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CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 3 mars 2011, n° 10/06324

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 10/06324

2 mars 2011

Dans le cadre de la succession de Monsieur E..., décédé à Paris le 13 février 1998 qui disposait notamment d'actifs en Suisse, Madame K... I... et Madame M... D... ont conclu une convention le 8 décembre 1999 comportant une clause d'arbitrage.

Le 21 avril 2008, Madame I... a déposé une requête d'arbitrage pour voir notamment condamner Madame D... à lui payer les droits de succession sur les avoirs bancaires que celle-ci avaient perçus.

Par sentence rendue à Genève le 30 décembre 2009, Monsieur C... J..., arbitre unique, a condamné Madame D... à payer à Madame I... la somme de 1.454.161 ¿ avec intérêts à 5% l'an dès versement par Madame I... à l'administration française des montants payés au titre des droits de succession, de l'ISF et des intérêts de retard, outre la somme de 60.000 francs suisses en remboursement des frais d'arbitrage dont Madame I... a fait l'avance et 25.000 Francs suisses à titre de dépens.

Le 1er février 2010, à la requête de Madame I..., le délégataire du président du tribunal de grande instance de Paris a rendu une ordonnance d'exequatur de cette sentence arbitrale.

Madame D... a interjeté appel de cette ordonnance.

Par conclusions du 19 janvier 2011, elle demande de la déclarer recevable et bien fondée en son appel et en conséquence, de :

- surseoir à statuer jusqu'au jugement du tribunal de grande instance de Nanterre et de l'instruction de sa plainte pénale en vertu des articles 49 du code de procédure civile et 4 du code de procédure pénale ;

- subsidiairement, de débouter Madame I... de ses demandes et de prononcer l'annulation de la sentence arbitrale du 30 décembre 2009 sur le fondement des articles 1502 1°, 3°, 4° et 5° du code de procédure civile, de l'article 1492 du même code, des articles V§2b de la Convention de New-York et de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme,

- très subsidiairement, de prononcer l'annulation de la sentence arbitrale en vertu des articles 1483 et 1484 du code de procédure civile,

- en toute hypothèse de condamner Madame I... à lui verser la somme de 145.416¿ de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et celle de 30.000 ¿ en réparation de son préjudice financier sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, de dire qu'il sera fait application de l'article 1154 du code civil, de faire défense à Madame I... de lui nuire directement ou indirectement et de condamner celle-ci à lui verser 10.000¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 21 janvier 2011, Madame I... demande de dire qu'aucun des cas d'ouverture de l'article 1502 du code de procédure civile n'est réuni en l'espèce en conséquence de :

- déclarer Madame D... irrecevable en son appel et l'y déclarer en outre mal fondée ;

- confirmer l'ordonnance d'exequatur,

- dire inapplicable l'article 42 du code de procédure civile,

- dire l'ordonnance d'exequatur insusceptible de recours quant à la compétence du juge saisi,

Constater que le président du tribunal de grande instance de Paris était compétent à défaut d'une disposition précise adéquate à cette circonstance,

- débouter Madame D... de sa demande de sursis à statuer sur le fondement de l'article 4 du code de procédure pénale,

- constater le caractère international de la sentence prononcée par application de l'article 1492 du code de procédure civile et en conséquence, de débouter Madame D... de sa demande d'annulation de la sentence arbitrale exéquaturée,

- constater l'absence de tout argument permettant de déduire le non-respect de la convention de New-York de l'article 1 du protocole 1 et de l'article 6 de la CESDH,

- débouter Madame D... de l'intégralité de ses demandes, en particulier de sa demande de dommages et intérêts tant au titre d'un préjudice moral que financier dont la justification n'est pas rapportée et de sa demande tendant à lui voir faire défense de lui nuire comme infondée en fait comme en droit,

- de condamner Madame D... à lui verser la somme de 1 ¿ pour procédure abusive et dilatoire et celle de 10.000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur quoi,

Considérant qu'il convient d'observer que Madame D... n'oppose plus d'exception d'incompétence ;

Sur la demande de sursis à statuer,

Madame D... demande de surseoir à statuer jusqu'au jugement du tribunal de grande instance de Nanterre et de l'instruction de la plainte pénale qu'elle a déposée et ce, en vertu des articles 49 du code de procédure civile et 4 du code de procédure pénale.

Elle fait valoir qu'elle a assigné Madame I... devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour contester la validité de la procédure d'arbitrage engagée par cette dernière en raison de l'autorité de la chose jugée du jugement du 12 septembre 2005 du tribunal de grande instance de Paris et que la question de la validité de la procédure arbitrale relève de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Nanterre.

Elle soutient encore que la procédure pénale aura une influence sur le procès civil, qu'elle a déposé plainte pour escroquerie aggravée au préjudice d'une personne particulièrement vulnérable car Madame I... a obtenu sa condamnation en remboursement d'une dette fictive et des mesures conservatoires sur ses comptes bancaires, ses droits d'associé ainsi qu'une hypothèque sur son appartement.

Mais considérant que Madame D... demande en vain de surseoir à statuer jusqu'à la décision à intervenir du tribunal de grande instance de Nanterre qu'elle a saisi d'une action en responsabilité civile de Madame I... à raison du préjudice que lui a causé la requête d'arbitrage ; que cette action est indifférente à l'appel de l'ordonnance d'exequatur qui est fondé sur quatre cas d'annulation sans relation avec l'affaire dont est saisie la juridiction de Nanterre ;

Considérant par ailleurs, que la plainte du 24 mai 2010 déposée par Madame D... auprès du procureur de la République de Nanterre du chef d'escroquerie aggravée au préjudice d'une personne particulièrement vulnérable ne vaut pas mise en mouvement de l'action publique ; que la demande de sursis fondée sur l'article 4 du code de procédure pénale ne peut dès lors prospérer ;

Que la demande de sursis à statuer est en conséquence, rejetée ;

Sur le premier moyen : l'arbitre a statué sans convention d'arbitrage (article 1502 1° du code de procédure civile)

Madame D... soutient que l'arbitre unique a statué sans convention d'arbitrage car Madame I... a renoncé à se prévaloir de la clause d'arbitrage en saisissant les juridictions françaises du même litige, lequel a été tranché définitivement par jugement du tribunal de grande instance de Paris du 12 septembre 2005 qui a autorité de la chose jugée.

Mais considérant que le tribunal de grande instance de Paris avait été saisi, comme l'énonce ce jugement, pour voir dire que Madame D... et à Madame I... avaient la qualité de colégataires universels à parts égales, ce qui est étranger à la question dont le tribunal arbitral a été saisi à savoir, la teneur des obligations respectives incombant à chaque partie au regard de la convention du 8 décembre 1999 et la répartition interne entre les parties de la charge fiscale ; qu'au demeurant l'arbitre s'est prononcé sur l'arbitrabilité du litige par une sentence intermédiaire notifiée à Madame D... ; que ce moyen est infondé ;

Sur le deuxième moyen : l'arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée (article 1502 3° du code de procédure civile)

Madame D... soutient que l'arbitre qui a statué sur le sort des dettes fiscales de Madame I..., a dépassé sa mission en tenant compte du redressement fiscal intervenu postérieurement à la transaction alors que celle-ci a entre les parties autorité de la chose jugée et que son interprétation ne permet pas d'en modifier la teneur.

Considérant que la mission de l'arbitre définie par la convention d'arbitrage est délimitée principalement par l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties ;

Considérant que selon l'article 9 de la convention du 8 décembre 1999 liant les parties : 'La présente convention est soumise au droit suisse. Tout différend relatif à l'interprétation et à l'exécution de la présente convention sera soumis à un arbitre unique siégeant à Genève, désigné par Monsieur L... de l'ordre des Avocats de Genève.';

Qu'aux termes de l'article 1er de cette convention, 'les actifs dont Monsieur E... était titulaire, respectivement cotitulaire, auprès de l'UBS SA à Genève...sont partagés entre Madame D... et Madame I..., à raison de 50% (cinquante pour cent) pour chacune d'elles.....'

Que selon l'article 6 de ce texte, Madame I... et Madame D... s'engagent à s'abstenir de toute démarche, action judiciaire ou autres actes de nature à porter atteinte aux intérêts de l'autre partie, chacune d'elle s'engage à prendre vis-à-vis de l'adminsitration fiscale compétente toutes les démarches nécessaires à la régularisation des avoirs et sommes reçues en exécution de cette convention au regard de la législation successorale, fiscale et douanière française ;

Qu'il s'ensuit qu'en effectuant un compte entre les parties au regard des dettes fiscales réglées par Madame I... nées de la succession de Monsieur E... et des démarches effectuées par Madame D... nécessaires à la régularisation de ses avoirs, l'arbitre a statué dans le cadre de la mission qui lui était conférée ; qu'en réalité Madame D... tente d'obtenir une révision de la sentence laquelle est interdite ;

Sur le troisième moyen : la violation du principe de la contradiction (article 1502 4° du code de procédure civile)

Madame D... invoque à cet égard l'article 1502 4° du code de procédure civile et l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme, motifs pris de son refus du principe de la procédure d'arbitrage et d'avoir un avocat, refus portés à la connaissance de l'arbitre par courrier recommandé avec avis de réception adressé des 23 juin 2008 et 7 février 2008. L'appelante ajoute qu'en qualifiant improprement cet arbitrage interne d'arbitrage international, elle a été privée des voies de recours ordinaires, notamment de l'appel en vertu de l'article 1483 du code de procédure civile. Enfin, elle soutient que les ordonnances de procédure ne lui ont pas toutes été signifiées valablement et que les procédures de redressement fiscal engagées par Madame I..., objet du litige soumis à l'arbitre, n'ont été instruites que par cette dernière de 2002 à 2008, date de la transaction avec l'administration fiscale, l'empêchant ainsi d'engager un débat contradictoire avec elle et l'administration fiscale dans les délais requis.

Considérant que le principe de la contradiction veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites ;

Considérant que l'appelante a été informée de la procédure d'arbitrage, que l'arbitre unique lui a adressé un courrier recommandé avec avis de réception daté du 4 juin 2008 l'invitant à se faire représenter par un avocat auquel celle-ci a répondu le 23 juin qu'elle contestait la procédure d'arbitrage et n'avait pas fait le choix d'un avocat ; qu'il a tenu compte de son objection puisqu'il a rendu le 7 octobre 2008 une sentence arbitrale intermédiaire pour régler les questions relatives à la compétence du tribunal arbitral et à l'exception de chose jugée dont Madame D... a eu connaissance ainsi qu'il résulte de son courrier du 20 octobre 2008 ; que l'arbitre a tenu celle-ci informée tout au long de la procédure, lui accordant des délais pour produire notamment tout document en relation avec les démarches qu'elle aurait entreprises auprès des autorités fiscales françaises pour régulariser les avoirs reçus en exécution de la convention ainsi que toute attestation de paiement des droits versés à l'administration fiscale française en vue de régulariser ces avoirs ; que Monsieur J... a également invité l'appelante à lui adresser un mémoire en réponse avant de rendre sa sentence ;

Qu'ainsi, Madame D... a été mise en mesure de débattre contradictoirement ;

Considéran par ailleurs, que Madame D... prétend à tort avoir été privée de la faculté de faire appel de la sentence du fait de la mauvaise qualification que lui a donné l'arbitre unique alors qu'il ne s'agit pas d'un cas d'annulation prévu par l'article 1502 du code de procédure civile et que la question d'une éventuelle recevabilité de son appel de la sentence rendue en Suisse relève de la compétence du juge helvétique ;

Considérant enfin que le contrôle par le juge du principe de la contradiction ne porte que sur sa violation par le tribunal arbitral et non devant l'administration fiscale ;

Que le moyen est infondé ;

Sur le quatrième moyen : la violation de l'ordre public international (article 1502 5° du code de procédure civile)

Madame D... invoque, au visa de l'article 1502 5° du code de procédure civile, de l'article V §2 b de la convention de New-York et de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme,

- en premier lieu, la violation de l'autorité de la chose jugée des jugements des 29 mars 2000 et 12 septembre 2005 du tribunal de grande instance de Paris en vertu de l'article 1351 du code civil et l'impossibilité pour Madame I... de saisir l'arbitre en changeant de stratégie au regard du principe de la concentration du litige,

- en second lieu, la méconnaissance de deux de ses droits fondamentaux à savoir, ne pas porter atteinte à l'effectivité de ses droits concrets (article 1er du protocole additionnel n°1 à la CEDH) ni à son droit à un recours effectif prévu par l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme, soutenant qu'il a été porté atteinte à son droit de propriété au regard des mesures conservatoires prises sur ses biens pour l'exécution d'une sentence arbitrale revêtue de l'exequatur sans aucun contrôle,

- en troisième lieu, la fraude procédurale commise par Madame I... en contrariété avec l'ordre public international de procédure puisque celle-ci n'a pas communiqué dans la requête en arbitrage, la lettre du 25 mai 2000 de l'administration fiscale française justifiant qu'elle avait régularisé ses déclarations ISF au titre des années 1996 à 1999 à la suite de la convention du 8 décembre 1999, ajoutant que Madame I... a pratiqué du 'forum shopping' en saisissant un arbitre suisse complaisant pour obtenir de celui-ci ce qu'elle n'avait pu obtenir devant le tribunal de grande instance de Paris.

Mais considérant que le tribunal arbitral saisi de la répartition interne entre Madame D... et Madame I..., sans remise en cause de leurs qualités respectives, de la charge fiscale, notamment au regard des engagements pris par Madame D..., n'a pas porté atteinte à l'autorité de chose jugée des jugements antérieurs ; que par ailleurs, Madame D... ne démontre pas en quoi la solution donnée par l'arbitre heurterait l'ordre public international au regard du principe qu'elle allègue de concentration du litige ;

Considérant sur l'atteinte à l'effectivité des droits concrets dont se plaint Madame D... qui ne peut porter sur les mesures conservatoires prises sur ses biens, que l'appelante ne démontre pas une violation flagrante, effective et concrète de l'ordre public international du fait des condamnations à paiement contenues dans la sentence arbitrale alors qu'un appel contre la décision d'exequatur lui est ouvert et qu'elle n'établit pas en quoi cette voie de recours ne constitue pas un recours effectif au sens de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Considérant enfin, que la fraude procédurale alléguée n'est pas démontrée dès lors que d'une part Madame D... se borne à se prévaloir d'une lettre de l'administration fiscale qui l'invite à présenter ses observations dans un délai de trente jours au regard des majorations envisagées et d'autre part le recours à un arbitre suisse résulte de la convention signée entre les parties ;

Que le moyen d'annulation pris de la violation de l'ordre public international est rejeté ;

Sur la demande subsidiaire formée par Madame D...

Madame D... soutient que s'agissant d'un arbitrage interne, elle est recevable et bien fondée à obtenir sur le fondement de l'article 1483 du code de procédure civile, la réformation ou l'annulation de la sentence pour les mêmes moyens de fait et de droit que ceux qu'elle a invoqués dans le cadre de l'article 1502 du code de procédure civile ;

Mais considérant que seule la voie de l'appel lui est ouverte à l'encontre de l'ordonnance d'exequatur, l'examen au fond de la sentence étant exclu ;

Que Madame D... est déclarée irrecevable en son appel de la sentence arbitrale sur le fondement de l'article 1483 du code de procédure civile ;

Sur les autres demandes

Considérant que Madame D... ne rapportant pas la preuve des préjudices qu'elle allègue, sa demande de dommages et intérêts est rejetée ;

Considérant par ailleurs que sa demande tendant à faire défense à Madame I... de lui nuire directement ou indirectement est sans objet ;

Considérant que Madame I... qui n'établit pas de circonstances particulières ayant fait dégénérer en abus le droit d'ester en justice de Madame D..., est déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Considérant que la demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile présentée par la recourante qui succombe, ne peut prospérer ;

Considérant que l'équité commande de ne pas faire application de cet article au profit de Madame I... ;

PAR CES MOTIFS,

Rejette la demande de sursis à statuer,

Confirme l'ordonnance d'exequatur de la sentence arbitrale rendue à Genève le 30 décembre 2009 ;

Déclare Madame D... irrecevable en son appel de la sentence arbitrale sur le fondement de l'article 1483 du code de procédure civile ;

Déboute Madame D... et Madame I... de leurs demandes respectives de dommages et intérêts ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne Madame D... aux dépens et admet Maître B... G... , avoué au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

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