CA Montpellier, 2e ch. civ., 11 septembre 2025, n° 24/05964
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre civile
ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/05964 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QOZH
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 21 NOVEMBRE 2024 JUGE DE LA MISE EN ETAT DE [Localité 7] N° RG 22/00737
APPELANTE :
S.A.S. FONCIA ROUSSILLON Agissant poursuites et diligences de son représentant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
Représentée par Me CORMERAIS substituant Me Sarah HUOT de la SCP VIAL-PECH DE LACLAUSE-ESCALE- KNOEPFFLER-HUOT-PIRET-JOUBES, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES
INTIMEE :
La Société MAXAL Société par actions simplifiée au capital de 1.000.000 €, immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le n° 813 221 777 Dont le siège social est [Adresse 1] Prise en la personne de Monsieur [I], son président
[Adresse 2]
Représentée par Me GUERS substituant Me Clément BERMOND de la SCP VERBATEAM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 15 Mai 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 906-5 et 914-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Mai 2025,en audience publique, devant Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre et Mme Virginie HERMENT, Conseillère, chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Michelle TORRECILLAS, présidente de chambre
Madame Nelly CARLIER, Conseiller
Mme Virginie HERMENT, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Laurence SENDRA
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre, et par M. Salvatore SAMBITO, Greffier.
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 3 juillet 2002, M. [W] [Y] a consenti à M. [J] [S] un bail commercial portant sur un local situé dans un immeuble sis [Adresse 4] à [Localité 5], pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2002, moyennant le paiement d'un loyer d'un montant annuel de 5 856 euros, payable d'avance, le premier de chaque mois.
Puis une cession de fonds de commerce est intervenue au bénéfice de la société Foncia Roussillon qui est devenue locataire des lieux.
Aux termes d'un acte authentique en date du 30 juillet 2018, la société Maxal a acquis le bâtiment situé [Adresse 4] à [Localité 5].
Par acte d'huissier du 17 septembre 2018, la société Maxal a fait délivrer à la société Foncia Roussillon un congé avec refus de renouvellement à effet au 31 mars 2019.
Puis, par acte du 25 septembre 2018, la société Maxal a fait assigner la société Foncia Roussillon en référé devant le président du tribunal judiciaire de Perpignan aux fins d'instauration d'une mesure d'expertise ayant pour objet de fournir tous éléments permettant de déterminer l'indemnité à laquelle pourrait prétendre la locataire et d'apprécier la valeur locative des lieux ainsi que l'indemnité d'occupation due.
Aux termes d'une ordonnance rendue le 28 novembre 2018, le président du tribunal judiciaire de Perpignan a fait droit à la demande d'expertise en désignant M. [N] [H] pour y procéder.
Par ordonnance du 27 juillet 2022, M. [X] [V] a été désigné par le juge chargé du contrôle des expertises en remplacement de M. [N] [H].
L'expert [V] a déposé son rapport le 14 juin 2023.
Par acte du 15 mars 2022, la société Foncia Roussillon a fait assigner la société Maxal devant le tribunal judiciaire de Perpignan afin qu'il :
- fixe le montant de l'indemnité d'éviction principale à la somme de 95 000 euros,
- fixe le montant des indemnités accessoires à la somme de 157 374, 90 euros,
- en conséquence, condamne la société Maxal à lui verser la somme de 252 374, 90 euros au titre de l'indemnité d'éviction,
- fixe l'indemnité d'occupation due à compter du 1er avril 2019 à la somme anuelle de 6 750 euros hors taxe et hors charge,
- en conséquence, condamne la société Maxal à lui verser la somme de 2 100, 38 euros au titre du trop-perçu d'indemnité d'occupation pour la période du 1er avril 2019 au 15 septembre 2020,
- condamne la société Maxal aux entiers dépens, ainsi qu'au versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 10 novembre 2022, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer dans l'attente du dépôt par l'expert de son rapport.
Aux termes de conclusions d'incident communiquées le 13 décembre 2023, la société Maxal a saisi le juge de la mise en état afin qu'il déclare prescrites les demandes de la société Foncia Roussillon tendant au paiement d'une indemnité d'éviction.
Dans une ordonnance rendue le 21 novembre 2024, le juge de la mise en état a :
- accueilli favorablement la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Maxal,
- déclaré irrecevable l'action engagée par la société Foncia Roussillon,
- condamné la société Foncia Roussillon à verser à la société Maxal une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
- rappelé que la décision mettait fin à l'instance.
Par déclaration en date du 28 novembre 2024, la société Foncia Roussillon a relevé appel de cette ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées le 10 avril 2025, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la société Foncia Roussillon demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 21 novembre 2024 (RG n° 22/00737) en ce qu'il :
- a accueilli favorablement la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Maxal,
- a déclaré irrecevable l'action par elle engagée,
- l'a condamnée au paiement de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- l'a déboutée de sa demande tendant à voir rejeter les demandes de la société Maxal, de sa demande tendant à voir déclarer recevable et non prescrite sa demande de condamnation de la société Maxal au paiement de l'indemnité d'éviction prévue par les dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce et de sa demande tendant à voir condamner la société Maxal au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Et statuant à nouveau,
- la juger recevable et non prescrite en son action tendant à la condamnation de la société Maxal au paiement d'une indemnité d'éviction sur le fondement de l'article L. 145-14 du code de commerce,
- renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire de Perpignan.
Au soutien de ses demandes, la société Foncia Roussillon fait valoir qu'en application de l'article L. 145-9 alinéa 5 du code de commerce, elle avait jusqu'au 31 mars 2021 pour demander la condamnation du bailleur au paiement d'une indemnité d'éviction prévue par les dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce.
Elle ajoute qu'en application de l'article 2239 du code civil, la suspension du cours de la prescription court à compter de la décision ayant ordonné la mesure d'instruction jusqu'au dépôt par l'expert de son rapport.
Elle précise qu'en l'espèce, la société Maxal l'a assignée devant le juge des référés par acte du 25 septembre 2018, que le juge des référés a rendu son ordonnance le 28 novembre 2018 et que l'expert ayant déposé son rapport le 14 juin 2023, soit postérieurement à l'introduction de l'instance devant le tribunal judiciaire de Perpignan, elle n'est pas prescrite. Elle explique qu'en effet, l'expertise ayant été ordonnée avant la date d'effet du congé, la prescription n'a pas commencé à courir à compter du 31 mars 2019 mais à compter du 14 juin 2023, date du dépôt par l'expert de son rapport.
Elle ajoute qu'à supposer que l'ordonnance ayant ordonné l'expertise n'ait pas pu suspendre le cours de la prescription, car antérieure à son point de départ, les mesures de prorogation ordonnées les 6 janvier 2020 et 30 décembre 2020 ont interrompu la prescription.
Elle soutient également que la société Maxal n'est pas fondée à indiquer qu'elle ne pourrait bénéficier de la suspension car elle n'aurait pas sollicité la mesure d'expertise, alors qu'elle est bien partie à l'instance, qu'elle a donné son accord à la mesure d'expertise et qu'elle a participé conjointement avec la société Maxal aux mesures d'expertise.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que selon les dispositions de l'article 2240 du code civil, la prescription est interrompue par la reconnaisance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait et que la reconnaissance expresse des droits du créancier n'est assujettie à aucune condition de forme et peut donc résulter d'un écrit quelconque, ou même être verbale. Elle ajoute qu'en l'espèce, la reconnaissance n'est pas équivoque.
Elle précise qu'en effet, dans son dire du 10 juin 2020, la bailleresse a précisé que le montant de l'indemnité d'éviction devait être fixé en considération du déplacement du fonds de commerce, ce qui constitue une reconnaissance expresse du droit à indemnité d'éviction du locataire. Elle ajoute que la bailleresse a reconnu dans son dire du 22 février 2021 que la locataire avait droit au paiement d'une indemnité d'éviction. Elle indique également que la bailleresse a transmis à l'appui de son dire un document intitulé 'note technique' du 19 février 2021, aux termes duquel il est fait état, sans réserve, d'une indemnité due au preneur d'un montant de 10 420 euros.
Elle souligne que le dire n'était pas assorti de réserves, que s'il existait des réserves d'usage, elles ne portaient pas sur le principe de la créance d'indemnité d'éviction mais sur le quantum des postes de préjudice évalués, et que ces réserves de principe et d'usage ne constituent pas une réelle protestation sur le droit du preneur à obtenir une indemnité.
Elle en déduit que la société Maxal ne peut soutenir qu'elle a émis suffisamment de réserves sur son droit à percevoir au titre de son éviction une indemnité pour considérer que sa reconnaissance serait équivoque, alors qu'en réalité, elle a formulé des réserves sur la valeur de son droit au bail, mais qu'elle n'a jamais contesté son droit au titre des indemnités accessoires, lesquelles sont partie intégrante de l'indemnité que le preneur peut revendiquer sur le fondement des dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce.
Elle fait valoir qu'en conséquence, la reconnaissance est de nature à interrompre le délai de prescription, conformément aux dispositions de l'article 2248 du code civil et que le délai de prescription, qui courait depuis la date d'effet du congé, soit le 31 mars 2019, a été interrompu le 22 février 2021, qu'un nouveau délai de deux années a commencé à courir, soit jusqu'au 22 février 2023, et qu'elle n'était donc pas prescrite au 15 mars 2022, date de son assignation.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées le 23 avril 2025, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la société Maxal demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 21
novembre 2024 par le juge de la mise en état en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action engagée par la société Foncia Roussillon, et l'a condamnée aux frais et dépens,
- y ajoutant, condamner la société Foncia Roussillon à lui payer une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Elle fait valoir que l'action en paiement d'une indemnité d'éviction, prévue à l'article L. 145-14 du code de commerce, est soumise à la prescription biennale et que lorsque le bailleur délivre congé avec refus de renouvellement, le locataire doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été délivré. Elle précise qu'en l'espèce, le congé a été délivré pour le 31 mars 2019 et que l'action en paiement de l'indemnité d'éviction devait être introduite avant le 31 mars 2021. Elle ajoute qu'en agissant par assignation du 15 mars 2022, la société Foncia Roussillon a agi tardivement.
De plus, elle soutient que la suspension de la prescription suppose que le délai de la prescription ait déjà commencé à courir et qu'en l'espèce, l'ordonnance de référé est intervenue le 28 novembre 2018, et qu'aucune mesure d'instruction n'a donc pu suspendre la prescription biennale qui a commencé à courir le 31 mars 2019 pour expirer le 31 mars 2021.
Elle ajoute que s'il y avait eu interruption ou suspension du cours de la prescription, ce ne serait qu'à son bénéfice, puisque c'est elle qui a fait délivrer l'assignation sollicitant l'instauration d'une mesure d'instruction. Elle précise que la position exprimée par la société Foncia Roussillon ne constitue pas une demande au sens de l'article 2239 du code civil, alors que la suspension du cours de la prescription en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction, ne joue qu'au profit de celui qui demande la mesure d'instruction.
En outre, elle fait valoir que pour être interruptive de délai de prescription, la reconnaissance du droit doit être non-équivoque. Elle expose qu'en l'espèce, elle a émis toutes réserves sur le droit au locataire à prétendre à une indemnité d'éviction, lorsqu'elle a sollicité l'instauration d'une mesure d'expertise, et que la discussion du montant d'une indemnité d'éviction en cours d'expertise judiciaire, pour le cas où le locataire pourrait y prétendre, ne vaut ni reconnaissance de responsabilité par le bailleur, ni renonciation du bailleur à opposer d'autres motifs pour refuser le paiement d'une indemnité d'éviction. Elle mentionne également qu'elle a, à de nombreuses reprises, émis des réserves et n'a jamais reconnu le droit à l'indemnité d'éviction revendiqué par la société Foncia Roussillon.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 145-9 du code de commerce, en matière de bail commercial, le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.
De plus, selon les dispositions de l'article L. 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans.
Il en résulte que l'action du preneur en fixation et en paiement d'une indemnité d'éviction est soumise à la prescription biennale, dont le point de départ est la date pour laquelle le congé a été donné.
En l'espèce, la société Maxal a fait signifier, par exploit d'huissier du 17 septembre 2018, un congé avec refus d'offre de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction à effet au 31 mars 2019.
Le délai de prescription de l'action en paiement d'une indemnité d'éviction a par conséquent commencé à courir à compter du 31 mars 2019.
S'agissant de la suspension de la prescription, l'article 2239 du code civil dispose que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès et que le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.
Mais, la suspension de la prescription, en application de l'article 2239, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu'à son profit.
En l'espèce, il est constant que la mesure d'expertise instaurée par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Perpignan du 28 novembre 2018, l'a été à la demande de la société Maxal, et que dans le cadre de l'instance engagée devant le juge des référés, la société Foncia Roussillon a indiqué qu'elle ne s'opposait pas à la demande tout en émettant les plus expresses protestations et réserves d'usage, ce qui manifestait une contestation de sa part.
Il s'ensuit que dans la mesure où elle n'a pas sollicité la mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la société Foncia Roussillon n'est pas fondée à se prévaloir d'une suspension du délai de prescription de son action en paiement d'une indemnité d'éviction.
De plus, les ordonnances rendues par le juge chargé du contrôle des expertises ordonnant la prorogation du délai de l'expert pour déposer son rapport, qui ne sont pas intervenues à la suite d'une citation mais seulement à la suite d'un simple courrier de l'expert, ne peuvent faire courir un nouveau délai de prescription.
La société Foncia Roussillon n'est donc pas fondée à invoquer une interruption de la prescription faisant suite aux ordonnances du juge chargé du contrôle des expertises du 6 janvier 2020 et du 28 septembre 2020 dont elle justifie.
Du reste, il ressort des dispositions de l'article 2240 du code civil que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
Cette reconnaissance, par le bénéficiaire de la prescription, qui peut être expresse ou tacite, résulte de tout fait impliquant sans équivoque l'existence du droit du créancier. Il appartient aux juges du fond d'apprécier si elle résulte des faits et circonstances de la cause.
En premier lieu, la cour observe que dans le congé avec refus de renouvellement qu'elle a fait délivrer à la société Foncia Roussillon le 17 septembre 2018, la société Maxal a indiqué qu'elle entendait lui refuser le renouvellement du bail en application de l'article L. 145-14 du code de commerce et qu'elle offrait une indemnité d'éviction à déterminer, pour le cas où le locataire pourrait y prétendre.
La société Maxal a rappelé ces éléments dans son assignation en référé délivrée le 25 septembre 2018 à la locataire.
Elle a de nouveau émis des réserves dans le dire du 27 mars 2023, précisant qu'elle transmettait une note technique, sous toutes réserves habituelles et pour le cas où la société Foncia Roussillon pourrait prétendre à une indemnité d'éviction.
Elle a ainsi entendu à plusieurs reprises émettre des réserves sur le principe du droit à une indemnité d'éviction de la société Foncia Roussillon.
Certes, dans un dire daté du 10 juin 2020, adressé à l'expert judiciaire, le conseil de la société Maxal a demandé à celui-ci d'estimer la valeur de l'indemnité d'éviction dans l'hypothèse d'un déplacement du fonds, faisant valoir que le fonds exploité dans les locaux pouvait être transféré dans d'autres locaux équivalents au sein du secteur géographique d'activité considéré.
Toutefois, ce dire ne contient aucune reconnaissance d'un droit à une indemnité d'éviction de la part de la société Foncia Roussillon, le conseil de l'intimée se contentant de demander à l'expert d'évaluer la valeur de cette indemnité dans l'hypothèse d'un déplacement du fonds.
Postérieurement, dans un dire du 22 février 2021, le conseil de la société Maxal a indiqué à l'expert qu'il produisait une note technique démontrant que les prétentions de la société Foncia Roussillon étaient infondées concernant l'indemnité principale et exagérées concernant les indemnités accessoires.
Cependant, le conseil de l'intimée a précisé dans cet écrit qu'il maintenait les termes de son dire du 21 décembre 2020. Or, dans ce dire précédent, il estimait que s'agissant de l'indemnité principale, la valeur du droit au bail était nulle et que s'agissant des indemnités accessoires, l'indemnité de remploi était nulle, qu'aucune indemnité pour trouble commercial ne pouvait être retenue et que de même, les postes de frais de déménagement et de frais de réinstallation ne pouvaient être retenus.
Les observations de la société Maxal dans le dire du 22 février 2021 ne sauraient donc valoir reconnaissance de sa part du droit de la société Foncia Roussillon à une indemnité d'éviction, alors qu'elle fait référence à un dire où elle estime que ce droit ne peut être retenu.
Ainsi, les dires adressées par son conseil ne contiennent aucune reconnaissance dénuée d'équivoque de la part de la société Maxal de son obligation de payer une indemnité d'éviction susceptible d'interrompre la prescription.
Dans ces conditions, au vu de la mission de l'expert tendant à la recherche de tous éléments permettant de déterminer l'indemnité à laquelle pourrait prétendre le preneur, des réserves par elle émises à plusieurs reprises, et de l'absence de toute mention relative à une reconnaissance en son principe du droit de la locataire à une indemnité d'éviction, les observations de l'intimée sur le montant de cette indemnité et la transmission d'une note technique sur les modalités de calcul de l'indemnité principale et des indemnités accessoires, destinées à éclairer l'expert dans l'exécution de sa mission, ne sauraient être considérées comme une reconnaissance de sa part susceptible d'interrompre la prescription.
Il s'ensuit que le délai biennal de prescription de l'action en paiement d'une indemnité d'éviction a commencé à courir le 31 mars 2019, qu'il n'a pas été interrompu par une reconnaissance de ce droit de la part de la société Maxal et qu'à la date à laquelle la société Foncia Roussillon a fait assigner cette dernière devant le tribunal judiciaire de Perpignan, ce délai était expiré depuis le 31 mars 2021.
La décision déférée sera par conséquent confirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action engagée par la société Foncia Roussillon et l'a condamnée à payer à la société Maxal une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La société Foncia Roussillon qui succompe en appel sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'au versement d'une indemnité complémentaire de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera enfin déboutée de sa demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme la décision déférée en l'ensemble de ses dispositions,
Y ajoutant,
Condame la société Maxal à verser à la société Foncia Roussillon une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société Foncia Roussillon de sa demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Foncia Roussillon aux dépens d'appel.
Le Greffier La Présidente
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre civile
ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/05964 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QOZH
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 21 NOVEMBRE 2024 JUGE DE LA MISE EN ETAT DE [Localité 7] N° RG 22/00737
APPELANTE :
S.A.S. FONCIA ROUSSILLON Agissant poursuites et diligences de son représentant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
Représentée par Me CORMERAIS substituant Me Sarah HUOT de la SCP VIAL-PECH DE LACLAUSE-ESCALE- KNOEPFFLER-HUOT-PIRET-JOUBES, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES
INTIMEE :
La Société MAXAL Société par actions simplifiée au capital de 1.000.000 €, immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le n° 813 221 777 Dont le siège social est [Adresse 1] Prise en la personne de Monsieur [I], son président
[Adresse 2]
Représentée par Me GUERS substituant Me Clément BERMOND de la SCP VERBATEAM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 15 Mai 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 906-5 et 914-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Mai 2025,en audience publique, devant Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre et Mme Virginie HERMENT, Conseillère, chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Michelle TORRECILLAS, présidente de chambre
Madame Nelly CARLIER, Conseiller
Mme Virginie HERMENT, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Laurence SENDRA
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre, et par M. Salvatore SAMBITO, Greffier.
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 3 juillet 2002, M. [W] [Y] a consenti à M. [J] [S] un bail commercial portant sur un local situé dans un immeuble sis [Adresse 4] à [Localité 5], pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2002, moyennant le paiement d'un loyer d'un montant annuel de 5 856 euros, payable d'avance, le premier de chaque mois.
Puis une cession de fonds de commerce est intervenue au bénéfice de la société Foncia Roussillon qui est devenue locataire des lieux.
Aux termes d'un acte authentique en date du 30 juillet 2018, la société Maxal a acquis le bâtiment situé [Adresse 4] à [Localité 5].
Par acte d'huissier du 17 septembre 2018, la société Maxal a fait délivrer à la société Foncia Roussillon un congé avec refus de renouvellement à effet au 31 mars 2019.
Puis, par acte du 25 septembre 2018, la société Maxal a fait assigner la société Foncia Roussillon en référé devant le président du tribunal judiciaire de Perpignan aux fins d'instauration d'une mesure d'expertise ayant pour objet de fournir tous éléments permettant de déterminer l'indemnité à laquelle pourrait prétendre la locataire et d'apprécier la valeur locative des lieux ainsi que l'indemnité d'occupation due.
Aux termes d'une ordonnance rendue le 28 novembre 2018, le président du tribunal judiciaire de Perpignan a fait droit à la demande d'expertise en désignant M. [N] [H] pour y procéder.
Par ordonnance du 27 juillet 2022, M. [X] [V] a été désigné par le juge chargé du contrôle des expertises en remplacement de M. [N] [H].
L'expert [V] a déposé son rapport le 14 juin 2023.
Par acte du 15 mars 2022, la société Foncia Roussillon a fait assigner la société Maxal devant le tribunal judiciaire de Perpignan afin qu'il :
- fixe le montant de l'indemnité d'éviction principale à la somme de 95 000 euros,
- fixe le montant des indemnités accessoires à la somme de 157 374, 90 euros,
- en conséquence, condamne la société Maxal à lui verser la somme de 252 374, 90 euros au titre de l'indemnité d'éviction,
- fixe l'indemnité d'occupation due à compter du 1er avril 2019 à la somme anuelle de 6 750 euros hors taxe et hors charge,
- en conséquence, condamne la société Maxal à lui verser la somme de 2 100, 38 euros au titre du trop-perçu d'indemnité d'occupation pour la période du 1er avril 2019 au 15 septembre 2020,
- condamne la société Maxal aux entiers dépens, ainsi qu'au versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 10 novembre 2022, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer dans l'attente du dépôt par l'expert de son rapport.
Aux termes de conclusions d'incident communiquées le 13 décembre 2023, la société Maxal a saisi le juge de la mise en état afin qu'il déclare prescrites les demandes de la société Foncia Roussillon tendant au paiement d'une indemnité d'éviction.
Dans une ordonnance rendue le 21 novembre 2024, le juge de la mise en état a :
- accueilli favorablement la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Maxal,
- déclaré irrecevable l'action engagée par la société Foncia Roussillon,
- condamné la société Foncia Roussillon à verser à la société Maxal une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
- rappelé que la décision mettait fin à l'instance.
Par déclaration en date du 28 novembre 2024, la société Foncia Roussillon a relevé appel de cette ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées le 10 avril 2025, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la société Foncia Roussillon demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 21 novembre 2024 (RG n° 22/00737) en ce qu'il :
- a accueilli favorablement la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Maxal,
- a déclaré irrecevable l'action par elle engagée,
- l'a condamnée au paiement de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- l'a déboutée de sa demande tendant à voir rejeter les demandes de la société Maxal, de sa demande tendant à voir déclarer recevable et non prescrite sa demande de condamnation de la société Maxal au paiement de l'indemnité d'éviction prévue par les dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce et de sa demande tendant à voir condamner la société Maxal au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Et statuant à nouveau,
- la juger recevable et non prescrite en son action tendant à la condamnation de la société Maxal au paiement d'une indemnité d'éviction sur le fondement de l'article L. 145-14 du code de commerce,
- renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire de Perpignan.
Au soutien de ses demandes, la société Foncia Roussillon fait valoir qu'en application de l'article L. 145-9 alinéa 5 du code de commerce, elle avait jusqu'au 31 mars 2021 pour demander la condamnation du bailleur au paiement d'une indemnité d'éviction prévue par les dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce.
Elle ajoute qu'en application de l'article 2239 du code civil, la suspension du cours de la prescription court à compter de la décision ayant ordonné la mesure d'instruction jusqu'au dépôt par l'expert de son rapport.
Elle précise qu'en l'espèce, la société Maxal l'a assignée devant le juge des référés par acte du 25 septembre 2018, que le juge des référés a rendu son ordonnance le 28 novembre 2018 et que l'expert ayant déposé son rapport le 14 juin 2023, soit postérieurement à l'introduction de l'instance devant le tribunal judiciaire de Perpignan, elle n'est pas prescrite. Elle explique qu'en effet, l'expertise ayant été ordonnée avant la date d'effet du congé, la prescription n'a pas commencé à courir à compter du 31 mars 2019 mais à compter du 14 juin 2023, date du dépôt par l'expert de son rapport.
Elle ajoute qu'à supposer que l'ordonnance ayant ordonné l'expertise n'ait pas pu suspendre le cours de la prescription, car antérieure à son point de départ, les mesures de prorogation ordonnées les 6 janvier 2020 et 30 décembre 2020 ont interrompu la prescription.
Elle soutient également que la société Maxal n'est pas fondée à indiquer qu'elle ne pourrait bénéficier de la suspension car elle n'aurait pas sollicité la mesure d'expertise, alors qu'elle est bien partie à l'instance, qu'elle a donné son accord à la mesure d'expertise et qu'elle a participé conjointement avec la société Maxal aux mesures d'expertise.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que selon les dispositions de l'article 2240 du code civil, la prescription est interrompue par la reconnaisance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait et que la reconnaissance expresse des droits du créancier n'est assujettie à aucune condition de forme et peut donc résulter d'un écrit quelconque, ou même être verbale. Elle ajoute qu'en l'espèce, la reconnaissance n'est pas équivoque.
Elle précise qu'en effet, dans son dire du 10 juin 2020, la bailleresse a précisé que le montant de l'indemnité d'éviction devait être fixé en considération du déplacement du fonds de commerce, ce qui constitue une reconnaissance expresse du droit à indemnité d'éviction du locataire. Elle ajoute que la bailleresse a reconnu dans son dire du 22 février 2021 que la locataire avait droit au paiement d'une indemnité d'éviction. Elle indique également que la bailleresse a transmis à l'appui de son dire un document intitulé 'note technique' du 19 février 2021, aux termes duquel il est fait état, sans réserve, d'une indemnité due au preneur d'un montant de 10 420 euros.
Elle souligne que le dire n'était pas assorti de réserves, que s'il existait des réserves d'usage, elles ne portaient pas sur le principe de la créance d'indemnité d'éviction mais sur le quantum des postes de préjudice évalués, et que ces réserves de principe et d'usage ne constituent pas une réelle protestation sur le droit du preneur à obtenir une indemnité.
Elle en déduit que la société Maxal ne peut soutenir qu'elle a émis suffisamment de réserves sur son droit à percevoir au titre de son éviction une indemnité pour considérer que sa reconnaissance serait équivoque, alors qu'en réalité, elle a formulé des réserves sur la valeur de son droit au bail, mais qu'elle n'a jamais contesté son droit au titre des indemnités accessoires, lesquelles sont partie intégrante de l'indemnité que le preneur peut revendiquer sur le fondement des dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce.
Elle fait valoir qu'en conséquence, la reconnaissance est de nature à interrompre le délai de prescription, conformément aux dispositions de l'article 2248 du code civil et que le délai de prescription, qui courait depuis la date d'effet du congé, soit le 31 mars 2019, a été interrompu le 22 février 2021, qu'un nouveau délai de deux années a commencé à courir, soit jusqu'au 22 février 2023, et qu'elle n'était donc pas prescrite au 15 mars 2022, date de son assignation.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées le 23 avril 2025, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la société Maxal demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 21
novembre 2024 par le juge de la mise en état en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action engagée par la société Foncia Roussillon, et l'a condamnée aux frais et dépens,
- y ajoutant, condamner la société Foncia Roussillon à lui payer une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Elle fait valoir que l'action en paiement d'une indemnité d'éviction, prévue à l'article L. 145-14 du code de commerce, est soumise à la prescription biennale et que lorsque le bailleur délivre congé avec refus de renouvellement, le locataire doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été délivré. Elle précise qu'en l'espèce, le congé a été délivré pour le 31 mars 2019 et que l'action en paiement de l'indemnité d'éviction devait être introduite avant le 31 mars 2021. Elle ajoute qu'en agissant par assignation du 15 mars 2022, la société Foncia Roussillon a agi tardivement.
De plus, elle soutient que la suspension de la prescription suppose que le délai de la prescription ait déjà commencé à courir et qu'en l'espèce, l'ordonnance de référé est intervenue le 28 novembre 2018, et qu'aucune mesure d'instruction n'a donc pu suspendre la prescription biennale qui a commencé à courir le 31 mars 2019 pour expirer le 31 mars 2021.
Elle ajoute que s'il y avait eu interruption ou suspension du cours de la prescription, ce ne serait qu'à son bénéfice, puisque c'est elle qui a fait délivrer l'assignation sollicitant l'instauration d'une mesure d'instruction. Elle précise que la position exprimée par la société Foncia Roussillon ne constitue pas une demande au sens de l'article 2239 du code civil, alors que la suspension du cours de la prescription en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction, ne joue qu'au profit de celui qui demande la mesure d'instruction.
En outre, elle fait valoir que pour être interruptive de délai de prescription, la reconnaissance du droit doit être non-équivoque. Elle expose qu'en l'espèce, elle a émis toutes réserves sur le droit au locataire à prétendre à une indemnité d'éviction, lorsqu'elle a sollicité l'instauration d'une mesure d'expertise, et que la discussion du montant d'une indemnité d'éviction en cours d'expertise judiciaire, pour le cas où le locataire pourrait y prétendre, ne vaut ni reconnaissance de responsabilité par le bailleur, ni renonciation du bailleur à opposer d'autres motifs pour refuser le paiement d'une indemnité d'éviction. Elle mentionne également qu'elle a, à de nombreuses reprises, émis des réserves et n'a jamais reconnu le droit à l'indemnité d'éviction revendiqué par la société Foncia Roussillon.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 145-9 du code de commerce, en matière de bail commercial, le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.
De plus, selon les dispositions de l'article L. 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans.
Il en résulte que l'action du preneur en fixation et en paiement d'une indemnité d'éviction est soumise à la prescription biennale, dont le point de départ est la date pour laquelle le congé a été donné.
En l'espèce, la société Maxal a fait signifier, par exploit d'huissier du 17 septembre 2018, un congé avec refus d'offre de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction à effet au 31 mars 2019.
Le délai de prescription de l'action en paiement d'une indemnité d'éviction a par conséquent commencé à courir à compter du 31 mars 2019.
S'agissant de la suspension de la prescription, l'article 2239 du code civil dispose que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès et que le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.
Mais, la suspension de la prescription, en application de l'article 2239, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu'à son profit.
En l'espèce, il est constant que la mesure d'expertise instaurée par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Perpignan du 28 novembre 2018, l'a été à la demande de la société Maxal, et que dans le cadre de l'instance engagée devant le juge des référés, la société Foncia Roussillon a indiqué qu'elle ne s'opposait pas à la demande tout en émettant les plus expresses protestations et réserves d'usage, ce qui manifestait une contestation de sa part.
Il s'ensuit que dans la mesure où elle n'a pas sollicité la mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la société Foncia Roussillon n'est pas fondée à se prévaloir d'une suspension du délai de prescription de son action en paiement d'une indemnité d'éviction.
De plus, les ordonnances rendues par le juge chargé du contrôle des expertises ordonnant la prorogation du délai de l'expert pour déposer son rapport, qui ne sont pas intervenues à la suite d'une citation mais seulement à la suite d'un simple courrier de l'expert, ne peuvent faire courir un nouveau délai de prescription.
La société Foncia Roussillon n'est donc pas fondée à invoquer une interruption de la prescription faisant suite aux ordonnances du juge chargé du contrôle des expertises du 6 janvier 2020 et du 28 septembre 2020 dont elle justifie.
Du reste, il ressort des dispositions de l'article 2240 du code civil que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
Cette reconnaissance, par le bénéficiaire de la prescription, qui peut être expresse ou tacite, résulte de tout fait impliquant sans équivoque l'existence du droit du créancier. Il appartient aux juges du fond d'apprécier si elle résulte des faits et circonstances de la cause.
En premier lieu, la cour observe que dans le congé avec refus de renouvellement qu'elle a fait délivrer à la société Foncia Roussillon le 17 septembre 2018, la société Maxal a indiqué qu'elle entendait lui refuser le renouvellement du bail en application de l'article L. 145-14 du code de commerce et qu'elle offrait une indemnité d'éviction à déterminer, pour le cas où le locataire pourrait y prétendre.
La société Maxal a rappelé ces éléments dans son assignation en référé délivrée le 25 septembre 2018 à la locataire.
Elle a de nouveau émis des réserves dans le dire du 27 mars 2023, précisant qu'elle transmettait une note technique, sous toutes réserves habituelles et pour le cas où la société Foncia Roussillon pourrait prétendre à une indemnité d'éviction.
Elle a ainsi entendu à plusieurs reprises émettre des réserves sur le principe du droit à une indemnité d'éviction de la société Foncia Roussillon.
Certes, dans un dire daté du 10 juin 2020, adressé à l'expert judiciaire, le conseil de la société Maxal a demandé à celui-ci d'estimer la valeur de l'indemnité d'éviction dans l'hypothèse d'un déplacement du fonds, faisant valoir que le fonds exploité dans les locaux pouvait être transféré dans d'autres locaux équivalents au sein du secteur géographique d'activité considéré.
Toutefois, ce dire ne contient aucune reconnaissance d'un droit à une indemnité d'éviction de la part de la société Foncia Roussillon, le conseil de l'intimée se contentant de demander à l'expert d'évaluer la valeur de cette indemnité dans l'hypothèse d'un déplacement du fonds.
Postérieurement, dans un dire du 22 février 2021, le conseil de la société Maxal a indiqué à l'expert qu'il produisait une note technique démontrant que les prétentions de la société Foncia Roussillon étaient infondées concernant l'indemnité principale et exagérées concernant les indemnités accessoires.
Cependant, le conseil de l'intimée a précisé dans cet écrit qu'il maintenait les termes de son dire du 21 décembre 2020. Or, dans ce dire précédent, il estimait que s'agissant de l'indemnité principale, la valeur du droit au bail était nulle et que s'agissant des indemnités accessoires, l'indemnité de remploi était nulle, qu'aucune indemnité pour trouble commercial ne pouvait être retenue et que de même, les postes de frais de déménagement et de frais de réinstallation ne pouvaient être retenus.
Les observations de la société Maxal dans le dire du 22 février 2021 ne sauraient donc valoir reconnaissance de sa part du droit de la société Foncia Roussillon à une indemnité d'éviction, alors qu'elle fait référence à un dire où elle estime que ce droit ne peut être retenu.
Ainsi, les dires adressées par son conseil ne contiennent aucune reconnaissance dénuée d'équivoque de la part de la société Maxal de son obligation de payer une indemnité d'éviction susceptible d'interrompre la prescription.
Dans ces conditions, au vu de la mission de l'expert tendant à la recherche de tous éléments permettant de déterminer l'indemnité à laquelle pourrait prétendre le preneur, des réserves par elle émises à plusieurs reprises, et de l'absence de toute mention relative à une reconnaissance en son principe du droit de la locataire à une indemnité d'éviction, les observations de l'intimée sur le montant de cette indemnité et la transmission d'une note technique sur les modalités de calcul de l'indemnité principale et des indemnités accessoires, destinées à éclairer l'expert dans l'exécution de sa mission, ne sauraient être considérées comme une reconnaissance de sa part susceptible d'interrompre la prescription.
Il s'ensuit que le délai biennal de prescription de l'action en paiement d'une indemnité d'éviction a commencé à courir le 31 mars 2019, qu'il n'a pas été interrompu par une reconnaissance de ce droit de la part de la société Maxal et qu'à la date à laquelle la société Foncia Roussillon a fait assigner cette dernière devant le tribunal judiciaire de Perpignan, ce délai était expiré depuis le 31 mars 2021.
La décision déférée sera par conséquent confirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action engagée par la société Foncia Roussillon et l'a condamnée à payer à la société Maxal une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La société Foncia Roussillon qui succompe en appel sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'au versement d'une indemnité complémentaire de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera enfin déboutée de sa demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme la décision déférée en l'ensemble de ses dispositions,
Y ajoutant,
Condame la société Maxal à verser à la société Foncia Roussillon une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société Foncia Roussillon de sa demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Foncia Roussillon aux dépens d'appel.
Le Greffier La Présidente