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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 11 septembre 2025, n° 24/12194

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/12194

11 septembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT AU FOND

DU 11 Septembre 2025

Rôle N° RG 24/12194 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BNZHK

SELARL [L]

- CONSTANT

C/

[B] [Z]

M.LE PROCUREUR GÉNÉRAL

Copie exécutoire délivrée

le : 11 Septembre 2025

à :

Me [Localité 4] GARAY

Me Antoine RYCKEBOER

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 07 Octobre 2024 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 2023003611.

APPELANT

la SELARL [L]-CONSTANT

au capital de 40 500€, immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le n° 853 328 565, domiciliée [Adresse 1] à [Localité 8] agissant en la personne de Maître [U] [L], en qualité de Mandataire Liquidateur de la SASU JR AZUR ;

représenté par Me Anaïs GARAY de la SELAS ROBIN LAWYERS, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

INTIME

Monsieur [B] [Z]

né le [Date naissance 3] 1984 à [Localité 10], de nationalité française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Antoine RYCKEBOER, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

EN PRESENCE DE :

Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL,

demeurant [Adresse 5]

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 Mai 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Muriel VASSAIL, conseillère a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre

Madame Muriel VASSAIL, Conseillère

Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2025, puis avisées par message le 3 Juillet 2025, que la décision était prorogée au 11 Septembre 2025.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2025,

Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

***

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société JR AZUR a été immatriculée le 1er avril 2015 au RCS de [Localité 7]. Elle avait pour objet la vente et l'installation de produits de traitement de l'eau auprès des professionnels et des particuliers.

Son capital social était ainsi réparti :

-[B] [Z] : 3 400 actions

-[O] [Z] : 3 300 actions

-[N] [Z] : 3 300 actions

Messieurs [B] et [O] [Z] sont tous les deux les fils de M. [N] [Z].

A l'origine, tous les associés étaient salariés de la société et son président était M. [B] [Z].

Le tribunal de commerce de Fréjus a par jugement du 20 juin 2022, rendu sur déclaration de l'état de cessation des paiements du dirigeant, ouvert une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société JR AZUR, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 20 janvier 2021 et désigné la SELARL [L] CONSTANT, prise en la personne de Mme [U] [L], en qualité de liquidateur judiciaire.

Mme [L] ès qualités ayant assigné le dirigeant en responsabilité pour insuffisance d'actif, par jugement du 7 octobre 2024 le tribunal de commerce de FREJUS a notamment :

- déclaré l'action recevable,

- débouté Mme [L] ès qualités de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- débouté M. [Z] de ses demandes du chef de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [Z] aux dépens.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu que :

- il était reproché à M. [Z] :

- une insuffisance d'actif de 498 329,16 euros,

- la poursuite d'une activité déficitaire en 2020 au seul profit des associés,

- d'avoir bénéficié d'un PGE de 156 236,50 euros qui a été consommé par le remboursement de son compte courant d'associé, les rémunérations et les salaires pris par les associés mais également par les commissions non détaillées versées à la société GREE AZUR dont M. [B] [Z] est le seul associé et le dirigeant,

- des indemnité de résiliation de contrats portant sur des véhicules à hauteur de 101 476, 22 euros,

- la crise sanitaire qui a duré au moins une année et les restrictions qui l'ont accompagnée ont gravement affecté l'économie du pays,

- avant la pandémie l'entreprise n'avait pas de difficultés et connaissait une forte croissance,

- la dégradation des résultats de l'entreprise est imputable à la crise COVID et ne peut être imputée à M. [B] [Z],

- la société a obtenu son PGE le 9 avril 2020 alors que le compte courant d'associé de M. [B] [Z] avait été remboursé le 14 janvier 2020,

- le mandataire judiciaire n'a pas sollicité le report de la date de cessation des paiements,

- les autres paiements concernent des salaires dus et le tribunal ne peut pas retenir ce grief dans la mesure où le mandataire judiciaire n'a pas fait d'action pour faire reconnaître le caractère exagéré de ces rémunérations,

- les véhicules loués devaient être nécessaires à l'activité en forte croissance avant la période COVID,

- le mandataire judiciaire ne démontre pas la faute du dirigeant.

La SELARL [L] CONSTANT a fait appel de ce jugement le 8 octobre 2024.

Dans ses dernières conclusions, déposées au RPVA le 6 novembre 2024, elle demande à la cour de:

- infirmer le jugement frappé d'appel en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [B] [Z] à lui payer 495 583,12 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la société JR AZUR,

- ordonner l'exécution provisoire de droit,

- condamner M. [Z] aux dépens et à lui payer 5 000 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile,

Dans ses dernières écritures, communiquées par RPVA le 17 décembre 2024, M. [Z] demande à la cour :

A titre principal, de :

- confirmer le jugement rendu le 7 octobre 2024 par le tribunal de commerce de Fréjus en ce qu'il a débouté Mme [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- débouter Mme [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions les demandes formées par le liquidateur,

En tout état de cause, de condamner la SELARL [L] CONSTANT ès qualités aux entiers dépens d'appel et à lui payer 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans son dernier avis, notifié par RPVA le 2 avril 2025, le ministère public s'en rapporte aux démonstrations du mandataire liquidateur ainsi que sur le montant de la condamnation.

Le 22 octobre 2024, les parties ont été avisées de la fixation du dossier à l'audience de plaidoiries du 14 mai 2025.

La clôture de la procédure est intervenue le 24 avril 2025 avec rappel de la date de fixation.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il conviendra de se référer aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens de fait et de droit.

MOTIFS DE LA DECISION

1) La cour relève qu'aucune des parties ne remet en cause la décision des premiers juges en ce qu'ils ont débouté M. [Z] de sa demande au titre des frais irrépétibles et en ce qu'il l'ont condamné aux dépens.

Elle n'est donc pas saisie de ces chefs.

2) Ainsi que le rappelle l'article L.651-2 du code de commerce, le tribunal de commerce peut condamner à supporter l'insuffisance d'actif d'une société placée en liquidation judiciaire tout dirigeant de droit ou de fait responsable d'une faute de gestion qui a contribué à cette insuffisance d'actif.

Pour que l'action initiée par la SELARL [L] CONSTANT ès qualités puisse prospérer il faut donc que soient établis :

- une insuffisance d'actif,

- une ou plusieurs fautes de gestion, non assimilables à des négligences, imputables à M. [Z],

- un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif.

3) M.[Z] soutient qu'en l'espèce, le passif n'ayant pas été vérifié, aucune insuffisance d'actif n'est démontrée de sorte que l'action diligentée par le liquidateur judiciaire est vouée à l'échec.

Il convient de rappeler que pour que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif puisse être mise en 'uvre il n'est pas nécessaire que le passif ait été intégralement vérifié ni que l'insuffisance d'actif soit précisément chiffrée. Il suffit, en effet, qu'elle soit certaine au moment où le juge statue.

L'actif réalisé de la société JR AZUR est discuté. Selon M. [Z], il est de 45 025 euros, selon la SELARL [L] CONSTANT il serait de 26 521 euros.

Les deux parties s'appuient sur la pièce 18 de l'appelante.

La SELARL [L] CONSTANT n'expliquant pas en quoi il conviendrait de déduire certains remboursements de l'actif de la société JR AZUR, il ressort de cette pièce que l'actif réalisé de la société peut effectivement être arrêté à la somme de 45 025 euros.

Il n'est pas remis en cause que le passif déclaré de la société JR AZUR s'élève à la somme de 521 835, 01 euros dont 130 euros déclarés à titre non définitif (pièce 18 de l'appelante), ce qui permet de fixer le passif définitif déclaré à la somme de 521 705, 01 euros.

Alors que la cour remarque que ce passif est composé pour moité de dettes fiscales et sociales (259 056), M. [Z] n'explique ni n'allègue l'avoir contesté et n'indique pas en quoi et pour quel quantum il serait contestable.

Dans ces conditions, il ne peut valablement soutenir que le passif de la société JR AZUR est inconnu pour prétendre faire échec à l'action de la SELARL [L] CONSTANT.

Dès lors, la cour dispose d'éléments suffisants pour arrêter l'insuffisance d'actif de la société JR AZUR à la somme de de 476 810 euros après déduction de la somme de 45 025 euros correspondant à l'actif disponible.

4) La SELARL [L] CONSTANT reproche à M. [Z] :

- d'avoir poursuivi, à partir de l'année 2020, l'activité de la société JR AZUR au seul profit des associés alors qu'elle était déficitaire,

- de ne pas avoir réglé les dettes fiscales et sociales de l'entreprise.

5) M.[Z] ne conteste pas le défaut de paiement des dettes fiscales et sociales de la société JR AZUR pour un montant total de 259 056 euros (AG2R, CGEA, PRS, URSSAF).

En sa qualité de gérant de la société JR AZUR, il ne pouvait ignorer que le paiement de ces dettes est prioritaire en ce qu'il pèse lourdement sur la situation économique nationale et qu'en s'abstenant de les régler il a ménagé à la société JR AZUR une trésorerie fictive.

Il en résulte que cette faute est caractérisée et doit être retenue contre lui.

6) Comme il le fait valoir, M. [Z] démontre qu'il s'est remboursé son compte courant d'associé en janvier 2020 alors que, contrairement à ce que prétend l'appelante, l'exercice 2019 le lui permettait et ne mettait en évidence aucune difficulté particulière pour sa société.

En effet, la cour relève que :

- un solde bancaire débiteur en décembre 2019 (même pour la somme de 14 876 euros) n'est pas à lui seul le signe de difficultés majeures pour une société d'autant qu'il n'est pas démenti que l'entreprise bénéficiait d'une facilité de caisse de 45 000 euros qui n'a pas été dépassée au 31 janvier 2020,

- le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de la société JR AZUR (13 juin 2021) a fixé la date de cessation des paiements au 20 janvier 2021 et cette date n'a pas fait l'objet d'un report, ce dont il résulte qu'avant cette date et notamment au moment où M. [Z] s'est remboursé son compte courant d'associé la société n'était pas en état de cessation des paiements,

- pour l'octroi d'un PGE l'Etat n'a imposé aucune utilisation particulière et il n'est pas établi que la somme versée à ce titre à la société JP AZUR ait été affectée au paiement du compte courant d'associé de M. [Z],

- le PGE ayant été mis en place pour que les entreprises puissent faire face à leurs charges courantes pendant la période COVID, il est légitime que celui octroyé à la société JP AZUR ait pu être employé à régler ses salariés.

Dès lors, sauf à établir qu'il pouvait avoir connaissance de la crise sanitaire qui a frappé l'économie mondiale à partir de la fin du mois de mars 2020, la SELARL [L] CONSTANT, n'est pas fondée à reprocher à M. [Z] de s'être remboursé son compte courant d'associé en janvier 2020.

Considérant cette crise sanitaire, il ne peut non plus être reproché à M. [Z] d'avoir tenté de relancer son entreprise après la fin des mesures restrictives mises en place par l'Etat.

Dès lors, les embauches de salariés, même si elles ont nécessairement aggravé le passif dû à l'URSSAF, l'ouverture d'une agence à [Localité 9] et la location de véhicules ne peuvent être considérés comme fautifs.

En revanche, M. [Z] ne conteste pas avoir augmenté son salaire en 2019 pour faire face à ses charges personnelles qui avaient elles-mêmes augmenté (page 8 de ses conclusions). Contrairement à ce qu'il affirme, les trois seuls bulletins de salaire qu'il produit en pièce 32, qui concernent juillet, septembre et novembre 2020, ne sont pas de nature à démontrer qu'il a réagi en diminuant sa rémunération alors que dans le même temps la SELARL [L] CONSTANT établit qu'entre le 27 janvier 2020 et le 31 décembre 2020, il a prélevé à son profit sur les comptes de la société la somme totale de 80 290 euros (en déduisant les 29 000 euros correspondant à son compte courant d'associé perçu le 14 janvier 2020).

Or, à la même époque, la société JR AZUR a vu son activité et son chiffre d'affaires s'effondrer.

Il est donc établi qu'en sa qualité de dirigeant de la société JR AZUR, M. [Z] a sciemment privilégié sa situation personnelle au détriment de celle de la société en s'abstenant d'adapter sa rémunération à la situation financière de son entreprise et en prélevant des sommes injustifiées sur son compte bancaire, ce qui a aggravé son passif.

Les sommes qu'il a versées à l'entreprise le 12 décembre 2019 (20 000 euros) et le 24 janvier 2020 (15 000 euros) sans aucune explication sont sans commune mesure avec les prélèvements dont il est question, qui sont tous postérieurs.

Considérant leur nombre, leur régularité et les montants prélevés, M. [Z] ne peut se prévaloir d'une simple négligence.

7) M. [Z] ne conteste pas qu'entre le 27 janvier 2020 et le 28 octobre 2020 il a versé à la société GREEN AZUR, dont le capital social était détenu par son frère [O], la somme de 27 784, 91 euros.

Il prétend que ces versements correspondent à des commissions et des prestations marketing et s'appuie sur ses pièces 31 et 33 pour en rapporter la preuve.

Or, comme le relève la SELARL [L] CONSTANT ès qualités :

- sa pièce 31 est une plaquette qui ne peut justifier le montant des sommes facturées à hauteur de 27 784 euros,

- les factures produites pour justifier du versement de commissions de la part de la société JR AZUR sont à elles seules insuffisantes pour rapporter la preuve d'un lien entre la société GREEN AZUR, les ventes qui sont mentionnées et les commissions susceptibles d'en résulter.

En conséquence, la SELARL [L] CONSTANT démontre qu'en sa qualité de dirigeant de la société JR AZUR et par le débit de son compte bancaire, M. [Z] a opéré des versements injustifiés et inexpliqués au bénéfice de la société GREEN AZUR.

Il s'agit là d'une faute de gestion volontaire susceptible d'être sanctionnée au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif.

8) Considérant les fautes retenues, les éléments comptables versés aux débats, la crise sanitaire et le risque inhérent à toute entreprise commerciale et/ou industrielle, la cour dispose d'éléments suffisants pour imputer l'insuffisance d'actif de la société JR AZUR à M. [Z], à hauteur de 150 000 euros.

Le jugement rendu le 7 octobre 2024 par le tribunal de commerce de FREJUS sera donc infirmé en toutes ses dispositions, à l'exception de celles relatives aux dépens et aux frais irrépétibles dont la cour n'est pas saisie.

9) M. [Z] sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.

Il se trouve, ainsi, infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles.

Au vu des circonstances de l'espèce, il serait inéquitable de laisser supporter à la SELARL [L] CONSTANT ès qualités l'intégralité des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.

M.[Z] sera condamné à lui payer 3 000 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile.

10) La décision à intervenir étant insusceptible d'appel, la demande de la SELARL [L] CONSTANT tendant à ce que la cour constate l'exécution provisoire de plein droit est sans objet.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de sa saisine, publiquement, après débats publics, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 octobre 2024 par le tribunal de commerce de FREJUS ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamne M. [B] [Z] à payer à la SELARL [L] CONSTANT ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JR AZUR la somme de 150 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de cette société ;

Déclare sans objet la demande de la SELARL [L] CONSTANT tendant à ce que la cour constate l'exécution provisoire de plein droit ;

Déclare M. [Z] infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles ;

Condamne M. [Z] à payer à la SELARL [L] CONSTANT ès qualités 3 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [Z] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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