CA Lyon, 1re ch. civ. a, 11 septembre 2025, n° 21/06795
LYON
Arrêt
Autre
N° RG 21/06795 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N2JJ
Décision du Tribunal Judiciaire de LYON
Au fond du 08 juillet 2021
(chambre 10 cab 10 H)
RG : 16/09896
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 11 Septembre 2025
APPELANT :
M. [X] [G]
né le 30 Mai 1955 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par la SELARL LEVY ROCHE SARDA, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 713
Et ayant pour avocat plaidant Me Bernard GALLETY, avocat au barreau de CHAMBERY
INTIMEE :
Mme [L] [D] es qualité de liquidateur de la SARL [D]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1983
Et ayant pour avocat plaidant la SELARL KAEPPELIN-MABRUT, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 11 Octobre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 Janvier 2025
Date de mise à disposition : 14 avril 2025 prorogée au 11 septembre 2025 les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile
Audience présidée par Anne WYON, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Anne WYON, président
- Patricia GONZALEZ, président
- Julien SEITZ, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Julien SEITZ, conseiller pour le président empêché, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
La société [D] a conclu le 20 janvier 2007 un bail commercial portant sur des locaux commerciaux situés à [Localité 6] en vue de l'exploitation d'un commerce de pâtisserie. Ces locaux ont été acquis en 2010 par M. [G].
Le 19 mai 2015, la société [D] a conclu un compromis de vente de son fonds de commerce sous condition suspensive de l'agrément du repreneur par le bailleur.
M. [G] a refusé de délivrer l'agrément au motif qu'il ne souhaitait pas renouveler le bail à son échéance.
Par acte d'huissier du 30 septembre 2015, M. [G] a donné congé sans offre de renouvellement à la société [D] pour le 31 mars 2016 et lui a offert de verser une indemnité d'éviction non chiffrée à déterminer par voie judiciaire en l'absence d'accord des parties. La société [D] a quitté les lieux le 31 mars 2016 sans avoir reçu d'indemnité d'éviction.
Suivant assemblée générale du 1er juillet 2016, les associés de la société [D] ont décidé de sa dissolution anticipée et ont désigné Mme [L] [D] en qualité de liquidatrice.
Mme [D] ès qualités a saisi le tribunal de grande instance de Lyon qui, par jugement du 13 octobre 2016, a déclaré recevables ses prétentions et a organisé une expertise confiée à M. [Z], afin de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 20 mars 2018, évaluant la valeur marchande du fonds à 89.200 euros et l'indemnité d'éviction à 98.100 euros.
Par jugement du 8 juillet 2021, le tribunal judiciaire a :
- condamné M. [X] [G] au paiement au profit de Mme [L] [D], es qualité de liquidatrice de la société [D], d'une indemnité d'éviction d'un montant de :
- 96'040 euros au titre de l'indemnité principale,
- 10.156,91 euros au titre des frais de maintien de la société [D],
- 1500 euros au titre de la perte d'exploitation ;
- débouté Mme [L] [D], ès qualité de liquidatrice de la société [D], de ses prétentions relatives à l'indemnité de remploi et au coût de l'état des lieux ;
- condamné M. [X] [G] aux dépens comprenant les frais d'expertise ;
- condamné M. [X] [G] à payer à Mme [L] [D], es qualité de liquidatrice de la société [D], la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- rejeté toutes les autres demandes plus amples au contraire formées par les parties.
M. [G] a relevé appel de cette décision des chefs du jugement ayant prononcé condamnation à son encontre par déclaration du 31 août 2021.
Par ordonnance du 22 novembre 2021, le délégué du premier président de cette cour d'appel a autorisé M. [G] à consigner la somme de 50'000 euros sur le compte Carpa de l'avocat constitué devant la cour d'appel de Lyon pour la liquidatrice de la SARL [D].
Par conclusions déposées au greffe le 26 septembre 2022, M. [X] [G] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :
- fixer le montant de l'indemnité principale d'éviction à la somme de 40'000 euros,
- exclure toute indemnité accessoire,
- rejeter l'appel incident visant à porter le montant de l'indemnité principale à la somme de 109'760 euros,
- rejeter l'appel incident visant à sa condamnation au paiement d'une indemnité de réemploi à hauteur de 10 % du montant de l'indemnité principale,
- rejeter l'appel incident visant à porter à la somme de 18'000 euros les dommages et intérêts réparant la perte d'exploitation,
- rejeter la demande d'actualisation visant à porter à la somme de 18'792,91 euros
l'indemnité allouée au titre des frais de maintien de la société ;
- ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
- faire masse des dépens incluant les frais et honoraires de l'expert judiciaire d'en partager la charge par moitié entre les parties ;
- admettre la SCP Lévy Roche Sarda, avocats au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [G] fait essentiellement valoir que l'indemnité d'éviction ayant vocation à réparer le préjudice réellement subi par le locataire, c'est à tort que le tribunal a retenu la somme de 96'040 euros correspondant à 70 % du chiffre d'affaires moyen pondéré hors-taxes des trois derniers exercices connus alors que dans le cadre d'un compromis de vente conclu par la société en mai 2015, le prix du fonds avait été fixé à 60'000 euros dont 40'000 euros au titre des éléments incorporels et 20'000 euros au titre des éléments corporels. Il estime que l'indemnité d'éviction doit en conséquence être fixée à la somme de 40'000 euros.
Il affirme que le coût du maintien de la société n'est pas directement lié au refus de renouvellement du bail mais au choix personnel de Mme [D] de ne pas utiliser la même entité juridique comme support de sa nouvelle activité.
Il soutient que la société [D] ne prévoyant pas d'exercer une nouvelle activité puisqu'elle a fait l'objet d'une dissolution anticipée le 1er juillet 2016, et sa gérante ayant l'intention d'exercer une activité nouvelle et différente, aucune indemnité de réemploi n'est due, d'autant que toute activité avait cessé plusieurs semaines avant le terme du bail, le matériel nécessaire à l'exploitation ayant été vendu, ce alors que la société [D] ne pouvait ignorer qu'elle avait la faculté de se maintenir dans les lieux jusqu'à complet paiement de l'indemnité d'éviction.
Il conteste devoir indemniser la société [D] de son manque à gagner du fait de la fermeture du fonds pendant la période des fêtes de Pâques 2016 alors qu'elle avait librement décidé de mettre un terme à son activité.
Par conclusions déposées au greffe le 26 septembre 2022, Mme [L] [D], prise en sa qualité de liquidatrice de la société [D], demande à la cour de :
- déclarer irrecevables et mal fondées les prétentions développées par M. [G],
- dire recevable et bien fondé son appel incident,
En conséquence, infirmant ou ajoutant à la décision entreprise,
- condamner M. [G] au paiement d'une indemnité d'éviction d'un montant de :
- au titre de l'indemnité principale : 109'760 euros, et subsidiairement, confirmer la décision entreprise,
- au titre des indemnités accessoires :
- 10 % de l'indemnité principale au titre de l'indemnité de remploi,
- 4374 euros au titre des frais pour tenue de comptabilité depuis l'éviction,
- 7505 euros au titre des cotisations URSSAF,
- 2419 euros au titre de la cotisation foncière des entreprises pour les années 2017 et 2018,
- 174,91 euros au titre de l'évaluation des frais bancaires,
- perte de marge brute pour la période précédant la fermeture du fonds de commerce
- condamner M. [G] à lui verser ès qualités la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.
Mme [D] ès qualités évoque la résistance abusive dont M. [G] a fait preuve à son égard en cherchant à provoquer son départ depuis son acquisition de l'immeuble, et le fait qu'il a délivré congé sans former de proposition indemnitaire, contraignant ainsi la société à introduire une procédure pour réclamer l'indemnisation qui lui était due.
Elle conteste que l'indemnité d'éviction puisse être chiffrée au vu du prix proposé en mai 2015, alors qu'excédée par l'attitude de son propriétaire et motivée par son souhait de fonder une famille et de réorienter son activité, elle a vainement tenté de vendre le fonds à l'amiable à un prix inférieur à celui du marché, comme l'a confirmé l'expert judiciaire.
Elle fait observer que 7 ans après la cessation d'activité de la société [D], elle ne dispose pas des fonds lui permettant de se réinstaller, de sorte qu'elle a dû prendre un emploi salarié.
Elle demande à la cour de fixer l'indemnité d'éviction à 80 % du chiffre d'affaires moyen retenu par l'expert en raison de l'implantation du commerce dans un secteur animé, avec une bonne visibilité, rappelle que le versement de l'indemnité de remploi est de droit contrairement à ce qu'a décidé le tribunal et réclame la condamnation de M. [G] à lui régler les divers frais relatifs au maintien de l'existence de la société, ainsi que le montant de la marge brute correspondant à la perte d'exploitation pendant la période de Pâques 2016.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2022.
DISCUSSION
Vu l'article L 145-14 du code de commerce aux termes duquel l'indemnité d'éviction est en l'espèce composée d'une indemnité de remplacement qui ne peut être inférieure à la valeur du droit au bail ;
L'évaluation de la valeur marchande du fonds par l'expert judiciaire n'a pas fait l'objet de critiques de la part des parties. L'homme de l'art a écarté le dire de M. [G] qui lui demandait de considérer le prix retenu dans le compromis de cession de mai 2015, en exposant qu'il avait été fixé dans les conditions qu'il ignorait. C'est à juste titre que le premier juge a adopté la même position que l'expert sur ce point, peu important les motifs avancés par Mme [D] pour justifier le montant amiablement retenu, dans la mesure où en matière de vente amiable, les parties ont toute latitude pour fixer le prix, alors que le juge doit calculer l'indemnité d'éviction à la date du départ du preneur, soit en l'espèce au 31 mars 2016, en considération des dispositions de l'article L 145 -14 du code de commerce précité.
Il convient en conséquence de retenir l'évaluation de l'expert qui repose sur 6 éléments de comparaison objectifs pour la détermination de la fourchette et sur un examen détaillé des éléments caractérisant le fonds, tout en restant dans la fourchette de 70 à 110 % du chiffre d'affaires qu'il a déterminée, les circonstances qu'un seul client de la société [D], à savoir la mairie de [Localité 6], lui procure 20 % de son chiffre d'affaires, et que les locaux, agencements et équipements soient vieillissants ne suffisant pas à minorer la valeur du fonds de 5 % par rapport à la base de la fourchette, alors que l'emplacement des locaux est très favorable en ce qu'ils sont situés à l'angle de deux rues et donc dotés d'une bonne visibilité, dans un secteur bien desservi par les transports et à dominante d'habitations collectives de plus en plus nombreuses, ces éléments n'étant au demeurant nullement contestés par le bailleur.
Mme [D] ès qualités s'appuie sur l'emplacement favorable du fonds de commerce pour solliciter la fixation de l'indemnité à 80 % du chiffre d'affaires moyen. Toutefois les éléments dépréciatifs résultant de l'état des locaux et du risque constitué par un client prépondérant du commerce doivent également être pris en considération. C'est pourquoi la cour confirmera le jugement critiqué de ce chef qui a fixé l'indemnité principale à la somme de 96'040 euros.
Le premier juge a fait observer à juste titre que la société [D] a fait l'objet d'une dissolution anticipée et ne pourra se réinstaller et que c'est vainement que Mme [D] allègue ses projets personnels de création d'un salon de thé pour justifier l'octroi d'une indemnité de remploi, alors qu'elle n'était pas la preneuse du bail commercial. Ces motifs pertinents répondent aux moyens soulevés par Mme [D] en cause d'appel et seront adoptés par la cour pour confirmer ce chef de décision.
Le retard de paiement de l'indemnité d'éviction a contraint la société [D] à se maintenir; la décision critiquée mérite confirmation en ce qu'elle a condamné M. [G] à indemniser la société preneuse des frais ainsi occasionnés qui sont justifiés en appel par les productions, à savoir :
- honoraires afférents au dépôt des comptes au greffe et frais de greffe au 30 juin 2019 : 2187 euros
- honoraires pour l'établissement des bilans de 2017 à 2021 : 4320 euros
- cotisations foncières des entreprises : 2419 euros
- frais bancaires, agios, frais de tenue de compte de du 1er juillet 2016 au 31 décembre 2022: 174,91 euros
Il ne sera pas fait droit à la demande en remboursement des cotisations RSI versées par la société pour la gérance de la SARL de 2017 à 2022, d'un montant de 7505 euros, qui ne ressortent pas des frais de maintien de la société et ont directement bénéficié à sa gérante, lui permettant d'avoir une couverture sociale et comptant dans le calcul de sa retraite, ainsi que l'a rappelé l'expert.
La cour retiendra en conséquence une somme totale totale de 9105,91 euros inférieur au montant retenu par le premier juge dont la décision sera infirmée sur ce point.
S'agissant du préjudice de perte d'exploitation au titre de la période de Pâques 2016, la cour relève comme le premier juge que le week-end de Pâques, très favorable à l'activité exercée par la société [D], était celui précédant la date de résiliation du bail. Quand bien même la société pouvait-elle se maintenir dans les lieux tant que l'indemnité d'éviction n'était pas versée, il ne saurait lui être reproché de les avoir quittés à la date prévue par le congé, alors que l'acte de non-renouvellement du bail rappelait à la preneuse qu'il lui faisait obligation de déguerpir, et que depuis le 27 juillet 2015, date à laquelle il a refusé d'agréer le cessionnaire présenté par la société [D], M. [G] écrivait qu'il avait prévu de ne pas renouveler le bail à son échéance du 31 mars 2016. C'est pourquoi la cour confirmera encore le jugement qui a justement évalué ce préjudice à 1500 euros à l'aune de la marge brute qui aurait été générée pendant cette période.
Le jugement sera donc étant confirmé pour l'essentiel, Monsieur [G], partie perdante, supportera les dépens d'appel et sera condamné à payer à Mme [D] ès qualités une indemnité de 8000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement RG n°16/09896 rendu le 8 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a retenu au titre des frais de maintien de la société [D] la somme de 10.156,91 euros, et, statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne M. [G] à payer à Mme [D] ès qualités la somme de 9.105,91 euros à ce titre ;
Confirme le jugement du 8 juillet 2021 sur le surplus ;
Y ajoutant,
Condamne M. [G] aux dépens d'appel et au paiement à Mme [L] [D] en sa qualité de liquidatrice amiable de la société [D] d'une somme de 8000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE CONSEILLER POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ
Décision du Tribunal Judiciaire de LYON
Au fond du 08 juillet 2021
(chambre 10 cab 10 H)
RG : 16/09896
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 11 Septembre 2025
APPELANT :
M. [X] [G]
né le 30 Mai 1955 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par la SELARL LEVY ROCHE SARDA, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 713
Et ayant pour avocat plaidant Me Bernard GALLETY, avocat au barreau de CHAMBERY
INTIMEE :
Mme [L] [D] es qualité de liquidateur de la SARL [D]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1983
Et ayant pour avocat plaidant la SELARL KAEPPELIN-MABRUT, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE
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Date de clôture de l'instruction : 11 Octobre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 Janvier 2025
Date de mise à disposition : 14 avril 2025 prorogée au 11 septembre 2025 les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile
Audience présidée par Anne WYON, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Anne WYON, président
- Patricia GONZALEZ, président
- Julien SEITZ, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Julien SEITZ, conseiller pour le président empêché, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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La société [D] a conclu le 20 janvier 2007 un bail commercial portant sur des locaux commerciaux situés à [Localité 6] en vue de l'exploitation d'un commerce de pâtisserie. Ces locaux ont été acquis en 2010 par M. [G].
Le 19 mai 2015, la société [D] a conclu un compromis de vente de son fonds de commerce sous condition suspensive de l'agrément du repreneur par le bailleur.
M. [G] a refusé de délivrer l'agrément au motif qu'il ne souhaitait pas renouveler le bail à son échéance.
Par acte d'huissier du 30 septembre 2015, M. [G] a donné congé sans offre de renouvellement à la société [D] pour le 31 mars 2016 et lui a offert de verser une indemnité d'éviction non chiffrée à déterminer par voie judiciaire en l'absence d'accord des parties. La société [D] a quitté les lieux le 31 mars 2016 sans avoir reçu d'indemnité d'éviction.
Suivant assemblée générale du 1er juillet 2016, les associés de la société [D] ont décidé de sa dissolution anticipée et ont désigné Mme [L] [D] en qualité de liquidatrice.
Mme [D] ès qualités a saisi le tribunal de grande instance de Lyon qui, par jugement du 13 octobre 2016, a déclaré recevables ses prétentions et a organisé une expertise confiée à M. [Z], afin de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 20 mars 2018, évaluant la valeur marchande du fonds à 89.200 euros et l'indemnité d'éviction à 98.100 euros.
Par jugement du 8 juillet 2021, le tribunal judiciaire a :
- condamné M. [X] [G] au paiement au profit de Mme [L] [D], es qualité de liquidatrice de la société [D], d'une indemnité d'éviction d'un montant de :
- 96'040 euros au titre de l'indemnité principale,
- 10.156,91 euros au titre des frais de maintien de la société [D],
- 1500 euros au titre de la perte d'exploitation ;
- débouté Mme [L] [D], ès qualité de liquidatrice de la société [D], de ses prétentions relatives à l'indemnité de remploi et au coût de l'état des lieux ;
- condamné M. [X] [G] aux dépens comprenant les frais d'expertise ;
- condamné M. [X] [G] à payer à Mme [L] [D], es qualité de liquidatrice de la société [D], la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- rejeté toutes les autres demandes plus amples au contraire formées par les parties.
M. [G] a relevé appel de cette décision des chefs du jugement ayant prononcé condamnation à son encontre par déclaration du 31 août 2021.
Par ordonnance du 22 novembre 2021, le délégué du premier président de cette cour d'appel a autorisé M. [G] à consigner la somme de 50'000 euros sur le compte Carpa de l'avocat constitué devant la cour d'appel de Lyon pour la liquidatrice de la SARL [D].
Par conclusions déposées au greffe le 26 septembre 2022, M. [X] [G] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :
- fixer le montant de l'indemnité principale d'éviction à la somme de 40'000 euros,
- exclure toute indemnité accessoire,
- rejeter l'appel incident visant à porter le montant de l'indemnité principale à la somme de 109'760 euros,
- rejeter l'appel incident visant à sa condamnation au paiement d'une indemnité de réemploi à hauteur de 10 % du montant de l'indemnité principale,
- rejeter l'appel incident visant à porter à la somme de 18'000 euros les dommages et intérêts réparant la perte d'exploitation,
- rejeter la demande d'actualisation visant à porter à la somme de 18'792,91 euros
l'indemnité allouée au titre des frais de maintien de la société ;
- ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
- faire masse des dépens incluant les frais et honoraires de l'expert judiciaire d'en partager la charge par moitié entre les parties ;
- admettre la SCP Lévy Roche Sarda, avocats au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [G] fait essentiellement valoir que l'indemnité d'éviction ayant vocation à réparer le préjudice réellement subi par le locataire, c'est à tort que le tribunal a retenu la somme de 96'040 euros correspondant à 70 % du chiffre d'affaires moyen pondéré hors-taxes des trois derniers exercices connus alors que dans le cadre d'un compromis de vente conclu par la société en mai 2015, le prix du fonds avait été fixé à 60'000 euros dont 40'000 euros au titre des éléments incorporels et 20'000 euros au titre des éléments corporels. Il estime que l'indemnité d'éviction doit en conséquence être fixée à la somme de 40'000 euros.
Il affirme que le coût du maintien de la société n'est pas directement lié au refus de renouvellement du bail mais au choix personnel de Mme [D] de ne pas utiliser la même entité juridique comme support de sa nouvelle activité.
Il soutient que la société [D] ne prévoyant pas d'exercer une nouvelle activité puisqu'elle a fait l'objet d'une dissolution anticipée le 1er juillet 2016, et sa gérante ayant l'intention d'exercer une activité nouvelle et différente, aucune indemnité de réemploi n'est due, d'autant que toute activité avait cessé plusieurs semaines avant le terme du bail, le matériel nécessaire à l'exploitation ayant été vendu, ce alors que la société [D] ne pouvait ignorer qu'elle avait la faculté de se maintenir dans les lieux jusqu'à complet paiement de l'indemnité d'éviction.
Il conteste devoir indemniser la société [D] de son manque à gagner du fait de la fermeture du fonds pendant la période des fêtes de Pâques 2016 alors qu'elle avait librement décidé de mettre un terme à son activité.
Par conclusions déposées au greffe le 26 septembre 2022, Mme [L] [D], prise en sa qualité de liquidatrice de la société [D], demande à la cour de :
- déclarer irrecevables et mal fondées les prétentions développées par M. [G],
- dire recevable et bien fondé son appel incident,
En conséquence, infirmant ou ajoutant à la décision entreprise,
- condamner M. [G] au paiement d'une indemnité d'éviction d'un montant de :
- au titre de l'indemnité principale : 109'760 euros, et subsidiairement, confirmer la décision entreprise,
- au titre des indemnités accessoires :
- 10 % de l'indemnité principale au titre de l'indemnité de remploi,
- 4374 euros au titre des frais pour tenue de comptabilité depuis l'éviction,
- 7505 euros au titre des cotisations URSSAF,
- 2419 euros au titre de la cotisation foncière des entreprises pour les années 2017 et 2018,
- 174,91 euros au titre de l'évaluation des frais bancaires,
- perte de marge brute pour la période précédant la fermeture du fonds de commerce
- condamner M. [G] à lui verser ès qualités la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.
Mme [D] ès qualités évoque la résistance abusive dont M. [G] a fait preuve à son égard en cherchant à provoquer son départ depuis son acquisition de l'immeuble, et le fait qu'il a délivré congé sans former de proposition indemnitaire, contraignant ainsi la société à introduire une procédure pour réclamer l'indemnisation qui lui était due.
Elle conteste que l'indemnité d'éviction puisse être chiffrée au vu du prix proposé en mai 2015, alors qu'excédée par l'attitude de son propriétaire et motivée par son souhait de fonder une famille et de réorienter son activité, elle a vainement tenté de vendre le fonds à l'amiable à un prix inférieur à celui du marché, comme l'a confirmé l'expert judiciaire.
Elle fait observer que 7 ans après la cessation d'activité de la société [D], elle ne dispose pas des fonds lui permettant de se réinstaller, de sorte qu'elle a dû prendre un emploi salarié.
Elle demande à la cour de fixer l'indemnité d'éviction à 80 % du chiffre d'affaires moyen retenu par l'expert en raison de l'implantation du commerce dans un secteur animé, avec une bonne visibilité, rappelle que le versement de l'indemnité de remploi est de droit contrairement à ce qu'a décidé le tribunal et réclame la condamnation de M. [G] à lui régler les divers frais relatifs au maintien de l'existence de la société, ainsi que le montant de la marge brute correspondant à la perte d'exploitation pendant la période de Pâques 2016.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2022.
DISCUSSION
Vu l'article L 145-14 du code de commerce aux termes duquel l'indemnité d'éviction est en l'espèce composée d'une indemnité de remplacement qui ne peut être inférieure à la valeur du droit au bail ;
L'évaluation de la valeur marchande du fonds par l'expert judiciaire n'a pas fait l'objet de critiques de la part des parties. L'homme de l'art a écarté le dire de M. [G] qui lui demandait de considérer le prix retenu dans le compromis de cession de mai 2015, en exposant qu'il avait été fixé dans les conditions qu'il ignorait. C'est à juste titre que le premier juge a adopté la même position que l'expert sur ce point, peu important les motifs avancés par Mme [D] pour justifier le montant amiablement retenu, dans la mesure où en matière de vente amiable, les parties ont toute latitude pour fixer le prix, alors que le juge doit calculer l'indemnité d'éviction à la date du départ du preneur, soit en l'espèce au 31 mars 2016, en considération des dispositions de l'article L 145 -14 du code de commerce précité.
Il convient en conséquence de retenir l'évaluation de l'expert qui repose sur 6 éléments de comparaison objectifs pour la détermination de la fourchette et sur un examen détaillé des éléments caractérisant le fonds, tout en restant dans la fourchette de 70 à 110 % du chiffre d'affaires qu'il a déterminée, les circonstances qu'un seul client de la société [D], à savoir la mairie de [Localité 6], lui procure 20 % de son chiffre d'affaires, et que les locaux, agencements et équipements soient vieillissants ne suffisant pas à minorer la valeur du fonds de 5 % par rapport à la base de la fourchette, alors que l'emplacement des locaux est très favorable en ce qu'ils sont situés à l'angle de deux rues et donc dotés d'une bonne visibilité, dans un secteur bien desservi par les transports et à dominante d'habitations collectives de plus en plus nombreuses, ces éléments n'étant au demeurant nullement contestés par le bailleur.
Mme [D] ès qualités s'appuie sur l'emplacement favorable du fonds de commerce pour solliciter la fixation de l'indemnité à 80 % du chiffre d'affaires moyen. Toutefois les éléments dépréciatifs résultant de l'état des locaux et du risque constitué par un client prépondérant du commerce doivent également être pris en considération. C'est pourquoi la cour confirmera le jugement critiqué de ce chef qui a fixé l'indemnité principale à la somme de 96'040 euros.
Le premier juge a fait observer à juste titre que la société [D] a fait l'objet d'une dissolution anticipée et ne pourra se réinstaller et que c'est vainement que Mme [D] allègue ses projets personnels de création d'un salon de thé pour justifier l'octroi d'une indemnité de remploi, alors qu'elle n'était pas la preneuse du bail commercial. Ces motifs pertinents répondent aux moyens soulevés par Mme [D] en cause d'appel et seront adoptés par la cour pour confirmer ce chef de décision.
Le retard de paiement de l'indemnité d'éviction a contraint la société [D] à se maintenir; la décision critiquée mérite confirmation en ce qu'elle a condamné M. [G] à indemniser la société preneuse des frais ainsi occasionnés qui sont justifiés en appel par les productions, à savoir :
- honoraires afférents au dépôt des comptes au greffe et frais de greffe au 30 juin 2019 : 2187 euros
- honoraires pour l'établissement des bilans de 2017 à 2021 : 4320 euros
- cotisations foncières des entreprises : 2419 euros
- frais bancaires, agios, frais de tenue de compte de du 1er juillet 2016 au 31 décembre 2022: 174,91 euros
Il ne sera pas fait droit à la demande en remboursement des cotisations RSI versées par la société pour la gérance de la SARL de 2017 à 2022, d'un montant de 7505 euros, qui ne ressortent pas des frais de maintien de la société et ont directement bénéficié à sa gérante, lui permettant d'avoir une couverture sociale et comptant dans le calcul de sa retraite, ainsi que l'a rappelé l'expert.
La cour retiendra en conséquence une somme totale totale de 9105,91 euros inférieur au montant retenu par le premier juge dont la décision sera infirmée sur ce point.
S'agissant du préjudice de perte d'exploitation au titre de la période de Pâques 2016, la cour relève comme le premier juge que le week-end de Pâques, très favorable à l'activité exercée par la société [D], était celui précédant la date de résiliation du bail. Quand bien même la société pouvait-elle se maintenir dans les lieux tant que l'indemnité d'éviction n'était pas versée, il ne saurait lui être reproché de les avoir quittés à la date prévue par le congé, alors que l'acte de non-renouvellement du bail rappelait à la preneuse qu'il lui faisait obligation de déguerpir, et que depuis le 27 juillet 2015, date à laquelle il a refusé d'agréer le cessionnaire présenté par la société [D], M. [G] écrivait qu'il avait prévu de ne pas renouveler le bail à son échéance du 31 mars 2016. C'est pourquoi la cour confirmera encore le jugement qui a justement évalué ce préjudice à 1500 euros à l'aune de la marge brute qui aurait été générée pendant cette période.
Le jugement sera donc étant confirmé pour l'essentiel, Monsieur [G], partie perdante, supportera les dépens d'appel et sera condamné à payer à Mme [D] ès qualités une indemnité de 8000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement RG n°16/09896 rendu le 8 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a retenu au titre des frais de maintien de la société [D] la somme de 10.156,91 euros, et, statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne M. [G] à payer à Mme [D] ès qualités la somme de 9.105,91 euros à ce titre ;
Confirme le jugement du 8 juillet 2021 sur le surplus ;
Y ajoutant,
Condamne M. [G] aux dépens d'appel et au paiement à Mme [L] [D] en sa qualité de liquidatrice amiable de la société [D] d'une somme de 8000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE CONSEILLER POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ