CA Versailles, ch. civ. 1-5, 11 septembre 2025, n° 25/00074
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 35G
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 11 SEPTEMBRE 2025
N° RG 25/00074 - N° Portalis DBV3-V-B7J-W56T
AFFAIRE :
S.A. PIERRES INVESTISSEMENT
...
C/
S.E.L.A.S. FIDAL FIDUCIE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Décembre 2024 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 9]
N° RG : 23/10195
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 11.09.2025
à :
Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU, avocat au barreau de VERSAILLES (620)
Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES (627)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. PIERRES INVESTISSEMENT
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 6]
S.C.I. [Y]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 7]
Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620
Plaidant : Me Johann BIOCHE du barreau de Paris
APPELANTES
****************
S.E.L.A.S. FIDAL FIDUCIE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 809 54 8 9 85
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 25009
Plaidant : Me Daniel ROTA du barreau des Hauts-de-Seine, substitué par Me Pascal HERBAUX
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Juillet 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente chargée du rapport et Madame Marina IGELMAN, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
Monsieur Hervé HENRION, Conseiller,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
La SA Pierres Investissement, anciennement dénommée 'Boissières Part', dépendait d'un groupe ayant pour holding la société Marne et Finance qui intervient dans le domaine de l'investissement en immobilier. Cette dernière a mis en place un programme 'ICBS' destiné à permettre à des investisseurs extérieurs de souscrire au capital de ses filiales détenant les actifs immobiliers du groupe.
Aux termes d'un protocole transactionnel des 27 et 28 mars 2022, la société Marne et Finance s'est engagée à verser à 54 investisseurs, représentés au protocole par la société Vitalepargne, des sommes d'argent réparties en deux catégories, la première représentant un total de 2 973 106,86 euros et la seconde un total de 1 171 567,73 euros.
Afin de garantir le paiement de ces sommes, un contrat de fiducie-sûreté a été conclu le 14 avril 2022 entre la société Boissière Part (le constituant), S.A.R.L. détenue à 98,4% par la société Marne et Finance, la SELAS Fidal Fiducie, fiduciaire, et les 54 investisseurs (les bénéficiaires) représentés par la société Vitalepargne, en présence de la société Marne et Finance, de la SCI [Y] et de la société des Grandes Rues.
La société Boissières Part, devenue depuis la société Pierres Investissement, s'est engagée, en qualité de constituant de la fiducie, à transférer la pleine-propriété des titres de ses filiales, la société [Y] et la société des Grandes Rues, par décision unanime de ses associés du 14 février 2022, à la société Fidal Fiducie en sa qualité de fiduciaire, afin de les affecter au patrimoine fiduciaire pour garantir les sommes susvisées au profit des bénéficiaires.
Par lettre recommandée en date du 10 mars 2023, adressée à la société Fidal Fiducie, la société Vitalepargne en sa qualité d'agent des bénéficiaires de la fiducie sûreté, a adressé notification de défaut en application de l'article 10.1.1 du contrat de fiducie sûreté en raison de la défaillance de la société Marne et Finance dans l'exécution de ses obligations, sollicitant ainsi la réalisation de la fiducie par la remise en pleine propriété des actifs fiduciaires aux bénéficiaires.
Par lettre recommandée en date du 17 octobre 2023 avec accusé de réception, la société Fidal Fiducie a mis en demeure la société Pierres Investissement de :
- réunir, dans un délai de 21 jours de la date de la mise en demeure, une assemblée à l'effet de statuer sur les comptes des exercices clos les 31 décembre 2021 et 31 décembre 2022 ;
- lui transmettre, au plus tard dans les 15 jours de la date de la mise en demeure, les comptes des deux exercices et de mettre à sa disposition, dans le même délai, au siège social, les livres et documents sociaux de la société [Y].
Par acte de commissaire de justice délivré les 5 et 14 décembre 2023, la société Fidal Fiducie a fait assigner, selon la procédure accélérée au fond, les sociétés Pierres Investissement et [Y] aux fins d'obtenir principalement :
- la désignation d'un mandataire ad hoc, avec pour mission de :
- convoquer une assemblée générale de la société [Y], avec pour ordre du jour l'approbation des comptes des exercices 2021 et 2022, ainsi que l'élection d'un ou plusieurs gérants ;
- dans l'intervalle, prendre toute décision dictée par l'urgence avec les pouvoirs de représentant de la société [Y] ;
- et plus généralement, faire tout ce qui est utile ou nécessaire aux fins de mener à bonne fin la convocation de l'assemblée générale aux fins d'approbation des comptes et la nomination d'un ou plusieurs gérants ;
- ordonner au mandataire ad hoc d'accomplir sa mission dans un délai maximum de trois mois à compter de la date de la décision à intervenir ;
- mettre à la charge de la société Pierres Investissement la totalité des frais et honoraires afférents à la mission du mandataire ad hoc ;
- condamner la société Pierres Investissements à payer à la société Fidal Fiducie la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens.
Par jugement contradictoire rendu selon la procédure accélérée au fond le 9 décembre 2024, le président du tribunal judiciaire de Nanterre :
- s'est déclaré incompétent pour confier au mandataire ad hoc la mission de prendre toute décision dictée par l'urgence avec les pouvoirs de représentant de la société [Y] ;
- a débouté la société Pierres Investissement et la société [Y] de leur demande de sursis à statuer ;
- a dit que les demandes de la société Fidal Fiducie, qui a qualité et intérêt à agir, sont recevables ;
- a désigné la SELARL [L] [S], prise en la personne de Me [S] [L], [Adresse 2], en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de :
- convoquer une assemblée générale de la société [Y], avec pour ordre du jour l'approbation des comptes des exercices 2021 et 2022, ainsi que l'élection de plusieurs gérants ;
- faire tout ce qui est utile ou nécessaire aux fins de mener à bonne fin la convocation de l'assemblée générale aux fins d'approbation des comptes et la nomination de plusieurs gérants ;
- a dit que le mandataire ad hoc devra d'accomplir sa mission dans un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision ;
- a débouté la société Fidal Fiducie de sa demande tendant à mettre à la charge de la société Pierres Investissement la totalité des frais et honoraires afférents à la mission du mandataire ad hoc ;
- a dit que les frais et honoraires afférents à la mission du mandataire ad hoc seront supportés par la société [Y] ;
- a condamné la société Pierres Investissement et la société [Y] aux dépens ;
- a condamné la société Pierre Investissement et la société [Y] à régler à la société Fidal Fiducie la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.
Par déclaration reçue au greffe le 24 décembre 2024, les sociétés Pierres Investissement et [Y] ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :
- s'est déclaré incompétent pour confier au mandataire ad hoc la mission de prendre toute décision dictée par l'urgence avec les pouvoirs de représentant de la société [Y] ;
- a débouté la société Fidal Fiducie de sa demande tendant à mettre à la charge de la société Pierres Investissement la totalité des frais et honoraires afférents à la mission du mandataire ad hoc ;
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 13 mars 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les sociétés Pierres Investissement et [Y] demandent à la cour, au visa des articles 122 du code de procédure civile, 39 du décret n°78-704 du 3 juillet 1978, de :
'- recevoir les appelantes en leurs conclusions et les y déclarant bien fondées de,
in limine litis,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a refusé d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente du sort réservé à la procédure de contestation de créance pendante devant le juge-commissaire de la société Marne & Finance et de l'action en nullité du contrat de fiducie pendante devant le tribunal de commerce de Bordeaux ;
et statuant à nouveau,
- ordonner le sursis à statuer sur les demandes formées par la société Fidal dans l'attente de l'issue de ces deux procédures ;
et, en tout état de cause,
I. à titre principal : sur l'irrecevabilité,
- dire irrecevable à agir la société Fidal Fiducie comme étant dépourvu d'intérêt actuel à agir et de qualité à agir ;
II. à titre subsidiaire : sur le mal fondé des demandes,
- dire que les demandes, fins et prétentions de la société Fidal Fiducie sont mal fondées ;
en conséquence, infirmer le jugement dont appel sur les chefs du dispositif suivants :
- « déboute la société Pierres Investissement et la SCI [Y] de leur demande de sursis à statuer ;
- dit que les demandes de la société Fidal Fiducie, qui a qualité et intérêt à agir, sont recevables ;
- désigne la Selarl [L] [S], prise en la personne de Me [S] [L], [Adresse 1], en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de :
- convoquer une assemblée générale de la SCI [Y], avec pour ordre du jour l'approbation des comptes des exercices 2021 et 2022, ainsi que l'élection de plusieurs gérants ;
- faire tout ce qui est utile ou nécessaire aux fins de mener à bonne fin la convocation de l'assemblée générale aux fins d'approbation des comptes et la nomination de plusieurs gérants ;
- dit que le mandataire ad hoc devra d'accomplir sa mission dans un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision. »
et statuant à nouveau,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de l'intimée,
et,
- condamner la société Fidal Fiducie à verser à la société Pierres Investissement et à la SCI [Y] une somme de 2 500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- condamner la société Fidal aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Fabrice Hongre Boldieu, membre du Cabinet Avocalys, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 13 mai 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Fidal Fiducie demande à la cour, au visa des articles 9, 15, 55, 395, 514, 524, 700 et 754 du code de procédure civile, 1832 et suivants, 2011 à 2030 et 2372-1 à 2372-5 du code civil, de :
'- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 décembre 2024 par le tribunal judiciaire de Nanterre,
- débouter la société Pierres Investissement et la SCI [Y] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, aucune pièce n'étant produite au soutien de ses conclusions du 13 mars 2000 qui en invoquent pourtant 17 (sic),
- condamner la société Pierres Investissements à verser à Fidal Fiducie la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la communication des pièces
La société Fidal Fiducie affirme que les pièces visées par les appelantes dans leurs conclusions du 13 mars 2025 ne lui ont pas été communiquées et qu'elles n'ont pas exécuté la décision de première instance.
Elle n'en tire cependant aucune conséquence procédurale dans son dispositif, sauf à demander de débouter les sociétés Pierres Investissement et [Y] de leurs demandes pour ce motif, ce qui sera examiné sur le fond.
sur le sursis à statuer
Les sociétés Pierre Investissement et [Y] affirment qu'il existe deux procédures dont les décisions à intervenir sont fondamentales quant à l'existence des droits mêmes revendiqués par la société Fidal- Fiducie :
- la procédure en contestation de créance actuellement pendante devant le juge commissaire dans le cadre de la vérification du passif de Marne & Finance,
- la procédure en nullité de la fiducie qu'introduit la société Pierres Investissement devant le tribunal de commerce de Bordeaux.
Elles sollicitent en conséquence que soit ordonné le sursis à statuer.
La société Fidal Fiducie soutient que, comme en première instance, les appelantes n'ont communiqué aucune pièce faisant état de procédures en cours et justifiant une demande de sursis à statuer.
Sur ce,
Le sursis à statuer, défini aux articles 378 et suivants du code de procédure civile, constitue une exception de procédure dont le régime est prévu à l'article 74 du même code qui dispose que 'les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ; il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public'.
En application des articles 73 et 74 du code de procédure civile, constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours, et ces exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
En l'espèce, il apparaît que la demande de sursis formée par la société Pierre Investissement et la société civile immobilière [Y] a été formée avant toute défense au fond, dès lors qu'elle avait été faite en première instance et qu'elle apparaît dans les premières conclusions de l'appelante devant la cour. Elle est donc recevable.
Sur le fond, les appelantes ne justifient d'aucune assignation devant le tribunal de commerce de Bordeaux malgré leurs allégations, aucune pièce en ce sens n'étant versée aux débats, alors même que ce moyen a déjà été invoqué en première instance, les appelantes se prévalant à l'époque d'une action devant le tribunal judiciaire de Paris, mais seul un projet d'assignation avait été communiqué.
L'introduction d'une éventuelle action en nullité apparaît en conséquence très largement hypothétique et n'est à l'évidence pas de nature à justifier le prononcé d'un sursis.
L'ordonnance querellée sera donc confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à ordonner le sursis à statuer.
Sur la recevabilité de la demande
Invoquant les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile qui dispose que le demandeur doit justifier d'un intérêt actuel à agir, les sociétés Pierre Investissement et [Y] soutiennent qu'en l'espèce, les assemblées générales ayant vocation à voir approuver les comptes sociaux 2021 et 2022 ont été tenues et les comptes sociaux approuvés.
Elles exposent que 'les assemblées générales n'ont en rien vocation à se tenir avec le fiduciaire', et que celui-ci ne peut solliciter de passer outre des décisions sociales déjà intervenues, sans que leur régularité n'ait été, le cas échéant, remise en cause par le tribunal compétent.
Elles en déduisent que la société Fidal ne dispose donc d'aucun intérêt à agir, et qu'en tout état de cause, ce qu'entreprend le fiduciaire excède le cadre strict de sa mission telle que prévue au contrat.
La société Fidal Fiducie indique que la société Pierre Investissement n'a produit aucun élément pour démontrer qu'elle aurait tenu les assemblées générales dont elle se prévaut en sa présence et qu'elle aurait pu exercer son droit de vote aux fins d'approuver les comptes des exercices clos les 31/12/2021 et 31/12/2022.
Elle soutient que le contrat de fiducie, dont la validité ne peut selon elle pas être remise en cause en l'absence de décision de justice contraire, a eu pour effet de départir la société Pierre Investissement de la pleine propriété et de tous les droits attachés aux titres affectés à cette fiducie-sûreté, à savoir ceux de ses filiales, notamment la société civile immobilière [Y] (999 parts sociales).
Elle en déduit qu'elle a donc intérêt à agir, la société Pierre Investissement, en sa seule qualité de gérante, ne pouvant pas statuer sur les comptes sociaux, cette décision excédant manifestement ses pouvoirs et relevant de la décision des associés.
Sur ce,
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 31 du même code dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'intérêt et la qualité à agir d'une partie s'apprécient au jour de l'introduction de sa demande en justice.
Par contrat du 14 avril 2022, la société Pierre Investissement a consenti une fiducie-sûreté sur les parts sociales qu'elle détenait dans les SCI [Y] et [Adresse 8] pour garantie des engagements pris par la société Marne & Finance 7 envers les souscripteurs.
Ce contrat prévoit que le constituant 'transfère au fiduciaire la pleine propriété des actifs fiduciaires qui comprennent (...) 999 parts sociales de la SCI [Y]', puis que le fiduciaire a pour mission de :
- 'détenir la propriété des Actifs Fiduciaires, assurer la gestion et la conservation du patrimoine fiduciaire avec diligence et attention' ;(...)
- 'exercer l'ensemble des droits et action attachés aux actifs fiduciaires (...) notamment en matière de droit de vote' ,
et pour obligation de ' le cas échéant, voter sur l'approbation des comptes annuels arrêtés par le gérant de la SCI [Y]'.
En conséquence, et dès lors que ce contrat de fiducie- sûreté n'a pas été annulé à ce stade de la procédure, l'intérêt de la société Fidal Fiducie à venir solliciter la désignation d'un mandataire alors qu'elle détient la quasi- intégralité des titres de la société civile immobilière [Y] et qu'elle affirme n'avoir pas été convoquée aux assemblées générales, est établi.
Aucune fin de non-recevoir ne peut être caractérisée sur ce fondement et le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a statué en ce sens.
Sur la désignation d'un mandataire
Les sociétés Pierre Investissement et [Y] indiquent que la demande de désignation d'un mandataire doit être rejetée dès lors que les comptes sociaux ont fait l'objet d'une approbation par décision de l'associée unique du 25 octobre 2023 et qu'il est donc impossible de demander qu'une nouvelle assemblée générale ayant le même objet se tienne.
Elles font valoir qu'aucun mandataire ne peut être désigné, faute pour les statuts de prévoir que la SCI [Y] ne pourrait être gérée que par une co-gérance, et qu'en l'espèce la société Pierre Investissement est gérante.
Invoquant le fonctionnement anormal de la société civile immobilière [Y], la société Fidal Fiducie fait valoir en réponse que :
- le transfert de son siège social est intervenu en cours de procédure de première instance, en violation des statuts et sans réalisation des formalités obligatoires (insertion dans un support d'annonces légales, inscription modificative au RCS),
- alors que la société Pierre Investissement a notamment pris l'engagement de transmettre au fiduciaire l'ensemble des informations nécessaires à l'exercice de sa mission et que les statuts de la société civile immobilière [Y] prévoient que chaque associé a le droit de participer aux décisions et dispose d'un nombre de voix égal à celui des parts qu'il possède, en réalité, elle n'a reçu aucune information concernant la vie sociale de la société civile immobilière [Y], et notamment n'a pas été convoquée aux assemblées générales relatives à l'approbation des comptes des exercices clos les 31 décembre 2021 et 31 décembre 2022.
Elle soutient que les actes pris par la société Pierre Investissement sont contradictoires et témoignent de sa carence dans la gestion de la société civile immobilière [Y] : elle a dans un premier temps approuvé seule les comptes de l'exercice clos le 31/12/2021 et de l'exercice clos le 31/12/2022, avant de convoquer une nouvelle assemblée générale le 15 mars 2024 ayant à nouveau pour objet d'approuver les 'comptes sociaux de l'exercice clos le 31 décembre 2021 [...] et le 31 décembre 2022", indiquant d'abord que la société civile immobilière [Y] comportait un associé unique, puis plusieurs associés.
La société Fidal Fiducie affirme qu'il existe un péril pour la société civile immobilière [Y] résultant de la carence de la gérance de la société Pierre Investissement, au premier motif que la société Pierre Investissement n'a pas réagi lors du décès de M. [V], alors que la société civile immobilière [Y] n'avait plus qu'un seul associé et que tout intéressé pouvait en conséquence, à tout moment, demander la dissolution de cette société civile immobilière.
En second lieu, l'intimée expose qu'il ressort du rapport de gestion de l'assemblée générale du 15 mars 2024 que la société Pierre Investissement avait pour projet de procéder à la vente de l'actif immobilier de la société civile immobilière [Y], en méconnaissance des dispositions statutaires et à un prix largement inférieur à celui estimé par un expert.
Enfin, la société Fidal Fiducie indique que l'appel des sociétés Pierre Investissement et [Y] est désormais sans objet puisque le mandataire ad'hoc désigné par la premier juge a convoqué l'assemblée générale de la société civile immobilière [Y] qui a eu lieu le 10 avril 2025, qui a approuvé les comptes des exercices clos les 31 décembre 2021 et 2022 et élu des gérants, sa mission étant désormais terminée.
Sur ce,
Il convient à titre liminaire de dire que la circonstance que le mandataire désigné par le premier juge ait rempli sa mission pendant le cours de la procédure d'appel et que l'assemblée générale sollicitée ait eu lieu n'est pas de nature à rendre sans objet l'appel interjeté par les sociétés Pierre Investissement et [Y].
L'article 39 du décret du 3 juillet 1978 dispose qu''un associé non gérant peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée.
Si le gérant fait droit à la demande, il procède, conformément aux statuts, à la convocation de l'assemblée des associés ou à leur consultation par écrit. Sauf si la question posée porte sur le retard du gérant à remplir l'une de ses obligations, la demande est considérée comme satisfaite lorsque le gérant accepte que la question soit inscrite à l'ordre du jour de la prochaine assemblée ou consultation par écrit.
Si le gérant s'oppose à la demande ou garde le silence, l'associé demandeur peut, à l'expiration du délai d'un mois à dater de sa demande, solliciter du président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés'.
Le juge des référés, saisi par un associé détenant au moins la moitié des parts sociales d'une société à responsabilité limitée, d'une demande de désignation d'un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale doit apprécier cette demande au regard de l'intérêt social (Com., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-12.307). Ce contrôle est circonscrit à la demande elle-même, qui porte seulement sur la convocation de l'assemblée, sans qu'il ne soit question d'apprécier la décision envisagée au regard de l'intérêt social, cette appréciation ne pouvant elle- même intervenir qu'une fois la décision adoptée.
En l'espèce, la société Fidal Fiducie justifie avoir mis en demeure la société Pierre Investissement, par lettre datée du 17 octobre 2023, de réunir une assemblée générale avec pour objet l'approbation des comptes 2021 et 2022, en lui transmettant antérieurement tous les éléments nécessaires, la société Pierre Investissement ne contestant pas avoir reçu ce courrier.
Il convient de dire que l'organisation par la société Pierre Investissement, d'assemblées générales de la société civile immobilière [Y] aux fins d'approbation des comptes des années 2021 et 2022, sans convoquer la société Fidal Fiducie, ce qui n'est pas contesté, alors que celle-ci détient, par l'effet du contrat de fiducie- sûreté susvisé, 999 des 1000 parts de la société et que les statuts de la société lui octroient le droit de vote lors des assemblées générales, ne fait pas obstacle à la demande de désignation d'un mandataire ad'hoc aux fins de convocation d'une assemblée générale par cet associé évincé, sauf à conforter l'associé gérant minoritaire qui s'abstient volontairement de convoquer l'associé majoritaire et qui use de façon abusive de ses droits sociaux.
La demande de la société Fidal Fiducie apparaît conforme à l'intérêt social dès lors que la société Fidal Fiducie, par l'effet du contrat de fiducie- sûreté, détient la très grande majorité des titres de la société civile immobilière [Y] (999 parts sur 1000).
La décision attaquée sera donc confirmée en ce qu'elle a désigné la Selarl [L] [S], prise en la personne de Me [S] [L] en qualité de mandataire, sa mission étant également confirmée telle qu'elle a été prévue dès lors qu'elle n'est pas critiquée en tant que telle.
Sur les demandes accessoires
L'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, les sociétés Pierre Investissement et [Y] ne sauraient prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devront en outre supporter les dépens d'appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Fidal Fiducie la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. Les appelantes seront en conséquence condamnées à lui verser la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Confirme l'ordonnance querellée ;
Y ajoutant,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne les sociétés Pierre Investissement et [Y] aux dépens d'appel ;
Condamne les sociétés Pierre Investissement et [Y] à verser à la société Fidal Fiducie la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente, et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 35G
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 11 SEPTEMBRE 2025
N° RG 25/00074 - N° Portalis DBV3-V-B7J-W56T
AFFAIRE :
S.A. PIERRES INVESTISSEMENT
...
C/
S.E.L.A.S. FIDAL FIDUCIE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Décembre 2024 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 9]
N° RG : 23/10195
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 11.09.2025
à :
Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU, avocat au barreau de VERSAILLES (620)
Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES (627)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. PIERRES INVESTISSEMENT
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 6]
S.C.I. [Y]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 7]
Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620
Plaidant : Me Johann BIOCHE du barreau de Paris
APPELANTES
****************
S.E.L.A.S. FIDAL FIDUCIE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 809 54 8 9 85
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 25009
Plaidant : Me Daniel ROTA du barreau des Hauts-de-Seine, substitué par Me Pascal HERBAUX
INTIMEE
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Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Juillet 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente chargée du rapport et Madame Marina IGELMAN, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
Monsieur Hervé HENRION, Conseiller,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
La SA Pierres Investissement, anciennement dénommée 'Boissières Part', dépendait d'un groupe ayant pour holding la société Marne et Finance qui intervient dans le domaine de l'investissement en immobilier. Cette dernière a mis en place un programme 'ICBS' destiné à permettre à des investisseurs extérieurs de souscrire au capital de ses filiales détenant les actifs immobiliers du groupe.
Aux termes d'un protocole transactionnel des 27 et 28 mars 2022, la société Marne et Finance s'est engagée à verser à 54 investisseurs, représentés au protocole par la société Vitalepargne, des sommes d'argent réparties en deux catégories, la première représentant un total de 2 973 106,86 euros et la seconde un total de 1 171 567,73 euros.
Afin de garantir le paiement de ces sommes, un contrat de fiducie-sûreté a été conclu le 14 avril 2022 entre la société Boissière Part (le constituant), S.A.R.L. détenue à 98,4% par la société Marne et Finance, la SELAS Fidal Fiducie, fiduciaire, et les 54 investisseurs (les bénéficiaires) représentés par la société Vitalepargne, en présence de la société Marne et Finance, de la SCI [Y] et de la société des Grandes Rues.
La société Boissières Part, devenue depuis la société Pierres Investissement, s'est engagée, en qualité de constituant de la fiducie, à transférer la pleine-propriété des titres de ses filiales, la société [Y] et la société des Grandes Rues, par décision unanime de ses associés du 14 février 2022, à la société Fidal Fiducie en sa qualité de fiduciaire, afin de les affecter au patrimoine fiduciaire pour garantir les sommes susvisées au profit des bénéficiaires.
Par lettre recommandée en date du 10 mars 2023, adressée à la société Fidal Fiducie, la société Vitalepargne en sa qualité d'agent des bénéficiaires de la fiducie sûreté, a adressé notification de défaut en application de l'article 10.1.1 du contrat de fiducie sûreté en raison de la défaillance de la société Marne et Finance dans l'exécution de ses obligations, sollicitant ainsi la réalisation de la fiducie par la remise en pleine propriété des actifs fiduciaires aux bénéficiaires.
Par lettre recommandée en date du 17 octobre 2023 avec accusé de réception, la société Fidal Fiducie a mis en demeure la société Pierres Investissement de :
- réunir, dans un délai de 21 jours de la date de la mise en demeure, une assemblée à l'effet de statuer sur les comptes des exercices clos les 31 décembre 2021 et 31 décembre 2022 ;
- lui transmettre, au plus tard dans les 15 jours de la date de la mise en demeure, les comptes des deux exercices et de mettre à sa disposition, dans le même délai, au siège social, les livres et documents sociaux de la société [Y].
Par acte de commissaire de justice délivré les 5 et 14 décembre 2023, la société Fidal Fiducie a fait assigner, selon la procédure accélérée au fond, les sociétés Pierres Investissement et [Y] aux fins d'obtenir principalement :
- la désignation d'un mandataire ad hoc, avec pour mission de :
- convoquer une assemblée générale de la société [Y], avec pour ordre du jour l'approbation des comptes des exercices 2021 et 2022, ainsi que l'élection d'un ou plusieurs gérants ;
- dans l'intervalle, prendre toute décision dictée par l'urgence avec les pouvoirs de représentant de la société [Y] ;
- et plus généralement, faire tout ce qui est utile ou nécessaire aux fins de mener à bonne fin la convocation de l'assemblée générale aux fins d'approbation des comptes et la nomination d'un ou plusieurs gérants ;
- ordonner au mandataire ad hoc d'accomplir sa mission dans un délai maximum de trois mois à compter de la date de la décision à intervenir ;
- mettre à la charge de la société Pierres Investissement la totalité des frais et honoraires afférents à la mission du mandataire ad hoc ;
- condamner la société Pierres Investissements à payer à la société Fidal Fiducie la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens.
Par jugement contradictoire rendu selon la procédure accélérée au fond le 9 décembre 2024, le président du tribunal judiciaire de Nanterre :
- s'est déclaré incompétent pour confier au mandataire ad hoc la mission de prendre toute décision dictée par l'urgence avec les pouvoirs de représentant de la société [Y] ;
- a débouté la société Pierres Investissement et la société [Y] de leur demande de sursis à statuer ;
- a dit que les demandes de la société Fidal Fiducie, qui a qualité et intérêt à agir, sont recevables ;
- a désigné la SELARL [L] [S], prise en la personne de Me [S] [L], [Adresse 2], en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de :
- convoquer une assemblée générale de la société [Y], avec pour ordre du jour l'approbation des comptes des exercices 2021 et 2022, ainsi que l'élection de plusieurs gérants ;
- faire tout ce qui est utile ou nécessaire aux fins de mener à bonne fin la convocation de l'assemblée générale aux fins d'approbation des comptes et la nomination de plusieurs gérants ;
- a dit que le mandataire ad hoc devra d'accomplir sa mission dans un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision ;
- a débouté la société Fidal Fiducie de sa demande tendant à mettre à la charge de la société Pierres Investissement la totalité des frais et honoraires afférents à la mission du mandataire ad hoc ;
- a dit que les frais et honoraires afférents à la mission du mandataire ad hoc seront supportés par la société [Y] ;
- a condamné la société Pierres Investissement et la société [Y] aux dépens ;
- a condamné la société Pierre Investissement et la société [Y] à régler à la société Fidal Fiducie la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.
Par déclaration reçue au greffe le 24 décembre 2024, les sociétés Pierres Investissement et [Y] ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :
- s'est déclaré incompétent pour confier au mandataire ad hoc la mission de prendre toute décision dictée par l'urgence avec les pouvoirs de représentant de la société [Y] ;
- a débouté la société Fidal Fiducie de sa demande tendant à mettre à la charge de la société Pierres Investissement la totalité des frais et honoraires afférents à la mission du mandataire ad hoc ;
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 13 mars 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les sociétés Pierres Investissement et [Y] demandent à la cour, au visa des articles 122 du code de procédure civile, 39 du décret n°78-704 du 3 juillet 1978, de :
'- recevoir les appelantes en leurs conclusions et les y déclarant bien fondées de,
in limine litis,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a refusé d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente du sort réservé à la procédure de contestation de créance pendante devant le juge-commissaire de la société Marne & Finance et de l'action en nullité du contrat de fiducie pendante devant le tribunal de commerce de Bordeaux ;
et statuant à nouveau,
- ordonner le sursis à statuer sur les demandes formées par la société Fidal dans l'attente de l'issue de ces deux procédures ;
et, en tout état de cause,
I. à titre principal : sur l'irrecevabilité,
- dire irrecevable à agir la société Fidal Fiducie comme étant dépourvu d'intérêt actuel à agir et de qualité à agir ;
II. à titre subsidiaire : sur le mal fondé des demandes,
- dire que les demandes, fins et prétentions de la société Fidal Fiducie sont mal fondées ;
en conséquence, infirmer le jugement dont appel sur les chefs du dispositif suivants :
- « déboute la société Pierres Investissement et la SCI [Y] de leur demande de sursis à statuer ;
- dit que les demandes de la société Fidal Fiducie, qui a qualité et intérêt à agir, sont recevables ;
- désigne la Selarl [L] [S], prise en la personne de Me [S] [L], [Adresse 1], en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de :
- convoquer une assemblée générale de la SCI [Y], avec pour ordre du jour l'approbation des comptes des exercices 2021 et 2022, ainsi que l'élection de plusieurs gérants ;
- faire tout ce qui est utile ou nécessaire aux fins de mener à bonne fin la convocation de l'assemblée générale aux fins d'approbation des comptes et la nomination de plusieurs gérants ;
- dit que le mandataire ad hoc devra d'accomplir sa mission dans un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision. »
et statuant à nouveau,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de l'intimée,
et,
- condamner la société Fidal Fiducie à verser à la société Pierres Investissement et à la SCI [Y] une somme de 2 500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- condamner la société Fidal aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Fabrice Hongre Boldieu, membre du Cabinet Avocalys, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 13 mai 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Fidal Fiducie demande à la cour, au visa des articles 9, 15, 55, 395, 514, 524, 700 et 754 du code de procédure civile, 1832 et suivants, 2011 à 2030 et 2372-1 à 2372-5 du code civil, de :
'- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 décembre 2024 par le tribunal judiciaire de Nanterre,
- débouter la société Pierres Investissement et la SCI [Y] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, aucune pièce n'étant produite au soutien de ses conclusions du 13 mars 2000 qui en invoquent pourtant 17 (sic),
- condamner la société Pierres Investissements à verser à Fidal Fiducie la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la communication des pièces
La société Fidal Fiducie affirme que les pièces visées par les appelantes dans leurs conclusions du 13 mars 2025 ne lui ont pas été communiquées et qu'elles n'ont pas exécuté la décision de première instance.
Elle n'en tire cependant aucune conséquence procédurale dans son dispositif, sauf à demander de débouter les sociétés Pierres Investissement et [Y] de leurs demandes pour ce motif, ce qui sera examiné sur le fond.
sur le sursis à statuer
Les sociétés Pierre Investissement et [Y] affirment qu'il existe deux procédures dont les décisions à intervenir sont fondamentales quant à l'existence des droits mêmes revendiqués par la société Fidal- Fiducie :
- la procédure en contestation de créance actuellement pendante devant le juge commissaire dans le cadre de la vérification du passif de Marne & Finance,
- la procédure en nullité de la fiducie qu'introduit la société Pierres Investissement devant le tribunal de commerce de Bordeaux.
Elles sollicitent en conséquence que soit ordonné le sursis à statuer.
La société Fidal Fiducie soutient que, comme en première instance, les appelantes n'ont communiqué aucune pièce faisant état de procédures en cours et justifiant une demande de sursis à statuer.
Sur ce,
Le sursis à statuer, défini aux articles 378 et suivants du code de procédure civile, constitue une exception de procédure dont le régime est prévu à l'article 74 du même code qui dispose que 'les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ; il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public'.
En application des articles 73 et 74 du code de procédure civile, constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours, et ces exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
En l'espèce, il apparaît que la demande de sursis formée par la société Pierre Investissement et la société civile immobilière [Y] a été formée avant toute défense au fond, dès lors qu'elle avait été faite en première instance et qu'elle apparaît dans les premières conclusions de l'appelante devant la cour. Elle est donc recevable.
Sur le fond, les appelantes ne justifient d'aucune assignation devant le tribunal de commerce de Bordeaux malgré leurs allégations, aucune pièce en ce sens n'étant versée aux débats, alors même que ce moyen a déjà été invoqué en première instance, les appelantes se prévalant à l'époque d'une action devant le tribunal judiciaire de Paris, mais seul un projet d'assignation avait été communiqué.
L'introduction d'une éventuelle action en nullité apparaît en conséquence très largement hypothétique et n'est à l'évidence pas de nature à justifier le prononcé d'un sursis.
L'ordonnance querellée sera donc confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à ordonner le sursis à statuer.
Sur la recevabilité de la demande
Invoquant les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile qui dispose que le demandeur doit justifier d'un intérêt actuel à agir, les sociétés Pierre Investissement et [Y] soutiennent qu'en l'espèce, les assemblées générales ayant vocation à voir approuver les comptes sociaux 2021 et 2022 ont été tenues et les comptes sociaux approuvés.
Elles exposent que 'les assemblées générales n'ont en rien vocation à se tenir avec le fiduciaire', et que celui-ci ne peut solliciter de passer outre des décisions sociales déjà intervenues, sans que leur régularité n'ait été, le cas échéant, remise en cause par le tribunal compétent.
Elles en déduisent que la société Fidal ne dispose donc d'aucun intérêt à agir, et qu'en tout état de cause, ce qu'entreprend le fiduciaire excède le cadre strict de sa mission telle que prévue au contrat.
La société Fidal Fiducie indique que la société Pierre Investissement n'a produit aucun élément pour démontrer qu'elle aurait tenu les assemblées générales dont elle se prévaut en sa présence et qu'elle aurait pu exercer son droit de vote aux fins d'approuver les comptes des exercices clos les 31/12/2021 et 31/12/2022.
Elle soutient que le contrat de fiducie, dont la validité ne peut selon elle pas être remise en cause en l'absence de décision de justice contraire, a eu pour effet de départir la société Pierre Investissement de la pleine propriété et de tous les droits attachés aux titres affectés à cette fiducie-sûreté, à savoir ceux de ses filiales, notamment la société civile immobilière [Y] (999 parts sociales).
Elle en déduit qu'elle a donc intérêt à agir, la société Pierre Investissement, en sa seule qualité de gérante, ne pouvant pas statuer sur les comptes sociaux, cette décision excédant manifestement ses pouvoirs et relevant de la décision des associés.
Sur ce,
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 31 du même code dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'intérêt et la qualité à agir d'une partie s'apprécient au jour de l'introduction de sa demande en justice.
Par contrat du 14 avril 2022, la société Pierre Investissement a consenti une fiducie-sûreté sur les parts sociales qu'elle détenait dans les SCI [Y] et [Adresse 8] pour garantie des engagements pris par la société Marne & Finance 7 envers les souscripteurs.
Ce contrat prévoit que le constituant 'transfère au fiduciaire la pleine propriété des actifs fiduciaires qui comprennent (...) 999 parts sociales de la SCI [Y]', puis que le fiduciaire a pour mission de :
- 'détenir la propriété des Actifs Fiduciaires, assurer la gestion et la conservation du patrimoine fiduciaire avec diligence et attention' ;(...)
- 'exercer l'ensemble des droits et action attachés aux actifs fiduciaires (...) notamment en matière de droit de vote' ,
et pour obligation de ' le cas échéant, voter sur l'approbation des comptes annuels arrêtés par le gérant de la SCI [Y]'.
En conséquence, et dès lors que ce contrat de fiducie- sûreté n'a pas été annulé à ce stade de la procédure, l'intérêt de la société Fidal Fiducie à venir solliciter la désignation d'un mandataire alors qu'elle détient la quasi- intégralité des titres de la société civile immobilière [Y] et qu'elle affirme n'avoir pas été convoquée aux assemblées générales, est établi.
Aucune fin de non-recevoir ne peut être caractérisée sur ce fondement et le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a statué en ce sens.
Sur la désignation d'un mandataire
Les sociétés Pierre Investissement et [Y] indiquent que la demande de désignation d'un mandataire doit être rejetée dès lors que les comptes sociaux ont fait l'objet d'une approbation par décision de l'associée unique du 25 octobre 2023 et qu'il est donc impossible de demander qu'une nouvelle assemblée générale ayant le même objet se tienne.
Elles font valoir qu'aucun mandataire ne peut être désigné, faute pour les statuts de prévoir que la SCI [Y] ne pourrait être gérée que par une co-gérance, et qu'en l'espèce la société Pierre Investissement est gérante.
Invoquant le fonctionnement anormal de la société civile immobilière [Y], la société Fidal Fiducie fait valoir en réponse que :
- le transfert de son siège social est intervenu en cours de procédure de première instance, en violation des statuts et sans réalisation des formalités obligatoires (insertion dans un support d'annonces légales, inscription modificative au RCS),
- alors que la société Pierre Investissement a notamment pris l'engagement de transmettre au fiduciaire l'ensemble des informations nécessaires à l'exercice de sa mission et que les statuts de la société civile immobilière [Y] prévoient que chaque associé a le droit de participer aux décisions et dispose d'un nombre de voix égal à celui des parts qu'il possède, en réalité, elle n'a reçu aucune information concernant la vie sociale de la société civile immobilière [Y], et notamment n'a pas été convoquée aux assemblées générales relatives à l'approbation des comptes des exercices clos les 31 décembre 2021 et 31 décembre 2022.
Elle soutient que les actes pris par la société Pierre Investissement sont contradictoires et témoignent de sa carence dans la gestion de la société civile immobilière [Y] : elle a dans un premier temps approuvé seule les comptes de l'exercice clos le 31/12/2021 et de l'exercice clos le 31/12/2022, avant de convoquer une nouvelle assemblée générale le 15 mars 2024 ayant à nouveau pour objet d'approuver les 'comptes sociaux de l'exercice clos le 31 décembre 2021 [...] et le 31 décembre 2022", indiquant d'abord que la société civile immobilière [Y] comportait un associé unique, puis plusieurs associés.
La société Fidal Fiducie affirme qu'il existe un péril pour la société civile immobilière [Y] résultant de la carence de la gérance de la société Pierre Investissement, au premier motif que la société Pierre Investissement n'a pas réagi lors du décès de M. [V], alors que la société civile immobilière [Y] n'avait plus qu'un seul associé et que tout intéressé pouvait en conséquence, à tout moment, demander la dissolution de cette société civile immobilière.
En second lieu, l'intimée expose qu'il ressort du rapport de gestion de l'assemblée générale du 15 mars 2024 que la société Pierre Investissement avait pour projet de procéder à la vente de l'actif immobilier de la société civile immobilière [Y], en méconnaissance des dispositions statutaires et à un prix largement inférieur à celui estimé par un expert.
Enfin, la société Fidal Fiducie indique que l'appel des sociétés Pierre Investissement et [Y] est désormais sans objet puisque le mandataire ad'hoc désigné par la premier juge a convoqué l'assemblée générale de la société civile immobilière [Y] qui a eu lieu le 10 avril 2025, qui a approuvé les comptes des exercices clos les 31 décembre 2021 et 2022 et élu des gérants, sa mission étant désormais terminée.
Sur ce,
Il convient à titre liminaire de dire que la circonstance que le mandataire désigné par le premier juge ait rempli sa mission pendant le cours de la procédure d'appel et que l'assemblée générale sollicitée ait eu lieu n'est pas de nature à rendre sans objet l'appel interjeté par les sociétés Pierre Investissement et [Y].
L'article 39 du décret du 3 juillet 1978 dispose qu''un associé non gérant peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée.
Si le gérant fait droit à la demande, il procède, conformément aux statuts, à la convocation de l'assemblée des associés ou à leur consultation par écrit. Sauf si la question posée porte sur le retard du gérant à remplir l'une de ses obligations, la demande est considérée comme satisfaite lorsque le gérant accepte que la question soit inscrite à l'ordre du jour de la prochaine assemblée ou consultation par écrit.
Si le gérant s'oppose à la demande ou garde le silence, l'associé demandeur peut, à l'expiration du délai d'un mois à dater de sa demande, solliciter du président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés'.
Le juge des référés, saisi par un associé détenant au moins la moitié des parts sociales d'une société à responsabilité limitée, d'une demande de désignation d'un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale doit apprécier cette demande au regard de l'intérêt social (Com., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-12.307). Ce contrôle est circonscrit à la demande elle-même, qui porte seulement sur la convocation de l'assemblée, sans qu'il ne soit question d'apprécier la décision envisagée au regard de l'intérêt social, cette appréciation ne pouvant elle- même intervenir qu'une fois la décision adoptée.
En l'espèce, la société Fidal Fiducie justifie avoir mis en demeure la société Pierre Investissement, par lettre datée du 17 octobre 2023, de réunir une assemblée générale avec pour objet l'approbation des comptes 2021 et 2022, en lui transmettant antérieurement tous les éléments nécessaires, la société Pierre Investissement ne contestant pas avoir reçu ce courrier.
Il convient de dire que l'organisation par la société Pierre Investissement, d'assemblées générales de la société civile immobilière [Y] aux fins d'approbation des comptes des années 2021 et 2022, sans convoquer la société Fidal Fiducie, ce qui n'est pas contesté, alors que celle-ci détient, par l'effet du contrat de fiducie- sûreté susvisé, 999 des 1000 parts de la société et que les statuts de la société lui octroient le droit de vote lors des assemblées générales, ne fait pas obstacle à la demande de désignation d'un mandataire ad'hoc aux fins de convocation d'une assemblée générale par cet associé évincé, sauf à conforter l'associé gérant minoritaire qui s'abstient volontairement de convoquer l'associé majoritaire et qui use de façon abusive de ses droits sociaux.
La demande de la société Fidal Fiducie apparaît conforme à l'intérêt social dès lors que la société Fidal Fiducie, par l'effet du contrat de fiducie- sûreté, détient la très grande majorité des titres de la société civile immobilière [Y] (999 parts sur 1000).
La décision attaquée sera donc confirmée en ce qu'elle a désigné la Selarl [L] [S], prise en la personne de Me [S] [L] en qualité de mandataire, sa mission étant également confirmée telle qu'elle a été prévue dès lors qu'elle n'est pas critiquée en tant que telle.
Sur les demandes accessoires
L'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, les sociétés Pierre Investissement et [Y] ne sauraient prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devront en outre supporter les dépens d'appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Fidal Fiducie la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. Les appelantes seront en conséquence condamnées à lui verser la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Confirme l'ordonnance querellée ;
Y ajoutant,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne les sociétés Pierre Investissement et [Y] aux dépens d'appel ;
Condamne les sociétés Pierre Investissement et [Y] à verser à la société Fidal Fiducie la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente, et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente