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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 septembre 2025, n° 24/00009

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Antares (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Leboucq Bernard, Me Courade, Me Kerveillant, HUVELIN & Associés

T. com. Lyon, du 19 oct. 2023, n° 2022J9…

19 octobre 2023

FAITS ET PROCÉDURE

Courant 2018, la SAS Cabinet [W] [G], cabinet d'expertise comptable, a sous-traité à la SARL Antares, qui exerce une activité principale de gestion sociale et de paies, l'exécution d'une part des prestations de certains de ses clients, dont l'édition de bulletins de paie et de déclarations sociales nominatives (ci-après, « les DSN ») mensuelles et évènementielles.

Par acte du 28 septembre 2018, la SAS Cabinet [W] [G] a chargé la SARL Antares, qui explique avoir embauché un salarié de cette dernière et ouvert un nouvel établissement pour les besoins de son exécution, d'assurer la gestion sociale de ses clients.

Par courrier du 15 janvier 2020, la SARL Antares, qui venait d'apprendre par un client dont la gestion lui avait été retirée que la SAS Cabinet [W] [G] avait le projet de créer un pôle social, l'interrogeait sur ses intentions. La SAS Cabinet [W] [G] lui confirmait le 16 janvier 2020 qu'elle entendait nouer un nouveau partenariat avec un confrère, la société ORECC, mais qu'elle continuerait à lui confier les dossiers qui n'étaient l'objet d' » aucune problématique ». Le 3 février 2020, la SARL Antares prenait acte de cette décision mais sollicitait, pour disposer de la visibilité nécessaire à l'exercice de son activité, la remontée systématique de tout mécontentement, la garantie de conserver le dossier concerné sur l'exercice social en cours et une information sur les départs trois mois à l'avance. La relation se poursuivait ainsi sans heurt jusqu'à l'été 2021.

Le 15 juillet 2021, la SAS Cabinet [W] [G] informait la SARL Antares qu'elle adoptait la dénomination « Cabinet [W] [G] ORECC » et que son nouveau partenariat était scellé.

Dénonçant le retrait de nombreux clients à compter du mois de septembre 2021 et leur réorientation, avec les nouveaux dossiers, vers la SAS Cabinet [W] [G] ORECC, la SARL Antares a, par courrier de son conseil du 8 avril 2022, proposé à la SAS Cabinet [W] [G] de maintenir la relation aux conditions antérieures à l'été 2021 jusqu'au 31 mars 2023 ou de rompre la relation en lui octroyant un préavis de neuf mois. Cette alternative était rejetée le 31 mai 2022.

C'est dans ces circonstances que la SARL Antares a, par acte d'huissier signifié le 29 juin 2022, assigné la SAS Cabinet [W] [G] et la SAS Cabinet [W] [G] ORECC devant le tribunal de commerce de Lyon en indemnisation des préjudices causés par leurs fautes contractuelles et délictuelles et, subsidiairement, par la rupture brutale partielle des relations commerciales établies.

Par courrier du 10 janvier 2023, la SAS Cabinet [W] [G] ORECC notifiait à la SARL Antares la résiliation de la convention du 28 septembre 2018 en lui octroyant un préavis de six mois.

Par jugement du 19 octobre 2023, le tribunal de commerce de Lyon a statué en ces termes :

DECLARE l'action de la société ANTARES recevable ;

DÉBOUTE la société ANTARES de l'ensemble de ses demandes ;

RAPPELLE que le jugement est exécutoire à titre provisoire ;

CONDAMNE la société ANTARES à payer à la société CABINET [W] [G] et à la société [W] [G] - ORECC la somme de 1 500 euros chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société ANTARES aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 8 décembre 2023, la SARL Antares a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 25 juillet 2024, la SARL Antares demande à la Cour, au visa des articles 1103, 1211, 1217 et suivants et 1240 du code civil et L 442-1 II du code de commerce, de :

- juger bien fondé l'appel interjeté à l'encontre du jugement rendu le 19 octobre 2023 par le tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a :

o débouté la SARL Antares de l'ensemble de ses demandes ;

o rappelé que le jugement était exécutoire à titre provisoire ;

o condamné la SARL Antares à payer à la SAS Cabinet [W] [G] et à la SAS Cabinet [W] [G] ORECC la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

o condamné la SARL Antares aux entiers dépens ;

- le réformer de ces chefs et, statuant à nouveau, à titre principal, de juger que la SAS Cabinet [W] [G] engage sa responsabilité civile contractuelle à l'égard de la SARL Antares pour ne pas avoir respecté son engagement d'externaliser à son profit la totalité des missions sociales de ses clients, que la SAS Cabinet [W] [G] ORECC engage sa responsabilité civile délictuelle à l'égard de la SARL Antares pour avoir participé à la violation par la SAS Cabinet [W] [G] de son engagement d'externaliser au profit de la SARL Antares la totalité des missions sociales de ses clients, et que la résiliation du contrat prononcée le 10 janvier 2023 par la SAS Cabinet [W] [G] ORECC est intervenue aux torts exclusifs de la SAS Cabinet [W] [G] et de la SAS Cabinet [W] [G] ORECC ;

- 1) au titre des inexécutions intervenues pendant la période contractuelle, condamner in solidum les sociétés Cabinet [W] [G] et [W] [G] ORECC à payer à la SARL Antares :

o la somme de 102 723,86 euros correspondant au chiffre d'affaires manqué par la SARL Antares du fait du traitement des dossiers sociaux en direct par la SAS Cabinet [W] [G] sans recours aux services de la SARL Antares en violation de ses obligations contractuelles par la SAS Cabinet [W] [G] avec la complicité de la SAS Cabinet [W] [G] ORECC ;

o la somme de 25 254,45 euros correspondant au chiffre d'affaires manqué par la SARL Antares du fait du traitement des dossiers sociaux en direct par la SAS Cabinet [W] [G] après retrait à la SARL Antares en violation de ses obligations contractuelles par la SAS Cabinet [W] [G] avec la complicité de la SAS Cabinet [W] [G] ORECC ;

o subsidiairement et avant dire droit, uniquement sur la détermination du préjudice, designer tel expert qu'il plaira, spécialisé en comptabilité avec une compétence spécifique en matière de paies, avec pour mission :

de convoquer les parties en tout lieu utile, de recueillir et de consigner les explications des parties, de prendre connaissance des documents de la cause, de se faire remettre par les parties ou par des tiers tous autres documents utiles, d'entendre tous sachants, de recueillir tous renseignements utiles, de faire appel à tout autre technicien d'une spécialité ou se faire assister pour l'accomplissement de sa mission par toute personne de son choix, de communiquer aux parties et au juge chargé du suivi de l'expertise une note de synthèse après chaque réunion d'expertise ;

de recenser la totalité des prestations sociales visées au contrat du 28 septembre 2018 réalisées postérieurement à cette date par la SAS Cabinet [W] [G] soit directement, soit par recours à un prestataire autre que la SARL Antares, notamment la SAS Cabinet [W] [G] ORECC ;

sur la base des tarifs visés au sein du contrats du 28 septembre 2018, de déterminer le chiffre d'affaires qu'aurait la SARL Antares si ces prestations lui avaient été confiées ;

de faire toutes observations utiles à la manifestation de la vérité ;

d'établir un pré rapport et le cas échéant, compléter ses investigations ;

de s'expliquer techniquement dans le cadre des chefs de mission ci-dessus énoncés sur les dires et observations des parties qu'il aura recueillies ;

- 2) au titre de la rupture du contrat intervenue aux torts exclusifs des sociétés Cabinet [W] [G] et [W] [G] ORECC, condamner in solidum ces dernières à payer à la SARL Antares la somme de 49 025,52 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manque à gagner de la SARL Antares postérieur à la rupture aux torts exclusifs de la SAS Cabinet [W] [G], correspondant à la durée de préavis raisonnable de 9 mois que la SAS Cabinet [W] [G] aurait dû respecter dans des conditions normales d'exécution du contrat ;

- à titre subsidiaire, juger que la SAS Cabinet [W] [G] a rompu brutalement et partiellement les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec la SARL Antares, de fixer la date de la rupture au 1er septembre 2021, de constater que cette rupture n'a été accompagnée d'aucun préavis de rupture, de juger que compte tenu des caractéristiques de la relation qu'elle entretenait avec la SARL Antares la SAS Cabinet [W] [G] aurait dû respecter un préavis d'une durée de 9 mois ;

- en conséquence, condamner la SAS Cabinet [W] [G] à verser à la SARL Antares la somme de 28 296 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de marge brute qui aurait été réalisée en sus sur ces 9 mois de préavis ;

- en tout état de cause :

o condamner in solidum les sociétés Cabinet [W] [G] et [W] [G] ORECC à payer à la SARL Antares la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile couvrant les procédures de première instance et d'appel ;

o condamner in solidum les sociétés Cabinet [W] [G] et [W] [G] ORECC aux dépens de première instance et d'appel ;

o rejeter toute prétention contraire.

En réponse, dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 29 mai 2024, les sociétés Cabinet [W] [G] et [W] [G] ORECC demandent à la Cour de :

- déclarer mal fondé l'appel de la SARL Antares à l'encontre du jugement rendu le 19 octobre 2023 par le tribunal de commerce de Lyon et de confirmer celui-ci en toutes ses dispositions, en ce qu'il a :

o déclaré l'action de la SARL Antares recevable ;

o débouté la société ANTARES de l'ensemble de ses demandes ;

o rappelé que le jugement était exécutoire à titre provisoire ;

o condamné la SARL Antares à payer à aux sociétés Cabinet [W] [G] et [W] [G] ORECC la somme de 1 500 euros chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

o condamné la SARL Antares aux entiers dépens ;

- débouter la SARL Antares de toutes ses demandes ;

- condamner la SARL Antares à payer la somme de 18 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SARL Antares aux dépens d'appel.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2025. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

A titre liminaire, la Cour constate que les intimées ont abandonné au sens de l'article 954 du code de procédure civile leur fin de non-recevoir tirée de la violation du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle et de non-option entre ces deux régimes. Ce moyen n'est ainsi pas en débat.

1°) Sur l'exécution et la résiliation du contrat

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SARL Antares expose que, quoique non signé, le document du 28 septembre 2018 stipule des engagements réciproques qui ont été exécutés pendant plusieurs années et en déduit qu'il constitue un contrat à durée indéterminée qui prévoit l'externalisation de la gestion sociale de la totalité du portefeuille clients de la SAS Cabinet [W] [G] qui l'a d'ailleurs annoncée à l'ensemble de ses clients le 8 novembre 2018. Elle ajoute que le transfert a été progressif mais a été complet jusqu'aux retraits opérés au bénéfice de la SAS Cabinet [W] [G] ORECC et que la mention d'un chiffre d'affaires dans l'acte n'était qu'une projection sans conséquence sur l'ampleur du portefeuille confié en gestion. Elle précise qu'elle n'aurait pas engagé de lourds investissements (embauche d'un salarié, ouverture d'un nouvel établissement) si elle n'avait pas eu la garantie que sa mission portait sur la totalité des clients de la SAS Cabinet [W] [G]. Elle explique que la SAS Cabinet [W] [G] a violé ses obligations contractuelles en lui retirant des dossiers en 2020, en cessant de lui communiquer de nouveaux dossiers à compter de septembre 2021 tout en mettant un terme à sa mission pour de nombreux dossiers en cours et en résiliant le contrat, la SAS Cabinet [W] [G] ORECC engageant sa responsabilité délictuelle en qualité de complice de ces manquements. Elle estime subir un préjudice consistant en :

- durant la période contractuelle, la perte de son chiffre d'affaires évaluée à 127 978,31 euros. A défaut, elle sollicite l'organisation d'une mesure d'expertise pour établir le volume d'affaires dont elle a été privée ;

- au titre de la résiliation fautive du contrat, le montant du chiffre d'affaires qu'elle aurait dégagé durant un préavis raisonnable de 9 mois au sens de l'article 1211 du code civil sur la base du chiffre d'affaires de l'exercice clos le 31 août 2021, déduction faite du chiffre d'affaires réalisé durant les 6 mois de préavis exécutés (49 025,52 euros).

En réponse, la SAS Cabinet [W] [G] et la SAS Cabinet [W] [G] ORECC exposent que le contrat n'était pas rompu au jour de l'assignation et que le chiffre d'affaires qu'il stipulait était respecté, hors prestations exceptionnelles par ailleurs confiées à la SARL Antares. Elle ajoute que le portefeuille sous-traité était celui, amputé des dossiers qu'elle conservait, existant au jour de l'acte du 28 septembre 2018. Contestant toute exclusivité accordée à la SARL Antares, elle précise que « la mention "pour l'ensemble

du portefeuille client" se réfère à une valorisation unitaire à titre de proposition qui serait appliquée au portefeuille client transféré par la société CABINET [W] [G] à la société ANTARES, sans pour autant que ce portefeuille clients représente l'intégralité [de ses] clients ».

Réponse de la cour

La SARL Antares invoquant un contrat conclu le 28 septembre 2018, les dispositions applicables au litige sont celles issues de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 conformément à son article 9.

a) Sur l'exécution des contrats

En application des articles 1101, 1109, 1113 et 1128 (anciennement 1101 et 1108) du code civil, le contrat, qui est consensuel quand il se forme par le seul échange des consentements par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager, est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. Sont nécessaires à la validité d'un contrat, le consentement des parties, leur capacité de contracter et un contenu licite et certain.

Si la SAS Cabinet [W] [G] conteste d'abord avoir reçu une « convention » en septembre 2018 et évoque le contrat opposé par la SARL Antares sous l'appellation « document » (pages 2 de ses écritures), elle reconnaît ensuite que la « Proposition d'externalisation mission sociale » du 18 septembre 2018 signée par les deux parties constitue le contrat qui a encadré leurs relations. De fait, cet acte, dont elle invoque les stipulations pour contester les demandes adverses, est celui qui est l'objet de son courrier de résiliation du 10 janvier 2023. Aussi, il est certain que la proposition du 18 septembre 2018 acceptée par les deux parties et exécutée pendant quatre ans et demi est une convention qui les oblige.

Conformément aux articles 1103, 1104 et 1194 du code civil (anciennement 1134), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1231-1 à 4 (anciennement 1147, 1149 et 1150) du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprenant quoi qu'il en soit que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.

En outre, en vertu de l'article 1211 du code civil, lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable. Le préjudice subi résultant de la violation de cette disposition consiste en la perte de la marge brute que la victime de la rupture du contrat aurait pu réaliser pendant la durée du préavis non respecté (en ce sens, Com., 6 décembre 2023, n° 21-25.369 et 22-13.594).

Par ailleurs, aux termes de l'article 1200 du code civil, les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat. Ils peuvent s'en prévaloir notamment pour apporter la preuve d'un fait. Et, conformément à l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En vertu de ces dispositions combinées, le tiers à un contrat à qui le manquement d'un contractant à une de ses obligations contractuelles, qui est de nature à constituer en soi un fait illicite à son égard, cause un préjudice direct et personnel peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, en obtenir l'indemnisation sans avoir à prouver une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement (en ce sens, Ass. Plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963).

- Sur la portée des obligations des parties

Au sens des dispositions des articles 1188 et suivants (anciennement 1156 et suivants) du code civil, qui constituent non des normes juridiques s'imposant à elle, mais un guide d'interprétation des conventions à l'usage des parties et du juge, la cour interprète les stipulations manquant de clarté en recherchant la commune intention des parties contractantes sans s'arrêter au sens littéral des termes et en donnant à celles-ci le sens qui leur permet de produire un effet plutôt que celui qui les annihile en considération de la matière et de l'économie générale du contrat dont les clauses sont interdépendantes. L'intention des parties au jour de la conclusion peut être éclairée par leur comportement contemporain de la formation du contrat et adopté durant son exécution.

Aux termes du contrat à durée indéterminée du 28 septembre 2018 intitulé « Proposition d'externalisation mission sociale », la SAS Cabinet [W] [G], qui « souhait[ait] externaliser la mission sociale et recherch[ait] un prestataire dans la gestion des paies et documents associés », a confié en sous-traitance à la SARL Antares une mission composée de travaux ponctuels (création et paramétrage du dossier informatique) et récurrents (réception, saisie et intégration des éléments variables, contrôle et édition des bulletins de paie à faire valider par le client, documents liés au solde de tout compte, DSN mensuelle, préparation des déclarations des cotisations, éditions de journaux de paie, récapitulatifs et états de charges sociales destinés aux écritures comptables, attestations à destination des salariés et DUE). La rémunération de la SARL Antares est fixée dans un tableau listant ses différentes prestations et fixant leur tarif selon une « valorisation ['] établie pour l'ensemble du portefeuille client » pour un total de 7 244 euros (pièce 1 de l'intimée).

Le périmètre de la mission confiée à la SARL Antares, hors détail et chiffrage de ses prestations, est lapidairement évoqué dans la partie « contexte » de la proposition qu'elle a rédigée pour évoquer les circonstances dans lesquelles les parties se sont rapprochées. Au regard de son imprécision et de sa place dans l'acte ainsi que de son importance dans la fixation des obligations des parties, la formule employée, qui ne figure pas dans la section « demande » à laquelle renvoie exclusivement la définition de l'objet de la prestation (« type de prestation : la prestation envisagée est de type "sous-traitance externe" relatif à la mission définie au chapitre "la demande" »), est insuffisante pour caractériser un engagement certain de la SAS Cabinet [W] [G] sur un volume déterminé. Aussi, le champs matériel qu'elle définit n'est pas impératif, sa seule fonction étant de permettre le chiffrage de la rémunération de la SARL Antares en considération du nombre de dossiers constituant le portefeuille clients de la SAS Cabinet [W] [G] au jour de l'acte. Son montant est d'ailleurs logiquement déterminée à titre de « simulation », caractère prospectif n'excluant pas une modification, à la hausse comme à la baisse, du volume sous-traité. Dès lors, la SAS Cabinet [W] [G] était libre de ne pas lui confier le traitement de certains dossiers.

La flexibilité du périmètre contractuel est confirmée par le comportement des parties contemporain de la formation du contrat et de ce fait propre à en éclairer la portée. En effet, si la SAS Cabinet [W] [G] a adressé le 8 novembre 2018 un courriel circulaire aux clients concernés pour leur indiquer l'identité de leur nouvel interlocuteur en matière sociale (pièce 21 de l'appelante), la SARL Antares n'avait antérieurement pas émis, lors de la communication à cette dernière de la répartition des dossiers à ses différents salariés le 23 octobre 2018, la moindre réserve relative à la conservation du traitement de sept clients par une salariée de la SAS Cabinet [W] [G] (pièce 8 de l'intimée). Or, rien dans ce courriel ne révèle l'existence d'une organisation qui serait dérogatoire et transitoire. Le fait que six d'entre eux aient finalement été traités par la SARL Antares (ses pièces 25a à 25f) ne contredit pas cette analyse mais conforte au contraire l'idée d'une possibilité pour les parties de faire librement évoluer en volume le périmètre contractuel en considération des réactions des clients et de la qualité des prestations servies par la SARL Antares. D'ailleurs, dans son courriel du 3 février 2020, la SARL Antares, informée du projet de la SAS Cabinet [W] [G] de nouer un nouveau partenariat en matière sociale, n'a pas contesté le principe de son droit de lui retirer des dossiers mais l'a invitée à définir ses modalités d'exercice en lui proposant un « modus vivendi » lui offrant une « certaine visibilité » consistant à l'alerter de tout mécontentement, à lui garantir le maintien des dossiers pour l'exercice social en cours et à la prévenir trois mois à l'avance des départs (ses pièces 9 à 11).

En outre, à défaut de toute exclusivité explicitement stipulée ou découlant implicitement de la nature des engagements réciproques ou de la convention elle-même, la SAS Cabinet [W] [G] n'a pas renoncé à traiter personnellement ses nouveaux clients. Et, rien ne démontre que la SARL Antares, qui a rédigé le contrat et fixé elle-même le montant de sa rémunération sans envisager explicitement la moindre perspective d'évolution, ait donné son consentement à raison de sa croyance en l'existence d'une exclusivité que les parties n'ont jamais évoqué avant la naissance du litige.

Ne résultant pas du contrat, celle-ci n'est pas prouvée par les éléments extrinsèques évoqués par la SARL Antares qui résident dans l'embauche de la salariée assurant la gestion sociale au sein de la SAS Cabinet [W] [G], qui induit seulement une volonté d'introduire chez le sous-traitant une personne connaissant les clients et apte à favoriser la continuité du traitement de leurs dossiers, et dans l'ouverture d'un nouvel établissement par la SARL Antares, qui était rendue nécessaire par l'augmentation de son activité en septembre 2018 (pièces 5 et 6 de l'appelante).

Aussi, la SAS Cabinet [W] [G], qui n'était pas tenue de sous-traiter l'intégralité de son portefeuille clients au jour de l'acte, était libre de confier à des tiers ou de conserver personnellement la gestion de tous les dossiers de clients acquis postérieurement à la date du contrat.

- Sur l'exécution des obligations des parties

La cessation partielle puis totale de la transmission de nouveaux dossiers par la SAS Cabinet [W] [G] ne caractérisant pas par nature une violation du contrat, demeure la question du retrait des dossiers en cours. A cet égard, en l'absence de toute exclusivité et de tout engagement de volume consentis par la SAS Cabinet [W] [G], la seule cessation de la sous-traitance de certains dossiers n'est en soit pas fautive : à défaut de violation d'une stipulation du contrat, la faute de la SAS Cabinet [W] [G] ne peut consister qu'en un manquement à son obligation générale de bonne foi ou de loyauté qui n'est pas spécialement invoqué mais qui constitue un cadre pertinent d'examen des griefs allégués pris, non isolément, mais ensemble.

La SARL Antares reconnaît dans ses écritures au sens des articles 1383 et 1383-2 du code civil que la SAS Cabinet [W] [G] n'a commis aucune faute avant le début de l'année 2020 (page 23 de ses écritures). Elle admet ainsi que le transfert envisagé par le contrat a été, même selon ses exigences, correctement exécuté. Elle ne conteste en outre pas que la relation s'est poursuivie sans heurt jusqu'en septembre 2021 (pages 7, 8 et 24 de ses écritures), la période antérieure à l'été 2021 constituant d'ailleurs la norme de référence qu'elle retenait le 8 avril 2022 puis dans ses écritures pour déterminer le chiffre d'affaires attendu et fixer les conditions normales d'exécution du contrat (sa pièce 16). Les seuls manquements méritant un examen résident ainsi dans « le retrait massif de dossiers ».

Pour établir celui-ci, la SARL Antares produit un tableau listant 10 dossiers, dont 8 relevant des 87 qui lui ont été confiés lors de la signature du contrat (sa pièce 19a). Outre le fait que deux d'entre eux (MG Courtage et [W] [G] ORECC) lui ont été retirés en mars et août 2021, soit durant la période de bonne exécution du contrat reconnue par la SARL Antares, celle-ci précise que la décision de la SAS Cabinet [W] [G] était motivée par la volonté des clients pour deux dossiers (MG Courtage et Make).

Par ailleurs, les données comptables produites par les parties (pièce 2 de l'intimée dont la SARL Antares reconnaît la pertinence page 24 de ses écritures et pièces 15, 22 et 24 de cette dernière) révèlent que, indépendamment des missions hors contrat qui ne sont pas pertinentes pour apprécier les conditions de son exécution, le chiffre d'affaires moyen dégagé à l'occasion de celle-ci était de 8 381,22 euros en 2019, 7 580,85 euros en 2020, 7 316,01 euros en 2021 et de 5 181,46 euros de janvier à mai 2022. Sur une tranche annuelle débutée en septembre, il atteignait 8 677,82 euros pour l'année 2018/2019, 7 715,78 euros pour l'année 2019/2020 (- 11,09 %), 7 561,99 euros pour l'année 2020/2021 (- 1,99 %), ces trois années constituant la norme de référence pour apprécier les conditions d'exécution du contrat de l'aveu de la SARL Antares. Sur la période de septembre 2021 à août 2022, il s'élevait à 5 415,45 euros, soit une baisse de près de 19 %.

Ainsi, quoiqu'importante et nettement plus marquée à compter de décembre 2021 qu'au cours des exercices précédents, la réduction en volume de la relation, qui n'a pas été critiquée avant le 8 avril 2022 alors que la mission de la SARL Antares avait pris fin à cette date pour 8 dossiers litigieux, ne révèle à elle seule, ses conditions formelles de mise en 'uvre n'étant pas opposées, aucune mauvaise foi imputable à la SAS Cabinet [W] [G] dont serait par ailleurs complice la SAS Cabinet [W] [G] ORECC.

En conséquence, en l'absence de violation d'une stipulation contractuelle ou de mauvaise foi prouvée, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté, outre la demande d'expertise qui est inutile au regard des éléments produits qui sont suffisants pour éclairer pleinement la Cour, les demandes indemnitaires au titre de l'exécution défectueuse du contrat présentées par la SARL Antares à l'encontre de la SAS Cabinet [W] [G] et de la SAS Cabinet [W] [G] ORECC, la SARL Antares n'invoquant pas de faute délictuelle distincte de celle constituée par les manquements contractuels qu'elle allègue vainement.

- Sur la résiliation du contrat

En l'absence de toute stipulation encadrant la rupture, la résiliation du contrat conclu à durée indéterminée était libre sauf abus consistant notamment dans le non-respect d'un délai raisonnable au sens de l'article 1211 du code civil.

Par courrier du 10 janvier 2023, la SAS Cabinet [W] [G] a notifié à la SARL Antares la résiliation du contrat les liant en lui accordant un préavis de 6 mois (pièce 23 de l'appelante). Au jour de l'annonce de la rupture, la relation contractuelle avait duré 4 ans et 3 mois.

Les parties ne livrent aucun élément concret sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs économiques ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SARL Antares qui ne jouissait d'aucune exclusivité prouvée et qui ne démontre pas qu'elle n'était matériellement pas en mesure de mieux diversifier sa clientèle. En outre, hors accroissement de son personnel et agrandissement de ses locaux (ses pièces 5 et 6), l'exécution du contrat n'a impliqué le développement et la mise en 'uvre d'aucun savoir-faire spécifique distinct de celui dont disposait la SARL Antares lors de sa conclusion. Aussi, rien n'établit les difficultés alléguées pour trouver un partenaire équivalent.

Dès lors, au regard de la durée d'exécution du contrat, des investissements humains et matériels engagés par la SARL Antares pour satisfaire ses engagements ainsi que de l'importance du chiffre d'affaires dégagé en exécution du contrat dans son chiffre d'affaires global (ses pièces 20 et 22 : 89 321,13 euros de septembre 2020 à août 2021 pour un chiffre d'affaires total de 464 934 euros, soit près de 20 %), le préavis accordé était raisonnable. Et, il a été exécuté conformément aux conditions antérieures, la réduction constatée avant la notification, qui s'inscrit dans la continuité de la baisse débutée en 2020, n'étant pas, sur le plan contractuel, fautive.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de la SARL Antares au titre de la résiliation du contrat.

2°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SARL Antares expose que la relation commerciale a débuté en août 2018 et qu'elle a été globalement stable jusqu'à l'été 2021 avec un chiffre d'affaires moyen supérieur à 8 000 euros. Elle estime que la réduction sans préavis ni alerte de 45 % de son chiffre d'affaires à entre septembre 2021 et janvier 2022 caractérise à cette dernière date une rupture partielle brutale des relations commerciales établies qui n'est pas justifiée par sa faute ou par des contraintes économiques. Observant que le flux d'affaires caractérisant la relation représentait près de 30 % de son chiffre d'affaires total, preuve de sa situation de dépendance économique, elle estime le préavis éludé à 9 mois (soit une perte de marge brute de 71 918 euros avec un taux de marge de 98 %).

En réponse, la SAS Cabinet [W] [G] et la SAS Cabinet [W] [G] ORECC expliquent que le flux d'affaires entre les parties a varié et que la baisse relative de la fin de l'année 2021 ne caractérise pas une rupture partielle, cette réduction, mesurée et progressive puisqu'elle a été initiée dès la deuxième année d'exécution du contrat, trouvant sa cause dans la mauvaise qualité des prestations de la SARL Antares et dans l'érosion naturelle de sa clientèle. Elle conteste par ailleurs, outre l'état de dépendance économique allégué, les données comptables livrées par cette dernière ainsi que le principe et la mesure des préjudices allégués qui ne sont pas étayés par des documents probants et qui reposent sur sa marge brute sans déduction des coûts variables évités. Au visa de l'article 146 du code de procédure civile, elle conclut au rejet de la demande d'expertise, mesure qui n'est pas destinée à pallier la carence des parties dans l'administration de la preuve. Subsidiairement, elle estime que le préavis suffisant était de trois mois ainsi que l'avait envisagé la SARL Antares elle-même et souligne la pertinence du préavis accordé.

Réponse de la cour

En application de l'article L 442-1 II du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 applicable au jour de la notification de la rupture, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Le principe de non-option entre responsabilités contractuelle et délictuelle découlant des dispositions combinées des articles 1103, 1231 et suivants et 1240 (anciennement 1134, 1147 et 1382), qui implique également leur non-cumul, interdit au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle. Cependant, il n'exclut pas, à la condition que les préjudices invoqués soient distincts et individualisés et que les demandes indemnitaires soient divisées (en ce sens, Com. 4 déc. 2019, n° 17-20.032), la présentation d'une demande distincte fondée sur l'article L 442-1 du code de commerce qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie (en ce sens, Com., 24 octobre 2018, n° 17-25.672).

- Sur les caractéristiques des relations commerciales

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale » et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations).

La SARL Antares ne critique pas le préavis accordé lors de la notification de la rupture totale des relations commerciales le 10 janvier 2023 mais invoque une rupture brutale partielle qu'elle ancre dans la période de septembre 2021 à janvier 2022 dans le corps de ses écritures mais qu'elle fixe en septembre 2021 dans leur dispositif. A cette date, l'ancienneté des relations commerciales nouées entre la SAS Cabinet [W] [G] et la SARL Antares, dont le caractère établi est constant, était de 3 ans, la SARL Antares soulignant sans être contredite que les relations ont débuté, avant la signature du contrat, en août 2018.

Si les prestations hors contrat n'étaient pas à considérer dans le cadre de l'examen de ses conditions d'exécution, elles doivent être prises en compte pour quantifier la relation commerciale qui s'est constituée indépendamment du contrat du 28 septembre 2018 et qui est d'appréhension économique. Les critiques des intimées sur l'absence de ventilation entre missions contractuelles et exceptionnelles dans le grand livre clients de la SARL Antares (sa pièce 15), pertinentes au titre des demandes précédentes, sont ici inopérantes, et ce d'autant que ses données se recoupent avec celles qu'elles insèrent dans leur pièce 2, qui n'est pas plus certifiée par un expert-comptable que les documents produits par la SARL Antares. Il ressort de celui-ci que, déduction faite des avoirs consentis et réintégration des factures opérée selon leurs dates d'émission (conformément à sa pièce 24), le chiffre d'affaires dégagé à l'occasion de la relation était de :

- 110 217,90 euros d'août 2018 à août 2019 (en ajoutant la facture 1531 « paie 08-2019 » comptabilisée en septembre 2019 à cet exercice auquel elle se rapporte) ;

- 92 589,36 euros de septembre 2019 à août 2020 (en ajoutant la facture 2088 « paie 08-2020 » comptabilisée le 4 septembre 2020) ;

- 90 743,61 euros de septembre 2020 à août 2021.

Le chiffre d'affaires mensuel pertinent était de 8 478,30 euros en 2018/2019, de 7 715,78 euros en 2019/2020 et de 7 561,97 euros en 2020/2021, soit une moyenne de 7 918,68 euros, la baisse constatée entre 2018 et 2021 étant de 10,81 %.

Au regard du solde intermédiaire de gestion produit (pièce 20 de l'appelante), le chiffre d'affaires généré par la relation en 2020/2021 représentait 19,52 % de son chiffre d'affaires total.

- Sur la réalité et l'imputabilité de la rupture partielle des relations et la détermination du préavis suffisant

L'article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).

Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.

Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Il ressort des pièces déjà examinées (pièce 2 des intimées et 15, 22 et 24 de l'appelante) que les chiffres d'affaires dégagés entre septembre et novembre 2021 inclus sont équivalents à ceux générés sur la même période l'année précédente. En revanche, à compter de décembre 2021, ils sont en nette diminution par rapport à ceux de l'exercice antérieur, pour les périodes de paie correspondantes : - 25 % en décembre 2021, - 48 % en janvier 2022, - 27 % en février 2022 et - 19 % en mars 2022, les mois suivants connaissant une baisse voisine qui est très supérieure aux variations antérieures. Cette modification est substantielle à raison de son taux qui marque une cassure soudaine, visible sur le graphique fourni par les intimées (leur pièce 2), par rapport à l'érosion constatée en période longue de 2018 à 2021 (10,81 %) :

Elle est d'autant plus significative qu'elle initie une chute durable du chiffre d'affaires. Ainsi, malgré trois premiers mois non affectés, l'exercice 2021/2022 présente un chiffre d'affaires de 66 893,43 euros, soit 26,28 % de moins que l'exercice précédent.

Cette modification substantielle du flux d'affaires caractérise, faute de correspondre aux fluctuations et aux réductions antérieures et d'avoir été annoncée et précédée d'une notification écrite, une rupture partielle brutale de la relation commerciale non en septembre 2021 mais en décembre 2021.

Les intimées expliquent celle-ci par le mécontentement de certains clients et par « l'érosion naturelle » de sa clientèle. Mais, les courriels produits révèlent que les récriminations de ces derniers étaient ponctuelles et, étalées sur la période d'octobre 2018 à février 2023, peu nombreuses (leurs pièces 3 et 9) : elles sont insusceptibles de justifier une telle réduction du courant d'affaires. Et, aucune pièce n'établit la perte alléguée de clientèle de la SAS Cabinet [W] [G]. Aussi, la rupture lui est exclusivement imputable.

La SARL Antares entend justifier la durée du préavis dont elle prétend avoir été privée (9 mois), par l'ancienneté de la relation, par son état de dépendance économique, par la difficulté à retourner un partenaire équivalent et par les investissements réalisés pour les besoins de la relation.

Pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, l'état de dépendance économique s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété du partenaire et de ses produits et services, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de l'autre partie, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres acteurs des produits et services équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).

Ainsi qu'il a été dit, les parties ne livrent aucun élément concret sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs économiques ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SARL Antares qui ne jouissait d'aucune exclusivité prouvée et qui ne démontre pas qu'elle n'était matériellement pas en mesure de diversifier sa clientèle. Dans ces circonstances, la seule part du chiffre d'affaires dans les résultats de la SARL Antares ne fonde pas un allongement de la durée du préavis.

Néanmoins la SARL Antares démontre avoir, pour assumer l'augmentation de son activité générée par le partenariat, ouvert un nouvel établissement et embauché une salariée de la SAS Cabinet [W] [G] (pièces 5a et 6 de l'appelante), à l'initiative de cette dernière (pièce 5b de l'appelante), ces démarches apparaissant cohérentes avec la part prévisible lors de la conclusion du contrat que représentait la relation dans son chiffre d'affaires globale.

Aussi, au regard de ces éléments combinés, de l'existence de relations commerciales établies d'une durée de 3 ans et du caractère seulement partiel de la rupture, la durée du préavis suffisant sera estimée à 3 mois, durée qui correspond à celle sollicitée par la SARL Antares par référence aux usages du secteur dans son courriel du 3 février 2020 (sa pièce 11). Faute de l'avoir accordé, la SAS Cabinet [W] [G] a engagé sa responsabilité civile délictuelle au sens de l'article L 442-1 II du code de commerce.

- Sur le préjudice

Le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période »). Cette approche n'exclut pas l'indemnisation d'autres préjudices directement causés par la brutalité de la rupture dès lors que, distincts du précédent, ils sont démontrés en leur principe et en leur étendue.

Et, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s'exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n'est que la projection de celui antérieurement réalisé.

Au regard des éléments déjà examinés, le chiffre d'affaires mensuel servant d'assiette au préjudice de la SARL Antares, déterminé à partir de la moyenne des chiffres d'affaires réalisés sur les trois derniers exercices précédant la rupture partielle de décembre 2021 et non affectés par celle-ci, s'établit à 7 918,68 euros, les calculs déjà réalisés demeurant pertinents malgré le décalage de la date de la rupture puisque les chiffres d'affaires dégagés de septembre à novembre 2021 et 2022 sont équivalents. Cette dernière ne produit que ses soldes intermédiaires de gestion pour les années 2021 et 2022 qui mentionnent une marge brute de production moyenne de 98,31 % (sa pièce 20). Celle-ci ne prenant en compte que les achats consommés et les charges variables pour une activité de service étant faibles, à la différence de ses charges fixes non affectées par la rupture brutale, la SARL Antares n'ayant pas recours à la sous-traitance, sa marge sur coûts variables sera fixée à 90 %. La perte de cette dernière atteint ainsi pour trois mois la somme de 21 380,44 euros.

Cependant, la rupture n'étant que partielle et les relations s'étant poursuivies jusqu'en 2023, cette somme doit être amputée de la marge réalisée durant le préavis éludé (en ce sens, Com., 29 janvier 2025, n° 23-19.972), soit de décembre 2021 à février 2022 inclus (90 % x 16 562,05 euros, soit 14 905,85 euros).

Le préjudice de la SARL Antares atteint ainsi la somme de 6 474,56 euros.

En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la SARL Antares à ce titre et la SAS Cabinet [W] [G] sera condamnée à lui payer la somme de 6 474,56 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale partielle de leurs relations commerciales établies en décembre 2021.

3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, sauf en celles relatives à la condamnation de la SARL Antares à l'encontre de la SAS Cabinet [W] [G] ORECC sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La SAS Cabinet [W] [G] sera en conséquence condamnée à supporter les entiers dépens de première instance.

Succombant, la SAS Cabinet [W] [G], dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SARL Antares la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant en ses demandes à l'égard de la SAS Cabinet [W] [G] ORECC, la SARL Antares, dont la demande à son encontre sera rejetée, sera condamnée à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a :

- rejeté la demande présentée par la SARL Antares à l'encontre de la SAS Cabinet [W] [G] au titre de la rupture brutale partielle des relations commerciales établies ;

- condamné la SARL Antares à payer une somme de 1 500 euros à la SAS Cabinet [W] [G] au titre des frais irrépétibles ainsi qu'à supporter les dépens de première instance ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Cabinet [W] [G] à payer à la SARL Antares la somme de 6474,56 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale partielle de leurs relations commerciales établies en décembre 2021 ;

Rejette la demande de la SAS Cabinet [W] [G] au titre des frais irrépétibles ;

Rejette la demande présentée par la SARL Antares contre la SAS Cabinet [W] [G] ORECC au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SAS Cabinet [W] [G] à payer à la SARL Antares la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SARL Antares à payer à la SAS Cabinet [W] [G] ORECC la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Cabinet [W] [G] à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.

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