CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 septembre 2025, n° 22/07217
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Yoko Gang (SAS)
Défendeur :
Dropshirt (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Ranoux-Julien
Avocats :
Me Catteau, Selarl 2H Avocats, Me Rohen
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Yoko Gang, propriétaire de la marque « Yoko », a pour activité la commercialisation de vêtements et d'articles associés. Elle est présidée par la société Balai Steak, elle-même présidée par M. [S] [G], influenceur, de laquelle il est actionnaire avec son frère M. [H] [G].
La société Webedia est spécialisée dans les médias en ligne, la production, la commercialisation et la promotion d'évènements. Elle détient les sociétés Mixicom et ADCI.
La société Dropshirt a pour activité le commerce du textile, dans le domaine de la création et le développement de marques.
En décembre 2018, les sociétés Dropshirt et Webedia sont entrées en relation pour développer une collection de vêtement et de produits associés de la marque « Yoko », qui sera déposée le 17 janvier 2019 par M. [S] [G], pour le compte de la société Yoko Gang, en cours de formation.
Entre les mois de juillet 2019 et juillet 2020, la société Yoko Gang s'est acquittée du paiement de factures émises par la société Dropshirt.
Deux factures sont demeurées impayées malgré la mise en demeure adressée par la société Dropshirt par lettre recommandée du 12 juin 2020 :
- Facture n°FA0008 du 18 juillet 2019 d'un montant de 54 000 euros HT (64 800 euros TTC) ;
- Facture n°FA0042 du 3 mars 2020 d'un montant de 12 855,60 euros HT (15 426,72 euros TTC).
Par acte du 7 septembre 2020, la société Dropshirt a assigné en paiement des factures la société Yoko Gang devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 30 mars 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- Condamné la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 48 000 euros TTC au titre de la facture n° FA0008 ;
- Condamné la société Yoko Gang à régler à la société Dropshirt la facture de 15 426,72 euros TTC au titre de la facture n° FA0042 ;
- Condamné la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt un montant de 80 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement ;
- Condamné la société Yoko Gang à régler à la société Dropshirt la somme de 6 347 euros à titre d'intérêts de retard ;
- Débouté la société Yoko Gang de ses demandes de répétition de l'indu à hauteur de 83 284,80 euros et 23 000 euros ;
- Débouté la société Dropshirt de sa demande d'indemnité au titre de son préjudice moral ;
- Débouté la société Dropshirt de sa demande de publication du présent jugement dans un journal du textile ;
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- Condamné la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Yoko Gang aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 7 avril 2022, la société Yoko Gang a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :
- Condamné la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 48 000 euros TTC au titre de la facture n° FA0008 ;
- Condamné la société Yoko Gang à régler à la société Dropshirt la facture de 15 426,72 euros TTC au titre de la facture n° FA0042 ;
- Condamné la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt un montant de 80 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement ;
- Condamné la société Yoko Gang à régler à la société Dropshirt la somme de 6 347 euros à titre d'intérêts de retard ;
- Débouté la société Yoko Gang de sa demande de répétition de l'indu à hauteur de 23 000 euros.
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 19 mai 2022, la société Yoko Gang demande à la cour de :
- Infirmer le jugement du 30 mars 2022 en ce qu'il a :
Condamné la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 48 000 euros TTC au titre de la facture n° FA0008 ;
Condamné la société Yoko Gang à régler à la société Dropshirt la facture de 15 426,72 euros TTC au titre de la facture n° FA0042 ;
Condamné la société Yoko Gang à régler à la société Dropshirt la somme de 6 347 euros à titre d'intérêts de retard ;
Débouté la société Yoko Gang de ses demandes de répétition de l'indu à hauteur de 23 000 euros.
- Statuant de nouveau :
Sur la facture n° FA0008 du 18 juillet 2019 :
Constater que la société Dropshirt ne justifie ni d'une créance fondée en son principe tiré de la facture n° FA0008 du 18 juillet 2019, ni d'un titre faute de justifier de la matérialité des prestations rendues à une tierce partie et de leur caractère facturable à la société Yoko Gang ;
Constater que la société Dropshirt ne justifie pas d'une date certaine de la facture n° FA0008 du 18 juillet 2019 présentée en diverses formes différentes ;
Constater en conséquence que la société Dropshirt n'est pas plus fondée à solliciter le paiement des frais et pénalité liés à des factures qui sont irrégulières ;
Dire et juger que la société Yoko Gang n'a jamais été débitrice de la somme de 55 000 euros HT, puis 54 000 euros et finalement fixée par le premier juge à 40 000 euros HT qui devait être facturée à la société tierce ayant commandé les prestations ;
Dire et juger que la société Yoko Gang ne pouvait pas être condamnée à payer des intérêts de retard au taux de 10% faute pour la facture litigieuse d'avoir une date certaine ;
En conséquence débouter la société Dropshirt de toute prétention à paiement de ladite facture quel que soit son montant en principal comme en intérêts et pénalités ;
Sur la facture n° FA0042 du 3 mars 2020 :
Enjoindre à la société Dropshirt de déférer à la sommation de communiquer du 5 juillet 2021 et justifier que les prestations facturées pour la partie allant du 17 mars au 31 mars 2020 correspondent à des prestations effectives des salariés de la société Dropshirt refacturées à temps plein en terme à échoir ;
Enjoindre la société Dropshirt à justifier par tous moyens qu'elle n'a pas eu recours aux mesures de chômage partiel pour cette période en quelque forme et date que ce soit ;
Constater que la société Dropshirt ne justifie ni d'une créance fondée en son principe tirée de la facture n° FA0042 du 03 mars 2020, ni d'un titre faute de justifier que les prestations facturées ont été pérennisées à compter du 17 mars 2020, et que les personnels mis à disposition n'ont pas bénéficié des mesures de chômage partiel ;
Constater en conséquence que la société Dropshirt n'est pas plus fondée à solliciter le paiement des frais et pénalité liées à des factures qui sont au demeurant irrégulières ;
Dire et juger qu'à défaut de justification, la condamnation au paiement de la facture n°FA0042 du 3 mars 2020 doit être ramenée à la somme de 6 427,80 euros HT, soit 7 7163,36 euros TTC ;
Sur la répétition des frais de transport additionnels :
Enjoindre à la société Dropshirt de déférer à la sommation de communiquer du 5 juillet 2021 et justifier qu'elle a assumé dans ses propres comptes le paiement d'une somme de 23 000 euros résultant d'une facture de transport probante ;
Dire et juger qu'à défaut de justification il sera fait droit à la demande de la société Yoko Gang de lui rembourser la somme de 23 000 euros HT ;
En conséquence condamner la société Dropshirt à rembourser à la société Yoko Gang la somme de 23 000 euros HT ;
En tout état de cause :
Condamner la société Dropshirt à verser à la société Yoko Gang la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 30 août 2022, la société Dropshirt demande, au visa des articles 1103 et 1104, 1217, 1221, 1240 et 1302 et suivants et 1710 du code civil, de l'article 289 du code général des impôts, des articles 313-1 et 441-1 du code pénal, des articles 114 et 853 du code de procédure civile, de :
Juger la société Dropshirt recevable dans son appel incident et bien fondée ;
Y faisant droit,
Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- Condamné la société Yoko Gang à verser à la société Dropshirt :
- 15 426,72 euros TTC au titre du règlement de la facture n° FA0042 restée impayée ;
- 80 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement ;
- 6 347 à titre d'intérêts de retard ;
- 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens ;
- Débouté la société Yoko Gang de ses demandes de répétition de l'indu à hauteur de 83 284,80 euros et de 23 000 euros ;
Infirmer partiellement le jugement susvisé en ce qu'il a :
- Débouté la société Dropshirt du surplus de ses demandes et limité le montant de la facture n°FA0008 due à la somme de 48 000 euros TTC au lieu de 64 800 euros TTC, et par conséquent limité le montant des intérêts de retard à la somme de 6 347 euros au lieu de 8 147 euros ;
- Débouté la société Dropshirt de sa demande de réparation du préjudice moral qu'elle a subi du fait de la société Yoko Gang ;
En conséquence, statuant à nouveau :
Condamner la société Yoko Gang au paiement des sommes suivantes :
- La totalité de la facture n°FA0008, soit la somme de 64 800 euros TTC ;
- La somme de 8 147 euros au titre des intérêts de retard ;
- La somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral du fait du comportement de la société Yoko Gang ;
En tout état de cause :
Condamner la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 7 500 euros au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société Yoko Gang aux dépens dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de la Selarl 2H Avocats prise en la personne de Me Hardouin et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 avril 2025.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
***
A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions exposées au dispositif et que les « dire et juger » et les « constater » ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droits à la partie qui les requiert hors les cas prévus par la loi ; en conséquence la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens évoqués.
Sur l'étendue de l'appel
Ni la déclaration d'appel, ni le dispositif des conclusions d'appel, ne sollicitent l'infirmation des chefs de dispositif du jugement ayant débouté la société Yoko Gang de sa demande au titre de la répétition de l'indu à hauteur de 83 284,80 euros, débouté la société Dropshirt de sa demande de publication du jugement dans un journal textile, et condamné la société Yoko Gang aux dépens et à payer à la société Dropshirt la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ces dispositions sont définitives.
Sur le paiement des factures
La société Yoko Gang soutient que :
- Sa relation commerciale avec la société Dropshirt n'a débuté qu'en juillet 2019, et elle n'est pas redevable de prestations qui auraient été accomplies avant cette date. Elle n'a pas validé le principe des prestations de service mentionnées dans la facture n°FA0008 qui repose sur des accords conclus avec la société Webedia ou sa filiale ADCI en fraude de ses droits. Elle n'a consenti ni au prix, ni à la nature des prestations, lesquelles concernent la période du 1er janvier au 30 juin 2019, alors que la société Yoko Gang a été créée ultérieurement.
- La société Dropshirt a émis deux factures n° FA0008, dont le montant et les prestations mentionnées sont différents alors qu'elles portent les mêmes numéros et dates, en violation des exigences réglementaires et fiscales. Cette facture, irrégulière en sa forme, n'est pas exigible. Nul ne peut se constituer un titre à soi-même, et l'établissement d'une facture ne permet pas d'établir le bien-fondé de la créance. La société Dropshirt ne justifie pas l'existence des prestations qu'elle prétend avoir accomplies pour son compte, qui sont décrites de façon imprécise.
- Le courriel du 17 juillet 2019 dans lequel la société Yoko Gang exige de la société Dropshirt qu'elle lui adresse ses factures n'est pas une reconnaissance des prestations effectuées au titre de la facture n°FA0008, ce message visant d'autres factures (n°FA0001 et FA0004) relatives à la constitution du stock de vêtements.
- La facture n°FA0042, émise par la société Dropshirt le 3 mars 2020, concerne des prestations qu'elle aurait accomplies pour la totalité du mois de mars alors qu'est intervenue le 17 mars 2020 une période de confinement sanitaire. La société Dropshirt ne justifie pas de la poursuite de son activité après cette date, ni de l'absence de bénéfice du chômage partiel pour son personnel. Ses demandes d'explications et sommations de communiquer sont restées sans réponse. Elle n'est donc redevable que des prestations du 1er au 16 mars 2020 soit 50% du montant de la facture.
La société Dropshirt réplique que :
- La société Dropshirt a été choisie par la société Webedia pour créer et développer la marque de vêtement Yoko, destinée à la clientèle de l'influenceur M. [S] [G]. Cette collaboration, qui devait consister en la seule production de marchandises, s'est transformée en gestion complète et intégrale de tous les projets liés au lancement de la marque Yoko, rendant nécessaire le recrutement d'une équipe dédiée. Si aucun contrat cadre n'a été signé entre les parties, la relation commerciale entre les sociétés Yoko Gang et Dropshirt a toujours existé et n'a jamais été remise en cause.
- Elle a réalisé des prestations de services pour la société Yoko Gang dès le démarrage du projet en décembre 2018, jusqu'au lancement effectif de la marque Yoko le 3 juillet 2019, puis pour son développement jusqu'en 2020. La société Yoko Gang était partie prenante, dès le départ, aux négociations sur le développement de la marque, elle a accepté que des prestations soient effectuées pour son compte en suivant l'avancement des travaux et en les validant, avant de man'uvrer pour se détacher de la société Webedia et conserver pour elle seule le bénéfice lucratif généré par la marque.
- La qualité des prestations de la société Dropshirt n'a jamais été remise en cause par la société Yoko Gang qui, durant leurs relations contractuelles, se félicitait de son travail. Selon le principe de l'estoppel, elle ne peut se prévaloir d'une position contraire à celle qu'elle a prise antérieurement.
- La société Yoko Gang est la seule société débitrice des factures car elle est la seule bénéficiaire de ses prestations. C'est elle-même qui, par l'intermédiaire de son avocat, a demandé que les factures lui soient adressées. La société Yoko Gang a reconnu son intervention, puisqu'elle lui a réglé plusieurs factures entre octobre 2019 et mars 2020 pour un montant total de 757 147, 44 euros.
- Les factures émises par la société Webedia (via la société ADCI) à l'attention de la société Yoko Gang ne concerne pas les mêmes prestations.
- Ses factures sont détaillées et la réalité du travail accompli est justifié. Si deux factures n°FA0008 ont été émises, la première n'était qu'une facture provisoire et la seconde est d'un montant inférieur, de sorte qu'il n'en résulte aucun préjudice.
L'article 1710 du code civil dispose que le louage d'ouvrage est un contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elles.
En application de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Selon les articles 6 et 9 du code de procédure civile, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires à leur succès.
Sur la facture n° FA0008 du 18 juillet 2019
En l'espèce, il est constant que les parties n'ont pas formalisé leurs relations contractuelles par un contrat écrit, et il n'est pas davantage produit aux débats de convention conclue entre la société Webedia ou ses affiliées et l'une ou l'autre des parties. Si la société Yoko Gang ne conteste pas avoir engagé une relation commerciale avec la société Dropshirt, comme en atteste le paiement régulier de factures émises entre juillet 2019 et mars 2020, elle soutient que les prestations de service de cette dernière n'ont débuté à son égard qu'en juillet 2019. La facture n° FA0008 de la société Dropshirt recouvre des prestations effectuées antérieurement, entre janvier et juin 2019.
Il est cependant établi que dès janvier 2019, MM. [G] frères, agissant au nom de la société Yoko Gang en cours de formation, ont sollicité les services de la société Dropshirt pour la création de la marque Yoko et son lancement, intervenu le 3 juillet 2019.
Cela résulte de plusieurs courriels portant notamment sur le design de la collection échangés entre décembre 2018 et juin 2019 entre la société Webedia et le frère de M. [S] [G], M. [H] [G], dont M. [S] [G] est rendu destinataire :
- Courriel du 15 janvier de M. [H] [G] : « Voilà où on en est avec [S] sur l'identité de Yoko. Y'aurait le logo principal qui est la typo, ensuite on avait pensé à un picto qui pourrait être utilisé ici et là et pourquoi pas combiner avec le logo (') On a aussi mis une typo simple pour les bandes et une typo verticale qu'on trouve cool. »
- Courriel de la société Webedia du 21 janvier 2019 : « Voici un premier retour pour avancer. On vient de regarder avec [S] et [H], il y a des pièces qu'on aime beaucoup (') Si vous voulez continuer à nous proposer de nouvelles pièces dans l'esprit de celles sélectionnées, ce serait parfait. »
- Courriel du 28 mai 2019 de M. [H] [G] : « en ce qui concerne les contenus, je vous laisse le pdf ci-joint avec les corrections (dis-moi si j'ai oublié un point @Hauchard [S]) (') Pour les retouches photos, [S] a demandé au photographe, je mets [S] dans la boucle comme ça il te répondra sur ça. »
- Courriel du 5 juin 2019 dans lequel M. [S] [G] intervient directement pour choisir des éléments de présentation du site de vente à distance Yoko.
M. [S] [G] intervient également à plusieurs reprises dans les échanges pour sélectionner les pièces de la collection dans un groupe de discussion WhatsApps « Yoko » créé entre lui-même et son frère [H], et les dirigeants des sociétés Dropshirt et Webedia :
- Messages du 27 février 2019 : « (') Vous m'avez envoyé la planche collection neutre mais actualisée avec le nouveau logo partout ' » ; « (') quelques mini erreurs je vous fais mes retours demain matin » ;
- Messages du 28 février 2019 dans lesquels M. [S] [G] commente des photographies : « ici la typo sur les manches n'a pas été changée : il faut mettre la nouvelle » ; « ici on retire le typo « Yoko » sur le torse. C'est tout, le reste est nickel ».
M. [S] [G] intervient également à de nombreuses reprises entre mai et juin 2019 pour donner ses directives s'agissant tant du site de vente en ligne que du pop-up pour le lancement de la marque dans un groupe de discussion WhatsApps « Yoko New » créé entre lui-même et son frère [H], son avocat Me [B] et les dirigeants de la société Dropshirt. Enfin, M. [S] [X] intervient dans le choix d'une boutique pour exposer la collection et donne des directives pour le lancement de la marque : « t'as des photos de dedans ' ça pourrait être lourd en vrai (') » ; « Vous me chauffez là. Au fait on prévoit une journée full presse mode du coup ' » ; « vous me planifiez ça » ; « faisons-la » ; « franchement je suis chaud, ce serait pour l'ouvrir quand ' » ; « Magnifique let's go » ; « go se positionner ».
Il ainsi établi que la société Yoko Gang a donné, dès le mois de janvier 2019, son accord à l'engagement de prestations à son profit par la société Dropshirt, bien que celle-ci ait été initialement sollicitée par une société tierce, la société Webedia.
Par message WhatsApp du 10 juillet 2019, M. [S] [G] informait la société Dropshirt de l'exclusion de la société Webedia du projet : « Pour les prochains acomptes ou factures c'est à moi que vous devez les adresser (') la suite se passera sans Webedia ».
Par courriel du 17 juillet 2019, la société Yoko Gang informait, par l'intermédiaire de son conseil, la société Dropshirt que :
« Des discussions ont été entreprises avec Webedia concernant les financements du stock de marchandises, sans que je puisse connaître la teneur des accords contractuels noués avec la société Tealer et/ou les sociétés qui lui sont affiliées, alors même que mes clients devraient en tout état de cause en avoir connaissance et le cas échéant les valider ou y apporter un consentement.
(')
Au visa de ce qui précède, je vous remercie de m'adresser le décompte des factures ainsi que de toutes les sommes dues à votre société ou à ses affiliées, et d'informer vos équipes ainsi que les prestataires liés que les factures doivent être adressées à la société Yoko Gang. En l'espèce, vous voudrez bien également m'adresser la liste des prestataires indépendants de votre groupe auxquels des sommes pourraient être dues, en vertu d'accords tacites ou écrits n'ayant pas incorporé mes clients. (') ».
Contrairement à l'affirmation de la société Yoko Gang, il ne s'évince pas de cette correspondance que la demande de facturation à son ordre des prestations de la société Dropshirt ne serait circonscrite qu'aux factures n° FA0001 et FA0004 relatives à des commandes de marchandises, alors qu'au contraire, sa formulation est générale.
La société Dropshirt a répondu, par un courriel du 19 juillet 2019, qu'une facture concernant ses prestations exécutées au premier semestre 2019 était dès lors émise à son égard : « il était établi que nous devions envoyer une facture représentant le travail effectué jusqu'ici avant le lancement de la marque, ce que nous répétons depuis plusieurs mois. Effectivement nous avons commencé les discussions avec Webedia le 17 décembre 2018 et cela fait réellement 6 mois que nos équipes travaillent d'arrache-pied sur Yoko, que ce se soit en termes de design de pièces, expertises, savoir-faire, conseils, gestion et suivis de toute la chaine production, son importation, et son lancement. ». La facture n°FA0008 du 18 juillet 2019 d'un montant de 55 000 euros HT (66 000 euros TTC), mentionnant, sur la période des 6 mois précédents, les prestations de « suivi de production ' gestion du projet ' design collection basic ' expertise et consulting streetwear » lui était transmise.
Il en résulte que la société Yoko Gang a entendu, à compter du 17 juillet 2019, exclure la société Webedia et ses affiliées du projet, sans qu'elle n'ignore que des prestations antérieurement accomplies par la société Dropshirt, dont elle était bénéficiaire et auxquelles elle avait consenti dès le mois de janvier 2019, restaient à facturer.
La société Dropshirt précise la nature et la durée des prestations accomplies au titre de la facture n° FA0008 :
- 23 journées de travail à 300 euros la journée, soit 7 200 euros : mise en place du projet avec [S] [G], détenteur de la marque et dirigeant de la société Yoko Gang et la société Webedia ;
- 6 mois de suivi de production et développement des produits avec [N] [J], à raison de 2 500 euros par mois, soit 15 000 euros HT ;
- 6 mois de gestion de projet et de coordination entre les différentes équipes à raison de 3 500 euros par mois, soit 21000 euros HT (gestion logistique transport et livraison des marchandises, recrutement de personnel, création et organisation d'une boutique « pop-up store ») ;
- 6 mois de création graphique et mise en place de collection de vêtements, de design des produits et de détermination de la gamme, à raison de 1 800 euros HT par mois soit 10 800 euros HT ;
Soit un total de (7 200+15 000+21 000+10 800) 54 000 euros HT (64 800 euros TTC).
Sont produits aux débats les échanges de courriels entre les équipes de travail relatifs à la création du site de vente en ligne, à l'organisation logistique du transport et au stockage des marchandises, à la recherche de lieux de vente et leur aménagement, ainsi que les documents se rapportant à la réalisation de prototypes et à la validation de fiches techniques des collections. Ces éléments démontrent l'accomplissement des prestations mentionnées dans la facture.
Le fait que la facture n° [Localité 6] 0008 ait fait l'objet d'une seconde version, détaillant davantage la nature des prestations accomplies en en modifiant à la marge son montant, et qu'elle ne respecte pas certaines règles comptables ou fiscales n'entrave pas son exigibilité, alors que l'article L.110-3 du code de commerce consacre le principe de la liberté de la preuve des actes de commerce à l'égard des commerçants.
Si la société Yoko Gang indique s'être par ailleurs acquittée en avril 2020 d'une facture émise par la société ADCI, affiliée à la société Webedia, intitulée « régul de l'activité Yoko » et facturant à hauteur de 236 425,14 euros des charges de « marketing et logistique » sans aucun autre détail, il n'est pas établi que ces prestations recouvrent celles faisant l'objet de la facture n° FA0008 de la société Dropshirt.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la créance de la société Dropshirt est justifiée pour la totalité de la facture n° FA0008 et en conséquence, il convient, par voie d'infirmation, de condamner la société Yoko Gang au paiement de la somme de 64 800 euros TTC.
Sur la facture [Localité 6] [Localité 1] du 3 mars 2020
Il est constant qu'à compter du mois de juillet 2019, les parties se sont accordées pour que les prestations de la société Dropshirt fassent l'objet d'une facturation mensualisée, la facture n° [Localité 6] [Localité 1] marquant le terme de la relation commerciale entre les deux sociétés.
Cette dernière facture correspond à des prestations de services réalisées en mars 2020 par la société Dropshirt pour un total de 12 855,60 HT (15 426,72 euros TTC) détaillées comme suit :
- Gestion et suivi de production : 4 487 euros HT,
- Gestion de projet et management : 5 026 euros HT,
- Gestion pub Facebook/Instagram : 1 200 euros HT,
- Consulting et expertise streetwear : 2 142,60 euros HT.
La société Yoko Gang en a reconnu le bien fondé aux termes d'un courriel du 3 mars 2020 : « Merci pour le temps consacré ce matin. Voici le résumé des décisions prises conjointement :
(')
3/ Facturation Dropshirt mars 2020 à établir fin mars 2020 pour un montant de 12 855 euros HT (dernière facturation). Nous profiterons de ce mois de mars pour faire le point sur les accès/sujets/documents propriété de Yoko. »
La société Dropshirt produit de nombreux échanges de messages de ses collaborateurs démontrant la poursuite des prestations au profit de la société Yoko Gang pendant la période de confinement sanitaire du mois de mars 2020.
Ainsi, sans qu'il ne soit besoin de l'enjoindre de produire d'autres pièces, la société Dropshirt justifie sa créance.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 15 426,72 euros TTC au titre de la facture n°FA0042 et la demande de communication de pièces de la société Yoko Gang sera rejetée.
Sur les indemnités de retard et indemnités pour frais de recouvrement
L'article L441-10 du code du commerce dispose que les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d'application et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture ainsi que le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l'égard du créancier, d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret.
Aux termes des factures n° FA0008 du 18 juillet 2019 et n° FA0042 du 3 mars 2020, les parties sont convenues de l'application d'une pénalité de retard de 10%.
En application de ces dispositions, par voie d'infirmation, la société Yoko Gang sera condamnée à payer la somme de 8 022,67 euros (64 800x10% + 15 426,72x10%) à titre de pénalités de retard.
La condamnation de la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 80 euros (40x2) au titre des indemnités de recouvrement dues pour deux factures, sera confirmée.
Sur la demande de la société Yoko Gang en répétition de l'indu à hauteur de 23 000 euros
La société Yoko Gang soutient que :
- La dernière collection faite en collaboration avec la société Dropshirt s'est heurtée aux difficultés provoquées par la crise sanitaire du Covid 19. Alors que le montant initialement facturé par la société Dropshirt s'élevait à la somme de 228 426 euros TTC, celle-ci lui a imposé le paiement d'un coût de transport additionnel à hauteur de 23 000 euros, sans rapporter la preuve qu'elle en avait réellement assumé le coût.
La société Dropshirt réplique que :
- Les frais de transports additionnels résultent de la volonté de la société Yoko Gang d'obtenir une solution d'urgence et par voie expresse de livraison de la marchandise durant le confinement. La société Yoko Gang a expressément accepté de régler ces frais supplémentaires, comme en témoignent les échanges de mails.
Selon l'article 1302 du code civil, tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.
La restitution n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.
En l'espèce, la société Dropshirt produit aux débats un courriel adressé à la société Yoko Gang le 5 juin 2020 selon lequel la dépense supplémentaire concernant le transport répond à la propre demande de cette dernière : « (') Nous avons une demande de [S] pour un transport express, dont Yoko Gang prendrait en charge le surplus de facturation. Je cite le mail du 8 avril de [S] : « Il devient urgent d'apporter une solution à ce problème : peux-tu faire livrer la production fabriquée à date en expresse stp compte tenu du fait que le transport de marchandise semble être reparti. Bien entendu Yoko prendra en charge le surcoût lié au transport en express ». Nous nous efforçons de trouver une solution depuis plusieurs semaines pour vous livrer le plus rapidement possible malgré les restrictions mondiales dues au Covid-19 ('). »
Les conseils des deux parties se sont accordés pour fixer à hauteur de 23 000 euros le surcoût des frais de transport et ce, sous réserve du justificatif des frais engagés.
Aux termes d'un courrier officiel adressé au conseil de la société Dropshirt, le conseil de la société Yoko Gang confirmait la prise en charge par cette dernière du coût de transport additionnel de 23.000 euros HT : « Je fais suite à nos discussions et échanges visant à résoudre les difficultés concernant la livraison de la commande de la dernière collection de ma cliente la société Yoko Gang, visée dans la facture FA0034 datée du 16 janvier 2020 émise par votre cliente la société Dropshirt. Je vous confirme qu'un virement correspondant à la somme de 147.332,52 euros va être initié par la Banque Palatine au profit de votre compte Carpa. Cette somme est destinée à solder la facture susvisée, ajustée de différents écarts sur commande provenant du cours normal des affaires (4.599,60 € HT), et d'un coût de transport additionnel de 23.000 € HT en raison de la crise sanitaire ».
La correspondance du conseil de la société Yoko Gang précise que le déblocage des fonds interviendra après que soit remplies les conditions suivantes :
« -justificatif du coût de transport additionnel ;
- preuve/justificatif établissant le chargement dans l'avion prévu vendredi 26 juin 2020 ».
La société Dropshirt produit la facture du 24 juin 2020 de la société Vasavan Import et Exports intitulée « tax invoice » dont le montant total TTC s'élève à 42 902,31 euros (53 717 824 roupies indiennes) qu'elle a transmise au titre des justificatifs demandés, provoquant le versement des sommes promises par la société Yoko Gang.
Dès lors, et sans qu'il ne soit besoin d'enjoindre la société Dropshirt de produire ses comptes annuels 2019 et 2020, c'est à juste titre que le tribunal a débouté la société Yoko Gang de sa demande de répétition de l'indu à hauteur de 23 000 euros.
Le jugement sera confirmé de ce chef, et la demande de production de pièces de la société Yoko Gang sera rejetée.
Sur la demande de la société Dropshirt d'indemnisation de son préjudice moral
La société Dropshirt affirme avoir subi les pressions et les reproches injustifiés de la part de la société Yoko Gang. La société Yoko Gang l'a menacée de ne pas payer ses factures si elle ne cédait pas à ses exigences. La société Yoko Gang s'est rendue coupable d'un délit de faux et d'usage de faux dans le cadre de la procédure.
L'article 1240 du code civil dispose que tout fait ayant causé un dommage à autrui oblige celui par lequel le dommage est arrivé à le réparer.
En l'espèce, l'issue de la plainte pour faux et usage de faux déposée dans le cadre de l'instance commerciale par la société Dropshirt n'est pas connue et les pressions, les reproches injustifiés et les menaces ne sont pas établis par les éléments du dossier. La dégradation des relations entre les parties au cours de l'année 2020 est réelle, pour autant, la société Dropshirt ne démontre par aucune pièce l'existence du préjudice moral qu'elle allègue.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement ayant rejeté sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires
La société Yoko Gang, qui succombe, sera tenue aux dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl 2H Avocats prise en la personne de Me Hardouin et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'équité commande que la société Yoko Gang soit condamnée à payer à la société Dropshirt la somme de 7 500 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, dans la limite de l'appel
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 mars 2022 sauf en ce qu'il a :
- Condamné la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 48 000 euros TTC au titre de la facture n° FA0008 ;
- Condamné la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 6 347 euros à titre d'intérêts de retard ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 64 800 euros TTC au titre de la facture n° FA0008 ;
Condamne la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 8 022,67 euros à titre de pénalités de retard ;
Rejette les demandes d'injonction de la société Yoko Gang ;
Condamne la société Yoko Gang à payer à la société Dropshirt la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de la société Yoko Gang au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Yoko Gang aux dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl 2H Avocats prise en la personne de Me Hardouin et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.