CA Dijon, 2 e ch. civ., 11 septembre 2025, n° 22/01053
DIJON
Arrêt
Autre
[L] [M] épouse [C]
[T] [C]
[G] [C]
S.C. SC [C] [15]
C/
[S] [C]
expédition et copie exécutoire
délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
2 e chambre civile
ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2025
N° RG 22/01053 - N° Portalis DBVF-V-B7G-GAN5
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : au fond du 19 juillet 2022,
rendue par le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône - RG : 20/00747
APPELANTS :
Madame [L] [M] épouse [C]
née le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 20]
domiciliée :
[Adresse 6]
[Localité 10]
Monsieur [T] [C]
né le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 7]
domicilié :
[Adresse 11]
[Localité 7]
Madame [G] [C]
née le [Date naissance 2] 1999 à [Localité 7]
domiciliée :
[Adresse 6]
[Localité 10]
SC [C] [15] prise en la personne de son représentant de droit en exercice
[Adresse 21]
[Localité 9]
Représentés par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126
assistée de Me Nathalie LAURET, L & Avocats, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
Monsieur [S] [C]
né le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 17]
domicilié :
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représenté par Me Cécile RENEVEY - LAISSUS de la SELARL ANDRE RENEVEY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 2
assisté de Me Julien DAMI LE COZ, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 décembre 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et Bénédicte KUENTZ, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
Bénédicte KUENTZ, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 13 Mars 2025 pour être prorogée au 22 Mai 2025, puis au 11 Septembre 2025,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
La SC [C] [15] (la société [C]) est une société holding, constituée le 24 décembre 2010 entre les membres de la famille [C], et dont le capital social est réparti entre eux à raison de :
- 67.072 parts en plein propriété et 7.454 parts en usufruit pour Mme [M],
- 67.072 parts en pleine propriété et 7.454 parts en usufruit pour M. [S] [C],
- 7.454 parts en nue-propriété pour chacun de leurs enfants Mme [G] [C] et M. [T] [C].
La SC [C] détient 99,4% de la société [12], exploitant une activité de forge industrielle.
M. [S] [C] a été initialement désigné en qualité de gérant dans les statuts, Mme [M] ayant été désignée ultérieurement en qualité de co-gérante.
M. [S] [C] a démissionné de ces fonctions le 31 août 2017.
Le divorce des époux [C]/[M] a été prononcé par jugement du 29 septembre 2023.
Par courrier recommandé du 15 mars 2018, M. [S] [C] a notifié à la gérante de la SC [C] une demande de retrait en vertu de l'article 14 des statuts, moyennant le remboursement de ses droits sociaux à hauteur de 10.000.000 euros.
Le 30 mars 2018 a été créée une société [18] dont le capital social est constitué d'un apport de 10.000.000 euros de la société [C] et de 100 euros d'une société [19], représentée par Mme [G] [C].
Selon procès-verbal du 17 mai 2018, l'assemblée générale de la société [C] a rejeté la demande de retrait formulée par M. [S] [C].
Par courriers recommandés datés du 18 juillet 2020, M.[C] a proposé à ses associés de leur céder ses droits sociaux pour un montant de 16.000.000 euros en faisant état de son intention de poursuivre une demande de retrait judiciaire, offre qu'ils ont décliné par courrier du 21 octobre 2020.
Par jugement du 6 avril 2021, M. [C] a obtenu la désignation de M. [N] en qualité d'expert judiciaire avec mission de déterminer la valeur des droits sociaux de la société [C].
Par acte d'huissier du 19 juin 2021, M. [S] [C] a fait assigner Mme [M], la société [C], M. [T] [C] et Mme [G] [C] devant le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône afin qu'il autorise son retrait de la société [C].
Par jugement en date du 19 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône a :
- autorisé et ordonné le retrait de M. [S] [C] de la SC [C] [15] pour justes motifs ;
- ordonné le remboursement des droits sociaux à un prix qui sera fixé par expert, tel que désigné par le président du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône par jugement du 6 avril 2021 ;
- condamné Mme [M] à payer à M. [S] [C] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum Mme [M], M. [T] [C] et Mme [G] [C] aux dépens de l'instance ;
- écarté l'exécution provisoire de droit du présent jugement.
Par déclaration au greffe du 19 août 2022, Mme [M], la SC [C] [15], Mme [G] [C] et M. [T] [C] ont relevé appel de cette décision sauf en ce qu'elle a écarté l'exécution provisoire du jugement.
Prétentions de Mme [M], de la SC [C] ,de Mme [G] [C] et de M. [T] [C] :
Par conclusions notifiées le 4 décembre 2024, les appelants demandent à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône en date du 19 juillet 2022 en ce qu'il a :
ordonné le retrait judiciaire de M. [S] [C] de la société [C] [15],
ordonné le remboursement de ses droits sociaux à un prix qui sera fixé par expert, tel que désigné par le président du tribunal judiciaire par jugement du 6 avril 2021,
condamné Mme [M] à payer à M. [C] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum Mme [M] et ses deux enfants aux dépens de l'instance ;
et, en conséquence,
y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris ;
- déclarer Mme [M], la société [C] [15], M. [T] [C], Mme [G] [C] tant recevables que bien fondés en leur appel et conclusions ;
statuant à nouveau :
à titre principal,
- juger nulle l'action judiciaire engagée par M. [C] au titre de l'article 1424 du code civil ;
à titre subsidiaire,
- prononcer une fin de non-recevoir à l'encontre de M. [C] pour défaut de qualité à agir et juger ses demandes irrecevables ;
en tout état de cause,
- décharger Mme [M], la société [C] [15], M. [T] [C] et Mlle [G] [C] de toutes condamnations leur faisant grief ;
- débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, pour celles qui n'auraient pas été jugées nulles ou irrecevables ;
- condamner M. [C] à payer une indemnité à la société [C] [15], à Mme [M], à M. [T] [C] et à Mlle [G] [C] une indemnité de 5.000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première et de la présente instance ;
- condamner M. [C] aux entiers dépens.
Prétentions de M.[C] :
Selon les termes de ses écritures notifiées le 9 décembre 2024, M. [S] [C] entend voir, au visa de l'article 1869 du code civil :
I- Sur la nullité de l'action en retrait judiciaire introduite par M. [S] [C] :
à titre principal,
- prononcer l'irrecevabilité de la demande de nullité de l'action en justice introduite, laquelle viole les dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile et le principe de concentration des moyens ;
à titre subsidiaire,
- prononcer la prescription de l'action en nullité fondée sur l'article 1424 du code civil ;
II- Sur la fin de non-recevoir tirée du prétendu défaut de qualité à agir :
- débouter les appelants de cette demande, laquelle est irrecevable et mal-fondée ;
III en tout état de cause:
- débouter les appelants de cette demande, le prétendu défaut de qualité à agir étant, en tout état de cause, régularisé au jour des présentes, en application de l'article 127 du code de procédure civile ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône, en date du 19 juillet 2022, sous le numéro de RG 20/00747 ;
- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions contraires ;
- condamner Mme [M] à verser à M. [S] [C] la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [M] aux entiers dépens de l'instance.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un exposé complet des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 décembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°) sur la nullité de l'action en justice de M. [C] :
Les appelants soutiennent que l'action en autorisation judiciaire de retrait de l'associé est nulle à défaut d'avoir été engagée par M. [C] avec l'accord de Mme [M], son épouse commune en biens, le retrait conduisant à l'aliénation des parts sociales qui constituent des biens communs, les époux [C] étant mariés sous le régime légal.
M [C] soulève l'irrecevabilité de la demande de nullité fondée sur l'article 1424 du code civil aux motifs qu'elle n'a pas été présentée dès les premières conclusions des appelants en violation des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile et subsidiairement que l'action en nullité est prescrite à défaut d'avoir été poursuivie dans les deux ans de la délivrance de l'assignation.
Mme [M], la société [C] et les consorts [C] répliquent que leur demande ne constitue qu'un moyen de défense soulevé par voie d'exception en réplique aux conclusions et demandes de leur adversaire et que l'exception de nullité d'un acte pour dépassement de pouvoirs n'est soumise à aucun délai.
- - - - - -
L'article 910-4 du code de procédure civile impose aux parties, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, de présenter dès leurs conclusions déposées dans le délai de l'article 908, l'ensemble des prétentions sur le fond. Il dispose néanmoins que demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses, ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Après avoir déposé de premières conclusions à l'issue desquelles ils demandaient, par voie de réformation du jugement, le rejet de l'ensemble des demandes de M. [C], les appelants ont modifié le dispositif de leurs secondes écritures et demandent à titre principal que soit jugée nulle l'action judiciaire engagée par M. [C] au titre de l'article 1424 du code civil.
Ce dernier dispose que les époux ne peuvent l'un sans l'autre aliener ou grever de droits réels, notament les droits sociaux non négociables.
Si Mme [M], seule admise à se prévaloir d'un excès de pouvoir de son conjoint sur les biens communs, soutient que sa demande constitue une exception de nullité, elle ne précise pas quel acte juridique ou de procédure serait entaché d'irrégularité.
Au delà de la formulation des écritures, cette demande des appelants qui ne vise aucun acte juridique ou de procédure, tend en réalité à contester le droit de M. [C] d'agir en justice et ne constitue pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais un moyen d'irrecevabilité lequel peut être proposé en tout état de cause et ne se heurte ni au principe de cristallisation des seules prétentions énoncé par l'article 910-4 du même code, ni à la prescription de l'action en nullité de l'article 1427 du code civil en ce qu'elle poursuit l'anéantissement d'un acte juridique.
La demande de nullité de l'action doit être requalifiée en fin de non recevoir de cette action.
2°) sur la fin de non recevoir :
Les appelants soutiennent sur le fondement de l'article 1424 du code civil que M.[C] n'a pas qualité à agir seul en autorisation de retrait de la société [C] sans le consentement de son épouse commune en biens.
Ils ajoutent que nonobstant le divorce, les parts sociales ne peuvent faire l'objet d'une aliénation hors les opérations de liquidation et de partage du régime matrimonial.
M. [C] considère que le divorce ayant été prononcé et ses effets ayant été fixés au 7 juin 2018, la gestion conjointe des biens communs a pris fin à cette date et que le défaut de qualité qui pouvait exister au jour de l'assignation a été régularisé.
- - - - - -
L'article 1869 du code civil reconnait à l'associé un droit de retrait total ou partiel de la société en instituant notamment une modalité sur autorisation judiciaire, autonome du contrat social.
Ce droit étant attaché à la qualité d'associé, laquelle est strictement personnelle à M.[C], ce dernier a donc seul qualité pour agir aux fins d'autorisation judiciaire de retrait, quand bien même, en raison de la nature des droits patrimoniaux attachés aux parts sociales non négociables qu'il détient, les conséquences patrimoniales de son retrait relèveraient des règles impératives de son régime matrimonial, impliquant notamment que le prix de leur remboursement figure à l'actif de la communauté et que son sort doive se régler dans le cadre des opérations de liquidation et partage consécutives au divorce.
En outre, le divorce des époux [C]/[M] a été prononcé le 28 septembre 2023, avec effets concernant leurs biens au 7 juin 2018, ce qui les placent sous un régime d'indivision post-communautaire auquel ne s'appliquent pas les restrictions de pouvoir propres au régime matrimonial légal.
L'action introduite le 19 juin 2021 par M. [C], associé, en autorisation judiciaire de retrait de la société [C] est donc recevable.
3°) sur le retrait de M. [C] de la société [C] :
Selon les termes de l'article 1869 du code civil, le retrait de l'associé peut être autorisé pour justes motifs par une décision judiciaire.
Ainsi qu'il a été précédemment relevé, le retrait par voie judiciaire demeure possible même si les statuts restreignent la faculté de retrait de l'associé en la soumettant à la seule autorisation des autres associés représentant au moins les trois-quarts des parts sociales.
Les appelants contestent l'existence de justes motifs autorisant le retrait de M.[C] de la société [C] et font valoir que le conflit entre les époux ne se confond pas avec la mésentente entre associés et n'a aucune icidence sur les relations entretenues par ces derniers dont les droits sociétaux sont par ailleurs parfaitement respectés ; qu'ainsi qu'en a jugé la cour, Mme [M] n'a commis aucun abus de ses pouvoirs de gérante dans la décision d'investir dans la société [18] les bénéfices de la société [C] ; que M.[C] n'a rien perdu de son affectio sociétatis alors qu'il exerce pleinement ses droits d'associé, agissant même en défense de l'intérêt de la société ; que les faits invoqués par M.[C] ne constituent pas de justes motifs de retrait, la mésentente entre associés étant insuffisante à les caractériser et les désaccords ne relevant que de l'application des règles légales et statutaires qu'il a acceptées ; qu'il ne saurait se prévaloir d'un défaut d'information après avoir refusé tout contact avec la gérante pendant plusieurs mois ; que M. [C] ne peut invoquer des motifs qu'il a lui-même provoqués tels que sa démission, la rupture de son contrat de travail, un besoin de liquidités ou ses votes d'obstruction systématique aux résolutions proposées par la gérance.
Ils considèrent que l'appréciation des justes motifs de retrait de l'associé doit prendre en compte les intérêts de la société [C] que la nécessité de rembourser la valeur des parts sociales mettrait en péril, ainsi que les autres sociétés du groupe.
M. [C] soutient que sa demande de retrait est justifiée par la perte de toute affectio sociétatis résultant de la mésentente persistante entre les associés, sans qu'il soit nécessaire de caractérser une paralysie du fonctionnement de la société ; que la mésentente avec Mme [M] est profonde et signe une absence totale de volonté de poursuivre leur collaboration au sein de la société [C] comme de ses filiales puisque ces dissensions ont conduit à sa démission de ses fonctions de co-gérant et à la rupture de son contrat de travail dans le cadre d'une stratégie d'éviction à son encontre ; que l'ampleur des griefs et l'animosité développés à son encontre par son ex-épouse démontrent leur incapacité de collaborer et leur désaccord profond tant personnel que professionnel ; qu'il n'a plus aucune relation avec ses enfants également associés ; qu'il n'a été ni consulté, ni informé des investissements conséquents réalisés par la société [C] ; que la discorde est permanente et porte sur tous les aspects de la vie sociale ; que Mme [M] n'a pas coopéré à la réalisation de l'expertise ordonnée en vue de permettre la valorisation de la société [C].
- - - - - -
L'affectio sociétatis s'entend de la volonté de s'associer, de collaborer effectivement à l'exploitation d'un fonds dans un intérêt commun et sur un pied d'égalité avec les autres associés.
La société [C] est une société civile financière non opérationnelle créée en 2011 entre les époux [C]/[M] et leurs deux enfants pour recueillir les actions détenues par deux précédentes sociétés holding ([13] et [16]), à hauteur de 99,40 % dans le capital de la société [B] qui exploite une activité de forge et d'usinage de pièces de métaux et au sein de laquelle Mme [M], puis M.[C] ont exercé leurs activités professionnelles.
Les sociétés [13] et [16] avaient été constituées afin de permettre la transmission de la société [B] à Mme [M] qui en est devenue la présidente, M.[C] en devenant le directeur général.
Ainsi, la société [C], holding exclusivement constituée des membres de la famille [C], détient en outre ce qui constitue leur outil professionnel de sorte que le sort des deux sociétés est intimement lié. De plus, en y associant en qualité de nus propriétaires leurs deux enfants, les époux [C]/[M] ont démontré leur intention d'assurer la transmission patrimoniale de la holding.
Il apparaît que par courrier du 31 juillet 2017, M.[C] a démissionné de ses fonctions de co-gérant de la société [C] à compter du 31 août suivant, qu'embauché à compter du 1er septembre 2017, en qualité de conseiller technique par la société [12], cette dernière a mis un terme à son contrat de travail le 20 décembre 2017.
Des échanges de courriels entre les 2 et 13 novembre 2017 démontrent que M. [C] a quitté l'entreprise dès cette période.
Les pièces produites révèlent la nature et la gravité des dissensions apparues entre les deux associés dans leurs relations professionnelles au sein de la société [12] où le comportement de M. [C] a conduit à la démission de plusieurs salariés et a été décrit par des témoins comme odieux, insultant, y compris à l'égard de son épouse et de ses enfants, dénigrant l'entreprise auprès de ses clients, faisant obstacle à la maintenance et à la remise en état des machines, allant jusqu'à mettre en péril la continuité de l'exploitation.
Il résulte du jugement du tribunal judiciaire de Chalon sur Saône du 28 septembre 2023 prononçant le divorce des époux [C]/[M] que le couple s'est séparé en septembre 2017 et qu'une requête en divorce a été introduite le 4 décembre 2017 par Mme [M].
Par ailleurs, un procès-verbal d'huissier du 26 octobre 2020 portant constat de la teneur de messages téléphoniques de M. [C] et un courriel de Mme [M] du 28 novembre 2017 permettent de prendre la mesure de la dégradation des relations existantes entre les membres de la famille par ailleurs tous associés au sein de la société [C] et confirment, au besoin, l'absence de contacts entre M. [C] et ses deux enfants.
Il apparaît par ailleurs, que les ex-époux ne communiquent que par lettres recommandées ou par le truchement de leur conseil.
Il ne peut, dans ces conditions, qu'être constaté que la mésentente profonde et durable qui a conduit au divorce des époux [C]/ [M] affecte également leurs relations professionnelles et leur qualité d'associés au sein des sociétés [B] et [C].
Par courrier du 15 mars 2018, M. [C] a fait connaître à Mme [M] son intention de se retirer de la société [C] et a proposé de fixer la valeur de remboursement de ses droits sociaux à 10.000.000 euros.
Il est établi que selon des statuts du 30 mars suivant, la société [C] a participé à la création d'une société [18], à laquelle elle a fait apport d'une somme de 10.000.000 euros.
Si la proximité des deux dates ne permet pas de considérer que la création de la société [18] est une réponse à la demande de retrait de M. [C], il n'en demeure pas moins que la poursuite du projet, sans attendre la décision des autres associés sur cette demande et la hauteur des investissements ainsi réalisés, étaient de nature à constituer un frein à une décision favorable au retrait, en obérant les capacités de la société [C] à assurer le remboursement de la valeur des parts sociales du retrayant.
De plus, il ne peut qu'être relevé que le 1er août 2024, une SAS [14] a été constituée entre la société [B] et Mme [G] [C] et que la société [B] a fait apport d'une somme de 4.499.900 euros sur les 4.500.000 euros du capital social. Cet investissement est également de nature à priver la société [C] des bénéfices de sa filiale d'exploitation principale.
Selon les termes de ses statuts, la société [18] poursuit une activité immobilière, radicalement distincte de l'activité industrielle de sa société s'ur [B] et le choix de l'investissement dans ce domaine constitue un changement important d'orientation stratégique de la holding.
Or, même si les pouvoirs dévolus à la gérante par les statuts de la société [C] et l'objet social de cette dernière permettaient cette opération et même si la cour a définitivement rejeté les prétentions de M. [C] à sa nullité, comme à l'existence d'une faute de gestion de Mme [M], il doit être relevé que malgré l'importance de l'engagement souscrit par la société [C], cette souscription au capital d'une nouvelle filiale n'a donné lieu à aucune discussion, aucun échange, ni même aucune information préalable à l'égard de M. [C], associé égalitaire à hauteur de 45 %.
Il ressort également des éléments soumis à la cour que si jusqu'en 2017, les associés ont invariablement décidé, à l'unanimité, d'affecter en réserve les bénéfices de la société [C], à compter de 2018, la gérante a systématiquement opté pour leur distribution, proposition de résolution à laquelle M. [C] s'est toujours opposé.
Il est manifeste que Mme [M] poursuit au sein de la société [C] un objectif certes de diversification et de consolidation patrimoniale, mais conduisant à en assécher la trésorerie, dont il convient de constater qu'elle s'élevait à plus de 11.000.000 d'euros en fin d'exercice 2017, et rendant plus difficile l'exercice du droit de retrait de M. [C], pendant qu'à l'inverse, ce dernier défend, au besoin par la voie d'actions judiciaires, une position consistant à maintenir dans les comptes de la holding des sommes suffisantes pour couvrir tout ou partie du rachat de la valeur de ses parts sociales.
A ce titre, il sera relevé que l'expert judiciaire désigné par le président du tribunal judiciaire de Chalon sur Saône a souligné le manque de coopération de Mme [M] dans les opérations d'évaluation de la société [C], conduisant cet expert à proposer une valeur a minima.
Il est donc à craindre, chacun possédant une majorité de blocage des votes, que les associés majoritaires perdent de vue l'intérêt social et mettent à terme en danger la pérennité de la société [C].
En toute hypothèse, ils démontrent qu'il n'existe plus entre eux de volonté de collaborer dans un intérêt qui leur soit commun à l'exploitation d'une société dont la vocation était de recevoir, conserver et assurer la transmission d'un patrimoine familial et au sein de laquelle doit règner un fort intuitu personae.
En conséquence, il existe de justes motifs au retrait de M. [C] et Mme [M], qui a elle-même placée la société [C] dans une situation de restriction de trésorerie disponible, ne peut opposer à sa demande l'intérêt social qui dans le cas de figure d'une société à forte vocation patrimoniale et familiale, priverait l'associé de toute faculté de retrait, alors que l'intention du législateur dans la rédaction de l'article 1869 du code civil était d'éviter que l'associé ne demeure prisonnier de son engagement contractuel et social.
C'est donc avec raison que le tribunal judiciaire a autorisé le retrait de M. [C] de la société [C] et sa décision sera confirmée sur ce point.
Si le retrait ne pourra être effectif qu'après remboursement de la valeur des parts sociales attribuées à M.[C] et sous réserve des opérations de liquidation-partage de l'indivision post-communautaire, ce remboursement ne pourra s'effectuer sur la base de l'expertise réalisée par Mme [D] sur désignation du président du tribunal judiciaire de Chalon sur Saône, à défaut d'avoir été saisie de la détermination de la valeur des parts sociales de M. [C].
Le jugement sera infirmé en ce qu'il dit que le prix de rachat sera fixé par l'expert désigné par le président du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône par jugement du 6 avril 2021, sans qu'il soit nécessaire de statuer à nouveau, l'objet du litige n'étant pas de fixer ce prix mais d'autoriser ou non le retrait.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Chalon sur Saône en date du 19 juillet 2022, sauf en ce qu'il a dit que le prix des droits sociaux de rachat sera fixé par l'expert désigné par le président du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône par jugement du 6 avril 2021 ;
y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [L] [M], la SC [C] [15], Mme [G] [C] et M. [T] [C] aux dépens de l'instance d'appel ;
Condamne in solidum Mme [L] [M], la SC [C] [15], Mme [G] [C] et M. [T] [C] à payer à M. [S] [C] la somme complémentaire en cause d'appel de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,
[T] [C]
[G] [C]
S.C. SC [C] [15]
C/
[S] [C]
expédition et copie exécutoire
délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
2 e chambre civile
ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2025
N° RG 22/01053 - N° Portalis DBVF-V-B7G-GAN5
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : au fond du 19 juillet 2022,
rendue par le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône - RG : 20/00747
APPELANTS :
Madame [L] [M] épouse [C]
née le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 20]
domiciliée :
[Adresse 6]
[Localité 10]
Monsieur [T] [C]
né le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 7]
domicilié :
[Adresse 11]
[Localité 7]
Madame [G] [C]
née le [Date naissance 2] 1999 à [Localité 7]
domiciliée :
[Adresse 6]
[Localité 10]
SC [C] [15] prise en la personne de son représentant de droit en exercice
[Adresse 21]
[Localité 9]
Représentés par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126
assistée de Me Nathalie LAURET, L & Avocats, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
Monsieur [S] [C]
né le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 17]
domicilié :
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représenté par Me Cécile RENEVEY - LAISSUS de la SELARL ANDRE RENEVEY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 2
assisté de Me Julien DAMI LE COZ, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 décembre 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et Bénédicte KUENTZ, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
Bénédicte KUENTZ, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 13 Mars 2025 pour être prorogée au 22 Mai 2025, puis au 11 Septembre 2025,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
La SC [C] [15] (la société [C]) est une société holding, constituée le 24 décembre 2010 entre les membres de la famille [C], et dont le capital social est réparti entre eux à raison de :
- 67.072 parts en plein propriété et 7.454 parts en usufruit pour Mme [M],
- 67.072 parts en pleine propriété et 7.454 parts en usufruit pour M. [S] [C],
- 7.454 parts en nue-propriété pour chacun de leurs enfants Mme [G] [C] et M. [T] [C].
La SC [C] détient 99,4% de la société [12], exploitant une activité de forge industrielle.
M. [S] [C] a été initialement désigné en qualité de gérant dans les statuts, Mme [M] ayant été désignée ultérieurement en qualité de co-gérante.
M. [S] [C] a démissionné de ces fonctions le 31 août 2017.
Le divorce des époux [C]/[M] a été prononcé par jugement du 29 septembre 2023.
Par courrier recommandé du 15 mars 2018, M. [S] [C] a notifié à la gérante de la SC [C] une demande de retrait en vertu de l'article 14 des statuts, moyennant le remboursement de ses droits sociaux à hauteur de 10.000.000 euros.
Le 30 mars 2018 a été créée une société [18] dont le capital social est constitué d'un apport de 10.000.000 euros de la société [C] et de 100 euros d'une société [19], représentée par Mme [G] [C].
Selon procès-verbal du 17 mai 2018, l'assemblée générale de la société [C] a rejeté la demande de retrait formulée par M. [S] [C].
Par courriers recommandés datés du 18 juillet 2020, M.[C] a proposé à ses associés de leur céder ses droits sociaux pour un montant de 16.000.000 euros en faisant état de son intention de poursuivre une demande de retrait judiciaire, offre qu'ils ont décliné par courrier du 21 octobre 2020.
Par jugement du 6 avril 2021, M. [C] a obtenu la désignation de M. [N] en qualité d'expert judiciaire avec mission de déterminer la valeur des droits sociaux de la société [C].
Par acte d'huissier du 19 juin 2021, M. [S] [C] a fait assigner Mme [M], la société [C], M. [T] [C] et Mme [G] [C] devant le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône afin qu'il autorise son retrait de la société [C].
Par jugement en date du 19 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône a :
- autorisé et ordonné le retrait de M. [S] [C] de la SC [C] [15] pour justes motifs ;
- ordonné le remboursement des droits sociaux à un prix qui sera fixé par expert, tel que désigné par le président du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône par jugement du 6 avril 2021 ;
- condamné Mme [M] à payer à M. [S] [C] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum Mme [M], M. [T] [C] et Mme [G] [C] aux dépens de l'instance ;
- écarté l'exécution provisoire de droit du présent jugement.
Par déclaration au greffe du 19 août 2022, Mme [M], la SC [C] [15], Mme [G] [C] et M. [T] [C] ont relevé appel de cette décision sauf en ce qu'elle a écarté l'exécution provisoire du jugement.
Prétentions de Mme [M], de la SC [C] ,de Mme [G] [C] et de M. [T] [C] :
Par conclusions notifiées le 4 décembre 2024, les appelants demandent à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône en date du 19 juillet 2022 en ce qu'il a :
ordonné le retrait judiciaire de M. [S] [C] de la société [C] [15],
ordonné le remboursement de ses droits sociaux à un prix qui sera fixé par expert, tel que désigné par le président du tribunal judiciaire par jugement du 6 avril 2021,
condamné Mme [M] à payer à M. [C] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum Mme [M] et ses deux enfants aux dépens de l'instance ;
et, en conséquence,
y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris ;
- déclarer Mme [M], la société [C] [15], M. [T] [C], Mme [G] [C] tant recevables que bien fondés en leur appel et conclusions ;
statuant à nouveau :
à titre principal,
- juger nulle l'action judiciaire engagée par M. [C] au titre de l'article 1424 du code civil ;
à titre subsidiaire,
- prononcer une fin de non-recevoir à l'encontre de M. [C] pour défaut de qualité à agir et juger ses demandes irrecevables ;
en tout état de cause,
- décharger Mme [M], la société [C] [15], M. [T] [C] et Mlle [G] [C] de toutes condamnations leur faisant grief ;
- débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, pour celles qui n'auraient pas été jugées nulles ou irrecevables ;
- condamner M. [C] à payer une indemnité à la société [C] [15], à Mme [M], à M. [T] [C] et à Mlle [G] [C] une indemnité de 5.000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première et de la présente instance ;
- condamner M. [C] aux entiers dépens.
Prétentions de M.[C] :
Selon les termes de ses écritures notifiées le 9 décembre 2024, M. [S] [C] entend voir, au visa de l'article 1869 du code civil :
I- Sur la nullité de l'action en retrait judiciaire introduite par M. [S] [C] :
à titre principal,
- prononcer l'irrecevabilité de la demande de nullité de l'action en justice introduite, laquelle viole les dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile et le principe de concentration des moyens ;
à titre subsidiaire,
- prononcer la prescription de l'action en nullité fondée sur l'article 1424 du code civil ;
II- Sur la fin de non-recevoir tirée du prétendu défaut de qualité à agir :
- débouter les appelants de cette demande, laquelle est irrecevable et mal-fondée ;
III en tout état de cause:
- débouter les appelants de cette demande, le prétendu défaut de qualité à agir étant, en tout état de cause, régularisé au jour des présentes, en application de l'article 127 du code de procédure civile ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône, en date du 19 juillet 2022, sous le numéro de RG 20/00747 ;
- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions contraires ;
- condamner Mme [M] à verser à M. [S] [C] la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [M] aux entiers dépens de l'instance.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un exposé complet des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 décembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°) sur la nullité de l'action en justice de M. [C] :
Les appelants soutiennent que l'action en autorisation judiciaire de retrait de l'associé est nulle à défaut d'avoir été engagée par M. [C] avec l'accord de Mme [M], son épouse commune en biens, le retrait conduisant à l'aliénation des parts sociales qui constituent des biens communs, les époux [C] étant mariés sous le régime légal.
M [C] soulève l'irrecevabilité de la demande de nullité fondée sur l'article 1424 du code civil aux motifs qu'elle n'a pas été présentée dès les premières conclusions des appelants en violation des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile et subsidiairement que l'action en nullité est prescrite à défaut d'avoir été poursuivie dans les deux ans de la délivrance de l'assignation.
Mme [M], la société [C] et les consorts [C] répliquent que leur demande ne constitue qu'un moyen de défense soulevé par voie d'exception en réplique aux conclusions et demandes de leur adversaire et que l'exception de nullité d'un acte pour dépassement de pouvoirs n'est soumise à aucun délai.
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L'article 910-4 du code de procédure civile impose aux parties, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, de présenter dès leurs conclusions déposées dans le délai de l'article 908, l'ensemble des prétentions sur le fond. Il dispose néanmoins que demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses, ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Après avoir déposé de premières conclusions à l'issue desquelles ils demandaient, par voie de réformation du jugement, le rejet de l'ensemble des demandes de M. [C], les appelants ont modifié le dispositif de leurs secondes écritures et demandent à titre principal que soit jugée nulle l'action judiciaire engagée par M. [C] au titre de l'article 1424 du code civil.
Ce dernier dispose que les époux ne peuvent l'un sans l'autre aliener ou grever de droits réels, notament les droits sociaux non négociables.
Si Mme [M], seule admise à se prévaloir d'un excès de pouvoir de son conjoint sur les biens communs, soutient que sa demande constitue une exception de nullité, elle ne précise pas quel acte juridique ou de procédure serait entaché d'irrégularité.
Au delà de la formulation des écritures, cette demande des appelants qui ne vise aucun acte juridique ou de procédure, tend en réalité à contester le droit de M. [C] d'agir en justice et ne constitue pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais un moyen d'irrecevabilité lequel peut être proposé en tout état de cause et ne se heurte ni au principe de cristallisation des seules prétentions énoncé par l'article 910-4 du même code, ni à la prescription de l'action en nullité de l'article 1427 du code civil en ce qu'elle poursuit l'anéantissement d'un acte juridique.
La demande de nullité de l'action doit être requalifiée en fin de non recevoir de cette action.
2°) sur la fin de non recevoir :
Les appelants soutiennent sur le fondement de l'article 1424 du code civil que M.[C] n'a pas qualité à agir seul en autorisation de retrait de la société [C] sans le consentement de son épouse commune en biens.
Ils ajoutent que nonobstant le divorce, les parts sociales ne peuvent faire l'objet d'une aliénation hors les opérations de liquidation et de partage du régime matrimonial.
M. [C] considère que le divorce ayant été prononcé et ses effets ayant été fixés au 7 juin 2018, la gestion conjointe des biens communs a pris fin à cette date et que le défaut de qualité qui pouvait exister au jour de l'assignation a été régularisé.
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L'article 1869 du code civil reconnait à l'associé un droit de retrait total ou partiel de la société en instituant notamment une modalité sur autorisation judiciaire, autonome du contrat social.
Ce droit étant attaché à la qualité d'associé, laquelle est strictement personnelle à M.[C], ce dernier a donc seul qualité pour agir aux fins d'autorisation judiciaire de retrait, quand bien même, en raison de la nature des droits patrimoniaux attachés aux parts sociales non négociables qu'il détient, les conséquences patrimoniales de son retrait relèveraient des règles impératives de son régime matrimonial, impliquant notamment que le prix de leur remboursement figure à l'actif de la communauté et que son sort doive se régler dans le cadre des opérations de liquidation et partage consécutives au divorce.
En outre, le divorce des époux [C]/[M] a été prononcé le 28 septembre 2023, avec effets concernant leurs biens au 7 juin 2018, ce qui les placent sous un régime d'indivision post-communautaire auquel ne s'appliquent pas les restrictions de pouvoir propres au régime matrimonial légal.
L'action introduite le 19 juin 2021 par M. [C], associé, en autorisation judiciaire de retrait de la société [C] est donc recevable.
3°) sur le retrait de M. [C] de la société [C] :
Selon les termes de l'article 1869 du code civil, le retrait de l'associé peut être autorisé pour justes motifs par une décision judiciaire.
Ainsi qu'il a été précédemment relevé, le retrait par voie judiciaire demeure possible même si les statuts restreignent la faculté de retrait de l'associé en la soumettant à la seule autorisation des autres associés représentant au moins les trois-quarts des parts sociales.
Les appelants contestent l'existence de justes motifs autorisant le retrait de M.[C] de la société [C] et font valoir que le conflit entre les époux ne se confond pas avec la mésentente entre associés et n'a aucune icidence sur les relations entretenues par ces derniers dont les droits sociétaux sont par ailleurs parfaitement respectés ; qu'ainsi qu'en a jugé la cour, Mme [M] n'a commis aucun abus de ses pouvoirs de gérante dans la décision d'investir dans la société [18] les bénéfices de la société [C] ; que M.[C] n'a rien perdu de son affectio sociétatis alors qu'il exerce pleinement ses droits d'associé, agissant même en défense de l'intérêt de la société ; que les faits invoqués par M.[C] ne constituent pas de justes motifs de retrait, la mésentente entre associés étant insuffisante à les caractériser et les désaccords ne relevant que de l'application des règles légales et statutaires qu'il a acceptées ; qu'il ne saurait se prévaloir d'un défaut d'information après avoir refusé tout contact avec la gérante pendant plusieurs mois ; que M. [C] ne peut invoquer des motifs qu'il a lui-même provoqués tels que sa démission, la rupture de son contrat de travail, un besoin de liquidités ou ses votes d'obstruction systématique aux résolutions proposées par la gérance.
Ils considèrent que l'appréciation des justes motifs de retrait de l'associé doit prendre en compte les intérêts de la société [C] que la nécessité de rembourser la valeur des parts sociales mettrait en péril, ainsi que les autres sociétés du groupe.
M. [C] soutient que sa demande de retrait est justifiée par la perte de toute affectio sociétatis résultant de la mésentente persistante entre les associés, sans qu'il soit nécessaire de caractérser une paralysie du fonctionnement de la société ; que la mésentente avec Mme [M] est profonde et signe une absence totale de volonté de poursuivre leur collaboration au sein de la société [C] comme de ses filiales puisque ces dissensions ont conduit à sa démission de ses fonctions de co-gérant et à la rupture de son contrat de travail dans le cadre d'une stratégie d'éviction à son encontre ; que l'ampleur des griefs et l'animosité développés à son encontre par son ex-épouse démontrent leur incapacité de collaborer et leur désaccord profond tant personnel que professionnel ; qu'il n'a plus aucune relation avec ses enfants également associés ; qu'il n'a été ni consulté, ni informé des investissements conséquents réalisés par la société [C] ; que la discorde est permanente et porte sur tous les aspects de la vie sociale ; que Mme [M] n'a pas coopéré à la réalisation de l'expertise ordonnée en vue de permettre la valorisation de la société [C].
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L'affectio sociétatis s'entend de la volonté de s'associer, de collaborer effectivement à l'exploitation d'un fonds dans un intérêt commun et sur un pied d'égalité avec les autres associés.
La société [C] est une société civile financière non opérationnelle créée en 2011 entre les époux [C]/[M] et leurs deux enfants pour recueillir les actions détenues par deux précédentes sociétés holding ([13] et [16]), à hauteur de 99,40 % dans le capital de la société [B] qui exploite une activité de forge et d'usinage de pièces de métaux et au sein de laquelle Mme [M], puis M.[C] ont exercé leurs activités professionnelles.
Les sociétés [13] et [16] avaient été constituées afin de permettre la transmission de la société [B] à Mme [M] qui en est devenue la présidente, M.[C] en devenant le directeur général.
Ainsi, la société [C], holding exclusivement constituée des membres de la famille [C], détient en outre ce qui constitue leur outil professionnel de sorte que le sort des deux sociétés est intimement lié. De plus, en y associant en qualité de nus propriétaires leurs deux enfants, les époux [C]/[M] ont démontré leur intention d'assurer la transmission patrimoniale de la holding.
Il apparaît que par courrier du 31 juillet 2017, M.[C] a démissionné de ses fonctions de co-gérant de la société [C] à compter du 31 août suivant, qu'embauché à compter du 1er septembre 2017, en qualité de conseiller technique par la société [12], cette dernière a mis un terme à son contrat de travail le 20 décembre 2017.
Des échanges de courriels entre les 2 et 13 novembre 2017 démontrent que M. [C] a quitté l'entreprise dès cette période.
Les pièces produites révèlent la nature et la gravité des dissensions apparues entre les deux associés dans leurs relations professionnelles au sein de la société [12] où le comportement de M. [C] a conduit à la démission de plusieurs salariés et a été décrit par des témoins comme odieux, insultant, y compris à l'égard de son épouse et de ses enfants, dénigrant l'entreprise auprès de ses clients, faisant obstacle à la maintenance et à la remise en état des machines, allant jusqu'à mettre en péril la continuité de l'exploitation.
Il résulte du jugement du tribunal judiciaire de Chalon sur Saône du 28 septembre 2023 prononçant le divorce des époux [C]/[M] que le couple s'est séparé en septembre 2017 et qu'une requête en divorce a été introduite le 4 décembre 2017 par Mme [M].
Par ailleurs, un procès-verbal d'huissier du 26 octobre 2020 portant constat de la teneur de messages téléphoniques de M. [C] et un courriel de Mme [M] du 28 novembre 2017 permettent de prendre la mesure de la dégradation des relations existantes entre les membres de la famille par ailleurs tous associés au sein de la société [C] et confirment, au besoin, l'absence de contacts entre M. [C] et ses deux enfants.
Il apparaît par ailleurs, que les ex-époux ne communiquent que par lettres recommandées ou par le truchement de leur conseil.
Il ne peut, dans ces conditions, qu'être constaté que la mésentente profonde et durable qui a conduit au divorce des époux [C]/ [M] affecte également leurs relations professionnelles et leur qualité d'associés au sein des sociétés [B] et [C].
Par courrier du 15 mars 2018, M. [C] a fait connaître à Mme [M] son intention de se retirer de la société [C] et a proposé de fixer la valeur de remboursement de ses droits sociaux à 10.000.000 euros.
Il est établi que selon des statuts du 30 mars suivant, la société [C] a participé à la création d'une société [18], à laquelle elle a fait apport d'une somme de 10.000.000 euros.
Si la proximité des deux dates ne permet pas de considérer que la création de la société [18] est une réponse à la demande de retrait de M. [C], il n'en demeure pas moins que la poursuite du projet, sans attendre la décision des autres associés sur cette demande et la hauteur des investissements ainsi réalisés, étaient de nature à constituer un frein à une décision favorable au retrait, en obérant les capacités de la société [C] à assurer le remboursement de la valeur des parts sociales du retrayant.
De plus, il ne peut qu'être relevé que le 1er août 2024, une SAS [14] a été constituée entre la société [B] et Mme [G] [C] et que la société [B] a fait apport d'une somme de 4.499.900 euros sur les 4.500.000 euros du capital social. Cet investissement est également de nature à priver la société [C] des bénéfices de sa filiale d'exploitation principale.
Selon les termes de ses statuts, la société [18] poursuit une activité immobilière, radicalement distincte de l'activité industrielle de sa société s'ur [B] et le choix de l'investissement dans ce domaine constitue un changement important d'orientation stratégique de la holding.
Or, même si les pouvoirs dévolus à la gérante par les statuts de la société [C] et l'objet social de cette dernière permettaient cette opération et même si la cour a définitivement rejeté les prétentions de M. [C] à sa nullité, comme à l'existence d'une faute de gestion de Mme [M], il doit être relevé que malgré l'importance de l'engagement souscrit par la société [C], cette souscription au capital d'une nouvelle filiale n'a donné lieu à aucune discussion, aucun échange, ni même aucune information préalable à l'égard de M. [C], associé égalitaire à hauteur de 45 %.
Il ressort également des éléments soumis à la cour que si jusqu'en 2017, les associés ont invariablement décidé, à l'unanimité, d'affecter en réserve les bénéfices de la société [C], à compter de 2018, la gérante a systématiquement opté pour leur distribution, proposition de résolution à laquelle M. [C] s'est toujours opposé.
Il est manifeste que Mme [M] poursuit au sein de la société [C] un objectif certes de diversification et de consolidation patrimoniale, mais conduisant à en assécher la trésorerie, dont il convient de constater qu'elle s'élevait à plus de 11.000.000 d'euros en fin d'exercice 2017, et rendant plus difficile l'exercice du droit de retrait de M. [C], pendant qu'à l'inverse, ce dernier défend, au besoin par la voie d'actions judiciaires, une position consistant à maintenir dans les comptes de la holding des sommes suffisantes pour couvrir tout ou partie du rachat de la valeur de ses parts sociales.
A ce titre, il sera relevé que l'expert judiciaire désigné par le président du tribunal judiciaire de Chalon sur Saône a souligné le manque de coopération de Mme [M] dans les opérations d'évaluation de la société [C], conduisant cet expert à proposer une valeur a minima.
Il est donc à craindre, chacun possédant une majorité de blocage des votes, que les associés majoritaires perdent de vue l'intérêt social et mettent à terme en danger la pérennité de la société [C].
En toute hypothèse, ils démontrent qu'il n'existe plus entre eux de volonté de collaborer dans un intérêt qui leur soit commun à l'exploitation d'une société dont la vocation était de recevoir, conserver et assurer la transmission d'un patrimoine familial et au sein de laquelle doit règner un fort intuitu personae.
En conséquence, il existe de justes motifs au retrait de M. [C] et Mme [M], qui a elle-même placée la société [C] dans une situation de restriction de trésorerie disponible, ne peut opposer à sa demande l'intérêt social qui dans le cas de figure d'une société à forte vocation patrimoniale et familiale, priverait l'associé de toute faculté de retrait, alors que l'intention du législateur dans la rédaction de l'article 1869 du code civil était d'éviter que l'associé ne demeure prisonnier de son engagement contractuel et social.
C'est donc avec raison que le tribunal judiciaire a autorisé le retrait de M. [C] de la société [C] et sa décision sera confirmée sur ce point.
Si le retrait ne pourra être effectif qu'après remboursement de la valeur des parts sociales attribuées à M.[C] et sous réserve des opérations de liquidation-partage de l'indivision post-communautaire, ce remboursement ne pourra s'effectuer sur la base de l'expertise réalisée par Mme [D] sur désignation du président du tribunal judiciaire de Chalon sur Saône, à défaut d'avoir été saisie de la détermination de la valeur des parts sociales de M. [C].
Le jugement sera infirmé en ce qu'il dit que le prix de rachat sera fixé par l'expert désigné par le président du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône par jugement du 6 avril 2021, sans qu'il soit nécessaire de statuer à nouveau, l'objet du litige n'étant pas de fixer ce prix mais d'autoriser ou non le retrait.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Chalon sur Saône en date du 19 juillet 2022, sauf en ce qu'il a dit que le prix des droits sociaux de rachat sera fixé par l'expert désigné par le président du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône par jugement du 6 avril 2021 ;
y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [L] [M], la SC [C] [15], Mme [G] [C] et M. [T] [C] aux dépens de l'instance d'appel ;
Condamne in solidum Mme [L] [M], la SC [C] [15], Mme [G] [C] et M. [T] [C] à payer à M. [S] [C] la somme complémentaire en cause d'appel de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,