CA Lyon, ch. soc. a, 10 septembre 2025, n° 22/03087
LYON
Arrêt
Autre
AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 22/03087 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OIOF
S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE
Société [Y]
S.A.S. PARALU
C/
[E]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 12 Avril 2022
RG : 19/02482
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2025
APPELANTES :
Société MJ SYNERGIE représentée par Me [X] [NA] ou Me [O] [N], ès qualités de liquidateurs judiciaires de la société PARALU
intervenant volontairement
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Mélanie SCHLITTER de la SELARL ADJERAD AVOCATS, avocat au barreau de LYON
Société [Y] représentée par Me [D] [Y], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société PARALU
intervenant volontairement
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 5]
représentée par Me Mélanie SCHLITTER de la SELARL ADJERAD AVOCATS, avocat au barreau de LYON
Société PARALU
RCS DE LYON 302 044 557
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Myriam ADJERAD de la SELARL ADJERAD AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[U] [E]
née le 08 Octobre 1982 à [Localité 11]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
Ayant pour avocat plaidant Me Magali BENOIT de l'AARPI ARCANNE, avocat au même barreau
Association AGS CGEA DE [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 8]
non représentée
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Avril 2025
Présidée par Antoine-Pierre D'USSEL, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Catherine MAILHES, présidente
- Anne BRUNNER, conseillère
- Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 10 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
EXPOSE DU LITIGE :
La société Paralu (ci-après la société, ou l'employeur) était spécialisée dans la réalisation de façades métalliques et dans la fabrication de menuiseries et garde-corps aluminium.
Mme [E] (ci-après la salariée) a été engagée par la société en qualité d'aide secrétaire, par contrat à durée indéterminée du 13 janvier 2003 renvoyant à l'application de la convention collective nationale des ETAM du bâtiment.
Par un avenant du 1er mars 2004, la salariée a pris le poste de comptable analytique sur le site de [Localité 9]. Le 4 mai 2007, la salariée a été promue au poste de comptable fournisseurs. A compter du 8 mai 2012, le contrat de travail a été rompu et la salariée a travaillé pour d'autres sociétés du groupe.
Un nouveau contrat à durée indéterminée a été signé le 1er décembre 2013 pour un poste de comptable fournisseur au sein de la société Paralu.
A compter du 25 mai 2016, la salariée a bénéficié d'un congé parental à temps plein, qui a évolué en congé parental à 80 % à compter du 29 août 2016, successivement renouvelé jusqu'au 29 août 2019.
Le 26 mars 2018, un avertissement a été notifié à la salariée au motif d'une insuffisance dans le classement de dossiers, entrainant des pertes de productivité. Le 18 février 2019, une mise à pied a été notifiée à la salariée pour une erreur relative à une double saisie de virements et dissimulation ainsi que la non-saisie d'un virement alors que la facture avait été archivée comme réglée.
Le 25 juin 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour le 4 juillet suivant.
Par lettre remise en main propre contre décharge du 11 juillet 2019, la société lui a notifié son licenciement pour insuffisance professionnelle en ces termes : " (') A diverses reprises nous avons attiré votre attention sur votre comportement fautif, c'est pourquoi nous vous avons convoquée à un entretien, qui s'est tenu le 04 juillet 2019 en nos bureaux, afin de recueillir vos explications.
Lors de cet entretien, qui a débuté à 15h03 et pris fin à 15h43, était présent M. [I] [G], votre responsable hiérarchique en qualité de R.A.F de l'entreprise et Mme [V] en qualité de RH.
Vous n'avez pas souhaité vous faire assister par un représentant du personnel ou un salarié de l'entreprise.
L'entretien du 04 Juillet 2019 a débuté en rappelant que vous occupez un poste de comptable fournisseur de l'entreprise depuis 14 ans. Nous vous avons précisé également votre comportement fautif antérieur ayant nécessité un entretien réalisé le 13 février 2019 en raison d'une attitude inappropriée dans votre travail. Les faits reprochés étant les suivants: double signature de virement au DAF groupe sans l'avertir de votre erreur sur la saisie des règlements et manque de rigueur dans le traitement des factures fournisseurs. Ces faits nous ont conduit à vous sanctionner d'une mise à pied que vous n'avez pas contesté.
En conséquence de quoi, nous attendions de votre part un changement dans votre comportement professionnel, or les faits reprochés ci-dessous sont inexplicables et inexcusables au vu de votre expérience professionnelle.
1/ Vous connaissez les difficultés financières de l'entreprise et les tensions de trésorerie que cela implique. Pourtant alors que des accords sont mis en place avec nos fournisseurs stratégiques (notamment SILAC, Moulaire, Levrat etc. ... ) vous avez, à de multiples reprises, oublié de transmettre les avis de virements avec les décalages négociés.
L'impact direct de ce comportement pour notre société est un blocage des comptes fournisseurs, et dans la suite logique du process des retards de livraisons et des retards dans la production de l'entreprise.
De plus, cet oubli engendre des appels de la part des fournisseurs auprès du directeur industriel, du DAF groupe voir du PDG du groupe pour remettre en cause les accords. Cet état de fait serait dramatique pour la gestion de la trésorerie de l'entreprise. Vous avez validé les reproches et reconnu qu'il s'agissait d'oublis.
2/ Nous sommes soumis par nos fournisseurs d'aluminium à payer dès la commande via des proformas du fait de l'absence de couverture par les assureurs crédit.
En novembre 2018, votre responsable vous a demandé de mettre en place un classeur permettant de suivre les évolutions des avances faites à nos fournisseurs.
Le but étant d'éviter d'avoir de trop grosses sommes d'argent dehors sans avoir reçu les factures correspondantes et afin de faire les régularisations au fur et à mesure des commandes.
Pourtant, un point a été demandé par le directeur industriel en mai 2019 et nous avons à déplorer la somme d'environ 70 K€ pour le seul fournisseur Exlabesa.
Aucun rapprochement avec les factures et aucun ajustement avec les nouvelles proformas n'a été réalisé entre novembre 2018 et mai 2019, Vous avez continué à demander le règlement des proformas sans faire le point avec votre interlocuteur comptable de notre fournisseur pour éviter les dérives financières et ça, en toute connaissance des tensions de trésorerie de l'entreprise. Vous avez validé les faits et reconnu votre manquement sur le sujet. Vous avez réussi à régler le problème et réguler l'en-cours en deux jours.
3/ Lors d'un contrôle sur ses prévisions de trésorerie hebdomadaire, monsieur [I], R.A.F de l'entreprise, s'est aperçu que l'ensemble des règlements fournisseurs prévu dans le fichier de règlement de la semaine n'était pas passé en banque.
C'est pourquoi, il a demandé à votre responsable de la comptabilité fournisseur, Madame [VU] [P], de faire une vérification entre le fichier signé et les règlements réellement faits.
Un écart d'environ 20 K€ de règlements non faits est apparu.
Alors que vos responsables font le nécessaire pour vous transmettre une liste de règlement à réaliser, votre manque de rigueur occasionne un dysfonctionnement sur le suivi de cette liste. Sans contrôle de vos supérieurs, nous aurions continué d'accentuer les tensions que nous avons avec nos fournisseurs alors que les virements été validés et les fonds disponibles.
Vous avez reconnu l'oubli sans plus d'explication ou justification.
4/ Un ex salarié de l'entreprise vous a transmis sa facture de télépéage (environ 400€) afin de pouvoir obtenir le remboursement et ainsi solder définitivement les comptes avec l'entreprise qu'il a quitté fin mai 2019
Vous n'avez pas pris le temps de traiter sa demande et comme vous étiez le mercredi soir, plutôt que de transmettre la facture à votre responsable, vous avez volontairement mis cette facture dans votre tiroir afin de la traiter la semaine suivante. Le salarié a relancé durant votre absence car il était en attente des 400 € lui permettant de combler le prélèvement sur son compte personnel.
Par conséquent M. [I] s'est permis de regarder dans le tiroir de votre bureau pour retrouver ladite facture et ainsi procéder au remboursement de l'ex salarié.
Vous avez reconnu que vous aviez prévu de traiter le règlement à votre retour de WE et que vous n'avez pas pensé à l'impact financier que ce comportement pouvait avoir pour votre ancien collègue.
5/ Votre responsable, lorsqu'il a dû regarder dans votre tiroir suite au cas exposé ci-dessus, a trouvé plusieurs tas de document empilés dans votre tiroir.
- Des factures datées de 2018 (une dizaine de facture) non classées dans les pochettes prévues ou non détruites s'il s'agit de doublon.
- Une pochette remplie de factures transmise par le service achats/appro datant de plus d'un mois, en attente de retour de votre part
- Une pochette remplie de factures validées par le service achats/appro que vous deviez analyser pour la situation comptable au 31 mai 2019
Concernant cette dernière, vous avez délibérément mis cette pochette dans votre tiroir afin de vous en occuper lors de votre retour de congés, soit la semaine suivante. Cela sans prévenir votre responsable de la comptabilité fournisseur, Mme [VU], et sans prendre en compte que les deux jours de traitement perdus pourraient avoir un impact sur le délai de traitement de la situation comptable faites par le R.A.[F]
Pour ces éléments vous avez reconnu votre erreur en indiquant que vous n'aviez rien d'autre à ajouter.
6/ Lors du contrôle des comptes fournisseurs pour la situation comptable du 31 mai 2019, M. [I], le R.A.F de l'entreprise s'est aperçu qu'il y avait des comptes fournisseurs " Débiteurs ". Ce qui n'est pas logique en comptabilité.
Après analyse des comptes fournisseurs, il a pu constater que des écritures de " pertes et profits " faites lors de la clôture des comptes au 30 septembre 2018 avaient été faites à tort.
L'impact est d'environ 60 K€ en gain sur l'exercice comptable précédent, et sera donc une perte de la même somme sur l'exercice 2019.
Cette erreur a été rendue possible par le fait que vous n'appliquez pas les règles comptables de lettrage des comptes dit " de bilan ".
En effet, en effectuant cette tâche, vous auriez immédiatement corrigé votre erreur.
Seulement vous n'avez jamais eu cette bonne pratique dans votre travail.
Vous avez reconnu votre erreur et le fait de ne pas avoir cette pratique dans votre travail quotidien.
Au vu des faits exposés ci-dessus et des avertissements de travail que vous avez eu précédemment, nous sommes dans le regret de vous notifier votre licenciement pour insuffisance professionnelle.
Conformément aux dispositions conventionnelles, vous disposez d'un préavis de deux mois.
L'entreprise vous dispense d'effectuer votre préavis qui débute le 12 Juillet 2019 et se termine le 11 septembre 2019, date à laquelle vous quitterez les effectifs de l'entreprise. Votre salaire continuera de vous être versé durant cette période. Nous vous informons qu'à compter de ce Jeudi 11 Juillet à 17h30 vous n'êtes plus soumise à votre obligation de vous rendre dans les locaux de la société (') ".
Par requête reçue le 27 septembre 2019, la salariée, contestant son licenciement, a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon, aux fins de voir dire et juger que la sanction disciplinaire notifiée est infondée, que l'employeur a manqué à son obligation de formation et d'adaptation, que le licenciement est sans cause réelle ni sérieuse. Elle sollicite en conséquence la condamnation de la société à lui verser des dommages et intérêts au titre de la réparation de son préjudice subi du fait de l'absence de formation et d'adaptation (7 000 euros), une indemnité au titre de rappel de salaire sur mise à pied (93,24 euros bruts outre les 9,32 euros au titre des congés payés afférents) une indemnité au titre du caractère infondé de la sanction disciplinaire (3000 euros nets), des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (29 844,40 euros nets à titre principal le barème de l'article L. 1235-3 du code du travail étant écarté, et, à titre subsidiaire, 20 144,97 euros en application du barème); ordonner la remise du certificat de travail rectifié sous astreinte, et voir l'employeur condamner à lui payer une indemnité de procédure (2 500 euros), outre l'exécution provisoire de la décision.
Par jugement du 12 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Lyon a :
- Dit que le licenciement de la salariée pour insuffisance professionnelle n'est pas démontré ;
- Condamné la société à lui payer les sommes suivantes :
o 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 1 452 euros à titre de manquement à l'obligation de formation ;
o 1 300 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 3 mois ;
- Fixé le salaire de la salariée à 1 492,22 euros brut mensuel ;
- Condamné la société à remettre sans astreinte une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes ;
- Condamné la société aux dépens de la présente instance ;
- Dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire pour le présent jugement au-delà de celle de droit ;
- Débouté la salariée de ses demandes plus amples et complémentaires ;
- Débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 28 avril 2022, la société Paralu a interjeté appel de ce jugement et demandé son infirmation en ce qu'il :
- A dit que le licenciement pour insuffisance professionnelle n'est pas démontré ;
- L'a condamnée à payer à la salariée les sommes suivantes :
o 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
o 1 452 euros à titre de manquement à l'obligation de formation,
o 1 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- L'a condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 3 mois ;
- Fixé le salaire de la salariée à 1 492,22 euros bruts mensuels ;
- L'a condamnée à remettre sans astreinte une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conforme ;
- L'a condamnée aux dépens de la présente instance et l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 5 juillet 2022, le tribunal de commerce de Lyon a constaté l'état de cessation des paiements et prononcé l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Paralu et nommé en qualité de mandataires judiciaires la SELARL MJ Synergie et la SELARL [Y].
Par acte d'huissier du 14 octobre 2022, la salariée a procédé à l'assignation en intervention forcée de l'AGS CGEA de [Localité 8].
Par jugement du 22 novembre 2022, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Paralu et nommé la SELARL MJ Synergie et la SELARL [Y] en qualité de liquidateurs judiciaires.
Aux termes des dernières conclusions de leur avocat remises au greffe de la cour le 23 décembre 2022, la société Paralu ainsi que les SERARL MJ Synergie et [Y], ès qualités de liquidateurs judiciaires de la société précitée demandent à la cour de :
1°) Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 12 avril 2022 en ce qu'il a :
- Dit que le licenciement de Mme [E] pour insuffisance professionnelle n'est pas démontré ;
- Condamné la société Paralu à payer à Mme [E] les sommes suivantes :
o 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 1 452 euros à titre de manquement à l'obligation de formation ;
o 1 300 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Paralu à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [E] du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 3 mois ;
- Fixé le salaire de Mme [E] à 1 492,22 euros bruts mensuels ;
- Condamné la société Paralu à remettre, sans astreinte, une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail conformes ;
- Condamné la société Paralu aux dépens de l'instance ;
- Débouté la société Paralu de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
2°) Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 12 avril 2022 pour le surplus ;
3°) Statuant à nouveau,
A titre principal,
- Débouter Mme [E] de l'intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- Réduire le montant de la condamnation éventuellement prononcée au titre du licenciement au minimum du barème fixé aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail;
- Réduire au minimum selon le préjudice démontré par Mme [E] le montant des éventuelles condamnations prononcées à l'encontre de la société Paralu sur les autres chefs de demandes ;
En tout état de cause,
- Condamner Mme [E] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.
Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 10 octobre 2022, la salariée, ayant fait appel incident de ce jugement, demande à la cour de :
1°) Confirmer en son principe le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Lyon en ce qu'il a :
- Jugé que l'employeur a manqué à son obligation de formation et d'adaptation ;
- Jugé que le licenciement était sans cause réelle ni sérieuse ;
2°) Infirmer le jugement en ce qu'il :
- L'a déboutée de sa demande relative à l'annulation de la sanction disciplinaire ;
- A condamné la société Paralu à lui payer les sommes de :
o 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 1 452 euros à titre de manquement à l'obligation de formation ;
- L'a déboutée de ses demandes plus amples et complémentaires ;
3°) En conséquence, il est demandé à la cour d'appel de Lyon de :
A titre principal,
- fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu :
o 7 000 euros nets en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de formation et d'adaptation ;
o 93,24 euros bruts, outre 9,32 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salarie sur mise à pied ;
o 3 000 euros nets pour sanctions disciplinaires infondées ;
- Sur le licenciement :
o A titre principal, si le barème est écarté, 20 mois de salaire pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse soit 29 844,4 euros nets ;
o A titre subsidiaire, 13,5 mois de salaire correspondant au plafond du barème soit 20 144,97 euros nets ;
- Ordonner la rectification du certificat de travail sous astreinte de 30 euros par jour de retard sous huitaine à compter du prononcé de la décision ;
- Condamner la société Paralu à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la défenderesse aux dépens ;
- Débouter la société Paralu de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire,
- Confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions dans son principe, et dans son quantum ;
- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu :
o 1 452 euros nets en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de formation et d'adaptation ;
o 12 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
o 1 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
En toutes hypothèses,
- dire et juger le jugement opposable aux AGS CGEA.
L'AGS-CGEA de [Localité 8] n'a pas constitué avocat.
La clôture des débats a été ordonnée le 27 février 2025 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 7 avril 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les " demandes " tendant à voir " constater " ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des " demandes " tendant à voir " dire et juger " lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
I - Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail.
I.A - Sur la demande relative à l'obligation de formation et d'adaptation.
Les sociétés intimées contestent la condamnation de l'employeur sur ce fondement par le conseil de prud'hommes, en faisant valoir :
- Que la salariée a bénéficié d'une formation en comptabilité dans le cadre de son changement de fonction en 2007 ; que les règles comptables n'ont pas évolué, de sorte qu'aucune adaptation ni formation complémentaire n'était nécessaire sur ce point ;
- Que la salariée n'a jamais demandé à user de son droit individuel à la formation ou de mettre en 'uvre son compte personnel de formation ;
- Que, contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, l'intéressée ne devait pas suivre de formation fin 2019 ; qu'en outre, elle ne justifie d'aucun préjudice à ce titre.
Au soutien de sa demande, la salariée fait observer qu'elle n'a bénéficié d'aucune formation depuis celle ayant suivi son entrée en fonctions, en 2007, et jusqu'à son licenciement, en 2019 ; qu'elle en a formé la demande lors de son entretien annuel du 7 mars 2019, laquelle lui a été promise d'ici la fin de l'année, en vain ; qu'elle n'a pas non plus bénéficié d'un plan d'accompagnement, alors qu'il lui est reproché une insuffisance professionnelle ; que l'argument tiré de la non-utilisation par ses soins de son droit individuel à formation est inopérant.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 6321-1 dans sa rédaction issue de la loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 applicable au litige, " l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations (') ".
En application de ce texte, il a été jugé que l'absence totale ou l'insuffisance de formation sur une longue période constitue un manquement à l'obligation de formation, même si le salarié n'a pas explicitement formulé de demande de formation (Cass. soc., 8 juillet 2020, n°19-12105) ; que, par ailleurs, la réparation résultant du non-respect par l'employeur de son obligation de formation exige la preuve d'un préjudice (Cass Soc 3 mai 2018, n°16-26.796).
En l'occurrence, il est constant que la salariée a bénéficié d'une formation lors de son changement de fonction en 2007 ; qu'aux termes d'une lettre du 26 mars 2018, l'employeur a notifié à la salarié un avertissement en raison de dysfonctionnements qu'il a liés à une insuffisance professionnelle (dont : dysfonctionnements dans le classement et l'organisation personnels, retards et perte de productivité, révision des comptes fournisseurs insuffisante et trop irrégulière, incohérences dans le traitement des comptes fournisseurs débiteurs, absence de mise en place d'outils adaptés, insuffisance des retours aux autres services, insuffisance dans la communication, etc) ;
qu'il résulte par ailleurs de la lettre du 18 février 2019 portant mise à pied disciplinaire que lui ont encore été reprochés, notamment, des erreurs.
Par ailleurs, comme le relèvent les appelantes, il n'est pas justifié de ce que la salariée a sollicité une formation en mars 2019, ni de l'accord de l'employeur pour la mettre en place.
Ainsi, en mars 2018, l'employeur a relevé à des difficultés d'organisation personnelle et des insuffisances professionnelles de la salariée. Dès lors, il ne peut être considéré que la seule formation de changement de fonction, reçue environ 11 ans plus tôt, soit suffisante pour assurer l'adaptation de la salariée à son poste, tant en termes fonctionnels qu'organisationnels, alors qu'une formation dédiée sur ce plan pouvait être envisagée pour l'accompagner.
Son préjudice moral, alors qu'elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle, est établi, sans qu'il puisse lui être opposé de n'avoir pas elle-même actionné son droit individuel à la formation.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur le principe de la condamnation de l'employeur sur ce fondement. Au regard de la procédure de liquidation judiciaire en cours, sera fixée au passif de celle-ci la somme de 1 500 euros en réparation du manquement ainsi caractérisé.
I.B - Sur la contestation des sanctions disciplinaires.
Au soutien de ses demandes tendant d'une part au rappel de salaire correspondant à la journée de mise à pied disciplinaire dont elle a fait l'objet, et d'autre part, aux dommages et intérêts réclamés au titre des sanctions infondées, la salariée fait valoir qu'alors qu'elle n'avait jamais fait l'objet d'un quelconque reproche, elle a subi en mars 2018 et février 2019 un avertissement puis une mise à pied disciplinaire dans un contexte de changement du directeur général et du responsable administratif et financier, et de dégradation de la situation financière de la société.
Elle relève que l'employeur ne verse aucune pièce à l'appui de l'avertissement du 26 mars 2018, dont elle conteste le bien fondé.
S'agissant de la mise à pied disciplinaire du 31 janvier 2019, elle conteste avoir caché sciemment une erreur de saisie, ainsi que toute faute et tout préjudice en résultant pour la société. Elle fait également sommation aux appelantes de communiquer l'enquête diligentée qui attesterait de son manquement.
Pour leur part, les sociétés appelantes sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes, et font valoir que l'avertissement notifié le 26 mars 2018 est antérieur au changement de direction de la société, et que la mise à pied disciplinaire est parfaitement justifiée, indépendamment de l'absence de préjudice qui en est résulté pour elle.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 1333-1 du code du travail, " en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.
L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ".
L'article L. 1333-2 du même code dispose que " le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise ".
***
1 - En premier lieu, il est relevé que les sociétés appelantes ne produisent aucun document pour justifier des griefs contenus dans l'avertissement du 26 mars 2018 qui consistent en :
- Une forte insuffisance dans le classement, tant des dossiers courants que des dossiers figurant dans la salle des archives, générant un certain nombre de dysfonctionnements ;
- De nombreux retards et pertes de productivité dans les mesures en paiement des fournisseurs par rapport aux instructions données, en raison des " pertes " de factures ou factures proforma ou BAP en raison du déficit de classement et/ou d'organisation de travail, engendrant des impacts en chaîne sur les services liés et des pertes de temps dans le traitement des dossiers ;
- Des relances tardives ;
- Une révision des comptes fournisseurs insuffisante et trop irrégulière, certains comptes n'étant pas à jour (comptes débiteurs anormaux, problèmes de lettrages partiels, problèmes de factures non comptabilisées') ;
- Une insuffisance dans le traitement des comptes fournisseurs débiteurs, avec des incohérences résultant de l'absence de comptabilisation de factures ;
- Un non-respect systématique des consignes (ex : non-respect d'une consigne de payer 450 K€ de dettes fournisseurs dans la semaine : seuls 250 K€ ont été payés, sans information de la hiérarchie) ;
- L'absence de mise en place d'un outil lui permettant d'y voir plus clair dans les demandes de factures proforma qui lui sont faites, de disposer d'une liste exhaustive de ces demandes, et d'y répondre dans un délai raisonnable ;
- Des retours très insuffisants aux services achats ou agence sur ce qui est mis en paiement, ce qui gêne le pilotage de leurs relations avec les fournisseurs ;
- Une insuffisance des alertes à sa hiérarchie sur les tensions rencontrées avec certains fournisseurs, pour optimiser la relation avec eux ;
- Une insuffisance d'information à la hiérarchie sur ce qui est fait / pas fait par rapport aux demandes formées par celle-ci, notamment au moment des arrêts pour congés, ce qui rend difficile le relais ou le traitement des priorités pendant ses absences.
Il s'ensuit que si la plupart des griefs ainsi énoncés ont trait à une insuffisance professionnelle, celui tenant au non-respect systématique des consignes renvoie à une faute de la salariée ; qu'il revenait à l'employeur de l'étayer pour justifier de la sanction prononcée, conformément aux textes précités, sans que puisse être opposée à la salariée son absence de contestation antérieure.
En l'absence de tels éléments probatoires, l'avertissement notifié le 26 mars 2018 doit être déclaré mal fondé. Le jugement entrepris sera réformé sur ce point.
2 - Ensuite, la mise à pied disciplinaire notifiée le 18 février 2019 est ainsi motivée : " nous avons eu à déplorer de votre part une conduite fautive ('). En effet, les faits suivants vous sont reprochés :
1°) Le 24 janvier 2019, demande de votre part, en urgence, de signature de virements de paiements de pro forma à des fournisseurs. Erreur d'une double saisie de virement pour un fournisseur, cachée volontairement lors de la signature auprès du directeur administratif et financier, M. [Z] [M]. Post signature électronique du DAF, demande de votre part auprès de la responsable comptable fournisseurs, Mme [VU] [P], de suppression du virement, alors que la suppression du virement aurait pu être faite, par vos soins, en amont de la signature sur le site Exabanque.
Vous avez caché sciemment une erreur de saisie, vous n'avez alerté aucun supérieur hiérarchique. Par cet acte, vous avez mis en danger les finances de l'entreprise, vous avez engagé la responsabilité du DAF pour cacher votre erreur.
2°) Réception d'une relance fournisseurs pour non-paiement de l'échéance. Investigations par nos soins, car vous étiez absente de votre poste (congés). Après investigation, il s'avère que le virement n'a jamais été saisi alors que la facture a été archivée comme réglée.
Cette erreur démontre un manque de vigilance, de rigueur dans l'exécution des missions qui incombent à votre poste. Un autocontrôle aurait dû vous alerter sur cette erreur.
Lors de l'entretien qui s'est tenu le 13 février 2019, auquel vous ne vous êtes pas fait assister, vous avez reconnu les faits et les explications que vous nous avez fournies n'ont pas modifié notre appréciation.
Votre conduite est inacceptable et compromet gravement la bonne marche de l'entreprise.
Nous avons le regret de vous informer que nous vous sanctionnons en prononçant une mise à pied disciplinaire d'un jour à votre encontre. Celle-ci sera effective le mardi 26 février 2019.
Cette mise à pied entraîne la suspension de votre contrat de travail. Vous serez donc dispensée de travailler et une retenue de salaire correspondant à la journée non travaillée sera appliquée sur votre paye du mois de mars 2019.
Nous espérons vivement que vous saurez tenir compte de cette sanction. En effet, à défaut et si de tels incidents venaient à se reproduire, nous pourrions être amenés à envisager à votre égard une sanction pouvant aller jusqu'à la rupture de votre contrat de travail (') ".
Pour justifier de la matérialité du premier grief ci-dessus énoncé, les sociétés appelantes produisent des captures d'écran du logiciel comptable relatif au double virement ainsi qu'un échange de courriels du 25 janvier 2019 entre M. [Z], directeur administratif et financier, et M. [I], responsable administratif et financier, aux termes duquel celui-ci s'étonne d'avoir dû signer en urgence, à la demande de Mme [E], deux virements pour la société cliente Mevaco de 12 324 euros et 8 724 euros et sollicite une vérification ; M. [I] lui confirme l'erreur concernant le virement de 12 324 euros et précise " [U] avait conscience de son erreur puisqu'elle a demandé à [P] et [T] de supprimer le virement après ta signature électronique. Il s'agit d'une erreur inexplicable, sachant qu'elle a la main sur Exabanque pour supprimer le virement ".
Ainsi, s'il est établi que Mme [E] avait alerté sa supérieure Mme [VU], de son erreur, elle ne conteste pas ne pas avoir supprimé le virement avant la signature du directeur administratif et financier, ni avoir eu la possibilité de le faire. Elle n'apporte aucune explication à son abstention. Dans ces conditions, il ne peut qu'être considéré qu'elle a pris en toute connaissance de cause le risque d'un décaissement indu de plus de 12 000 euros, alors que la situation financière de la société était dégradée, ce qui lui avait rappelé dans le courrier d'avertissement du 26 mars 2018.
Dès lors, malgré l'annulation effective du virement erroné, le manquement de la salariée à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail est établi.
S'agissant en revanche du second grief contenu dans le courrier du 18 février 2019, il n'est pas étayé et sera donc considéré comme n'étant matériellement pas établi.
Au vu de l'importance du premier grief dans le contexte financier délicat traversé par la société, et du comportement de l'intéressée qui caractérise une atteinte manifeste et substantielle à son obligation d'exécution de bonne foi de ses fonctions de comptable, la sanction de mise à pied disciplinaire à hauteur d'une journée est justifiée et proportionnée.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de rappel de salaire et d'indemnisation afférentes.
***
En conclusion, le préjudice moral résultant du caractère injustifié de l'avertissement délivré le 26 mars 2018 sera intégralement indemnisé par l'octroi d'une somme de 500 euros.
Cette somme sera fixée au passif de la liquidation judiciaire, le jugement étant réformé sur ce point.
II - Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail.
II.A - Sur la contestation de la régularité du licenciement.
La salariée conteste en premier lieu la régularité de la procédure de licenciement dont elle a fait l'objet en relevant que la lettre de licenciement a été signée par M. [Z], directeur administratif et financier du groupe, lequel ne justifie pas avoir eu pouvoir pour le faire.
En réponse, les sociétés appelantes font valoir que M. [Z] disposait d'une délégation de pouvoir adéquate, et que sa fonction impliquait qu'il puisse licencier l'intéressée, la décision ayant au surplus été ratifiée par la société.
Sur ce,
L'article L. 1232-6 du code du travail dispose que la procédure de licenciement est menée par " l'employeur ".
Sur le fondement de ce texte, il a notamment été jugé que le directeur des ressources humaines de la société mère du groupe pouvait recevoir mandat pour procéder au licenciement d'un salarié d'une filiale (Cass Soc 23 novembre 2009 n°07-44.200), ou le directeur financier d'une société propriétaire de 100 % des actions de la société employeur (Cass Soc 30 juin 2015, n°13-28.146).
En l'occurrence, la lettre de licenciement notifiée le 11 juillet 2019 a été signée par M. [M] [Z], directeur administratif et financier du groupe. Or, est produite une délégation de pouvoirs du 8 mars 2018, aux termes desquels M. [B], président du groupe Coralu - Coralu SAS dont il n'est pas contesté que la société Paralu ait fait partie, donne pouvoir à M. [Z] notamment de " signer tout courrier relevant d'une procédure de licenciement (de la convocation à l'entretien préalable à la signature des documents de solde de tout compte), pour tout motif (faute, inaptitude, insuffisance professionnelle, insuffisance de résultat, économique, etc) (') pour l'ensemble des sociétés composant le groupe Coralu".
Il est ainsi démontré que M. [Z] disposait d'une délégation de pouvoirs lui conférant la possibilité de licencier la salariée. Le moyen n'est donc pas fondé et sera écarté.
II.B - Sur la contestation du bienfondé du licenciement.
Au soutien de sa contestation, la salariée fait valoir qu'elle n'a jamais bénéficié de formation malgré ses demandes, ni d'un accompagnement approprié ; qu'en outre, elle n'a jamais été destinataire d'une fiche de poste suite à son retour au sein de la société Paralu en 2013. Ensuite, elle conteste chacun des griefs contenus dans la lettre de licenciement.
Les sociétés appelantes concluent quant à elles à l'infirmation du jugement et au bien fondé du licenciement en faisant valoir que l'intéressée exerçait les fonctions de comptable fournisseurs depuis 2007, pour lesquelles elle avait été formée ; que les manquements reprochés tiennent dans des oublis, un manque de rigueur professionnelle et d'autocontrôle qu'aucune formation professionnelle ne peut pallier ; qu'elle bénéficiait d'une réunion hebdomadaire avec sa responsable au cours de laquelle elle n'a jamais évoqué les difficultés rencontrées ; que les avertissement de mars 2018 et mise à pied disciplinaire de février 2019 constituent autant de mises en garde, qui ne l'ont pas conduite à se reprendre. Elles étayent ensuite l'ensemble des griefs contenus dans la lettre de licenciement.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 1232-1 du code du travail, " tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. Il est justifié par une cause réelle et sérieuse ".
L'article L. 1235-2 du même code précise que " les motifs énoncés dans la lettre de licenciement (') peuvent, après la notification de celle-ci, être précisé par l'employeur, soit à son initiative, soit à la demande du salarié, dans les délais et conditions fixés par décret en Conseil d'Etat.
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement (') ".
L'article L. 1235-1 du même code prévoit qu'en " cas de litige ('), le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il justifie dans le jugement qu'il prononce le montant des indemnités qu'il octroie.
Si un doute subsiste, il profite au salarié ".
Par ailleurs, il convient de rappeler que l'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l'emploi. Elle doit reposer sur des critères objectifs.
Elle s'apprécie en regard de l'obligation de l'employeur d'adaptation de chaque salarié à son poste, posée par l'article L. 6321-1 du code du travail.
***
En premier lieu, la société ne produit pas de fiche de poste relative au contrat de travail du 1er décembre 2013, mais uniquement une " fiche de fonction " afférente à l'avenant signé le 4 mai 2007, qui portait nomination de la salariée au poste de comptable fournisseur. Ses fonctions ainsi définies étaient les suivantes :
" 1°) Enregistrement des factures fournisseurs :
- Création des codes des nouveaux fournisseurs dans [L] avec info donnée à [W] [J] pour les ouvertures de comptes demandés par les agences ou les achats ;
- Saisie des factures fournisseurs dans Diapason ;
- Vérification du tableur dynamique et correction ;
- Intégration du fichier Diapason dans [L] avec correction des rejets d'interfaces ;
- Imputation comptable et saisie des factures fournisseurs dans [L] (frais généraux') en traitant en priorité les factures payées par TIP ;
- Lettrage des factures de frais généraux payés par prélèvement ;
- Gestion des avoirs fournisseurs : imputation comptable, saisi, lettrage et mise à jour du tableau Excel des AAR.
2°) Préparation mensuelle de la TVA intracommunautaire :
- Édition du grand livre des comptes d'achat intra commun, photocopie des factures correspondantes et pointage pour [F] [JD].
3°) Validation des factures Via - Mat :
- Vérification et BAP transmis à [H] [C].
4°) Réponse aux appels téléphoniques des fournisseurs :
- Action partagée avec [R] et [A] ".
Il a été vu précédemment que la seule formation dispensée à l'intéressée a été effectuée en 2007, lors de la prise de fonctions de l'intéressée dans son poste de comptable.
Par ailleurs, la salariée ne conteste pas avoir bénéficié d'un point hebdomadaire avec sa responsable, Mme [VU], mais indique juste qu'aucun reproche ne lui a été fait dans ce cadre, qu'elle aurait pu rectifier le cas échéant. Aussi, si l'existence de ce point hebdomadaire est matériellement établie, son contenu n'est pas démontré de sorte qu'il ne peut être considéré comme un " accompagnement " hiérarchique.
Seront successivement examinés les différents motifs contenus dans la lettre de licenciement.
1 - Oublis de transmission des avis de virements, entraînant un blocage des comptes fournisseurs et des retards de livraisons et une remise en cause des accords de décalage de virement permettant une souplesse de trésorerie.
A ce titre, les sociétés appelantes expliquent qu'au vu des difficultés financières rencontrées par la société Paralu, celle-ci avait négocié des accords pour répartir les paiements en plusieurs virements, à des termes convenus ; qu'il était impératif de les respecter ; que, dans ce cadre, il était remis chaque semaine à Mme [E] un tableau avec l'ensemble des paiements qu'elle devait effectuer, étant précisé qu'elle devait tous les effectuer, le budget ayant d'ores et déjà été validé par la hiérarchie. L'intéressée prétend au contraire qu'il lui était demandé de sélectionner les fournisseurs à régler chaque semaine en fonction d'un budget alloué à ne pas dépasser, le cas échéant en décalant certains paiements de 15 jours, voire un mois, ce qui engendrait le mécontentement des fournisseurs concernés. Cependant, elle ne produit aucun élément permettant de considérer qu'elle a reçu de telles consignes.
Pour étayer ce grief, les sociétés appelantes produisent deux relances des 19 et 24 juin 2019 adressées par la société Yesss Electrique à Mme [E] concernant deux factures pour un montant total de 812,16 euros TTC, et un mail du 18 avril 2019 attestant du blocage d'une commande de la société Batifer dans l'attente de la régularisation de factures.
Cependant, elles ne démontrent pas avoir donné l'instruction de paiement correspondante à la salariée, ni la date à laquelle cette instruction aurait été donnée ; or, dans la mesure où sa hiérarchie déterminait les priorités de paiement, ces retards ne peuvent pas être imputés de manière certaine à la salariée.
En revanche, le grief tenant au retard de paiement de la société Moulaire est caractérisé au regard des échanges de courriels du 17 juin 2019, Mme [E] ayant prétendu que ce retard était dû à un RIB erroné et n'a pas répondu à l'objection postérieure de M. [I] qui s'en étonnait, la société faisant régulièrement des virements à ce fournisseur.
Est encore produit un tableau recensant des paiements à effectuer (pièce 3.9). Il a été vu précédemment que les parties s'opposent sur le fait de savoir sur qui, de Mme [E] ou de sa hiérarchie, reposait la priorisation des paiements. Or, s'il apparaît une catégorisation des fournisseurs sur ce tableau (1 - Retards interdits ; 2 - Léger décalage possible ; 3 - Groupe Coralu ; ainsi que d'autres non classés), avec des mentions manuscrites " non fait ", ces éléments ne permettent pas de déterminer qui avait la charge d'effectuer la priorisation des paiements. En outre, il ne s'agit que d'une unique feuille hebdomadaire tandis que la lettre de licenciement fait état d'oublis de virement " à de multiples reprises ".
En application de l'article L. 1235-1 précité, le doute profite au salarié. Dès lors, ce grief sera considéré comme n'étant pas établi.
2 - Absence de suivi de la facturation proforma, entraînant l'engagement d'importantes sommes d'argent sans justificatifs.
Les sociétés appelantes indiquent que certains fournisseurs procèdent par la voie de factures " proforma ", payables à la commande, ce qui revenait à lui faire avancer d'importantes sommes d'argent et exigeait un suivi rigoureux des commandes et des paiements. Pour l'exécution de cette tâche, il avait été demandé à Mme [E] en novembre 2018 d'assurer un système de suivi par le biais d'un classeur, afin de permettre une comparaison entre les avances faites et la facturation définitive, et de procéder aux éventuelles régularisations.
Six mois plus tard, en mai 2019, l'employeur constatait qu'aucun suivi n'était assuré ; que plus de 70 000 euros avaient été engagés pour le fournisseur Exlabesa, sans factures justificatives ; qu'au regard de l'importance de cette somme, il devenait de plus en plus difficile de la rapprocher des commandes passées. Si elle n'était plus en mesure de pouvoir justifier comptablement des sommes engagées, elle risquait de fait une réintégration dans son résultat imposable.
Pour contester ce grief, la salariée relève que la lettre de licenciement indique qu'elle a " réussi à régler le problème et à réguler l'en-cours en deux jours ", de sorte que ce grief ne peut fonder le licenciement.
Cependant, cette seule régularisation a posteriori ne permet pas de considérer que l'intéressée avait mis en place le système de contrôle des factures proforma dont elle ne conteste pas qu'il lui avait été demandé par l'employeur en novembre 2018, alors qu'elle avait la charge du contrôle des paiement aux fournisseurs ; que la nécessité de régler a posteriori la difficulté témoigne de l'absence de maîtrise des fonds avancés par la société, représentant une somme importante alors que la société connaissait une situation financière dégradée ; qu'en conséquence, les faits correspondant à ce deuxième grief sont matériellement établis.
3 - Non-exécution du travail demandé, relativement à la réalisation des règlements selon un fichier établi, entraînant un écart de trésorerie et des retards dans le règlement.
Les sociétés appelantes font valoir que Mme [E] n'a pas exécuté l'ensemble des virements mentionnés sur le tableau hebdomadaire qu'elle recevait de sa hiérarchie ; que, lors d'un contrôle de M. [I], RAF, le 18 juin 2019, il est apparu un écart de plus de 20 000 euros entre les paiements prévisibles et ceux effectués ; que, pourtant, rien ne pouvait justifier qu'un virement ne soit pas passé : le tableau était effectué par la hiérarchie en fonction de trésorerie disponible, et les virements déjà validés.
En réponse à ce grief, la salariée objecte qu'il n'a pas été répondu à sa sommation de communiquer les résultats du contrôle sur prévisions de trésorerie hebdomadaire réalisé par le RAF ; que ce grief, au regard des responsabilités des membres de l'équipe, ne peut lui être imputé ; que le tableau produit en pièce adverse 3.9 a été réalisé par la partie adverse et ne peut lui être opposé.
Ainsi qu'il a été vu précédemment, la pièce 3.9 des sociétés appelantes ne suffit pas à établir qu'elle valait instruction donnée à la salariée de passer l'intégralité des virements qui y étaient mentionnés, et l'absence de tout autre élément. De surcroît, il est à nouveau relevé qu'une seule feuille est produite, alors que l'employeur soutient que de tels tableaux étaient remis de manière hebdomadaire à l'intéressée ; qu'ainsi, seuls quatre retards de paiement seraient au mieux justifiés, sous réserve de leur imputabilité à la salariée qui n'est pas démontrée.
Dès lors, le grief n'est pas matériellement établi à l'égard de la salariée.
4 - Absence de traitement d'une facture de télépéage.
Les sociétés appelantes reprochent à la salariée d'avoir omis d'effectuer le règlement de 400 euros correspondant à une facture de télépéage d'un ancien collègue, M. [S], ayant récemment quitté la société, 10 jours après que la demande lui en ait été faite à deux reprises par Mme [VU] ; elles précisent que cette dernière a fini par s'en charger elle-même. Elles reprochent à Mme [E] de n'avoir pas signalé l'absence de traitement de cette facture lors de ses réunions hebdomadaires.
Elles précisent encore que l'intéressée a initialement reconnu sa responsabilité, avant de soutenir qu'elle était en congés ; que si tel était bien le cas le jour de la relance, tel n'était pas le cas lorsque la demande initiale lui avait été faite.
La salariée conteste ce grief en indiquant qu'il n'est ni daté ni précis ; que la facture a été transmise à l'une de ses collègues, Mme [K], laquelle la transmettait à Mme [VU] le 10 juin 2019, et non à elle ; que M. [S] a d'ailleurs relancé Mme [VU] et non elle le 21 juin 2019, date à laquelle elle était en congés ; qu'ainsi, c'est à tort que l'employeur soutient qu'elle aurait été chargée du règlement de cette facture, et qu'elle aurait été relancée à deux reprises.
En l'espèce, il ne résulte d'aucun document produit que Mme [VU] a chargé Mme [E] du règlement de cette facture dont elle n'était pas destinataire, pas davantage que la relance. En outre, il n'est pas démontré qu'elle aurait reconnu la responsabilité de ce retard. En conséquence, ce grief ne peut lui être imputé.
5 - Retard global et dissimulé dans l'exécution des missions, entraînant le retard dans le traitement de nombreuses factures et impliquant une trésorerie non fiabilisée de la société.
Les sociétés appelantes indiquent qu'il a été retrouvé dans un tiroir non fermé à clé du bureau de l'intéressée en juin 2019, afin de rechercher la facture de M. [S], des factures non classées et des factures datant de plus d'un mois et non traitées, conduisant nécessairement à un retard de traitement de la situation comptable de la société ; que l'intéressée a reconnu sa négligence lors de l'entretien préalable.
La salariée conteste les conditions dans lesquelles a été ouvert son tiroir en son absence, dont elle indique qu'il était fermé à clés, et considère qu'il s'agit d'une violation de sa vie privée. Au surplus, elle cite la décision du conseil de prud'hommes qui a notamment considéré sur ce point que les factures litigieuses avaient toutes été payées, ce qui n'entraînait pas de préjudice pour l'entreprise.
De ces éléments, il doit être en premier lieu relevé que les sociétés appelantes ne démontrent pas les conditions dans lesquelles ont été découvertes les factures litigieuses, notamment quant à la circonstance de savoir si le tiroir litigieux était fermé ou non ; qu'au surplus, l'enjeu du paiement d'une facture de 400 euros, même en retard de 10 jours, ne peut justifier une fouille du bureau d'un collaborateur en congés. Surtout, aucune pièce n'est produite au soutien de ce grief, permettant d'établir que des factures datant d'un mois n'auraient pas été payées.
Il s'ensuit que le grief n'est pas démontré.
6 - Erreur d'écriture comptable lors de la clôture des comptes, entraînant une perte de 60 000 euros sur l'exercice 2019.
Les sociétés appelantes soutiennent que lors d'un contrôle des comptes fournisseurs le 31 mai 2019, M. [I] s'est aperçu de l'existence de comptes fournisseurs " débiteurs ", alors qu'ils auraient dû être à l'équilibre au jour de la clôture. Elles indiquent que tel était bien le cas, jusqu'à l'inscription à tort d'une ligne d'écriture " PP " dite " pertes et profits ". A la clôture au 30 septembre 2018, ces comptes fournisseurs débiteurs représentaient près de 60 000 euros, se traduisant nécessairement par une perte correspondante sur l'exercice 2019, ce qui a faussé ses prévisions de trésorerie.
Or, Mme [E] avait notamment pour fonction le lettrage des factures et la révision des comptes. Par ailleurs, elle a reconnu les manquements lors de l'entretien préalable. C'est donc à tort que le conseil de prud'hommes a considéré que cette pratique aurait été tolérée par l'employeur, alors que celui-ci a découvert cette pratique le 31 mai 2019, qui lui a révélé le manque de rigueur de l'intéressée. Les sociétés appelantes estiment que si la salariée avait appliqué depuis tout temps les règles comptables de lettrage des comptes dit " de bilan ", elle n'aurait pas fait de grossières erreurs dans les écritures comptables.
La salariée fait pour sa part valoir qu'elle est comptable fournisseurs dans l'entreprise depuis 16 ans et qu'aucun reproche ne lui a été fait antérieurement ; qu'outre le fait que ce défaut de bonne pratique ne peut fonder une insuffisance professionnelle dans la mesure où l'ensemble des moyens ne lui ont pas été donnés en termes de formation et d'accompagnement, cette prétendue défaillance a toujours été tolérée.
Au regard de ces éléments, s'il est compréhensible que la société ait cherché à limiter l'existence de comptes fournisseurs débiteurs pour les raisons qu'elle évoque, il ressort de la pièce 3.14 correspondant au grand livre auxiliaire qu'une telle pratique de passage par les pertes et profits avait eu lieu à l'occasion de la clôture des comptes le 30 septembre 2016 pour le compte " 401000 - Fournisseurs " et pour le compte " 401700 - Fournisseurs retenue garantie " ; qu'en outre, a été passée pour chacun de ces comptes, le 30 septembre 2017, une écriture de régularisation " solde FRS + 5 ans " permettant de la régulariser. Au 30 septembre 2018, seule une écriture de " PP " concernant le compte " 401700 - Fournisseurs retenue garantie " a été passée, pour un montant de 11 655,97 euros.
Par ailleurs, le montant de 60 000 euros évoqué par les sociétés demanderesses figurant dans la colonne débit du grand livre correspond aux sommes portées au débit cumulé de ces deux comptes pour la période courant du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2019 (précisément 59 596,69 euros). Cependant, mentionner cette seule somme revient à faire abstraction de la période de référence comme du fait que le compte " 401000 - Fournisseurs " était à l'équilibre depuis le 30 septembre 2017 ; qu'en outre, si le compte " 401700 - Fournisseurs retenue garantie " était débiteur au 30 septembre 2018, la somme correspondant s'élève en réalité à 11 655,97 euros, soit près de six fois moins que " la perte prévisible de 60 000 euros sur l'exercice 2019 " reproché à la salariée dans les écritures des sociétés appelantes.
Au surplus, sauf à considérer que l'employeur n'ait pas contrôlé les comptes précités postérieurement aux clôtures des années 2016 et 2017, il n'est pas justifié que les écritures " PP " et de régularisation pour ces années aient engendré de reproches à la salariée.
Enfin, le fait que ce passage en " pertes et profits " à la clôture du 30 septembre 2018 corresponde à des erreurs de la salariée dans les écritures comptables n'est étayé par aucun élément, alors que les causes ayant pu générer de telles écritures sont nombreuses et peuvent ne pas lui être imputables (ex : rabais commerciaux, erreurs dans les factures originelles, etc).
C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a considéré que l'employeur n'apportait pas d'éléments objectifs, précis et vérifiables permettant de démontrer la défaillance professionnelle de la salariée sur ce point.
***
Il résulte de l'ensemble de ces développements que seuls ont été retenus comme matériellement établis et imputables à la salariée le retard dans le paiement de la société Moulaire, et l'absence de mise en place du classeur destiné au contrôle des factures proforma entre novembre 2018 et mai 2019.
Dans la mesure où il a été considéré que la quasi-totalité des retards de paiement allégués par les sociétés appelantes ne pouvaient être imputés avec certitude à la salariée, celui concernant la société Moulaire apparaît isolé.
S'agissant du deuxième manquement établi, il traduit un manque de rigueur qui constitue indubitablement une défaillance sérieuse imputable à la salariée dans l'exécution d'une tâche se situant au c'ur de ses fonctions de comptable, d'autant plus importante que la société traversait une situation financière délicate. L'absence de préjudice qui en résulte ne peut en atténuer la portée, au regard du risque encouru par la société du fait du manque de contrôle des sommes avancées.
Cependant, l'insuffisance professionnelle s'apprécie en fonction de la formation et de l'accompagnement dont le salarié a bénéficié dans l'exercice de ses fonctions. Or, il a été vu précédemment que Mme [E] n'a bénéficié d'aucune formation depuis sa prise de fonctions en qualité de comptable en 2007, soit plus de 11 ans avant son licenciement, et ce alors même que l'employeur pointait ses difficultés dans le courrier d'avertissement du 26 mars 2018. Or, contrairement à ce que soutiennent les sociétés appelantes, il ne peut être considéré qu'une formation était inutile s'agissant de défaillances tenant à l'organisation et au manque de rigueur personnelle de la salariée : une telle formation aurait au contraire pu lui fournir des outils pour permettre davantage d'autocontrôle, et de meilleures méthodes professionnelles.
Au surplus, l'accompagnement de la salariée à hauteur d'une réunion hebdomadaire avec sa supérieure n'est pas démontré : si l'existence de telles réunions n'est pas contestée, il n'est produit aucune instruction ou compte-rendu qui auraient pu en découler, alors, là encore, que des difficultés avaient été précédemment relevées. Dès lors, aucun véritable accompagnement de la salariée n'est démontré.
L'ensemble de ces développements conduit à considérer que l'insuffisance professionnelle fondant le licenciement de Mme [E] n'est pas établie ; qu'il se trouve en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
II.C - Sur la demande de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Soulevant l'inopposabilité du barème de l'article L. 1235-3 du code du travail, la salariée sollicite à titre principal la somme de 29 844,4 euros nets, et à titre subsidiaire, la somme de 20 144,97 euros nets, ou à titre infiniment subsidiaire, de confirmer le jugement entrepris qui a fixé à 12 000 euros le montant des dommages et intérêts. Elle précise avoir deux enfants à charge.
Les sociétés appelantes sollicitent pour leur part l'application du barème légal, et la réduction du montant des dommages et intérêts au minimum prévu, au motif que la salariée ne justifie pas d'un préjudice, et que, moins d'un mois après son licenciement, elle avait retrouvé un emploi.
Sur ce,
La salariée ne précise pas le fondement juridique de sa contestation du barème prévu à l'article L. 1235-3.
Il est rappelé en tant que de besoin que ses dispositions ont été jugées non contraires à l'article 10 de la Convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT), et qu'elles permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, tout en assurant le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur (Cass Soc 11 mai 2022, 21-14.490) ; que, conformément à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, le juge ne peut s'écarter du barème fixé par l'article L. 1235-3 du code du travail, même lorsque l'indemnisation paraît insuffisante au regard de la situation du salarié (Cass Soc 7 mai 2024, n°22-24.594).
Partant, la salariée, qui justifie de 16 ans d'ancienneté, peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 13,5 mois de salaire bruts. Aux termes des bulletins de salaire produits, son salaire brut mensuel s'établit à 1 492,22 euros.
La salariée justifie de ce qu'elle est mère de deux enfants ; elle établit en outre que les contrats de travail qu'elle a retrouvés par la suite ont été des contrats d'intérim pour la fin de l'année 2019, puis un contrat à durée déterminée à compter d'octobre 2020 dans le cadre d'un remplacement d'arrêt maladie, prolongé en avril 2021. Ainsi, si elle a rapidement retrouvé des emplois, ceux-ci sont empreints de précarité.
Aussi, au regard de ces éléments, des circonstances de la rupture, de l'âge de l'intéressée au moment du licenciement (presque 37 ans), de son ancienneté importante, il convient de fixer à 18 000 euros l'indemnité mise à la charge de l'employeur au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, cette somme étant fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu.
Le jugement entrepris sera réformé sur ce point.
III - Sur les autres demandes.
III.A - Sur les demandes au titre du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi.
Aux termes de l'article L. 1234-19 du code du travail, l'employeur doit délivrer un certificat de travail au salarié, à l'expiration de son contrat de travail.
L'article D. 1234-6 du même code prévoit que " le certificat de travail contient exclusivement les mentions suivantes :
1° La date d'entrée du salarié et celle de sa sortie ;
2° La nature de l'emploi ou des emplois successivement occupés et les périodes pendant lesquelles ces emplois ont été tenus ".
L'article R. 1234-9 du même code prévoit que l'employeur délivre, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à l'opérateur France Travail.
S'agissant du certificat de travail, application de l'article D. 1234-6 précité, seule la date d'entrée du salarié au sein de la société employeur doit figurer sur le certificat de travail, et non la date correspondant à une éventuelle reprise d'ancienneté. Ce texte a un caractère limitatif.
De même, l'article R. 1234-9 ne prévoit pas la mention de la reprise d'ancienneté ; au surplus, la salariée ne justifie pas que celle qui lui a été remise était erronée.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a enjoint à l'employeur de remettre à la salariée une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conforme.
II.B - Sur les frais irrépétibles et dépens.
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens.
Succombant à l'instance, les sociétés appelantes seront déboutées de leurs demandes relatives aux frais irrépétibles et dépens d'appel.
L'équité commande de fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles. Les dépens y seront également fixés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile,
Dans la limite de la dévolution,
Infirme le jugement rendu le 12 avril 2022 dans le litige opposant Mme [E] à la société Paralu en ce qu'il a :
- Condamné la société Paralu à payer à Mme [E] les sommes suivantes :
o 1 452 euros à titre de manquement à l'obligation de formation ;
o 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamné la société Paralu à remettre sans astreinte une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conforme ;
- Débouté Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts au titre l'avertissement disciplinaire injustifié du 26mars 2018 ;
Confirme ledit jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau dans la limite de l'infirmation,
Vu le jugement de liquidation judiciaire de la société Paralu intervenu le 22 novembre 2022;
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu les sommes suivantes, au profit de Mme [E] :
- 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de formation et d'adaptation ;
- 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par l'avertissement disciplinaire injustifié du 26 mars 2018 ;
- 18 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Y ajoutant,
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu, au profit de Mme [E], la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
Déclare le présent arrêt commun et opposable à l'AGS CGEA de [Localité 8] ;
Rejette les autres demandes ;
Fixe les entiers dépens d'appel au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
RAPPORTEUR
N° RG 22/03087 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OIOF
S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE
Société [Y]
S.A.S. PARALU
C/
[E]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 12 Avril 2022
RG : 19/02482
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2025
APPELANTES :
Société MJ SYNERGIE représentée par Me [X] [NA] ou Me [O] [N], ès qualités de liquidateurs judiciaires de la société PARALU
intervenant volontairement
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Mélanie SCHLITTER de la SELARL ADJERAD AVOCATS, avocat au barreau de LYON
Société [Y] représentée par Me [D] [Y], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société PARALU
intervenant volontairement
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 5]
représentée par Me Mélanie SCHLITTER de la SELARL ADJERAD AVOCATS, avocat au barreau de LYON
Société PARALU
RCS DE LYON 302 044 557
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Myriam ADJERAD de la SELARL ADJERAD AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[U] [E]
née le 08 Octobre 1982 à [Localité 11]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
Ayant pour avocat plaidant Me Magali BENOIT de l'AARPI ARCANNE, avocat au même barreau
Association AGS CGEA DE [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 8]
non représentée
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Avril 2025
Présidée par Antoine-Pierre D'USSEL, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Catherine MAILHES, présidente
- Anne BRUNNER, conseillère
- Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 10 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
EXPOSE DU LITIGE :
La société Paralu (ci-après la société, ou l'employeur) était spécialisée dans la réalisation de façades métalliques et dans la fabrication de menuiseries et garde-corps aluminium.
Mme [E] (ci-après la salariée) a été engagée par la société en qualité d'aide secrétaire, par contrat à durée indéterminée du 13 janvier 2003 renvoyant à l'application de la convention collective nationale des ETAM du bâtiment.
Par un avenant du 1er mars 2004, la salariée a pris le poste de comptable analytique sur le site de [Localité 9]. Le 4 mai 2007, la salariée a été promue au poste de comptable fournisseurs. A compter du 8 mai 2012, le contrat de travail a été rompu et la salariée a travaillé pour d'autres sociétés du groupe.
Un nouveau contrat à durée indéterminée a été signé le 1er décembre 2013 pour un poste de comptable fournisseur au sein de la société Paralu.
A compter du 25 mai 2016, la salariée a bénéficié d'un congé parental à temps plein, qui a évolué en congé parental à 80 % à compter du 29 août 2016, successivement renouvelé jusqu'au 29 août 2019.
Le 26 mars 2018, un avertissement a été notifié à la salariée au motif d'une insuffisance dans le classement de dossiers, entrainant des pertes de productivité. Le 18 février 2019, une mise à pied a été notifiée à la salariée pour une erreur relative à une double saisie de virements et dissimulation ainsi que la non-saisie d'un virement alors que la facture avait été archivée comme réglée.
Le 25 juin 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour le 4 juillet suivant.
Par lettre remise en main propre contre décharge du 11 juillet 2019, la société lui a notifié son licenciement pour insuffisance professionnelle en ces termes : " (') A diverses reprises nous avons attiré votre attention sur votre comportement fautif, c'est pourquoi nous vous avons convoquée à un entretien, qui s'est tenu le 04 juillet 2019 en nos bureaux, afin de recueillir vos explications.
Lors de cet entretien, qui a débuté à 15h03 et pris fin à 15h43, était présent M. [I] [G], votre responsable hiérarchique en qualité de R.A.F de l'entreprise et Mme [V] en qualité de RH.
Vous n'avez pas souhaité vous faire assister par un représentant du personnel ou un salarié de l'entreprise.
L'entretien du 04 Juillet 2019 a débuté en rappelant que vous occupez un poste de comptable fournisseur de l'entreprise depuis 14 ans. Nous vous avons précisé également votre comportement fautif antérieur ayant nécessité un entretien réalisé le 13 février 2019 en raison d'une attitude inappropriée dans votre travail. Les faits reprochés étant les suivants: double signature de virement au DAF groupe sans l'avertir de votre erreur sur la saisie des règlements et manque de rigueur dans le traitement des factures fournisseurs. Ces faits nous ont conduit à vous sanctionner d'une mise à pied que vous n'avez pas contesté.
En conséquence de quoi, nous attendions de votre part un changement dans votre comportement professionnel, or les faits reprochés ci-dessous sont inexplicables et inexcusables au vu de votre expérience professionnelle.
1/ Vous connaissez les difficultés financières de l'entreprise et les tensions de trésorerie que cela implique. Pourtant alors que des accords sont mis en place avec nos fournisseurs stratégiques (notamment SILAC, Moulaire, Levrat etc. ... ) vous avez, à de multiples reprises, oublié de transmettre les avis de virements avec les décalages négociés.
L'impact direct de ce comportement pour notre société est un blocage des comptes fournisseurs, et dans la suite logique du process des retards de livraisons et des retards dans la production de l'entreprise.
De plus, cet oubli engendre des appels de la part des fournisseurs auprès du directeur industriel, du DAF groupe voir du PDG du groupe pour remettre en cause les accords. Cet état de fait serait dramatique pour la gestion de la trésorerie de l'entreprise. Vous avez validé les reproches et reconnu qu'il s'agissait d'oublis.
2/ Nous sommes soumis par nos fournisseurs d'aluminium à payer dès la commande via des proformas du fait de l'absence de couverture par les assureurs crédit.
En novembre 2018, votre responsable vous a demandé de mettre en place un classeur permettant de suivre les évolutions des avances faites à nos fournisseurs.
Le but étant d'éviter d'avoir de trop grosses sommes d'argent dehors sans avoir reçu les factures correspondantes et afin de faire les régularisations au fur et à mesure des commandes.
Pourtant, un point a été demandé par le directeur industriel en mai 2019 et nous avons à déplorer la somme d'environ 70 K€ pour le seul fournisseur Exlabesa.
Aucun rapprochement avec les factures et aucun ajustement avec les nouvelles proformas n'a été réalisé entre novembre 2018 et mai 2019, Vous avez continué à demander le règlement des proformas sans faire le point avec votre interlocuteur comptable de notre fournisseur pour éviter les dérives financières et ça, en toute connaissance des tensions de trésorerie de l'entreprise. Vous avez validé les faits et reconnu votre manquement sur le sujet. Vous avez réussi à régler le problème et réguler l'en-cours en deux jours.
3/ Lors d'un contrôle sur ses prévisions de trésorerie hebdomadaire, monsieur [I], R.A.F de l'entreprise, s'est aperçu que l'ensemble des règlements fournisseurs prévu dans le fichier de règlement de la semaine n'était pas passé en banque.
C'est pourquoi, il a demandé à votre responsable de la comptabilité fournisseur, Madame [VU] [P], de faire une vérification entre le fichier signé et les règlements réellement faits.
Un écart d'environ 20 K€ de règlements non faits est apparu.
Alors que vos responsables font le nécessaire pour vous transmettre une liste de règlement à réaliser, votre manque de rigueur occasionne un dysfonctionnement sur le suivi de cette liste. Sans contrôle de vos supérieurs, nous aurions continué d'accentuer les tensions que nous avons avec nos fournisseurs alors que les virements été validés et les fonds disponibles.
Vous avez reconnu l'oubli sans plus d'explication ou justification.
4/ Un ex salarié de l'entreprise vous a transmis sa facture de télépéage (environ 400€) afin de pouvoir obtenir le remboursement et ainsi solder définitivement les comptes avec l'entreprise qu'il a quitté fin mai 2019
Vous n'avez pas pris le temps de traiter sa demande et comme vous étiez le mercredi soir, plutôt que de transmettre la facture à votre responsable, vous avez volontairement mis cette facture dans votre tiroir afin de la traiter la semaine suivante. Le salarié a relancé durant votre absence car il était en attente des 400 € lui permettant de combler le prélèvement sur son compte personnel.
Par conséquent M. [I] s'est permis de regarder dans le tiroir de votre bureau pour retrouver ladite facture et ainsi procéder au remboursement de l'ex salarié.
Vous avez reconnu que vous aviez prévu de traiter le règlement à votre retour de WE et que vous n'avez pas pensé à l'impact financier que ce comportement pouvait avoir pour votre ancien collègue.
5/ Votre responsable, lorsqu'il a dû regarder dans votre tiroir suite au cas exposé ci-dessus, a trouvé plusieurs tas de document empilés dans votre tiroir.
- Des factures datées de 2018 (une dizaine de facture) non classées dans les pochettes prévues ou non détruites s'il s'agit de doublon.
- Une pochette remplie de factures transmise par le service achats/appro datant de plus d'un mois, en attente de retour de votre part
- Une pochette remplie de factures validées par le service achats/appro que vous deviez analyser pour la situation comptable au 31 mai 2019
Concernant cette dernière, vous avez délibérément mis cette pochette dans votre tiroir afin de vous en occuper lors de votre retour de congés, soit la semaine suivante. Cela sans prévenir votre responsable de la comptabilité fournisseur, Mme [VU], et sans prendre en compte que les deux jours de traitement perdus pourraient avoir un impact sur le délai de traitement de la situation comptable faites par le R.A.[F]
Pour ces éléments vous avez reconnu votre erreur en indiquant que vous n'aviez rien d'autre à ajouter.
6/ Lors du contrôle des comptes fournisseurs pour la situation comptable du 31 mai 2019, M. [I], le R.A.F de l'entreprise s'est aperçu qu'il y avait des comptes fournisseurs " Débiteurs ". Ce qui n'est pas logique en comptabilité.
Après analyse des comptes fournisseurs, il a pu constater que des écritures de " pertes et profits " faites lors de la clôture des comptes au 30 septembre 2018 avaient été faites à tort.
L'impact est d'environ 60 K€ en gain sur l'exercice comptable précédent, et sera donc une perte de la même somme sur l'exercice 2019.
Cette erreur a été rendue possible par le fait que vous n'appliquez pas les règles comptables de lettrage des comptes dit " de bilan ".
En effet, en effectuant cette tâche, vous auriez immédiatement corrigé votre erreur.
Seulement vous n'avez jamais eu cette bonne pratique dans votre travail.
Vous avez reconnu votre erreur et le fait de ne pas avoir cette pratique dans votre travail quotidien.
Au vu des faits exposés ci-dessus et des avertissements de travail que vous avez eu précédemment, nous sommes dans le regret de vous notifier votre licenciement pour insuffisance professionnelle.
Conformément aux dispositions conventionnelles, vous disposez d'un préavis de deux mois.
L'entreprise vous dispense d'effectuer votre préavis qui débute le 12 Juillet 2019 et se termine le 11 septembre 2019, date à laquelle vous quitterez les effectifs de l'entreprise. Votre salaire continuera de vous être versé durant cette période. Nous vous informons qu'à compter de ce Jeudi 11 Juillet à 17h30 vous n'êtes plus soumise à votre obligation de vous rendre dans les locaux de la société (') ".
Par requête reçue le 27 septembre 2019, la salariée, contestant son licenciement, a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon, aux fins de voir dire et juger que la sanction disciplinaire notifiée est infondée, que l'employeur a manqué à son obligation de formation et d'adaptation, que le licenciement est sans cause réelle ni sérieuse. Elle sollicite en conséquence la condamnation de la société à lui verser des dommages et intérêts au titre de la réparation de son préjudice subi du fait de l'absence de formation et d'adaptation (7 000 euros), une indemnité au titre de rappel de salaire sur mise à pied (93,24 euros bruts outre les 9,32 euros au titre des congés payés afférents) une indemnité au titre du caractère infondé de la sanction disciplinaire (3000 euros nets), des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (29 844,40 euros nets à titre principal le barème de l'article L. 1235-3 du code du travail étant écarté, et, à titre subsidiaire, 20 144,97 euros en application du barème); ordonner la remise du certificat de travail rectifié sous astreinte, et voir l'employeur condamner à lui payer une indemnité de procédure (2 500 euros), outre l'exécution provisoire de la décision.
Par jugement du 12 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Lyon a :
- Dit que le licenciement de la salariée pour insuffisance professionnelle n'est pas démontré ;
- Condamné la société à lui payer les sommes suivantes :
o 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 1 452 euros à titre de manquement à l'obligation de formation ;
o 1 300 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 3 mois ;
- Fixé le salaire de la salariée à 1 492,22 euros brut mensuel ;
- Condamné la société à remettre sans astreinte une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes ;
- Condamné la société aux dépens de la présente instance ;
- Dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire pour le présent jugement au-delà de celle de droit ;
- Débouté la salariée de ses demandes plus amples et complémentaires ;
- Débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 28 avril 2022, la société Paralu a interjeté appel de ce jugement et demandé son infirmation en ce qu'il :
- A dit que le licenciement pour insuffisance professionnelle n'est pas démontré ;
- L'a condamnée à payer à la salariée les sommes suivantes :
o 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
o 1 452 euros à titre de manquement à l'obligation de formation,
o 1 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- L'a condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 3 mois ;
- Fixé le salaire de la salariée à 1 492,22 euros bruts mensuels ;
- L'a condamnée à remettre sans astreinte une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conforme ;
- L'a condamnée aux dépens de la présente instance et l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 5 juillet 2022, le tribunal de commerce de Lyon a constaté l'état de cessation des paiements et prononcé l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Paralu et nommé en qualité de mandataires judiciaires la SELARL MJ Synergie et la SELARL [Y].
Par acte d'huissier du 14 octobre 2022, la salariée a procédé à l'assignation en intervention forcée de l'AGS CGEA de [Localité 8].
Par jugement du 22 novembre 2022, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Paralu et nommé la SELARL MJ Synergie et la SELARL [Y] en qualité de liquidateurs judiciaires.
Aux termes des dernières conclusions de leur avocat remises au greffe de la cour le 23 décembre 2022, la société Paralu ainsi que les SERARL MJ Synergie et [Y], ès qualités de liquidateurs judiciaires de la société précitée demandent à la cour de :
1°) Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 12 avril 2022 en ce qu'il a :
- Dit que le licenciement de Mme [E] pour insuffisance professionnelle n'est pas démontré ;
- Condamné la société Paralu à payer à Mme [E] les sommes suivantes :
o 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 1 452 euros à titre de manquement à l'obligation de formation ;
o 1 300 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Paralu à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [E] du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 3 mois ;
- Fixé le salaire de Mme [E] à 1 492,22 euros bruts mensuels ;
- Condamné la société Paralu à remettre, sans astreinte, une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail conformes ;
- Condamné la société Paralu aux dépens de l'instance ;
- Débouté la société Paralu de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
2°) Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 12 avril 2022 pour le surplus ;
3°) Statuant à nouveau,
A titre principal,
- Débouter Mme [E] de l'intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- Réduire le montant de la condamnation éventuellement prononcée au titre du licenciement au minimum du barème fixé aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail;
- Réduire au minimum selon le préjudice démontré par Mme [E] le montant des éventuelles condamnations prononcées à l'encontre de la société Paralu sur les autres chefs de demandes ;
En tout état de cause,
- Condamner Mme [E] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.
Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 10 octobre 2022, la salariée, ayant fait appel incident de ce jugement, demande à la cour de :
1°) Confirmer en son principe le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Lyon en ce qu'il a :
- Jugé que l'employeur a manqué à son obligation de formation et d'adaptation ;
- Jugé que le licenciement était sans cause réelle ni sérieuse ;
2°) Infirmer le jugement en ce qu'il :
- L'a déboutée de sa demande relative à l'annulation de la sanction disciplinaire ;
- A condamné la société Paralu à lui payer les sommes de :
o 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 1 452 euros à titre de manquement à l'obligation de formation ;
- L'a déboutée de ses demandes plus amples et complémentaires ;
3°) En conséquence, il est demandé à la cour d'appel de Lyon de :
A titre principal,
- fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu :
o 7 000 euros nets en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de formation et d'adaptation ;
o 93,24 euros bruts, outre 9,32 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salarie sur mise à pied ;
o 3 000 euros nets pour sanctions disciplinaires infondées ;
- Sur le licenciement :
o A titre principal, si le barème est écarté, 20 mois de salaire pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse soit 29 844,4 euros nets ;
o A titre subsidiaire, 13,5 mois de salaire correspondant au plafond du barème soit 20 144,97 euros nets ;
- Ordonner la rectification du certificat de travail sous astreinte de 30 euros par jour de retard sous huitaine à compter du prononcé de la décision ;
- Condamner la société Paralu à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la défenderesse aux dépens ;
- Débouter la société Paralu de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire,
- Confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions dans son principe, et dans son quantum ;
- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu :
o 1 452 euros nets en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de formation et d'adaptation ;
o 12 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
o 1 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
En toutes hypothèses,
- dire et juger le jugement opposable aux AGS CGEA.
L'AGS-CGEA de [Localité 8] n'a pas constitué avocat.
La clôture des débats a été ordonnée le 27 février 2025 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 7 avril 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les " demandes " tendant à voir " constater " ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des " demandes " tendant à voir " dire et juger " lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
I - Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail.
I.A - Sur la demande relative à l'obligation de formation et d'adaptation.
Les sociétés intimées contestent la condamnation de l'employeur sur ce fondement par le conseil de prud'hommes, en faisant valoir :
- Que la salariée a bénéficié d'une formation en comptabilité dans le cadre de son changement de fonction en 2007 ; que les règles comptables n'ont pas évolué, de sorte qu'aucune adaptation ni formation complémentaire n'était nécessaire sur ce point ;
- Que la salariée n'a jamais demandé à user de son droit individuel à la formation ou de mettre en 'uvre son compte personnel de formation ;
- Que, contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, l'intéressée ne devait pas suivre de formation fin 2019 ; qu'en outre, elle ne justifie d'aucun préjudice à ce titre.
Au soutien de sa demande, la salariée fait observer qu'elle n'a bénéficié d'aucune formation depuis celle ayant suivi son entrée en fonctions, en 2007, et jusqu'à son licenciement, en 2019 ; qu'elle en a formé la demande lors de son entretien annuel du 7 mars 2019, laquelle lui a été promise d'ici la fin de l'année, en vain ; qu'elle n'a pas non plus bénéficié d'un plan d'accompagnement, alors qu'il lui est reproché une insuffisance professionnelle ; que l'argument tiré de la non-utilisation par ses soins de son droit individuel à formation est inopérant.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 6321-1 dans sa rédaction issue de la loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 applicable au litige, " l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations (') ".
En application de ce texte, il a été jugé que l'absence totale ou l'insuffisance de formation sur une longue période constitue un manquement à l'obligation de formation, même si le salarié n'a pas explicitement formulé de demande de formation (Cass. soc., 8 juillet 2020, n°19-12105) ; que, par ailleurs, la réparation résultant du non-respect par l'employeur de son obligation de formation exige la preuve d'un préjudice (Cass Soc 3 mai 2018, n°16-26.796).
En l'occurrence, il est constant que la salariée a bénéficié d'une formation lors de son changement de fonction en 2007 ; qu'aux termes d'une lettre du 26 mars 2018, l'employeur a notifié à la salarié un avertissement en raison de dysfonctionnements qu'il a liés à une insuffisance professionnelle (dont : dysfonctionnements dans le classement et l'organisation personnels, retards et perte de productivité, révision des comptes fournisseurs insuffisante et trop irrégulière, incohérences dans le traitement des comptes fournisseurs débiteurs, absence de mise en place d'outils adaptés, insuffisance des retours aux autres services, insuffisance dans la communication, etc) ;
qu'il résulte par ailleurs de la lettre du 18 février 2019 portant mise à pied disciplinaire que lui ont encore été reprochés, notamment, des erreurs.
Par ailleurs, comme le relèvent les appelantes, il n'est pas justifié de ce que la salariée a sollicité une formation en mars 2019, ni de l'accord de l'employeur pour la mettre en place.
Ainsi, en mars 2018, l'employeur a relevé à des difficultés d'organisation personnelle et des insuffisances professionnelles de la salariée. Dès lors, il ne peut être considéré que la seule formation de changement de fonction, reçue environ 11 ans plus tôt, soit suffisante pour assurer l'adaptation de la salariée à son poste, tant en termes fonctionnels qu'organisationnels, alors qu'une formation dédiée sur ce plan pouvait être envisagée pour l'accompagner.
Son préjudice moral, alors qu'elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle, est établi, sans qu'il puisse lui être opposé de n'avoir pas elle-même actionné son droit individuel à la formation.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur le principe de la condamnation de l'employeur sur ce fondement. Au regard de la procédure de liquidation judiciaire en cours, sera fixée au passif de celle-ci la somme de 1 500 euros en réparation du manquement ainsi caractérisé.
I.B - Sur la contestation des sanctions disciplinaires.
Au soutien de ses demandes tendant d'une part au rappel de salaire correspondant à la journée de mise à pied disciplinaire dont elle a fait l'objet, et d'autre part, aux dommages et intérêts réclamés au titre des sanctions infondées, la salariée fait valoir qu'alors qu'elle n'avait jamais fait l'objet d'un quelconque reproche, elle a subi en mars 2018 et février 2019 un avertissement puis une mise à pied disciplinaire dans un contexte de changement du directeur général et du responsable administratif et financier, et de dégradation de la situation financière de la société.
Elle relève que l'employeur ne verse aucune pièce à l'appui de l'avertissement du 26 mars 2018, dont elle conteste le bien fondé.
S'agissant de la mise à pied disciplinaire du 31 janvier 2019, elle conteste avoir caché sciemment une erreur de saisie, ainsi que toute faute et tout préjudice en résultant pour la société. Elle fait également sommation aux appelantes de communiquer l'enquête diligentée qui attesterait de son manquement.
Pour leur part, les sociétés appelantes sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes, et font valoir que l'avertissement notifié le 26 mars 2018 est antérieur au changement de direction de la société, et que la mise à pied disciplinaire est parfaitement justifiée, indépendamment de l'absence de préjudice qui en est résulté pour elle.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 1333-1 du code du travail, " en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.
L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ".
L'article L. 1333-2 du même code dispose que " le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise ".
***
1 - En premier lieu, il est relevé que les sociétés appelantes ne produisent aucun document pour justifier des griefs contenus dans l'avertissement du 26 mars 2018 qui consistent en :
- Une forte insuffisance dans le classement, tant des dossiers courants que des dossiers figurant dans la salle des archives, générant un certain nombre de dysfonctionnements ;
- De nombreux retards et pertes de productivité dans les mesures en paiement des fournisseurs par rapport aux instructions données, en raison des " pertes " de factures ou factures proforma ou BAP en raison du déficit de classement et/ou d'organisation de travail, engendrant des impacts en chaîne sur les services liés et des pertes de temps dans le traitement des dossiers ;
- Des relances tardives ;
- Une révision des comptes fournisseurs insuffisante et trop irrégulière, certains comptes n'étant pas à jour (comptes débiteurs anormaux, problèmes de lettrages partiels, problèmes de factures non comptabilisées') ;
- Une insuffisance dans le traitement des comptes fournisseurs débiteurs, avec des incohérences résultant de l'absence de comptabilisation de factures ;
- Un non-respect systématique des consignes (ex : non-respect d'une consigne de payer 450 K€ de dettes fournisseurs dans la semaine : seuls 250 K€ ont été payés, sans information de la hiérarchie) ;
- L'absence de mise en place d'un outil lui permettant d'y voir plus clair dans les demandes de factures proforma qui lui sont faites, de disposer d'une liste exhaustive de ces demandes, et d'y répondre dans un délai raisonnable ;
- Des retours très insuffisants aux services achats ou agence sur ce qui est mis en paiement, ce qui gêne le pilotage de leurs relations avec les fournisseurs ;
- Une insuffisance des alertes à sa hiérarchie sur les tensions rencontrées avec certains fournisseurs, pour optimiser la relation avec eux ;
- Une insuffisance d'information à la hiérarchie sur ce qui est fait / pas fait par rapport aux demandes formées par celle-ci, notamment au moment des arrêts pour congés, ce qui rend difficile le relais ou le traitement des priorités pendant ses absences.
Il s'ensuit que si la plupart des griefs ainsi énoncés ont trait à une insuffisance professionnelle, celui tenant au non-respect systématique des consignes renvoie à une faute de la salariée ; qu'il revenait à l'employeur de l'étayer pour justifier de la sanction prononcée, conformément aux textes précités, sans que puisse être opposée à la salariée son absence de contestation antérieure.
En l'absence de tels éléments probatoires, l'avertissement notifié le 26 mars 2018 doit être déclaré mal fondé. Le jugement entrepris sera réformé sur ce point.
2 - Ensuite, la mise à pied disciplinaire notifiée le 18 février 2019 est ainsi motivée : " nous avons eu à déplorer de votre part une conduite fautive ('). En effet, les faits suivants vous sont reprochés :
1°) Le 24 janvier 2019, demande de votre part, en urgence, de signature de virements de paiements de pro forma à des fournisseurs. Erreur d'une double saisie de virement pour un fournisseur, cachée volontairement lors de la signature auprès du directeur administratif et financier, M. [Z] [M]. Post signature électronique du DAF, demande de votre part auprès de la responsable comptable fournisseurs, Mme [VU] [P], de suppression du virement, alors que la suppression du virement aurait pu être faite, par vos soins, en amont de la signature sur le site Exabanque.
Vous avez caché sciemment une erreur de saisie, vous n'avez alerté aucun supérieur hiérarchique. Par cet acte, vous avez mis en danger les finances de l'entreprise, vous avez engagé la responsabilité du DAF pour cacher votre erreur.
2°) Réception d'une relance fournisseurs pour non-paiement de l'échéance. Investigations par nos soins, car vous étiez absente de votre poste (congés). Après investigation, il s'avère que le virement n'a jamais été saisi alors que la facture a été archivée comme réglée.
Cette erreur démontre un manque de vigilance, de rigueur dans l'exécution des missions qui incombent à votre poste. Un autocontrôle aurait dû vous alerter sur cette erreur.
Lors de l'entretien qui s'est tenu le 13 février 2019, auquel vous ne vous êtes pas fait assister, vous avez reconnu les faits et les explications que vous nous avez fournies n'ont pas modifié notre appréciation.
Votre conduite est inacceptable et compromet gravement la bonne marche de l'entreprise.
Nous avons le regret de vous informer que nous vous sanctionnons en prononçant une mise à pied disciplinaire d'un jour à votre encontre. Celle-ci sera effective le mardi 26 février 2019.
Cette mise à pied entraîne la suspension de votre contrat de travail. Vous serez donc dispensée de travailler et une retenue de salaire correspondant à la journée non travaillée sera appliquée sur votre paye du mois de mars 2019.
Nous espérons vivement que vous saurez tenir compte de cette sanction. En effet, à défaut et si de tels incidents venaient à se reproduire, nous pourrions être amenés à envisager à votre égard une sanction pouvant aller jusqu'à la rupture de votre contrat de travail (') ".
Pour justifier de la matérialité du premier grief ci-dessus énoncé, les sociétés appelantes produisent des captures d'écran du logiciel comptable relatif au double virement ainsi qu'un échange de courriels du 25 janvier 2019 entre M. [Z], directeur administratif et financier, et M. [I], responsable administratif et financier, aux termes duquel celui-ci s'étonne d'avoir dû signer en urgence, à la demande de Mme [E], deux virements pour la société cliente Mevaco de 12 324 euros et 8 724 euros et sollicite une vérification ; M. [I] lui confirme l'erreur concernant le virement de 12 324 euros et précise " [U] avait conscience de son erreur puisqu'elle a demandé à [P] et [T] de supprimer le virement après ta signature électronique. Il s'agit d'une erreur inexplicable, sachant qu'elle a la main sur Exabanque pour supprimer le virement ".
Ainsi, s'il est établi que Mme [E] avait alerté sa supérieure Mme [VU], de son erreur, elle ne conteste pas ne pas avoir supprimé le virement avant la signature du directeur administratif et financier, ni avoir eu la possibilité de le faire. Elle n'apporte aucune explication à son abstention. Dans ces conditions, il ne peut qu'être considéré qu'elle a pris en toute connaissance de cause le risque d'un décaissement indu de plus de 12 000 euros, alors que la situation financière de la société était dégradée, ce qui lui avait rappelé dans le courrier d'avertissement du 26 mars 2018.
Dès lors, malgré l'annulation effective du virement erroné, le manquement de la salariée à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail est établi.
S'agissant en revanche du second grief contenu dans le courrier du 18 février 2019, il n'est pas étayé et sera donc considéré comme n'étant matériellement pas établi.
Au vu de l'importance du premier grief dans le contexte financier délicat traversé par la société, et du comportement de l'intéressée qui caractérise une atteinte manifeste et substantielle à son obligation d'exécution de bonne foi de ses fonctions de comptable, la sanction de mise à pied disciplinaire à hauteur d'une journée est justifiée et proportionnée.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de rappel de salaire et d'indemnisation afférentes.
***
En conclusion, le préjudice moral résultant du caractère injustifié de l'avertissement délivré le 26 mars 2018 sera intégralement indemnisé par l'octroi d'une somme de 500 euros.
Cette somme sera fixée au passif de la liquidation judiciaire, le jugement étant réformé sur ce point.
II - Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail.
II.A - Sur la contestation de la régularité du licenciement.
La salariée conteste en premier lieu la régularité de la procédure de licenciement dont elle a fait l'objet en relevant que la lettre de licenciement a été signée par M. [Z], directeur administratif et financier du groupe, lequel ne justifie pas avoir eu pouvoir pour le faire.
En réponse, les sociétés appelantes font valoir que M. [Z] disposait d'une délégation de pouvoir adéquate, et que sa fonction impliquait qu'il puisse licencier l'intéressée, la décision ayant au surplus été ratifiée par la société.
Sur ce,
L'article L. 1232-6 du code du travail dispose que la procédure de licenciement est menée par " l'employeur ".
Sur le fondement de ce texte, il a notamment été jugé que le directeur des ressources humaines de la société mère du groupe pouvait recevoir mandat pour procéder au licenciement d'un salarié d'une filiale (Cass Soc 23 novembre 2009 n°07-44.200), ou le directeur financier d'une société propriétaire de 100 % des actions de la société employeur (Cass Soc 30 juin 2015, n°13-28.146).
En l'occurrence, la lettre de licenciement notifiée le 11 juillet 2019 a été signée par M. [M] [Z], directeur administratif et financier du groupe. Or, est produite une délégation de pouvoirs du 8 mars 2018, aux termes desquels M. [B], président du groupe Coralu - Coralu SAS dont il n'est pas contesté que la société Paralu ait fait partie, donne pouvoir à M. [Z] notamment de " signer tout courrier relevant d'une procédure de licenciement (de la convocation à l'entretien préalable à la signature des documents de solde de tout compte), pour tout motif (faute, inaptitude, insuffisance professionnelle, insuffisance de résultat, économique, etc) (') pour l'ensemble des sociétés composant le groupe Coralu".
Il est ainsi démontré que M. [Z] disposait d'une délégation de pouvoirs lui conférant la possibilité de licencier la salariée. Le moyen n'est donc pas fondé et sera écarté.
II.B - Sur la contestation du bienfondé du licenciement.
Au soutien de sa contestation, la salariée fait valoir qu'elle n'a jamais bénéficié de formation malgré ses demandes, ni d'un accompagnement approprié ; qu'en outre, elle n'a jamais été destinataire d'une fiche de poste suite à son retour au sein de la société Paralu en 2013. Ensuite, elle conteste chacun des griefs contenus dans la lettre de licenciement.
Les sociétés appelantes concluent quant à elles à l'infirmation du jugement et au bien fondé du licenciement en faisant valoir que l'intéressée exerçait les fonctions de comptable fournisseurs depuis 2007, pour lesquelles elle avait été formée ; que les manquements reprochés tiennent dans des oublis, un manque de rigueur professionnelle et d'autocontrôle qu'aucune formation professionnelle ne peut pallier ; qu'elle bénéficiait d'une réunion hebdomadaire avec sa responsable au cours de laquelle elle n'a jamais évoqué les difficultés rencontrées ; que les avertissement de mars 2018 et mise à pied disciplinaire de février 2019 constituent autant de mises en garde, qui ne l'ont pas conduite à se reprendre. Elles étayent ensuite l'ensemble des griefs contenus dans la lettre de licenciement.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 1232-1 du code du travail, " tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. Il est justifié par une cause réelle et sérieuse ".
L'article L. 1235-2 du même code précise que " les motifs énoncés dans la lettre de licenciement (') peuvent, après la notification de celle-ci, être précisé par l'employeur, soit à son initiative, soit à la demande du salarié, dans les délais et conditions fixés par décret en Conseil d'Etat.
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement (') ".
L'article L. 1235-1 du même code prévoit qu'en " cas de litige ('), le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il justifie dans le jugement qu'il prononce le montant des indemnités qu'il octroie.
Si un doute subsiste, il profite au salarié ".
Par ailleurs, il convient de rappeler que l'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l'emploi. Elle doit reposer sur des critères objectifs.
Elle s'apprécie en regard de l'obligation de l'employeur d'adaptation de chaque salarié à son poste, posée par l'article L. 6321-1 du code du travail.
***
En premier lieu, la société ne produit pas de fiche de poste relative au contrat de travail du 1er décembre 2013, mais uniquement une " fiche de fonction " afférente à l'avenant signé le 4 mai 2007, qui portait nomination de la salariée au poste de comptable fournisseur. Ses fonctions ainsi définies étaient les suivantes :
" 1°) Enregistrement des factures fournisseurs :
- Création des codes des nouveaux fournisseurs dans [L] avec info donnée à [W] [J] pour les ouvertures de comptes demandés par les agences ou les achats ;
- Saisie des factures fournisseurs dans Diapason ;
- Vérification du tableur dynamique et correction ;
- Intégration du fichier Diapason dans [L] avec correction des rejets d'interfaces ;
- Imputation comptable et saisie des factures fournisseurs dans [L] (frais généraux') en traitant en priorité les factures payées par TIP ;
- Lettrage des factures de frais généraux payés par prélèvement ;
- Gestion des avoirs fournisseurs : imputation comptable, saisi, lettrage et mise à jour du tableau Excel des AAR.
2°) Préparation mensuelle de la TVA intracommunautaire :
- Édition du grand livre des comptes d'achat intra commun, photocopie des factures correspondantes et pointage pour [F] [JD].
3°) Validation des factures Via - Mat :
- Vérification et BAP transmis à [H] [C].
4°) Réponse aux appels téléphoniques des fournisseurs :
- Action partagée avec [R] et [A] ".
Il a été vu précédemment que la seule formation dispensée à l'intéressée a été effectuée en 2007, lors de la prise de fonctions de l'intéressée dans son poste de comptable.
Par ailleurs, la salariée ne conteste pas avoir bénéficié d'un point hebdomadaire avec sa responsable, Mme [VU], mais indique juste qu'aucun reproche ne lui a été fait dans ce cadre, qu'elle aurait pu rectifier le cas échéant. Aussi, si l'existence de ce point hebdomadaire est matériellement établie, son contenu n'est pas démontré de sorte qu'il ne peut être considéré comme un " accompagnement " hiérarchique.
Seront successivement examinés les différents motifs contenus dans la lettre de licenciement.
1 - Oublis de transmission des avis de virements, entraînant un blocage des comptes fournisseurs et des retards de livraisons et une remise en cause des accords de décalage de virement permettant une souplesse de trésorerie.
A ce titre, les sociétés appelantes expliquent qu'au vu des difficultés financières rencontrées par la société Paralu, celle-ci avait négocié des accords pour répartir les paiements en plusieurs virements, à des termes convenus ; qu'il était impératif de les respecter ; que, dans ce cadre, il était remis chaque semaine à Mme [E] un tableau avec l'ensemble des paiements qu'elle devait effectuer, étant précisé qu'elle devait tous les effectuer, le budget ayant d'ores et déjà été validé par la hiérarchie. L'intéressée prétend au contraire qu'il lui était demandé de sélectionner les fournisseurs à régler chaque semaine en fonction d'un budget alloué à ne pas dépasser, le cas échéant en décalant certains paiements de 15 jours, voire un mois, ce qui engendrait le mécontentement des fournisseurs concernés. Cependant, elle ne produit aucun élément permettant de considérer qu'elle a reçu de telles consignes.
Pour étayer ce grief, les sociétés appelantes produisent deux relances des 19 et 24 juin 2019 adressées par la société Yesss Electrique à Mme [E] concernant deux factures pour un montant total de 812,16 euros TTC, et un mail du 18 avril 2019 attestant du blocage d'une commande de la société Batifer dans l'attente de la régularisation de factures.
Cependant, elles ne démontrent pas avoir donné l'instruction de paiement correspondante à la salariée, ni la date à laquelle cette instruction aurait été donnée ; or, dans la mesure où sa hiérarchie déterminait les priorités de paiement, ces retards ne peuvent pas être imputés de manière certaine à la salariée.
En revanche, le grief tenant au retard de paiement de la société Moulaire est caractérisé au regard des échanges de courriels du 17 juin 2019, Mme [E] ayant prétendu que ce retard était dû à un RIB erroné et n'a pas répondu à l'objection postérieure de M. [I] qui s'en étonnait, la société faisant régulièrement des virements à ce fournisseur.
Est encore produit un tableau recensant des paiements à effectuer (pièce 3.9). Il a été vu précédemment que les parties s'opposent sur le fait de savoir sur qui, de Mme [E] ou de sa hiérarchie, reposait la priorisation des paiements. Or, s'il apparaît une catégorisation des fournisseurs sur ce tableau (1 - Retards interdits ; 2 - Léger décalage possible ; 3 - Groupe Coralu ; ainsi que d'autres non classés), avec des mentions manuscrites " non fait ", ces éléments ne permettent pas de déterminer qui avait la charge d'effectuer la priorisation des paiements. En outre, il ne s'agit que d'une unique feuille hebdomadaire tandis que la lettre de licenciement fait état d'oublis de virement " à de multiples reprises ".
En application de l'article L. 1235-1 précité, le doute profite au salarié. Dès lors, ce grief sera considéré comme n'étant pas établi.
2 - Absence de suivi de la facturation proforma, entraînant l'engagement d'importantes sommes d'argent sans justificatifs.
Les sociétés appelantes indiquent que certains fournisseurs procèdent par la voie de factures " proforma ", payables à la commande, ce qui revenait à lui faire avancer d'importantes sommes d'argent et exigeait un suivi rigoureux des commandes et des paiements. Pour l'exécution de cette tâche, il avait été demandé à Mme [E] en novembre 2018 d'assurer un système de suivi par le biais d'un classeur, afin de permettre une comparaison entre les avances faites et la facturation définitive, et de procéder aux éventuelles régularisations.
Six mois plus tard, en mai 2019, l'employeur constatait qu'aucun suivi n'était assuré ; que plus de 70 000 euros avaient été engagés pour le fournisseur Exlabesa, sans factures justificatives ; qu'au regard de l'importance de cette somme, il devenait de plus en plus difficile de la rapprocher des commandes passées. Si elle n'était plus en mesure de pouvoir justifier comptablement des sommes engagées, elle risquait de fait une réintégration dans son résultat imposable.
Pour contester ce grief, la salariée relève que la lettre de licenciement indique qu'elle a " réussi à régler le problème et à réguler l'en-cours en deux jours ", de sorte que ce grief ne peut fonder le licenciement.
Cependant, cette seule régularisation a posteriori ne permet pas de considérer que l'intéressée avait mis en place le système de contrôle des factures proforma dont elle ne conteste pas qu'il lui avait été demandé par l'employeur en novembre 2018, alors qu'elle avait la charge du contrôle des paiement aux fournisseurs ; que la nécessité de régler a posteriori la difficulté témoigne de l'absence de maîtrise des fonds avancés par la société, représentant une somme importante alors que la société connaissait une situation financière dégradée ; qu'en conséquence, les faits correspondant à ce deuxième grief sont matériellement établis.
3 - Non-exécution du travail demandé, relativement à la réalisation des règlements selon un fichier établi, entraînant un écart de trésorerie et des retards dans le règlement.
Les sociétés appelantes font valoir que Mme [E] n'a pas exécuté l'ensemble des virements mentionnés sur le tableau hebdomadaire qu'elle recevait de sa hiérarchie ; que, lors d'un contrôle de M. [I], RAF, le 18 juin 2019, il est apparu un écart de plus de 20 000 euros entre les paiements prévisibles et ceux effectués ; que, pourtant, rien ne pouvait justifier qu'un virement ne soit pas passé : le tableau était effectué par la hiérarchie en fonction de trésorerie disponible, et les virements déjà validés.
En réponse à ce grief, la salariée objecte qu'il n'a pas été répondu à sa sommation de communiquer les résultats du contrôle sur prévisions de trésorerie hebdomadaire réalisé par le RAF ; que ce grief, au regard des responsabilités des membres de l'équipe, ne peut lui être imputé ; que le tableau produit en pièce adverse 3.9 a été réalisé par la partie adverse et ne peut lui être opposé.
Ainsi qu'il a été vu précédemment, la pièce 3.9 des sociétés appelantes ne suffit pas à établir qu'elle valait instruction donnée à la salariée de passer l'intégralité des virements qui y étaient mentionnés, et l'absence de tout autre élément. De surcroît, il est à nouveau relevé qu'une seule feuille est produite, alors que l'employeur soutient que de tels tableaux étaient remis de manière hebdomadaire à l'intéressée ; qu'ainsi, seuls quatre retards de paiement seraient au mieux justifiés, sous réserve de leur imputabilité à la salariée qui n'est pas démontrée.
Dès lors, le grief n'est pas matériellement établi à l'égard de la salariée.
4 - Absence de traitement d'une facture de télépéage.
Les sociétés appelantes reprochent à la salariée d'avoir omis d'effectuer le règlement de 400 euros correspondant à une facture de télépéage d'un ancien collègue, M. [S], ayant récemment quitté la société, 10 jours après que la demande lui en ait été faite à deux reprises par Mme [VU] ; elles précisent que cette dernière a fini par s'en charger elle-même. Elles reprochent à Mme [E] de n'avoir pas signalé l'absence de traitement de cette facture lors de ses réunions hebdomadaires.
Elles précisent encore que l'intéressée a initialement reconnu sa responsabilité, avant de soutenir qu'elle était en congés ; que si tel était bien le cas le jour de la relance, tel n'était pas le cas lorsque la demande initiale lui avait été faite.
La salariée conteste ce grief en indiquant qu'il n'est ni daté ni précis ; que la facture a été transmise à l'une de ses collègues, Mme [K], laquelle la transmettait à Mme [VU] le 10 juin 2019, et non à elle ; que M. [S] a d'ailleurs relancé Mme [VU] et non elle le 21 juin 2019, date à laquelle elle était en congés ; qu'ainsi, c'est à tort que l'employeur soutient qu'elle aurait été chargée du règlement de cette facture, et qu'elle aurait été relancée à deux reprises.
En l'espèce, il ne résulte d'aucun document produit que Mme [VU] a chargé Mme [E] du règlement de cette facture dont elle n'était pas destinataire, pas davantage que la relance. En outre, il n'est pas démontré qu'elle aurait reconnu la responsabilité de ce retard. En conséquence, ce grief ne peut lui être imputé.
5 - Retard global et dissimulé dans l'exécution des missions, entraînant le retard dans le traitement de nombreuses factures et impliquant une trésorerie non fiabilisée de la société.
Les sociétés appelantes indiquent qu'il a été retrouvé dans un tiroir non fermé à clé du bureau de l'intéressée en juin 2019, afin de rechercher la facture de M. [S], des factures non classées et des factures datant de plus d'un mois et non traitées, conduisant nécessairement à un retard de traitement de la situation comptable de la société ; que l'intéressée a reconnu sa négligence lors de l'entretien préalable.
La salariée conteste les conditions dans lesquelles a été ouvert son tiroir en son absence, dont elle indique qu'il était fermé à clés, et considère qu'il s'agit d'une violation de sa vie privée. Au surplus, elle cite la décision du conseil de prud'hommes qui a notamment considéré sur ce point que les factures litigieuses avaient toutes été payées, ce qui n'entraînait pas de préjudice pour l'entreprise.
De ces éléments, il doit être en premier lieu relevé que les sociétés appelantes ne démontrent pas les conditions dans lesquelles ont été découvertes les factures litigieuses, notamment quant à la circonstance de savoir si le tiroir litigieux était fermé ou non ; qu'au surplus, l'enjeu du paiement d'une facture de 400 euros, même en retard de 10 jours, ne peut justifier une fouille du bureau d'un collaborateur en congés. Surtout, aucune pièce n'est produite au soutien de ce grief, permettant d'établir que des factures datant d'un mois n'auraient pas été payées.
Il s'ensuit que le grief n'est pas démontré.
6 - Erreur d'écriture comptable lors de la clôture des comptes, entraînant une perte de 60 000 euros sur l'exercice 2019.
Les sociétés appelantes soutiennent que lors d'un contrôle des comptes fournisseurs le 31 mai 2019, M. [I] s'est aperçu de l'existence de comptes fournisseurs " débiteurs ", alors qu'ils auraient dû être à l'équilibre au jour de la clôture. Elles indiquent que tel était bien le cas, jusqu'à l'inscription à tort d'une ligne d'écriture " PP " dite " pertes et profits ". A la clôture au 30 septembre 2018, ces comptes fournisseurs débiteurs représentaient près de 60 000 euros, se traduisant nécessairement par une perte correspondante sur l'exercice 2019, ce qui a faussé ses prévisions de trésorerie.
Or, Mme [E] avait notamment pour fonction le lettrage des factures et la révision des comptes. Par ailleurs, elle a reconnu les manquements lors de l'entretien préalable. C'est donc à tort que le conseil de prud'hommes a considéré que cette pratique aurait été tolérée par l'employeur, alors que celui-ci a découvert cette pratique le 31 mai 2019, qui lui a révélé le manque de rigueur de l'intéressée. Les sociétés appelantes estiment que si la salariée avait appliqué depuis tout temps les règles comptables de lettrage des comptes dit " de bilan ", elle n'aurait pas fait de grossières erreurs dans les écritures comptables.
La salariée fait pour sa part valoir qu'elle est comptable fournisseurs dans l'entreprise depuis 16 ans et qu'aucun reproche ne lui a été fait antérieurement ; qu'outre le fait que ce défaut de bonne pratique ne peut fonder une insuffisance professionnelle dans la mesure où l'ensemble des moyens ne lui ont pas été donnés en termes de formation et d'accompagnement, cette prétendue défaillance a toujours été tolérée.
Au regard de ces éléments, s'il est compréhensible que la société ait cherché à limiter l'existence de comptes fournisseurs débiteurs pour les raisons qu'elle évoque, il ressort de la pièce 3.14 correspondant au grand livre auxiliaire qu'une telle pratique de passage par les pertes et profits avait eu lieu à l'occasion de la clôture des comptes le 30 septembre 2016 pour le compte " 401000 - Fournisseurs " et pour le compte " 401700 - Fournisseurs retenue garantie " ; qu'en outre, a été passée pour chacun de ces comptes, le 30 septembre 2017, une écriture de régularisation " solde FRS + 5 ans " permettant de la régulariser. Au 30 septembre 2018, seule une écriture de " PP " concernant le compte " 401700 - Fournisseurs retenue garantie " a été passée, pour un montant de 11 655,97 euros.
Par ailleurs, le montant de 60 000 euros évoqué par les sociétés demanderesses figurant dans la colonne débit du grand livre correspond aux sommes portées au débit cumulé de ces deux comptes pour la période courant du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2019 (précisément 59 596,69 euros). Cependant, mentionner cette seule somme revient à faire abstraction de la période de référence comme du fait que le compte " 401000 - Fournisseurs " était à l'équilibre depuis le 30 septembre 2017 ; qu'en outre, si le compte " 401700 - Fournisseurs retenue garantie " était débiteur au 30 septembre 2018, la somme correspondant s'élève en réalité à 11 655,97 euros, soit près de six fois moins que " la perte prévisible de 60 000 euros sur l'exercice 2019 " reproché à la salariée dans les écritures des sociétés appelantes.
Au surplus, sauf à considérer que l'employeur n'ait pas contrôlé les comptes précités postérieurement aux clôtures des années 2016 et 2017, il n'est pas justifié que les écritures " PP " et de régularisation pour ces années aient engendré de reproches à la salariée.
Enfin, le fait que ce passage en " pertes et profits " à la clôture du 30 septembre 2018 corresponde à des erreurs de la salariée dans les écritures comptables n'est étayé par aucun élément, alors que les causes ayant pu générer de telles écritures sont nombreuses et peuvent ne pas lui être imputables (ex : rabais commerciaux, erreurs dans les factures originelles, etc).
C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a considéré que l'employeur n'apportait pas d'éléments objectifs, précis et vérifiables permettant de démontrer la défaillance professionnelle de la salariée sur ce point.
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Il résulte de l'ensemble de ces développements que seuls ont été retenus comme matériellement établis et imputables à la salariée le retard dans le paiement de la société Moulaire, et l'absence de mise en place du classeur destiné au contrôle des factures proforma entre novembre 2018 et mai 2019.
Dans la mesure où il a été considéré que la quasi-totalité des retards de paiement allégués par les sociétés appelantes ne pouvaient être imputés avec certitude à la salariée, celui concernant la société Moulaire apparaît isolé.
S'agissant du deuxième manquement établi, il traduit un manque de rigueur qui constitue indubitablement une défaillance sérieuse imputable à la salariée dans l'exécution d'une tâche se situant au c'ur de ses fonctions de comptable, d'autant plus importante que la société traversait une situation financière délicate. L'absence de préjudice qui en résulte ne peut en atténuer la portée, au regard du risque encouru par la société du fait du manque de contrôle des sommes avancées.
Cependant, l'insuffisance professionnelle s'apprécie en fonction de la formation et de l'accompagnement dont le salarié a bénéficié dans l'exercice de ses fonctions. Or, il a été vu précédemment que Mme [E] n'a bénéficié d'aucune formation depuis sa prise de fonctions en qualité de comptable en 2007, soit plus de 11 ans avant son licenciement, et ce alors même que l'employeur pointait ses difficultés dans le courrier d'avertissement du 26 mars 2018. Or, contrairement à ce que soutiennent les sociétés appelantes, il ne peut être considéré qu'une formation était inutile s'agissant de défaillances tenant à l'organisation et au manque de rigueur personnelle de la salariée : une telle formation aurait au contraire pu lui fournir des outils pour permettre davantage d'autocontrôle, et de meilleures méthodes professionnelles.
Au surplus, l'accompagnement de la salariée à hauteur d'une réunion hebdomadaire avec sa supérieure n'est pas démontré : si l'existence de telles réunions n'est pas contestée, il n'est produit aucune instruction ou compte-rendu qui auraient pu en découler, alors, là encore, que des difficultés avaient été précédemment relevées. Dès lors, aucun véritable accompagnement de la salariée n'est démontré.
L'ensemble de ces développements conduit à considérer que l'insuffisance professionnelle fondant le licenciement de Mme [E] n'est pas établie ; qu'il se trouve en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
II.C - Sur la demande de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Soulevant l'inopposabilité du barème de l'article L. 1235-3 du code du travail, la salariée sollicite à titre principal la somme de 29 844,4 euros nets, et à titre subsidiaire, la somme de 20 144,97 euros nets, ou à titre infiniment subsidiaire, de confirmer le jugement entrepris qui a fixé à 12 000 euros le montant des dommages et intérêts. Elle précise avoir deux enfants à charge.
Les sociétés appelantes sollicitent pour leur part l'application du barème légal, et la réduction du montant des dommages et intérêts au minimum prévu, au motif que la salariée ne justifie pas d'un préjudice, et que, moins d'un mois après son licenciement, elle avait retrouvé un emploi.
Sur ce,
La salariée ne précise pas le fondement juridique de sa contestation du barème prévu à l'article L. 1235-3.
Il est rappelé en tant que de besoin que ses dispositions ont été jugées non contraires à l'article 10 de la Convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT), et qu'elles permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, tout en assurant le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur (Cass Soc 11 mai 2022, 21-14.490) ; que, conformément à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, le juge ne peut s'écarter du barème fixé par l'article L. 1235-3 du code du travail, même lorsque l'indemnisation paraît insuffisante au regard de la situation du salarié (Cass Soc 7 mai 2024, n°22-24.594).
Partant, la salariée, qui justifie de 16 ans d'ancienneté, peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 13,5 mois de salaire bruts. Aux termes des bulletins de salaire produits, son salaire brut mensuel s'établit à 1 492,22 euros.
La salariée justifie de ce qu'elle est mère de deux enfants ; elle établit en outre que les contrats de travail qu'elle a retrouvés par la suite ont été des contrats d'intérim pour la fin de l'année 2019, puis un contrat à durée déterminée à compter d'octobre 2020 dans le cadre d'un remplacement d'arrêt maladie, prolongé en avril 2021. Ainsi, si elle a rapidement retrouvé des emplois, ceux-ci sont empreints de précarité.
Aussi, au regard de ces éléments, des circonstances de la rupture, de l'âge de l'intéressée au moment du licenciement (presque 37 ans), de son ancienneté importante, il convient de fixer à 18 000 euros l'indemnité mise à la charge de l'employeur au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, cette somme étant fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu.
Le jugement entrepris sera réformé sur ce point.
III - Sur les autres demandes.
III.A - Sur les demandes au titre du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi.
Aux termes de l'article L. 1234-19 du code du travail, l'employeur doit délivrer un certificat de travail au salarié, à l'expiration de son contrat de travail.
L'article D. 1234-6 du même code prévoit que " le certificat de travail contient exclusivement les mentions suivantes :
1° La date d'entrée du salarié et celle de sa sortie ;
2° La nature de l'emploi ou des emplois successivement occupés et les périodes pendant lesquelles ces emplois ont été tenus ".
L'article R. 1234-9 du même code prévoit que l'employeur délivre, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à l'opérateur France Travail.
S'agissant du certificat de travail, application de l'article D. 1234-6 précité, seule la date d'entrée du salarié au sein de la société employeur doit figurer sur le certificat de travail, et non la date correspondant à une éventuelle reprise d'ancienneté. Ce texte a un caractère limitatif.
De même, l'article R. 1234-9 ne prévoit pas la mention de la reprise d'ancienneté ; au surplus, la salariée ne justifie pas que celle qui lui a été remise était erronée.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a enjoint à l'employeur de remettre à la salariée une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conforme.
II.B - Sur les frais irrépétibles et dépens.
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens.
Succombant à l'instance, les sociétés appelantes seront déboutées de leurs demandes relatives aux frais irrépétibles et dépens d'appel.
L'équité commande de fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles. Les dépens y seront également fixés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile,
Dans la limite de la dévolution,
Infirme le jugement rendu le 12 avril 2022 dans le litige opposant Mme [E] à la société Paralu en ce qu'il a :
- Condamné la société Paralu à payer à Mme [E] les sommes suivantes :
o 1 452 euros à titre de manquement à l'obligation de formation ;
o 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamné la société Paralu à remettre sans astreinte une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conforme ;
- Débouté Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts au titre l'avertissement disciplinaire injustifié du 26mars 2018 ;
Confirme ledit jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau dans la limite de l'infirmation,
Vu le jugement de liquidation judiciaire de la société Paralu intervenu le 22 novembre 2022;
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu les sommes suivantes, au profit de Mme [E] :
- 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de formation et d'adaptation ;
- 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par l'avertissement disciplinaire injustifié du 26 mars 2018 ;
- 18 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Y ajoutant,
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu, au profit de Mme [E], la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
Déclare le présent arrêt commun et opposable à l'AGS CGEA de [Localité 8] ;
Rejette les autres demandes ;
Fixe les entiers dépens d'appel au passif de la liquidation judiciaire de la société Paralu.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE