CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 11 septembre 2025, n° 22/11228
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2025
(n° 142/2025, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 22/11228 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF7AU
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 janvier 2022- Tribunal judiciaire de MEAUX (1ère chambre)- RG n° 19/04242
APPELANTE
S.A.R.L. EURELEC DISTRIBUTION
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 7] sous le n° 412 970 659
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF & TEYTAUD SALEH, avocat au barreau de Paris, toque : L0075
INTIMÉE
S.C.I. YE YONG
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 6] sous le n° 534 948 856
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Séverine MEUNIER, avocat au barreau de Meaux
Assistée de Me Charles Albert ENNEDAM, avocat au barreau de Grenoble, toque : A97
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 mars 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Marie Girousse, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
- M. Xavier Blanc, président de chambre
- Mme Stéphanie Dupont, conseillère
- Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Xavier Blanc, président de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé en date du 15 janvier 1997, Mme [X] [M], aux droits de laquelle est venue la SCI Ye Yong depuis le 21 décembre 2011, a donné à bail commercial à compter du 1er janvier 1997 à la société R'Elec, aux droits de laquelle est venue la société Eurelec Distribution depuis le 3 février 2000, des locaux situés [Adresse 2] à Saint Denis (93200), moyennant un loyer annuel indexé de 74.400 Frs (11.342 €) outre une provision sur charges de 300 Frs (45,73 €). Ce loyer s'est tacitement poursuivi.
Le 5 février 2010, un incendie s'est déclaré dans les locaux loués et des travaux de remise en état se sont avérés nécessaires.
Le 11 juin 2014, la bailleresse a délivré un congé pour le 1er janvier 2015. Les parties ne sont pas parvenues à un accord sur le montant du loyer. Par jugement du 12 juillet 2017, le juge des loyers commerciaux de tribunal de grande instance de Bobigny a constaté le renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2015 et désigné un expert judiciaire aux fins de déterminer la valeur locative des locaux mais cette désignation est devenue caduque.
Plusieurs procédures judiciaires ont opposé les parties .
Par jugement du 25 juin 2013, le tribunal de grande instance de Bobigny, saisi par la société Eurelec, a notamment condamné la société Eurelec Distribution à payer à sa bailleresse la somme de 19.003,23 euros avec intérêts au taux légal, constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail mais a accordé des délais de paiement suspensifs, condamné sous astreinte la SCI Ye Yong à exécuter les travaux de remise en état consécutifs à l'incendie et débouté la société Eurelec Distribution de sa demande d'autorisation de consigner les loyers à échoir tant que les travaux n'ont pas été réalisés ou de les utiliser pour réaliser ces travaux. Ce jugement a été confirmé.
Le 29 juin 2017, la société Eurelec Distribution a délivré congé à la société Ye Yong avec effet au 31 décembre 2017 et restitué les locaux à cette date.
Reprochant à la société Eurelec Distribution le non-paiement des loyers au titre des 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2017, la SCI Ye Yong a, par acte d'huissier en date du 5 novembre 2019, fait assigner celle-ci devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Meaux en paiement de sa créance.
Par jugement du 13 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Meaux a condamné la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 15.292,74 euros représentant les loyers et charges dus au titre des 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2017, outre les intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation le 5 novembre 2019, débouté la SCI Ye Yong de sa demande de condamnation de la société Eurelec Distribution à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail, condamné la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration du 13 juin 2022, la société Eurelec Distribution a interjeté appel de ce jugement.
L'instruction a été déclarée close le 19 février 2025.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 9 mars 2023, la société Eurelec Distribution, appelante, demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondée la société Eurelec Distribution en son appel du jugement rendu le 13 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Meaux ;
y faisant droit,
- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a :
- condamné la SARL Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 15.292,74 euros représentant les loyers et charges au titre des 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2017 outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation le 5 novembre 2019 ;
- débouté la SARL Eurelec Distribution de ses demandes reconventionnelles ;
- condamné la SARL Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SARL Eurelec Distribution aux dépens ;
et statuant à nouveau,
- débouter la société Ye Yong de toutes ses demandes, fins et conclusions, notamment de son appel incident ;
- condamner la société Ye Yong à payer à la société Eurelec Distribution la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens dont distraction au profit de Me Fertier.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 9 décembre 2022, la SCI Ye Yong, intimée, demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Meaux en date du 13 janvier 2022 (RG 19/04242) en ce qu'il a condamné la Société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 15.292.74 euros représentant les loyers et charges des 2ème et 3ème et 4ème trimestre 2017 outre les intérêts au taux légal à compter de la signification de l'acte introductif d'instance ;
- juger recevable et bien fondé l'appel incident de la SCI Ye Yong ;
- infirmer en conséquence le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Meaux en date du 13 janvier 2022 susvisé qui a débouté la SCI Ye Yong de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail commercial ;
- condamner la Société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail ;
- condamner la Société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en complément de la somme de 2.000 euros allouée par le tribunal judiciaire de Meaux sur ce même fondement;
- débouter la Société Eurelec Distribution de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions comprenant la somme réclamée de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1. Sur la demande en paiement de la dette locative
1.1. Sur l'exception d'inexécution
Selon les anciennes dispositions de l'article 1134 du code civil applicables au contrat de bail en cause renouvelé le 1er janvier 2015 , dont le principe est repris au nouvel article 1103 du même code, les conventions légalement formées tiennent de loi à ceux qui les ont faites.
Selon les articles 1719 et suivants du code civil, le bailleur a l'obligation de délivrer au preneur des lieux conformes à la destination prévue au bail, de les entretenir en état de servir à l'usage pour lequel ils ont été loués en effectuant les réparations nécessaires autres que locatives et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail, de garantir le preneur des vices ou défauts de la chose louée empêchant son usage.
Selon l'article 1728 du code civil, le preneur a pour obligations principales d'une part, d'user raisonnablement de la chose louée conformément à sa destination, d'autre part de payer le loyer aux termes convenus.
Les nouvelles dispositions résultant des articles 1219 et suivants du code civil relatives à l'exception d'inexécution visées dans le jugement déféré et les conclusions de l'intimée ne sont pas applicables au contrat de bail en cause renouvelé avant leur entrée en vigueur.
Cependant, selon les anciennes dispositions précitées du code civil, applicables en l'espèce, dès lors que le paiement du loyer est l'une de ses deux obligations principales, le preneur ne peut s'en dispenser en opposant l'exception d'inexécution que si l'utilisation des lieux est impossible, soit parce que le bailleur n'a pas rempli son obligation de délivrance, soit parce que sa défaillance à réaliser les travaux indispensables lui incombant interdit toute jouissance de l'immeuble. Si tel n'est pas le cas, le manquement du bailleur à l'obligation de délivrance est susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle et d'entraîner les sanctions prévues par les dispositions antérieures du code civil telles que l'exécution forcée, la résiliation ou des dommages et intérêts si elles sont sollicitées et justifiées.
En l'espèce, la société Eurelec Distribution a obtenu la condamnation de la bailleresse à réaliser les travaux de remise en état nécessités par l'incendie survenu en 2010, par jugement précité du 25 juin 2013. Des travaux ont été réalisés. Sa demande vise exclusivement à être dispensée du paiement des loyers de l'année 2017 sollicités par la bailleresse.
La société Eurelec Distribution fait valoir que la bailleresse aurait mal exécuté les travaux de remise en état des locaux mis à sa charge, ce qui aurait abouti à rendre lesdits locaux inexploitables. Elle soutient qu'à l'occasion d'un constat d'huissier en date du 7 novembre 2016, il aurait été relevé la présence d'humidité dans les locaux, incompatible avec leur exploitation. En outre, elle prétend qu'il appartenait à la bailleresse de justifier de la parfaite réalisation des travaux conformément à la condamnation prononcée à son encontre le 2 septembre 2015 , et non à la preneuse de démontrer un défaut de conformité des locaux; que le premier juge aurait donc renversé la charge de la preuve, ce qui justifierait de réformer le jugement entrepris.
L'intimée fait valoir, sur le fondement de l'article 1217 du code civil, que concernant les baux commerciaux, l'exception d'inexécution ne peut être invoquée qu'en cas de défaillance du bailleur ayant un impact tel que l'exploitation des locaux a été rendue impossible ; que tel n'est pas le cas, la preneuse ayant pu jouir du local et exploiter son fonds de commerce pendant toute l'année 2017, que cette dernière n'aurait jamais mis en demeure la bailleresse d'avoir à exécuter ses obligation, de sorte qu'elle ne pourrait pas se prévaloir de l'exception d'inexécution. L'intimée fait également valoir que le dirigeant de la preneuse a reconnu lors du constat d'huissier du 7 novembre 2016 que les travaux ordonnés avaient bien été exécutés, que le débat sur la charge de la preuve de l'exécution des travaux serait donc inopérant.
Il ressort des éléments du dossier et des explications des parties qu'à la suite du jugement du 25 juin 2013, la bailleresse a réalisé les travaux notamment de remise en état de la toiture rendus nécessaires par l'incendie survenu le 5 février 2010 dans les lieux loués. Il n'apparaît pas qu'à la suite de la réalisation de ces travaux, la locataire ait adressé des observations à la bailleresse faisant état de malfaçons ou d'insuffisances, la réception du courrier recommandé du 21 mars 2017 dont elle se prévaut n'étant pas établie, ainsi que l'a relevé à juste titre le jugement déféré. Dès lors, si la société Eurelec Distribution entend se prévaloir de l'insuffisance des travaux réalisés et de la persistance de troubles de jouissance de nature à l'exonérer de son obligation de payer le loyer, il lui incombe de rapporter la preuve des manquements reprochés à la bailleresse et de ce qu'ils auraient pour conséquence de rendre les locaux inexploitables.
En l'occurrence, les parties ne font que reprendre devant la cour les prétentions et les moyens développés en première instance, étant précisé, au surplus, que l'appelante n'a pas déposé de dossier de plaidoirie et ne produit donc aucune des pièces visées dans ses écritures, et ce, malgré la demande adressée par la cour de céans, par RPVA en date du 20 février 2025.
En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents, auxquels il est renvoyé, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties. Il convient en conséquence d'approuver celui-ci pour avoir estimé que la preneuse ne démontrait pas qu'une mauvaise exécution des travaux de remise en état aurait aggravé la présence d'humidité dans les locaux loués ni que des écoulements d'eaux pluviales lors de fortes pluies rendraient inexploitables les locaux. En effet, il ressort des constats d'huissier des 1er et 7 novembre 2016 et du rapport d'expertise amiable établi par M. [R] le 1er novembre 2016, que s'il existe effectivement des traces d'humidité en différents points des locaux, la preneuse a néanmoins continué son activité en entreposant du matériel électrique notamment dans la réserve, y compris à même le sol, étant expressément précisé que la pièce située au fond des locaux a été entièrement refaite y compris le faux plafond et la verrière centrale.
La preneuse échoue donc à démontrer que l'exploitation des locaux loués serait devenue impossible en raison de l'humidité due à l'inexécution par la bailleresse de ses obligations, de sorte qu'elle n'est pas fondée à opposer l'exception d'inexécution pour échapper au paiement des loyers dus au titre des trois derniers trimestres de l'année 2017. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté son exception d'inexécution.
1.2. Sur le montant de l'arriéré locatif
Selon article 1315 du code civil, dans sa version applicable au contrat de bail en cause, dont les principes sont repris à l'article 1353 du même code, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Il incombe donc au bailleur qui réclame au preneur de lui rembourser, conformément au contrat de bail commercial, un ensemble de dépenses et de taxes, d'établir sa créance en démontrant l'existence et le montant de ces charges.
Selon l'article L145-40-2 et R145-36 du code de commerce le contrat de bail commercial doit comporter un inventaire précis des charges et taxes liés à ce bail avec leur répartition entre le bailleur et le locataire, cet inventaire donnant lieu à un état récapitulatif annuel incluant la régularisation de comptes de charges adressé par le bailleur au locataire au plus tard le 30 septembre de l'année suivant celle au titre de l'année pour lequel il est établi ou dans le délais de trois mois à compter de la reddition des charges pour l'exercice annuel pour les immeubles en copropriété. Il en résulte que lorsqu'il est prévu au bail le règlement de provisions, il doit y avoir une régularisation en fin d'exercice conformément aux textes précités et que l'absence de régularisation de charges rend sans cause les appels de provision à valoir sur leur paiement des charges, de sorte qu'ils ne sont plus dus.
Aux termes du contrat de bail en cause, « le preneur devra régler au bailleur, en sus du loyer, sa quote-part des charges prestations et taxes locatives qui lui sont applicables au titre de provisions de 300 Frs soldés une fois par an »
L'appelante, qui demandait déjà en première instance le rejet de l'ensemble des demandes pécuniaires de la bailleresse, fait valoir qu'il appartenait à la bailleresse de justifier des charges réelles, faute de quoi elle doit être déboutée de ses demandes à ce titre.
L'intimée fait valoir que la preneuse a quitté les locaux le 31 décembre 2017 sans payer de loyer ni de charges pour les trois derniers trimestres de l'année 2017, de sorte que cette créance locative serait certaine, liquide et exigible. Elle soutient en outre que la preneuse n'a auparavant jamais contesté le montant de cette créance. L'appelante serait donc débitrice des loyers et charges des trois derniers trimestres de l'année 2017 pour un montant total de 15.292,74 euros en principal, augmenté des intérêts au taux légal courant à compter de la signification de l'acte introductif d'instance en date du 5 novembre 2019, de sorte qu'il conviendrait de confirmer le jugement déféré sur ce point.
En l'espèce, la bailleresse ne rapporte pas la preuve de la nature, ni du montant des charges assumées par elle sur la période de référence, ni de la reddition annuelle des charges, de sorte que sa créance à ce titre n'étant pas justifiée, elle doit être considérée comme sans cause et déduit de la créance locative réclamée.
Il en résulte que la créance locative doit être calculée sur la base du montant des loyers hors charges, et s'élève à 13.342,74 euros (2ème, 3ème et 4ème trimestre 2017 : 3 x 4.447,58 = 13.342,74 euros).
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Eurelec Distribution au paiement d'une somme de 15.292,74 euros . Cette dernière sera en conséquence, condamnée à verser à l'intimée la somme de 13.342,74 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation le 5 novembre 2019.
2. Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail
Il résulte de l'ancien article 1153, dont le principe est repris à l'article 1231-6) du code civil, que dans les obligations se bornant au paiement d'une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent que dans la condamnation aux intérêts au taux légal mais que le créancier qui démontre que son débiteur en retard lui a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.
Ainsi, pour obtenir une indemnisation s'ajoutant aux intérêts moratoires, la démonstration d'un préjudice distinct causé par la mauvaise foi du débiteur doit être faite. Ce préjudice doit également être distinct du coût des dépens de procédures et des frais irrépétibles qui font l'objet de prises en charges sur un autre fondement juridique.
L'intimée sollicite la condamnation de la société Eurelec Distribution en paiement de 5.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail. Au soutien de sa demande, elle fait valoir que la preneuse a manqué régulièrement et sciemment à ses obligations contractuelles en ne payant pas ses loyers, qu'elle a dû multiplier les procédures pour en recouvrer le paiement, que les décisions des différentes juridictions saisies n'ont jamais été exécutées spontanément et ont nécessité le recours à des voies d'exécution forcée, que cela lui a causé des difficultés pour s'acquitter des charges de copropriété, entraînant sa condamnation par un jugement du tribunal de grande instance de Bobigny rendu le 15 novembre 2017, ainsi que des frais d'avocat, que du fait de ces retards de paiement, elle n'a pas été en mesure de rembourser l'emprunt contracté auprès de sa banque pour financer l'acquisition des lieux loués, que la mauvaise foi de la preneuse justifie la réparation du préjudice matériel subi découlant directement du défaut volontaire et répété de paiement des loyers et charges pendant toute la durée du bail, caractérisant la résistance abusive dont la preneuse a fait preuve .
L'appelante fait valoir que l'intimée n'apporte pas la preuve de sa prétendue intention de nuire, ni même du préjudice qu'elle aurait subi.
Il ressort des pièces produites, que trois commandements de payer dont deux visant la clause résolutoire du bail ont été délivrés à la locataire ; qu'elle a été condamnée au paiement de provisions sur sa dette locative par quatre ordonnances de référé des 9 février 2016 , 18 octobre 2016, 3 mai 2017 et 12 décembre 2018 , deux d'entre elles constatant l'acquisition de la clause résolutoire et lui octroyant des délais suspensifs; qu'elle a été condamnée au paiement de 19.003 euros par jugement du 25 juin 2013 constatant l'acquisition de la clause résolutoire du bail et lui octroyant des délais suspensifs de l'application de cette clause ; que la bailleresse a dû recourir à des procédures d'exécution forcée, alors que de son côté, la locataire ne justifie pas de ses griefs prétendus ni avoir adressé des réclamations avant que sa bailleresse ne réclame le paiement des loyers. L'inexécution volontaire et répétée, par la preneuse, de son obligation principale de paiement des loyers et des charges contraignant la bailleresse à entreprendre plusieurs procédures judiciaires caractérise une exécution de mauvaise foi du bail et une résistance abusive à paiement dont elle doit répondre .
Le montant de la condamnation de la bailleresse au paiement des charges de copropriété et celui des frais de procédure en résultant ne correspondent pas au préjudice en lien de causalité direct avec la défaillance de la société Eurelec Distribution dans l'exécution de ses obligations locatives.
Cependant la résistance abusive à paiement de la locataire a causé un préjudice financier à la SCI Ye Yong puisqu'elle a été privée des revenus attendus alors qu'elle devait faire face au coût financier de son emprunt immobilier et des charges de copropriété afférentes au local loué. Elle est fondée à en demander la réparation. Au regard notamment de ces circonstances ainsi que des sommes impayées, ce préjudice sera justement réparé par l'allocation d'une montant de 2.000 euros.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée de ce chef et la preneuse sera condamnée au paiement de 2.000 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail.
3. Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles, aux dépens de première instance et à l'exécution provisoire.
L'appelante succombant partiellement, sera condamnée aux dépens de l'appel ainsi qu'à payer à la SCI Ye Yong la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile . Elle sera déboutée de sa demande fondée sur ce texte.
Les autres demandes seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 13 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Meaux (RG N°19/04242) en ce qu'il a condamné la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 15.292,74 euros représentant les loyers et charges dus au titre des 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2017, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation du 5 novembre 2019 et en ce qu'il a débouté la SCI Ye Yong de sa demande de condamnation de la société Eurelec Distribution à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail ;
Le confirme en toutes ses autres dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 13.342,74 euros représentant les loyers impayés dus au titre des 2ème, 3ème et 4ème trimestre 2017, outre intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019 ;
Condamne la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Condamne la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
Déboute la société Eurelec Distribution de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes,
Condamne la société Eurelec Distribution aux dépens de la procédure d'appel.
Le greffier, Le président,
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2025
(n° 142/2025, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 22/11228 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF7AU
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 janvier 2022- Tribunal judiciaire de MEAUX (1ère chambre)- RG n° 19/04242
APPELANTE
S.A.R.L. EURELEC DISTRIBUTION
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 7] sous le n° 412 970 659
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF & TEYTAUD SALEH, avocat au barreau de Paris, toque : L0075
INTIMÉE
S.C.I. YE YONG
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 6] sous le n° 534 948 856
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Séverine MEUNIER, avocat au barreau de Meaux
Assistée de Me Charles Albert ENNEDAM, avocat au barreau de Grenoble, toque : A97
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 mars 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Marie Girousse, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
- M. Xavier Blanc, président de chambre
- Mme Stéphanie Dupont, conseillère
- Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Xavier Blanc, président de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé en date du 15 janvier 1997, Mme [X] [M], aux droits de laquelle est venue la SCI Ye Yong depuis le 21 décembre 2011, a donné à bail commercial à compter du 1er janvier 1997 à la société R'Elec, aux droits de laquelle est venue la société Eurelec Distribution depuis le 3 février 2000, des locaux situés [Adresse 2] à Saint Denis (93200), moyennant un loyer annuel indexé de 74.400 Frs (11.342 €) outre une provision sur charges de 300 Frs (45,73 €). Ce loyer s'est tacitement poursuivi.
Le 5 février 2010, un incendie s'est déclaré dans les locaux loués et des travaux de remise en état se sont avérés nécessaires.
Le 11 juin 2014, la bailleresse a délivré un congé pour le 1er janvier 2015. Les parties ne sont pas parvenues à un accord sur le montant du loyer. Par jugement du 12 juillet 2017, le juge des loyers commerciaux de tribunal de grande instance de Bobigny a constaté le renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2015 et désigné un expert judiciaire aux fins de déterminer la valeur locative des locaux mais cette désignation est devenue caduque.
Plusieurs procédures judiciaires ont opposé les parties .
Par jugement du 25 juin 2013, le tribunal de grande instance de Bobigny, saisi par la société Eurelec, a notamment condamné la société Eurelec Distribution à payer à sa bailleresse la somme de 19.003,23 euros avec intérêts au taux légal, constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail mais a accordé des délais de paiement suspensifs, condamné sous astreinte la SCI Ye Yong à exécuter les travaux de remise en état consécutifs à l'incendie et débouté la société Eurelec Distribution de sa demande d'autorisation de consigner les loyers à échoir tant que les travaux n'ont pas été réalisés ou de les utiliser pour réaliser ces travaux. Ce jugement a été confirmé.
Le 29 juin 2017, la société Eurelec Distribution a délivré congé à la société Ye Yong avec effet au 31 décembre 2017 et restitué les locaux à cette date.
Reprochant à la société Eurelec Distribution le non-paiement des loyers au titre des 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2017, la SCI Ye Yong a, par acte d'huissier en date du 5 novembre 2019, fait assigner celle-ci devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Meaux en paiement de sa créance.
Par jugement du 13 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Meaux a condamné la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 15.292,74 euros représentant les loyers et charges dus au titre des 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2017, outre les intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation le 5 novembre 2019, débouté la SCI Ye Yong de sa demande de condamnation de la société Eurelec Distribution à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail, condamné la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration du 13 juin 2022, la société Eurelec Distribution a interjeté appel de ce jugement.
L'instruction a été déclarée close le 19 février 2025.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 9 mars 2023, la société Eurelec Distribution, appelante, demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondée la société Eurelec Distribution en son appel du jugement rendu le 13 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Meaux ;
y faisant droit,
- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a :
- condamné la SARL Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 15.292,74 euros représentant les loyers et charges au titre des 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2017 outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation le 5 novembre 2019 ;
- débouté la SARL Eurelec Distribution de ses demandes reconventionnelles ;
- condamné la SARL Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SARL Eurelec Distribution aux dépens ;
et statuant à nouveau,
- débouter la société Ye Yong de toutes ses demandes, fins et conclusions, notamment de son appel incident ;
- condamner la société Ye Yong à payer à la société Eurelec Distribution la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens dont distraction au profit de Me Fertier.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 9 décembre 2022, la SCI Ye Yong, intimée, demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Meaux en date du 13 janvier 2022 (RG 19/04242) en ce qu'il a condamné la Société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 15.292.74 euros représentant les loyers et charges des 2ème et 3ème et 4ème trimestre 2017 outre les intérêts au taux légal à compter de la signification de l'acte introductif d'instance ;
- juger recevable et bien fondé l'appel incident de la SCI Ye Yong ;
- infirmer en conséquence le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Meaux en date du 13 janvier 2022 susvisé qui a débouté la SCI Ye Yong de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail commercial ;
- condamner la Société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail ;
- condamner la Société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en complément de la somme de 2.000 euros allouée par le tribunal judiciaire de Meaux sur ce même fondement;
- débouter la Société Eurelec Distribution de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions comprenant la somme réclamée de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1. Sur la demande en paiement de la dette locative
1.1. Sur l'exception d'inexécution
Selon les anciennes dispositions de l'article 1134 du code civil applicables au contrat de bail en cause renouvelé le 1er janvier 2015 , dont le principe est repris au nouvel article 1103 du même code, les conventions légalement formées tiennent de loi à ceux qui les ont faites.
Selon les articles 1719 et suivants du code civil, le bailleur a l'obligation de délivrer au preneur des lieux conformes à la destination prévue au bail, de les entretenir en état de servir à l'usage pour lequel ils ont été loués en effectuant les réparations nécessaires autres que locatives et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail, de garantir le preneur des vices ou défauts de la chose louée empêchant son usage.
Selon l'article 1728 du code civil, le preneur a pour obligations principales d'une part, d'user raisonnablement de la chose louée conformément à sa destination, d'autre part de payer le loyer aux termes convenus.
Les nouvelles dispositions résultant des articles 1219 et suivants du code civil relatives à l'exception d'inexécution visées dans le jugement déféré et les conclusions de l'intimée ne sont pas applicables au contrat de bail en cause renouvelé avant leur entrée en vigueur.
Cependant, selon les anciennes dispositions précitées du code civil, applicables en l'espèce, dès lors que le paiement du loyer est l'une de ses deux obligations principales, le preneur ne peut s'en dispenser en opposant l'exception d'inexécution que si l'utilisation des lieux est impossible, soit parce que le bailleur n'a pas rempli son obligation de délivrance, soit parce que sa défaillance à réaliser les travaux indispensables lui incombant interdit toute jouissance de l'immeuble. Si tel n'est pas le cas, le manquement du bailleur à l'obligation de délivrance est susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle et d'entraîner les sanctions prévues par les dispositions antérieures du code civil telles que l'exécution forcée, la résiliation ou des dommages et intérêts si elles sont sollicitées et justifiées.
En l'espèce, la société Eurelec Distribution a obtenu la condamnation de la bailleresse à réaliser les travaux de remise en état nécessités par l'incendie survenu en 2010, par jugement précité du 25 juin 2013. Des travaux ont été réalisés. Sa demande vise exclusivement à être dispensée du paiement des loyers de l'année 2017 sollicités par la bailleresse.
La société Eurelec Distribution fait valoir que la bailleresse aurait mal exécuté les travaux de remise en état des locaux mis à sa charge, ce qui aurait abouti à rendre lesdits locaux inexploitables. Elle soutient qu'à l'occasion d'un constat d'huissier en date du 7 novembre 2016, il aurait été relevé la présence d'humidité dans les locaux, incompatible avec leur exploitation. En outre, elle prétend qu'il appartenait à la bailleresse de justifier de la parfaite réalisation des travaux conformément à la condamnation prononcée à son encontre le 2 septembre 2015 , et non à la preneuse de démontrer un défaut de conformité des locaux; que le premier juge aurait donc renversé la charge de la preuve, ce qui justifierait de réformer le jugement entrepris.
L'intimée fait valoir, sur le fondement de l'article 1217 du code civil, que concernant les baux commerciaux, l'exception d'inexécution ne peut être invoquée qu'en cas de défaillance du bailleur ayant un impact tel que l'exploitation des locaux a été rendue impossible ; que tel n'est pas le cas, la preneuse ayant pu jouir du local et exploiter son fonds de commerce pendant toute l'année 2017, que cette dernière n'aurait jamais mis en demeure la bailleresse d'avoir à exécuter ses obligation, de sorte qu'elle ne pourrait pas se prévaloir de l'exception d'inexécution. L'intimée fait également valoir que le dirigeant de la preneuse a reconnu lors du constat d'huissier du 7 novembre 2016 que les travaux ordonnés avaient bien été exécutés, que le débat sur la charge de la preuve de l'exécution des travaux serait donc inopérant.
Il ressort des éléments du dossier et des explications des parties qu'à la suite du jugement du 25 juin 2013, la bailleresse a réalisé les travaux notamment de remise en état de la toiture rendus nécessaires par l'incendie survenu le 5 février 2010 dans les lieux loués. Il n'apparaît pas qu'à la suite de la réalisation de ces travaux, la locataire ait adressé des observations à la bailleresse faisant état de malfaçons ou d'insuffisances, la réception du courrier recommandé du 21 mars 2017 dont elle se prévaut n'étant pas établie, ainsi que l'a relevé à juste titre le jugement déféré. Dès lors, si la société Eurelec Distribution entend se prévaloir de l'insuffisance des travaux réalisés et de la persistance de troubles de jouissance de nature à l'exonérer de son obligation de payer le loyer, il lui incombe de rapporter la preuve des manquements reprochés à la bailleresse et de ce qu'ils auraient pour conséquence de rendre les locaux inexploitables.
En l'occurrence, les parties ne font que reprendre devant la cour les prétentions et les moyens développés en première instance, étant précisé, au surplus, que l'appelante n'a pas déposé de dossier de plaidoirie et ne produit donc aucune des pièces visées dans ses écritures, et ce, malgré la demande adressée par la cour de céans, par RPVA en date du 20 février 2025.
En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents, auxquels il est renvoyé, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties. Il convient en conséquence d'approuver celui-ci pour avoir estimé que la preneuse ne démontrait pas qu'une mauvaise exécution des travaux de remise en état aurait aggravé la présence d'humidité dans les locaux loués ni que des écoulements d'eaux pluviales lors de fortes pluies rendraient inexploitables les locaux. En effet, il ressort des constats d'huissier des 1er et 7 novembre 2016 et du rapport d'expertise amiable établi par M. [R] le 1er novembre 2016, que s'il existe effectivement des traces d'humidité en différents points des locaux, la preneuse a néanmoins continué son activité en entreposant du matériel électrique notamment dans la réserve, y compris à même le sol, étant expressément précisé que la pièce située au fond des locaux a été entièrement refaite y compris le faux plafond et la verrière centrale.
La preneuse échoue donc à démontrer que l'exploitation des locaux loués serait devenue impossible en raison de l'humidité due à l'inexécution par la bailleresse de ses obligations, de sorte qu'elle n'est pas fondée à opposer l'exception d'inexécution pour échapper au paiement des loyers dus au titre des trois derniers trimestres de l'année 2017. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté son exception d'inexécution.
1.2. Sur le montant de l'arriéré locatif
Selon article 1315 du code civil, dans sa version applicable au contrat de bail en cause, dont les principes sont repris à l'article 1353 du même code, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Il incombe donc au bailleur qui réclame au preneur de lui rembourser, conformément au contrat de bail commercial, un ensemble de dépenses et de taxes, d'établir sa créance en démontrant l'existence et le montant de ces charges.
Selon l'article L145-40-2 et R145-36 du code de commerce le contrat de bail commercial doit comporter un inventaire précis des charges et taxes liés à ce bail avec leur répartition entre le bailleur et le locataire, cet inventaire donnant lieu à un état récapitulatif annuel incluant la régularisation de comptes de charges adressé par le bailleur au locataire au plus tard le 30 septembre de l'année suivant celle au titre de l'année pour lequel il est établi ou dans le délais de trois mois à compter de la reddition des charges pour l'exercice annuel pour les immeubles en copropriété. Il en résulte que lorsqu'il est prévu au bail le règlement de provisions, il doit y avoir une régularisation en fin d'exercice conformément aux textes précités et que l'absence de régularisation de charges rend sans cause les appels de provision à valoir sur leur paiement des charges, de sorte qu'ils ne sont plus dus.
Aux termes du contrat de bail en cause, « le preneur devra régler au bailleur, en sus du loyer, sa quote-part des charges prestations et taxes locatives qui lui sont applicables au titre de provisions de 300 Frs soldés une fois par an »
L'appelante, qui demandait déjà en première instance le rejet de l'ensemble des demandes pécuniaires de la bailleresse, fait valoir qu'il appartenait à la bailleresse de justifier des charges réelles, faute de quoi elle doit être déboutée de ses demandes à ce titre.
L'intimée fait valoir que la preneuse a quitté les locaux le 31 décembre 2017 sans payer de loyer ni de charges pour les trois derniers trimestres de l'année 2017, de sorte que cette créance locative serait certaine, liquide et exigible. Elle soutient en outre que la preneuse n'a auparavant jamais contesté le montant de cette créance. L'appelante serait donc débitrice des loyers et charges des trois derniers trimestres de l'année 2017 pour un montant total de 15.292,74 euros en principal, augmenté des intérêts au taux légal courant à compter de la signification de l'acte introductif d'instance en date du 5 novembre 2019, de sorte qu'il conviendrait de confirmer le jugement déféré sur ce point.
En l'espèce, la bailleresse ne rapporte pas la preuve de la nature, ni du montant des charges assumées par elle sur la période de référence, ni de la reddition annuelle des charges, de sorte que sa créance à ce titre n'étant pas justifiée, elle doit être considérée comme sans cause et déduit de la créance locative réclamée.
Il en résulte que la créance locative doit être calculée sur la base du montant des loyers hors charges, et s'élève à 13.342,74 euros (2ème, 3ème et 4ème trimestre 2017 : 3 x 4.447,58 = 13.342,74 euros).
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Eurelec Distribution au paiement d'une somme de 15.292,74 euros . Cette dernière sera en conséquence, condamnée à verser à l'intimée la somme de 13.342,74 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation le 5 novembre 2019.
2. Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail
Il résulte de l'ancien article 1153, dont le principe est repris à l'article 1231-6) du code civil, que dans les obligations se bornant au paiement d'une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent que dans la condamnation aux intérêts au taux légal mais que le créancier qui démontre que son débiteur en retard lui a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.
Ainsi, pour obtenir une indemnisation s'ajoutant aux intérêts moratoires, la démonstration d'un préjudice distinct causé par la mauvaise foi du débiteur doit être faite. Ce préjudice doit également être distinct du coût des dépens de procédures et des frais irrépétibles qui font l'objet de prises en charges sur un autre fondement juridique.
L'intimée sollicite la condamnation de la société Eurelec Distribution en paiement de 5.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail. Au soutien de sa demande, elle fait valoir que la preneuse a manqué régulièrement et sciemment à ses obligations contractuelles en ne payant pas ses loyers, qu'elle a dû multiplier les procédures pour en recouvrer le paiement, que les décisions des différentes juridictions saisies n'ont jamais été exécutées spontanément et ont nécessité le recours à des voies d'exécution forcée, que cela lui a causé des difficultés pour s'acquitter des charges de copropriété, entraînant sa condamnation par un jugement du tribunal de grande instance de Bobigny rendu le 15 novembre 2017, ainsi que des frais d'avocat, que du fait de ces retards de paiement, elle n'a pas été en mesure de rembourser l'emprunt contracté auprès de sa banque pour financer l'acquisition des lieux loués, que la mauvaise foi de la preneuse justifie la réparation du préjudice matériel subi découlant directement du défaut volontaire et répété de paiement des loyers et charges pendant toute la durée du bail, caractérisant la résistance abusive dont la preneuse a fait preuve .
L'appelante fait valoir que l'intimée n'apporte pas la preuve de sa prétendue intention de nuire, ni même du préjudice qu'elle aurait subi.
Il ressort des pièces produites, que trois commandements de payer dont deux visant la clause résolutoire du bail ont été délivrés à la locataire ; qu'elle a été condamnée au paiement de provisions sur sa dette locative par quatre ordonnances de référé des 9 février 2016 , 18 octobre 2016, 3 mai 2017 et 12 décembre 2018 , deux d'entre elles constatant l'acquisition de la clause résolutoire et lui octroyant des délais suspensifs; qu'elle a été condamnée au paiement de 19.003 euros par jugement du 25 juin 2013 constatant l'acquisition de la clause résolutoire du bail et lui octroyant des délais suspensifs de l'application de cette clause ; que la bailleresse a dû recourir à des procédures d'exécution forcée, alors que de son côté, la locataire ne justifie pas de ses griefs prétendus ni avoir adressé des réclamations avant que sa bailleresse ne réclame le paiement des loyers. L'inexécution volontaire et répétée, par la preneuse, de son obligation principale de paiement des loyers et des charges contraignant la bailleresse à entreprendre plusieurs procédures judiciaires caractérise une exécution de mauvaise foi du bail et une résistance abusive à paiement dont elle doit répondre .
Le montant de la condamnation de la bailleresse au paiement des charges de copropriété et celui des frais de procédure en résultant ne correspondent pas au préjudice en lien de causalité direct avec la défaillance de la société Eurelec Distribution dans l'exécution de ses obligations locatives.
Cependant la résistance abusive à paiement de la locataire a causé un préjudice financier à la SCI Ye Yong puisqu'elle a été privée des revenus attendus alors qu'elle devait faire face au coût financier de son emprunt immobilier et des charges de copropriété afférentes au local loué. Elle est fondée à en demander la réparation. Au regard notamment de ces circonstances ainsi que des sommes impayées, ce préjudice sera justement réparé par l'allocation d'une montant de 2.000 euros.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée de ce chef et la preneuse sera condamnée au paiement de 2.000 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail.
3. Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles, aux dépens de première instance et à l'exécution provisoire.
L'appelante succombant partiellement, sera condamnée aux dépens de l'appel ainsi qu'à payer à la SCI Ye Yong la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile . Elle sera déboutée de sa demande fondée sur ce texte.
Les autres demandes seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 13 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Meaux (RG N°19/04242) en ce qu'il a condamné la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 15.292,74 euros représentant les loyers et charges dus au titre des 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2017, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation du 5 novembre 2019 et en ce qu'il a débouté la SCI Ye Yong de sa demande de condamnation de la société Eurelec Distribution à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de bail ;
Le confirme en toutes ses autres dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 13.342,74 euros représentant les loyers impayés dus au titre des 2ème, 3ème et 4ème trimestre 2017, outre intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019 ;
Condamne la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Condamne la société Eurelec Distribution à payer à la SCI Ye Yong la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
Déboute la société Eurelec Distribution de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes,
Condamne la société Eurelec Distribution aux dépens de la procédure d'appel.
Le greffier, Le président,