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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 10 septembre 2025, n° 23/05890

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mango France (SARL)

Défendeur :

Punto Fa (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubois-Stevant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Tardy, Me Sion, Me Mze, Me Lederman

T. com. Versailles, 3e ch., du 23 juin 2…

23 juin 2023

EXPOSE DES FAITS

La société [L] est spécialisée dans la création d'articles de prêt-à-porter haut de gamme depuis 2002.

La société de droit espagnol Punto Fa, société mère du groupe Mango, est spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation de vêtements et accessoires pour femme, homme et enfant.

La société Mango France exploite sur le territoire français des boutiques à l'enseigne Mango, comme c'était également le cas à l'époque des faits pour la société Mango Haussmann.

La société [L], reprochant aux sociétés du groupe Mango d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme en imitant un tissu imprimé ainsi que 4 modèles de sa gamme réalisés dans ce tissu, a par actes du 7 février 2022 et du 10 février 2022 assigné respectivement les sociétés Mango France et Mango Haussmann, puis la société Punto Fa, devant le tribunal de commerce de Versailles.

Par jugement du 23 juin 2023, le tribunal a débouté la société [L] de l'ensemble de ses prétentions au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme et l'a condamnée à payer la somme de 1.500 euros à chacune des défenderesses ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 4 août 2023, la société [L] a fait appel de chacun de ces chefs de jugement.

Par acte du 11 septembre 2023, les sociétés Mango France et Mango Haussmann ont fusionné ; cette dernière a été radiée le 4 octobre 2023 et n'est plus partie à l'instance.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 31 octobre 2023, la société [L] demande à la cour d'infirmer le jugement en chacune de ses dispositions, de condamner les sociétés Mango France et Punto Fa pour concurrence déloyale et pour parasitisme commis à son préjudice, de leur faire interdiction de poursuivre toute exploitation, fabrication ou commercialisation des vêtements litigieux et tout acte de concurrence déloyale et parasitaire, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte définitive de 10.000 euros par jour de retard et par infraction constatée, de les condamner à lui payer la somme de 145.000 euros en réparation du préjudice résultant du détournement de ses investissements, celle de 600.000 euros quitte à parfaire en réparation du préjudice résultant de l'avantage concurrentiel indu et celle de 100.000 euros en réparation du préjudice moral, d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans 5 journaux ou revues de son choix et aux frais des sociétés Mango France et Punto Fa, le coût global des publications ne pouvant excéder la somme de 50.000 euros, de les débouter de l'intégralité de leurs demandes et de les condamner à lui verser la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 29 janvier 2024, les sociétés Mango France et Punto Fa (ci-après « les sociétés Mango ») demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter la société [L] de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à leur payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 décembre 2024.

SUR CE,

Sur les agissements reprochés aux sociétés Mango

La société [L] reproche aux sociétés Mango l'imitation, au travers de modèles de vêtements, des éléments caractérisant ses propres modèles et de générer ce faisant une confusion dans l'esprit du consommateur.

Elle rapporte avoir créé, au mois de mars 2020, un imprimé « print tie and dye » sur lequel a été ajouté du lurex, permettant d'obtenir un motif qui a été décliné en deux coloris : gris clair et lilas.

Le motif a été utilisé pour réaliser deux robes (références « BARNEL » et « KALLAR »), une blouse (référence « KLEOK ») et une jupe (référence « DILIAN »). Ces modèles, qui reprennent les caractéristiques emblématiques de la marque [L] (robes courtes, drapés, asymétrie), ont fait l'objet d'un certificat d'horodatage du 24 septembre 2020.

La gamme a été présentée lors de la campagne publicitaire de la collection été 2021 (Instagram, presse, internet).

La société [L] dit avoir constaté fin novembre 2021 que les enseignes Mango et le site internet shop.mango.com proposaient à la vente trois articles composés d'un tissu extrêmement proche pour une gamme similaire de vêtements : une robe, une blouse et une jupe.

La société [L] reproche aux sociétés Mango la reprise des caractéristiques de ses produits alors qu'aucun imprimé similaire n'existait antérieurement au sien, lequel ne correspond pas à un banal phénomène général de mode.

Elle fait valoir que son motif présente des caractéristiques particulières (imprimé noir et gris clair ' et non noir et blanc ' présence de taches noires asymétriques, formes oblongues cousues avec du fil en lurex argenté dans un tissage central plus serré créant un rond, parties extérieures dans un tissage de lignes horizontales qui donne une impression très particulière) et que les différences mises en exergue par les intimées sont dérisoires comparées aux importantes ressemblances.

S'agissant de la déclinaison du motif sur le même type de vêtements, la société [L] fait valoir que les gammes de vêtements sont similaires (blouse, jupe et robe, la blouse et la jupe pouvant se porter ensemble ou séparément) et que les caractéristiques de ses modèles ont été reprises par les modèles Mango (finitions smockées sur le col et les manches, drapé sur l'avant des jupes, décolleté asymétrique, robe droite, courte comportant des manches longues et un col rond, avec des finitions en smock).

Les sociétés Mango répliquent que l'absence de caractère emblématique ou inédit des modèles revendiqués permet d'écarter tout risque de confusion.

Elles soutiennent que l'antériorité de commercialisation invoquée par la société [L] n'est pas pertinente en l'espèce sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme, la société [L] n'ayant fait que s'inscrire dans une tendance et ne pouvant dès lors leur reprocher de s'être à leur tour insérées dans cette tendance une saison plus tard. Elles soutiennent également que les vêtements qu'elles ont commercialisés se distinguent de ceux revendiqués par la société [L] dans la mesure où elles n'ont pas procédé à une copie de l'imprimé [L] mais simplement utilisé le même genre d'imprimé, qui n'est pas protégeable compte tenu de sa banalité depuis plusieurs années, en l'adaptant de manière différente.

Elles font valoir que l'imprimé de la société [L] représente des taches noires de formes irrégulières sur un fond clair, type de motif régulièrement utilisé pour des imprimés dans le secteur de la mode, qu'ont été ajoutées à cet imprimé des pastilles de lurex de forme arrondie ou rayées, bien connues des créateurs, qu'il résulte de ces antériorités que cet imprimé et ses caractéristiques sont banals. Elles observent que les imprimés diffèrent à plusieurs égards et disent qu'elles n'ont pas cherché à créer un risque de confusion avec l'imprimé utilisé par [L] mais qu'elles ont uniquement choisi de proposer un motif à taches noires irrégulières sur fond clair, avec des pastilles de lurex, comme cela existait déjà dans le fonds commun de la mode, sans en outre décliné ce motif en plusieurs coloris, contrairement à ce qu'a fait la société [L], dans une version « noir et lilas ».

Elles ajoutent que les modèles de vêtements constitutifs de la gamme « print tie and dye » sont également banals, que les manches asymétriques, bien que moins utilisées, demeurent très banales et s'inscrivent dans le fond commun de la mode, ayant même été combinées ces dernières années à des imprimés à taches noires et de formes irrégulières sur fond clair, qu'elles ont elles-mêmes utilisé un imprimé, distinct de celui de la société [L], pour confectionner des vêtements qui sont différents, leurs similitudes provenant du fait que l'on est en présence d'une robe, d'une jupe et d'un haut tout à fait banals.

Sur la concurrence déloyale

La société [L] soutient que les intimées ont commis des actes de concurrence déloyale en commercialisant des vêtements imitant son tissu imprimé et quatre modèles de sa gamme réalisés dans ce tissu.

A l'appui de ses prétentions, elle invoque de première part les fortes ressemblances entre les produits, qui vont au-delà d'une impression d'ensemble vaguement similaire, qui résulterait d'un emprunt aux tendances de la mode, et excluent que les vêtements Mango aient pu être réalisés autrement qu'à partir de ses vêtements [L] mais qui résultent au contraire d'une intention évidente de créer une confusion entre les produits, de deuxième part les dates de commercialisation des articles, les deux gammes de vêtements ayant été vendues au cours de deux saisons consécutives (été 2021 pour [L], hiver 2021-2022 pour Mango), permettant au client d'un produit [L] à plus de 500 euros acheté à l'été 2021 de retrouver un modèle extrêmement proche chez Mango à 49,99 euros à peine quelques semaines plus tard, et de troisième part les prix des articles et les réseaux de distribution, les articles Mango étant entre six et dix fois moins chers que les articles [L], ce qui porte atteinte à l'image de marque des produits [L], et les réseaux de distribution différents n'étant pas de nature à diminuer le risque de confusion.

Les sociétés Mango se défendent en faisant valoir le principe de la liberté du commerce selon lequel l'inspiration, voire la copie, d'un produit concurrent non protégé est parfaitement libre, quand bien même il en résulterait une économie au détriment d'un concurrent.

Elles soutiennent que les produits dépourvus de droits privatifs de propriété intellectuelle peuvent être librement reproduits et a fortiori imités, sous réserves d'actes déloyaux ou de parasitisme et que la société [L] ne démontre pas l'existence de faits distincts de la contrefaçon, que la pratique de prix inférieurs à ceux d'un concurrent n'est pas répréhensible en elle-même, permettant au contraire d'écarter le risque de confusion, lequel, résultant d'une même impression d'ensemble pour le consommateur, doit tenir compte de tous les critères tels le caractère distinctif, la notoriété, l'étiquetage, le prix, la clientèle.

Selon elles, l'absence de caractère inédit et même la banalité de l'imprimé et des vêtements revendiqués par la société [L], l'absence d'un réel succès en France de ces vêtements, qui ne présentaient aucun caractère emblématique, les différences significatives entre les imprimés et les vêtements en litige qui démontrent un travail personnel de mise au point effectué par les sociétés Mango, mais aussi l'absence de concomitance de la commercialisation des produits en litige excluent la concurrence déloyale.

Sur ce,

La liberté du commerce et la libre concurrence restant le principe, le simple fait de copier la prestation d'autrui ne constitue pas, en l'absence de droit de propriété intellectuelle, un acte de concurrence déloyale ; le fait de reproduire ou de s'inspirer des produits d'un concurrent devient déloyal, donc fautif, lorsque la reproduction ou l'imitation est de nature à engendrer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit.

La cour observe des ressemblances entre les vêtements [L] et les vêtements Mango, du fait notamment du motif de tissu (pièce 24 des sociétés Mango), dont l'examen visuel révèle indéniablement la proximité, ainsi que des caractéristiques communes aux deux gammes (finitions smockées, drapé, décolleté asymétrique), ressemblances que les seules différences relevées par les intimées (absence de liens, moindre fluidité, combinaisons distinctes, longueur de jupe) peinent à neutraliser.

Cela étant, la seule imitation ne suffit pas à démontrer le risque de confusion.

En l'espèce, l'absence de concomitance de commercialisation, en dépit du court laps de temps séparant les collections [L] et Mango, l'absence de caractère iconique des produits [L] en cause, qui n'ont été proposés qu'au cours de la saison été 2021 sans être particulièrement mis en exergue par rapport aux autres vêtements de la même collection, l'appartenance du motif de tissu à un fonds commun de la mode, comme cela découle des pièces 5, 6, 7 et 19 des sociétés Mango, l'utilisation déjà connue des pastilles de lurex, illustrée par les pièces 8 et 9 des sociétés Mango, l'insertion des vêtements en cause dans une tendance de mode, démontrée notamment au travers de ces mêmes pièces 8 et 9 des sociétés Mango, et la différence de marché existant entre les deux gammes de produits, haut de gamme pour les uns, de grande consommation pour les autres, constituent, ensemble, des éléments de nature à écarter tout risque de confusion sur leur origine.

Dès lors, les demandes fondées sur la concurrence déloyale de la société [L], qui se prévaut d'un risque de confusion qu'elle échoue à démontrer, doivent être écartées et le jugement confirmé sur ce point.

Sur le parasitisme

La société [L] invoque au soutien de sa demande de première part, l'atteinte portée à une valeur économique, les quatre modèles [L] ayant connu un fort succès commercial (CA global de 582.958 euros), résultat d'importants efforts de création et d'investissements importants, en termes de création et de promotion, de deuxième part la volonté des sociétés Mango d'usurper une notoriété et de se placer dans son sillage en tirant indûment profit, par leurs agissements, associés à leur comportement suiveur déjà sanctionné par le passé, tant de ses investissements pour la conception et la promotion de ses vêtements que de son succès auprès du public et de son image de marque haut de gamme, et de troisième part l'antériorité.

Les sociétés Mango soutiennent que l'appelante ne justifie pas d'une valeur économique individualisée attachée aux produits revendiqués et qu'elle ne prouve pas leur volonté de se mettre dans le sillage du produit, la copie n'étant répréhensible que si elle s'accompagne de déloyauté et notamment d'une recherche manifeste de confusion quant à l'origine des produits, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Sur ce,

Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Le parasitisme suppose la double preuve de l'existence d'une valeur économique individualisée et de l'intention parasitaire, à savoir la volonté de se placer dans le sillage d'autrui.

En l'espèce, les investissements dont se prévaut la société [L] ne peuvent être spécifiquement rattachés aux modèles de vêtements revendiqués, le budget marketing global pour 2021, d'un montant de 1.447.536 euros avancé au titre du préjudice subi, ne faisant pas état d'un budget spécifique à la gamme « print tie and dye ». Ce budget n'est en outre pas étayé par des pièces en justifiant.

Les seules publications publicitaires de la robe « KALLAR » dans divers magazines (pièce 19 de la société [L]) ne suffisent pas non plus à justifier de réels investissements promotionnels pour la gamme.

La société [L] affirme, mais ne démontre pas, que les modèles « print tie and dye » constituent les produits phares de sa collection été 2021. En effet ils n'apparaissent pas dans la revue de presse 2021-2022 de la société [L] (pièce 29 de la société [L]) et ne bénéficient, au sein du catalogue [L] printemps-été 2021 (pièce 30 de la société [L]), d'aucune mise en avant particulière par rapport aux autres pièces de la collection.

L'attestation du directeur général de la société [L] (pièce 32 de la société [L]) portant sur les chiffres de vente des quatre modèles revendiqués ne permet pas d'identifier les seules ventes réalisées avec l'imprimé noir et gris en cause, alors que la gamme comprend un autre colori, et ne suffit pas à convaincre qu'ils aient rencontré un succès commercial particulier. N'ayant pas été reconduits au-delà de la saison printemps-été 2021, ils ne présentent pas de caractère emblématique au sein des collections [L].

Ainsi la société [L] n'établit pas la valeur économique individualisée associée aux modèles revendiqués de sorte qu'aucun acte de parasitisme ne saurait être caractérisé les concernant.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les demandes de la société [L] fondées sur le parasitisme.

Sur les demandes accessoires

Partie perdante, la société [L] sera condamnée aux dépens de première instance, le jugement étant confirmé sur ce point, et aux dépens d'appel. Elle ne peut dès lors prétendre à une indemnité procédurale.

Le jugement sera également confirmé du chef des frais irrépétibles, la cour ajoutant une condamnation de la société [L] au paiement d'une somme de 5.000 euros aux sociétés Mango au titre des frais irrépétibles qu'elles ont exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société [L] à payer aux sociétés Mango France et Punto Fa, ensemble, la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;

Déboute la société [L] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [L] aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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