Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 7, 11 septembre 2025, n° 22/01499

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/01499

11 septembre 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2025

(n° ,11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/01499 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFCHV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Janvier 2022 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 18/06763

APPELANTE

S.A. SOCIETE D'EXPLOITATIONS SPELEOLOGIQUES DE [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurent GAMET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0061

INTIMÉE

Madame [J] [R]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : 159

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mr Laurent ROULAUD, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre,

Madame Stéphanie ALA, présidente,

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller,

Greffière, lors des débats : Madame Estelle KOFFI

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre et par Madame Estelle KOFFI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La société d'exploitations spéléologiques de [Localité 5] (ci-après désignée la Sesp) exploite le site touristique du gouffre de [Localité 5] dans le Lot. Elle employait plus de dix salariés.

Mme [V] [B] qui détient 75% du capital social de la Sesp, assure les fonctions de directrice générale de la société et de présidente du conseil d'administration.

Par contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 24 mars 2016, Mme [J] [R] a été engagée en qualité de secrétaire générale, statut cadre dirigeant, niveau VIII, coefficient 520 par la Sesp.

La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 10 août 2018, Mme [R] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Le 12 septembre 2018, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin que sa prise d'acte soit requalifiée en licenciement nul en raison du harcèlement moral dont elle se disait victime.

Par jugement de départage du 11 janvier 2022 notifié aux parties le même jour, le conseil de prud'hommes a :

- Dit que le licenciement de Mme [R] produit les effets d'un licenciement nul,

- Condamné la Sesp à payer à Mme [R] les sommes suivantes :

* 38.000 euros au titre du licenciement nul,

* 12.500 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 1.250 euros de congés payés afférents,

* 4.031 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 1.000 euros en réparation du préjudice de harcèlement,

* 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonné la remise de l'attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes au jugement,

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- Dit que les dépens seront supportés par la société,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Le 25 janvier 2022, la Sesp a interjeté appel du jugement.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 17 octobre 2022, la Sesp demande à la cour de :

- Infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

* 38.000 euros au titre du licenciement nul,

* 12.500 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 1.250 euros de congés payés afférents,

* 4.031 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 1.000 euros en réparation du préjudice de harcèlement,

* 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- En tout état de cause, débouter Mme [R] de l'ensemble des demandes présentées devant la cour d'appel,

- Condamner Mme [R] à lui verser les sommes suivantes :

* 18.750 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 18.750 euros à titre de dommages et intérêts,

* 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 19 juillet 2022, Mme [R] demande à la cour de :

- Débouter la Sesp de l'intégralité de ses demandes,

- La recevoir en ses demandes et l'y déclarer bien fondée,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul, ou, à tout le moins et à titre subsidiaire, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Sesp à lui verser la somme de 38.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, la somme de 4.031 euros au titre de l'indemnité de licenciement et la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Sesp à lui verser une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et des dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- Infirmerle jugement sur le quantum du montant de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et des dommages-intérêts pour harcèlement moral,

Statuant à nouveau,

- Condamner la Sesp à lui verser les sommes suivantes :

* indemnité compensatrice de préavis : 18.752 euros,

* congés payés afférents : 1.875 euros,

* dommages-intérêts pour harcèlement moral : 10.000 euros,

- A titre subsidiaire, si la cour devait juger que la prise d'acte ne produit pas les effets d'un licenciement nul, mais qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner la Sesp à lui verser la somme de 38.000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- Ordonner la remise de l'attestation destinée à Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans les 8 jours suivant la notification du jugement,

- Dire qu'en application de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution, la cour se réserve le droit de liquider l'astreinte sur simple requête ;

Y ajoutant,

- Condamner la Sesp à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dire que ces sommes porteront intérêt à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- Condamner la Sesp aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d'exécution de l'arrêt à intervenir.

Pour un exposé des moyens, faits et prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L'instruction a été déclarée close le 5 mars 2025.

MOTIFS :

Sur le harcèlement moral :

Mme [R] soutient avoir fait l'objet de harcèlement moral de la part de l'employeur. Elle sollicite ainsi la somme de 10.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi et l'infirmation du jugement sur le quantum, le conseil de prud'hommes ayant condamné la Sesp à verser à ce titre la somme de 1.000 euros.

En défense, l'employeur conteste tout harcèlement moral et conclut au débouté de la demande pécuniaire de la salariée et à l'infirmation du jugement.

***

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et sa dignité, d'altérer sa santé physique, mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Selon l'article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1152-1 du même code est nul.

***

Mme [R] reproche à Mme [V] [B], dirigeante de la Sesp, un comportement violent à son encontre se traduisant notamment par des reproches 'sous forme de hurlements' et des dénigrements. Elle indique que les autres salariés de l'entreprise ont également été victimes d'un tel comportement de la part de Mme [K].

Mme [R] affirme que les faits reprochés à la dirigeante s'inscrivent dans un fort turnover des salariés engagés à durée indéterminée par l'entreprise. Elle affirme que bien que l'effectif moyen annuel des salariés employés par la Sesp dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée soit compris entre quinze et vingt, vingt-un salariés en contrat à durée indéterminée qu'elle nomme (conclusions p.7 et 8) ont vu leur contrat de travail prendre fin depuis l'année 2016 soit par démission soit par licenciement. Elle précise que certaines de ces ruptures ont donné lieu à un contentieux prud'homal et que si l'employeur fait état d'un effectif de 140 salariés en haute saison, seule une vingtaine bénéficiait d'un contrat à durée indéterminée, les autres employés n'ayant conclu qu'un contrat à durée déterminée.

Mme [R] indique avoir découvert le 9 août 2018 que son employeur avait entamé des démarches en vue de recruter un nouveau salarié pour la remplacer.

Elle conteste tout manquement et carence dans l'exécution de son contrat de travail. Elle conteste également tout manquement à son obligation de bonne foi.

A l'appui de ses allégations, Mme [R] se réfère aux éléments suivants :

- une attestation par laquelle Mme [P] [W], responsable des ressources humaines de la Sesp à compter du 22 janvier 2018, a indiqué avoir constaté 'un fort turnover du personnel, l'ancienneté du personnel en CDI étant en moyenne de 3 ans. J'ai également constaté de fortes tensions entre la dirigeante, Mme [K] et ses salariés, ces derniers craignant quotidiennement ses remontrances verbales et ses emportements. J'ai moi-même été victime de dénigrement et de pressions qui m'ont contrainte à devoir être arrêtée pour raison médicale. A cette occasion, j'ai envoyé à la direction un courrier pour leur notifier le harcèlement dont j'étais victime. La seule réponse de l'entreprise a été un courrier indiquant que la direction doutait de ma sincérité. J'ai tout de même par la suite été convoquée à un entretien préalable à un licenciement, puis licenciée pour des motifs directement liés à mon arrêt de travail. Par ailleurs, à l'occasion du départ de Mme [R] qui était ma supérieure directe, la direction n'a eu de cesse pendant plusieurs mois d'accuser cette première de vol, avec M. [T] [H], ancien directeur technique en complice. Au cours des mois, Mme [K] critiquait Mme [R] auprès de l'ensemble des collaborateurs sur son incompétence et son manque de professionnalisme. Aussi, à chaque conversation, la directrice s'énervait sur les compétences de Mme [R], restant ainsi dans le dénigrement de ses compétences personnelles et professionnelles',

- des jugements des 13 février et 22 mai 2019 du conseil de prud'hommes de Cahors et un arrêt de la cour d'appel d'Agen du 29 septembre 2011 relatifs à des contentieux entre la Sesp et trois salariés (Mme [N] [O] et MM. [Y] [C] et [Z] [X]). Comme le relève la salariée, la Cour d'appel d'Agen a alloué des dommages-intérêts à M. [C] en réparation du préjudice moral causé par des messages 'caustique et autoritaire dépassant fréquemment les limites de la courtoisie' de Mme [K],

- la requête du 18 octobre 2019 par laquelle Mme [W] a contesté le bien-fondé de son licenciement devant le conseil de prud'hommes de Cahors,

- l'attestation par laquelle Mme [E] [M], directrice marketing et communication de la Sesp de juin 2017 à août 2022, a indiqué qu'elle partageait un même espace de travail avec Mme [R] et qu'elle avait été témoin pendant de nombreux mois du comportement agressif de Mme [K] à l'égard de l'intimée se traduisant par des 'hurlements', 'des reproches à en devenir hystérique', 'des séances d'humiliation', ainsi que 'des réflexions vexatoires et des dénigrements'. Mme [M] a précisé que 'le départ de Mme [R] et de M. [H] est venu s'ajouter à la longue liste des départs de cette société dont le turn over, à tous niveaux de la hiérarchie, est particulièrement élevé. Ce sont quelques 20 salariés en CDI qui ont quitté l'entreprise en 18 mois à fin 2019 (sur une quinzaine de permanents). A cette occasion, j'ai constaté beaucoup de mépris et de colère de la part de Mme [K] à l'égard de ces salariés, les jugeant malfaisants, malhonêtes, déloyaux, nauséabonds, qu'elle nommait communément des semi-débiles auprès des équipes internes mais également auprès des prestataires avec lesquels ils avaient collaboré',

- l'attestation par laquelle M. [T] [H], directeur technique de la Sesp entre septembre 2013 et août 2018, a indiqué avoir été témoin que de 'nombreux salariés travaillant directement avec Mme [K] avaient vu leurs conditions de travail se dégrader et avaient subi des pressions psychologiques les ayant conduit à quitter l'entreprise'. Il précisait que ces pressions étaient exercés à l'égard de salariés qu'il nommait (sans que le nom de Mme [R] n'apparaisse dans cette énumération) par Mme [K] et prenaient la forme de 'harcèlements', de 'propos diffamatoires et vexatoires', de 'hurlements' et de dénigrements, créant un 'climat de stress et de méfiance au sein des équipes',

- des échanges de courriels de juillet 2018 entre Mme [R] et Mme [K] par lesquels, d'une part, cette dernière reprochait à l'intimée de ne pas avoir respecté ses consignes au sujet de calculs de congés payés, ce que contestait la salariée en soulignant le ton violent employé par sa supérieure hiérarchique, d'autre part, Mme [K] jugeait la contestation de la salariée 'déplacée et injustifiée,

- un procès-verbal d'huissier de justice du 9 août 2018 constatant la présence sur plusieurs sites internet d'une offre d'emploi concernant un poste de secrétaire général au sein de la Sesp,

- une attestation par laquelle M. [S] [F] a indiqué connaître Mme [R] sur le plan professionnel depuis 2013 et avoir travaillé comme consultant ressources humaines pour la Sesp entre 2016 et 2018. Il précisait avoir 'constaté des relations conflictuelles entre Mme [R] et la dirigeante et entre cette dernière et ses collborateurs, se traduisant par une prise d'acte de l'ex directeur d'exploitation et des tensions avec le directeur technique qui est finalement parti en août 2018".

La cour constate que Mme [R] ne produit aucun élément médical.

La Sesp expose que :

- elle n'a ni remplacé ni mis en oeuvre des démarches de remplacement de Mme [R] tant que cette dernière exerçait ses fonctions dans l'entreprise,

- Mme [R] n'a jamais été 'harcelée moralement dans le cadre de sa relation de travail',

- l'intimée invoque des faits concernant exclusivement d'autres salariés,

- la salariée fait état de 17 départs de salariés sur une période de 6 ans au sein d'une entreprise qui compte 140 salariés en haute saison,

- l'attestation de Mme [W] est dépourvue de force probante dans la mesure où elle a été recrutée à l'initiative de Mme [R], n'a travaillé avec cette dernière que pendant six mois, a été licenciée en décembre 2018 pour 'de graves carences et insuffisances et en a nourri un ressentiment vis-à-vis de son ancien employeur' et fait état d'affirmations 'vagues, non datées, ni circonstanciées',

- l'attestation de M. [F] ne fait que relater les propos de Mme [R] qu'il connaissait depuis 2013 soit bien avant le recrutement de cette dernière au sein de la Sesp,

- l'attestation de M. [H] ne fait état que de sa situation personnelle,

- l'attestation de Mme [M] est insuffisamment précise pour établir les faits allégués par la salariée.

A l'appui de ses allégations, l'employeur se réfère :

- à des courriels échangés entre la directrice de la société et Mme [R] ne comportant aucun propos déplacé,

- l'attestation par laquelle M. [A] [G], administrateur de la Sesp et conjoint de Mme [K] a affirmé n'avoir été témoin d'aucun propos déplacé de cette dernière à l'égard de la salariée. Par contre, il affirmait que 'progressivement Mme [R] a commencé à dénigrer l'entreprise et sa présidente par des attitudes dédaigneuses et irrespectueuses de sa hiérarchie. Lors d'un séminaire de l'entreprise au Puy du Fou, quelques mois avant le départ de Mme [R], j'ai assisté à une scène irréelle au cours de laquelle Mme [R] a levé les yeux au cliel pour ostensiblement contredire des propos de la présidente. A mes yeux, cela a constitué la manifestation de l'opposition complète et systématique de Mme [R] face à la présidente. Au cours de ce même séminaire, j'ai vu Mme [R] organiser la prise de place des collaborateurs de la SES de [Localité 5] lors d'une assemblée en excluant clairement du groupe la présidente et l'un de ses collaborateurs M. [I]. J'en ai été très choqué',

- l'attestation par laquelle Mme [L] [U], comptable de la société depuis le mois d'avril 2017, a indiqué qu'elle n'avait jamais subi de propos inapropriés de la part de sa supérieure hiérarchique Mme [K] mais qu'elle avait constaté 'courant mai 2018 que les relations entre [J] [R] et [V] [K] étaient devenues conflictuelles lorsque celles-ci a dû gérer le départ du directeur technique M. [T] [D] avec qui [J] [R] entretenait d'excellents rapports professionnels. Mme [R] acceptait difficilement le départ de [T] [D] et de ce fait s'opposait à certaines demandes de la présidente. J'ai assisté à une dispute entre elles car [J] [R] refusait de faire le point sur les congés payés de [T] [D] qu'il contestait, elle lui donnait raison. Suite au comportement de défience envers la présidente, celle-ci a perdu confiance en sa secrétaire générale et leur relation est devenue conflictuelle'.

Il ressort de l'attestation de Mme [M], recrutée en juin 2017 et partageant le même espace de travail que Mme [R], qu'elle a été témoin du comportement violent de Mme [K] à l'encontre de la salariée se traduisant par des propos dénigrants et humilants à l'encontre de cette dernière, cette attestation étant, contrairement aux allégations de la Sesp, suffisamment précise et circonstanciée.

La cour constate que l'attestation de Mme [M] corrobore les reproches de Mme [R] à l'encontre de sa supérieure hiérarchique. Ces reproches sont également corroborés par l'attestation de Mme [W] affirmant avoir été témoin de propos dénigrants à l'égard de la salariée et par les attestations de Mme [U] et de M. [F] faisant état de relations conflictuelles entre l'intimée et sa supérieure hiérarchique.

Par suite, les propos inadaptés de Mme [K] à l'égard de la salariée sont matériellement établis.

La salariée présente ainsi des éléments de fait, qui pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Il incombe par conséquent à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La Sesp soutient qu'elle a découvert au moment de la prise d'acte de Mme [R] que celle-ci n'avait pas traité correctement des dossiers relevant de sa responsabilité et qu'elle avait manqué à son obligation de loyauté en ayant des liens étroits avec le commissaire aux comptes de la société, en validant sans l'aval de Mme [K] des factures complémentaires d'une de ses amies avocate qu'elle avait chargée d'un contentieux concernant la Sesp et en effaçant l'historique d'appel de son téléphone et de son ordinateur.

Toutefois, comme l'a jugé le conseil de prud'hommes, les manquements reprochés à la salariée, à les supposer établis, ne sauraient justifier le comportement inadapté de Mme [K] à son encontre et ce, d'autant qu'il n'est nullement allégué ou justifié qu'une procédure disciplinaire ait été diligentée à l'encontre de Mme [R] en raison de ces manquements.

Ainsi, l'employeur ne prouve pas que les agissements présentés par la salariée ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement qui sera donc retenu.

Eu égard à sa durée et à la nature des faits retenus, il convient d'allouer à la salariée la somme de 1.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Le jugement sera confirmé en conséquence.

Sur la prise d'acte :

Il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquements suffisamment graves de l'employeur qui empêchent la poursuite du contrat. Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

Enfin, lorsque le salarié prend acte de la rupture en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul selon les circonstances, si les faits invoqués le justifient, soit d'une démission dans le cas contraire.

Mme [R] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 10 août 2018.

Ainsi qu'il a été vu ci-dessus, l'employeur a commis des agissements constitutifs d'un harcèlement moral.

Ces agissements ayant pour effet de porter atteinte à l'honneur de la salariée et aux conditions de travail de celle-ci caractérisent un manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat. La prise d'acte de la rupture est dès lors justifiée et doit produire les effets d'un licenciement nul.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme [R] produit les effets d'un licenciement nul.

Sur les demandes reconventionnelles de l'employeur :

L'employeur soutient que la prise d'acte de la salariée s'analyse en une démission et reproche à la salariée d'avoir quitté l'entreprise sans respecter le préavis de trois mois prévu par l'article 1er du titre IX la convention collective.

Il réclame ainsi la somme de 18.750 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 18.750 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du 'départ brutal' de la salariée et ce, sur le fondement de l'article L. 1237-2 du code du travail qui dispose que la rupture d'un contrat de travail à durée indéterminée à l'initiative du salarié ouvre droit, si elle est abusive, à des dommages et intérêts pour l'employeur.

Compte tenu des développements précédents, la Sesp sera déboutée de ses demandes pécuniaires et le jugement sera confirmé en conséquence.

Sur les conséquences pécuniaires de la rupture :

En premier lieu, le conseil de prud'hommes a condamné la Sesp à verser à Mme [R] une indemnité compensatrice de préavis de deux mois d'un montant de 12.500 euros, outre la somme de 1.250 euros de congés payés afférents.

La salariée réclame une indemnité compensatrice de préavis de trois mois d'un montant de 18.752 euros sur le fondement de l'article 1er du titre IX de la convention collective sur la base d'un salaire mensuel brut d'un montant de 6.250,67 euros, outre la somme de 1.875 euros de congés payés afférents.

Sans contester le montant du salaire de référence retenu par la salariée, l'employeur conclut au débouté de cette demande pécuniaire au seul motif que la prise d'acte s'analyse en une démission.

Aux termes de l'article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;

3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié.

Selon l'article L.1234-5 du même code, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.

L'article 1er du titre IX de la convention collective dispose qu'après la période d'essai, la démission et le licenciement, sauf faute grave ou lourde, donnent lieu à un préavis d'une durée de trois mois pour les cadres.

Au regard du salaire et des avantages perçus par la salariée tel que ressortant de l'attestation destinée à Pôle emploi, il convient de lui allouer une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 18.752 euros bruts, outre la somme de 1.875 euros bruts de congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé en conséquence.

En deuxième lieu, la salariée réclame la confirmation du jugement qui lui a alloué la somme de 4.031 euros à titre d'indemnité légale de licenciement sur la base d'un salaire mensuel brut de référence d'un montant de 6.250,67 euros.

Sans contester le montant du salaire de référence retenu par la salariée, l'employeur conclut au débouté de cette demande pécuniaire au seul motif que la prise d'acte s'analyse en une démission.

Aux termes de l'article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.

Aux termes de l'article R.1234-2 du code du travail, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans;

2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

Aux termes de l'article R.1234-4 du même code, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

Il ressort des éléments produits qu'en prenant pour assiette de calcul le tiers des trois derniers mois précédent le licenciement et eu égard à l'ancienneté de la salariée, le montant de l'indemnité de licenciement s'élève à la somme de 4.031 euros, précision faite que la somme est allouée en brut.

Le jugement sera confirmé en conséquence.

En troisième lieu, la salariée réclame la confirmation du jugement qui lui a alloué la somme de 38.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

L'employeur conclut au débouté de cette demande pécuniaire au seul motif que la prise d'acte s'analyse en une démission.

L'article L. 1235-3-1 du code du travail dispose que l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

La salariée ne verse aux débats aucun élément sur sa situation postérieure à la rupture.

Eu égard à l'ancienneté de la salariée, à son âge et à son salaire, il lui sera alloué la somme de 38.000 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement nul.

Le jugement sera confirmé en conséquence, précision faite que la somme est allouée en brut.

En dernier lieu, l'article L. 1235-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la rupture, dispose que dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Compte tenu des développements précédents, il sera ordonné d'office à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage éventuellement versées par eux à la salariée dans la limite de six mois d'indemnités.

Le jugement sera complété sur ce point.

Sur les demandes accessoires :

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande de la salariée tendant à la remise de documents sociaux conformes au présent arrêt est fondée et il y est fait droit dans les termes du dispositif, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à Mme [R] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La Sesp sera condamnée sur ce fondement à verser à l'intimée la somme de 1.000 euros au titre de la procédure d'appel.

La Sesp sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la Sesp aux dépens. L'employeur sera condamné aux dépens d'appel.

Il sera précisé que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les prononce.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition de la décision au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement sauf sur le quantum des sommes allouées au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, précision faite les sommes allouées au titre de l'indemnité pour licenciement nul et de l'indemnité de licenciement sont allouées en brut,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société d'exploitations spéléologiques de [Localité 5] à verser à Mme [J] [R] les sommes suivantes:

- 18.752 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.875 euros bruts de congés payés afférents,

- 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

DIT que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les prononce,

ORDONNE à la société d'exploitations spéléologiques de [Localité 5] de rembourser à France Travail les indemnités de chômage éventuellement versées par eux à Mme [J] [R] dans la limite de six mois d'indemnités,

ORDONNE à la société d'exploitations spéléologiques de [Localité 5] de remettre à Mme [J] [R] un bulletin de paye récapitulatif et une attestation destinée à France travail (anciennement dénommée Pôle emploi) conformes à l'arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification,

DIT n'y avoir lieu à astreinte,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

CONDAMNE la société d'exploitations spéléologiques de [Localité 5] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site