Livv
Décisions

CA Besançon, 1re ch., 9 septembre 2025, n° 24/01166

BESANÇON

Arrêt

Autre

CA Besançon n° 24/01166

9 septembre 2025

Le copies exécutoires et conformes délivrées à

CS/[Localité 10]

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° de rôle : N° RG 24/01166 - N° Portalis DBVG-V-B7I-EZSF

COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2025

Décision déférée à la Cour : jugement du 03 juillet 2024 - RG N°24/00107 - TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LONS-LE-SAUNIER

Code affaire : 28A - Demande en partage, ou contestations relatives au partage

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, Président de chambre.

M. Cédric SAUNIER et Madame Bénédicte MANTEAUX, Conseillers.

Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DEBATS :

L'affaire a été examinée en audience publique du 03 juin 2025 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, M. Cédric SAUNIER et Madame Bénédicte MANTEAUX, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

L'affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [W] [S]

né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 9], de nationalité française, retraité,

demeurant [Adresse 4]

Représenté par Me Anne LHOMME de la SELARL BARDET LHOMME, avocat au barreau de JURA

ET :

INTIMÉES

Madame [F] [H] épouse [S]

née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 9] (21)

de nationalité française,

demeurant [Adresse 8]

Représentée par Me Sandra PREVALET de la SCP DEGRE 7, avocat au barreau de BESANCON

Madame [L] [S] épouse [A]

née le [Date naissance 6] 1969 à [Localité 9] (21), de nationalité française,

demeurant [Adresse 3]

Madame [M] [V] veuve [S]

née le [Date naissance 7] 1933 à [Localité 13] (39), de nationalité française,

demeurant [Adresse 5]

Défaillantes, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 05 septembre 2024

ARRÊT :

- REPUTE CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.

*************

Faits, procédure et prétentions des parties

[P] [S], agriculteur exploitant, est décédé le [Date décès 2] 2018 laissant comme héritiers son épouse Mme [M] [V] et ses trois enfants M. [W] [S], Mme [F] [S] épouse [H] et Mme [L] [S] épouse [A].

Estimant avoir participé aux travaux sur l'exploitation agricole de son père du 1er octobre 1975 au 31 décembre 1984 sans rémunération, M. [W] [S] a, par acte du 02 février 2023, fait assigner Mme [M] [V], Mme [F] [S] et Mme [L] [S] devant le tribunal judiciaire de Lons le Saunier aux fins que le montant de sa créance de salaire différé au jour du jugement soit fixé à la somme de 125 132 euros, avec réévaluation au jour du partage, outre frais irrépétibles et dépens.

Seule Mme [F] [S] a constitué avocat en première instance, en sollicitant le rejet de la demande formée par son frère et subsidiairement l'octroi d'une délai de paiement de dix ans à la succession.

Par jugement réputé contradictoire rendu le 03 juillet 2024, le tribunal judiciaire de Lons le Saunier a :

- débouté M. [W] [S] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné M. [W] [S] à payer à Mme [F] [S] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [W] [S] aux entiers dépens de la présente instance, avec distraction ;

- constaté l'exécution provisoire de la décision.

Pour parvenir à cette décision, le tribunal a considéré :

- que conformément à l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime, le bénéfice du salaire différé est subordonné à trois conditions : être descendant ou conjoint de descendant de l'exploitant agricole et être âgé de 18 ans, avoir participé directement et effectivement à l'exploitation, ne pas avoir été associé aux résultats de l'exploitation et ne pas avoir reçu de salaire en argent en contrepartie de la collaboration ;

- que si M. [W] [S] demande l'attribution d'un salaire différé indiquant être intervenu en qualité d'aide familial durant une période de quatre-vingt- quatorze mois du 1er octobre 1975 au 31 décembre 1984 :

. les attestations aux termes desquelles il aurait aidé ses parents qu'il produit ne sont pas suffisamment circonstanciées concernant la période dont il s'agit ainsi que la fréquence et l'importance de l'aide apportée ;

. il a eu une activité salariée hors de la ferme durant cette période, au sujet de laquelle il ne produit aucun élément de nature à en apprécier l'importance ainsi que la possibilité de travailler dans le même temps, à la ferme ;

. il ne verse aucun élément relatif à ses revenus sur la période concernée, de nature à exclure la perception d'une rémunération de la part de son père ;

. les seules attestations manuscrites qui n'ont qu'une valeur déclarative ne suffisent pas à démontrer la réalité d'une participation directe et effective à l'exploitation agricole ;

. il n'est pas non plus démontré que la participation de M. [S] n'a donné lieu à aucune contrepartie financière ni qu'il n'a pas participé aux bénéfices et pertes de l'exploitation.

- oOo-

Par déclaration du 29 juillet 2024, M. [W] [S] a relevé appel de l'entier jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 05 mai 2025, il demande à la cour de réformer le jugement dont appel et, statuant à nouveau :

- de 'juger' sa demande recevable et fondée ;

- de 'juger' qu'il remplit l'ensemble des conditions nécessaires pour bénéficier de la créance de salaire différé sur la succession de [P] [S] ;

- de 'juger' qu'il bénéficie sur la succession d'une créance de salaire différé fixée au jour de l'arrêt à 126 544,68 euros ;

- de 'juger' que le montant de cette créance devra être réévalué au jour du partage de la succession de [P] [S], en fonction du SMIC en vigueur au jour du partage ;

- de débouter Mme [F] [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- de la condamner à lui verser une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

- de la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, M. [W] [S] fait valoir :

> sur l'existence de la créance de salaire différé :

- qu'il a débuté sa participation aux travaux de l'exploitation depuis l'âge de quatorze ans, de sorte que la période ouvrant droit à salaire différé s'étend du 1er octobre 1975 au 31 décembre 1984 ;

- qu'il produit de nombreuses attestations de témoins suffisamment précises et détaillées dont l'attestation de sa mère et celle de la [12] ([11]) qui précise qu'il a eu la qualité d'aide familial de son père ;

- que contrairement à ce que prétend Mme [F] [S], ce dernier était exploitant agricole ainsi qu'il résulte de l'attestation de la [11] et des témoignages versés aux débats ;

> sur la preuve de la participation aux travaux :

- qu'il a participé personnellement et de façon habituelle aux travaux sur l'exploitation agricole de son père du 1er octobre 1975 au 31 décembre 1984, sans recevoir de salaire et sans participer aux bénéfices et pertes de l'exploitation ;

- que sa mère atteste de sa participation aux travaux ;

- que son travail en dehors de l'exploitation agricole durant certaines périodes ne l'empêchait pas d'assurer des travaux comme la litière et la traite des animaux matin et soir avant et après son travail ;

- que les attestations précises de M. [E], Mme [R], M. [Y] et M. [J] indiquent qu'il a participé aux travaux de l'exploitation agricole sur cette période tels que le soin des animaux, les clôtures, les travaux dans les champs, la sortie du fumier de l'écurie, le traitement et désherbage, moissons, fenaisons, labours, semences, entretien des bâtiments agricoles et réparation du matériel ;

- que compte tenu du temps écoulé, les témoins ne peuvent être précis sur les dates exactes mais qu'il ressort des attestations que la période travaillée s'étend sur plus de dix ans ;

> sur la preuve de la non-association aux bénéfices et pertes de l'exploitation :

- que sa mère atteste de sa participation gratuite aux travaux, sans salaire et sans participation aux bénéfices et aux pertes de l'exploitation ;

- que le statut d'aide familial est exclusif d'un statut salarié ;

- que s'il était logé et nourri, ces éléments ce sont pas pris en considération au titre de la créance de salaire différé comme le rappelle la Cour de cassation ;

- que conformément à l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime, les différents avantages en nature inhérents à la communauté de vie sur l'exploitation ne s'opposent pas au bénéfice du salaire différé et ne viennent en déduction sauf à démontrer qu'il s'agit en réalité d'une rémunération indirecte ;

- qu'il n'a pas vendu du lait et des veaux puisqu'il n'avait pas la qualité d'exploitant ;

- que la donation du 15 septembre 1986 d'une maison à son profit est sans rapport avec la demande de reconnaissance de salaire différé ;

- que pendant cette période, c'est son épouse qui a fait vivre leur famille en travaillant à temps plein comme secrétaire commerciale ;

> sur le quantum de la créance :

- qu'il indique avoir déduit les périodes de travail à l'extérieur de l'entreprise familiale, de sorte qu'il limite pour cette raison sa créance à quatre-vingt-quatorze mois, au regard du montant total de sa créance qui s'élève à la somme de 126 544,68 euros ;

- qu'il n'a pas pu valider de trimestre de retraite puisqu'il travaillait sur l'exploitation de son père ;

> sur l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime et la demande de délais de paiement :

- qu'en l'absence de précisions sur les biens objets d'éventuelles donations, la demande de Mme [F] [S] tendant à rappeler que la créance est plafonnée à l'actif de la succession et ne pourra pas donner lieu à paiement de la soulte à la charge des cohéritiers doit être rejetée ;

- que de même, la demande de délai de paiement présentée par cette dernière doit être rejetée, dans la mesure où sa créance devra être réglée au moment du partage de la succession.

- oOo-

Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 12 mai 2025, Mme [F] [S] demande à la cour :

A titre principal :

- de confirmer le jugement critiqué ;

- de débouter M. [W] [S] de l'intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

- de rappeler que la créance de salaire différée est plafonnée à l'actif de la succession et ne pourra pas donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers ;

- d'accorder un délai de dix ans à la succession pour s'acquitter de la dette éventuelle de salaire différé ;

En tout état de cause :

- de débouter les parties de toutes demandes contraires ;

- le cas échéant, de dire et juger que les éventuels frais irrépétibles et dépens seront employés en frais de partage et supportés par chaque partie à proportion de ses droits dans la succession ;

- de condamner M. [W] [S] à lui payer une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir :

> sur la participation directe et effective aux travaux :

- que M. [W] [S] ne rapporte pas cette preuve, dans la mesure où les attestations versées ne sont pas probantes puisqu'elles ne précisent ni la fréquence ni l'ampleur de l'aide apportée ;

- que s'agissant de la lettre de la [11], la qualité d'aide familial affilié à la [11] est insuffisante pour établir la réalité d'une participation directe et effective ;

- qu'au cours de la période pour laquelle M. [W] [S] revendique des salaires différés, il a occupé plusieurs emplois salariés étrangers à l'exploitation agricole familiale ce qui signifie qu'il n'était pas disponible pour exploiter effectivement et directement la ferme familiale ;

- qu'ainsi, il justifie au mieux de travaux occasionnels, ce qui est insuffisant pour qualifier un contrat de travail à salaire différé ;

> sur la preuve de la non-association aux bénéfices et pertes et l'absence de contrepartie financière :

- que la simple attestation de sa mère, qui ne rapporte aucun élément de détail ou fait concret et précis, est manifestement insuffisante pour étayer cette condition nécessaire pour retenir la notion de créance de salaire différé ;

- que M. [W] [S] utilisait les moyens matériels de l'exploitation à des fins personnelles ce qui exclut tout droit à un salaire différé ;

- qu'il verse en procédure ses déclarations de revenus permettant de constater que des revenus ont été déclarés pour les années 1978 à 1982 sans qu'il n'apporte aucune précision sur la provenance de ces sommes, ni ne produise aucun bulletin de salaire ni avis d'imposition ou comptabilité de l'exploitation agricole ;

> sur les contreparties reçues valant paiement :

- que M. [W] [S] a été hébergé par ses parents à titre gratuit, en bénéficiant d'un logement indépendant et totalement rénové y compris après son mariage et la naissance de son premier enfant ;

- qu'il utilisait à des fins personnelles le cheptel, le matériel agricole et les parcelles de prés et de bois en encaissant le produit des ventes ;

- que par acte du 14 avril 1987 il a bénéficié d'une donation de [P] [S] d'une maison d'habitation au sein de laquelle il réside encore aujourd'hui ;

- que pour ces raisons, si M. [W] [S] est susceptible de prétendre à des salaires différés, il convient de constater que le paiement a été largement effectué ;

> sur la preuve de la qualité d'exploitant :

- que l'appelant ne rapporte aucun élément de nature à justifier de la qualité d'exploitant agricole de [P] [S] au cours de la période du 1er octobre 1975 au 31 décembre 1984 pendant laquelle il dit avoir participé à l'exploitation ;

- que l'attestation de la [11] est purement déclarative ;

> sur le rappel de L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime et les délais de paiement :

- que dans l'hypothèse où la créance de salaire différé est supérieure à l'actif net successoral, les héritiers ne sont pas tenus de verser le complément de leurs deniers personnels ;

- qu'au regard de la somme demandée par M. [S], elle demande un délai jusqu'au [Date décès 2] 2028 pour que la succession puisse s'acquitter de la dette de salaire différé.

- oOo-

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

La déclaration d'appel a été signifiée à Mme [M] [V] et à Mme [L] [S] le 05 septembre 2024 par acte remis à personne.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mai 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 3 juin 2025. Elle a été mise en délibéré au 09 septembre 2025.

En application de l'article 474, alinéa 1, du code de procédure civile, le présent arrêt est réputé contradictoire.

Motifs de la décision

- Sur le principe d'une créance de salaire différé,

L'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable à la date de l'ouverture de la succession de [P] [S], dispose que les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé.

Les dispositions précitées réservent le bénéfice d'une créance de salaire différé aux descendants d'un exploitant agricole, qualité d'exploitant qui ne se confond pas avec celle de propriétaire.

En l'espèce, la qualité d'exploitant agricole de [P] [S] est corroborée par la mention 'agriculteur retraité' figurant sur son acte de décès, par la mention 'cultivateur' figurant sur son livret de famille, par l'attestation établie le 29 janvier 2019 par la [11] et par les attestations établies par M. [N] [E], M. [T] [R], M. [T] [Y] ainsi que par M. [D] [J].

Mme [F] [S] se borne à arguer du défaut de preuve de l'activité exercée par son père, sans pour autant produire d'élément de nature à établir une qualité différente de celle d'exploitant agricole, manifestement connue de l'ensemble des personnes évoquant la vie à la ferme de [P] [S] et de son épouse.

Si la seule inscription à la [11] comme aide familial est insuffisante à établir une participation effective et gratuite, les dispositions précitées n'exigent pas une participation quotidienne à l'exploitation agricole ni que celle-ci soit permanente et exclusive, dès lors qu'elle n'est pas simplement occasionnelle.

En l'espèce, indépendamment de l'inscription effective de M. [W] [S] à la [11] en qualité d'aide familial, la participation de ce dernier à l'exploitation agricole de son père est rapportée par diverses attestations établies :

- par sa mère, qui indique que cette aide a débuté aux quatorze ans de son fils, soit en 1969 pour être né le [Date naissance 1] 1955, pour se terminer en 1984 ;

- par M. [N] [E], qui évoque la même date de début de participation aux soins des animaux, clôtures, labours, semis, traitements, moissons, fenaisons et coupes de bois ;

- par M. [T] [R], qui décrit une participation de 1970 à 1984 aux soins des animaux, clôtures et divers travaux des champs ;

- par M. [T] [Y] qui évoque cette participation depuis l'âge de quatorze ans ;

- par M. [D] [J] qui mentionne le même âge et une contribution aux travaux des champs, fauche des foins, semis, grandes cultures, traitements, desherbage, soins aux animaux ainsi qu'à l'amélioration de l'exploitation à travers diverses constructions.

Les copies de déclarations de revenus effectuées au titre des années 1977 à 1983 corroborent cette aide familiale en ce que M. [W] [S] y a apposé systématiquement la mention 'agriculteur (aide familiale agricole)'. Si ces mentions sont purement déclaratives, elles l'ont été quarante ans avant l'ouverture de la succession de son père, de sorte qu'une manoeuvre intéressée de sa part est exclue.

Il résulte par ailleurs du relevé de carrière de M. [W] [S] et des bulletins de paie qu'il produit qu'il a exercé, alors que son épouse travaillait, des activités salariées par intermittence du 07 novembre 1972 au 05 mai 1973, du 1er décembre 1973 au 31 mai 1974, du 1er novembre 1975 au 31 décembre 1978, du 1er janvier 1980 au 31 décembre 1984 puis du 03 au 26 janvier 1990. Les fiches de paie mentionnent des durées de travail mensuelles très variables, parfois de l'ordre de trente heures.

Ces modalités de travail ne présentent, malgré les affirmations contraires de Mme [F] [S], aucune incompatibilité avec les tâches susvisées qui revêtent, pour l'essentiel, une saisonnalité importante.

L'ensemble de ces éléments, non sérieusement contredits par l'intimée, permettent d'établir que M. [W] [S] a travaillé comme aide familial sur l'exploitation de son père en y accomplissant des travaux agricoles dont la nature résulte des attestations susvisées et dépasse le seul soutien apporté à la communauté familiale ou de simples travaux occasionnels.

Il est enfin constant qu'il appartient au bénéficiaire du salaire différé d'apporter la preuve qu'il n'a pas été associé aux bénéfices au cours de l'exploitation en commun et n'avait reçu aucun salaire en contrepartie de sa collaboration à l'exploitation.

En l'espèce, M. [W] [S] produit aux débats l'attestation de sa mère aux termes de laquelle il n'a perçu aucune rémunération rétribuant son travail d'aide à la ferme de son époux, tandis que l'appelant atteste de l'emploi salarié de sa conjointe durant l'intégralité de la période litigieuse, à savoir en qualité de secrétaire du 1er novembre 1975 au 30 juin 1977, du 19 septembre 1977 au 11 janvier 1979, pui en qualité d'employée du 15 janvier 1979 au 06 juin 1984. Il atteste donc de ressources familiales additionnelles à celles issues de son propre travail salarié tel qu'exposé ci-avant, dont il résulte des déclarations fiscales susvisées qu'elles sont restées la plupart du temps résiduelles.

Il ne résulte de ces éléments aucune perception d'une rétribution régulière et exclusive du salaire différé.

Mme [F] [S] ne produit aucun élément de nature à étayer son affirmation aux termes de laquelle son frère utilisait les moyens matériels de l'exploitation à des fins personnelles et a procédé à la vente à son profit des ressources produites par la ferme.

De même, la mise à disposition de M. [W] [S] d'un logement à titre gratuit de la part de ses parents, à la supposer établie, ne correspond pas en soi à une rémunération au titre de la participation aux travaux agricoles au regard du fait que l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime, fondant la demande, conditionne la créance de salaire différé à l'absence de perception d'un salaire en argent en contrepartie de la collaboration.

Par ailleurs, la donation-partage d'un bien immobilier est sans incidence sur l'appréciation d'une rétribution du salaire différé en ce qu'elle ne constitue qu'une avance sur le partage successoral prise en compte lors des opérations de liquidation-partage.

Il en résulte que l'absence de rétribution est établie par M. [W] [S].

La demande formée par ce dernier au titre d'une créance de salaire différé est donc bien fondée en son principe.

- Sur le montant de la créance de salaire différé,

Aux termes de l'article L. 321-17 du code rural et de la pêche maritime, les droits de créance au titre du salaire différé ne peuvent en aucun cas, et quelle que soit la durée de la collaboration apportée à l'exploitant, dépasser, pour chacun des ayants droit, la somme représentant le montant de la rémunération due pour une période de dix années, et calculée sur les bases fixées au deuxième alinéa de l'article L. 321-13.

Cette dernière disposition prévoit que le taux annuel du salaire sera égal, pour chacune des années de participation, à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2 080 fois le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur, soit au jour du partage consécutif au décès de l'exploitant, soit au plus tard à la date du règlement de la créance, si ce règlement intervient du vivant de l'exploitant.

Etant rappelé que la preuve de la participation de M. [W] [S] aux travaux de l'exploitation est établie depuis l'âge de quatorze ans, mais qu'il n'a atteint l'âge de dix-huit ans que le 06 septembre 1973, la période ouvrant droit à salaire différé a débuté à l'issue de son service national dont il a été libéré le 25 septembre 1975 jusqu'au 31 décembre 1984 telle que résultant de sa demande.

M. [W] [S] a cependant expressément indiqué limiter sa demande à la période de quatre-vingt-quatorze mois.

Eu égard à la fixation du salaire minimum interprofessionnel de croissance à la somme de 11,65 euros au 1er mai 2023, il en résulte une créance qui doit être chiffrée à la date précitée à la somme mensuelle de 2/3 x [(2080 x11,65) / 12] = 1 346,22 euros, soit pour la durée de quatre-vingt-quatorze mois 1 346,22 x 94 = 126 544,68 euros, à actualiser en fonction du montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance à la date du partage.

Après infirmation du jugement en ce qu'il a débouté M. [W] [S] de l'ensemble de ses demandes, sa créance de salaire différé sur la succession sera donc fixée à hauteur de ce montant.

- Sur les modalités de paiement de la créance de salaire différé,

L'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable à la date de l'ouverture de la succession de [P] [S], dispose que la prise en compte du salaire différé pour la détermination des parts successorales ne peut donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers.

Il résulte de ces dispositions qu'indépendamment des actifs successoraux et des éventuelles donations antérieures rapportables et tels qu'invoqués par Mme [F] [S], les héritiers ne seront pas tenus de verser le complément de leurs deniers personnels dans l'hypothèse où la créance de salaire différé serait supérieure à l'actif net successoral.

Aux termes de l'article L. 321-17 du code rural et de la pêche maritime, le bénéficiaire d'un contrat de salaire différé exerce son droit de créance après le décès de l'exploitant et au cours du règlement de la succession ; cependant l'exploitant peut, de son vivant, remplir le bénéficiaire de ses droits de créance, notamment lors de la donation-partage à laquelle il procéderait.

Toutefois, le bénéficiaire des dispositions de la présente sous-section, qui ne serait pas désintéressé par l'exploitant lors de la donation-partage comprenant la majeure partie des biens, et alors que ceux non distribués ne seraient plus suffisants pour le couvrir de ses droits, peut lors du partage exiger des donataires le paiement de son salaire.

En application de ces mêmes dispositions, le paiement du salaire différé ou l'attribution faite au créancier, pour le remplir de ses droits de créance, ne donne lieu à la perception d'aucun droit d'enregistrement. Les délais et modalités de paiement sont fixés, s'il y a lieu, dans les conditions prévues à l'article 924-3 du code civil.

Cette dernière disposition précise que l'indemnité de réduction est payable au moment du partage, sauf accord entre les cohéritiers. Toutefois, lorsque la libéralité a pour objet un des biens pouvant faire l'objet d'une attribution préférentielle, des délais peuvent être accordés par le tribunal, compte tenu des intérêts en présence, s'ils ne l'ont pas été par le disposant. L'octroi de ces délais ne peut, en aucun cas, avoir pour effet de différer le paiement de l'indemnité au-delà de dix années à compter de l'ouverture de la succession. Les dispositions de l'article 828 sont alors applicables au paiement des sommes dues.

A défaut de convention ou de stipulation contraire, ces sommes sont productives d'intérêt au taux légal à compter de la date à laquelle le montant de l'indemnité de réduction a été fixé. Les avantages résultant des délais et modalités de paiement accordés ne constituent pas une libéralité.

En cas de vente de la totalité du bien donné ou légué, les sommes restant dues deviennent immédiatement exigibles ; en cas de ventes partielles, le produit de ces ventes est versé aux cohéritiers et imputé sur les sommes encore dues.

Il en résulte que la créance de salaire différé de M. [W] [S] sera réglée au moment du partage de la succession, de sorte que la demande de délai de paiement présentée par l'intimée sera rejetée.

Par ces motifs,

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :

Infirme, dans les limites de l'appel, le jugement rendu entre les parties le 03 juillet 2024 par le tribunal judiciaire de Lons le Saunier ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Fixe la créance de salaire différé de M. [W] [S] dans la succession de [P] [S], dans la limite de l'actif successoral à partager, à la somme de 126 544,68 euros, sur la base du montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance au 1er mai 2023 à actualiser en fonction du montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance à la date du partage ;

Déboute Mme [F] [S] de sa demande de délai de paiement ;

La condamne aux dépens de première instance et d'appel ;

Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, la déboute de sa demande et la condamne à payer à M. [W] [S] la somme de 3 000 euros.

Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site