commerciales établies entre les sociétés [B] et Abbax ;
- Déclarer comme inexistante la situation de dépendance économique de la société Abbax envers la société [B] ;
- Déclarer qu'au regard de la durée de la relation commerciale portant sur les pièces MCAL et de ses caractéristiques propres, le préavis dont la société Abbax aurait dû bénéficier était de 2 mois ;
- Déclarer erroné les marges mensuelles sur coûts variables de la société Abbax tel qu'alléguées par la société Abbax ;
- Fonder le calcul du préjudice de la société Abbax au titre pièces MCAL sur les marges mensuelles sur coûts variables établies dans le rapport de M. [C], expert de partie mandaté par la société [B], qui sont les suivantes :
- Déclarer les demandes de la société Abbax relatives aux stocks résiduels comme infondées ;
- Débouter la société Abbax de toutes demandes indemnitaires au titre d'une prétendue rupture brutale des relations commerciales portant sur les pièces Multi 4 ;
- Fixer le montant des dommages-intérêts accordés à la société Abbax au titre de la rupture prétendue brutale des relations commerciales portant sur les pièces MCAL à deux mois de perte de marge sur coûts variables telle que calculée par M. [C] ;
- Débouter la société Abbax de ses demandes en paiement de stocks résiduels ;
- Débouter la société Abbax de ses demandes au titre de coûts de rupture de contrats de travail et d'un préjudice moral ;
- Débouter en conséquence la société Abbax de toute demandes autre, plus ample ou contraire au présent dispositif ;
III. A titre infiniment subsidiaire
Si par l'impossible la Cour d'appel de Paris estimait que la responsabilité de la société [B] était engagée du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies portant sur les pièces MCAL et Multi 4,
- Déclarer l'article L. 442-1, II du code de commerce, dans sa version applicable après l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, comme applicable à la rupture de relations commerciales entre les sociétés [B] et Abbax ;
- Déclarer comme non-démontrée l'ancienneté, alléguée par la société Abbax, de 21 ans des relations commerciales établies entre les sociétés [B] et Abbax ;
- Déclarer comme inexistante la situation de dépendance économique de la société Abbax envers la société [B] ;
- Déclarer qu'au regard de la durée de la relation commerciale portant sur les pièces MCAL et Multi 4 ainsi que de ses caractéristiques propres, le préavis dont la société Abbax aurait dû bénéficier est de 6 mois ;
- Déclarer erroné les marges mensuelles sur coûts variables de la société Abbax tel qu'alléguées par la société Abbax ;
- Déclarer que doit être prise en compte, dans le calcul de l'indemnité due à la société Abbax, la marge sur coûts variable réalisée par Abbax auprès de [B] au cours de l'année 2019 ;
- Fonder le calcul du préjudice de la société Abbax au titre pièces MCAL et Multi 4 sur les marges mensuelles sur coûts variables établies dans le rapport de M. [C], expert de partie mandaté par la société [B], qui sont les suivantes :
- Fixer le montant des dommages-intérêts accordés à la société Abbax au titre de la rupture prétendue brutale des relations commerciales portant sur les pièces MCAL et Multi 4 à six mois de perte de marge sur coûts variables telle que calculée par M. [C] ;
- Débouter la société Abbax de ses demandes en paiement de stocks résiduels ;
- Débouter la société Abbax de ses demandes au titre de coûts de rupture de contrats de travail et d'un préjudice moral ;
- Débouter en conséquence la société Abbax de toute demandes autre, plus ample ou contraire au présent dispositif ;
IV. En tout état de cause :
- Condamner la société Abbax à payer à la société [B] la somme de 50.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et en appel ;
- Condamner la société Abbax aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 31 mars 2025, la société Abbax France demande à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6-I .5 du code de commerce dans sa version applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 24 avril 2019,
Vu l'article L. 442-1 II du code de commerce dans sa version applicable après l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée,
Vu l'article 1231-7 et 1343-2 du code civil,
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la société [B] avait rompu abusivement les relations commerciales établies avec la société Abbax France sans aucun préavis écrit ;
Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le préjudice porterait intérêt au taux légal à compter de l'assignation et qu'en application de l'article 1343-2 du code civil les intérêts échus seront eux-mêmes productifs d'intérêt à l'issue d'une période d'une année ;
En conséquence,
Condamner la société [B] aux intérêts susvisés à compter du 10 mars 2020 ;
Ordonner la capitalisation des intérêts par année entière à compter du 10 mars 2021 ;
Réformer le jugement en ce qu'il a fixé le préavis à 18 mois au lieu de 25 mois ;
Statuant à nouveau,
A titre principal, sur la base 2018,
Juger que le préavis qu'aurait dû accorder la société [B] à la société Abbax France aurait dû être à minima de 25 mois compte tenu de l'ensemble des critères tirés de la jurisprudence ;
Condamner la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 967 225 € correspondant à la perte de marge sur coût variable telle que calculée par Monsieur [I] sur la base de 25 mois de préavis ;
A tout le moins,
Confirmer le jugement et condamner la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 696 402 € au titre du préjudice sur la base de 18 mois de préavis,
A titre subsidiaire, sur la base 2017 pondéré et 2018,
Condamner la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 849 450 € correspondant à la perte de marge sur coût variable telle que calculée par Monsieur [I] sur la base de 25 mois de préavis,
A tout le moins,
Condamner la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 611 604 € au titre du préjudice sur la base de 18 mois de préavis,
A titre infiniment subsidiaire, sur 2016-2018,
Condamner la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 703 637,50 € correspondant à la perte de marge sur coût variable telle que calculée par Monsieur [I] sur la base de 25 mois de préavis,
A tout le moins,
Condamner la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 506 610 € au titre du préjudice sur la base de 18 mois de préavis,
A titre encore plus infiniment subsidiaire, sur 2016-2018 avec taux de marge général,
Condamner la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 472 800 € si l'on retient le taux de marge dégagée par [B] sur 25 mois de préavis,
A tout le moins,
Condamner la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 340 410 € au titre du préjudice sur la base de 18 mois de préavis,
Dans tous les cas,
Réformer la décision en ce qu'elle a condamné la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 13.98,49 € HT,
Réformer la décision en ce qu'elle a débouté la société Abbax France de sa demande au titre de la rupture des contrats de travail et de sa demande au titre du préjudice moral,
Statuant à nouveau,
Condamner la société [B] à payer à la société Abbax France :
°13 986.49 € HT, outre TVA pour les stocks résiduels,
°540 734 € au titre du coût des ruptures de contrats de travail,
°50.000 € au titre du préjudice moral ;
Condamner la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 27 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dans tous les cas,
Confirmer la somme allouée en 1ère instance à hauteur de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société [B] aux entiers dépens tant de première instance que d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Philippe Lioubtchansky, avocat,
Rejeter toutes autres demandes, prétentions et allégations de la société [B].
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2025.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
I - Sur le caractère établi des relations commerciales et sur leur durée
Moyens des parties
La société Abbax France soutient que ses relations commerciales avec la société [B] sont continues et établies depuis 1998. Elle souligne avoir produit des factures et bons de commande anciens, notamment la commande n° 9800760 de juin 1998, attestant d'échanges réguliers dès cette date. Elle ajoute que la société [B], qui avançait en première instance une origine des relations en 2011 sur le fondement d'un document de demande d'informations fournisseurs, n'a pas versé ce document en appel et n'indique plus la date de commencement de la relation commerciale, privant son argumentation de toute assise probatoire. Elle soutient par ailleurs être la continuation juridique et économique de la société Rexo, devenue Rexo France à la suite d'une fusion absorption. Elle estime qu'il ressort de la jurisprudence que lorsqu'un titulaire reprend l'activité d'un prédécesseur sans modifier la nature des prestations, la relation commerciale s'analyse comme poursuivie, à la condition qu'existent des éléments démontrant l'intention commune des parties, éléments qui ne manquent pas en l'espèce : continuité des interlocuteurs, identité des prestations et maintien des conditions contractuelles. Elle se prévaut aussi de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 octobre 2023 (n° 22/20526), selon lequel une opération de fusion absorption n'interrompt pas la relation commerciale établie dès lors que la nature des prestations et les interlocuteurs demeurent inchangés. Elle verse par ailleurs une attestation d'un ancien acheteur de [B] de laquelle il ressort selon elle que la société Abbax a été approchée par [B] au regard des difficultés rencontrées par Rexo SA pour étudier la possibilité de reprendre cette société en difficultés.
La société [B] répond, en premier lieu, que cette continuité des relations commerciales est contestée sur plusieurs points factuels décisifs. La société Rexo a en effet été placée en procédure collective en 2012, ce qui a conduit à un changement substantiel de la personnalité juridique. En effet, les actifs de cette société ont été acquis par le groupe italien Iltom, via sa filiale Iltom France, dans le cadre d'un plan de cession. Ce transfert a engendré la création de Rexo France, entité distincte, indépendante, et juridiquement autonome. Dès lors, la société Rexo France ne saurait être regardée comme une continuation des relations commerciales établies entre [B] et la société Rexo. Cette distinction a été expressément consacrée par la jurisprudence, et notamment selon elle par l'arrêt de la Cour de cassation du 6 octobre 2015 (Cass. com., n° 14-19499), qui a rappelé que la reprise d'une activité par une entité distincte, même dans le cadre d'une continuité apparente des opérations commerciales, ne suffît pas à établir une continuité des relations commerciales. Par ailleurs, [B] conteste la valeur probatoire de l'attestation produite par la société Abbax France, émanant de son ancien acheteur.
La société [B] soutient, en second lieu, que les documents comptables produits par la société Abbax France pour les années antérieures à 2016 sont insuffisants pour établir l'existence d'une relation commerciale continue, stable et établie. En effet, il s'agit de pièces internes à Rexo, dont la certification se limite à une simple mention de « conformité à l'original », sans garantir l'exactitude des informations inscrites. Elle fait aussi valoir qu'en l'absence d'accord contractuel cadre, de garantie de chiffre d'affaires ou d'exclusivité, la seule existence de ventes ponctuelles, intervenant en fonction des besoins de l'acheteur, ne peut suffire à caractériser des relations commerciales stables et établies (En ce sens, Cass. com., 10 février 2021, n° 19-15.369).
Réponse de la Cour
Au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 et L. 442-1, II du même code applicable postérieurement, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664).
Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale » et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations).
La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).
Au cas présent la Cour retient, tout d'abord, qu'il existait une relation commerciale établie entre [B] MSC et la SARL Ets Rexo en janvier 2012, lorsque cette société a été placée en redressement judiciaire. Ce point n'est en effet pas utilement contesté par société [B], eu égard aux pièces fournies en première instance et complétées à hauteur d'appel (cote Abbax n°0 : commandes, bons de livraison, factures, balance générale, l'ensemble des pièces communiquées correspondant à 177 fichiers).
La Cour observe, ensuite, qu'il est plausible que des contacts soient intervenus à cette époque entre la société Iltom Spa et Rexo, en considération de :
- l'attestation d'un ancien acheteur [B] (pièce Abbax France n°5-17 : « j'ai pris contact avec le groupe Iltom et sa société Abbax France dans le but de sécuriser nos approvisionnements sur les machines Multi4. A ce titre, j'ai d'une part mis en relation le PDG du groupe Iltom avec les dirigeants de Rexo sous-traitante des machines Multi pour [B] et en procédure de liquidation à l'époque pour étudier la possibilité de reprise de la part du groupe Iltom ; et d'autre part demandé à Abbax France site de [Localité 6] pour la fourniture de bâtis et tôlerie des machines Multi4 début 2012 afin de palier la défaillance de Rexo ».)
- la motivation du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand dans son jugement du 9 mars 2012, lequel retient l'offre de reprise de la société Iltom (avec clause de substitution sous forme d'une SARL dont 90 % détenu par elle et 10 % par le président de la société Abbax France filiale d'Iltom), en faisant référence aux « propositions du volet social et de la pérennisation des activités contenues dans l'offre d'Iltom, ainsi que la position industrielle et financière de cette société ».
Cependant, ces éléments ne peuvent pas, à eux-seuls, caractériser la commune intention des parties de poursuivre la relation commerciale antérieure. Abbax France échoue en conséquence à démontrer les faits nécessaires au succès de ses prétentions.
Le point de départ de la relation commerciale entre [B] et Abbax France doit en conséquence être fixée au 19 mars 2012, date du début d'activité de la société Rexo France (pièce Abbax n°5-13), laquelle a été absorbée par la société Abbax France le 1er décembre 2017 (pièce Abbax n°5-1). Le jugement attaqué est infirmé sur ce point.
La Cour retient, enfin, qu'eu égard aux flux d'affaires entre les partenaires à compter de cette date, tels qu'ils sont établis par la pièce [B] n°15 (chiffre d'affaires et nombres de factures entre [B] et Rexo France, de sa création à la fusion, et entre Tama et Abbax France, entre 2011 et 2019) et par la cote 0 Abbax France précitée (sous-cotes 2012 et suivantes), la société Abbax France pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité de ceux-ci, les relations commerciales entre les partenaires revêtant un caractère suivi, stable et habituel. Il s'ensuit que ces relations ont présenté un caractère établi à compter du 19 mars 2012.
II- Sur la rupture partielle des relations commerciales alléguée concernant les pièces MCAL
Moyens des parties
La société [B] fait valoir qu'aucune rupture brutale de relations commerciales établies ne peut être caractérisée lorsque l'arrêt de la relation résulte d'un accord entre les parties. Or, à l'issue d'une réunion du comité de pilotage du 20 juin 2018, les parties ont selon elle convenu de mettre fin aux commandes de pièces MCAL à l'échéance de la dernière commande générale. Elle soutient que cette décision, acceptée par la société Abbax France, est confirmée par le courriel du 22 juin 2018 précité (pièce n°13), dans lequel il est indiqué que la production des pièces MCAL cessera sur les sites italiens et roumains du groupe Iltom, que cette information a été communiquée à la société Abbax France lors de la réunion, et que cette dernière a confirmé ne pas relancer la production. La société [B] en déduit que la société Abbax France a été informée de l'arrêt des commandes dès juin 2018, y a consenti, et n'a émis aucune réclamation à ce sujet, même après le début du différend sur un autre produit. Elle ajoute que, dans un courrier du 12 décembre 2019 (pièce n°6), soit onze mois après l'arrêt des commandes MCAL, la société Abbax France a elle-même limité le litige au produit Multi 4. Par ailleurs, la société [B] fait valoir que la société Abbax France ne produisait pas elle-même les pièces MCAL, celles-ci étant fabriquées par des entités du groupe Iltom situées en Italie et en Roumanie. Elle en conclut que la société Abbax France n'a subi aucune désorganisation industrielle liée à l'arrêt de cette activité. Elle souligne également que la société Abbax France a continué à facturer des pièces MCAL jusqu'en mai 2019, soit près d'un an après la réunion du 20 juin 2018, ce qui lui a laissé une période suffisante pour adapter son activité commerciale. Elle précise enfin que la part du chiffre d'affaires réalisée avec la société [B] sur les pièces MCAL représentait seulement 2,49 % du chiffre d'affaires moyen de la société Abbax France sur la période 2016-2019, ce qui démontre le caractère marginal de cette activité dans son modèle économique. La société [B] en conclut que, l'arrêt des commandes MCAL ayant été accepté par la société Abbax France et cette dernière n'ayant formulé aucune réserve ni réclamation pendant plus de dix-huit mois, aucun dommage ne peut être retenu à ce titre.
La société Abbax France répond que l'arrêt des commandes des pièces MCAL résulte exclusivement d'une décision unilatérale prise par la société [B], et non d'un accord mutuel, comme le soutient cette dernière. En effet, la société Abbax France n'a pas été informée de la réunion du comité de pilotage du 20 juin 2018, ni du courriel interne de la société [B] daté de deux jours après. Ce dernier, adressé exclusivement aux membres internes de [B], ne saurait constituer la preuve d'un quelconque accord entre les parties. La société Abbax observe le jugement attaqué retient d'ailleurs que la société Abbax France a été contrainte d'accepter l'arrêt de la production des pièces MCAL, ce qui exclut toute notion de consentement mutuel. Elle ajoute que l'absence de réclamation immédiate de la part de la société Abbax France après l'arrêt des commandes ne saurait être interprétée comme une acceptation tacite de la rupture des relations commerciales. Ce silence doit être compris dans un contexte de maintien des relations commerciales, dans l'espoir légitime de voir ces relations se poursuivre, notamment au regard des promesses formulées par la société [B] concernant l'augmentation des commandes de produits Multi 4, promesse qui n'a pas été tenue. Ce n'est qu'au fur et à mesure de la mauvaise foi manifeste de [B] que la société Abbax France a été contrainte de remettre en cause la rupture des relations commerciales, y compris en ce qui concerne les pièces MCAL. En outre, le courrier adressé par la société Abbax France le 12 décembre 2019 ne constitue en aucun cas une reconnaissance de sa part que la rupture des relations commerciales se limiterait uniquement au produit Multi 4. Dans ce dernier, elle n'a fait que reprendre les termes employés par la société [B] concernant cette rupture, sans pour autant émettre une quelconque position sur les pièces MCAL.
Elle fait aussi valoir que [B] soutient que la société Abbax France aurait été en mesure de maintenir un flux d'affaires en réorientant son activité, mais que cette thèse est contredite par les faits. En effet, le chiffre d'affaires en 2019 concernant les pièces MCAL ne correspond nullement à un chiffre d'affaires réellement généré cette année-là, mais à des ventes issues des commandes effectuées en 2018, pour lesquelles la société Abbax France avait fabriqué et stocké les pièces nécessaires en raison de l'incapacité de [B] à obtenir ces pièces auprès de son fournisseur chinois. Ces ventes ont été facturées en 2018, puis, à la demande de [B], refacturées en 2019 avec les avoirs correspondants. De plus, si la production des pièces MCAL était réalisée en Italie, leur préparation avait lieu sur le site de [Localité 6] avant leur distribution à la société [B]. Par conséquent, la société [B] aurait dû accorder un préavis suffisant permettant à la société Abbax France de maintenir un flux d'affaires équivalent à celui généré par les pièces MCAL, ce qui n'a manifestement pas été le cas. La société Abbax France en déduit que l'arrêt des commandes des pièces MCAL a bien causé un préjudice direct à son entreprise, que le tribunal de commerce de Lyon a au demeurant pris en compte dans l'évaluation du préjudice subi par la société Abbax France, les pièces MCAL étant incluses dans le calcul du dommage résultant de la rupture des relations commerciales.
Réponse de la Cour
Au sens tant des articles L. 442-6, I, 5° du code de commerce (applicable aux ruptures intervenues avant le 26 avril 2019) que L. 442-1, II du code de commerce, la rupture, dont la brutalité résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant, peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).
S'agissant de la caractérisation d'une première rupture, de nature partielle, en 2018, alléguée par Abbax France, la Cour relève, tout d'abord, que selon les extractions du fichier [B], le flux d'affaires entre les partenaires au titre de MCAL se sont élevés à 474040 euros en 2015, 460 837 euros en 2016, 485 666 euros en 2017, 669 113 euros en 2018 et 123 793 euros en 2019, étant observé que le flux au titre de Multi 4 (Rexo et Abbax) s'élevait parallèlement à 826 748 euros en 2015, 562 642 euros en 2016, 786 848 euros en 2017,1 016 734 euros en 2018 et 441 136 euros en 2019.
La Cour précise qu'il ressort de l'examen des pièces versées aux débats et notamment des différents rapports d'expertise de partie produits (pièce [B] n°10 du 12 octobre 2021, n°9 du 7 février 2022, n°22 du 30 septembre 2024) que les données communiquées par [B] dont s'agit, si elles ne sont pas identiques à celle d'Abbax, ne lui sont pas significativement différentes. Elles présentent en outre la particularité d'être plus complètes.
La Cour retient, ensuite, qu'il est constant d'une part, qu'en pratique, les commandes générales se chevauchaient, et que d'autre part, les relations entre les parties portaient simultanément sur des produits différents (Multi, MCAL, TTV2, Argos, Astra, Icare, gamme V5'), la fabrication de ces produits successifs correspondant à des évolutions des besoins du marché et donc à la vie des affaires.
Il se déduit de ces circonstances qu'aucune modification substantielle du flux d'affaires n'est caractérisée en 2018.
Cette année, si elle est marquée par une évolution annoncée quant aux pièces à produire, manifeste au demeurant non pas seulement un maintien des flux entre les partenaires, mais une croissance des flux totaux (1 300 788 euros en 2015, 1 023 479, 66 euros en 2016, 1272 514, 23 en 2017, 1 685 848, 16 euros en 2018). L'économie générale de la relation commerciale n'en apparait pas substantiellement impactée.
Il s'ensuit qu'aucune rupture brutale des relations commerciales établies n'est caractérisée au titre des pièces MCAL prises isolément.
La Cour observe en complément, après le premier juge, que le périmètre des relations commerciales établies à prendre en compte ne peut exclure les pièces MCAL dont l'arrêt a été acté en 2018. L'acceptation par Abbax France de la cessation de la production des MCAL, laquelle reste au demeurant peu documentée en procédure, ne peut en effet être analysée comme la prise d'acte consentie d'une réduction du flux d'affaires entre les parties. L'activité s'est de fait au demeurant poursuivie entre les partenaires de façon soutenue, mais sur d'autres produits, la relation de sous-traitance au titre de Multi 4 connaissant une importante croissance sur l'exercice 2018.
III- Sur la rupture brutale des relations commerciales établies en considération du courriel du 11 juin 2019 relatif aux pièces Multi 4 et la détermination du préavis suffisant
Moyens des parties
La société [B] soutient que la rupture des relations commerciales ne peut être qualifiée de brutale, dès lors qu'elle a respecté l'intégralité des obligations prévues par la commande générale n° CG19M0053 jusqu'à son expiration. En effet, par notification en date du 11juin 2019, la société [B] a informé la société Abbax France de la cessation de ses commandes concernant les pièces Multi 4, mais a poursuivi les commandes et les livraisons relatives à ces pièces jusqu'au 20 janvier 2020, date des dernières livraisons et facturations effectuées. Ainsi, elle a respecté selon elle un préavis effectif de plus de huit mois, permettant à la société Abbax France de maintenir ses activités commerciales et de s'organiser en conséquence.
La société [B] fait valoir que, contrairement à ce qu'a retenu le jugement critiqué, la relation commerciale n'a pas pris fin dès le 11 juin 2019, mais a continué sur une période substantielle, ce qu'elle considère être un préavis suffisant au regard des circonstances de l'espèce. Elle souligne que cette période de transition de huit mois doit être analysée en fonction des volumes d'affaires réellement traités entre les parties et des modalités concrètes de l'approvisionnement en pièces Multi 4, et non en fonction d'un calcul abstrait tiré de la seule durée des relations commerciales. Elle reproche au jugement entrepris de n'avoir pas pris en compte ces éléments factuels et de s'être fondée sur des considérations théoriques concernant la durée de fabrication des pièces, en négligeant la réalité des transactions commerciales effectuées jusqu'au terme des livraisons et des facturations. En conséquence, la société [B] demande à la Cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a qualifié de rupture brutale la fin des relations commerciales et de retenir qu'un préavis de huit mois a été respecté.
La société [B] précise que les demandes de la société Abbax France doivent être examinées à la lumière de l'article L. 442-1, II du Code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, dès lors que la rupture alléguée serait intervenue le 11 juin 2019, postérieurement à l'entrée en vigueur de ladite ordonnance et qu'un préavis de 18 mois constitue un plafond au-delà duquel aucune obligation supplémentaire ne peut être exigée. Elle se réfère à cet égard aux travaux préparatoires de l'ordonnance précitée, ainsi qu'à des analyses doctrinales, pour affirmer que le législateur a entendu fixer un seuil maximum, visant à éviter que les entreprises soient contraintes de maintenir des relations commerciales devenues inadaptées. Elle pretend par ailleurs que la décision de ne pas reconduire la relation s'inscrivait dans un contexte de dégradation progressive de la collaboration avec la société Abbax France, caractérisé par une inadéquation croissante entre les prestations fournies et ses exigences opérationnelles.
La société [B] considère aussi que le jugement attaqué retient à tort l'existence d'une situation de dépendance économique entre elle et la société Abbax France. Ce raisonnement repose uniquement sur une baisse du résultat net de la société Abbax France entre 2019 et 2020, sans établir les critères nécessaires à la reconnaissance d'une telle dépendance. Or, la jurisprudence constante exige, pour caractériser un état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce, que la part de chiffre d'affaires réalisée avec le partenaire commercial soit significativement prépondérante et qu'il existe une impossibilité pour l'entreprise prétendument dépendante de se réorienter vers d'autres débouchés dans des conditions raisonnables (Cass. com., 12 févr. 2013,
n° 12-12.875). En l'espèce, les données comptables établies par son expert (pièce n°22), non contestées, démontrent que les ventes réalisées pour la société [B] représentaient un taux moyen de seulement 4,03 % du chiffre d'affaires de la société Abbax France entre 2016 et 2019. Même en intégrant d'autres pièces que les Multi 4, ce taux reste limité à 6,52%. Ces chiffres sont très en deçà des seuils habituellement retenus par les juridictions pour établir une dépendance économique. Surtout, il n'existait entre les parties ni clause d'exclusivité ni conditions contractuelles de nature à priver la société Abbax France de la possibilité de diversifier sa clientèle. La société Abbax France n'était nullement captive de la société [B] et restait libre de définir sa stratégie commerciale, ce qu'elle a au demeurant fait, puisqu'il ressort de la comptabilité analytique d'Abbax une forte augmentation de la hausse du chiffre d'affaires du site de [Localité 9], Abbax reconnaissant que cette croissance n'est pas due à une augmentation de sa production industrielle, mais à un transfert d'activité logistique, soit une décision relevant de la seule réorganisation interne au groupe Iltom.
La société [B] soutient qu'aucune circonstance particulière ne justifie l'octroi, par le tribunal, d'un préavis de 18 mois au bénéfice de la société Abbax France, et ce en l'absence de situation de dépendance économique, de lien contractuel structurant ou d'investissement spécifique. Les pièces litigieuses (Multi 4 et MCAL) sont, selon elle, des éléments de tôlerie standard, dépourvus de toute technicité particulière, et pouvant être indifféremment produites pour d'autres clients. Elle précise que les plans produits par la société Abbax France, datés de décembre 2016 et janvier 2017, ne démontrent pas que ces documents auraient été soumis par la société [B], ni qu'ils auraient été établis selon des contraintes techniques émanant de cette dernière. La présence du logo [B] sur lesdits plans ne traduit, selon elle, que la destination finale des pièces, sans établir aucunement leur caractère spécifique. La société [B] relève en outre qu'aucun lien d'exclusivité ne liait les parties, que la relation n'était encadrée par aucun contrat-cadre, et que les moyens de production employés par la société Abbax France étaient de nature générique, compatibles avec la fourniture de pièces à d'autres secteurs industriels. Elle observe que la société Abbax France ne produit aucun élément quant à la technicité des pièces, quant à la complexité alléguée des produits, et ne justifie pas de l'impossibilité pour elle de se réorienter vers d'autres clients dans des conditions normales.
Pour [B], la durée du préavis de 18 mois accordée par le tribunal de commerce repose sur des hypothèses non étayées et constitue une appréciation erronée des faits. Elle regrette que le tribunal ait fondé sa décision sur la supposition selon laquelle elle aurait été en contact avec un fournisseur chinois alternatif dès le début de l'année 2018, ce qui n'est corroboré par aucun élément de preuve. Elle regrette aussi que le tribunal se soit fondé sur les spéculations de son expert de partie concernant les délais de fabrication et de livraison des pièces par un fournisseur alternatif. Elle rappelle qu'il est courant, dans le cadre de la gestion industrielle, d'identifier en amont de nouvelles sources d'approvisionnement, ce qui ne saurait en aucun cas constituer une circonstance justifiant un préavis plus long. Enfin, [B] fait valoir que l'objectif du préavis est de permettre à la partie lésée de s'adapter à la perte de chiffre d'affaires engendrée par la rupture des relations commerciales, et non d'ajuster la durée du préavis en fonction des délais de fabrication ou de livraison des produits par un fournisseur alternatif.
La société Abbax France répond en premier lieu que, contrairement aux assertions de la société [B], le courriel du 11 juin 2019 ne constitue pas une notification valable d'un préavis écrit, conformément aux exigences de l'article L 442-6 II 5° du Code de Commerce, lequel sanctionne l'absence de préavis écrit. Elle observe que ce courriel ne mentionne aucune date précise de cessation de la relation commerciale, ni ne permet d'établir de manière certaine la date à laquelle les relations commerciales cesseraient. La société Abbax France dénonce l'interprétation erronée de la société [B], qui soutient que ce courriel indiquerait la fin des relations commerciales à l'issue de l'exécution de la commande générale n° CG19M0053, argument qu'elle considère infondé, puisque le courriel n'évoque en réalité que l'arrêt de la commande des produits Multi 4 et le recours futur à un fournisseur chinois. La société Abbax France réfute également les références faites à la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment l'arrêt du 20 novembre 2012, que la société [B] invoque à tort pour soutenir que le non-renouvellement d'un contrat puisse être assimilé à une notification de rupture cet arrêt portant sur des contrats à durée déterminée, lesquels contiennent une date de fin connue des parties dès leur conclusion, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, où aucune relation contractuelle formelle n'existait entre les parties. Elle souligne qu'au cas présent, il n'y a ni mention de préavis, ni de date d'expiration, le courriel du 11 juin 2019 n'annonçant que des modifications dans les modalités de production et de sous-traitance. Elle ajoute que la société [B] a elle-même reconnu, dans ses écritures, que les relations commerciales entre les parties n'étaient régies par aucun contrat à durée déterminée. Elle met également en évidence la réduction significative des quantités de commandes pour l'année 2019, sans explication suffisante de la part de la société [B], ce qui, selon elle, démontre l'absence de préavis écrit suffisamment clair et précis, permettant à la société Abbax France de se réorganiser en conséquence. Elle en déduit que la société [B] n'a pas respecté les exigences légales relatives à la notification d'un préavis écrit, et que la date de rupture des relations commerciales n'a pas été déterminée de manière claire et non ambiguë, comme l'exige la jurisprudence.
La société Abbax France indique, en deuxième lieu, que la société [B] ne peut valablement invoquer l'existence d'un préavis suffisant au regard de l'article L. 442-6 du code de commerce, ni justifier d'un véritable flux d'affaires après la rupture. En effet, les livraisons effectuées en janvier 2020, limitées à trois machines, ne sauraient être assimilées à la continuation d'une relation commerciale, celles-ci se rapportant uniquement à l'achèvement de commandes antérieures à la rupture. De plus, la société Abbax France met en lumière que la réduction importante de la commande du 27 février 2019, de 70 à 30 machines, et l'annonce de la non-reconduction de la commande générale, constituent des éléments suffisamment significatifs pour qualifier la rupture de la relation commerciale de brutale. Ces éléments révèlent un déséquilibre commercial majeur entre les parties. Enfin, la société Abbax France rappelle que, parallèlement, la société [B] a transféré la fabrication des pièces Multi 4 à un sous-traitant chinois, confirmant ainsi la fin effective de la collaboration commerciale. Elle en déduit que les livraisons de janvier 2020 ne suffisent pas à établir l'existence d'un préavis valide, conformément aux principes de jurisprudence concernant la rupture brutale des relations commerciales établies.
Elle soutient, en troisième lieu, que les relations nouées avec la société [B] s'inscrivaient dans un cadre commercial établi, ancien et suivi, reposant sur des échanges réguliers, une planification récurrente des commandes, ainsi qu'une collaboration technique soutenue, matérialisée notamment par des investissements spécifiques réalisés pour répondre aux besoins exprimés par la société [B]. Elle ajoute qu'espérant maintenir ses relations commerciales, la société Abbax France n'a pas réagi immédiatement à l'arrêt des MCAL, d'autant plus que la société [B] avait évoqué lors des négociation un doublement des commandes de Multi 4, promesse qui n'a pas été tenue. L'expertise menée par M. [C] à sa demande établit que les Multi 4 représentent 51,36% du chiffre d'affaires réciproque, tandis que les MCAL pèsent pour plus de 33,45 %, de sorte que la rupture a affecté plus de 84 % du flux d'affaires global entre les parties, rendant toute poursuite des relations illusoire. La société Abbax France ajoute qu'elle se trouvait en situation de dépendance économique à l'égard de la société [B], l'arrêt brutal des commandes ayant privé son outil industriel d'un flux d'affaires essentiel. Les produits litigieux nécessitaient un outillage spécifique et des opérateurs hautement qualifiés, formés de longue date sur le site de [Localité 9], sans possibilité d'être remplacés par une activité « techniquement et économiquement équivalente » (Cass. com., 12 février 2013, n° 1213603). Quinze salariés de la production ont au demeurant été licenciés et six ont dû conclure une rupture conventionnelle, et le site de [Localité 9] a fermé définitivement, faute de débouchés alternatifs.
L'ancienneté réelle des relations, tant en durée qu'en intensité, l'importance de la part du chiffre d'affaires généré par les produits concernés (Multi 4 et MCAL), la complexité technique des produits et l'absence de solution de substitution justifie selon elle la fixation d'un préavis de 25 mois.
Réponse de la Cour
L'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 n'a prévu aucune disposition transitoire dans le temps du nouvel article L. 442-1, II du code de commerce. En application de l'article 2 du code civil et du principe de non rétroactivité de la loi nouvelle, la rupture brutale d'une relation commerciale établie, qui s'analyse en un fait juridique qui engage la responsabilité délictuelle, est soumise au droit applicable au moment de la rupture litigieuse. L'ordonnance étant entrée en vigueur, conformément à l'article 1er du code civil, le lendemain de sa publication au Journal officiel, soit le 29 avril 2019, les ruptures intervenues à compter de cette date sont soumises aux nouvelles dispositions, lesquelles disposent qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Le préavis, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé.
Pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L. 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, l'état de dépendance économique s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété du partenaire et de ses produits et services, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de l'autre partie, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres acteurs des produits et services équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).
Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.
Au cas présent, la Cour rappelle qu'en pratique, les commandes générales se chevauchaient, et que les relations entre les parties portaient simultanément sur des produits différents. Dans ces circonstances, le courriel du 11 juin 2019 de [B] à Abbax France, énumérant tour à tour « la non reconduction de la tôlerie de la Multi, envoyée chez un des sous-traitants chinois (de [B]) », « le reste des machines [B] : Argos, Astra, Multiposte, Icare » et « l'avenir de notre relation » (soit la « gamme V5 (et) les machines secteur chaud ») présente un caractère équivoque quant à la volonté de [B] de rompre les relations commerciales établies. Il ne permet pas de connaitre la date de la cessation effective de la relation. Ce courriel, tout comme celui du 19 juin cité dans le courrier du 5 juillet 2019 d'[4] France, entretient l'incertitude sur la volonté de rupture et ne peut donc valoir notification.
Il s'ensuit qu'aucun préavis écrit, au sens de l'article L. 442-1, II du code de commerce n'a été notifié.
La circonstance que les partenaires aient poursuivi des relations commerciales, pendant une période qu'aucune des deux parties ne précise au demeurant, et s'agissant d'un périmètre qui n'est pas non plus explicité, mais peut objectivement être considéré comme résiduel, ne peut être considéré comme caractérisant un maintien des relations commerciales établies. Le tarissement du courant d'affaires se déduit en effet du constat d'une réduction par 3 de ce flux entre 2018 et 2019 (1 685 848, 16 euros en 2018, 564 929 euros en 2019, étant relevé qu'aucune précision n'est apportée sur la répartition des flux intervenus avant et après juillet 2019), et de l'absence de communication de tout chiffre relatif au courant d'affaires entre [B] et Abbax France sur les exercices suivants.
Au vu des éléments communiqués, la Cour retient que la rupture s'est matérialisée le 5 juillet 2019, date du courrier LRAR d'Abbax (pièce Abbax France n°7.2) dénonçant, en substance, ce qu'elle estimait être une rupture des relations commerciales établies, et demandant que [B] « s'engage à passer commande de la même quantité de matériel sur une période a minima de 20 mois » afin de lui « permettre d'avoir le temps nécessaire pour (se) réorganiser face à cette chute significative de chiffre d'affaires ».
Au regard des éléments combinés suivants :
- l'ancienneté des relations commerciales (12 ans),
- le domaine d'activité de la société Abbax France (temps de reconquête des clients),
- la relative complexité technique des produits commandés par [B] et la spécificité de l'outillage nécessitant le recours à des opérateurs qualifiés,
- l'absence d'état de dépendance économique et de lien d'exclusivité,
la Cour retient qu'afin de lui permettre de disposer d'un délai suffisant pour se réorganiser, un préavis de 14 mois à compter 5 juillet 2019 aurait dû être accordé à Abbax France, partenaire évincé.
Le jugement est infirmé sur ce point.
IV - Sur les préjudices réparables
- sur le gain manqué
Moyens des parties
La société Abbax France soutient que l'exercice 2019 ne saurait être pris en compte pour l'évaluation de son préjudice, dès lors que le chiffre d'affaires constaté au titre de cet exercice résulte de livraisons exceptionnelles intervenues au cours de l'année 2018, mais qui ont été facturées en 2019 à la demande de la société [B]. Une telle facturation ne reflète pas l'activité normale de l'entreprise, de sorte que l'année 2019 ne saurait être regardée comme représentative des relations commerciales effectivement entretenues avec la société [B]. La société Abbax France sollicite, à titre principal, que l'année 2018 soit seule retenue pour l'évaluation du préjudice, à l'exclusion des exercices 2017 et 2019. Elle s'appuie à titre subsidiaire sur les conclusions de l'expert de partie qu'elle a sollicité, lequel recommande de ne retenir, pour l'établissement de la moyenne de référence, que les exercices précédant immédiatement la cessation des relations commerciales, à l'exclusion de l'année de la rupture. Elle rappelle que le tribunal a fait sienne cette analyse et a écarté l'année 2019 du calcul du préjudice, retenant une moyenne fondée sur les exercices 2016, 2017 et 2018.
S'agissant du taux de marge applicable, la société Abbax France rappelle que le tribunal a validé les taux retenus par son expert : 20 % pour le site de Thiers et 31,1 % pour celui de Dagneux. Elle conteste l'approche de la société [B], qui préconise l'application d'un taux unique de 12,23 %, établi sur la base d'une analyse globale de la société. La société Abbax France fait valoir que la marge à retenir est celle effectivement dégagée dans le cadre des relations commerciales litigieuses, et non celle résultant de l'activité générale de l'entreprise. Elle souligne que les taux retenus par son expert sont issus d'une analyse fine, opérée établissement par établissement, à partir des données comptables certifiées. Cette approche est conforme aux principes dégagés par la jurisprudence, laquelle admet que l'évaluation du préjudice peut être conduite distinctement pour chaque entité juridique ou économique, dès lors que des résultats comptables séparés sont disponibles. Tel est le cas en l'espèce, s'agissant des établissements de [Localité 9] et de [Localité 6].
En outre, la société Abbax France relève que la société [B] minimise son rôle dans les difficultés économiques rencontrées par l'établissement de [Localité 9], alors que la cessation brutale et non justifiée de ses commandes a directement conduit à la fermeture de ce site, dans un contexte de dépendance économique avérée de ce site. La société [B] ne sauraitse prévaloir de la dégradation de la situation de ce site pour minorer sa propre responsabilité dans la survenance du dommage. Enfin, Abbax France réfute l'argument tiré par la société [B] d'éventuelles économies de frais fixes résultant de la fermeture du site de [Localité 9]. Elle rappelle que les charges concernées (essentiellement les indemnités de licenciement) ne constituent pas des « économies » susceptibles de venir en atténuation du préjudice, mais sont au contraire des conséquences directes de la perte d'activité imputable à la rupture des relations commerciales.
La société [B] soutient que seul le chiffre d'affaires affecté par la rupture contractuelle doit être retenu comme assiette du calcul de l'indemnité et demande que la Cour prenne en considération le chiffre d'affaires réalisé par la société Abbax France auprès de la société [B] au titre des ventes de pièces MCAL et Multi 4, sur les dernières années de la relation commerciale, laquelle a pris fin en 2019. Elle souhaite que la demande d'Abbax de ne prendre en compte que la seule l'année 2018 soit écartée et que le jugement entrepris soit infirmé en ce qu'il a refusé d'intégrer l'année 2019 dans la détermination du chiffre d'affaires moyen réalisé entre les parties sur les pièces précitées.
[B] demande ensuite que le chiffre d'affaires mensuel moyen de 94.724,40 euros soit retenu, tel que calculé par l'expert de partie auquel elle a eu recours, comme reflétant fidèlement l'activité concernée. Elle fait également valoir que le mode de calcul du taux de marge sur coûts variables proposé par la société Abbax France, fondé sur une ventilation « par site », ne saurait être considéré comme pertinent au regard des principes comptables applicables. Sur la base d'un taux de marge sur coûts variables de 12,23 %, la perte de marge mensuelle maximale susceptible d'être indemnisée s'établit à 10.420 euros. [B] ajoute que, face à chaque critique formulée à l'encontre de ses éléments justificatifs, la société Abbax France a procédé à une réévaluation à la hausse de ses prétentions, ce qui ne peut qu'accentuer le caractère incertain et insuffisamment étayé de son préjudice allégué. Elle considère que le préjudice indemnisable maximal s'élève à la somme de 69.510 euros.
Réponse de la Cour
Le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période »). Cette approche n'exclut pas l'indemnisation d'autres préjudices directement causés par la brutalité de la rupture dès lors que, distincts du précédent, ils sont démontrés en leur principe et en leur étendue.
Le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s'exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n'est que la projection de celui antérieurement réalisé.
La Cour retient, tout d'abord, qu'il n'est pas justifié, conformément à la jurisprudence assise, de prendre en compte l'année 2019, année de la rupture des relations commerciales et qu'il apparait adéquat en l'espèce que la période de référence prise en considération soit celle des trois derniers exercices antérieurs à la rupture.
La Cour observe, ensuite, que l'expert de partie de [B], dans son dernier avis technique daté du 30 septembre 2024 donné suite à la production par Abbax France de données analytiques, considère qu'il n'est pas clairement démontré que les produits dont la fabrication a cessé ne pouvaient pas être fabriqués sur d'autres sites de production, et qu'il lui parait en conséquence « plus prudent » de s'en tenir à une approche au niveau de la société (pièce [B] n°22, p. 28).
Elle retient qu'un tel raisonnement ne peut être utilement soutenu, la ventilation par site étant au cas présent solidement documentée, ce qui a conduit le tribunal à raison de de la retenir au vu des pièces produites.
Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a évalué le chiffre d'affaires perdu, pendant la durée du préavis éludé, à un total mensuel de 154 641 euros ([Localité 9] : 84 724 euros, [Localité 6] : 69 917 euros).
A titre surabondant en l'absence de demande formulée en ce sens, il est observé qu'aucune ventilation n'a été communiquée s'agissant de 2019 et qu'aucun chiffre ne l'a été en 2020, si bien que le chiffre d'affaires résiduel réalisé entre les parties après le 5 juillet 2019, durant la période de préavis éludée (cf. Cass. com, 29 janvier 2025, 23-19.972) n'est pas connu et ne peut donc donner lieu à déduction.
Enfin, s'agissant des corrections à apporter selon [B] au taux de marge sur cout variables, il doit être constaté dans sa note additionnelle du 19 mai 2012, reprise dans son avis du 30 avril 2024, l'expert de partie de [B] considère qu'il convient, sur l'exercice 2018, de rajouter en charge variable les achats d'études et achat de matériels ainsi que les dépenses d'affacturage, qu'il est nécessaire de neutraliser la taxe foncière du site de [Localité 9] et de retrancher les 21 personnes sur un effectif de 23 qui ont été licenciées à [Localité 9] et qu'il y a lieu de retenir, en l'absence de détail, le même taux pour [Localité 6], dans la mesure où chaque site compte un responsable et une personne administrative.
La Cour considère que ces propositions n'ont pas lieu d'être retenues dès lors que seuls doivent être déduits les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, et qu'il n'est pas démontré que les coûts évoqués ont été éludés durant les 14 mois qui ont suivi la rupture, étant observé notamment que la « fermeture » du site de [Localité 9] n'est pas intervenue durant cette période, et que les licenciements économiques se sont entre étalés entre 10 décembre 2020 et le 27 février 2021.
La Cour retient, en conséquence, que le premier juge a à raison retenu une marge sur cout variable de 20 % sur le site de [Localité 9] et de 31, 10 % sur le site de [Localité 6], et que la marge mensuelle sur cout variable s'élève donc à 38 689 euros.
Il s'ensuit que le préjudice au titre du gain manqué durant les 14 mois du préavis éludé doit être fixé à la somme de 541 646 euros.
Le jugement attaqué est, pour ces motifs, infirmé s'agissant du montant de ce préjudice. Il ne l'est pas s'agissant de la décision, que la Cour approuve, de faire courir les intérêts moratoires à compter de l'assignation et de faire application de l'article 1343-2 du code civil.
- Sur la perte subie
Moyens des parties
La société Abbax France soutient que la rupture brutale des relations commerciales l'a contrainte à fermer son site de [Localité 9], entraînant des licenciements et ruptures conventionnelles. Elle chiffre son préjudice à 540 734 euros versant à l'appui aux débats les pièces n° 16.1 à 16.5 et le rapport de son expert de partie (pièce 17-1). Elle fait valoir qu'un préavis suffisant lui aurait permis de retrouver des débouchés et d'éviter les suppressions de postes, soulignant que la reconquête d'un marché de l'ampleur de celui de la société [B] nécessite plusieurs années.
La société [B] répond que, même à supposer que les éléments produits par la société Abbax France, à savoir les départs et les sommes effectivement engagées, soient avérés, ces derniers ne sauraient lui être imputés. En premier lieu, elle fait valoir que six des vingt et un départs invoqués correspondent à des ruptures conventionnelles, lesquelles résultent d'un commun accord entre l'employeur et le salarié, et peuvent être motivées par des considérations diverses et étrangères à la cessation du courant d'affaires. Ces départs ne peuvent donc être assimilés à des licenciements économiques, seuls susceptibles d'établir un lien de causalité entre la rupture des relations commerciales et la suppression de postes. Par conséquent, la somme de 155 753,03 euros, correspondant à ces six ruptures, ne saurait être retenue à son encontre. La société [B] soutient également qu'il appartient à la société Abbax France de démontrer que les licenciements invoqués sont consécutifs à la brutalité de la rupture des relations commerciales et non à la rupture elle-même. Or, la société Abbax France ne produit qu'un tableau synthétique dépourvu de toute précision relative aux fonctions, à l'ancienneté ou à l'affectation des salariés concernés. Aucun élément ne permet d'établir que ces derniers étaient exclusivement et durablement affectés à la production des pièces Multi 4 destinées à la société [B], ce qui empêche d'établir le lien entre la brutalité de la rupture et les licenciements. En outre, les licenciements en question sont intervenus entre le 10 décembre 2020 et le 24 février 2021, soit plus de dix-huit mois après la cessation des relations commerciales intervenue en juin 2019. Un tel délai exclut toute notion de soudaineté et permettait à la société Abbax France de réorganiser ses activités ou de reclasser ses salariés. Le défaut d'anticipation ou de réorganisation ne saurait dès lors être imputé à la société [B]. Enfin, la société [B] fait observer que l'activité concernée relevait de la société Rexo France, absorbée par la société Abbax France en 2017, et que les comptes de cette dernière pour l'année 2016 faisaient état d'un chiffre d'affaires lié à la société [B] représentant environ 19 % de l'activité du site de [Localité 9], lequel était structurellement déficitaire. Elle en conclut que la fermeture du site résulte d'un déséquilibre économique antérieur, sans lien avec la rupture du courant d'affaires litigieux.
Abbax France réplique sur ce point que le site de [Localité 9] était certes déficitaire en 2016 et que Rexo devait alors faire face à des difficultés économiques suite à la perte du marché ferroviaire (cf pièce n°16-4), mais qu'il ressort de la comptabilité analytique qu'elle a communiquée que le site avait retrouvé l'équilibre en 2018 avec un résultat d'exploitation positif, avant de rechuter en 2019 (déficit se situant à ' 235 000 euros) à la suite de la perte du marché [B], rendant nécessaire, ainsi que l'indique son expert de partie « d'éteindre (ce) foyer de perte qui s'est aggravé encore en 2020 puisque l'exercice 2019 enregistre tout de même une petite commande de la part de [B], mais pas en 2020 ('), le coût des licenciements (étant) causés directement par le retrait des commandes de la société [B] » (pièce n°17-1).
Réponse de le Cour
Seuls les préjudices causés par la rupture brutale et non ceux résultant de la rupture elle-même doivent être indemnisés (Com. 7 décembre 2022, n°21-17.850). Au titre de la perte subie, les demandes des victimes peuvent, par exemple, porter sur les investissements dédiés à la relation commerciale que la brutalité de la rupture a empêché d'amortir et qui ne sont pas aisément reconvertibles. Il peut également s'agir des coûts afférents aux licenciements que la brutalité de la rupture a rendu inévitables. La preuve du lien direct entre la rupture brutale et le préjudice invoqué doit être rapportée (Cass. com., 23 janvier 2007).
La Cour relève qu'Abbax France se limite à verser, à l'appui de sa demande,
- Pièce n° 16-1 : un tableau synthétique visé de son expert-comptable comprenant le nom des personnes ayant fait l'objet d'un licenciement économique ou d'une rupture conventionnelle, la date de départ, les indemnités versées, ainsi que les charges sociales et le montant acquitté au titre de la participation au contrat de sécurisation professionnelle (CSP) ;
- Pièces 16-2 : le dernier bulletin de paye des 21 personnes concernées ainsi que divers documents émanant de Pole emploi quant à la participation d'Abbax France au financement du CSP ;
- Pièces n°16-3 et 5 : la lettre de licenciement de M. [F] [L] du 2 novembre 2020 et la lettre du 12 novembre 2020 le prévenant qu'un salarié appartenant à sa catégorie professionnelle et dont l'emploi devait être initialement conservé en application des critères d'ordre a fait part de sa volonté de quitter l'entreprise et que si le départ volontaire de son collègue se concrétise, il restera au sein des effectifs.
Le Cour retient, en cet état, en considération des autres éléments de la cause (données comptables, éléments relatifs aux particularités de la relation de sous-traitance industrielle entre les partenaires) que la preuve du lien entre la rupture et le préjudice invoqué est rapportée, mais qu'eu égard notamment à la date des licenciements intervenus, il n'est pas établi que le préjudice dont il est sollicité réparation au titre de la perte subie a été causé par la brutalité de la rupture.
Le jugement est confirmé sur ce point.
- Sur le préjudice moral
La société Abbax France sollicite la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral, en se fondant sur le rapport son expert de partie, aux termes duquel la fermeture du site de [Localité 9], en lui enlevant un site de production, a nécessairement diminué ses marges de man'uvre et que le licenciement massif du site de [Localité 9] n'a de surcroît pu qu'avoir un impact négatif sur l'ambiance générale et la perte de confiance dans le management de la société.
La société [B] conteste l'existence de tout préjudice moral. Elle rappelle que, selon une jurisprudence constante, de telles demandes doivent être écartées en l'absence de preuves établissant un préjudice moral distinct de celui déjà indemnisé, le préjudice découlant de la rupture brutale étant uniquement lié à la brutalité de la rupture elle-même. Elle souligne que la société Abbax France n'a présenté aucun élément permettant de justifier l'existence d'un préjudice moral, ni d'acte vexatoire ou de comportement déloyal de sa part.
Réponse de la Cour
Un préjudice moral peut s'inférer du caractère brutal de la rupture (Com. 5 avril 2018, n°16-26568).
En l'état des débats, la Cour confirme le jugement attaqué qui a débouté Abbaxe France faute d'éléments probants apportés au soutien de sa demande de ce chef.
V- Sur les stocks résiduels
Moyens des parties
La société Abbax France sollicite la condamnation de la société [B] au paiement de la valeur du stock résiduel de pièces détachées, s'élevant à 13 986,49 euros hors taxes. Elle fait valoir qu'elle n'est plus en mesure d'écouler ce stock depuis la rupture des relations commerciales, celui-ci étant exclusivement destiné aux produits distribués pour le compte de la société [B], laquelle ne saurait, en cause d'appel, remettre en cause sa destination en soutenant a posteriori qu'il ne correspondrait pas à des commandes fermes.
La société [B] répond que la reprise d'un stock de pièces par un client ne peut être envisagée que dans l'hypothèse où ce stock aurait été constitué par le fournisseur en exécution d'une commande demeurée sans suite du fait dudit client. Elle fait valoir que la société Abbax France ne rapporte pas la preuve que le stock litigieux aurait été constitué pour répondre à une commande ferme émanant de sa part.
Réponse de la Cour
Le stock d'Abbax dont s'agit était exclusivement destiné aux produits commandés par la société [B], ce qui a rendu impossible son écoulement depuis la rupture brutale des relations commerciales.
La Cour relève qu'Abbax France fait valoir en complément à raison, d'une part, que la provenance et la consistance de ce stock sont justifiées par les inventaires produits (pièces n° 15.1 et 15.2) et d'autre part, que la société [B] n'en conteste pas la valeur, ayant elle-même envisagé son rachat. Elle constate en outre que [B] affirme avoir été livrée pour l'ensemble des commandes passées auprès de la société Abbax France, de sorte qu'aucun stock résiduel n'aurait dû être constitué spécifiquement à son intention, mais qu'elle ne produit aucun compte détaillé entre les parties permettant d'établir, eu égard à la succession des commandes et aux livraisons intervenues, que ce stock résiduel existe en raison d'une décision unilatérale de [B].
La Cour observe, enfin, que le jugement attaqué a, dans ses motifs, fait droit à la demande de [B] s'agissant de la perte qu'elle a subie à raison de ce stock spécifique résiduel, qui s'élève à la somme de 13 986, 49 euros, mais que le dispositif de la décision contient une erreur s'agissant du montant indiqué (1398,49 euros), s'agissant de laquelle les parties n'ont pas échangé à hauteur d'appel.
La Cour infirme dans ces circonstances le jugement et condamne la société Abbax à verser la somme de13.986,49 € HT au titre des stocks résiduels.
VI- Sur l'article 700 du code de procédure civile
Moyens des parties
La société [B] expose qu'eu égard au caractère manifestement infondé, surévalué, mal motivé, voire fallacieux des prétentions formulées par la société Abbax, il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu'elle a dû engager pour assurer la défense de ses droits. Elle rappelle avoir dû recourir aux services d'un expert-comptable à deux reprises : d'une part, en raison de l'absence totale d'éléments comptables précis produits par Abbax pour justifier son préjudice ; d'autre part, afin de démontrer les incohérences affectant le rapport versé aux débats par cette dernière. Ces interventions ont engendré un coût de 23 000 € hors taxes. En outre, la société [B] a engagé des frais auprès du cabinet Fidal pour la préparation de ses écritures. En conséquence, elle sollicite la condamnation de la société Abbax à lui verser la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de la procédure.
La société Abbax France soutient qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu'elle a exposés. Elle demande que [B] soit condamnée à lui verser 27 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, incluant le cout des rapports de son expert de partie, ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel.
Réponse de la Cour
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société [B] aux dépens de première instance et à payer à la société Abbax France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Abbax France qui succombe à titre principal son appel sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel, elle sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Abbax France la somme de 18 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris en en ce qu'il a :
- Fixé à 18 mois le préavis dont aurait du bénéficier la société Abbax en raison de la rupture brutale de relations établies avec la société Tiamax ;
- Condamné la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 696 402 euros ;
- Condamné la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 1398,49 € HT, outre TVA pour les stocks résiduels ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés :
- Dit que les relations commerciales entre la société Abbax France et la société [B] ont présenté un caractère établi du 19 mars 2012 au 5 juillet 2019, date de leur rupture brutale imputable à la société [B] ;
- Fixe à 14 mois le préavis dont aurait dû bénéficier la société Abbax ;
- Condamne la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 541 646 euros en réparation du préjudice de gain manqué subi ;
- Condamne la société [B] à payer à la société Abbax France la somme de 13.986,49 € HT au titre des stocks résiduels ;
Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;
Y ajoutant,
Condamne la société [B] aux dépens d'appel ;
Rejette la demande de la société [B] au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la société [B] à verser à la société Abbax France la somme de 18 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.