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Décisions

CA Colmar, ch. 4 a, 9 septembre 2025, n° 23/00462

COLMAR

Arrêt

Autre

CA Colmar n° 23/00462

9 septembre 2025

CKD/KG

MINUTE N° 25/649

Copie exécutoire

aux avocats

le 10 septembre 2025

La greffière

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 23/00462

N° Portalis DBVW-V-B7H-H762

Décision déférée à la Cour : 13 Janvier 2023 par la formation paritaire du conseil de prud'hommes de Saverne

APPELANTE :

La S.A.R.L. L'EVENTAIL

prise en la personne de son représentant légal

ayant siège [Adresse 2]

Représentée par Me Joseph WETZEL, avocat à la Cour

INTIMÉE :

Madame [N] [C]

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Christiane GERARD, avocat au barreau de Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Avril 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Christine DORSCH, Président de Chambre

M. Edgard PALLIERES, Conseiller

M. Gurvan LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Mme Lucille WOLFF

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par M. Edgard PALLIERES, Conseiller, en l'absence du Président de Chambre empêché,

- signé par M. Edgard PALLIERES, Conseiller, et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [N] [C], née [R] le 26 mars 1964, a été engagée, par la SARL Établissements [R] ED, le 1er janvier 1991. Cette société exerçait deux activités sur le site de [Localité 5], d'une part, une activité de dépositaire de boisson, et, d'autre part, une activité de combustible.

Madame [N] [C] détenait 9/20 des actions de la société, et était propriétaire par elle-même, ou par le biais d'une SCI des locaux hébergeant la société.

Elle a, le 06 septembre 2019, cédé ses parts sociales à la SARL Alliance énergie, et a démissionné de ses fonctions de gérante.

Madame [N] [C] a signé un avenant au contrat de travail, le 06 septembre 2019, lui confiant le poste de responsable commercial statut cadre, moyennant un salaire de 39.000 € brut par an. Elle était affectée à la seule activité boisson qui employait, en tout, deux salariés.

Le 31 juillet 2020, la Sarl L'Eventail a acquis l'activité de dépositaires boissons.

Elle a, le 28 septembre 2021, convoqué la salariée à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire, puis, par lettre du 04 octobre 2021, procédé à une seconde convocation à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire.

Par lettre du 27 octobre 2021, Madame [N] [C] a été licenciée pour faute grave pour une série de six griefs, qu'elle conteste intégralement.

Le magasin de [Localité 5] a été définitivement fermé.

Contestant son licenciement, Madame [N] [C] a, le 11 janvier 2022, saisi le conseil de prud'hommes de Saverne d'une demande, à l'encontre de la Sarl L'Eventail Vins, aux fins d'obtenir paiement des diverses indemnités liées à la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 13 janvier 2023, le conseil de prud'hommes, après avoir constaté que le licenciement est abusif, a condamné la Sarl L'Eventail Vins à payer à Madame [N] [C] les sommes suivantes :

* 33.550,49 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement calculée du 1er janvier 1991 au 26 octobre 2021,

* 9.750 € brut au titre du préavis,

* 950 € brut au titre des congés payés sur préavis,

* 65.000 € à titre de dommages et intérêts,

* 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a, par ailleurs, condamné l'employeur à rectifier les documents légaux et à remettre, à la salariée, le bulletin de paye d'octobre 2021, sous astreinte de cinq euros par jour de retard à compter du 15e jour suivant la notification du jugement, en se réservant le droit de liquider l'astreinte. L'employeur a, en outre, été débouté de l'intégralité de ses demandes, et condamné aux frais et dépens.

La Sarl L'Eventail Vins a, le 26 janvier 2023, interjeté appel de la décision.

Selon dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 janvier 2022, la Sarl L'Eventail demande à la cour de déclarer recevable et bien-fondé l'appel effectué par la Sarl L'Eventail, d'infirmer le jugement déféré, et de :

- dire et juger la requête introductive d'instance devant le conseil de prud'hommes nulle et irrecevable, en l'absence des mentions prescrites par les articles 54 et 57 du code de procédure civile et R 1452-2 du code du travail,

- dire et juger que le licenciement est fondé sur une faute grave,

- débouter Madame [N] [C] de l'intégralité de ses fins moyens, et prétentions,

Subsidiairement,

- dire et juger que l'ancienneté est de deux ans au moment du licenciement,

- dire que l'indemnité de licenciement et les dommages et intérêts sont calculés sur la base d'une ancienneté depuis le 1er janvier 1991,

En tout état de cause,

- condamner Madame [N] [C] à lui payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, une somme de 2.000 €,

- la condamner aux entiers frais et dépens, y compris de première instance.

Selon dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 mars 2025, Madame [N] [C] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter la Sarl L'Eventail de l'intégralité de ses moyens et demandes, et de condamner la société aux entiers frais et dépens, outre au paiement d'une somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 avril 2025.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur la nullité de la requête introductive

Le conseil de prud'hommes a, dans les seuls motifs de sa décision, rejeté la demande d'irrecevabilité de la requête en jugeant que celle-ci respecte les articles cités par l'employeur, qui a, par ailleurs, fait valoir sa défense au fond. Il souligne également que la société ne fournit pas d'éléments précis, hormis l'énoncé des articles du code du travail et du code de procédure civile.

La Sarl L'Eventail conteste cette décision, et à hauteur de cour, à nouveau, cite intégralement les articles [3] 1452-2 du code du travail et 54, 57, et 114 du code de procédure civile. Elle affirme que la requête n'est pas signée, qu'elle ne comporte aucune des mentions " exposées ci-avant ", et qu'elle est dirigée à l'encontre de la " Sarl L'Eventail Vins " nom utilisé à des fins de communication, et non pas à l'encontre de " la Sarl L'Eventail " qui est le nom de la société conformément à l'extrait K bis.

***

Le dernier alinéa de l'article 57 du code de procédure civile prévoit, en effet, que la requête doit être datée et signée. Or, contrairement aux affirmations de l'appelante, la requête initiale de saisine du conseil de prud'hommes est bien datée du 10 janvier 2022, comporte un cachet de réception de la juridiction du 11 janvier 2022, et est, par ailleurs, parfaitement signée. Il n'y a donc aucune nullité encourue de ce chef.

Selon l'article 54 du code de procédure civile s'agissant d'une personne morale, la requête, doit à peine de nullité mentionner la forme, la dénomination, le siège social et l'organe qui représente la société.

Il résulte de la procédure que la requête a été introduite à l'encontre de " la Sarl L'Eventail Vins ", alors que la société se dénomme " la Sarl L'Eventail ". Sa dénomination qui comporte le rajout du mot " vins " est, par conséquent, erronée.

S'agissant d'une nullité de forme, conformément à l'article 114 cité par l'appelante elle-même, il lui appartient d'établir que cette irrégularité lui a causé un grief.

Or elle se contente d'affirmer que les omissions et erreurs ont désorganisé sa défense, sans autre précision.

La désorganisation de la défense n'est absolument pas établie, dès lors qu'il n'y a aucune méprise sur la société concernée par le litige, qui ne conteste pas avoir été l'employeur de Madame [N] [C], et avoir procédé à son licenciement, et qui s'est, par ailleurs, parfaitement défendue à la procédure.

En outre, le numéro d'immatriculation au Rcs, indiqué sur la requête, est bien le numéro figurant sur l'extrait K bis de l'appelante.

Enfin, la cour relève que la société entretient une certaine confusion entre les deux noms, et qu'elle a, au demeurant, elle-même, formé appel au nom de " la Sarl L'Eventail Vins " qui en effet est son nom commercial, ou son enseigne, apparaissant très régulièrement sur les différents documents versés en annexe.

En dernier lieu, à hauteur d'appel, Madame [N] [C] a mis fin à l'irrégularité, et a bien pris des conclusions à l'encontre de la Sarl L'Eventail, sans pour autant solliciter une rectification du dispositif du jugement.

Faute de la preuve d'un quelconque grief, la requête introductive n'encourt pas de nullité. Le jugement sera, par conséquent, complété en ce qu'il y a lieu de rejeter l'exception de nullité de la requête introductive d'instance devant le conseil de prud'hommes.

II. Sur l'ancienneté de la salariée

Le conseil de prud'hommes a retenu une ancienneté depuis le 1er janvier 1991 jusqu'au licenciement du 27 octobre 2021, soit 30 années, ce que conteste la Sarl L'Eventail.

L'appelante rappelle que le cumul d'un contrat de travail, et d'un mandat social, suppose l'exercice de fonctions techniques distinctes accomplies dans le cadre d'un lien de subordination. Or, elle soutient que Madame [N] [C] a été nommée gérante à compter du 1er juillet 2000, qu'elle exerçait ses fonctions en toute liberté, sans lien de subordination, et qu'elle ne produit pas de bulletins de paye pour cette période. Elle conteste le statut de salarié pour la période du 1er juillet 2000 au 06 septembre 2019. Elle demande, à titre subsidiaire, à la cour, de ne comptabiliser l'ancienneté qu'à compter du 06 septembre 2019.

Madame [N] [C] réplique que la société a parfaitement été informée de son ancienneté fixée contractuellement par l'avenant au contrat de travail du 06 septembre 2019 à la date du 1er janvier 1991. Elle précise que son contrat de travail a été repris par la Sarl L'Eventail, conformément à l'article L 1224-1 du code du travail.

***

Le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant rémunération.

Par conséquent, trois éléments indissociables caractérisent le contrat de travail à savoir l'exercice d'une activité professionnelle, la rémunération, et le lien de subordination.

Par ailleurs, le dirigeant peut cumuler un contrat de travail avec son mandat social à condition cependant que le contrat de travail soit effectif, c'est à dire qu'il se traduise par l'exercice de fonctions techniques, nettement différenciées de celles exercées dans le cadre du mandat social, par la perception d'une rémunération distincte, et par l'existence d'un véritable état de subordination.

- Sur la période du 1er janvier 1991 au 30 juin 2000

Il convient, en premier lieu, de relever que malgré, l'absence de contrat de travail écrit, Madame [N] [C] a bien été embauchée à compter du 1er janvier 1991, ce qui résulte des bulletins de paye qu'elle verse au débat, et de l'avenant au contrat de travail du 06 septembre 2019. Ce point n'est, en réalité, pas contesté par l'appelante qui allègue d'un mandat social à compter du 30 juin 2000.

Ainsi, il doit être retenu que Madame [N] [C] a la qualité de salariée pour cette première période.

- Sur la période du 30 juin 2000 au 06 septembre 2019

Il résulte du procès-verbal de l'assemblée générale du 30 juin 2000 que Madame [N] [C] (mentionnée comme Mademoiselle [N] [R] dans l'acte) titulaire de 9/20 des parts sociales est nommée gérant à compter du 1er juillet 2000, suite à la démission du gérant Monsieur [O] [R]. L'acte mentionne expressément en sa quatrième résolution que " parallèlement à l'exercice de son mandat social Mademoiselle [N] [R] entrée au sein de l'entreprise le 1/11/1991 continuera d'exercer les fonctions salariées de comptable dans les mêmes conditions avec tous les droits et obligations résultant de son contrat de travail. Celui-ci subsistera en cas de cessation des fonctions de gérant ".

La résolution numéro 5 précise " qu'indépendamment de son salaire de comptable, Mademoiselle [N] [R] percevra à compter du 1er juillet 2000 en tant que mandataire social une rémunération mensuelle fixe de 500 F. ".

Pour autant, Madame [N] [C] n'apporte aucune précision sur ses fonctions salariées, sur ses fonctions de gérant, ni ne conclut sur leurs différences, ni ne précise sous le lien de subordination de quelle personne elle aurait été placée.

Par ailleurs, elle ne verse aux débats aucune feuille de salaire relative à la période du 30 juin 2000 au 30 septembre 2018, soit durant 18 ans. En effet, les premières fiches de salaire, qu'elle verse aux débats, sont celles établies à compter du 30 septembre 2018 mentionnant un salaire de 4.788,85 € brut, et une indemnité de gérance de 500 €. Les bulletins de paye mentionnent, en outre, comme emploi celui de gérante, et non pas de comptable, ou d'employée polyvalente tel que soutenu.

Ainsi, les seules mentions, figurant au procès-verbal de l'assemblée générale du 30 juin 2020, sont à elles seules insuffisantes pour établir le cumul entre une fonction salariée de comptable ou employée polyvalente, et le mandat social de gérant.

Par conséquent Madame [N] [C] échoue à démontrer le cumul d'un emploi salarié distinct du mandat dans le cadre d'un lien de subordination, du 30 juin 2000 jusqu'à sa démission du mandat social le 06 septembre 2019

- Sur la période du 06 septembre 2019, jusqu'au licenciement du 27 octobre 2021

Le contrat de travail de Madame [N] [C] a été suspendu le 30 juin 2000 lorsqu'elle a été désignée en qualité de gérant de la société. Il reprend vigueur après sa démission le 06 septembre 2019.

D'ailleurs, l'avenant au contrat de travail du 06 septembre 2019 prévoit en son article 1 à compter du jour de la signature de l'avenant, de lui confier la fonction de responsable commercial de l'activité distribution de boissons, catégorie cadre. L'intimée verse par ailleurs aux débats les bulletins de salaire durant toute cette période, bulletins qui mentionnent, non plus la fonction de gérante, mais celle de responsable commerciale.

Cet avenant précise, certes, que la salariée a été embauchée à compter du 1er janvier 1991, ce qui est établi, mais il ne mentionne aucune reprise de l'ancienneté.

Il est précisé, dans son préambule, " le présent avenant a pour objet d'actualiser le cadre des relations entre le salarié et la société, et tout particulièrement la fonction du salarié, suite à la cession par Madame [N] [C] de ses parts de l'entreprise et de sa démission de la fonction de gérante. ". Ce préambule n'exclut nullement la suspension du contrat de travail durant le mandat social.

Par conséquent, durant cette troisième période, le contrat de travail suspendu a repris vigueur, et a fait l'objet d'un avenant.

- Sur la synthèse

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Madame [N] [C] totalise une ancienneté de 11 ans et 7 mois dans les conditions suivantes :

- du 1er janvier 1991 au 30 juin 2000 : fonctions salariales,

- du 1er juillet 2000 au 06 septembre 2019 : mandat social et suspension du contrat de travail,

- du 06 septembre 2019 au 27 octobre 2021 : fonctions salariales.

C'est donc à tort que le conseil des prud'hommes a retenu une ancienneté de 30 ans.

Les règles, imposées au cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social, ne sont, en l'espèce, pas respectées durant 18 années.

III. Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail, ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Il appartient à l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier d'en rapporter la preuve.

Madame [N] [C] a été licenciée, par lettre du 27 octobre 2021, pour une série de six griefs examinés successivement.

1. Sur l'absence injustifiée le 18 septembre 2021 l'après-midi

À l'appui de ce grief, l'employeur se prévaut de deux attestations de témoin, l'une de Monsieur [L] [S], qui affirme avoir constaté le 18 septembre 2021, vers 15 heures, que le magasin était fermé, et d'autre part, celle de Madame [W], qui déclare avoir remplacé Madame [C] les 17 et 18 septembre 2021 suite à l'appel du client Solibat. La Sarl L'Eventail reconnaît que la salariée a travaillé le matin du 18 septembre.

Madame [N] [C] conteste ce grief et affirme avoir travaillé toute la journée du 18 septembre 2021 et produit à cet égard les pièces suivantes :

- l'impression du relevé du chiffre d'affaires du 18 septembre 2021 égal au chiffre d'affaires des quatre samedis précédents,

- deux bons de livraison qu'elle a établis en tant que vendeur ce jour-là,

- le bulletin de paye n'établissant aucun retrait de salaire le 18 septembre 2021.

Il apparaît que les pièces, produites par la salariée, constituent des éléments objectifs qui ne peuvent sérieusement être contredits par les deux attestations de témoin produites par l'appelante.

S'agissant de celles-ci, la cour ne peut que relever leur totale contradiction en ce que le premier témoin allègue d'une fermeture du magasin le 18 septembre 2021, alors que le second témoin affirme avoir remplacé la salariée ce jour-là et la veille. Il apparaît, par ailleurs, peu crédible que Monsieur [S] se souvienne le 12 avril 2022 (date de son attestation) que le 18 septembre 2021, vers 15 heures, le magasin était fermé, s'agissant d'un événement de peu d'importance. Enfin, la cour s'interroge sur le motifs de la non production de ces deux attestations délivrées en avril 2022 lors de la procédure de première instance.

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que ce grief n'est pas établi.

2. Sur le défaut d'affichage des prix, la présence de produits périmés, et l'état déplorable et sans rangement de l'entrepôt

À l'appui de ces trois griefs, l'employeur se prévaut d'un constat d'huissier établi le 06 octobre 2021, des attestations de témoin, de Monsieur [L] [S], Madame [W], et de Monsieur [H] pour la péremption des produits.

Le local de [Localité 5] dans lequel travaillait Madame [C], est un vaste entrepôt, d'environ 600 m², selon la Sarl L'Eventail. Il résulte du procès-verbal de constat d'huissier établi le 06 octobre 2021 que la vente des boissons s'effectue essentiellement par caisses et cartons, conformément aux photographies prises par l'officier ministériel.

L'huissier de justice relève un certain nombre de caisses pour lesquelles le prix n'est pas affiché s'agissant de bières, d'eau,ou autres sodas.

Madame [N] [C] conteste ce grief, et relève le délai écoulé entre sa mise à pied conservatoire à compter du 30 septembre 2021, et l'établissement du constat d'huissier six jours plus tard. Et, en effet, l'écoulement de ce délai de près d'une semaine durant laquelle la salariée n'avait pas accès au site, pose problème.

L'argument de l'employeur, selon lequel il n'aurait pu matériellement enlever les prix de toutes les boissons dans un entrepôt de 600 m², n'est pas pertinent. Il résulte, en effet, du constat d'huissier que l'affichage du prix se faisait par un panneau au-dessus des palettes de caisses de boissons (constat page 5). Quant aux attestations de Monsieur [S], et de Madame [W], elles ne sont pas suffisamment précises quant à l'absence de prix, et là encore la cour s'interroge sur les motifs de leur non production devant les juges prud'homaux, alors que ces attestations sont datées d'avril 2022. Le doute devant profiter au salarié, ce grief n'est pas retenu.

Le constat d'huissier relève, par ailleurs, l'existence de produits périmés aux dates suivantes : le 09 septembre 2021, le 1er octobre 2021, le 29 août 2021, mai 2021, 21 juillet 2021, 12 août 2021, et 30 juin 2021. Monsieur [H] salarié de la société appelante, atteste que beaucoup de livraisons de produits était périmé car le stock et la rotation n'était plus suivis.

Madame [N] [C] conteste ce grief et relève, notamment, que l'attestation de Madame [W] est produite plus de deux ans après sa rédaction. Elle qualifie de farfelues les indications dont certaines ne concernent pas même les griefs figurant dans la lettre de licenciement. Elle ajoute que cette dernière est la salariée de la société appelante. Elle souligne qu'elle l'a remplacée de manière continue durant ses congés annuels du 02 au 13 septembre 2021, et s'interroge sur son inaction face à ses constats. Elle rappelle qu'elle a été placée en activité partielle du fait du Covid entre le 12 novembre 2020 et le 02 juin 2021, et qu'elle n'est durant cette période, intervenue que les samedis.

Madame [N] [C] se référant à sa pièce 26 indique qu'elle adressait le listing des produits au siège social de la société, et que c'est l'employeur qui décidait de la destruction des produits périmés. Cependant, ce listing daté du 30 septembre 2021 ne comporte qu'une seule mention d'un produit périmé le 10 septembre 2021, pour un produit, et ce sur deux pages de produits, alors qu'il en existe de nombreux autres, de sorte que cette pièce n'est pas pertinente.

Ce grief, au regard du constat du huissier, est constitué, sans que le délai, entre la mise à pied conservatoire et le constat d'huissier, ne pose problème au regard des dates de péremption.

Il convient, cependant, de relever que ces dates de péremption s'échelonnent entre mai et le 09 septembre 2021, soit immédiatement après la pandémie du Covid et le confinement qui s'en est suivi, ce qui a entraîné une activité à temps partiel (un jour par semaine) pour la salariée, et nécessairement une certaine désorganisation de l'entreprise. Par ailleurs, la salariée était en congés à partir du13 septembre 2021.

Enfin s'agissant du défaut de rangement du dépôt, dans la lettre de licenciement, l'employeur évoque " un état déplorable, laissé à l'abandon, les produits ne sont pas rangés ".

Aucune des deux parties ne conclut sur ce grief.

Il résulte du constat du huissier que des trieuses sont posées à même le sol dans un petit local, que des objets sont disposés en vrac à droite d'une porte, ou encore qu'il existe des caisses vides et des fûts, ou des bouteilles cassées entreposées. Mais, par ailleurs, le même constat d'huissier comporte de nombreuses photographies établissant le parfait rangement des caisses de boissons. Il ne résulte pas de ce procès-verbal de constat que l'entrepôt se serait trouvé dans un état déplorable, ou laissé à l'abandon.

3. Sur l'absence de démarche de prospection commerciale, et le désengagement des missions d'encadrement du personnel

La Sarl L'Eventail rappelle que la salariée était, aux termes du contrat de travail, chargée d'assurer le maintien, et le développement de l'activité commerciale et de l'activité boisson, alors qu'elle n'a effectué aucune démarche de prospection, ce qu'elle ne conteste pas. L'appelante reconnaît que la salariée se trouvait en activité partielle du 12 novembre 2020 au 02 juin 2021, mais lui reproche de ne pas avoir effectué de prospection le samedi, jour où elle travaillait, ni après son retour en juin 2021. Il lui est reproché de ne pas avoir fait de prospection téléphonique, ni physique au moyen des véhicules garés dans les locaux, et d'avoir laissé le chiffre d'affaires se dégrader, et les clients partirent à la concurrence.

L'absence de prospection n'est pas contestée par la salariée, mais expliquée par son activité partielle jusqu'au 02 juin 2021, la charge importante de travail, le samedi seul jour d'ouverture, ne lui permettant pas de prospecter, les conséquences de la pandémie sur l'activité des clients, et l'absence de véhicules de service, de sorte qu'elle ne peut être tenue pour responsable de la chute du chiffre d'affaires.

Aucune pièce ne justifie de la diminution alléguée dans la lettre de licenciement de 200.000 € du chiffre d'affaires de juillet à septembre 2021, ni de son lien de causalité avec un manquement de la salariée.

Pour autant, l'absence de prospection, reprochée à la salariée, n'est pas contestée par cette dernière, mais expliquée par différents arguments.

Il ne peut être reproché à la salariée de ne pas avoir fait de prospection de novembre 2020 à juin 2021, alors même qu'elle ne travaillait qu'un jour par semaine, qu'elle parait au plus urgent, que tout le territoire national était soumis à de très sévères restrictions de déplacement et d'ouverture des établissements. Il est constant que les restaurants, cafés, hôtels, et autres associations, clients habituels de la société appelante, étaient particulièrement impactés par ces restrictions.

En revanche, il apparaît que, depuis la reprise en juin 2021 jusqu'à ses congés, le 13 septembre 2021, la salariée a délaissé sa mission de prospection alors qu'elle devenait essentielle à l'issue de cette période. Mais pour ce même motif, le suivi de l'activité par l'employeur devenait tout aussi essentiel à l'issue de cette période, et il ne justifie d'aucun contrôle, soutien, ou quelconque directive de Madame [N] [C]. Puisque la baisse du chiffre d'affaires aurait été constatée dès juin 2021, il appartenait à l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, de donner des directives, et des consignes précises, et de s'assurer de leur exécution.

Enfin la Sarl L'Eventail reproche à Madame [N] [C] une absence " d'encadrement du personnel " sans autre précision indiquée dans la lettre de licenciement, ni dans les conclusions.

Madame [N] [C] fait valoir que l'entreprise ne comptait que deux salariées, elle-même et Madame [E] [K]. Elle précise que cette dernière s'est trouvée en arrêt maladie à compter du 18 juin 2021, et qu'elle n'a plus repris ses fonctions, ce qui n'est pas contesté par l'employeur. Par conséquent, l'absence d'encadrement du personnel est un grief qui n'est pas établi.

- Sur la synthèse

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que de nombreux griefs, visés dans la lettre de licenciement, ne sont pas établis. S'agissant de ceux qui le sont (produits périmés, et absence de prospection commerciale), ils ont été commis durant une brève période de trois mois, à l'issue d'une période de confinement national, et sans que l'employeur n'assiste la salariée lors de la reprise, ni ne procède au moindre contrôle, ou ne délivre de directives. Ces faits, commis par une salariée ayant plus de 11 années d'ancienneté, sans faire l'objet d'une sanction disciplinaire, ne justifient pas la rupture du contrat de travail, de surcroît pour faute grave. Il apparaît que la sanction disciplinaire est disproportionnée au regard de la faute commise.

Le jugement déféré est, par conséquent, confirmé en ce qu'il a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

IV. Sur les conséquences financières

- Sur l'indemnité de préavis

S'agissant d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'indemnité compensatrice de préavis est due. Elle est contestée par l'employeur dans son principe, mais non dans son montant. Elle s'élève, en l'espèce, à 3 mois de salaire (3.250 €) soit 9.750 € brut, outre les congés payés de 975 € brut.

Le jugement déféré est, par conséquent, confirmé.

- Sur l'indemnité de licenciement

Il a, ci-dessus, été jugé que l'ancienneté de Madame [N] [C] est de 11 ans et 7 mois, et non de 30 ans.

En application de la convention collective nationale Boissons : distributeur conseil hors domicile, l'indemnité conventionnelle de licenciement s'élève, pour les cadres ayant entre 10 et 14 ans d'ancienneté, à 33 % du montant du salaire, par année.

Par conséquent l'indemnité conventionnelle de licenciement s'élève à la somme de 12.423,12 € net ((3.250 x 33 % = 1.072,50) (1.072,50 x 11 =11.797,50) + 625,62)).

Le jugement est par conséquent infirmé sur ce point.

- Sur les dommages et intérêts

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération perçue de 3.250 €, de son âge de 57 ans, de son ancienneté de 11 ans, de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et son expérience professionnelle, mais également de l'absence de justificatif de sa situation suite au licenciement, il y a lieu de condamner la Sarl L'Eventail, en application de l'article L 1235-3 du code du travail à payer à Madame [N] [C] la somme de 25.000 € brut à titre de dommages et intérêts.

Le jugement qui a alloué une somme de 65.000 € à titre de dommages et intérêts est par conséquent infirmé.

V. Sur les demandes annexes

La remise des documents légaux ordonnée par le conseil des prud'hommes, ainsi que la condamnation sous astreinte de remettre un bulletin de salaire d'octobre 2021 conforme au jugement, et la réserve du droit de liquider l'astreinte, sont infirmés.

La société appelante est condamnée à remettre à la salariée les documents de fin de contrat, et plus particulièrement l'attestation d'emploi, le solde de tout compte, et le bulletin de salaire d'octobre 2021 conformes au présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte ne soit en l'état justifié.

Compte tenu de la solution du litige, le jugement déféré est confirmé, s'agissant des frais irrépétibles, et des frais et dépens.

La Sarl L'Eventail, qui succombe au moins partiellement, est condamnée aux dépens de la procédure d'appel, et par voie de conséquence sa demande de frais irrépétibles (chiffrée à 1.000 € dans les motifs, et à 2.000 € dans le dispositif) est rejetée.

Enfin, l'équité commande de la condamner à payer à Madame [N] [C] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré

REJETTE l'exception de nullité de la requête introductive d'instance devant le conseil de prud'hommes ;

INFIRME le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de [Localité 4] le 13 janvier 2023 en ce qu'il condamne la Sarl L'Eventail Vins à payer à Madame [N] [C] :

* 33.550,49 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement calculée du 1er janvier 1991 au 26 octobre 2021,

* 65.000 € à titre de dommages et intérêts ;

- Et la condamne à rectifier les documents légaux et à remettre à la salariée le bulletin de paye d'octobre 2021 sous astreinte de 5 € par jour de retard à compter du 15e jour suivant la notification du jugement, et en se réservant de de droit de liquider l'astreinte ;

CONFIRME le jugement en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant

DIT que l'ancienneté de Madame [N] [C] est de 11 ans et 7 mois ;

CONDAMNE la Sarl L'Eventail à payer à Madame [N] [C] les sommes de :

* 12.423,12 € net (douze mille quatre cent vingt trois euros et douze centimes) au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 25.000 € brut (vingt cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la Sarl L'Eventail à remettre à Madame [N] [C] les documents de fin de contrat, et le bulletin de salaire d'octobre 2021 conformes au présent arrêt ;

DIT n'y avoir lieu à prononcer une astreinte ;

DEBOUTE la Sarl L'Eventail de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Sarl L'Eventail à payer à Madame [N] [C] la somme de 2.000 € (deux mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Sarl L'Eventail aux dépens de la procédure d'appel ;

La Greffière, Le Conseiller,

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