CA Colmar, ch. 2 a, 11 septembre 2025, n° 22/03623
COLMAR
Arrêt
Autre
MINUTE N° 409/2025
Copie exécutoire
aux avocats
Le 11 septembre 2025
La greffière
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/03623 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H5UR
Décision déférée à la cour : 08 Septembre 2022 par le tribunal judiciaire
de [Localité 3]
APPELANTS :
Monsieur [S] [L]
Madame [B] [K] épouse [L]
demeurant ensemble [Adresse 2]
La S.C.I. GOLDYX
ayant son siège social [Adresse 2]
représentés par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la cour.
INTIMÉE :
La S.A.R.L. MOEBS, prise en la personne de son représentant légal.
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Christine BOUDET, avocat à la cour.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Mars 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre et Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseillère, chargées du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre
Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseillère
Madame Sophie GINDENSPERGER, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE
ARRÊT contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Emeline THIEBAUX, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE :
Suivant contrat de maîtrise d'oeuvre du 11 décembre 2005, la SCI Goldyx, dont le gérant est M. [S] [L], a confié à M. [T], architecte, des travaux de rénovation et d'aménagement d'un immeuble lui appartenant sis à Strasbourg. Les lots chauffage - ventilation et climatisation 2ème étage ont été confiés à la société Moebs.
Un litige ayant opposé l'architecte à la SCI Goldyx au sujet du paiement du solde de ses honoraires, une expertise judiciaire a été ordonnée le 27 janvier 2009, confiée à M. [V]. L'expert a déposé un rapport daté du 4 novembre 2009, aux termes duquel il fait état de différentes anomalies et malfaçons.
Par acte d'huissier de justice en date 19 décembre 2016, la société Goldyx a fait assigner les sociétés Moebs et Etablissements Trau, cette dernière étant en charge du lot sanitaire, aux fins de voir ordonner, avant dire droit, une expertise judiciaire pour constater l'existence des désordres, en déterminer l'origine ainsi que les responsabilités.
Par jugement du 4 mai 2017, le tribunal de grande instance de Strasbourg a ordonné une expertise judiciaire confiée à Mme [U].
L'expert judiciaire a rendu son rapport définitif le 21 mars 2018.
Par conclusions notifiées le 13 octobre 2021, les époux [L] sont intervenus volontairement à la procédure.
Par jugement rendu le 8 septembre 2022, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Strasbourg a :
- débouté la société Goldyx et les époux [L] de leur demande avant dire-droit de retour du dossier à l'expert ;
- déclaré irrecevables leurs demandes de provision ;
- condamné la société Goldyx et les époux [L] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise ;
- condamné in solidum la société Goldyx et les époux [L] à payer à la société Moebs la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire
- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres fins, moyens, demandes et prétentions.
Le tribunal a relevé que l'expert judiciaire avait, en page 17 de son rapport, décrit et évalué les travaux nécessaires pour remédier aux désordres constatés sur les radiateurs à la somme de 1 000 euros HT, conformément à sa mission, que les demandeurs ne versaient aux débats aucun autre élément permettant de remettre en cause cette évaluation, de sorte que le retour du dossier à l'expert n'apparaissait pas nécessaire.
Sur la réserve des droits, le tribunal a rappelé que la procédure diligentée par la société Goldyx et les époux [L] était présentée devant le tribunal statuant au fond et non en référé ou dans le cadre d'un incident de mise en état, que le tribunal devait trancher les demandes et prétentions formulées devant lui et n'avait pas à réserver d'éventuels droits.
Il a par ailleurs considéré qu'il était incompétent, en vertu de l'article 789 2° du code de procédure civile, pour allouer une provision, seul le juge de la mise en état étant compétent pour le faire, jusqu'à son dessaisissement, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Par déclaration d'appel transmise par voie électronique le 23 septembre 2022, les époux [L] et la société Goldyx ont interjeté appel de ce jugement, en ce qu'il les a déboutés de leur demande avant dire-droit de retour du dossier à l'expert, a déclaré irrecevables leurs demandes de provision, les a condamnés aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, et les a condamnés in solidum à payer à la société Moebs la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 1er octobre 2024.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 septembre 2023, la société Goldyx et les époux [L] demandent à la cour de :
- dire l'appel bien fondé
- infirmer le jugement entrepris des chefs visés dans la déclaration d'appel qu'ils reprennent ;
Statuant à nouveau,
- déclarer que les dysfonctionnements majeurs de l'installation de chauffage de l'immeuble constituent des désordres rendant l'immeuble impropre à sa destination ;
- déclarer que la société Moebs a engagé sa responsabilité décennale à l'égard de la SCI maître de l'ouvrage ;
En conséquence, ordonner le retour du dossier à l'expert aux fins de se prononcer sur le préjudice induit et notamment sur la mise en place d'une solution de remplacement ;
- réserver à la société Goldyx la faculté de chiffrer 'leur' préjudice, le cas échéant après retour du dossier à l'expert ;
- condamner la société Moebs à payer à la société Goldyx un montant de 15 000 euros à titre de provision sur son préjudice ;
- condamner la société Moebs à payer aux consorts [L] un montant de 15 000 euros à titre de provision sur leur préjudice ;
En tout état de cause,
- condamner la société Moebs à payer à la société Goldyx un montant de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de la procédure, incluant les frais d'expertise ;
- débouter la société Moebs de toutes conclusions contraires ainsi que de l'intégralité de ses fins, moyens, demandes et prétentions.
Au soutien de leurs prétentions, les appelants se référant à une décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendue le 13 avril 2023, pourvoi n° 21-21.463, soutiennent que c'est à tort que le tribunal a éludé la question de la garantie décennale, au seul motif que les demandes débutant par « dire et juger », « constater » ou encore « donner acte » ne constitueraient pas des prétentions, sans examiner au cas par cas si la demande constituait une prétention ou un simple rappel de moyens, alors qu'il était bien saisi de prétentions à cet égard.
Ils relèvent que, selon le rapport d'expertise, certains radiateurs fonctionnent mal et d'autres pas du tout, et invoquent la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle « des désordres affectant des éléments d'équipement, dissociable ou non, d'origine ou installées sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination », ce qui est le cas en l'espèce, l'ouvrage étant, dans son ensemble, impropre à sa destination et les désordres constatés sur les différents radiateurs et la chaudière relevant de la garantie décennale de l'article 1792 du code civil.
Les appelants soutiennent ensuite que, bien qu'il n'y ait pas eu de réception expresse des travaux, ils ont fait l'objet d'une réception tacite résultant du paiement intégral des factures de la société Moebs le 15 juin 2007, et du fait que la société Goldyx occupe effectivement les locaux depuis cette date qui doit être retenue comme étant celle de la réception, l'absence de réception contradictoire des travaux ne pouvant, en présence d'une réception tacite, être un obstacle à la mise en 'uvre de la responsabilité prévue aux articles 1792 et suivants du code civil.
Concernant l'impropriété de l'ouvrage à sa destination, les appelants font valoir que les juges de fond ne sont jamais liés par l'avis de l'expert judiciaire ; que selon une jurisprudence abondante une température trop faible pour une habitation, ou pour des bureaux, rend l'ouvrage impropre à sa destination, indépendamment de toute notion de solidité, stabilité ou de sécurité ; que selon Mme [U], il est impossible de dépasser la température de 19°C dans certaines pièces, sur la base de relevés de températures effectués alors qu'il y avait une température extérieure de 5°C ; qu'il s'en déduit que pendant les 60 jours de gel que connait [Localité 3], la température de ces pièces doit être bien inférieure à 19°C.
Les appelants soutiennent en outre que selon la jurisprudence récente, les constatations qui mettent en évidence une série de désordres, tel qu'un déséquilibre du chauffage dans toutes les pièces et une surconsommation énergétique rendent l'ouvrage impropre à sa destination, ce qui est le cas en l'espèce, de sorte qu'ils sont fondés rechercher la responsabilité décennale de la société Moebs dont l'installation n'a jamais fonctionné de façon satisfaisante, le dysfonctionnement des radiateurs faisant obstacle à une jouissance normale des lieux, sans recours à un mode complémentaire de chauffage, tant pour l'appartement occupé par les époux [L], que pour les bureaux que la SCI Goldyx loue à la société Comptoir de l'or.
En outre, la non-conformité des canalisations installées par la société Moebs a été relevée de façon claire et expresse par les différents professionnels amenés à intervenir de façon récurrente lors des inondations occasionnées.
La SCI Goldyx soutient que la non-conformité de l'installation de chauffage occasionne une moins-value substantielle à sa propriété, soulignant que l'installation de chauffage avait été facturée 36 248,34 euros de sorte que le montant de la provision demandée est parfaitement mesuré.
Les époux [L] qui occupent la partie habitation invoquent subir depuis plus de dix ans les dysfonctionnements de l'installation de chauffage, générant un certain inconfort en particulier l'hiver, et endurer des inondations récurrentes, notamment dans leur buanderie.
Ils estiment que le retour du dossier à l'expert est justifié, car il n'a pas formellement déféré à ses missions sur le coût de réalisation des travaux, qu'ils se réservent de chiffrer ce coût ainsi que le préjudice de jouissance, et la provision sollicitée leur permettra de faire face aux frais d'expertise complémentaire.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er décembre 2023, la société Moebs demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Goldyx et les époux [L] de leur demande avant dire-droit de retour du dossier à l'expert, déclaré irrecevables les demandes de provision de ces derniers, condamné la société Goldyx et les époux [L] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise et les a condamnés in solidum à payer à la société Moebs la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Subsidiairement,
- débouter la société Goldyx et les époux [L] de l'ensemble de leurs fins et conclusions ;
En toute hypothèse,
- condamner la société Goldyx et les époux [L] aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel ;
- condamner conjointement et solidairement la société Goldyx et les époux [L] à verser à la société Moebs la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société Moebs fait d'abord valoir que les demandes formulées devant le tribunal visant à « dire et juger », puis devant la cour à « déclarer » que « les dysfonctionnements majeurs de l'installation de chauffage de l'immeuble constituent des désordres rendant l'immeuble impropre à sa destination » et que « la société Moebs a engagé sa responsabilité décennale à l'égard de la société maître de l'ouvrage », ne constituent pas des prétentions, mais un rappel des moyens sur lesquels doivent se fonder des prétentions, qui n'ont pas été exprimées.
Subsidiairement, elle conteste que l'installation de chauffage soit affectée de désordres compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination, soulignant que le rapport d'expertise de M. [V] du 4 novembre 2009 ne relève aucun désordre relatif à l'installation de chauffage ; que les allégations de la société Goldyx affirmant qu'elle aurait sollicité à de multiples reprises l'intervention de l'intimée sont totalement mensongères, et ne sont étayées par aucune pièce, hormis un courrier simple, qui daterait de 2009, dont rien ne démontre ni l'envoi ni l'authenticité, ne concernant au surplus que le remplacement de pièces sur la chaudière.
L'intimée souligne que les appelants déclarent occuper les lieux depuis le 15 juin 2007 et que l'installation de chauffage n'aurait pas correctement fonctionné dès l'origine, alors qu'ils n'ont signalé aucun dysfonctionnement de l'installation de chauffage durant ces neuf années, ce qu'a d'ailleurs relevé Mme [U] ; que contrairement à ce qui est soutenu, la société Goldyx n'a employé aucun salarié au cours de l'année de référence et aucun effectif au cours du mois de décembre 2020, et qu'à supposer que le local ait été donné à bail, ce dont il n'est pas justifié, il n'est pas fait état d'une quelconque réclamation du preneur auprès du bailleur quant à la température des lieux.
Elle soutient que l'impropriété à destination qui doit affecter l'immeuble en sa globalité n'est pas établie, relevant que :
- le rapport de Mme [U] ne met en évidence aucun désordre de nature décennale, la température de 19°C qui est atteinte selon les appelants étant conforme aux dispositions de l'article R.241-26 du code de l'énergie, ainsi qu'aux préconisations gouvernementales actuelles s'agissant des températures recommandées ;
- l'expert a émis des hypothèses en indiquant qu'il y avait un probable déséquilibre de l'installation et une possible insuffisance de certains radiateurs, et indiqué qu'il convenait de « procéder d'abord au rééquilibrage de l'installation, opération qui devrait mettre fin au dysfonctionnement des radiateurs », pour un coût de 1 000 euros HT ; Mme [U] a exclu, de ce fait, le caractère décennal des désordres, sans que les appelants n'apportent le moindre élément technique probant et sérieux qui vienne contredire cette appréciation ;
- seuls 2 radiateurs, dans 2 pièces différentes dans un immeuble qui en comporte une dizaine sur plusieurs niveaux ne fonctionnent pas, la totalité de l'immeuble n'est donc pas concernée et ce d'autant moins que l'immeuble dispose également d'un chauffage au sol qui fonctionne parfaitement mais n'a pas été mis en route lors du passage de l'expert, de sorte que les conditions réelles de chauffage n'ont pas pu être vérifiées et aucun relevé de température n'a été effectué ;
- le dysfonctionnement de certains corps de chauffe est uniquement lié à un défaut d'entretien de l'installation pendant de nombreuses années.
La société Moebs relève par ailleurs que tous les autres constats de Mme [U] ne la concernent pas, notamment s'agissant de la canalisation en fonte, qu'elle n'a pas installé.
S'agissant du retour du dossier à l'expert, de la réserve des droits et des demandes de provisions, la société Moebs soutient que les appelants n'articulent aucune critique sur ces chefs de jugement et n'apportent pas le moindre élément susceptible de justifier un retour du dossier à l'expert. Elle fait siens les motifs du jugement sur ce point.
Enfin, l'intimée fait valoir que le maître d'ouvrage des travaux, auquel la garantie décennale pourrait être due s'il existait un désordre rendant l'ouvrage impropre à sa destination, est la société Goldyx et non les époux [L], avec lesquels elle n'a aucun lien contractuel, et qui, en tout état de cause, ne démontrent pas l'existence d'un préjudice susceptible d'ouvrir droit à indemnisation.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
Après avoir rappelé les dispositions des articles 768 et 4 du code de procédure civile, le tribunal a indiqué, à titre liminaire, qu'il ne répondrait pas aux demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'dire et juger' qui ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques et ne constituent pas des prétentions mais en réalité des moyens ou arguments, et ne s'est donc pas prononcé sur la question de la garantie décennale.
A hauteur de cour, les appelants demandent à la cour de : 'déclarer que les dysfonctionnements majeurs de l'installation de chauffage de l'immeuble constituent des désordres rendant l'immeuble impropre à sa destination' et de 'déclarer que la société Moebs a engagé sa responsabilité décennale à l'égard de la SCI maître de l'ouvrage'.
Si la première de ces demandes ne constitue pas une prétention mais un moyen venant au soutien de la seconde, en revanche cette dernière demande en tant qu'elle vise à voir reconnaître que la responsabilité décennale de la société Moebs est engagée constitue l'objet même de l'action des appelants qui sollicitent indemnisation de leur préjudice, et constitue donc une prétention à laquelle la cour doit répondre, conformément à l'article 954 du code de procédure civile.
Sur la responsabilité décennale de la société Moebs
Il est constant qu'aucune réception expresse n'est intervenue. Toutefois, la société Moebs ne conteste pas l'existence d'une réception tacite intervenue à la date du 15 juin 2007, caractérisée par la prise de possession des lieux par la SCI Goldyx, maître de l'ouvrage, et le règlement intégral du marché.
Selon l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Les appelants se plaignent de deux types de désordres, d'une part des inondations récurrentes de la buanderie, d'autre part des dysfonctionnements de l'installation de chauffage, générant une impossibilité d'atteindre une température suffisante dans certaines pièces, source d'inconfort.
S'agissant des inondations de la buanderie, il n'est nullement démontré que la société Moebs, qui n'était pas en charge du lot sanitaire, soit intervenue sur la canalisation en fonte litigieuse, de sorte que l'imputabilité des désordres à l'intimée n'est pas caractérisée, l'expert judiciaire ayant au surplus constaté que la pente de cette canalisation était réglementaire, contrairement à l'hypothèse émise par la société A l'eau le plombier.
S'agissant des dysfonctionnements affectant l'installation de chauffage, il convient tout d'abord de relever, comme le souligne la société Moebs, que les appelants qui affirment que l'installation n'aurait pas fonctionné de manière satisfaisante dès l'hiver 2006/2007, n'ont pas évoqué ce problème lors des opérations d'expertise de M. [V] qui a déposé son rapport en novembre 2009, alors même que la SCI Goldyx se plaignait de différents désordres et malfaçons qui ont été examinés par cet expert. Ils ne justifient pas non plus avoir adressé la moindre réclamation ou demande d'intervention à la société Moebs, hormis deux courriers du 6 février 2009 et du 6 octobre 2009 relatifs à un remplacement de pièces sur la chaudière, pris en charge par le fabricant, à un problème de fuite sur un radiateur, pour lequel la société Moebs est intervenue, et au dysfonctionnement d'un des thermomètres du plancher chauffant qui n'est plus en cause. Aucun de ces courriers ne fait mention d'une impossibilité de chauffer suffisamment l'immeuble, ni d'un inconfort thermique.
Mme [U], expert judiciaire, a constaté que la maison est équipée d'une installation de chauffage au gaz, comprenant un dispositif de chauffage au sol ponctuel au rez-de-chaussée et des radiateurs répartis dans l'ensemble des locaux sur 4 étages, deux radiateurs en fonte de l'installation existante ayant été maintenus au rez-de-chaussée.
Lors de sa visite sur les lieux le 19 décembre 2017, l'expert a constaté que le plancher chauffant du rez-de-chaussé n'était pas en fonction soulignant qu'il ne présenterait pas de dysfonctionnement selon le propriétaire, que deux radiateurs ne chauffaient pas du tout l'un dans la cuisine, cette pièce disposant de deux radiateurs, l'autre dans le dressing situé dans les combles, que quatre pièces, deux au rez-de-chaussée, le salon au 1er étage et le dressing dans les combles, étaient mal chauffées, la température ayant du mal à dépasser les 19 degrés, les corps de chauffe semblant insuffisants. L'expert excluait toutefois toute impropriété de l'immeuble à sa destination, et indiquait que les désordres étaient causés par un déséquilibre de l'installation dû à la conservation partielle de l'installation existante et notamment de radiateurs en fonte, une telle installation nécessitant des réglages précis. L'expert formulait également l'hypothèse d'un éventuel défaut de prise en compte des caractéristiques de l'immeuble présentant de grandes surfaces vitrées, à vérifier par un bilan thermique.
Mme [U] préconisait, dans un premier temps, de procéder à un rééquilibrage de l'installation, voire au changement du robinet thermostatique du radiateur du dressing, pour un coût estimé à 1 000 euros HT, et si les désordres perduraient, de faire réaliser un bilan thermique par un bureau d'études spécialisé, estimant toutefois, la démarche prématurée à ce stade. L'expert ayant répondu aux différents chefs de sa mission, la demande visant à lui retourner le dossier ne peut dès lors qu'être rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.
En l'état des constatations de l'expert dont il ressort que les dysfonctionnements constatés ne sont pas généralisés mais concernent seulement deux radiateurs et quatre pièces dans un immeuble comportant quatre niveaux et comptant une dizaine de pièces, et en l'absence de tout autre élément de preuve, tels que relevés de températures, attestations de témoins, ainsi que de toute réclamation des occupants sur ce point pendant neuf années, il n'est pas démontré que l'immeuble est impropre à sa destination, les appelants ne démontrant pas davantage que le rééquilibrage de l'installation préconisé par l'expert comme étant de nature à mettre fin aux dysfonctionnements constatés ne serait pas suffisant.
Il sera également relevé que l'expert n'a constaté aucune insuffisance de chauffage dans les pièces à usage de bureaux et que dans les quatre pièces insuffisamment chauffées, dont un dressing qui n'est pas une pièce de vie, la température relevée par l'expert est de 19 degrés, ce qui correspond à la température réglementaire préconisée par l'article R.241-26 du code de l'énergie en ce qui concerne les locaux à usage d'habitation et de bureaux.
Par voie de conséquence, et en l'absence de tout élément de preuve de nature à contredire les constatations de l'expert, il convient de rejeter la demande tendant à voir déclarer que la société Moebs a engagé sa responsabilité décennale à l'égard de la SCI maître de l'ouvrage.
Le jugement sera infirmé en tant qu'il a déclaré irrecevables les demandes de provision présentées par les époux [L] et par la SCI Goldyx, l'article 789 du code de procédure civile ne faisant pas obstacle à ce que le juge du fond qui est compétent pour se prononcer sur l'évaluation du préjudice éventuellement subi, puisse allouer une provision à valoir sur ce préjudice si le demandeur ne dispose pas des éléments suffisants pour le chiffrer de manière définitive. Ces demandes seront toutefois rejetées au vu de ce qui précède, la responsabilité décennale de la société Moebs n'ayant pas été retenue et aucun autre fondement n'étant invoqué.
Sur les dépens et les frais exclus des dépens
Le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.
Les appelants qui succombent supporteront les dépens d'appel et la SCI Goldyx sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera en revanche alloué à la société Moebs, sur ce fondement, une somme de 1 500 euros, à la charge des appelants in solidum.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 8 septembre 2022, sauf en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de provision des époux [L] et de la SCI Goldyx ;
INFIRME ledit jugement de ce seul chef ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et ajoutant au jugement,
REJETTE les demandes de provision présentées par la SCI Goldyx et les époux [S] [L] et [B] [K] ;
REJETTE la demande tendant à déclarer que la société Moebs a engagé sa responsabilité décennale à l'égard de la SCI maître de l'ouvrage ;
REJETTE la demande de la SCI Goldyx sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum la SCI Goldyx et les époux [S] [L] et [B] [K] aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la SARL Moebs une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,
Copie exécutoire
aux avocats
Le 11 septembre 2025
La greffière
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/03623 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H5UR
Décision déférée à la cour : 08 Septembre 2022 par le tribunal judiciaire
de [Localité 3]
APPELANTS :
Monsieur [S] [L]
Madame [B] [K] épouse [L]
demeurant ensemble [Adresse 2]
La S.C.I. GOLDYX
ayant son siège social [Adresse 2]
représentés par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la cour.
INTIMÉE :
La S.A.R.L. MOEBS, prise en la personne de son représentant légal.
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Christine BOUDET, avocat à la cour.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Mars 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre et Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseillère, chargées du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre
Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseillère
Madame Sophie GINDENSPERGER, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE
ARRÊT contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Emeline THIEBAUX, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE :
Suivant contrat de maîtrise d'oeuvre du 11 décembre 2005, la SCI Goldyx, dont le gérant est M. [S] [L], a confié à M. [T], architecte, des travaux de rénovation et d'aménagement d'un immeuble lui appartenant sis à Strasbourg. Les lots chauffage - ventilation et climatisation 2ème étage ont été confiés à la société Moebs.
Un litige ayant opposé l'architecte à la SCI Goldyx au sujet du paiement du solde de ses honoraires, une expertise judiciaire a été ordonnée le 27 janvier 2009, confiée à M. [V]. L'expert a déposé un rapport daté du 4 novembre 2009, aux termes duquel il fait état de différentes anomalies et malfaçons.
Par acte d'huissier de justice en date 19 décembre 2016, la société Goldyx a fait assigner les sociétés Moebs et Etablissements Trau, cette dernière étant en charge du lot sanitaire, aux fins de voir ordonner, avant dire droit, une expertise judiciaire pour constater l'existence des désordres, en déterminer l'origine ainsi que les responsabilités.
Par jugement du 4 mai 2017, le tribunal de grande instance de Strasbourg a ordonné une expertise judiciaire confiée à Mme [U].
L'expert judiciaire a rendu son rapport définitif le 21 mars 2018.
Par conclusions notifiées le 13 octobre 2021, les époux [L] sont intervenus volontairement à la procédure.
Par jugement rendu le 8 septembre 2022, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Strasbourg a :
- débouté la société Goldyx et les époux [L] de leur demande avant dire-droit de retour du dossier à l'expert ;
- déclaré irrecevables leurs demandes de provision ;
- condamné la société Goldyx et les époux [L] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise ;
- condamné in solidum la société Goldyx et les époux [L] à payer à la société Moebs la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire
- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres fins, moyens, demandes et prétentions.
Le tribunal a relevé que l'expert judiciaire avait, en page 17 de son rapport, décrit et évalué les travaux nécessaires pour remédier aux désordres constatés sur les radiateurs à la somme de 1 000 euros HT, conformément à sa mission, que les demandeurs ne versaient aux débats aucun autre élément permettant de remettre en cause cette évaluation, de sorte que le retour du dossier à l'expert n'apparaissait pas nécessaire.
Sur la réserve des droits, le tribunal a rappelé que la procédure diligentée par la société Goldyx et les époux [L] était présentée devant le tribunal statuant au fond et non en référé ou dans le cadre d'un incident de mise en état, que le tribunal devait trancher les demandes et prétentions formulées devant lui et n'avait pas à réserver d'éventuels droits.
Il a par ailleurs considéré qu'il était incompétent, en vertu de l'article 789 2° du code de procédure civile, pour allouer une provision, seul le juge de la mise en état étant compétent pour le faire, jusqu'à son dessaisissement, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Par déclaration d'appel transmise par voie électronique le 23 septembre 2022, les époux [L] et la société Goldyx ont interjeté appel de ce jugement, en ce qu'il les a déboutés de leur demande avant dire-droit de retour du dossier à l'expert, a déclaré irrecevables leurs demandes de provision, les a condamnés aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, et les a condamnés in solidum à payer à la société Moebs la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 1er octobre 2024.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 septembre 2023, la société Goldyx et les époux [L] demandent à la cour de :
- dire l'appel bien fondé
- infirmer le jugement entrepris des chefs visés dans la déclaration d'appel qu'ils reprennent ;
Statuant à nouveau,
- déclarer que les dysfonctionnements majeurs de l'installation de chauffage de l'immeuble constituent des désordres rendant l'immeuble impropre à sa destination ;
- déclarer que la société Moebs a engagé sa responsabilité décennale à l'égard de la SCI maître de l'ouvrage ;
En conséquence, ordonner le retour du dossier à l'expert aux fins de se prononcer sur le préjudice induit et notamment sur la mise en place d'une solution de remplacement ;
- réserver à la société Goldyx la faculté de chiffrer 'leur' préjudice, le cas échéant après retour du dossier à l'expert ;
- condamner la société Moebs à payer à la société Goldyx un montant de 15 000 euros à titre de provision sur son préjudice ;
- condamner la société Moebs à payer aux consorts [L] un montant de 15 000 euros à titre de provision sur leur préjudice ;
En tout état de cause,
- condamner la société Moebs à payer à la société Goldyx un montant de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de la procédure, incluant les frais d'expertise ;
- débouter la société Moebs de toutes conclusions contraires ainsi que de l'intégralité de ses fins, moyens, demandes et prétentions.
Au soutien de leurs prétentions, les appelants se référant à une décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendue le 13 avril 2023, pourvoi n° 21-21.463, soutiennent que c'est à tort que le tribunal a éludé la question de la garantie décennale, au seul motif que les demandes débutant par « dire et juger », « constater » ou encore « donner acte » ne constitueraient pas des prétentions, sans examiner au cas par cas si la demande constituait une prétention ou un simple rappel de moyens, alors qu'il était bien saisi de prétentions à cet égard.
Ils relèvent que, selon le rapport d'expertise, certains radiateurs fonctionnent mal et d'autres pas du tout, et invoquent la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle « des désordres affectant des éléments d'équipement, dissociable ou non, d'origine ou installées sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination », ce qui est le cas en l'espèce, l'ouvrage étant, dans son ensemble, impropre à sa destination et les désordres constatés sur les différents radiateurs et la chaudière relevant de la garantie décennale de l'article 1792 du code civil.
Les appelants soutiennent ensuite que, bien qu'il n'y ait pas eu de réception expresse des travaux, ils ont fait l'objet d'une réception tacite résultant du paiement intégral des factures de la société Moebs le 15 juin 2007, et du fait que la société Goldyx occupe effectivement les locaux depuis cette date qui doit être retenue comme étant celle de la réception, l'absence de réception contradictoire des travaux ne pouvant, en présence d'une réception tacite, être un obstacle à la mise en 'uvre de la responsabilité prévue aux articles 1792 et suivants du code civil.
Concernant l'impropriété de l'ouvrage à sa destination, les appelants font valoir que les juges de fond ne sont jamais liés par l'avis de l'expert judiciaire ; que selon une jurisprudence abondante une température trop faible pour une habitation, ou pour des bureaux, rend l'ouvrage impropre à sa destination, indépendamment de toute notion de solidité, stabilité ou de sécurité ; que selon Mme [U], il est impossible de dépasser la température de 19°C dans certaines pièces, sur la base de relevés de températures effectués alors qu'il y avait une température extérieure de 5°C ; qu'il s'en déduit que pendant les 60 jours de gel que connait [Localité 3], la température de ces pièces doit être bien inférieure à 19°C.
Les appelants soutiennent en outre que selon la jurisprudence récente, les constatations qui mettent en évidence une série de désordres, tel qu'un déséquilibre du chauffage dans toutes les pièces et une surconsommation énergétique rendent l'ouvrage impropre à sa destination, ce qui est le cas en l'espèce, de sorte qu'ils sont fondés rechercher la responsabilité décennale de la société Moebs dont l'installation n'a jamais fonctionné de façon satisfaisante, le dysfonctionnement des radiateurs faisant obstacle à une jouissance normale des lieux, sans recours à un mode complémentaire de chauffage, tant pour l'appartement occupé par les époux [L], que pour les bureaux que la SCI Goldyx loue à la société Comptoir de l'or.
En outre, la non-conformité des canalisations installées par la société Moebs a été relevée de façon claire et expresse par les différents professionnels amenés à intervenir de façon récurrente lors des inondations occasionnées.
La SCI Goldyx soutient que la non-conformité de l'installation de chauffage occasionne une moins-value substantielle à sa propriété, soulignant que l'installation de chauffage avait été facturée 36 248,34 euros de sorte que le montant de la provision demandée est parfaitement mesuré.
Les époux [L] qui occupent la partie habitation invoquent subir depuis plus de dix ans les dysfonctionnements de l'installation de chauffage, générant un certain inconfort en particulier l'hiver, et endurer des inondations récurrentes, notamment dans leur buanderie.
Ils estiment que le retour du dossier à l'expert est justifié, car il n'a pas formellement déféré à ses missions sur le coût de réalisation des travaux, qu'ils se réservent de chiffrer ce coût ainsi que le préjudice de jouissance, et la provision sollicitée leur permettra de faire face aux frais d'expertise complémentaire.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er décembre 2023, la société Moebs demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Goldyx et les époux [L] de leur demande avant dire-droit de retour du dossier à l'expert, déclaré irrecevables les demandes de provision de ces derniers, condamné la société Goldyx et les époux [L] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise et les a condamnés in solidum à payer à la société Moebs la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Subsidiairement,
- débouter la société Goldyx et les époux [L] de l'ensemble de leurs fins et conclusions ;
En toute hypothèse,
- condamner la société Goldyx et les époux [L] aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel ;
- condamner conjointement et solidairement la société Goldyx et les époux [L] à verser à la société Moebs la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société Moebs fait d'abord valoir que les demandes formulées devant le tribunal visant à « dire et juger », puis devant la cour à « déclarer » que « les dysfonctionnements majeurs de l'installation de chauffage de l'immeuble constituent des désordres rendant l'immeuble impropre à sa destination » et que « la société Moebs a engagé sa responsabilité décennale à l'égard de la société maître de l'ouvrage », ne constituent pas des prétentions, mais un rappel des moyens sur lesquels doivent se fonder des prétentions, qui n'ont pas été exprimées.
Subsidiairement, elle conteste que l'installation de chauffage soit affectée de désordres compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination, soulignant que le rapport d'expertise de M. [V] du 4 novembre 2009 ne relève aucun désordre relatif à l'installation de chauffage ; que les allégations de la société Goldyx affirmant qu'elle aurait sollicité à de multiples reprises l'intervention de l'intimée sont totalement mensongères, et ne sont étayées par aucune pièce, hormis un courrier simple, qui daterait de 2009, dont rien ne démontre ni l'envoi ni l'authenticité, ne concernant au surplus que le remplacement de pièces sur la chaudière.
L'intimée souligne que les appelants déclarent occuper les lieux depuis le 15 juin 2007 et que l'installation de chauffage n'aurait pas correctement fonctionné dès l'origine, alors qu'ils n'ont signalé aucun dysfonctionnement de l'installation de chauffage durant ces neuf années, ce qu'a d'ailleurs relevé Mme [U] ; que contrairement à ce qui est soutenu, la société Goldyx n'a employé aucun salarié au cours de l'année de référence et aucun effectif au cours du mois de décembre 2020, et qu'à supposer que le local ait été donné à bail, ce dont il n'est pas justifié, il n'est pas fait état d'une quelconque réclamation du preneur auprès du bailleur quant à la température des lieux.
Elle soutient que l'impropriété à destination qui doit affecter l'immeuble en sa globalité n'est pas établie, relevant que :
- le rapport de Mme [U] ne met en évidence aucun désordre de nature décennale, la température de 19°C qui est atteinte selon les appelants étant conforme aux dispositions de l'article R.241-26 du code de l'énergie, ainsi qu'aux préconisations gouvernementales actuelles s'agissant des températures recommandées ;
- l'expert a émis des hypothèses en indiquant qu'il y avait un probable déséquilibre de l'installation et une possible insuffisance de certains radiateurs, et indiqué qu'il convenait de « procéder d'abord au rééquilibrage de l'installation, opération qui devrait mettre fin au dysfonctionnement des radiateurs », pour un coût de 1 000 euros HT ; Mme [U] a exclu, de ce fait, le caractère décennal des désordres, sans que les appelants n'apportent le moindre élément technique probant et sérieux qui vienne contredire cette appréciation ;
- seuls 2 radiateurs, dans 2 pièces différentes dans un immeuble qui en comporte une dizaine sur plusieurs niveaux ne fonctionnent pas, la totalité de l'immeuble n'est donc pas concernée et ce d'autant moins que l'immeuble dispose également d'un chauffage au sol qui fonctionne parfaitement mais n'a pas été mis en route lors du passage de l'expert, de sorte que les conditions réelles de chauffage n'ont pas pu être vérifiées et aucun relevé de température n'a été effectué ;
- le dysfonctionnement de certains corps de chauffe est uniquement lié à un défaut d'entretien de l'installation pendant de nombreuses années.
La société Moebs relève par ailleurs que tous les autres constats de Mme [U] ne la concernent pas, notamment s'agissant de la canalisation en fonte, qu'elle n'a pas installé.
S'agissant du retour du dossier à l'expert, de la réserve des droits et des demandes de provisions, la société Moebs soutient que les appelants n'articulent aucune critique sur ces chefs de jugement et n'apportent pas le moindre élément susceptible de justifier un retour du dossier à l'expert. Elle fait siens les motifs du jugement sur ce point.
Enfin, l'intimée fait valoir que le maître d'ouvrage des travaux, auquel la garantie décennale pourrait être due s'il existait un désordre rendant l'ouvrage impropre à sa destination, est la société Goldyx et non les époux [L], avec lesquels elle n'a aucun lien contractuel, et qui, en tout état de cause, ne démontrent pas l'existence d'un préjudice susceptible d'ouvrir droit à indemnisation.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
Après avoir rappelé les dispositions des articles 768 et 4 du code de procédure civile, le tribunal a indiqué, à titre liminaire, qu'il ne répondrait pas aux demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'dire et juger' qui ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques et ne constituent pas des prétentions mais en réalité des moyens ou arguments, et ne s'est donc pas prononcé sur la question de la garantie décennale.
A hauteur de cour, les appelants demandent à la cour de : 'déclarer que les dysfonctionnements majeurs de l'installation de chauffage de l'immeuble constituent des désordres rendant l'immeuble impropre à sa destination' et de 'déclarer que la société Moebs a engagé sa responsabilité décennale à l'égard de la SCI maître de l'ouvrage'.
Si la première de ces demandes ne constitue pas une prétention mais un moyen venant au soutien de la seconde, en revanche cette dernière demande en tant qu'elle vise à voir reconnaître que la responsabilité décennale de la société Moebs est engagée constitue l'objet même de l'action des appelants qui sollicitent indemnisation de leur préjudice, et constitue donc une prétention à laquelle la cour doit répondre, conformément à l'article 954 du code de procédure civile.
Sur la responsabilité décennale de la société Moebs
Il est constant qu'aucune réception expresse n'est intervenue. Toutefois, la société Moebs ne conteste pas l'existence d'une réception tacite intervenue à la date du 15 juin 2007, caractérisée par la prise de possession des lieux par la SCI Goldyx, maître de l'ouvrage, et le règlement intégral du marché.
Selon l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Les appelants se plaignent de deux types de désordres, d'une part des inondations récurrentes de la buanderie, d'autre part des dysfonctionnements de l'installation de chauffage, générant une impossibilité d'atteindre une température suffisante dans certaines pièces, source d'inconfort.
S'agissant des inondations de la buanderie, il n'est nullement démontré que la société Moebs, qui n'était pas en charge du lot sanitaire, soit intervenue sur la canalisation en fonte litigieuse, de sorte que l'imputabilité des désordres à l'intimée n'est pas caractérisée, l'expert judiciaire ayant au surplus constaté que la pente de cette canalisation était réglementaire, contrairement à l'hypothèse émise par la société A l'eau le plombier.
S'agissant des dysfonctionnements affectant l'installation de chauffage, il convient tout d'abord de relever, comme le souligne la société Moebs, que les appelants qui affirment que l'installation n'aurait pas fonctionné de manière satisfaisante dès l'hiver 2006/2007, n'ont pas évoqué ce problème lors des opérations d'expertise de M. [V] qui a déposé son rapport en novembre 2009, alors même que la SCI Goldyx se plaignait de différents désordres et malfaçons qui ont été examinés par cet expert. Ils ne justifient pas non plus avoir adressé la moindre réclamation ou demande d'intervention à la société Moebs, hormis deux courriers du 6 février 2009 et du 6 octobre 2009 relatifs à un remplacement de pièces sur la chaudière, pris en charge par le fabricant, à un problème de fuite sur un radiateur, pour lequel la société Moebs est intervenue, et au dysfonctionnement d'un des thermomètres du plancher chauffant qui n'est plus en cause. Aucun de ces courriers ne fait mention d'une impossibilité de chauffer suffisamment l'immeuble, ni d'un inconfort thermique.
Mme [U], expert judiciaire, a constaté que la maison est équipée d'une installation de chauffage au gaz, comprenant un dispositif de chauffage au sol ponctuel au rez-de-chaussée et des radiateurs répartis dans l'ensemble des locaux sur 4 étages, deux radiateurs en fonte de l'installation existante ayant été maintenus au rez-de-chaussée.
Lors de sa visite sur les lieux le 19 décembre 2017, l'expert a constaté que le plancher chauffant du rez-de-chaussé n'était pas en fonction soulignant qu'il ne présenterait pas de dysfonctionnement selon le propriétaire, que deux radiateurs ne chauffaient pas du tout l'un dans la cuisine, cette pièce disposant de deux radiateurs, l'autre dans le dressing situé dans les combles, que quatre pièces, deux au rez-de-chaussée, le salon au 1er étage et le dressing dans les combles, étaient mal chauffées, la température ayant du mal à dépasser les 19 degrés, les corps de chauffe semblant insuffisants. L'expert excluait toutefois toute impropriété de l'immeuble à sa destination, et indiquait que les désordres étaient causés par un déséquilibre de l'installation dû à la conservation partielle de l'installation existante et notamment de radiateurs en fonte, une telle installation nécessitant des réglages précis. L'expert formulait également l'hypothèse d'un éventuel défaut de prise en compte des caractéristiques de l'immeuble présentant de grandes surfaces vitrées, à vérifier par un bilan thermique.
Mme [U] préconisait, dans un premier temps, de procéder à un rééquilibrage de l'installation, voire au changement du robinet thermostatique du radiateur du dressing, pour un coût estimé à 1 000 euros HT, et si les désordres perduraient, de faire réaliser un bilan thermique par un bureau d'études spécialisé, estimant toutefois, la démarche prématurée à ce stade. L'expert ayant répondu aux différents chefs de sa mission, la demande visant à lui retourner le dossier ne peut dès lors qu'être rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.
En l'état des constatations de l'expert dont il ressort que les dysfonctionnements constatés ne sont pas généralisés mais concernent seulement deux radiateurs et quatre pièces dans un immeuble comportant quatre niveaux et comptant une dizaine de pièces, et en l'absence de tout autre élément de preuve, tels que relevés de températures, attestations de témoins, ainsi que de toute réclamation des occupants sur ce point pendant neuf années, il n'est pas démontré que l'immeuble est impropre à sa destination, les appelants ne démontrant pas davantage que le rééquilibrage de l'installation préconisé par l'expert comme étant de nature à mettre fin aux dysfonctionnements constatés ne serait pas suffisant.
Il sera également relevé que l'expert n'a constaté aucune insuffisance de chauffage dans les pièces à usage de bureaux et que dans les quatre pièces insuffisamment chauffées, dont un dressing qui n'est pas une pièce de vie, la température relevée par l'expert est de 19 degrés, ce qui correspond à la température réglementaire préconisée par l'article R.241-26 du code de l'énergie en ce qui concerne les locaux à usage d'habitation et de bureaux.
Par voie de conséquence, et en l'absence de tout élément de preuve de nature à contredire les constatations de l'expert, il convient de rejeter la demande tendant à voir déclarer que la société Moebs a engagé sa responsabilité décennale à l'égard de la SCI maître de l'ouvrage.
Le jugement sera infirmé en tant qu'il a déclaré irrecevables les demandes de provision présentées par les époux [L] et par la SCI Goldyx, l'article 789 du code de procédure civile ne faisant pas obstacle à ce que le juge du fond qui est compétent pour se prononcer sur l'évaluation du préjudice éventuellement subi, puisse allouer une provision à valoir sur ce préjudice si le demandeur ne dispose pas des éléments suffisants pour le chiffrer de manière définitive. Ces demandes seront toutefois rejetées au vu de ce qui précède, la responsabilité décennale de la société Moebs n'ayant pas été retenue et aucun autre fondement n'étant invoqué.
Sur les dépens et les frais exclus des dépens
Le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.
Les appelants qui succombent supporteront les dépens d'appel et la SCI Goldyx sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera en revanche alloué à la société Moebs, sur ce fondement, une somme de 1 500 euros, à la charge des appelants in solidum.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 8 septembre 2022, sauf en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de provision des époux [L] et de la SCI Goldyx ;
INFIRME ledit jugement de ce seul chef ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et ajoutant au jugement,
REJETTE les demandes de provision présentées par la SCI Goldyx et les époux [S] [L] et [B] [K] ;
REJETTE la demande tendant à déclarer que la société Moebs a engagé sa responsabilité décennale à l'égard de la SCI maître de l'ouvrage ;
REJETTE la demande de la SCI Goldyx sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum la SCI Goldyx et les époux [S] [L] et [B] [K] aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la SARL Moebs une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,