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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-3, 11 septembre 2025, n° 21/15898

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/15898

11 septembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-3

ARRÊT AU FOND

DU 11 SEPTEMBRE 2025

Rôle N° RG 21/15898 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIMBC

S.A.S. L'EDEN VERT

C/

[H] [Y]

S.A.R.L. ABC CONSEIL

Copie exécutoire délivrée

le : 11/09/25

à :

Me Jean-François JOURDAN

Me Philippe BRUZZO

Me Serge DREVET

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'AIX-EN-PROVENCE en date du 25 Mars 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 19/04850.

APPELANTE

S.A.S. L'EDEN VERT, représentée par son représentant légal,

dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEES

Madame [H] [Y]

née le 24 Juillet 1967,

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Philippe BRUZZO de la SELAS SELAS BRUZZO DUBUCQ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Raphaël ESCONDEUR, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant, substituant Me Philippe BRUZZO

S.A.R.L. ABC CONSEIL, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux,

dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Serge DREVET de la SELAS CABINET DREVET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 13 Mai 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mr NOEL, président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Mme Claire OUGIER, Présidente de chambre

Mme Magali VINCENT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2025,

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS & PROCÉDURE

Au cours de l'année 2011, Mme [H] [Y] a souhaité réaliser un placement financier et s'est adressée à la société MD Conseils (courtage en assurance, démarchage financier, conseil en investissement financier) prise en la personne de son représentant légal, Mme [V] [X]. La SARL ABC Conseil (conseil en placements financiers, prêts, agent commercial, gestion de patrimoine), prise en la personne de M. [K] [N], avait délégué à la société MD Conseils la commercialisation de lettres autographes et de manuscrits anciens.

Mme [Y] s'est vu proposer d'acquérir auprès de la SAS Aristophil des parts d'indivision (contrat Coralys) ou la pleine propriété (contrat Amadeus) de manuscrits anciens. Ceux-ci devaient être confiés en dépôt à la société pendant une période de 5 ans, à l'issue de laquelle la société pouvait racheter à l'investisseur son contrat, au prix d'achat majoré de 8 % l'an, soit une plus-value de 47 %.

Mme [Y] a souscrit à deux contrats Amadeus le 10 novembre 2011 pour un montant de 25 000 euros (contrat n°5167), puis le 20 avril 2012 pour un montant de 21 000 euros (contrat n°4180).

Par jugement du 16 février 2015, le tribunal de commerce de Paris a placé la SAS Aristophil en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire par jugement du 5 août 2015.

Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte le 5 mars 2015 du chef d'escroqueries en bande organisée et abus de biens sociaux, le dirigeant, [P] [J], plusieurs personnes de son entourage et l'expert-comptable de la SAS Aristophil ont été mis en examen.

Par ordonnance du 17 janvier 2017, le juge-commissaire statuant sur requête du mandataire judiciaire a constaté que l'obligation à la charge de la SAS Aristophil ne portait pas sur le paiement d'une somme d'argent mais sur la garde d'une 'uvre appartenant à un propriétaire Amadeus, et a ordonné la restitution à Mme [Y] des collections acquises par elle sur le fondement du contrat n°4180.

Par assignation du 12 septembre 2019, Mme [Y] a saisi le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence d'une action en responsabilité contractuelle dirigée contre la SARL ABC Conseil et la société MD Conseils (devenue la SAS Eden Vert le 19 février 2014), motif tiré de leur manquement respectif à un devoir d'information et de conseil.

Par jugement du 25 mars 2021, le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :

- déclaré la responsabilité contractuelle de la SARL ABC Conseil et de la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, engagée à l'égard de Mme [H] [Y],

- condamné in solidum la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [H] [Y] la somme de 36 800 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice matériel, assortie des intérêts au taux légal depuis le 17 septembre 2019,

- condamné in solidum la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [H] [Y] la somme de 1 500 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral,

- condamné in solidum la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [H] [Y] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, engagée à l'égard de Mme [H] [Y], aux entiers dépens de la procédure,

- ordonné l'exécution provisoire,

- rejeté le surplus des demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 10 novembre 2021 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, a interjeté appel du jugement en visant chacune des mentions de son dispositif.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée n°1 notifiées par la voie électronique le 23 mars 2022, Mme [Y] demande à la cour de :

Sur la confirmation partielle du jugement :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

' condamné in solidum la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [Y] la somme de 1 500 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral,

' le confirmer pour le surplus, en ce qu'il a :

- déclaré la responsabilité contractuelle de la SARL ABC Conseil et de la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, engagée à l'égard de Mme [Y],

- condamné in solidum la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [Y] la somme de 36 800 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice matériel, assortie des intérêts au taux légal depuis le 17 septembre 2019,

- condamné in solidum la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [Y] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, engagée à l'égard de Mme [Y], aux entiers dépens de la procédure,

Et statuant à nouveau,

- débouter la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- constater que l'AMF avait alerté le public suivant communiqué du 24 décembre 2003, en expliquant que les conventions d'indivision (Cofexa, Codexa, Prismary's) proposées par Aristophil ne s'apparentaient pas à des produits financiers et qu'Aristophil ne possédait pas l'agrément de l'AMF pour faire appel à l'épargne publique,

- constater que plusieurs articles de presse mettaient en garde les investisseurs, avant que les sociétés ABC Conseil et MD Conseils ne lui proposent le produit Aristophil,

- juger que la SARL ABC Conseil et son intermédiaire, la société MD Conseils, dans le cadre de leur mandat consistant à rechercher des produits financiers, destinés à générer une plus-value, ont manqué à leur devoir d'information, de conseil et de mise en garde,

- condamner solidairement les sociétés ABC Conseil et MD Conseils à régler à Mme [Y] la somme de 36 800 euros, outre intérêts au taux légal depuis le 17 septembre 2019,

- condamner solidairement les sociétés ABC Conseil et MD Conseils à régler à Mme [Y] la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral,

- condamner solidairement les sociétés ABC Conseil et MD Conseils à payer la somme de 3 000 euros à Mme [Y] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par la voie électronique le 21 juin 2022, la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 25 mars 2021 en toutes ses dispositions,

- débouter purement et simplement Mme [Y] de toutes ses demandes,

À titre subsidiaire,

- juger irrecevable comme prescrite l'action intentée par Mme [Y],

En toute hypothèse,

- condamner Mme [Y] à restituer les sommes réglées au titre de l'exécution provisoire, assortie des intérêts au taux légal au jour du versement, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [Y] aux entiers dépens.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée n°1 notifiées par la voie électronique le 2 mai 2022, la SARL ABC Conseil demande à la cour de :

- débouter purement et simplement Mme [Y] de toutes ses demandes,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

' declaré la responsabilité contractuelle de la SARL ABC Conseils et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, engagée à l'encontre de Mme [Y],

' condamné in solidum la SARL ABC Conseils et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [Y] la somme de 36 800 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice matériel, assortie des intérêts au taux légal depuis le 17 septembre 2019,

' condamné in solidum la SARL ABC Conseils et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [Y] la somme de 1 500 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral,

' condamné la SARL ABC Conseils et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, aux entiers dépens de la procédure,

' ordonné l'exécution provisoire,

' rejeté le surplus des demandes plus amples ou contraires,

Et, statuant à nouveau,

- dire l'action de Mme [Y] prescrite,

- débouter purement et simplement Mme [Y] de toutes ses demandes,

- condamner Mme [Y] au paiement d'une indemnité de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [Y] aux dépens.

* * *

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées pour l'exposé des moyens et prétentions des parties.

La clôture a été prononcée le 29 avril 2025.

Le dossier a été plaidé le 13 mai 2025 et mis en délibéré au 11 septembre 2025.

L'arrêt rendu sera contradictoire, conformément à l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale de l'action en responsabilité de Mme [Y] contre la SARL ABC Conseil et la SAS Eden Vert :

La SAS Eden Vert soutient qu'il appartenait à Mme [Y] de lire les contrats Amadeus qu'elle a conclus avec la SAS Aristophil avant de les signer, ce qui lui aurait permis de déceler un éventuel manque d'information ou de précision sur l'obligation de la société Aristophil de racheter au bout de cinq ans les manuscrits qu'elle s'engageait à lui revendre. Elle aurait pu en déduire que le rachat de ses manuscrits n'était qu'une option que la SAS pouvait décider de ne pas lever. Mme [Y] a déclaré par ailleurs avoir été informée que la collection dans laquelle elle investissait pouvait perdre de la valeur. Les contrats Amadeus 4180 et 5167 ayant été conclus les 10 novembre 2011 et 20 avril 2012, dates de point de départ de la prescription quinquennale, celle-ci est acquise au 12 septembre 2019, date de l'assignation.

La SARL ABC Conseil s'associe à l'argumentation développée par la SAS Eden Vert.

Mme [Y] fait valoir que rien n'établit qu'elle aurait dû connaître dès le mois de décembre 2014 les faits lui permettant d'exercer ses droits au sens de l'article 2224 du code civil. Elle soutient en effet que le préjudice subi ne tient pas uniquement à l'absence de rachat des parts par la SAS Aristophil mais aussi au fait ' établi par l'enquête pénale ' que la valeur réelle des parts souscrites était très inférieure au prix d'acquisition. Il s'ensuit que ce n'est qu'après avoir eu connaissance de l'ouverture de l'information judiciaire du 5 mars 2015 ' à une date d'ailleurs non précisée ' que chaque souscripteur était en mesure d'exercer ses droits en se constituant partie civile.

Sur ce,

Statuant au visa des articles 2224 du code civil et L.110-4 du code de commerce, la cour de cassation a jugé que ' les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivant par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ' le délai de prescription court tant que le dommage invoqué par les souscripteurs ne s'est pas réalisé, en l'occurrence les pertes consécutives aux investissements (Com., 20 novembre 2024, 23-12.137).

Précisément, l'extrême surévaluation des manuscrits acquis par la SAS Aristophil et, partant, des parts qu'elle commercialisait, ont causé à Mme [Y] un préjudice qui n'était susceptible de lui être révélé qu'à la date de réception de l'avis à victime qui lui a été adressé à la suite de l'ouverture, le 5 mars 2015, d'une information judiciaire du chef d'escroqueries en bande organisée, dans le cadre de laquelle le dirigeant, M. [P] [J] et plusieurs membres de son entourage ont été mis en examen.

L'assignation datant du 12 septembre 2019, la prescription n'est pas acquise.

Sur l'obligation d'information et de conseil incombant à la SARL ABC Conseil et la société MD Conseils (devenue SAS Eden Vert) :

Se fondant sur les articles L.531-1 et L.533-12 du code monétaire et financier, Mme [Y] soutient que les conventions Amadeus qu'elle a signées constituent des produits financiers dont le contrôle relève de l'Autorité des Marchés Financiers.

La SAS Eden Vert fait valoir qu'il s'agit en réalité de contrats d'acquisition en tout ou partie de valeurs et d''uvres d'art, et invoque en ce sens un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 3 mars 2022 aux termes duquel : i) les objets d'art n'entrent pas dans la catégorie des instruments financiers tels qu'énumérés à l'article L.211-1 du code monétaire et financier, et ii) le contrat proposé par la SAS Aristophil « a pour objet la garde et la conservation, lesquelles ne peuvent être assimilées à un acte de gestion, la société Aristophil ne garantissant pas plus la reprise des oeuvres, objets des contrats, mais se réservant la possibilité d'acquiescer à la promesse de vente de l'acquéreur ».

Mme [Y] soutient quant à elle que la SARL ABC Conseil et la société MD Conseils sont bien des conseillers en investissement financier au sens de l'article L.541-1 § I du code monétaire et financier. Elles sont donc soumises aux dispositions de l'article L.541-8-1 du code monétaire et financier, et débitrices d'un devoir d'information, de conseil et de loyauté à son égard.

Sur ce,

L'arrêt de la cour d'appel de Versailles sur lequel la SAS Eden Vert fonde son argumentation tendait à dénier aux produits Aristophil la qualification de produit financier. Cet arrêt a été censuré par la cour de cassation qui a précisé qu'aux termes de son communiqué du 12 décembre 2012, l'Autorité des marchés financiers, pour justifier son appel à la vigilance en matière de placements atypiques, parmi lesquels les lettres et les manuscrits, a rappelé qu'aucun discours commercial ne doit faire oublier qu'il n'existe pas de rendement élevé sans risque élevé. La cour de cassation a jugé qu'en recommandant un tel placement sans tenir compte de cette alerte concernant le risque qu'était susceptible de présenter le placement proposé par la société Aristophil, que le rendement proposé imposait de prendre en considération, le conseil en investissement financier avait manqué à ses obligations d'information et de conseil (Com., 2 mai 2024, pourvoi n° 22-15.787).

Il est constant que, sur le fondement de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, le conseiller en gestion de patrimoine est tenu envers son client d'un devoir d'information et de conseil. Ainsi doit-il l'informer sur les caractéristiques essentielles, y compris les moins favorables, du placement qu'il lui propose ainsi que sur les risques qui lui sont associés, et qui peuvent être le corollaire des avantages annoncés. Il doit lui présenter, en fonction de l'expérience de ce dernier et en fonction le cas échéant de son degré d'aversion au risque, les avantages et inconvénients respectifs des investissements proposés ' la rentabilité ou la plus-value attendues étant nécessairement indexées sur le risque encouru. Il doit recommander un investissement adapté aux besoins de son client (Com., 2 novembre 2017, 16-15.756).

En l'occurrence, la SAS Eden Vert soutient qu'aucun contrat ne l'oblige à l'égard de Mme [Y], l'intéressée n'ayant contracté qu'avec la SAS Aristophil. Aucun des deux contrats 4180 et 5167 ne mentionne en effet la société MD Conseils, que ce soit en qualité d'intermédiaire ou de mandataire.

Mme [Y] produit cependant une « fiche connaissance client » (document. 7) dont il résulte expressément qu'elle a donné mandat le 10 novembre 2011 à M. [K] [N] (représentant la SARL ABC Conseil) de rechercher un produit financier destiné à valoriser un capital sur une durée de cinq ans, le niveau de risque associé à l'investissement étant qualifié de faible. Mme [Y] précise ne connaître ni le monde de l'art ni celui de la finance. Elle est infirmière, et son conjoint est paysagiste.

Le premier juge a exactement souligné que la mention d'un faible risque encouru était particulièrement imprudente au regard des mises en garde récurrentes de l'Autorité des Marchés Financiers, depuis le 24 décembre 2003, concernant les risques inhérents aux placements dits atypiques, notamment les lettres et manuscrits.

Il doit également être relevé que l'attention de Mme [Y] n'a pas été attirée sur l'absence de toute garantie de rachat des contrats Amadeus au terme de la période de dépôt de cinq ans. La SARL ABC Conseil a donc méconnu son devoir d'information et de conseil.

La société MD Conseils (devenue la SAS Eden Vert) conteste également l'existence d'un contrat avec Mme [Y].

Mme [Y] se prévaut toutefois d'un courrier du 27 avril 2015 (document 10) aux termes duquel Mme [V] [X] (agissant au nom de la société MD Conseils) l'informe de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire contre la SAS Aristophil, l'invite à produire sa créance avant le 10 mai 2015. En outre, la société MD Conseils évoque explicitement avoir sa collaboration avec la SARL ABC Conseil, tout au moins jusqu'en mars 2014, en vue de la commercialisation des produits Aristophil.

La SAS Eden Vert produit elle-même un document du 17 juillet 2010, intitulé « mandat de recherche de produits d'investissement » aux termes duquel Mme [V] [X] (MD Conseils) confie à M. [K] [N] (ABC Conseil) un produit d'investissement artistique n'entrant pas dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune (document 5 de la SAS Eden Vert).

Pas plus que la SARL ABC Conseil, la société MD Conseils ne rapporte la preuve qui lui incombe d'avoir satisfait à son devoir d'information et de conseil en attirant l'attention de sa cliente, qualifiée de fidèle par le courrier précité du 27 avril 2015, sur l'absence d'un véritable marché des lettres autographes et manuscrits anciens, sur l'absence de réelle garantie de rachat par la SAS Aristophil, et sur les risques de ce placement évoqués par l'AMF en décembre 2003 puis en 2007, antérieurement à l'établissement de leurs relations contractuelles.

Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité contractuelle de la société MD Conseils (devenue la SAS Eden Vert) et de la SARL ABC Conseil.

Sur l'existence d'un préjudice :

Le préjudice résultant du manquement d'un intermédiaire en investissement à ses obligations précontractuelles d'information, de conseil ou de mise en garde au regard d'un risque qu'il était tenu de prendre en considération, consiste en la perte d'une chance pour l'investisseur d'éviter le risque qui s'est réalisé (Com., 6 mars 2019, 17-22.668), en ne contractant pas ou en contractant à des conditions plus avantageuses. Ce préjudice doit être mesuré à la chance perdue et ne peut être égal à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Seule ouvre droit à réparation la perte certaine, réelle et sérieuse d'une chance.

Mme [Y] demande réparation d'un double préjudice financier et moral.

La SAS Eden Vert fait valoir que Mme [Y] est toujours propriétaire de ses collections et qu'elle ne caractérise aucun préjudice véritable. La SAS Eden Vert évoque par ailleurs une assurance Lloyd's de Londres que la SAS Aristophil aurait souscrite, et soutient qu'il revenait à Mme [Y] de la mobiliser.

La société MD Conseils fait observer que Mme [Y] reste propriétaire de deux collections de manuscrits d'une valeur de 46 000 euros, et que le préjudice invoqué est incertain dans son principe.

Sur ce,

Le préjudice financier invoqué ne résulte pas, comme soutenu par les sociétés MD Conseils et ABC Conseil, de la perte de la propriété des collections acquises, mais de la perte de chance de ne pas souscrire un placement à risque très élevé et non pas faible.

L'information judiciaire a établi que les reventes aux enchères de manuscrits déjà intervenues ont toutes abouti à une perte en capital, due à la survalorisation des manuscrits initialement acquis par la SAS Aristophil. Compte tenu d'un taux de perte s'inscrivant systématiquement à l'intérieur d'une fourchette de 84 à 92 % du capital investi, la cour retient pour Mme [Y] un taux de perte de 88 % du capital investi.

La perte de chance, que la cour évalue à hauteur de 80 % du préjudice financier subi, doit par conséquent être évaluée à la somme de 32 384 euros [(46 000 x 88 % = 40 480) x 80 %].

Mal conseillée, Mme [Y] a subi un préjudice moral d'autant moins contestable que les fonds investis correspondaient pour partie au remploi d'un capital-décès versé à la suite de la disparition de sa fille, ce que les intimées ne contestent pas. Ce préjudice doit être évalué à la somme de 3 000 euros.

Sur les demandes annexes :

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens doivent être confirmées.

L'équité justifie la condamnation in solidum de la SAS Eden Vert, venant aux droits de la société MD Conseils, et de la SARL ABC Conseil, à payer à Mme [Y] une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés devant la cour.

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la SAS Eden Vert venant aux droits de la société MD Conseils, et la SARL ABC Conseil, sont condamnés in solidum aux dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la responsabilité contractuelle de la SARL ABC Conseil et de la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, engagée à l'égard de Mme [H] [Y].

Confirme le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.

Infirme le jugement entrepris au titre du montant des dommages-intérêts alloués à Mme [H] [Y].

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Dit que l'action en responsabilité de Mme [Y] contre la SARL ABC Conseil et la SAS Eden Vert, anciennement MD Conseils, n'est pas prescrite.

Condamne in solidum la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [H] [Y] la somme de 32 384 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice financier, avec intérêts au taux légal depuis le 17 septembre 2019.

Condamne in solidum la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [H] [Y] la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral.

Condamne in solidum la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils, à payer à Mme [H] [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la SARL ABC Conseil et la SAS L'Eden Vert, anciennement MD Conseils,aux entiers dépens de l'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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