CA Bordeaux, 4e ch. com., 10 septembre 2025, n° 24/04216
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
T. Immo (SARL)
Défendeur :
Cm Investissements (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Masson, Mme Jarnevic
Avocats :
Me Olhagaray, Me Ngako-Djeukam
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. La société à responsabilité limitée CNMI Investissement, dont le gérant est Monsieur [B] [J] et dont le siège social est situé [Adresse 6], a pour activité le consulting, l'étude et recherche de marchés publics et privés, l'organisation des marchés, l'engineering et le commerce gros et détail import export.
La société à responsabilité limitée C.M Investissements, dont le gérant est Monsieur [B] [J] et dont le siège social est situé [Adresse 3], a pour activité l'ingénierie patrimoniale, l'intermédiation en matière immobilière, le consulting.
La société à responsabilité limitée T. Immo, dont le gérant est Monsieur [F] [N] et dont le siège social est situé [Adresse 15], exerce l'activité d'agence immobilière titulaire de la carte professionnelle délivrée par la Chambre de commerce et d'industrie de [Localité 16].
2. Se prévalant de relations d'affaires, notamment en matière de vente immobilière, nouées entre la société CNMI Investissement et la société T. Immo et indiquant venir aux droits de la première, la société C.M Investissements a, par acte du 19 février 2021, fait assigner la seconde devant le président du tribunal de commerce de Bordeaux statuant en référé afin d'obtenir le paiement de commissions.
Par ordonnance du 4 mai 2021, le président a renvoyé l'affaire devant le tribunal afin qu'il soit statué sur le fond.
Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué ainsi qu'il suit :
- condamne la société T. Immo SARL à verser à la société CM Investissements SARL venant aux droits de CNMI Investissement SARL les sommes de :
- 120 000,00 euros TTC avec intérêts au taux légal a compter du 20 janvier 2021, correspondant au solde de sa facture de commission pour la vente Oyana,
-10 170,00 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 20 janvier 2021, correspondant au paiement de sa facture de commission pour la vente Courtois-Lavaud ;
- condamne la société T. Immo SARL à verser à la société C.M Investissements SARL venant aux droits de CNMI Investissement SARL la somme de 2 000,00 euros pour résistance abusive ;
- condamne la société T. Immo SARL à verser à la société C.M Investissements SARL venant aux droits de CNMI Investissement SARL la somme de 4 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société T. Immo SARL aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration au greffe du 14 octobre 2021, la société T. Immo a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la société CM Investissements.
Par jugement du 8 décembre 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société T. Immo désignant la SELARL Philae en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 16 novembre 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a arrêté le plan de redressement de la société T. Immo pour une durée de 6 années et a désigné la société Philae en qualité de commissaire à l'exécution de ce plan.
Par arrêt prononcé le 21 novembre 2023, la cour a ordonné la réouverture des débats et la révocation de l'ordonnance de clôture, invité les parties à conclure sur le moyen relevé d'office tiré de l'interruption de l'instance d'appel par suite du jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société T Immo et ordonné le renvoi de l'affaire à la mise en état.
Par ordonnance du 27 juin 2024, la cour a ordonné la radiation de l'instance pour défaut de diligence. Par conclusions du 17 septembre 2024, la société C.M Investissements a sollicité la reprise d'instance et, par acte de commissaire de justice du 10 octobre 2024, a fait assigner la société Philae es qualités en intervention forcée, lui signifiant ses conclusions d'intimée.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
3. Par dernières écritures notifiées le 13 janvier 2022, la société T. Immo demande à la cour de :
Par application des dispositions des articles 9 du code de procédure civile et 1353 alinéa 1er du code civil,
- Réformer le jugement du 30 septembre 2021 dont appel en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- Débouter la société CM Investissement de l'ensemble de ses demandes,
Et, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société CM Investissement à payer à la société T. Immo la somme de 8 000 euros,
- Condamner la société CM Investissement aux entiers dépens.
4. Par dernières écritures notifiées le 21 mars 2022, la société CM Investissements demande à la cour de :
Vu les articles L.134-3 et L.134-4 du code de commerce
Vu les pièces communiquées,
- Déclarer la société CM Investissements société venant aux droits de la société CNMI Investissements société recevable et bien fondée en ses conclusions et appel incident,
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 septembre 2021 en ce qu'il a :
- Condamné la société T. Immo société à verser à la société CM Investissements société venant aux droits de la société CNMI Investissements société les sommes de :
* 120 000 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 20 janvier 2021 correspondant au solde de sa facture de commission pour la vente OYANA,
* 10 170 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 20 janvier 2021, correspondant au paiement de sa facture de commission pour la vente Courtois-Lavaud,
- Condamné la société T. Immo société à verser à la société CM Investissements société venant aux droits de la société CNMI Investissements société la somme de 2000 euros pour résistance abusive,
Y ajoutant
- Condamner la société T. Immo à verser à la société CM Investissements société venant aux droits de la société CNMI Investissements société la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
- Condamner la société T. Immo à verser à la société CM Investissements société venant aux droits de la société CNMI Investissements société la somme de 6000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société T. Immo aux entiers dépens de l'instance.
***
La société Philae es qualités, régulièrement assignée, ne s'est pas constituée.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 avril 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande principale en paiement
5. La société T. Immo fait grief au jugement déféré de l'avoir condamnée à payer à la société C.M Investissements les sommes de 120.000 euros et 10.170 euros au titre des factures de commissions pour les ventes Oyana d'une part et Courtois d'autre part, outre des dommages et intérêts pour résistance abusive.
Au visa des articles 1353 alinéa 1er du code civil et 9 du code de procédure civile, l'appelante soutient que l'intimée ne rapporte pas la preuve de l'obligation, pour la société T. Immo, de lui rétrocéder 90 % des honoraires perçus puisque la société C.M Investissements n'est pas fondée à se prévaloir de la cession de créance qui lui est opposée.
La société T. Immo fait valoir que cette cession de créance ne lui a pas été signifiée, au sens de l'article 1690 du code civil ; que, par ailleurs, l'intimée n'a pu recueillir par l'effet de cette cession de créance la bénéfice d'un droit existant puisque l'appelante n'a jamais donné de mandat à la société T. Immo pour la recherche ou la vente d'un immeuble ; que, au demeurant, la cession d'une créance sur un tel mandat ne peut correspondre à la logique des affaires puisque la commission est due par le mandant à son mandataire et non l'inverse.
6. La société C.M Investissements répond qu'elle a, le 6 décembre 2020, conclu un acte de cession de créance avec la société CNMI, laquelle est sans activité depuis le 1er janvier 2020 sans disparition de la personne morale ; que cette cession porte notamment sur les mandats de vente de biens en cours de régularisation, dont deux concernent le présent litige ; qu'elle a donc qualité et intérêt à agir contre la société T. Immo comme venant aux droits de la société CNMI.
Sur ce,
7. En vertu de l'article 1689 du code civil, dans le transport d'un droit ou d'une action sur un tiers, la délivrance s'opère entre le cédant et le cessionnaire par la remise du titre.
L'article 1690 du code civil dispose :
« Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur.
Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique.»
Par application de l'article 1324 du code civil, la cession la créance, présente ou future, n'est opposable au débiteur, s'il n'y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s'il en a pris acte.
Il résulte de ces textes que si la cession de créance opère au jour du transfert entre le cédant et le cessionnaire, elle n'est cependant opposable aux tiers, dont le débiteur cédé, qu'au jour où elle lui est signifiée ; que le cessionnaire ne peut dès lors poursuivre le débiteur qu'après notification de la cession ; que faute d'une telle notification, le débiteur cédé ne reste tenu qu'à l'égard du créancier cédant.
En application de ces textes, il est constant en droit que, puisque la loi n'impose pas de forme particulière à la cession prévue par les articles 1324 et 1690 du code civil, pour que la cession lui soit opposable, il suffit que le débiteur cédé ait une connaissance suffisante de la créance cédée, de son montant, de ses modalités et de l'identité de son nouveau créancier.
8. La signification de la cession de créance entre la société CNMI et la société C.M Investissements par voie de conclusions devant le tribunal de commerce de Bordeaux, accompagnée de la copie de l'acte de cession, est donc opposable à la société T. Immo.
9. Il doit être relevé que la cession de créances en date du 6 décembre 2020, sur laquelle la société C.M Investissements fonde sa demande principale en paiement, est établie dans les termes suivants :
« Au jour de sa mise en sommeil, la société CNMI Investissement avait donné mandats de recherche et/ou de vente à société T. Immo concernant les immeubles suivants :
- [Adresse 7]
- [Adresse 4]
- [Adresse 9]
- [Adresse 11]
- [Adresse 8]
- [Adresse 5]
- [Adresse 13]
- [Adresse 12]
- terrain sis [Adresse 17]
- la résidence [18] sise [Adresse 10].
Au jour de la mise en sommeil de la société CNMI Investissement, ces mandats étaient toujours en cours, les immeubles faisant l'objet n'ayant pas encore été cédés.
Aussi, les parties conviennent de procéder à la cession de l'intégralité des mandats donnés par CNMI Investissement à société T. IMMO pour les ventes en cours au jour des présentes.
La créance cédée consiste en la valeur des commissions portant sur les mandats de vente de biens en cours de régularisation.
Ceci exposé il a été convenu ce qui suit :
Article 1 : cession de créance
La société CNMI Investissement cède en pleine propriété à la société C.M Investissements (en cours d'immatriculation) qui accepte selon les modalités suivantes, la totalité en principal, intérêts, frais et accessoires de la créance restant à courir selon les modalités indiquées dans l'exposé préalable.»
10. Toutefois, la société T. IMMO soutient que la société CNMI ne lui a pas donné mandat de recherche et/ou de vente en ce qui concerne la résidence [18], de sorte qu'elle n'est débitrice d'aucune somme à ce titre au profit de la société CNMI ou de sa cessionnaire la société C.M Investissements.
Il apparaît en effet que l'intimée n'est pas en mesure de produire un contrat par lequel sa cédante aurait mandaté l'appelante aux fins «de recherche et/ou de vente» de l'immeuble dénommé Oyana ; que le seul mandat produit en ce sens à son dossier a été donné par la société Samfi Invest à deux professionnels, la société T. Immo d'une part et la société Capital et Patrimoine d'autre part, désignés dans un même mandat en date du 24 janvier 2020 aux fins d'acquisition d'un immeuble voisin de la résidence [18].
11. Au surplus et faute de production du mandat évoqué dans la cession de créance litigieuse, la société C.M Investissements n'explicite pas l'articulation des relations contractuelles qui, selon les termes de cette cession de créance, contraindraient le mandataire à régler une commission à son mandant pour le travail que ce mandataire effectuerait au profit de ce mandant.
12. La facture émise le 16 décembre 2020 par la société C.M Investissements pour un montant de 270.000 euros n'est donc pas causée, étant observé que la société CNMI n'est elle-même pas présente au procès.
13. Par ailleurs, la cession de créance examinée ci-dessus ne fait pas mention de l'opération Courtois-Lavaud, de sorte que l'intimée n'est pas fondée à réclamer le paiement de sommes à ce titre, étant observé que les relations contractuelles de la société T. IMMO étaient établies avec la société CNMI, qui n'est pas présente au procès, le fait que Monsieur [B] [J] soit le gérant de l'une et de l'autre société étant indifférent, sauf à méconnaître le principe de l'autonomie de la personne morale.
14. La cour infirmera donc le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société T. IMMO à payer à la société C.M Investissements les sommes de 120.000 euros et 10.170 euros au titre des factures de commissions émises par la société C.M Investissements et, par voie de conséquence, infirmera le jugement en ce qu'il a alloué à la société C.M Investissements une somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Sur la demande au titre du défaut de loyauté de la société T. Immo
15. L'intimée forme une demande nouvelle en appel en indemnisation du préjudice subi en raison du défaut de loyauté de la société T. Immo.
Elle expose que le contrat d'agence commerciale est un contrat de nature civile, dont l'existence n'est subordonnée à aucun écrit ; que ce contrat d'agence commerciale crée un mandat d'intérêt commun, à caractère permanent, entre le mandant et son mandataire, lequel suppose que ces derniers aient tous eux un intérêt à concourir ; que les articles L.134-3 et L.134-4 du code de commerce imposent une obligation de loyauté aux parties à un contrat d'agence commerciale ; que le manquement du mandant à son obligation de loyauté peut être caractérisé, lorsqu'il modifie, de manière unilatérale, les conditions d'exécution du contrat, en procédant à un changement des pratiques contractuelles, le cas échéant par voie de diminution des taux de commission de l'agent.
La société C.M Investissements indique que Monsieur [B] [J], son gérant, et Monsieur [F] [N], gérant de la société T. Immo, entretiennent des rapports professionnels et personnels depuis de longues années ; qu'il était convenu entre la société T. Immo et la société CNMI que la première reverserait 90 % des commissions qu'elle percevrait pour les dossiers apportés par la société CNMI ; que, en revenant sur cet accord, la société T. IMMO a manqué à son devoir de loyauté.
16. La société T. IMMO, qui tend au dispositif de ses dernières écritures au rejet de l'ensemble des demandes de l'intimée, n'a pas répondu au moyen et aux arguments de la société C.M Investissements à ce titre.
Sur ce,
17. Les pièces produites par la société C.M Investissements au soutien de sa demande concernent les relations nouées entre M. [J] et M. [N], sans que soit explicitée la qualité de gérant de la société intimée en ce qui concerne M. [J].
Par ailleurs, il résulte de l'examen des pièces produites par les parties que les relations d'affaire ont été établies entre la société CNMI, qui n'est pas présente au procès, et la société T. Immo ; que la société C.M Investissements, dont il a été jugé plus haut qu'elle n'est pas fondée à se prévaloir d'une créance sur la société T. Immo au titre des ventes Oyana et Courtois, ne rapporte pas la preuve de relations d'affaires avec l'appelante, étant au surplus relevé qu'elle n'établit pas qu'elle serait inscrite au registre spécial des agents commerciaux.
Enfin, s'il a été envisagé la conclusion d'un contrat en ce sens, il résulte des mentions du projet produit à cet égard par l'appelante que le contrat d'agence commerciale concernait la société T. Immo et M. [J] lui-même.
18. La demande de la société C.M Investissements, explicitement et exclusivement fondée sur la réparation du préjudice qui résulterait de la déloyauté du mandant de l'agent commercial, sera en conséquence rejetée.
19. Il y a lieu, enfin, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société T. Immo à indemniser les frais de procédure de la société C.M Investissements et à payer les dépens de première instance. Statuant à nouveau et y ajoutant, la cour condamnera la société C.M Investissements à payer les dépens de première instance et d'appel et à verser à la société T. Immo la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire en dernier ressort,
Infirme le jugement prononcé le 30 septembre 2021 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la société C.M Investissements de l'ensemble de ses demandes.
Condamne la société C.M Investissements à payer à la société T. Immo la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société C.M Investissements à payer les dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.