CA Montpellier, 2e ch. civ., 11 septembre 2025, n° 24/05872
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre civile
ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/05872 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QOTE
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du 22 OCTOBRE 2024
TRIBUNAL DE COMMERCE DE RODEZ
N° RG 2024000997
APPELANTE :
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE, Société à responsabilité limitée au capital social de 160.000,00 € dont le siège social est situé [Adresse 5], Immatriculée au RCS de [Localité 8] sous le n°499 214 195, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
ATS LASER, SAS au capital de 1.000.000 euros, [Adresse 12], immatriculée au RCS de [Localité 8] sous le numéro 504 055 211
[Adresse 11]
[Localité 1]
Représentée par Me François GIRAULT de la SELAS AGN AVOCATS MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et Me DEVELLE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 12 Mai 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 914-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 MAI 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par le même article, devant la cour composée de :
Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre
Madame Nelly CARLIER, Conseillère
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Salvatore SAMBITO
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre, et par M. Salvatore SAMBITO, Greffier.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
La société ATS LASER exerce une activité de découpe laser, plasma et oxycoupage. S'estimant victime de concurrence déloyale de la part de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE, la société ATS LASER a saisi le tribunal de commerce de Rodez afin d'obtenir une mesure d'instruction in futurum, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, à l'encontre de cette société.
Par ordonnance du 9 octobre 2023, le président du tribunal de commerce de Rodez a commis la S.C.P. SEGURET - FLOTTES - REGOURD - BELAUBRE, commissaires de justice à Rodez avec pour mission de se rendre dans les locaux de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE situés [Adresse 4] et procéder aux démarches suivantes :
- Accéder au serveur et aux messageries électroniques du service des ressources humaines de SUD DECOUPE INDUSTRIE, au disque dur des ordinateurs fixes et/ou portables et tous supports utiles (clés USB, disque dur externe) liés à ce service ;
Le commissaire de justice a exécuté l'ordonnance au siège social de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE et a placé sous séquestre les éléments saisis,
- Accéder au serveur et à la messagerie électronique de Monsieur [E] [N] (adresse mail : [Courriel 7]), au disque dur de son ordinateur fixe et/ou portable et tous supports utiles (clés USB, disque dur externe), y compris le téléphone portable professionnel de Monsieur [E] [N] s'il existe;
Et, depuis le 16 novembre 2022 et jusqu'à la date de réalisation des opérations :
- Procéder à la recherche et prendre copie de tout document, fichiers informatiques, message électronique y compris les documents et pièces jointes (Word, Excel, capture d'écran) ou SMS, message sur une application pour smartphones et ordinateurs portables (de type Viber, Lyne, WhatsApp, Signal, Messenger, Telegram, Slack, Discord), correspondances sur support papier, notes, en lien avec les seuls salariés (anciens et présents) de ATS LASER, listés dans l'annexe 1 et l'annexe 2, en utilisant les mots clés suivants : salariés cités en annexe l, salariés cités en annexe 2,
- Vérifier si les salariés cités en annexe 1 sont salariés de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE et prendre copie du registre d'entrée et de sortie du personnel ;
- Vérifier si SUD DECOUPE INDUSTRIE détient des informations sur les salariés listés en annexe 2 et si ces informations ont été fournies par M. [E] [N] ;
- Procéder à la recherche et prendre copie de tout document, fichiers informatiques, message électronique y compris les documents et pièces jointes (Word, Excel, capture d'écran) ou SMS, message sur une application pour smartphones et ordinateurs portables (de type Viber, Lyne, WhatsApp, Signal, Messenger, Telegram, Slack, Discord), correspondances sur support papier, notes, en lien avec les clients de ATS LASER mentionnés en noir dans l'annexe 3, en utilisant les mots clés suivants : liste des 13 clients sur fond noir cités en annexe 3, à savoir : SOCOFAM, JPM BENNES, ITAS PYLONES, AVENIR PROTECTIONS, IRRIFRANCE INDUSTRIES, EHB, MECATEP, ABEL, PYRENE AUTOMATION, CIMAN SARL, M3I INDUSTRIE, LABADIE SARL, SAM (SECURITE AMENAGEMENTS MONTAGNE) ;
- Vérifier si SUD DECOUPE INDUSTRIE détient des documents techniques et commerciaux appartenant à ATS LASER dans ses fichiers clients et si ces informations ont été fournies par M. [E] [N] ;
- Procéder au besoin à l'extraction des disques durs des unités centrales et ordinateurs, à leur examen à l'aide des outils d'investigation de son choix, puis à la remise en place de ces disques dans leur unité centrale ou ordinateurs respectifs ;
- Autoriser le commissaire de justice, en cas de difficulté dans la sélection et le tri des éléments recherchés, à effectuer des copies complètes de fichiers en rapport avec l'objet de la mission sur tout support de son choix, si nécessaire des copies complètes de disques durs et autres supports de données associés ;
- Autoriser le commissaire de justice, le requis présent ou appelé, à confier à l'expert qui l'assiste, le second exemplaire des informations copiées afin que celui-ci procède aux opérations purement techniques de nature à permettre l'exploitation des informations nécessaires à l'accomplissement de la mission ;
- Rechercher tous fichiers effacés étant en lien avec les missions décrites ci-dessus et en prendre copie ;
- Dire que la communication de ces éléments et la prise de copie pourront se faire sous forme papier, informatique ou éléments sauvegardes ;
- Préciser que le commissaire de justice instrumentaire n'est pas autorisé à saisir physiquement les unités de stockage des informations, ni à en établir une copie intégrale ;
- Dresser un procès-verbal de ses constatations ;
- Joindre à son procès-verbal la copie intégrale sur support numérique du contenu des éléments constatés ;
ET POUR CE FAIRE :
- Autoriser le commissaire de justice à se faire assister de la force publique et/ou de tout serrurier si besoin ;
- Autoriser le commissaire de justice à se faire communiquer les codes d'accès, notamment informatiques, nécessaires à l'exécution de sa mission ;
- Autoriser le commissaire de justice à se faire assister par M. [C] [G], domicilié [Adresse 9], expert informatique agrée par la Cour d'Appel de Montpellier ;
- Autoriser le commissaire de justice et l'expert l'accompagnant à se faire remettre tous les codes d'accès, notamment informatiques, ou mot de passe nécessaires à l'exécution de sa mission ;
- Autoriser le commissaire de justice à défaut de communication des codes d'accès et/ou mot de passe nécessaire à sa mission, à « cracker » lesdits codes et/ou mot de passe ;
- Autoriser le commissaire de justice et l'expert l'accompagnant à installer tout logiciel ou brancher tout périphérique pour les besoins des opérations ;
- Autoriser le commissaire de justice et l'expert l'accompagnant l'expert, le cas échéant, à restaurer tous fichiers informatiques et emails effacés ;
- Autoriser le commissaire de justice à consigner les déclarations des répondants, toutes paroles prononcées et les faits constatés au cours des opérations, mais en s'abstenant de toute interpellation autre que celles nécessaires à l'accomplissement de sa mission ;
- Autoriser le commissaire de justice et l'expert l'accompagnant, en cas de difficultés dans la sélection et le tri des éléments recherchés, et notamment au regard leur volume, à effectuer des copies complète des fichiers en rapport avec la mission confiée sur tous supports de son choix ;
- Autoriser le commissaire de justice et l'expert l'accompagnant, dans le cas où l'accomplissement complet de la mission aurait été impossible à réaliser lors de la première intervention, à poursuivre leur intervention dans des conditions identiques le premier jour ouvré suivant ;
- Dire qu'il sera procédé aux opérations prescrites nonobstant toute opposition de la partie saisie ;
- Dire que le commissaire de justice établira une liste descriptive des documents saisis ou copies avec leur date, leur origine, leur auteur, leur objet et leur nature ;
- Dire que le commissaire de justice devra séquestrer en son étude l'ensemble des éléments recueillis lors de ses opérations pendant un délai d'un mois à compter de l'accomplissement de sa mission afin de permettre que soit éventuellement, avant le terme de ce délai, sollicitée la rétractation de l'ordonnance autorisant sa mission ;
- Dire qu'au-delà de ce délai d'un mois, conformément aux dispositions de l'article R153-1 du Code de commerce et en l'absence d'assignation en référé pour modification ou rétractation de la présente ordonnance, le commissaire de justice remettra à la requérante les éléments saisis au cours des opérations de constat ;
- Dire que l'ensemble des éléments (copies de documents, propos, copies de support informatique et/ou tous autres) seront conserves par lui, en séquestre, pendant une durée maximale d'un an ;
- Dire qu'à défaut de saisine du commissaire de justice commis dans un délai de trois mois à compter de l'ordonnance à intervenir, sa désignation sera caduque et privée d'effet.
Le 22 mars 2024 par acte de commissaire de justice, la société SUD DECOUPE INDUSTRIE a fait assigner la société ATS LASER en référé devant le Président du tribunal de commerce de Rodez aux fins de:
- voir rétracter l'ordonnance,
- faire constater à titre principal la caducité de la désignation du commissaire de justice,
- faire constater à titre subsidiaire que la requête ne comporte pas la liste des pièces invoquées, ce qui constitue une irrégularité de fond,
- faire constater à titre infiniment subsidiaire que les mesures ordonnées ne sont justifiées ni en droit, ni en fait,
Et en tout état de cause,
- prononcer la nullité des opérations,
- ordonner la restitution des éléments saisis.
Selon une ordonnance rendue contradictoirement en date du 22 octobre 2024, le juge des référés a :
- déclaré irrecevable la demande de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE,
- débouté les parties de leurs demandes relatives à l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- dit que les dépens seront laissés pour moitié à la charge de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE et pour moitié à la charge de la société ATS LASER,
- liquidé les dépens pour frais de greffe à la somme de 40.65 €
Pour déclarer la demande irrecevable, le premier juge a constaté que la société SUD DECOUPE INDUSTRIE sollicitait la rétractation de l'ordonnance du 9 octobre 2023 rendue par le Président du tribunal de commerce et juge des requêtes de Rodez. Or, elle a adressé sa demande au Président du tribunal de commerce statuant en référé, alors que seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance peut être saisi de la demande de rétractation, et ce même s'il s'agit de la même personne, à savoir le Président du tribunal de commerce. Il ajoute que plusieurs juges du tribunal de commerce de Rodez ont reçu délégation de pouvoirs du Président en matière de référé.
Le 22 novembre 2024, la société SUD DECOUPE INDUSTRIE a interjeté appel de toutes les dispositions de cette ordonnance.
Selon avis du 6 décembre 2024, l'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 19 mai 2025 en application des dispositions de l'article 906 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions notifiées le 5 mai 2025 par la partie appelante;
Vu les conclusions notifiées le 9 mai 2025 par la partie intimée ;
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 12 mai 2025 ;
PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE conclut :
à la réformation de l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a :
- déclaré irrecevable sa demande de rétractation,
- débouté cette dernière de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté cette dernière de ses plus amples demandes.
- dit que les dépens seront laissés pour moitié à sa charge et pour moitié à la charge de la société ATS LASER,
à la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a :
- débouté la société ATS LASER de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
et demande à la Cour statuant à nouveau de :
A titre principal,
- constater la caducité de la désignation de la S.C.P. [Localité 10] - FLOTTES - REGOURD - BELAUBRE,
A titre subsidiaire,
- constater que la requête ne comporte pas la liste des pièces invoquées par la société ATS LASER, une telle irrégularité constituant une fin de non-recevoir,
A titre infiniment subsidiaire,
- constater que les mesures ordonnées ne sont justifiées ni en droit, ni en fait,
En tout état de cause,
- rétracter l'ordonnance en cause en toutes ses dispositions,
- prononcer la nullité des opérations effectuées en exécution de cette décision,
- ordonner la restitution de l'ensemble des éléments appréhendés,
- condamner la société ATS LASER à payer à la société SUD DECOUPE INDUSTRIE la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens.
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE maintient que la demande de rétractation de l'ordonnance donne naissance à une procédure de référé originale puisque son unique objet est de déterminer s'il y a lieu de rétracter ou de modifier l'ordonnance qui a été rendue, ainsi qu'en a jugé la Cour de Cassation.
Elle ajoute que l'ordonnance litigieuse a été signifiée à la société SUD DECOUPE INDUSTRIE par acte en date du 27 février 2024, date à laquelle le commissaire de justice a également procédé à l'exécution des mesures sollicitées par la société ATS LASER. Il s'est écoulé un délai de quatre mois à compter de l'ordonnance, ce qui rend caduque l'ordonnance sur requête.
L'appelante évoque l'irrégularité de la requête, qui ne comporte pas la liste des pièces l'accompagnant et qui ne lui a pas permis de connaître les éléments que le juge a pris en compte pour prendre sa décision, au mépris du principe du contradictoire. En effet, faute de motivation et d'indication précise des pièces, la requête est irrecevable et ne saisit pas valablement le juge.
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE conclut que la société ATS LASER ne justifiait pas d'un motif légitime, en ne produisant aucun commencement de preuve d'une concurrence déloyale. Elle n'a pour but que de déstabiliser son concurrent et d'obtenir des informations qui relèvent du secret des affaires.
Sur les soupçons de débauchage de personnel dont elle fait l'objet, la société SUD DECOUPE INDUSTRIE explique que dans un bassin d'emploi aussi limité que celui de l'Aveyron, les recrutements relèvent d'une gestion normale et licite de ses ressources humaines, sans qu'aucune man'uvre déloyale ne puisse être caractérisée. Les situations évoquées concernent des démarches individuelles, souvent spontanées, et ne traduisent en rien une volonté de désorganiser la société ATS LASER. La société SUD DÉCOUPE s'est contentée d'exercer son droit de recruter en fonction de ses besoins, dans le respect du droit du travail et de la liberté de concurrence.
Enfin, elle indique qu'il n'existe aucun détournement d'information confidentielle ou de clientèle.
La société ATS LASER conclut à la confirmation de la décision attaquée en toutes ses dispositions et demande à la cour de :
A titre principal,
- déclarer irrecevable pour défaut de pouvoir juridictionnel la demande de SUD DECOUPE INDUSTRIE,
A titre subsidiaire, en cas de réformation sur l'irrecevabilité,
- débouter SUD DECOUPE INDUSTRIE de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société au paiement de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.
Elle conclut que la gravité des indices recueillis par ATS LASER fait craindre de la part de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE une stratégie délibérée de captation illicite d'informations et de détournement de personnel qualifié, dans des conditions incompatibles avec les principes de loyauté et de libre concurrence.
Elle a procédé au recrutement ciblé et simultané de plusieurs collaborateurs occupant des fonctions clé, parfois dans des délais immédiatement consécutifs à leur départ.
Le caractère systématique et orienté de ces recrutements, conjugué à des éléments de transfert de clientèle et de reproduction de processus internes brevetés ou protégés, justifie pleinement les mesures ordonnées.
La requête initiale a vérifié le caractère légitime de la démarche et la proportionnalité des mesures ordonnées.
In limine litis, la société ATS LASER maintient que le juge des référés est dépourvu de pouvoir juridictionnel en matière de rétractation, seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance pouvant être saisi d'une demande de rétractation. Le président du Tribunal de Commerce de RODEZ saisi par une assignation en référé classique, audiencée dans le cadre des référés classiques, n'a eu d'autre choix que de prononcer l'irrecevabilité de la demande de rétractation.
En ce qui concerne la caducité de l'ordonnance, l'intimée conclut que le juge de la rétractation n'a pas à connaître de l'exécution de sa décision.
Subsidiairement, elle indique que l'ordonnance a fixé un délai de trois mois pour saisir l'huissier, et non pour réaliser la mission. En l'espèce, le mandat a été donné à l'huissier dans le délai imparti.
En ce qui concerne la requête, celle ci est valable car elle vise les pièces invoquées dans le corps de la requête, ce qui est parfaitement régulier dans le cadre d'une procédure non contradictoire.
Enfin, elle indique qu'elle justifie d'un motif légitime et que la proportionnalité de la mesure, limitée dans le temps, a été vérifiée par le juge saisi par requête.
Par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la Cour entend se référer aux dernières écritures des parties ci dessus visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions qu'elles ont développés.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité de la demande en rétractation :
L'article 493 dispose que «l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans le cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse».
En application de l'article 496 alinéa 2 du même code, «'s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance».
La demande en rétractation n'introduit pas une instance nouvelle. Elle transforme simplement une même procédure de gracieuse en contentieuse et contradictoire.
Le juge compétent pour ordonner la rétractation est celui qui a rendu l'ordonnance, et ce dernier doit s'entendre comme le magistrat en fonction de juge des requêtes dans le tribunal au moment de l'assignation en référé rétractation, et il n'est pas nécessaire que le juge de la rétractation soit la même personne physique que celle qui a ordonné la mesure critiquée.
En l'espèce, le président du tribunal de commerce de Rodez a été saisi en référé le 22 mars 2025 d'une demande en rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 9 octobre 2023 par la même juridiction. Dès lors, la saisine est régulière, nonobstant l'absence de mention du terme rétractation dans l'entête de l'acte introductif, le dispositif de l'assignation sollicitant, en tout état de cause, la rétractation de l'ordonnance (Cour de Cassation 2ème Civile, 12 septembre 2024, pourvoi n° 22-16.332).
Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance déférée et de recevoir la société SUD DECOUPE INDUSTRIE en ses demandes.
Sur la caducité de l'ordonnance :
Le juge auquel est soumis une ordonnance sur requête doit vérifier les mérites de la requête et de l'ordonnance au jour où il statue, en tenant compte de tous éléments débattus contradictoirement. Il ne peut tenir compte ni des éléments obtenus par le biais de la saisie litigieuse ni des difficultés d'exécution de celle ci.
En conséquence, il ne peut apprécier la caducité de la requête, qui relève de l'exécution de la décision. Tout au plus peut-il, à la demande des parties, modifier les termes de l'ordonnance en ce qui concerne ses conditions d'exécution. Or en l'espèce, aucune des parties ne formule de demandes à ce titre.
Il convient en conséquence de dire qu'il n'appartient pas au juge de la rétractation de statuer sur la demande principale de caducité.
Sur la validité de l'ordonnance :
L'article 494 du code de procédure civile dispose que la requête est présentée en double exemplaire, elle doit être motivée et doit comporter l'indication précise des pièces invoquées.
La requête déposée devant le président du tribunal de commerce de Rodez indique, au fur et à mesure des développement présentés, les pièces qui l'accompagnent numérotées de 1 à 19.
Dès lors, les prescriptions de l'article précité sont respectées et la société appelante ne peut se prévaloir d'une rupture du contradictoire.
Il convient en conséquence de valider l'ordonnance sur requête.
Sur la mesure d'instruction :
Selon l'article 145 du code de procédure civile, «s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé».
Il est nécessaire pour le requérant d'effectuer une double démonstration: celle de l'existence d'un motif légitime et celle de l'existence de circonstances spéciales ou à défaut d'un contexte particulier pour justifier une dérogation au principe fondamental du contradictoire.
Aucune des parties ne conteste que les circonstances justifiaient de déroger au principe du contradictoire.
Pour que le motif de l'action soit légitime, la mesure demandée doit être pertinente et avoir pour but d'établir une preuve dont la production est susceptible d'influer sur la solution d'un litige futur. Ainsi, non seulement, l'appelant ne doit ni disposer de preuves suffisantes, ni pouvoir rassembler les éléments nécessaires par elle-même, et de plus, la mesure d'instruction doit être a priori de nature à influer sur la solution du litige potentiel.
Si l'application de ce texte n'implique aucun préjugé sur la responsabilité des personnes appelées comme parties à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé, encore faut-il constater qu'un tel procès soit possible, qu'il a un objet et un fondement suffisamment déterminés, et que sa solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée.
Pour mettre en évidence la concomitance et la pluralité de démissions de ses salariés au profit de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE, la société ATS produit le contrat de travail et la lettre de démission de Monsieur [N] qui exerçait les fonctions de responsable Méthode et Etudes, de Monsieur [X], responsable Atelier [6], et de Monsieur [R], opérateur laser.
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE ne conteste pas que ces salariés ont travaillé pour elle à la suite de leur démission, mais indique qu'elle a accueilli des candidatures spontanées. Elle ne produit cependant aucune pièce pour en attester, se contentant d'affirmer que le bassin d'emploi pour le genre de qualification est très restreint en Aveyron.
En ce qui concerne le démarchage de clientèle par les personnes formées en son sein et informées des processus de fabrication, la société ATS produit des devis refusés par ses partenaires habituels. La société SUD DECOUPE INDUSTRIE, si elle admet être désormais en affaire avec les sociétés SOCOFAM, LABADIE et
PYRÈNE AUTOFORMATION, anciens clients d'ATS, justifie son succès par son équipement moderne et ses délais d'intervention.
Cependant la concordance dans le temps entre d'une part le départ des salariés occupants des postes clé pour la société ATS au profit de la société appelante, et d'autre part un transfert de clientèle permet de mettre à jour la vraisemblance des suspicions de concurrence déloyale invoquée par la société ATS, qui justifie ainsi d'un motif légitime à la mesure d'instruction.
Le caractère proportionné de la mesure ordonnée sur requête, limitée dans le temps et dans son objet, n'est pas contesté par la société SUD DECOUPE INDUSTRIE.
Il convient en conséquence, en présence d'une mesure d'instruction justifiée par un motif légitime et proportionnée à son but, de rejeter la demande de rétractation.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE, qui succombe au principal en son recours, sera condamnée aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à verser une somme de 2.000 euros à la société ATS sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, compte tenu de l'équité
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme la décision en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE,
Statuant à nouveau,
Reçoit la société SUD DECOUPE INDUSTRIE en ses demandes,
Rejette la demande de nullité de l'ordonnance,
Rejette les demandes en caducité et en rétractation de l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Rodez du 9 octobre 2023,
Confirme le surplus des dispositions non contraires de la décision soumise à la Cour,
Y ajoutant,
Condamne la société SUD DECOUPE INDUSTRIE aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à verser une somme de 2.000 euros à la société ATS au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre civile
ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/05872 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QOTE
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du 22 OCTOBRE 2024
TRIBUNAL DE COMMERCE DE RODEZ
N° RG 2024000997
APPELANTE :
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE, Société à responsabilité limitée au capital social de 160.000,00 € dont le siège social est situé [Adresse 5], Immatriculée au RCS de [Localité 8] sous le n°499 214 195, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
ATS LASER, SAS au capital de 1.000.000 euros, [Adresse 12], immatriculée au RCS de [Localité 8] sous le numéro 504 055 211
[Adresse 11]
[Localité 1]
Représentée par Me François GIRAULT de la SELAS AGN AVOCATS MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et Me DEVELLE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 12 Mai 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 914-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 MAI 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par le même article, devant la cour composée de :
Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre
Madame Nelly CARLIER, Conseillère
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Salvatore SAMBITO
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre, et par M. Salvatore SAMBITO, Greffier.
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FAITS ET PROCÉDURE
La société ATS LASER exerce une activité de découpe laser, plasma et oxycoupage. S'estimant victime de concurrence déloyale de la part de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE, la société ATS LASER a saisi le tribunal de commerce de Rodez afin d'obtenir une mesure d'instruction in futurum, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, à l'encontre de cette société.
Par ordonnance du 9 octobre 2023, le président du tribunal de commerce de Rodez a commis la S.C.P. SEGURET - FLOTTES - REGOURD - BELAUBRE, commissaires de justice à Rodez avec pour mission de se rendre dans les locaux de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE situés [Adresse 4] et procéder aux démarches suivantes :
- Accéder au serveur et aux messageries électroniques du service des ressources humaines de SUD DECOUPE INDUSTRIE, au disque dur des ordinateurs fixes et/ou portables et tous supports utiles (clés USB, disque dur externe) liés à ce service ;
Le commissaire de justice a exécuté l'ordonnance au siège social de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE et a placé sous séquestre les éléments saisis,
- Accéder au serveur et à la messagerie électronique de Monsieur [E] [N] (adresse mail : [Courriel 7]), au disque dur de son ordinateur fixe et/ou portable et tous supports utiles (clés USB, disque dur externe), y compris le téléphone portable professionnel de Monsieur [E] [N] s'il existe;
Et, depuis le 16 novembre 2022 et jusqu'à la date de réalisation des opérations :
- Procéder à la recherche et prendre copie de tout document, fichiers informatiques, message électronique y compris les documents et pièces jointes (Word, Excel, capture d'écran) ou SMS, message sur une application pour smartphones et ordinateurs portables (de type Viber, Lyne, WhatsApp, Signal, Messenger, Telegram, Slack, Discord), correspondances sur support papier, notes, en lien avec les seuls salariés (anciens et présents) de ATS LASER, listés dans l'annexe 1 et l'annexe 2, en utilisant les mots clés suivants : salariés cités en annexe l, salariés cités en annexe 2,
- Vérifier si les salariés cités en annexe 1 sont salariés de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE et prendre copie du registre d'entrée et de sortie du personnel ;
- Vérifier si SUD DECOUPE INDUSTRIE détient des informations sur les salariés listés en annexe 2 et si ces informations ont été fournies par M. [E] [N] ;
- Procéder à la recherche et prendre copie de tout document, fichiers informatiques, message électronique y compris les documents et pièces jointes (Word, Excel, capture d'écran) ou SMS, message sur une application pour smartphones et ordinateurs portables (de type Viber, Lyne, WhatsApp, Signal, Messenger, Telegram, Slack, Discord), correspondances sur support papier, notes, en lien avec les clients de ATS LASER mentionnés en noir dans l'annexe 3, en utilisant les mots clés suivants : liste des 13 clients sur fond noir cités en annexe 3, à savoir : SOCOFAM, JPM BENNES, ITAS PYLONES, AVENIR PROTECTIONS, IRRIFRANCE INDUSTRIES, EHB, MECATEP, ABEL, PYRENE AUTOMATION, CIMAN SARL, M3I INDUSTRIE, LABADIE SARL, SAM (SECURITE AMENAGEMENTS MONTAGNE) ;
- Vérifier si SUD DECOUPE INDUSTRIE détient des documents techniques et commerciaux appartenant à ATS LASER dans ses fichiers clients et si ces informations ont été fournies par M. [E] [N] ;
- Procéder au besoin à l'extraction des disques durs des unités centrales et ordinateurs, à leur examen à l'aide des outils d'investigation de son choix, puis à la remise en place de ces disques dans leur unité centrale ou ordinateurs respectifs ;
- Autoriser le commissaire de justice, en cas de difficulté dans la sélection et le tri des éléments recherchés, à effectuer des copies complètes de fichiers en rapport avec l'objet de la mission sur tout support de son choix, si nécessaire des copies complètes de disques durs et autres supports de données associés ;
- Autoriser le commissaire de justice, le requis présent ou appelé, à confier à l'expert qui l'assiste, le second exemplaire des informations copiées afin que celui-ci procède aux opérations purement techniques de nature à permettre l'exploitation des informations nécessaires à l'accomplissement de la mission ;
- Rechercher tous fichiers effacés étant en lien avec les missions décrites ci-dessus et en prendre copie ;
- Dire que la communication de ces éléments et la prise de copie pourront se faire sous forme papier, informatique ou éléments sauvegardes ;
- Préciser que le commissaire de justice instrumentaire n'est pas autorisé à saisir physiquement les unités de stockage des informations, ni à en établir une copie intégrale ;
- Dresser un procès-verbal de ses constatations ;
- Joindre à son procès-verbal la copie intégrale sur support numérique du contenu des éléments constatés ;
ET POUR CE FAIRE :
- Autoriser le commissaire de justice à se faire assister de la force publique et/ou de tout serrurier si besoin ;
- Autoriser le commissaire de justice à se faire communiquer les codes d'accès, notamment informatiques, nécessaires à l'exécution de sa mission ;
- Autoriser le commissaire de justice à se faire assister par M. [C] [G], domicilié [Adresse 9], expert informatique agrée par la Cour d'Appel de Montpellier ;
- Autoriser le commissaire de justice et l'expert l'accompagnant à se faire remettre tous les codes d'accès, notamment informatiques, ou mot de passe nécessaires à l'exécution de sa mission ;
- Autoriser le commissaire de justice à défaut de communication des codes d'accès et/ou mot de passe nécessaire à sa mission, à « cracker » lesdits codes et/ou mot de passe ;
- Autoriser le commissaire de justice et l'expert l'accompagnant à installer tout logiciel ou brancher tout périphérique pour les besoins des opérations ;
- Autoriser le commissaire de justice et l'expert l'accompagnant l'expert, le cas échéant, à restaurer tous fichiers informatiques et emails effacés ;
- Autoriser le commissaire de justice à consigner les déclarations des répondants, toutes paroles prononcées et les faits constatés au cours des opérations, mais en s'abstenant de toute interpellation autre que celles nécessaires à l'accomplissement de sa mission ;
- Autoriser le commissaire de justice et l'expert l'accompagnant, en cas de difficultés dans la sélection et le tri des éléments recherchés, et notamment au regard leur volume, à effectuer des copies complète des fichiers en rapport avec la mission confiée sur tous supports de son choix ;
- Autoriser le commissaire de justice et l'expert l'accompagnant, dans le cas où l'accomplissement complet de la mission aurait été impossible à réaliser lors de la première intervention, à poursuivre leur intervention dans des conditions identiques le premier jour ouvré suivant ;
- Dire qu'il sera procédé aux opérations prescrites nonobstant toute opposition de la partie saisie ;
- Dire que le commissaire de justice établira une liste descriptive des documents saisis ou copies avec leur date, leur origine, leur auteur, leur objet et leur nature ;
- Dire que le commissaire de justice devra séquestrer en son étude l'ensemble des éléments recueillis lors de ses opérations pendant un délai d'un mois à compter de l'accomplissement de sa mission afin de permettre que soit éventuellement, avant le terme de ce délai, sollicitée la rétractation de l'ordonnance autorisant sa mission ;
- Dire qu'au-delà de ce délai d'un mois, conformément aux dispositions de l'article R153-1 du Code de commerce et en l'absence d'assignation en référé pour modification ou rétractation de la présente ordonnance, le commissaire de justice remettra à la requérante les éléments saisis au cours des opérations de constat ;
- Dire que l'ensemble des éléments (copies de documents, propos, copies de support informatique et/ou tous autres) seront conserves par lui, en séquestre, pendant une durée maximale d'un an ;
- Dire qu'à défaut de saisine du commissaire de justice commis dans un délai de trois mois à compter de l'ordonnance à intervenir, sa désignation sera caduque et privée d'effet.
Le 22 mars 2024 par acte de commissaire de justice, la société SUD DECOUPE INDUSTRIE a fait assigner la société ATS LASER en référé devant le Président du tribunal de commerce de Rodez aux fins de:
- voir rétracter l'ordonnance,
- faire constater à titre principal la caducité de la désignation du commissaire de justice,
- faire constater à titre subsidiaire que la requête ne comporte pas la liste des pièces invoquées, ce qui constitue une irrégularité de fond,
- faire constater à titre infiniment subsidiaire que les mesures ordonnées ne sont justifiées ni en droit, ni en fait,
Et en tout état de cause,
- prononcer la nullité des opérations,
- ordonner la restitution des éléments saisis.
Selon une ordonnance rendue contradictoirement en date du 22 octobre 2024, le juge des référés a :
- déclaré irrecevable la demande de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE,
- débouté les parties de leurs demandes relatives à l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- dit que les dépens seront laissés pour moitié à la charge de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE et pour moitié à la charge de la société ATS LASER,
- liquidé les dépens pour frais de greffe à la somme de 40.65 €
Pour déclarer la demande irrecevable, le premier juge a constaté que la société SUD DECOUPE INDUSTRIE sollicitait la rétractation de l'ordonnance du 9 octobre 2023 rendue par le Président du tribunal de commerce et juge des requêtes de Rodez. Or, elle a adressé sa demande au Président du tribunal de commerce statuant en référé, alors que seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance peut être saisi de la demande de rétractation, et ce même s'il s'agit de la même personne, à savoir le Président du tribunal de commerce. Il ajoute que plusieurs juges du tribunal de commerce de Rodez ont reçu délégation de pouvoirs du Président en matière de référé.
Le 22 novembre 2024, la société SUD DECOUPE INDUSTRIE a interjeté appel de toutes les dispositions de cette ordonnance.
Selon avis du 6 décembre 2024, l'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 19 mai 2025 en application des dispositions de l'article 906 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions notifiées le 5 mai 2025 par la partie appelante;
Vu les conclusions notifiées le 9 mai 2025 par la partie intimée ;
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 12 mai 2025 ;
PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE conclut :
à la réformation de l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a :
- déclaré irrecevable sa demande de rétractation,
- débouté cette dernière de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté cette dernière de ses plus amples demandes.
- dit que les dépens seront laissés pour moitié à sa charge et pour moitié à la charge de la société ATS LASER,
à la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a :
- débouté la société ATS LASER de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
et demande à la Cour statuant à nouveau de :
A titre principal,
- constater la caducité de la désignation de la S.C.P. [Localité 10] - FLOTTES - REGOURD - BELAUBRE,
A titre subsidiaire,
- constater que la requête ne comporte pas la liste des pièces invoquées par la société ATS LASER, une telle irrégularité constituant une fin de non-recevoir,
A titre infiniment subsidiaire,
- constater que les mesures ordonnées ne sont justifiées ni en droit, ni en fait,
En tout état de cause,
- rétracter l'ordonnance en cause en toutes ses dispositions,
- prononcer la nullité des opérations effectuées en exécution de cette décision,
- ordonner la restitution de l'ensemble des éléments appréhendés,
- condamner la société ATS LASER à payer à la société SUD DECOUPE INDUSTRIE la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens.
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE maintient que la demande de rétractation de l'ordonnance donne naissance à une procédure de référé originale puisque son unique objet est de déterminer s'il y a lieu de rétracter ou de modifier l'ordonnance qui a été rendue, ainsi qu'en a jugé la Cour de Cassation.
Elle ajoute que l'ordonnance litigieuse a été signifiée à la société SUD DECOUPE INDUSTRIE par acte en date du 27 février 2024, date à laquelle le commissaire de justice a également procédé à l'exécution des mesures sollicitées par la société ATS LASER. Il s'est écoulé un délai de quatre mois à compter de l'ordonnance, ce qui rend caduque l'ordonnance sur requête.
L'appelante évoque l'irrégularité de la requête, qui ne comporte pas la liste des pièces l'accompagnant et qui ne lui a pas permis de connaître les éléments que le juge a pris en compte pour prendre sa décision, au mépris du principe du contradictoire. En effet, faute de motivation et d'indication précise des pièces, la requête est irrecevable et ne saisit pas valablement le juge.
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE conclut que la société ATS LASER ne justifiait pas d'un motif légitime, en ne produisant aucun commencement de preuve d'une concurrence déloyale. Elle n'a pour but que de déstabiliser son concurrent et d'obtenir des informations qui relèvent du secret des affaires.
Sur les soupçons de débauchage de personnel dont elle fait l'objet, la société SUD DECOUPE INDUSTRIE explique que dans un bassin d'emploi aussi limité que celui de l'Aveyron, les recrutements relèvent d'une gestion normale et licite de ses ressources humaines, sans qu'aucune man'uvre déloyale ne puisse être caractérisée. Les situations évoquées concernent des démarches individuelles, souvent spontanées, et ne traduisent en rien une volonté de désorganiser la société ATS LASER. La société SUD DÉCOUPE s'est contentée d'exercer son droit de recruter en fonction de ses besoins, dans le respect du droit du travail et de la liberté de concurrence.
Enfin, elle indique qu'il n'existe aucun détournement d'information confidentielle ou de clientèle.
La société ATS LASER conclut à la confirmation de la décision attaquée en toutes ses dispositions et demande à la cour de :
A titre principal,
- déclarer irrecevable pour défaut de pouvoir juridictionnel la demande de SUD DECOUPE INDUSTRIE,
A titre subsidiaire, en cas de réformation sur l'irrecevabilité,
- débouter SUD DECOUPE INDUSTRIE de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société au paiement de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.
Elle conclut que la gravité des indices recueillis par ATS LASER fait craindre de la part de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE une stratégie délibérée de captation illicite d'informations et de détournement de personnel qualifié, dans des conditions incompatibles avec les principes de loyauté et de libre concurrence.
Elle a procédé au recrutement ciblé et simultané de plusieurs collaborateurs occupant des fonctions clé, parfois dans des délais immédiatement consécutifs à leur départ.
Le caractère systématique et orienté de ces recrutements, conjugué à des éléments de transfert de clientèle et de reproduction de processus internes brevetés ou protégés, justifie pleinement les mesures ordonnées.
La requête initiale a vérifié le caractère légitime de la démarche et la proportionnalité des mesures ordonnées.
In limine litis, la société ATS LASER maintient que le juge des référés est dépourvu de pouvoir juridictionnel en matière de rétractation, seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance pouvant être saisi d'une demande de rétractation. Le président du Tribunal de Commerce de RODEZ saisi par une assignation en référé classique, audiencée dans le cadre des référés classiques, n'a eu d'autre choix que de prononcer l'irrecevabilité de la demande de rétractation.
En ce qui concerne la caducité de l'ordonnance, l'intimée conclut que le juge de la rétractation n'a pas à connaître de l'exécution de sa décision.
Subsidiairement, elle indique que l'ordonnance a fixé un délai de trois mois pour saisir l'huissier, et non pour réaliser la mission. En l'espèce, le mandat a été donné à l'huissier dans le délai imparti.
En ce qui concerne la requête, celle ci est valable car elle vise les pièces invoquées dans le corps de la requête, ce qui est parfaitement régulier dans le cadre d'une procédure non contradictoire.
Enfin, elle indique qu'elle justifie d'un motif légitime et que la proportionnalité de la mesure, limitée dans le temps, a été vérifiée par le juge saisi par requête.
Par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la Cour entend se référer aux dernières écritures des parties ci dessus visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions qu'elles ont développés.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité de la demande en rétractation :
L'article 493 dispose que «l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans le cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse».
En application de l'article 496 alinéa 2 du même code, «'s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance».
La demande en rétractation n'introduit pas une instance nouvelle. Elle transforme simplement une même procédure de gracieuse en contentieuse et contradictoire.
Le juge compétent pour ordonner la rétractation est celui qui a rendu l'ordonnance, et ce dernier doit s'entendre comme le magistrat en fonction de juge des requêtes dans le tribunal au moment de l'assignation en référé rétractation, et il n'est pas nécessaire que le juge de la rétractation soit la même personne physique que celle qui a ordonné la mesure critiquée.
En l'espèce, le président du tribunal de commerce de Rodez a été saisi en référé le 22 mars 2025 d'une demande en rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 9 octobre 2023 par la même juridiction. Dès lors, la saisine est régulière, nonobstant l'absence de mention du terme rétractation dans l'entête de l'acte introductif, le dispositif de l'assignation sollicitant, en tout état de cause, la rétractation de l'ordonnance (Cour de Cassation 2ème Civile, 12 septembre 2024, pourvoi n° 22-16.332).
Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance déférée et de recevoir la société SUD DECOUPE INDUSTRIE en ses demandes.
Sur la caducité de l'ordonnance :
Le juge auquel est soumis une ordonnance sur requête doit vérifier les mérites de la requête et de l'ordonnance au jour où il statue, en tenant compte de tous éléments débattus contradictoirement. Il ne peut tenir compte ni des éléments obtenus par le biais de la saisie litigieuse ni des difficultés d'exécution de celle ci.
En conséquence, il ne peut apprécier la caducité de la requête, qui relève de l'exécution de la décision. Tout au plus peut-il, à la demande des parties, modifier les termes de l'ordonnance en ce qui concerne ses conditions d'exécution. Or en l'espèce, aucune des parties ne formule de demandes à ce titre.
Il convient en conséquence de dire qu'il n'appartient pas au juge de la rétractation de statuer sur la demande principale de caducité.
Sur la validité de l'ordonnance :
L'article 494 du code de procédure civile dispose que la requête est présentée en double exemplaire, elle doit être motivée et doit comporter l'indication précise des pièces invoquées.
La requête déposée devant le président du tribunal de commerce de Rodez indique, au fur et à mesure des développement présentés, les pièces qui l'accompagnent numérotées de 1 à 19.
Dès lors, les prescriptions de l'article précité sont respectées et la société appelante ne peut se prévaloir d'une rupture du contradictoire.
Il convient en conséquence de valider l'ordonnance sur requête.
Sur la mesure d'instruction :
Selon l'article 145 du code de procédure civile, «s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé».
Il est nécessaire pour le requérant d'effectuer une double démonstration: celle de l'existence d'un motif légitime et celle de l'existence de circonstances spéciales ou à défaut d'un contexte particulier pour justifier une dérogation au principe fondamental du contradictoire.
Aucune des parties ne conteste que les circonstances justifiaient de déroger au principe du contradictoire.
Pour que le motif de l'action soit légitime, la mesure demandée doit être pertinente et avoir pour but d'établir une preuve dont la production est susceptible d'influer sur la solution d'un litige futur. Ainsi, non seulement, l'appelant ne doit ni disposer de preuves suffisantes, ni pouvoir rassembler les éléments nécessaires par elle-même, et de plus, la mesure d'instruction doit être a priori de nature à influer sur la solution du litige potentiel.
Si l'application de ce texte n'implique aucun préjugé sur la responsabilité des personnes appelées comme parties à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé, encore faut-il constater qu'un tel procès soit possible, qu'il a un objet et un fondement suffisamment déterminés, et que sa solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée.
Pour mettre en évidence la concomitance et la pluralité de démissions de ses salariés au profit de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE, la société ATS produit le contrat de travail et la lettre de démission de Monsieur [N] qui exerçait les fonctions de responsable Méthode et Etudes, de Monsieur [X], responsable Atelier [6], et de Monsieur [R], opérateur laser.
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE ne conteste pas que ces salariés ont travaillé pour elle à la suite de leur démission, mais indique qu'elle a accueilli des candidatures spontanées. Elle ne produit cependant aucune pièce pour en attester, se contentant d'affirmer que le bassin d'emploi pour le genre de qualification est très restreint en Aveyron.
En ce qui concerne le démarchage de clientèle par les personnes formées en son sein et informées des processus de fabrication, la société ATS produit des devis refusés par ses partenaires habituels. La société SUD DECOUPE INDUSTRIE, si elle admet être désormais en affaire avec les sociétés SOCOFAM, LABADIE et
PYRÈNE AUTOFORMATION, anciens clients d'ATS, justifie son succès par son équipement moderne et ses délais d'intervention.
Cependant la concordance dans le temps entre d'une part le départ des salariés occupants des postes clé pour la société ATS au profit de la société appelante, et d'autre part un transfert de clientèle permet de mettre à jour la vraisemblance des suspicions de concurrence déloyale invoquée par la société ATS, qui justifie ainsi d'un motif légitime à la mesure d'instruction.
Le caractère proportionné de la mesure ordonnée sur requête, limitée dans le temps et dans son objet, n'est pas contesté par la société SUD DECOUPE INDUSTRIE.
Il convient en conséquence, en présence d'une mesure d'instruction justifiée par un motif légitime et proportionnée à son but, de rejeter la demande de rétractation.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :
La société SUD DECOUPE INDUSTRIE, qui succombe au principal en son recours, sera condamnée aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à verser une somme de 2.000 euros à la société ATS sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, compte tenu de l'équité
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme la décision en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande de la société SUD DECOUPE INDUSTRIE,
Statuant à nouveau,
Reçoit la société SUD DECOUPE INDUSTRIE en ses demandes,
Rejette la demande de nullité de l'ordonnance,
Rejette les demandes en caducité et en rétractation de l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Rodez du 9 octobre 2023,
Confirme le surplus des dispositions non contraires de la décision soumise à la Cour,
Y ajoutant,
Condamne la société SUD DECOUPE INDUSTRIE aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à verser une somme de 2.000 euros à la société ATS au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE