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CA Montpellier, 4e ch. civ., 11 septembre 2025, n° 24/00642

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 24/00642

11 septembre 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

4e chambre civile

ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 24/00642 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QDYO

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 09 JANVIER 2024

TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE [Localité 8]

N° RG 19/01190

APPELANTE :

Madame [Y] [W]

née le 03 Avril 1985 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier REDON de la SCP DONNADIEU-REDON-CLARET-ARIES-ANDRE, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant

INTIMEE :

S.A.S.U. ITM ENTREPRISES, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS, sous le numéro 722 064 102, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié ès qualités de droit au siège,

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par la SELAS AGN AVOCATS MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Myriam KHAMMASSI, avocat au barreau de PARIS substituant Me Jean-Alain JONVEL de la SELAFA JEAN CLAUDE COULON ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 29 avril 2025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mai 2025,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe SOUBEYRAN, président de chambre, chargé du rapport et Mme Marie-José FRANCO, conseillère.

Ces magistrat ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe SOUBEYRAN, président de chambre

Mme Marie-José FRANCO, conseillère

M. Jean-Jacques FRION, conseiller

Greffier lors des débats : Mme Hélène ALBESA

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par M. Philippe SOUBEYRAN, président de chambre, et par Mme Hélène ALBESA, greffier..

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

1- En 2010, la société ITM entreprises a signé un contrat d'enseigne avec la société Phisol qui a exploité le même fonds de commerce de supermarché à [Localité 9].

2- En janvier 2014, Madame [Y] [W] a été nommée gérante de la société Phisol, avec acceptation de la part de la direction d'ITM entreprises, sous réserve qu'elle apporte 200 000 € en compte courant, bloqués pendant 7 ans.

3- Le 1er février 2014, Mme [W] a signé un contrat d'adhésion et un contrat d'enseigne en sa qualité de gérante de la société Phisol avec la société ITM entreprises.

4- Suite à une étude de marché réalisée en 2013 par le groupe Mousquetaires (qui détient la société ITM entreprises), il a été décidé de procéder au transfert de la société Phisol sur la commune de [Localité 8].

5- Le 26 octobre 2015, la Commission Nationale d'Aménagement Commercial a rendu un avis favorable à l'implantation de la société Phisol dans des locaux sis à [Localité 8], dont la société MGE Salanque est propriétaire. Le Maire de [Localité 8] a accordé un permis de construire modificatif à cet effet, malgré l'avis défavorable du préfet.

6- Par requête du 26 avril 2016, la société Vernet Dis, exploitante voisine, a exercé un recours devant la Cour administrative d'appel de [Localité 6].

7- Le 4 juillet 2016, la société Phisol et la société MGE Salanque ont conclu un bail commercial.

8- Par jugement du 22 novembre 2017, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Phisol, à la demande de cette dernière.

Par jugement du 17 janvier 2017, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé la liquidation judiciaire de la société Phisol, désignant Maître [D] ès qualité de liquidateur judiciaire. La procédure a été clôturée le 31 juillet 2019 pour insuffisance d'actif.

9- Par arrêt du 4 décembre 2017, la Cour administrative d'appel de [Localité 6] a prononcé l'annulation du permis de construire délivré par le maire de [Localité 8] au motif que l'autorisation délivrée par la Commission n'était pas compatible avec les schémas de cohérence territoriale.

10- C'est dans ce contexte que, par acte d'huissier de justice du 3 avril 2019, Mme [W] a assigné la société ITM entreprises devant le tribunal judiciaire de Perpignan afin de solliciter la nullité du contrat d'adhésion et obtenir réparation de ses préjudices.

11- Par jugement du 9 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Perpignan a :

- Déclaré irrecevables les demandes de Mme [W] contre la société ITM entreprises du fait de l'absence de mise en oeuvre de la clause de conciliation préalable stipulée au contrat d'adhésion,

- Déclaré irrecevables les demandes de Mme [W] contre la société MGE Salanque au titre de la perte du compte courant d'associé et de la perte de la valeur des actions de la société Phisol, comme relevant du monopole du liquidateur,

- Déclaré recevables les demandes de Mme [W] contre la société MGE Salanque au titre de l'engagement de caution de la société Phisol et de la perte de la rémunération de dirigeant de la société Phisol,

- Débouté Mme [W] de ses demandes contre la société MGE Salanque au titre de l'engagement de caution de la société Phisol et de la perte de la rémunération de dirigeant de la société Phisol,

- Rejeté les demandes plus amples ou contraires,

- Condamné Mme [W] à payer la somme de 1 500 € à la société ITM entreprises et celle de 1 500 € à la société MGE Salanque par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamné Mme [W] aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de la SELARL Nese, avocats, dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

12- Mme [W] a relevé appel de ce jugement le 6 février 2024.

PRÉTENTIONS

13- Par uniques conclusions remises par voie électronique le 22 avril 2024, Mme [W] demande en substance à la cour de :

- Prononcer la nullité ou déclarer, subsidiairement, non écrite la clause de conciliation stipulée au contrat d'adhésion du 1er février 2014,

- Déclarer en conséquence recevable l'action de Mme [W] et réformer le jugement,

Statuant à nouveau :

- Prononcer la nullité et subsidiairement la résolution du contrat d'adhésion signé entre Mme [W] et la société ITM entreprises, aux torts de cette dernière,

- Condamner la société ITM entreprises à réparer les préjudices résultant de l'annulation ou la résolution du contrat d'adhésion,

- Dire et juger que la société ITM entreprises a fait perdre une chance à Mme [W] de prendre la décision de ne pas transférer sa société sur la commune de [Localité 8],

- Condamner en conséquence la société ITM entreprises à payer à Mme [W] en réparation du préjudice résultant de cette perte de chance les sommes suivantes :

- 120 000 € au titre de la perte de son compte courant,

- 67 561 € au titre de la perte de ses revenus de 2018 à 2020,

- 404 909 € au titre de la perte de la valeur de ses actions dans la société Phisol.

- En tout état de cause, condamner la société ITM entreprises à payer à Mme [W] la somme de 20 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

14- Par uniques conclusions remises par voie électronique le 18 juillet 2024, la société ITM entreprises demande en substance à la cour, au visa des articles 31, 122 et 123 du Code de procédure civile, 1151 ancien et 1231-4 du Code civil, L. 622-20 du Code de commerce, de :

à titre principal :

- Confirmer le jugement du 9 janvier 2024 en ce qu'il a constaté l'absence de mise en oeuvre de la clause de conciliation préalable stipulée au contrat d'adhésion et déclaré irrecevables les demandes de Mme [W],

à titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement dont appel :

- Juger que la société ITM entreprises n'a pas qualité à défendre,

- Juger que Mme [W] n'a pas qualité ni intérêt à agir,

- Juger que la demande de Mme [W] aux fins de voir déclarer reputée non écrite la clause de conciliation est nouvelle en cause d'appel et au surplus mal fondée,

- En conséquence, déclarer irrecevables les demandes de Mme [W].

à titre très subsidiaire :

- Juger que la société ITM entreprises n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat d'adhésion,

- Juger que Mme [W] ne justifie d'aucun préjudice indemnisable ni de leur quantum,

- Juger en conséquence mal fondées les demandes de Mme [W],

En tout état de cause :

- Débouter Mme [W] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- Condamner Mme [W] à payer la somme de 3 000 € à la société ITM entreprises, par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamner aux entiers dépens de l'instance.

15- Vu l'ordonnance de clôture en date du 29 avril 2025.

Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

16- Mme [W] conteste l'analyse que les premiers juges ont fait de la clause de conciliation obligatoire, retenue comme fin de non-recevoir à son action contre la société ITM entreprises.

17- Cette clause est ainsi libellée :

« Pour toute contestation qui s'élèverait entre les parties, relativement à l'interprétation, à l'exécution ou à la cessation pour quelque cause que ce soit des présentes, les soussignés s'engagent à soumettre leurs différends, préalablement à toute instance judiciaire, à un conciliateur.

Au cas où les parties ne parviendraient pas à se mettre d'accord sur le choix du conciliateur dans un délai de 30 jours à compter de la survenance du litige, chacune d'elles devra désigner un conciliateur dans un délai de 15 jours et les deux conciliateurs disposeront d'un délai de 15 jours à compter de la désignation du dernier d'entre eux pour désigner un troisième conciliateur.

A défaut de désignation par eux dans ce délai, le troisième conciliateur sera nommé par le Président du Tribunal de Commerce de PARIS ; statuant en référé à la requête de la partie la plus diligente.

Ce ou ces conciliateurs s'efforceront de régler les difficultés qui leurs seront soumises et de faire accepter, par les parties, une solution amiable, dans un délai maximum de trois (3) mois à compter de leur désignation.

A défaut de parvenir à cet accord, les Tribunaux du lieu du siège social de la société ITM ENTREPRISES seront seuls compétents ».

18- A l'argument des délais excessifs que la clause impose pour sa mise en oeuvre, en contradiction avec l'article 6 de la CEDH, c'est à raison que les premiers juges, procédant à son exégèse, ont considéré qu'elle ne mettait pas obstacle au droit de Mme [W] d'être entendue par un tribunal impartial dans un délai raisonnable.

19- La clause détaille des délais très précis : 30 jours pour la désignation commune d'un conciliateur ; plus 15 jours en cas de désaccord pour que chacune désigne son conciliateur ; plus 15 jours donnés aux deux conciliateurs pour en désigner un troisième ; utilisation du référé en cas de désaccord pour désignation du troisième conciliateur par le président du tribunal de commerce de Paris ; délai de trois mois pour que le ou les conciliateurs mènent à bien une solution amiable.

20- En admettant que les parties soient en désaccord sur la désignation d'un conciliateur et en considérant qu'une durée de deux mois soit nécessaire pour obtenir une ordonnance de référé désignant le troisième conciliateur, un délai cumulé de 1+1+2+3 soit 7 mois, n'entraîne pas un retard substantiel pour l'introduction d'un recours juridictionnel, le retard apporté étant totalement proportionné à l'objectif légitime de la clause qui est permettre aux parties de se rapprocher et de leur laisser le temps à cette fin. La démonstration n'est pas apportée que les obstacles au droit d'accès au juge sont démesurés sur les plans matériels et financiers.

21- Mme [W] tire argument de la violation du principe du droit à une protection juridictionnelle effective, tiré de l'article 13 de la convention européenne des droits de l'Homme et de l'article 47 des droits fondamentaux de l'Union Européenne, en ce que les frais engendrés par la clause de conciliation obligatoire la rende particulièrement onéreuse.

Or, comme elle le souligne, les conditions de la rémunération ne sont pas prévues. La clause est de conciliation, gratuite, non de médiation ou d'arbitrage, payantes. Rien n'établit donc qu'elle engendre des frais de nature à mettre obstacle à la protection accordée par les textes susvisés, Mme [W] n'étant pas même obligée de se rendre assistée d'un conseil pendant la phase de conciliation.

22- Mme [W] soutient le caractère non écrit de la clause dès lors

qu'elle impose comme tribunal le tribunal de commerce du ressort du siège social de la société ITM. Cette dernière lui oppose l'irrecevabilité de cette demande comme étant nouvelle en appel.

23- Toutefois, le moyen nouvellement opposé en appel par Mme [W] est un moyen de défense à la fin de non-recevoir et partant, se trouve recevable comme n'étant pas soumis aux dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.

24- Selon l'article 48 du code de procédure civile, toute clause qui directement ou indirectement déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait pas été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.

25- La société ITM Entreprises dont le siège social est à [Localité 7] n'a jamais entendu opposer la clause attributive de compétence territoriale à l'action de Mme [W].

26- Mme [W] qui agit en nullité du contrat d'adhésion constituant la charte des mousquetaires peut ne pas avoir agi en qualité de commerçante au 1er février 2024 lorsqu'elle signe ce contrat d'adhésion concomitamment au contrat d'enseigne, l'intimée ne contestant en rien la compétence rationae materiae du premier juge.

27- Quand bien même, la clause attributive de compétence territoriale qu'elle entend faire juger non écrite est parfaitement détachable de la clause de non-conciliation qui ne serait en rien affectée puisque la simple désignation du président du tribunal de commerce de Paris comme autorité judiciaire de désignation du troisième conciliateur ne déroge en rien aux rien aux règles de compétence territoriale.

28- Mme [W] argue de ce que la clause de conciliation a pour champ d'application l'interprétation, l'exécution ou la cessation pour quelque cause que ce soit du contrat d'adhésion. Comme elle agit en nullité du contrat, cette clause ne serait donc pas applicable.

29- Les règles d'interprétation des contrats édictées aux articles 1156 et suivants anciens du code civil commandent en priorité de s'intéresser à la commune intention des parties plutôt que de s'intéresser au sens littéral des termes.

30- Certes le mot nullité n'y est pas mentionné, mais la commune intention des parties est manifestement de lui attacher le sens commun le plus large par l'emploi de l'expression 'pour quelque cause que ce soit', l'annulation rétroactive de l'acte avec pour conséquences des remises en état se rattachant sans ambages à sa cessation.

31- La clause de conciliation obligatoire a donc été justement considérée comme valide et les premiers juges en ont à juste titre retenu l'existence d'une fin de non recevoir à l'action de Mme [W]. Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions déférées.

32- Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [W] supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

statuant contradictoirement,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions déférées,

Y ajoutant,

Condamne Mme [Y] [W] aux dépens d'appel,

Condamne Mme [Y] [W] à payer à la société ITM Entreprises la somme de 2500€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

le greffier le président

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