CA Paris, Pôle 1 - ch. 2, 11 septembre 2025, n° 24/18264
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 2
ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2025
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/18264 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKI4O
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Octobre 2024 -Président du TC de [Localité 5] - RG n° 2024050497
APPELANTE
S.A.S. BARENTS RISK MANAGEMENT, RCS de [Localité 5] sous le n°539 860 619, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Blandine DAVID de la SELARL KAEM'S AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R110
Ayant pour avocat plaidant Me Guillaume KRAFFT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0001
INTIMÉE
S.A.S. CABINET HFR, RCS de [Localité 5] sous le n°841 367 774, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocats plaidants Me Philippe LAUZERAL et Me Valentin BESNARD, du barreau de PARIS, toque : L265
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Juin 2025, en audience publique, Michèle CHOPIN, Conseillère, ayant été entendue en son rapport dans les conditions prévues par les articles 804 et 906 du code de procédure civile, devant la cour composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
EXPOSE DU LITIGE
Aux termes d'un pacte d'actionnaire signé le 23 décembre 2020 entre la société Cabinet HFR et la société BRM Barents SCA, associée unique de la société Barents risk management, la société Cabinet HFR est entrée au capital de la société Barents risk management à hauteur de 50% de ses actions.
Les parties au contrat ont également signé une convention de co-courtage en assurance.
Des dissensions étant apparues entre les deux sociétés, des discussions ont eu lieu à compter du mois de juin 2023 afin de convenir d'une séparation amiable et de la sortie de la société Cabinet HFR du capital de la société Barents risk management.
Ces discussions ont abouti, le 26 mars 2024, à la signature des contrats suivants :
une " Convention de Cessions d'Actions " aux termes de laquelle la société Cabinet HFR a cédé ses parts à la société BRM Barents SCA ;
un " Protocole d'Accord " par lequel a été conclu un " Plan d'Apurement et de Séparation " entre les parties ;
un " Accord Additionnel " par lequel M. [J], ès qualités de président et associé opérationnel de la société Cabinet HFR, et M. [Y], ès qualités d'associé opérationnel de la société Cabinet HFR, ont souscrit des engagements personnels dans le cadre du plan d'Apurement et de Séparation.
Le Protocole d'Accord prévoyait notamment le paiement par la société Cabinet HFR à la société Barents risk management d'une somme de 500.000 euros destinée à éteindre certaines créances de cette dernière.
Exposant que la société Cabinet HFR n'a pas exécuté les termes des accords de séparation précités, la société Barents risk management a mis en demeure la société Cabinet HFR le 3 juin 2024 d'exécuter le Protocole d'Accord.
Par lettre du 18 juin 2024, la société Cabinet HFR a indiqué qu'elle contestait la validité de ce Protocole d'Accord.
Le 24 juin 2024, la société Barents risk management a mis en demeure la société Cabinet HFR de lui régler la somme de 547.853 euros, somme qui a été contestée par la société Cabinet HFR.
Par exploit du 8 août 2024, la société Barents risk management a fait assigner la société Cabinet HFR devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir condamner la société Cabinet HFR à payer à la société Barents risk management la somme, en principal, de 547.853 euros, à titre de provision, augmentée d'un intérêt de 6% par an à compter du 26 mars 2024 avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil.
Par exploit du 10 septembre 2024, la société Cabinet HFR a fait assigner la société Barents risk management devant le juge du fond du tribunal de commerce de Paris afin de voir constater la nullité du Protocole d'Accord.
Par ordonnance contradictoire du 16 octobre 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
dit n'y avoir lieu à référé, ni à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Barents risk management aux entiers dépens, dont ceux à régler au greffe liquidés à la somme de 39,92 euros TTC dont 6,44 euros de TVA.
Par déclaration du 24 octobre 2024, la société Barents risk management a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 23 mai 2025, la société Barents risk management demande à la cour de :
infirmer l'ordonnance de référé rendue le 16 octobre 2024 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;
et statuant à nouveau et y ajoutant,
condamner la société Cabinet HFR à lui payer la somme, en principal, de 547.853 euros, à titre de provision, augmentée d'un intérêt de 6% par an à compter du 26 mars 2024, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
condamner la société Cabinet HFR à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
condamner la société Cabinet HFR aux entiers dépens de la présente instance ;
débouter la société Cabinet HFR de toutes ses demandes, fins et prétentions.
La société Barents risk management soutient que l'obligation de la société Cabinet HFR n'est pas sérieusement contestable, et qu'elle résulte des termes clairs du Protocole d'accord auquel la société Cabinet HFR a consenti. Elle précise que, si ce protocole prévoit des facilités de paiement pour la société Cabinet HFR, et notamment un paiement échelonné de la somme arrondie de 500.000 euros au lieu de 547.853 euros, la clause de défaut majeur insérée au contrat prévoit que la somme de 547.853 euros devient immédiatement exigible en cas de non-respect par M. [J] ou par la société Cabinet HFR de leurs obligations essentielles. Elle ajoute que le non-respect du calendrier de paiement de la dette Cabinet HFR de 500.000 euros et de la dette Pare de 47.853 euros a entraîné l'activation de cette clause de défaut majeur.
La société Barents risk management prétend que la saisine du juge du fond le 10 septembre 2024 n'a aucune incidence sur la présente procédure. Elle considère aussi que le moyen de la société Cabinet HFR qui argue de la nullité du Protocole d'Accord est purement dilatoire et impropre à constituer une contestation sérieuse. Elle rappelle que l'intimée a été accompagnée par un cabinet d'affaires pendant les négociations de cette convention et n'est donc pas fondée à prétendre qu'elle ne savait à quoi elle s'engageait. La société Barents risk management considère enfin qu'il n'existe aucune lésion dans ce contrat qui a été conclu dans l'intérêt exclusif de la société Cabinet HFR.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 21 mai 2025, la société Cabinet HFR demande à la cour de :
confirmer l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2024 en toutes ses dispositions ;
y ajoutant,
condamner la société Barents risk management à lui payer à la société la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts pour appel abusif ;
condamner la société Barents risk management à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
condamner la société Barents risk management aux entiers dépens de l'instance.
Et en tout état de cause,
débouter la société Barents risk management de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
La société Cabinet HFR soutient notamment que la demande de l'appelante est sérieusement contestable, le Protocole d'Accord faisant l'objet d'une action en nullité devant le juge du fond du tribunal de commerce de Paris.
Elle considère tout d'abord que le Protocole d'Accord est nul en raison de l'absence de concessions réciproques ou, à tout le moins, en raison d'une contrepartie dérisoire de la part de la société Barents risk management. Elle expose également que la société Barents risk management a refusé de céder une partie du portefeuille client à la société Cabinet HFR après leur séparation.
Elle fait valoir ensuite que ce protocole est nul en raison de la prohibition des clauses léonines, caractérisées en l'espèce par la prise en charge de l'intégralité des pertes à apurer de la société Barents risk management malgré sa détention de 50% du capital. Elle argue de ce que la demande de contribution aux pertes de la société Barents risk management en cours de vie sociale contrevient aux statuts de cette dernière, qui ne prévoient pas une telle obligation.
Enfin, elle indique que ledit protocole est nul du fait de la non-réalisation d'une de ses conditions essentielles, à savoir la signature d'un protocole transactionnel définitif dans les trente jours de la signature du Protocole d'Accord. Elle ajoute que la société Barents risk management n'a pas exécuté sa seule obligation au titre de cet accord consistant à avertir le client Paref de leur séparation.
Elle ajoute que la non-exécution, par chacune des parties au contrat, de leurs obligations essentielles doit entraîner sa caducité. Elle soutient également que la nullité de l'accord de cession à vil prix rejaillit sur le Protocole d'Accord qui est également nul.
Elle conclut enfin que l'appel de la société Barents risk management est abusif et doit faire l'objet d'une condamnation.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 mai 2025.
SUR CE,
Selon l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce, peut, dans les limites de la compétence du tribunal, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il résulte des pièces produites que la société Cabinet HFR est entrée en décembre 2020 au capital de la société Barents risk management à hauteur de 50% après signature d'un pacte d'actionnaires signé par les sociétés HFR et Barents sca et d'une convention de co-courtage entre les sociétés HFR et Barents risk management.
Il résulte du protocole produit, dit protocole de séparation, signé le 26 mars 2024, entre les sociétés BRM Barents sca, Barents risk management, le cabinet HFR, M. [J] et M. [M] qu'il est mis fin au partenariat entre les sociétés Cabinet HFR et Barents sca par la mise en 'uvre d'un plan d'apurement et de séparation en plusieurs phases :
a) Mise en 'uvre de changements de gouvernance,
b) Remboursement de la dette du cabinet HFR et octroi de garanties y afférent,
c) Cession des actions détenues par la société Cabinet HFR dans la société Barents risk management à la société Barents sca et le transfert d'activités entre la société Barents risk management et la société cabinet HFR de manière à permettre à la société Cabinet HFR à continuer à développer des activités dans l'activité vie tandis que la société Barents risk management pourra se concentrer sur le développement de l'activité non vie,
d) La cession des actions détenues par M. [M] dans la société Cabinet HFR aux associés de la société Cabinet HFR,
e) D'autres engagement spécifiques.
Il est constant que le protocole d'accord s'est accompagné d'une convention de cessions d'actions et d'un accord additionnel par lequel M. [J], président et associé opérationnel de la société Cabinet HFR et M. [Y], associé opérationnel de la société Cabinet HFR, ont souscrit des engagements personnels dans le cadre du plan d'apurement et de séparation.
Aux termes de ces actes, il apparaît que :
Le protocole est indissociable de l'accord additionnel et de la convention de cessions d'actions, le tout formant un ensemble contractuel complexe,
Ledit protocole entend en premier lieu fixer la dette dite « dette HFR » selon un montant « forfaitaire et transactionnel » de 500.000 euros,
Ce montant selon l'article I.I du protocole se décompose ainsi : montant nominal des actions souscrites par la société Cabinet HFR et non libéré à la date d'effet d'un montant de 187.500 euros, le montant partiel de la créance de la société Barents risk management envers la société Cabinet HFR incluant la dette Paref pour la période jusqu'au 31 décembre 2022 (mais excluant la dette Paref pour l'année 2023) d'un montant de 217.356,34 euros, un montant complémentaire arrêté en commun correspondant à une partie des pertes cumulées par la société Barents risk management depuis la réalisation de l'investissement, ainsi que des sommes d'un montant cumulé de 120.000 euros dues à la société Barents risk management par M. [J] à titre personnel et/ou par la société Cabinet HFR « qui en restent redevables à titre personnel tant que celles-ci n'auront pas été réglées entièrement pour son compte par la société Cabinet HFR », de sorte que cette dette « forfaitaire et transactionnelle » comporte une partie indéterminée,
La dette Paref 2023 est définie comme la somme forfaitaire de 47.853 euros due par la société Cabinet HFR et correspondant aux commissions versées ou à verser par Paref ou les assureurs à la société HFR au titre de l'année 2023 et restant dues,
Il en ressort a minima, outre qu'une partie de l'engagement de la société Cabinet HFR est indéterminée, ce qui est contradictoire avec le caractère « forfaitaire » et transactionnel, donc susceptible de mettre fin à un litige entre les parties, que ces sommes mentionnées, qui forment la dette de la société Cabinet HFR, et qui sont garanties à titre personnel par M. [J], se présentent comme le seul engagement des sociétés Barents risk management et Barents sca, qui en ont accepté le montant,
Par ailleurs, plus loin dans le protocole dont s'agit, figure un engagement pris par la société HFR de non-sollicitation de la clientèle de la société Barents risk management, engagement qui ne comporte aucun engagement parallèle de la société Barents risk management,
Il résulte en outre de l'économie générale de ce protocole susvisé que la garantie personnelle consentie par M. [J] ne se justifie que par la cessation du partenariat entre les sociétés Cabinet HFR et Barents risk management, alors que l'accord additionnel prévoit que M. [J] et M. [Y] doivent verser personnellement et affecter 50% de leur quote-part de revenu direct ou indirect dans la société Cabinet HFR en vue du remboursement de la dette HFR et de la dette Paref 2023 et de la " dette sociale " elle-même indéterminée,
Il doit être relevé enfin que la cession par la société Cabinet HFR des 50% du capital est prévue pour 1 euro,
Sans même qu'il soit besoin de déterminer si le protocole et les actes indissociables dont il est demandé l'exécution contiennent des clauses léonines, et étant relevé que le tribunal judiciaire de Paris est saisi au fond du litige portant sur la validité dudit protocole, il résulte de l'ensemble que ce protocole du 26 mars 2024 est susceptible d'être affecté d'une irrégularité en ce que, avec l'évidence requise en référé, la réciprocité des concessions n'est pas établie.
S'il n'entre pas dans les pouvoirs de la juridiction des référés de prononcer la nullité d'un contrat, il lui incombe cependant de relever les difficultés susceptibles de faire obstacle à son exécution et au paiement de la provision sollicitée.
Ainsi, au regard des éléments qui précèdent, l'obligation de l'appelante au titre du protocole litigieux apparaît sérieusement contestable. Il convient donc de rejeter la demande de provision de la société Barents risk management et, par suite, de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant en ses prétentions, la société Barents risk management sera condamnée aux dépens de l'appel.
Il sera alloué à la société Cabinet HFR contrainte d'exposer de tels frais pour assurer sa défense, la somme globale de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Rejette les autres demandes ;
Condamne la société Barents risk management aux dépens d'appel et à payer à la société Cabinet HFR la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 2
ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2025
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/18264 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKI4O
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Octobre 2024 -Président du TC de [Localité 5] - RG n° 2024050497
APPELANTE
S.A.S. BARENTS RISK MANAGEMENT, RCS de [Localité 5] sous le n°539 860 619, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Blandine DAVID de la SELARL KAEM'S AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R110
Ayant pour avocat plaidant Me Guillaume KRAFFT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0001
INTIMÉE
S.A.S. CABINET HFR, RCS de [Localité 5] sous le n°841 367 774, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocats plaidants Me Philippe LAUZERAL et Me Valentin BESNARD, du barreau de PARIS, toque : L265
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Juin 2025, en audience publique, Michèle CHOPIN, Conseillère, ayant été entendue en son rapport dans les conditions prévues par les articles 804 et 906 du code de procédure civile, devant la cour composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
EXPOSE DU LITIGE
Aux termes d'un pacte d'actionnaire signé le 23 décembre 2020 entre la société Cabinet HFR et la société BRM Barents SCA, associée unique de la société Barents risk management, la société Cabinet HFR est entrée au capital de la société Barents risk management à hauteur de 50% de ses actions.
Les parties au contrat ont également signé une convention de co-courtage en assurance.
Des dissensions étant apparues entre les deux sociétés, des discussions ont eu lieu à compter du mois de juin 2023 afin de convenir d'une séparation amiable et de la sortie de la société Cabinet HFR du capital de la société Barents risk management.
Ces discussions ont abouti, le 26 mars 2024, à la signature des contrats suivants :
une " Convention de Cessions d'Actions " aux termes de laquelle la société Cabinet HFR a cédé ses parts à la société BRM Barents SCA ;
un " Protocole d'Accord " par lequel a été conclu un " Plan d'Apurement et de Séparation " entre les parties ;
un " Accord Additionnel " par lequel M. [J], ès qualités de président et associé opérationnel de la société Cabinet HFR, et M. [Y], ès qualités d'associé opérationnel de la société Cabinet HFR, ont souscrit des engagements personnels dans le cadre du plan d'Apurement et de Séparation.
Le Protocole d'Accord prévoyait notamment le paiement par la société Cabinet HFR à la société Barents risk management d'une somme de 500.000 euros destinée à éteindre certaines créances de cette dernière.
Exposant que la société Cabinet HFR n'a pas exécuté les termes des accords de séparation précités, la société Barents risk management a mis en demeure la société Cabinet HFR le 3 juin 2024 d'exécuter le Protocole d'Accord.
Par lettre du 18 juin 2024, la société Cabinet HFR a indiqué qu'elle contestait la validité de ce Protocole d'Accord.
Le 24 juin 2024, la société Barents risk management a mis en demeure la société Cabinet HFR de lui régler la somme de 547.853 euros, somme qui a été contestée par la société Cabinet HFR.
Par exploit du 8 août 2024, la société Barents risk management a fait assigner la société Cabinet HFR devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir condamner la société Cabinet HFR à payer à la société Barents risk management la somme, en principal, de 547.853 euros, à titre de provision, augmentée d'un intérêt de 6% par an à compter du 26 mars 2024 avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil.
Par exploit du 10 septembre 2024, la société Cabinet HFR a fait assigner la société Barents risk management devant le juge du fond du tribunal de commerce de Paris afin de voir constater la nullité du Protocole d'Accord.
Par ordonnance contradictoire du 16 octobre 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
dit n'y avoir lieu à référé, ni à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Barents risk management aux entiers dépens, dont ceux à régler au greffe liquidés à la somme de 39,92 euros TTC dont 6,44 euros de TVA.
Par déclaration du 24 octobre 2024, la société Barents risk management a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 23 mai 2025, la société Barents risk management demande à la cour de :
infirmer l'ordonnance de référé rendue le 16 octobre 2024 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;
et statuant à nouveau et y ajoutant,
condamner la société Cabinet HFR à lui payer la somme, en principal, de 547.853 euros, à titre de provision, augmentée d'un intérêt de 6% par an à compter du 26 mars 2024, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
condamner la société Cabinet HFR à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
condamner la société Cabinet HFR aux entiers dépens de la présente instance ;
débouter la société Cabinet HFR de toutes ses demandes, fins et prétentions.
La société Barents risk management soutient que l'obligation de la société Cabinet HFR n'est pas sérieusement contestable, et qu'elle résulte des termes clairs du Protocole d'accord auquel la société Cabinet HFR a consenti. Elle précise que, si ce protocole prévoit des facilités de paiement pour la société Cabinet HFR, et notamment un paiement échelonné de la somme arrondie de 500.000 euros au lieu de 547.853 euros, la clause de défaut majeur insérée au contrat prévoit que la somme de 547.853 euros devient immédiatement exigible en cas de non-respect par M. [J] ou par la société Cabinet HFR de leurs obligations essentielles. Elle ajoute que le non-respect du calendrier de paiement de la dette Cabinet HFR de 500.000 euros et de la dette Pare de 47.853 euros a entraîné l'activation de cette clause de défaut majeur.
La société Barents risk management prétend que la saisine du juge du fond le 10 septembre 2024 n'a aucune incidence sur la présente procédure. Elle considère aussi que le moyen de la société Cabinet HFR qui argue de la nullité du Protocole d'Accord est purement dilatoire et impropre à constituer une contestation sérieuse. Elle rappelle que l'intimée a été accompagnée par un cabinet d'affaires pendant les négociations de cette convention et n'est donc pas fondée à prétendre qu'elle ne savait à quoi elle s'engageait. La société Barents risk management considère enfin qu'il n'existe aucune lésion dans ce contrat qui a été conclu dans l'intérêt exclusif de la société Cabinet HFR.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 21 mai 2025, la société Cabinet HFR demande à la cour de :
confirmer l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2024 en toutes ses dispositions ;
y ajoutant,
condamner la société Barents risk management à lui payer à la société la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts pour appel abusif ;
condamner la société Barents risk management à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
condamner la société Barents risk management aux entiers dépens de l'instance.
Et en tout état de cause,
débouter la société Barents risk management de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
La société Cabinet HFR soutient notamment que la demande de l'appelante est sérieusement contestable, le Protocole d'Accord faisant l'objet d'une action en nullité devant le juge du fond du tribunal de commerce de Paris.
Elle considère tout d'abord que le Protocole d'Accord est nul en raison de l'absence de concessions réciproques ou, à tout le moins, en raison d'une contrepartie dérisoire de la part de la société Barents risk management. Elle expose également que la société Barents risk management a refusé de céder une partie du portefeuille client à la société Cabinet HFR après leur séparation.
Elle fait valoir ensuite que ce protocole est nul en raison de la prohibition des clauses léonines, caractérisées en l'espèce par la prise en charge de l'intégralité des pertes à apurer de la société Barents risk management malgré sa détention de 50% du capital. Elle argue de ce que la demande de contribution aux pertes de la société Barents risk management en cours de vie sociale contrevient aux statuts de cette dernière, qui ne prévoient pas une telle obligation.
Enfin, elle indique que ledit protocole est nul du fait de la non-réalisation d'une de ses conditions essentielles, à savoir la signature d'un protocole transactionnel définitif dans les trente jours de la signature du Protocole d'Accord. Elle ajoute que la société Barents risk management n'a pas exécuté sa seule obligation au titre de cet accord consistant à avertir le client Paref de leur séparation.
Elle ajoute que la non-exécution, par chacune des parties au contrat, de leurs obligations essentielles doit entraîner sa caducité. Elle soutient également que la nullité de l'accord de cession à vil prix rejaillit sur le Protocole d'Accord qui est également nul.
Elle conclut enfin que l'appel de la société Barents risk management est abusif et doit faire l'objet d'une condamnation.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 mai 2025.
SUR CE,
Selon l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce, peut, dans les limites de la compétence du tribunal, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il résulte des pièces produites que la société Cabinet HFR est entrée en décembre 2020 au capital de la société Barents risk management à hauteur de 50% après signature d'un pacte d'actionnaires signé par les sociétés HFR et Barents sca et d'une convention de co-courtage entre les sociétés HFR et Barents risk management.
Il résulte du protocole produit, dit protocole de séparation, signé le 26 mars 2024, entre les sociétés BRM Barents sca, Barents risk management, le cabinet HFR, M. [J] et M. [M] qu'il est mis fin au partenariat entre les sociétés Cabinet HFR et Barents sca par la mise en 'uvre d'un plan d'apurement et de séparation en plusieurs phases :
a) Mise en 'uvre de changements de gouvernance,
b) Remboursement de la dette du cabinet HFR et octroi de garanties y afférent,
c) Cession des actions détenues par la société Cabinet HFR dans la société Barents risk management à la société Barents sca et le transfert d'activités entre la société Barents risk management et la société cabinet HFR de manière à permettre à la société Cabinet HFR à continuer à développer des activités dans l'activité vie tandis que la société Barents risk management pourra se concentrer sur le développement de l'activité non vie,
d) La cession des actions détenues par M. [M] dans la société Cabinet HFR aux associés de la société Cabinet HFR,
e) D'autres engagement spécifiques.
Il est constant que le protocole d'accord s'est accompagné d'une convention de cessions d'actions et d'un accord additionnel par lequel M. [J], président et associé opérationnel de la société Cabinet HFR et M. [Y], associé opérationnel de la société Cabinet HFR, ont souscrit des engagements personnels dans le cadre du plan d'apurement et de séparation.
Aux termes de ces actes, il apparaît que :
Le protocole est indissociable de l'accord additionnel et de la convention de cessions d'actions, le tout formant un ensemble contractuel complexe,
Ledit protocole entend en premier lieu fixer la dette dite « dette HFR » selon un montant « forfaitaire et transactionnel » de 500.000 euros,
Ce montant selon l'article I.I du protocole se décompose ainsi : montant nominal des actions souscrites par la société Cabinet HFR et non libéré à la date d'effet d'un montant de 187.500 euros, le montant partiel de la créance de la société Barents risk management envers la société Cabinet HFR incluant la dette Paref pour la période jusqu'au 31 décembre 2022 (mais excluant la dette Paref pour l'année 2023) d'un montant de 217.356,34 euros, un montant complémentaire arrêté en commun correspondant à une partie des pertes cumulées par la société Barents risk management depuis la réalisation de l'investissement, ainsi que des sommes d'un montant cumulé de 120.000 euros dues à la société Barents risk management par M. [J] à titre personnel et/ou par la société Cabinet HFR « qui en restent redevables à titre personnel tant que celles-ci n'auront pas été réglées entièrement pour son compte par la société Cabinet HFR », de sorte que cette dette « forfaitaire et transactionnelle » comporte une partie indéterminée,
La dette Paref 2023 est définie comme la somme forfaitaire de 47.853 euros due par la société Cabinet HFR et correspondant aux commissions versées ou à verser par Paref ou les assureurs à la société HFR au titre de l'année 2023 et restant dues,
Il en ressort a minima, outre qu'une partie de l'engagement de la société Cabinet HFR est indéterminée, ce qui est contradictoire avec le caractère « forfaitaire » et transactionnel, donc susceptible de mettre fin à un litige entre les parties, que ces sommes mentionnées, qui forment la dette de la société Cabinet HFR, et qui sont garanties à titre personnel par M. [J], se présentent comme le seul engagement des sociétés Barents risk management et Barents sca, qui en ont accepté le montant,
Par ailleurs, plus loin dans le protocole dont s'agit, figure un engagement pris par la société HFR de non-sollicitation de la clientèle de la société Barents risk management, engagement qui ne comporte aucun engagement parallèle de la société Barents risk management,
Il résulte en outre de l'économie générale de ce protocole susvisé que la garantie personnelle consentie par M. [J] ne se justifie que par la cessation du partenariat entre les sociétés Cabinet HFR et Barents risk management, alors que l'accord additionnel prévoit que M. [J] et M. [Y] doivent verser personnellement et affecter 50% de leur quote-part de revenu direct ou indirect dans la société Cabinet HFR en vue du remboursement de la dette HFR et de la dette Paref 2023 et de la " dette sociale " elle-même indéterminée,
Il doit être relevé enfin que la cession par la société Cabinet HFR des 50% du capital est prévue pour 1 euro,
Sans même qu'il soit besoin de déterminer si le protocole et les actes indissociables dont il est demandé l'exécution contiennent des clauses léonines, et étant relevé que le tribunal judiciaire de Paris est saisi au fond du litige portant sur la validité dudit protocole, il résulte de l'ensemble que ce protocole du 26 mars 2024 est susceptible d'être affecté d'une irrégularité en ce que, avec l'évidence requise en référé, la réciprocité des concessions n'est pas établie.
S'il n'entre pas dans les pouvoirs de la juridiction des référés de prononcer la nullité d'un contrat, il lui incombe cependant de relever les difficultés susceptibles de faire obstacle à son exécution et au paiement de la provision sollicitée.
Ainsi, au regard des éléments qui précèdent, l'obligation de l'appelante au titre du protocole litigieux apparaît sérieusement contestable. Il convient donc de rejeter la demande de provision de la société Barents risk management et, par suite, de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant en ses prétentions, la société Barents risk management sera condamnée aux dépens de l'appel.
Il sera alloué à la société Cabinet HFR contrainte d'exposer de tels frais pour assurer sa défense, la somme globale de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Rejette les autres demandes ;
Condamne la société Barents risk management aux dépens d'appel et à payer à la société Cabinet HFR la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE