Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 10, 11 septembre 2025, n° 22/04241

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/04241

11 septembre 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2025

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04241 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFQYW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Mars 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/07734

APPELANT

Monsieur [O] [Y]

[Adresse 4]

[Localité 3] (MALTE)

Représenté par Me Florian CARRIERE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.A.S. FLORNOY Prise en la personne de tous représentants légaux, domiciliés audit siège en cette qualité

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Christophe PACHALIS, avocat au barreau de PARIS, toque : K148

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

M. [O] [Y] a été engagé par la société Flornoy & associés gestion, spécialisée dans la gestion d'actifs suivant contrat de travail à durée déterminée à temps partiel en date du 22 janvier 2013, en qualité d'ingénieur financier. À compter du 2 septembre 2013, les parties ont signé un contrat de travail à durée indéterminée.

Le 15 janvier 2020, le salarié a été promu au poste de Directeur des opérations.

En décembre 2019, le groupe Premium, spécialiste de la gestion de patrimoine a racheté la société Flornoy & associés gestion. Le 1er juillet 2020, une fusion a été opérée entre cette structure et une filiale de Premium partners, la société Fox gestion d'actifs. La nouvelle société a pris la dénomination de Flornoy.

Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective nationale des sociétés financières du 22 novembre 1968, le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 6 380,21 euros bruts (moyenne sur les 12 derniers mois).

M. [Y] a été placé en arrêt de travail du 9 mai au 16 juin 2020 puis à compter du 6 juillet 2020 jusqu'au 24 août 2020.

Le 22 juillet 2020, le salarié a été convoqué à un entretien préalable pour un éventuel licenciement fixé au 31 juillet suivant. Cette convocation étant assortie d'une mise à pied à titre conservatoire.

Le 5 août 2020, M. [Y] s'est vu notifier un licenciement pour faute grave, libellé dans les termes suivants :

«Dans le cadre de vos fonctions, vous avez notamment pour mission de développer en liaison avec l'outil Jump-Ams les écrans types, modules et autres fonctionnalités nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise.

A l'occasion de l'audit informatique diligenté dans le cadre de la fusion FOX/FLORNOY, nous avons découvert que vous avez conçus des modèles de reportings qui ont été créés à partir du module « Designer » dont l'utilisation est payante.

Or, nous avons également découvert que vous n'aviez pas demandé à l'entreprise de souscrire les licences nécessaires auprès de Jump, notre prestataire informatique.

Bien plus, il ressort des témoignages que nous avons recueillis, que vous avez obtenu de manière illicite les mots de passe et codes d'accès du consultant Jump lors d'une présentation des fonctionnalités disponibles, puis les avez conservés et utilisés pour créer lesdits modèles et ce sans intervention de Jump.

Nous avons donc interrogé Jump qui a réalisé un audit de notre serveur et qui a ainsi pu constater que :

- trois modules logiciels Jump non souscrits ont été utilisés en passant par un accès réservé au support Jump ("root") ce qui constitue une violation des conditions de licence

- trois modules logiciels sont activés dans la licence serveur alors qu'ils ne sont pas facturés dans la licence commerciale

En réalisant des développements alors que l'entreprise n'avait pas de licence, vous avez violé les règles élémentaires de votre fonction.

Vos agissements d'une extrême gravité mettent en danger l'entreprise qui pourraient être poursuivie, non seulement pour introduction illicite dans une base de données et un logiciel propriétaire, mais également pour contrefaçon.

La société Jump, auprès de laquelle nous nous sommes rapprochés pour régulariser la situation, nous a indiqué que le coût des droits éludés relatif aux licences utilisées sans autorisation s'élevait à 90 000 euros.

Pour toutes ces raisons et compte tenu de la gravité des faits, votre maintien dans l'entreprise est impossible".

Le 22 octobre 2020, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour voir dire son licenciement nul et solliciter des rappels de salaire au titre de la rémunération variable, des heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos, une indemnité pour travail dissimulé et des dommages intérêts pour harcèlement moral et perte de chance de bénéficier du dispositif d'attribution gratuite d'actions.

Le 4 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Paris, dans sa section Encadrement, a statué comme suit :

- rejette la demande d'irrecevabilité de la part de la SAS Flornoy des pièces n°62 et 65 produites par M. [Y]

- déboute M. [Y] de sa demande en licenciement nul

- requalifie le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse

- condamne la société Flornoy à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

* 35 772,70 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

* 28 303,68 euros au titre du préavis

* 2 830,36 euros au titre des congés payés afférents

* 1 528,13 euros au titre de la mise à pied

* 34 500 euros à titre de rémunération variable 2018

* 36 250 euros à titre de rémunération variable 2019

* 26 062 euros à titre de rémunération variable 2020

* 9 681 euros au titre des congés payés afférents

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation

rappelle qu'en vertu de l'article R. 1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des 3 derniers mois de salaire

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- déboute M. [Y] du surplus de ses demandes

- déboute la société Flornoy de sa demande reconventionnelle

- condamne la société Flornoy aux dépens.

Par déclaration du 31 mars 2022, M. [Y] a relevé appel du jugement de première instance dont il a reçu notification à une date non déterminable.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 24 décembre 2023, aux termes desquelles M. [Y] demande à la cour d'appel de :

- juger recevables les pièces n°62 et 65 de Monsieur [Y], en conséquence, confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a rejeté la demande d'irrecevabilité de la part de la SAS Flornoy des pièces n°62 et 65 produites par Monsieur [Y]

- confirmer le jugement rendu le 14 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a :

"- condamné la société Flornoy à :

* 35 772,70 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

* 28 303,68 euros au titre du préavis

* 2 830,36 euros au titre des congés payés afférents

* 1 528,13 euros au titre de la mise à pied conservatoire

* 34 500 euros au titre de la rémunération variable 2018

* 36 250 euros au titre de la rémunération variable 2019

* 26 062 euros au titre de la rémunération variable 2020

* 9 681 euros au titre des congés payés afférents 2018, 2019 et 2020

* aux entiers dépens"

- l'infirmer en ce qu'il a :

"- débouté Monsieur [Y] [O] de sa demande en licenciement nul

- requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse

- débouté Monsieur [Y] du surplus de ses demandes

- limité la condamnation de la société Flornoy au titre de l'article 700 à la somme de 1 000 euros"

Et statuant à nouveau,

- fixer le salaire de référence à la somme de 9 434,56 euros bruts/mois (rémunération variable comprise)

1. Sur la rupture du contrat de travail

A titre principal,

- juger que le licenciement de Monsieur [Y] est nul et condamner en conséquence la société Flornoy à lui verser la somme de 113 214,72 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, outre les sommes déjà accordées en première instance

A titre subsidiaire,

- juger que le licenciement de Monsieur [Y] est sans cause réelle et sérieuse et condamner en conséquence la société Flornoy à lui verser la somme de 75 476,48 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre les sommes déjà accordées en première instance

2. Sur le rappel de rémunération variable

- condamner la société Flornoy à verser à Monsieur [Y] la somme de 13 150 euros bruts au titre de la rémunération variable 2017 et 1 315 euros bruts de congés payés afférents, outre les sommes déjà accordées en première instance

3. Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

- condamner la société Flornoy à verser à Monsieur [Y] la somme de 28 303,68 euros (3 mois de salaire) à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels.

4. Sur la perte de chance de bénéficier du dispositif d'attribution gratuite d'actions

- condamner la société Flornoy à verser la somme de 218 664,60 euros à Monsieur [Y] à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier du dispositif d'attribution gratuite d'actions

5. Sur la durée du travail

- juger que Monsieur [Y] apporte des éléments suffisamment probants pour démontrer l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées au-delà de son forfait hebdomadaire en heures de 39,50 h

En conséquence, condamner la société Flornoy à lui octroyer les sommes suivantes :

* 41 641 euros bruts à titre de rappel de salaire dans la limite de la prescription triennale outre 4 164,1 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents

* 56 607,36 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

* 9 316,99 euros de rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire en repos dont n'a pas bénéficié Monsieur [Y] en 2018 (361 heures hors contingent) outre 931,69 euros bruts de congés payés afférents et 8 677,76 euros bruts de rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour l'année 2019 (320 heures hors contingent) outre 867,77 euros bruts de congés payés afférents

6. En tout état de cause

- condamner la société Flornoy au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la débouter de la demande de 4 000 euros formulée à ce titre

- fixer le point de départ des intérêts à la date de la saisine du conseil de prud'hommes et la capitalisation judiciaire de ceux-ci sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil

- ordonner l'affichage de la décision à intervenir dans les locaux de la société Flornoy dans les 15 jours de la notification du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard

- ordonner la communication des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 19 mars 2025, aux termes desquelles la société Flornoy demande à la cour d'appel de :

- déclarer l'appel de M. [Y] recevable mais non fondé

- rejeter les prétentions adverses

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande d'irrecevabilité des pièces 62 et 65

- rejeter les pièces 62 et 65 produites par Monsieur [Y]

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

"- débouté Monsieur [Y] des demandes suivantes :

* 113 214,72 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul

* 75 476,48 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 13 150 euros bruts au titre de rémunération variable 2017

* 56 607,36 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son

obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels,

* 218 664,60 euros à Monsieur [Y] au titre de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier du dispositif d'attribution gratuite d'actions

* 41 641 euros brut à titre de rappel de salaire dans la limite de la prescription triennale

* 4 164,10 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents

* 56 607,36 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

* 9 316,99 euros au titre de rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire en repos

* 931,69 euros à titre de congés payés afférents

* 8 677,76 euros à titre de contrepartie obligatoire pour l'année 2019

* 867,77 euros à titre de congés payés afférents"

- recevoir la société Flornoy en son appel incident

- déclarer l'appel incident fondé et en conséquence

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

"- condamné l'intimée au paiement des sommes suivantes :

* 35 772,70 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

* 28 303,68 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

* 2 830,36 euros à titre de congés payés y afférents

* 1 528,13 euros à titre de salaires de mise à pied

* 34 500 euros au titre de la rémunération variable 2018

* 36 250 euros au titre de la rémunération variable 2019

* 26 062 euros au titre de la rémunération variable 2020

* 9 681 euros au titre de congés payés y afférents

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile"

Rejugeant à nouveau,

- débouter Monsieur [Y] de l'intégralité de ses demandes

- condamner Monsieur [Y] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner Monsieur [Y] en tous les dépens de première instance et d'appel, dont distraction est requise au profit de la SELARL Récamier prise en la personne de Maître Christophe Pachalis, avocat aux offres de droit.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 26 mars 2025.

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ Sur la demande de rejet des pièces 62 et 65 produites par le salarié

La société appelante demande à ce que soit écartée des débats la pièce 62, qui consiste en une copie d'écran d'un échange entre le salarié et un administrateur système de l'entreprise via la messagerie instantanée Telegram. L'employeur soutient que cette conversation, opérée par l'entremise d'une application de messagerie instantanée, qui permet aux utilisateurs d'échanger en toute confidentialité des messages qui sont automatiquement supprimés, était privée. Il produit, en outre, un courriel de l'interlocuteur de M. [Y], M. [I], qui affirme qu'il ignorait que cette conversation serait captée et diffusée et qu'il avait le sentiment d'avoir été manipulé par l'appelant qui avait cherché à le pousser à dire des choses qu'il n'avait jamais affirmées (pièce 46).

L'appelante réclame, aussi, que soit écartée la pièce 65, qui est un enregistrement vidéo d'une visioconférence, datée du 3 octobre 2019, réunissant les porteurs de Bons de Souscription de Parts de Créateurs d'Entreprise (BSPCE), les membres du directoire et l'avocat de la société pour présenter le groupe Premium et les conséquences du projet de rapprochement sur l'actionnariat. L'employeur souligne que les informations et données qui ont été communiquées à cette occasion étaient hautement confidentielles et qu'aucun des participants n'avait donné son accord pour que la réunion soit filmée (pièces 47, 48, 49, 50).

La société appelante rappelle que selon les dispositions de l'article 226 -1 du code pénal, il est interdit de capter clandestinement, par enregistrement ou non, les paroles prononcées par une personne à titre privé ou confidentiel ainsi que son image. Elle considère, en conséquence, que les deux captations d'images et de vidéos auxquelles s'est livré le salarié, sans l'accord des personnes concernées, sont illégales et qu'elles contreviennent aux dispositions de l'article 9 du code de procédure civile qui prévoit que chaque partie doit prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention, ainsi qu'à l'article 6 -1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui garantit le droit à un procès équitable.

Le salarié dément le caractère illicite des deux pièces dont il est demandé le rejet. Il expose, en effet, que l'utilisation de messages écrits comme moyen de preuve n'est jamais illicite puisque l'auteur des messages ne peut ignorer qu'ils sont susceptibles d'être enregistrés par l'appareil récepteur. De la même manière, l'intimé conteste s'être livré à un enregistrement clandestin de la réunion du 3 octobre 2019 et explique que celle-ci a été enregistrée par l'ordinateur de la salle de réunion, comme toutes les visioconférences et que l'enregistrement a été stocké dans l'espace client "Bluesjeans cloud" de l'entreprise.

En outre, il indique que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

À cet égard, M. [Y] affirme que sa pièce 62 est en lien direct avec la contestation du licenciement puisqu'elle démontrerait que l'employeur ment quand il prétend avoir découvert, dans la nuit du 21 juillet 2021, que le salarié aurait utilisé des codes d'accès du prestataire informatique de l'entreprise pour accéder à des fonctionnalités en principe payantes. Dans l'échange avec l'administrateur système de l'entreprise figurant en pièce 62, il apparaît que cette information était connue de longue date par l'employeur et totalement mise de côté car l'utilisation de ce mot de passe avait été demandée par la direction. S'agissant de l'intérêt de la pièce 65, M. [Y] explique qu'elle établirait que l'employeur a fait pression sur les salariés afin qu'ils renoncent aux bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise à l'occasion du rachat de la société par le groupe Premium.

Le salarié relève que la production de cet enregistrement est indispensable à l'exercice de ses droits puisqu'elle démontre la déloyauté de l'employeur sur la caducité des BPSCE et qu'elle est strictement proportionnée au but poursuivi puisque la vidéo litigieuse ne concerne que le sujet du rachat de l'entreprise et ses conséquences sur les dispositifs d'actionnariat salarié existant. D'ailleurs, hormis les premières secondes de la vidéo, celle-ci ne filme pas les participants à la réunion mais exclusivement le PowerPoint qui y était commenté par la direction.

La cour rappelle que les messages envoyés par un salarié au moyen d'une messagerie instantanée, distincte de la messagerie professionnelle, sont couverts par le secret des correspondances. Les échanges entre le salarié et l'administrateur système sur la messagerie Telegram, qui présentaient un caractère confidentiel et privé, ne pouvaient fait l'objet d'une révélation sans l'accord de leur émetteur.

S'agissant de l'enregistrement vidéo de la visio-conférence du 3 octobre 2019, même à retenir les explications du salarié sur le caractère systématique de ce type d'enregistrement par l'appelante, il convient de relever que celui-ci aurait été réalisé à des fins professionnelles et que les personnes filmées et la société propriétaire de l'enregistrement n'ont jamais consenti à ce qu'il soit utilisé à des fins privées.

Les pièces 62 et 65 versées aux débats par le salarié présentant un caractère illicite et déloyal, il convient, en conséquence, d'apprécier si leur production était indispensable à l'administration de la preuve. La cour constate que l'échange figurant en pièce 62 ne présente pas un caractère probant puisque M. [Y] cherche à y convaincre son interlocuteur de sa chronologie des faits sans rencontrer une franche adhésion. Au regard de l'attestation de M. [I], qui estime, en outre, avoir été manipulé par l'appelant lors de cet échange, cette pièce, non indispensable à la charge de la preuve, sera écartée des débats.

S'agissant de la pièce 65, il apparaît qu'elle ne constitue pas le seul moyen pour le salarié d'établir que l'employeur aurait trompé les salariés pour qu'ils renoncent aux bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise à l'occasion du rachat de la société par le groupe Premium puisque l'appelant verse de nombreux autres éléments aux débats, à savoir les pièces 56, 57 et 18. En conséquence, cette pièce non indispensable à la charge de la preuve sera écartée des débats et le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

2/ Sur les heures supplémentaires

Selon l'article L. 3174-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci.

M. [Y] rappelle qu'il était soumis à une convention de forfait hebdomadaire en heures de 39,5 heures. Cependant, il avance qu'en raison de sa charge de travail, il lui arrivait fréquemment de terminer ses journées à 23 heures ou minuit. Le salarié communique un décompte des heures supplémentaires qu'il a accomplies durant les trois dernières années précisant ses horaires d'arrivée et de sortie, la durée de sa pause déjeuner, son temps de travail effectif quotidien ainsi que ses congés et absences (pièce 50 a, b,c,). Il joint, aussi diverses pièces attestant de son activité en dehors de l'horaire contractuel (pièces 50 c, 51 a et b).

En conséquence, l'appelant réclame une somme de 41 641 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires accomplies et 4 164,10 euros au titre des congés payés afférents.

La cour constate que si l'employeur critique les éléments de preuve présenté par le salarié, elle n'apporte, pour sa part, aucune pièce permettant de déterminer de manière objective et fiable le nombre d'heures de travail effectué par le salarié, alors même, qu'y compris dans le cadre d'une convention de forfait en heures, il lui appartenait de vérifier sa charge effective de travail.

En cet état, il sera considéré que la société Flornoy ne remplit pas la charge de la preuve qui lui revient, le salarié ayant de son côté apporté à la cour des éléments précis. Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande de rappel de salaires et congés payés afférents au titre des heures supplémentaires et il lui sera alloué une somme arbitrée à la moitié des heures supplémentaire qu'il revendique, soit 20 820 euros à titre de rappel de salaire et 2 082 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

3/ Sur la contrepartie obligatoire en repos

La cour ayant retenu que le salarié n'a accompli que la moitié des heures supplémentaires qu'il réclame, il en convient d'en déduire que M. [Y] n'a effectué que 180,5 heures en 2018 et 160 heures en 2019, soit un nombre d'heures inférieur au contingent annuel ouvrant droit à une contrepartie obligatoire en repos. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

4/ Sur le travail dissimulé

M. [Y] fait valoir que dès lors que l'employeur connaissait son amplitude horaire et qu'il ne l'a pas rémunéré pour les heures supplémentaires accomplies, il a commis des faits de travail dissimulé qui justifient qu'il perçoive une indemnité de 56 607,36 euros.

Toutefois, il n'est pas démontré que l'employeur aurait, de façon intentionnelle, mentionné sur les bulletins de salaire un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué, cette intention ne pouvant résulter de la seule existence d'heures supplémentaires non rémunérées. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

5/ Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié présente des faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le salarié expose, qu'alors que son parcours professionnel avait toujours été irréprochable, il a été "pris en grippe" par le nouveau président de la société Flornoy, M. [T], désigné en janvier 2020 en amont de la fusion entre Fox gestion d'actifs, dont il était le dirigeant et la société Flornoy & associés gestion. Le nouveau président de la société a, ainsi, immédiatement témoigné une hostilité marquée à son égard, multipliant les remontrances publiques et le surchargeant de travail, parfois dans des domaines hors de son champ de compétence et avec des délais intenables. Le salarié reproche aussi à l'intimée de lui avoir retiré ses fonctions d'encadrement, d'avoir annulé sans aucune raison une formation continue, d'avoir désactivé ses accès informatiques et de lui avoir proposé de quitter l'entreprise par le biais d'une rupture négociée (pièces 25 à 43).

M. [Y] accuse le nouveau président de la société d'avoir tout mis en 'uvre pour le pousser à quitter l'entreprise et soupçonne que cette attitude a été suscitée par la fronde qu'il a menée contre la politique de la société qui a tenté de reprendre aux salariés les Bons de Souscription de Parts de Créateurs d'Entreprise (BSPCE) qui leur avaient été attribués, en prétendant qu'ils étaient devenus caducs du fait de la cession. Le salarié avait, en effet, contesté cette présentation dans une note juridique adressée à la direction. C'est en raison de son opposition que l'employeur a proposé aux salariés qui renonçaient aux BSPCE l'attribution gratuite d'actions (AGA), alors que cette contrepartie n'avait pas été envisagée au préalable.

La cour retient au vu de ces éléments, qui pris dans leur ensemble, relatent de manière concordante un syndrome dépressif avéré ainsi que l'imputation par le salarié de ce dernier à ses conditions de travail, que ce dernier présente des éléments de faits matériellement établis qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et qu'il appartient dès lors à l'employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n'étaient pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur répond que le salarié n'a commencé à évoquer un sentiment de harcèlement qu'à compter du mois de juillet 2020, soit à l'époque où a été mené l'audit informatique qui a révélé ses agissements frauduleux. En outre, ce n'est qu'à partir du 11 septembre 2020, soit postérieurement à son licenciement qu'il a dénoncé pour la première fois, par l'intermédiaire de son avocat, une situation de harcèlement moral (pièce 12).

La société intimée constate que si le salarié appelant fait référence à un mail du 11 mai 2020, dans ce courriel il n'est fait état que d'une situation de stress en raison de relances de sa hiérarchie et nullement d'un harcèlement moral. L'employeur précise que l'appelant n'effectuait pas certaines tâches dans les délais, ce qui justifiait qu'il soit rappelé à l'ordre dans le cadre de l'exercice du pouvoir de direction. Si le salarié prétend avoir subi un harcèlement de la part de M. [T], l'employeur relève que c'est plutôt M. [Y] qui manifestait une hostilité, voire un irrespect à son égard, comme en témoignent certains de ses échanges avec M. [N] (pièces 29 et pièces salarié, 33, 34, 35, 36). Le président de la société était même contraint de s'adresser au Directeur général lorsqu'il souhaitait faire passer des consignes au salarié pour être sur d'être entendu (pièce 28 salarié).

L'employeur observe que lorsque M. [Y] se plaint d'une précarisation et d'un retrait de ses fonctions d'encadrement, il s'appuie sur une demande que le président de la société aurait adressée directement à un de ses collaborateurs sans passer par lui, ce qui s'explique par le fait qu'il se trouvait à cette époque en arrêt maladie. La société intimée constate qu'il ne peut pas non plus lui être fait grief d'avoir suspendu les accès du salarié au réseau informatique de l'entreprise pendant une période où il se trouvait en arrêt maladie et où le salarié n'avait aucune raison d'accéder à ces données.

Alors que M. [Y] avance que l'hostilité du président de la société à son égard, viendrait de son opposition à la renonciation des salariés au BSPCE, la société intimée constate qu'il ne produit aucune pièce attestant de cette position ou même de la remise d'une note juridique à la Direction de la société. En outre, ces questions ont été abordées plusieurs mois avant la nomination de M. [T] à la Président de la société Flornoy.

En cet état, la cour observe que si le salarié a pu être relancé sur l'exécution de certaines tâches, il ne ressort pas des pièces produites que l'employeur aurait excédé, dans ses demandes, ou dans les termes employés son strict pouvoir de direction. Il n'est pas établi de contournement du pouvoir de direction du salarié en dehors de sa période d'absence, ni de volonté de lui couper les accès à ses outils de travail en dehors des périodes où il n'en avait pas l'usage. S'il a pu être indiqué au salarié que la formation qu'il avait programmée était annulée, il lui a été expliqué que c'était parce qu'il avait omis de solliciter un accord préalable et que cette session n'était pas totalement financée.

Alors que le salarié prétend s'être plaint auprès de sa hiérarchie, le 11 mai 2020, d'une situation de stress en raison de relances incessantes et de reproches, force est de constater que le courriel qu'il produit (pièce 30) ne comporte pas le nom du destinataire.

Il n'est pas davantage explicité dans quelle mesure l'opposition du salarié à la politique de renonciation des salariés au BSPCE aurait pu lui valoir l'hostilité de M. [T] dès lors que toutes les opérations relatives aux BSPCE sont intervenues avant la nomination de ce dernier en qualité de Président et qu'elles ont été menées par M. [N] avec lequel M. [Y] entretenait des rapports très cordiaux. Dans ces circonstances, il sera jugé que l'employeur justifie que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté le salarié de sa demande de ce chef ainsi que de sa demande de nullité du licenciement fondé sur le harcèlement moral subi.

6/ Sur le manquement à l'obligation de sécurité

Le salarié rapporte, qu'au cours de l'année 2020, il a été amené à formaliser plusieurs alertes sur le harcèlement moral qu'il subissait de la part de M. [T]. Ainsi, il s'est tout d'abord rapproché de son supérieur hiérarchique direct, M. [N], en date du 11 mai 2020 sans obtenir la moindre réponse. Il a ensuite continué à écrire à ce dernier ainsi qu'à M. [T] les 25 juin 2020, 6 juillet 2020, 7 juillet 2020 et 22 juillet 2020 (pièces 30, 33, 40, 41 et 43) sans obtenir d'autre réaction de l'employeur qu'un déni de l'impact sur son état de santé de ses conditions de travail. Le salarié fait grief à l'employeur de ne pas avoir diligenté la moindre enquête sur les faits dénoncés et d'avoir ainsi manqué à son obligation de prévention des risques professionnels indépendamment du point de savoir si le harcèlement moral est ou non constitué.

M. [Y] souligne que ce défaut de diligence lui a causé un préjudice important puisqu'il s'est vu privé de la possibilité de se faire entendre par des personnes impartiales et qu'en l'absence d'écoute et d'amélioration de ses conditions de travail, sa santé s'est dégradée le contraignant à des arrêts de travail, à un suivi psychologique et à la prise d'un traitement anxiolytique. Le salarié appelant réclame donc une somme de 28 303,68 euros, correspondant à trois mois de salaire, en réparation du préjudice subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

La société intimée constate, encore, que si l'appelant avance que la dégradation de ses conditions de travail aurait eu un impact sur sa santé, il a pourtant toujours été déclaré apte à son poste.

En l'absence d'une quelconque situation de harcèlement moral, l'employeur considère qu'il ne peut lui être imputé un manquement à son obligation de sécurité.

La cour retient que les nombreux signalements adressés par le salarié à sa hiérarchie entre le 25 juin 2020 et le 22 juillet 2020, ne pouvaient être écartés sans même de réponse ou par des formules telles : "Vous n'êtes pas harcelé comme vous le soutenez et force est de constater que votre état de santé ne se dégrade pas". Il sera donc jugé que l'employeur, qui ne s'est pas assuré de l'absence de risque pour la santé du salarié, alors même que celui-ci avait été placé durant cette période en arrêt de travail a manqué à son obligation de sécurité et il sera alloué à M. [Y] une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice subi.

7/ Sur la rémunération variable

M. [Y] rappelle que l'article 8 de son contrat de travail disposait :

« Le salarié est éligible tous les ans à un bonus limité à 50% maximum, sauf meilleur accord entre les parties, de sa rémunération brute annuelle.

En application des dispositions légales, réglementaires et déontologiques applicables aux sociétés de gestion, le montant de ce bonus tiendra compte des résultats de l'entreprise comme des performances du salarié liées à la qualité des services rendus aux clients, à l'évolution globale des encours de son portefeuille financier. »

Le salarié relève que la clause est rédigée au présent de l'indicatif et qu'il n'est nul part mentionné que le bonus promis serait conditionné au bon vouloir de l'employeur. Pourtant, M. [Y] expose qu'il n'a jamais bénéficié de cette rémunération variable et ce, alors même que ses performances étaient régulièrement saluées par la direction et que l'entreprise présentait de très bons résultats.

En conséquence, M. [Y] réclame un rappel de rémunération variable de :

- 13 150 euros bruts au titre de l'année 2017 (26 300 euros de rémunération annuelle brute /2)

- 34 500 euros bruts au titre de l'année 2018 (69 000 euros de rémunération annuelle brute /2)

- 36 250 euros bruts au titre de l'année 2019 (72 500,03 euros de rémunération annuelle brute/2)

- 26 062 euros bruts au titre de l'année 2020 (52 124,01 euros de rémunération annuelle brute/2)

- 9 681 euros bruts d'indemnité de congés payés afférents sur les exercices 2018, 2019 et 2020.

Soit un total de 109 962 euros.

La cour constate, qu'il n'est pas produit aux débats les bulletins de salaire de M. [Y] pour la période antérieure au mois de juillet 2019 et qu'il est donc impossible de vérifier quelles primes ont été ou non servies à l'appelant jusqu'à cette date.

Par ailleurs et comme le relève l'employeur, le salarié ne justifie pas du respect des conditions prévues à l'article 8 de son contrat de travail, à savoir, d'une part, des services rendus aux clients et, d'autre part, une évolution des encours de son portefeuille. Le salarié n'ayant aucun portefeuille clients ni même aucun contact avec les clients de la société, il ne pouvait bénéficier d'une prime récompensant les performances liées à la qualité des services qu'il leur rendait et à l'encours de son portefeuille. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, l'employeur lui a proposé, le 24 octobre 2013, un avenant à son contrat de travail, qui prévoyait que puisque M. [Y] ne rentrait pas dans les conditions d'éligibilité pour la prime liée à l'apport de clientèle, il percevrait un bonus mensuel relatif au "rapport d'affaires", en fonction de l'apport de clientèle.

Le salarié ne soutenant pas avoir été privé de ces derniers bonus qui sont venus se substituer à la clause non applicable prévue à son contrat de travail, il sera jugé qu'il a été rempli de ses droits. Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit aux demandes de rappel de rémunérations variables de M. [Y].

8/ Sur le licenciement pour faute grave

L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. Il incombe à l'employeur d'alléguer des faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il appartient à l'employeur d'en apporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement, l'employeur fait grief au salarié d'avoir obtenu de manière illicite les code d'accès appartenant au fournisseur de logiciel Jump et de s'en être servi pour utiliser les fonctionnalités en principe payantes de l'outil informatique mis à disposition de l'entreprise. L'employeur explique que, dans le contexte de la fusion, il a missionné une société d'audit informatique, Doremi management, afin d'effectuer un état des lieux des systèmes d'information et de leur administration utilisés par les sociétés Flornoy et Financière de l'Oxer, aux fins de déterminer quel système serait retenu après la fusion. La société intimée précise que l'appelant n'a assisté à aucune des réunions de préparation de cet audit puisqu'il a été placé à cette époque en arrêt maladie. Le 20 juillet 2020, après une réunion de présentation par la société Jump, créatrice de logiciels spécialisés dans la gestion de fonds, des modules utilisés par la société Flornoy, il est apparu que certains modules de Jump et notamment des logiciels de reporting avaient été déployés au sein de Flornoy alors que les licences d'utilisation de ces modules n'avaient pas été achetées par l'entreprise. Deux salariés de la société, M. [I], administrateur systèmes et réseau et M. [Z], chargé du "Middle-office", ont alors révélé à la société Doremi, que leur supérieur hiérarchique M. [Y] avait obtenu, de manière illicite, les mots de passe et les codes d'accès de la société Jump, lors d'une présentation en 2018 et qu'il les avait utilisés frauduleusement. Le 21 juillet 2021, la société Doremi management a alerté l'intimée sur cette situation en lui rappelant que ces agissements pouvaient entraîner des poursuites pour introduction illicite dans une base de données (pièce 14).

Le salarié répond que, dans le courant de l'année 2018, il a eu connaissance de façon fortuite et non illicite, des codes d'accès utilisés par les consultants Jump permettant d'utiliser des fonctionnalités qui leur étaient réservées. Ces codes ont permis à la société Flornoy d'éditer de nouveaux rapports de reporting sans solliciter l'intervention d'un consultant Jump et donc en économisant le coût moyen de 1 000 euros HT par jour d'intervention. M. [Y] souligne que l'utilisation qui a été faite des codes de Jump ne présentait strictement aucun intérêt personnel pour lui. C'est d'ailleurs le Directeur général de la société, M. [N], qui lui a demandé, dès 2018, d'utiliser les codes de Jump sans payer les droits, ce "risque calculé" devant permettre de faire des économies et de gagner du temps (pièce 12). Le salarié appelant précise qu'à cette même époque l'entreprise cherchait à réduire ses coûts de fonctionnement en coupant dans ses dépenses et notamment celles de l'utilisation des modules Jump (pièce 10). M. [Y] rapporte, encore, que l'employeur ne peut pas feindre avoir eu connaissance de l'utilisation illégale de certains modules Jump dès 2018 puisque le directeur général suivait systématiquement les commandes de reporting effectuées auprès de Jump et qu'il était destinataire en copie des échanges entre le salarié et son équipe au sujet de l'édition des reportings qui se faisaient désormais en interne grâce à l'utilisation des codes d'accès au module (pièces 12, 13). Le salarié demande, donc, à ce que les faits qui lui sont reprochés et dont l'employeur avait connaissance de longue date soient considérés comme prescrits. D'ailleurs, M. [Y] produit un échange de courriels avec M. [N] aux termes duquel ce dernier donnait son accord de principe pour attester de sa connaissance ancienne de ces faits (pièce 63). Cependant, ce salarié ayant négocié, lors de son départ de l'entreprise, une clause de non-témoignage, il n'a pu, par la suite, produire l'attestation promise.

M. [Y] soutient encore qu'alors que la lettre de licenciement prétend que les faits litigieux ont été découverts à l'occasion de l'audit informatique, il n'en est pas fait état dans le rapport de la société Doremi management daté du 7 juillet 2020 (pièce 22 employeur). Si l'employeur affirme désormais qu'il aurait eu connaissance de ces éléments le 20 juillet, à la suite de révélations de Messieurs [I] et [Z] et d'un courriel de l'auditrice, le salarié s'étonne de sa rapidité de réaction puisqu'alors qu'il aurait obtenu ces informations dans la soirée du 21 juillet, il lui a transmis, dès le lendemain une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

M. [Y] prétend que c'est en réalité M. [T], qui avait connaissance de ces faits, qui en parlé à l'auditrice en lui demandant de lui adresser un mail d'alerte lui permettant de le licencier.

L'appelant affirme que la chronologie établit que l'employeur avait décidé de le licencier pour d'autres raisons à savoir parce qu'il déplaisait à M. [T] ainsi que pour des considérations économiques puisqu'il n'a pas été remplacé dans son emploi.

Il constate aussi, qu'alors que la lettre de licenciement fait état d'un préjudice de 90 000 euros pour l'entreprise, aucune pièce ne vient justifier de ce montant.

M. [Y] demande donc à ce que son licenciement soit dit nul en raison du harcèlement moral subi et parce qu'il dissimule un motif économique. A tout le moins, il demande à ce qu'il soit jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La cour observe qu'il ressort des pièces communiquées par le salarié qu'il n'a jamais cherché à dissimuler l'usage qu'il faisait des fonctionnalités empruntées de manière illicite au fournisseur Jump puisque celles-ci servaient à établir les documents de reporting de l'entreprise sous le regard de M. [I], administrateur système et réseaux et de M. [N], Directeur général. Ce dernier en cette qualité ne pouvait ignorer les services achetés ou non par l'entreprise auprès de Jump et des échanges en date du mois d'avril 2020 entre M. [Y] et M. [N] (pièce 10 salarié) démontrent que ce dernier contrôlait le coût et l'utilisation des fonctionnalités acquises par la société.

M. [N], supérieur hiérarchique du salarié, était donc informé depuis au moins le mois de janvier 2020 (pièce 12 salarié) de l'emploi par la société de fonctionnalités pour lesquelles aucune licence n'avait été achetée, c'est à bon escient que les premiers juges ont indiqué dans leur motivation que : "La société Flornoy toutefois n'ignorait pas que Monsieur [Y] disposait de ces codes". En revanche, ils n'en ont pas tiré les conséquences légales puisque si l'employeur avait connaissance de ces faits avant les deux mois précédant l'engagement la procédure de licenciement, ce qui est démontré, il faut considérer que les faits se trouvaient prescrits et ne pouvaient donner lieu au licenciement du salarié. Il sera donc jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [Y] qui, à la date du licenciement, comptait sept ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, à une indemnité comprise entre trois et huit mois de salaire.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 36 ans, de son ancienneté de plus de 7 ans dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée (6 380,21 euros), il convient de lui allouer, en réparation de son entier préjudice la somme de 38 280 euros.

Le salarié peut, également, légitimement prétendre à l'allocation des sommes suivantes :

- 19 140,63 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1 914,06 euros au titre des congés payés afférents

- 22 330,73 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 1 528,13 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire.

Il sera ordonné à la société Flornoy de délivrer à M. [Y] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision les documents de fin de contrat rectifiés conformément au présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.

9/ Sur la demande d'indemnisation de perte de chance des AGA

Le salarié indique qu'entre 2014 et 2018, il a reçu 456 BSPCE de la société Flornoy & associés gestion. Ces bons lui offraient le droit de souscrire des titres de l'entreprise à un prix définitivement fixé lors de leur attribution par l'Assemblée générale des actionnaires. L'exercice de ces BSPCE était soumis à une condition de durée de détention minimale et à des critères de performance de l'entreprise. Enfin, il était contractuellement prévu que, par exception, en cas de cession de 100% des actions de la société ou d'au minimum 50 % des actions à un associé personne morale, tous les BSPCE pourraient être exercées quelles que soient leurs échéances. Le salarié considère, donc, qu'en raison de la cession de Flornoy & associés gestion à Premium partners, il aurait dû pouvoir exercer la totalité de ses BSPCE.

Pourtant lors de l'annonce du projet de cession, l'employeur a annoncé de manière trompeuse que la cession allait rendre caducs les BSPCE et a demandé aux salariés de signer un engagement de renonciation aux BSPCE en contrepartie duquel ils recevraient des actions gratuites.

M. [Y] considère que son consentement à cette renonciation a été vicié puisqu'il lui a été affirmé mensongèrement que la cession entraînerait la caducité des BSPCE. En outre, deux mois après qu'il ait signé cette renonciation, il a été ajouté dans le plan d'Attribution Gratuite d'Actions (AGA) une clause stipulant une condition de présence effective dans l'entreprise à la date de leur attribution, qui n'existait pas pour les BSPCE.

A cet égard, l'article 4.2 du plan d'AGA précise que la date d'acquisition définitive des 22 201 actions qui lui avaient été attribuées expirait le 18 décembre 2020. L'acquisition définitive supposant une condition de présence, M. [Y] relève que son licenciement pour faute grave lui a fait perdre une chance très sérieuse de bénéficier des AGA, dont il demande l'indemnisation à hauteur de 218 664,60 euros. Le salarié a, en effet, calculé qu'il aurait pu céder les AGA définitivement acquises pour un montant total oscillant entre 208 725,30 euros et 228 603,90 euros.

La société intimée répond que le salarié a, en parfaite connaissance de cause, signé la renonciation aux BSPCE acquises et accepté, en contrepartie, l'attribution gratuite d'actions de préférence tout comme leurs conditions de mise en 'uvre qui prévoyaient dès le départ une obligation de présence.

Son licenciement pour faute grave le 5 août 2020, soit avant la date d'acquisition définitive lui a fait perdre tout droit aux AGA attribuées. L'employeur ajoute, qu'en toute hypothèse et même s'il n'avait pas été licencié, M. [Y] aurait perdu ses droits sur les AGA puisqu'il avait l'intention de quitter la société Flornoy pour aller travailler au sein de la société Jump. Il ne peut donc valablement revendiquer un quelconque dédommagement au titre d'une quelconque perte de chance d'une acquisition qui ne serait jamais intervenue.

La cour retient que le salarié ne peut valablement soutenir qu'il aurait été trompé et qu'il ignorait les conséquences de sa renonciation à ses BSPCE puisqu'il indique page 24 de ses écritures : "au moment du rachat de FLORNOY, la direction a prétendu auprès des salariés détenteurs de BSPCE qu'ils étaient rendus caducs du fait de la cession et que les salariés perdaient donc leurs droits à acheter à prix préférentiel des actions de l'entreprise.

Cette assertion qui ne reposait sur aucune base juridique a été vivement contestée par Monsieur [Y] qui avait notamment remis une note juridique à la direction contestant la caducité des BSCPE" (pièce 16). Le salarié a donc renoncé à ses BSPCE en parfaite connaissance de cause.

En revanche, il appert que le licenciement abusif du salarié lui a fait perdre une chance de pouvoir acquérir définitivement les actions accordées et de pouvoir ensuite les vendre. Si l'employeur invoque le fait que le salarié avait l'intention de quitter la société Flornoy avant son licenciement et qu'il aurait perdu son droit à action en toute hypothèse, il n'en est justifié par aucune pièce et, ainsi que le relève le salarié, il n'avait aucun intérêt à quitter l'intimée avant mars 2021, date à laquelle il pouvait disposer pleinement du dispositif des AGA.

La cour rappelle qu'en matière de perte de chance la réparation ne peut être égale à l'avantage que le salarié aurait retiré si la condition avait été remplie et l'avantage effectivement acquis. Elle doit être mesurée à la chance effectivement perdue, compte tenu de l'aléa inhérent à la réalisation de condition et à la valorisation des titres et, notamment, en l'espèce la présence du salarié dans l'entreprise. En l'espèce, il sera jugé jugé que la probabilité pour le salarié d'obtenir l'intégralité du montant de la vente des actions qu'il réclame était de 50 %. Il lui sera donc alloué la somme de

109 332 euros au titre de la perte de chance.

10/ Sur la demande d'affichage de la décision

A défaut pour le salarié d'expliciter l'intérêt que pourrait représenter pour les autres salariés de la société la mesure d'affichage qu'il réclame dans les locaux de l'entreprise, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

11/ Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la date à laquelle l'employeur a réceptionné sa convocation à l'audience du bureau de conciliation et d'orientation.

Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Il sera ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

La société Flornoy supportera les dépens d'appel et sera condamnée à payer à M. [Y] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :

- débouté M. [Y] de sa demande en licenciement nul

- condamné la société Flornoy à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

* 1 528,13 euros au titre de la mise à pied

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté M. [Y] de sa demande de rappel au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour les années 2018 et 2019, de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral et de sa demande d'affichage de la décision dans les locaux de l'entreprise

- débouté la société Flornoy de sa demande reconventionnelle

- condamné la société Flornoy aux dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Écarte des débats les pièces numérotées 62 et 65 au bordereau de communication de pièces de M. [Y],

Dit le licenciement de M. [Y] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Flornoy à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

- 20 820 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires

- 2 082 euros au titre des congés payés afférents

- 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité

- 38 280 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 19 140,63 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1 914,06 euros au titre des congés payés afférents

- 22 330,73 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 109 332 euros au titre de la perte de chance au titre de la perte de chance de bénéficier du dispositif d'attribution gratuite d'actions

- 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Dit que les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la date à laquelle l'employeur a réceptionné sa convocation à l'audience du bureau de conciliation et d'orientation et que les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compterde la présente décision,

Ordonne la capitalisation des intérêts pourvu qu'ils soient dus pour une année entière,

Ordonne à la société Flornoy de délivrer à M. [Y] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision les documents de fin de contrat rectifiés conformément au présent arrêt,

Déboute M. [Y] de ses demandes de rappel de rémunération variable et de congés payés afférents ainsi que du surplus de ses demandes plus amples ou contraires,

Déboute la société Flornoy du surplus de ses demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société Flornoy aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site