TUE, 1re ch., 10 septembre 2025, n° T-58/24
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Annulation
PARTIES
Demandeur :
TikTok Technology Ltd (Sté)
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mastroianni (rapporteur)
Juges :
Mme Brkan, M. Gâlea, M. Tóth, M. Valasidis
Avocats :
Me Batchelor, M. Frese
Arrêt
Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, TikTok Technology Ltd, demande l’annulation de la décision d’exécution C(2023) 8173 final de la Commission, du 27 novembre 2023, portant fixation du montant de la redevance de surveillance applicable à TikTok en vertu de l’article 43, paragraphe 3, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
La requérante est l’établissement principal, dans l’Union européenne, du fournisseur du service d’hébergement TikTok. Ce service, qui a été lancé dans l’Union, dans sa version actuelle, en août 2018, permet à ses utilisateurs de rechercher, de visionner et de diffuser des vidéos, ainsi que d’interagir, de communiquer et de partager des contenus avec d’autres utilisateurs.
Conformément à l’article 43, paragraphes 1 à 3, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) (JO 2022, L 277, p. 1, ci-après le « DSA »), la Commission européenne perçoit auprès des fournisseurs de très grandes plateformes en ligne (ci-après les « TGP ») et de très grands moteurs de recherche en ligne (ci-après les « TGMR »), désignés comme tels en application de l’article 33 dudit règlement, une redevance de surveillance annuelle pour chacun de leurs services ainsi désignés, fixée au moyen d’un acte d’exécution, afin de couvrir les frais estimés qu’elle doit engager pour mener à bien les missions de surveillance que lui confie le DSA. Conformément à l’article 43, paragraphe 4, dudit règlement, la Commission détermine ladite redevance en appliquant la méthode qu’elle a fixée dans un acte délégué, dans le respect des principes prévus à l’article 43, paragraphe 5, du même règlement.
Le 2 mars 2023, la Commission a adopté, à cet effet, le règlement délégué (UE) 2023/1127 complétant le règlement 2022/2065 en fixant, dans le détail, la méthode et les procédures afférentes aux redevances de surveillance imposées par la Commission aux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne et de très grands moteurs de recherche en ligne (JO 2023, L 149, p. 16).
Le 25 avril 2023, la Commission a adopté la décision C(2023) 2720 final désignant TikTok comme une TGP, conformément à l’article 33, paragraphe 4, du DSA.
Le 26 avril 2023, cette décision a été notifiée à la requérante en tant qu’établissement principal dans l’Union du fournisseur de TikTok. Une copie de cette décision a été envoyée à ByteDance, la société contrôlant le groupe d’entités juridiques auquel appartient la requérante.
Le 29 septembre 2023, la Commission a communiqué à la requérante le montant provisoire de la redevance annuelle de surveillance en ce qui concerne TikTok, conformément à l’article 6, paragraphe 3, du règlement délégué 2023/1127, dont une copie a également été envoyée à ByteDance. Le 12 octobre 2023, la requérante a présenté ses observations à la Commission.
Le 27 novembre 2023, la Commission a adopté la décision attaquée portant fixation du montant de la redevance de surveillance annuelle applicable à TikTok pour l’année 2023. Ce montant a été déterminé, conformément à l’article 43, paragraphe 3, second alinéa, du DSA, en suivant la méthode et les procédures définies dans le règlement délégué 2023/1127, en particulier à son article 5. Aux fins de la détermination dudit montant, la Commission a fait appel, notamment, à deux opérateurs tiers, SensorTower et Similarweb, et a suivi une méthodologie commune à toutes les TGP et TGMR, qu’elle a annexée à la décision attaquée, pour calculer le nombre mensuel moyen de destinataires actifs dans l’Union (ci-après le « NMDA ») des services désignés et répartir entre ces derniers la redevance de surveillance annuelle, conformément aux principes énoncés à l’article 43 du DSA. Une copie de cette décision a également été envoyée à ByteDance.
Conclusions des parties
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– à titre subsidiaire, en cas d’annulation de l’article 5, paragraphes 2 ou 4, du règlement délégué 2023/1127 ou de la décision attaquée, maintenir les effets dudit règlement ou de ladite décision jusqu’à ce qu’elle ait pris les mesures nécessaires pour remédier aux vices constatés ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, cinq moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 43, paragraphe 5, sous b), du DSA et, par voie d’exception, de l’illégalité de l’article 4, paragraphe 2, du règlement délégué 2023/1127, le deuxième, de la violation de l’article 43, paragraphe 5, sous c), du DSA et, par voie d’exception, de l’illégalité de l’article 5, paragraphe 2, du règlement délégué 2023/1127, le troisième, de la violation de l’article 43, paragraphe 5, sous b), du DSA et, par voie d’exception, de l’illégalité de l’article 5, paragraphe 4, du règlement délégué 2023/1127, le quatrième, de la violation de l’article 43, paragraphe 2, du DSA et, par voie d’exception, de l’illégalité de l’article 2, paragraphe 2, sous a), du règlement délégué 2023/1127 et, le cinquième, de la violation du droit d’être entendu, tel que consacré par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’obligation de motivation.
Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 43, paragraphe 5, sous b), du DSA et, par voie d’exception, de l’illégalité de l’article 4, paragraphe 2, du règlement délégué 2023/1127
À l’appui du premier moyen, la requérante invoque, en substance, cinq branches, tirées, la première, de ce que le recours à la méthodologie commune ne serait pas licite, la deuxième, de la violation de l’article 43, paragraphe 5, sous b), du DSA, lu en combinaison avec l’article 3, premier alinéa, sous p), du DSA, concernant la définition légale du NMDA, la troisième, de ce que la méthode employée dans la décision attaquée pour estimer le NMDA traite les plateformes de façon discriminatoire, la quatrième, de ce que ni l’article 43 du DSA ni l’article 4, paragraphe 2, du règlement délégué 2023/1127 ne fournissent de base légale à l’adoption d’une méthode de calcul du NMDA dans un acte d’exécution et, la cinquième, d’une exception d’illégalité concernant l’article 4, paragraphe 2, du règlement délégué 2023/1127.
Le Tribunal considère qu’il y a lieu d’examiner, d’abord, la première et la quatrième branche conjointement.
Par la première branche, la requérante reproche, en substance, à la Commission d’avoir déterminé le montant de la redevance sur le fondement d’une estimation du NMDA qui n’est pas, selon elle, prévue par le DSA, et ce alors que, d’une part, elle aurait dû se fonder sur les chiffres déclarés par les fournisseurs eux-mêmes et, d’autre part, dans la mesure où ces chiffres lui auraient semblé incomplets ou imprécis, elle aurait pu exercer les pouvoirs que lui reconnaît le DSA pour obtenir toute information complémentaire auprès de ces derniers.
La Commission estime, quant à elle, que rien dans le DSA ne faisait obstacle à ce que, pour des raisons de transparence, d’égalité de traitement et de confidentialité, elle ait recours aux données, selon elle fiables, qui avaient été recueillies par deux opérateurs tiers et indépendants, dans le bref laps de temps dont elle a disposé pour adopter les actes d’exécution relatifs aux redevances.
Par la quatrième branche, la requérante fait valoir qu’aucune base juridique n’autorise la Commission à adopter, par la voie d’un règlement délégué ou au moyen d’un simple acte d’exécution comme la décision attaquée, une méthode de calcul du NMDA dans le cadre de l’article 43 du DSA. La Commission aurait ainsi tenté de réécrire le DSA, de contourner les procédures d’adoption des actes délégués et de créer une deuxième méthode parallèle de calcul du NMDA qui aurait abouti à un chiffre différent de celui utilisé aux fins de la désignation des services (article 24, paragraphe 2, du DSA).
Or, selon la requérante, dans le but de préserver une cohérence entre le NMDA visé à l’article 24, paragraphe 2, du DSA et celui visé à l’article 33 du DSA, la Commission aurait dû utiliser le même NMDA que celui que les fournisseurs dont les services ont été désignés ont déclaré aux fins de l’application de l’article 24 du DSA.
En tout état de cause, la requérante estime que la Commission aurait mêlé acte d’exécution et acte délégué et qu’elle n’était pas en droit d’adopter ladite méthode dans un acte d’exécution sans respecter l’article 33, paragraphe 3, et l’article 87 du DSA. En outre, selon elle, la Commission n’a pas adopté le règlement délégué 2023/1127 sur le fondement de l’article 33, paragraphe 3, du DSA et la méthode de calcul du NMDA ne figure pas dans le règlement délégué 2023/1127, mais dans la décision attaquée.
Enfin, la requérante soutient que c’est illégalement que la décision attaquée renvoie à l’article 4, paragraphe 2, du règlement délégué 2023/1127 pour justifier que la Commission ait recours à « toute autre information dont [elle] dispose » au 31 août d’une année donnée pour calculer le NMDA, dès lors que cette disposition ne constitue pas une base pour la détermination des redevances de surveillance de la décision attaquée et que, en tout état de cause, l’article 43, paragraphe 4, du DSA n’autorise pas la Commission à « obtenir des données nouvelles ou différentes en matière de NMDA » aux fins de la détermination des redevances.
La Commission indique que les procédures de désignation et de fixation de la redevance sont juridiquement distinctes et poursuivent des finalités différentes. Selon elle, l’article 43, paragraphe 5, du DSA ne mentionne pas l’article 24, paragraphe 2, du DSA et ne fait que mentionner que la redevance doit être proportionnelle au NMDA. En ce sens, le DSA aurait bien été respecté. La Commission soutient qu’elle n’est donc tenue ni au titre de l’article 43 du DSA ni au titre de l’article 4, paragraphe 2, du règlement délégué 2023/1127 d’utiliser les NMDA déclarés par les fournisseurs, mais qu’elle jouit d’une marge d’appréciation à cet égard pour également avoir recours à « toute autre information à [sa] disposition ».
La Commission précise que la méthodologie annexée à la décision attaquée avait pour seul but d’informer les fournisseurs des données et des sources d’information utilisées, qui avait ensuite abouti à une méthodologie commune et qui lui avait permis de satisfaire à son obligation de motivation. Cette méthodologie ne serait donc pas « une méthodologie pour calculer le NMDA, aux fins [de l’article 33,] paragraphe 1[, du DSA] et de l’article 24, paragraphe 2, [du DSA] » au sens de l’article 33, paragraphe 3, du DSA, mais simplement une méthodologie décrivant comment la Commission a traité et utilisé les données relatives au NMDA qui étaient à sa disposition. La Commission soutient ensuite qu’elle n’a pas méconnu l’article 43 du DSA, mais qu’elle a été contrainte de « retraiter ces données d’une manière ou d’une autre » afin de se conformer au DSA et au règlement délégué 2023/1127.
Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 33, paragraphe 3, du DSA, concernant la désignation des plateformes en ligne et les moteurs de recherche en ligne en tant que TGP ou TGMR, « [l]a Commission peut adopter des actes délégués, conformément à l’article 87 [du DSA], après avoir consulté le comité [européen des services numériques], pour compléter les dispositions du [DSA] en établissant la méthodologie pour calculer le [NMDA] aux fins du paragraphe 1 du présent article et de l’article 24, paragraphe 2, [du DSA] en veillant à ce que cette méthode tienne compte des évolutions du marché et de la technologie ».
Par ailleurs, selon la dernière phrase de l’article 33, paragraphe 4, premier alinéa, du DSA, lorsqu’elle adopte une décision désignant une TGP ou un TGMR, « [l]a Commission prend cette décision sur la base des données communiquées par le fournisseur de la plateforme en ligne ou du moteur de recherche en ligne en vertu de l’article 24, paragraphe 2, [du DSA,] des informations demandées en vertu de l’article 24, paragraphe 3, [du DSA] ou de toute autre information à [sa] disposition ».
En outre, concernant la détermination de la redevance de surveillance, l’article 43, paragraphes 3 à 5, du DSA prévoit ce qui suit :
« 3. Une redevance de surveillance est perçue chaque année auprès des [TGP] et des [TGMR] pour chaque service pour lequel ils ont été désignés en vertu de l’article 33 [du DSA].
La Commission adopte des actes d’exécution fixant le montant de la redevance de surveillance annuelle pour chaque TGP et TGMR. Lorsqu’elle adopte ces actes d’exécution, la Commission applique la méthode établie dans l’acte délégué visé au paragraphe 4 du présent article et respecte les principes énoncés au paragraphe 5 du présent article. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure de consultation visée à l’article 88 [du DSA].
4. La Commission adopte des actes délégués conformément à l’article 87 [du DSA] fixant, dans le détail, la méthode et les procédures à employer pour :
[...]
b) la détermination des redevances de surveillance annuelles individuelles visées au paragraphe 5, points b) et c) ;
[...]
Lorsqu’elle adopte ces actes délégués, la Commission respecte les principes énoncés au paragraphe 5 du présent article.
5. L’acte d’exécution visé au paragraphe 3 et l’acte délégué visé au paragraphe 4 respectent les principes suivants :
[...]
b) la redevance de surveillance annuelle est proportionnelle au [NMDA] de chaque [TGP] ou de chaque [TGMR] désigné en vertu de l’article 33 [du DSA] ;
[...] »
Conformément à l’article 87, paragraphe 4, du DSA, avant l’adoption d’un acte délégué, la Commission consulte les experts désignés par chaque État membre. En outre, en vertu de l’article 87, paragraphe 6, du même règlement, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne peuvent exprimer une objection avant l’entrée en vigueur d’un tel acte.
Enfin, concernant la détermination du montant de base par service, l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement délégué 2023/1127 dispose ce qui suit :
« 1. Pour chaque service désigné soumis aux redevances de surveillance conformément à l’article 3, le montant de base pour l’année n est calculé comme la part du montant total des frais annuels estimés pour l’année n + 1 conformément à l’article 2, fixée proportionnellement au [NMDA] du service désigné, compte tenu du coefficient (U) visé au paragraphe 2 du présent article, et […] compte tenu du coefficient (T) […], selon la formule suivante :
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2. La valeur du coefficient (U) pour le calcul du montant de base pour chaque service désigné est la valeur fixée à l’annexe II correspondant au [NMDA] en millions d’unités, arrondi à la centaine de milliers la plus proche.
Le [NMDA] de chaque service désigné déterminant le coefficient applicable conformément au premier alinéa du présent paragraphe est celui qui résulte des données communiquées par le fournisseur de la plateforme en ligne ou du moteur de recherche en ligne en application de l’article 24, paragraphe 2, du [DSA], ou des informations demandées en vertu de l’article 24, paragraphe 3, dudit règlement ou de toute autre information dont dispose la Commission, telles qu’elles sont disponibles au 31 août de l’année n.
[...] »
En l’espèce, il est précisé, au considérant 31 de la décision attaquée, que le NMDA de chaque service désigné, déterminant le coefficient (U) applicable pour la détermination de la redevance de surveillance, peut résulter des données communiquées par le fournisseur du service, conformément à l’article 24, paragraphe 2, du DSA, des informations demandées en vertu de l’article 24, paragraphe 3, du même règlement ou de toute autre information dont la Commission dispose.
Ensuite, au considérant 32 de la décision attaquée, il est indiqué que, compte tenu des différentes méthodologies, de la disponibilité différente d’informations publiques sur celles-ci, des différents degrés de précision et des différentes sources de données utilisées par les fournisseurs des services désignés pour calculer le NMDA de leurs services ainsi que de la confidentialité revendiquée par certains de ces fournisseurs, il convenait de s’appuyer sur une méthodologie commune et sur des sources de données communes pour appliquer le coefficient (U) de manière cohérente entre les différents services désignés, conformément à l’article 4, paragraphe 2, du règlement délégué 2023/1127. Sur la base de la méthodologie commune et des sources de données communes figurant dans l’annexe de la décision attaquée, la Commission a donc calculé le NMDA de TikTok et le coefficient (U) correspondant nécessaires pour déterminer le montant de la redevance de surveillance facturé à la requérante (voir considérant 33 de la décision attaquée).
En outre, au considérant 38 de la décision attaquée, la Commission a souligné l’existence de difficultés, découlant de plusieurs raisons, à repérer les informations sur le NMDA des TGP et des TGMR ainsi que sur la méthodologie sur laquelle les fournisseurs s’étaient fondés pour calculer leur NMDA. Dans ces conditions, la Commission a indiqué qu’il lui était impossible, dans les délais prévus à l’article 6, paragraphes 3 et 4, du règlement délégué 2023/1127, de procéder à une comparaison fiable des NMDA déclarés entre les différents services désignés pour la détermination de la redevance de surveillance, conformément à l’article 43, paragraphe 5, sous b), du DSA. Par ailleurs, elle a justifié le recours à des sources de données tierces par la finalité et la nature différente de la procédure relative à la détermination des redevances de surveillance par rapport à celle relative à la désignation des TGP et des TGMR (voir considérant 39 de la décision attaquée).
Enfin, en réponse à l’argument soulevé par la requérante dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée, selon lequel la méthodologie commune manquerait de base juridique, la Commission fait observer, au considérant 34 de la décision attaquée, que l’article 4, paragraphe 2, du règlement délégué 2023/1127 l’habilite à identifier le NMDA aux fins de la détermination de la redevance de surveillance, sur la base des données déclarées par les fournisseurs, des informations demandées par la Commission ou le coordinateur des services numériques, ou de toute autre information disponible à la Commission. Sur la base de la disposition et des informations disponibles au 31 août de l’année en cours, la Commission affirme donc avoir élaboré une méthodologie commune à cette fin, comme cela est indiqué au considérant 32 de la décision attaquée.
Le Tribunal examinera si le DSA permet le recours à une méthodologie commune de calcul du NMDA (première branche du premier moyen), avant d’apprécier si, dans le cas d’espèce, la Commission a violé l’article 43 dudit règlement en adoptant une telle méthodologie dans le cadre d’un acte d’exécution (quatrième branche du premier moyen).
En premier lieu, force est de constater qu’aucune disposition du DSA ou du règlement délégué 2023/1127 ne fait obstacle à ce que la Commission suive une méthodologie donnée pour le calcul du NMDA. En outre, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que l’élément pertinent pour les besoins de l’application de l’article 43 du DSA n’est pas le NMDA en termes absolus de chaque service désigné, mais sa valeur relative par rapport aux autres services désignés.
En l’espèce, la Commission pouvait valablement nourrir des doutes concernant la cohérence d’ensemble des méthodes de calcul du NMDA employées par les différents fournisseurs, d’autant plus qu’elle ne disposait pas des données de certains d’entre eux.
Il s’ensuit qu’elle était fondée à utiliser une méthodologie commune également dans un souci de transparence et d’égalité de traitement desdits fournisseurs, compte tenu du fait que, au titre de l’article 43 du DSA, la répartition des frais de surveillance doit être proportionnelle au NMDA de chaque service désigné, de sorte que la première branche doit être écartée.
Par ailleurs, dès lors qu’il résulte du libellé de l’article 4, paragraphe 2, second alinéa, du règlement délégué 2023/1127 (voir point 26 ci-dessus) que celui-ci n’impose aucune hiérarchie entre les trois sources d’information indiquées, celles-ci étant clairement présentées comme procédant d’une alternative, la Commission n’était pas tenue, en l’espèce, de privilégier ou d’ignorer l’une d’entre elles. Partant, c’est à juste titre que la Commission a décidé de se fonder sur « toute autre information dont [elle] dispos[ait] » au sens de la disposition susmentionnée.
En deuxième lieu, il ressort de l’économie générale et des objectifs du DSA que la notion de « NMDA » doit être appréhendée de manière uniforme et cohérente, indépendamment du contexte et de la finalité de sa mise en œuvre, ce qui est, au demeurant, confirmé par le considérant 77 dudit règlement. En effet, si l’intention du législateur était de prévoir des régimes juridiques distincts selon que la finalité de l’utilisation du NMDA était la désignation d’un service comme relevant des TGP ou des TGMR ou la détermination de la redevance de surveillance, il l’aurait prévu expressément selon des termes clairs et précis.
Ainsi, si la Commission est certes en droit d’adopter une méthodologie commune de calcul du NMDA, elle ne peut toutefois pas se soustraire au contrôle de la procédure d’adoption des actes délégués, telle que prévue, notamment, à l’article 87, paragraphes 4 et 6, du DSA, en se bornant à annexer cette méthodologie commune à chaque acte d’exécution.
En effet, conformément à l’article 43, paragraphe 4, du DSA, la Commission est tenue d’adopter des actes délégués fixant, dans le détail, la méthode et les procédures à employer pour déterminer les redevances de surveillance annuelles individuelles de chaque fournisseur et, aux termes de l’article 43, paragraphe 5, sous b), du même règlement, ces redevances doivent être proportionnelles au NMDA de chaque TGP ou TGMR.
En outre, l’article 4 du règlement délégué 2023/1127 précise les modalités pour déterminer le montant de base, pour chaque service, au moyen d’une formule contenant notamment le coefficient (U), dont la valeur correspond au NMDA de chaque service concerné, sans toutefois y inclure de méthode de calcul du NMDA en tant que tel.
Or, le calcul du NMDA étant nécessaire à la détermination de la redevance de surveillance de chaque service en vertu de l’article 43, paragraphe 5, sous b), du DSA, la Commission l’a calculé en s’appuyant sur une « méthodologie commune », qu’elle a cependant annexée à la décision attaquée ainsi qu’aux actes d’exécution adressés aux autres fournisseurs de services désignés (voir considérant 32 de la décision attaquée).
S’il est vrai que, comme le souligne la Commission, contrairement à l’article 33, paragraphe 3, du DSA, l’article 43 de ce même règlement ne vise pas explicitement l’adoption d’un acte délégué pour établir la méthodologie de calcul du NMDA, il n’en demeure pas moins que ledit article fait peser sur la Commission une obligation de veiller à ce que les redevances de surveillance annuelles soient proportionnelles au NMDA de chaque service désigné tout en fixant la méthode et les procédures à employer pour la détermination de celles-ci dans le cadre d’un acte délégué et non d’un acte d’exécution.
En d’autres termes, il ressort d’une interprétation contextuelle et systématique des dispositions pertinentes du DSA que, s’il ne se réfère pas explicitement à la méthodologie mentionnée à l’article 33 du DSA, l’article 43 de ce même règlement crée un lien explicite entre la méthode de détermination des redevances de surveillance annuelles, qui ne peut qu’être fixée par l’adoption d’un acte délégué, et les NMDA des services désignés à l’aune desquels les redevances doivent être déterminées.
Par voie de conséquence, la méthodologie pour calculer le NMDA est inhérente à la détermination de la redevance de surveillance et doit être considérée comme constituant un élément essentiel et indispensable de ce dernier.
En troisième lieu, s’agissant de l’argument de la Commission tiré de ce que l’article 4, paragraphe 2, second alinéa, du règlement délégué 2023/1127 fournit suffisamment de détails concernant le calcul du NMDA, il y a lieu de constater, à l’instar de la requérante, que ladite disposition ne contient pas davantage de détails concernant ce calcul que ceux fournis par le DSA lui-même. En effet, bien que l’article 4, paragraphe 2, second alinéa, du règlement délégué 2023/1127 et la dernière phrase de l’article 33, paragraphe 4, premier alinéa, du DSA aient des finalités différentes, à savoir le calcul du NMDA, respectivement, pour la détermination des redevances et pour la désignation de TGP ou de TGMR, il y a lieu de constater que les sources d’information indiquées dans ces deux dispositions pour obtenir le NMDA sont identiques.
Partant, dès lors que, ainsi qu’il a été rappelé au point 43 ci-dessus, le calcul du NMDA est un élément essentiel et indispensable pour la détermination de la redevance, l’obligation de la Commission, prévue par l’article 43, paragraphe 4, du DSA, de fixer « dans le détail », dans un acte délégué, la méthode et les procédures pour la détermination des redevances entraîne, implicitement, mais nécessairement, l’obligation de fixer dans un tel acte, à tout le moins, des éléments suffisamment détaillés de la méthode de calcul du NMDA.
En tout état de cause, l’article 43, paragraphe 4, du DSA impose, en substance, à la Commission de préciser et de concrétiser le DSA en développant, dans un acte délégué, des détails qui n’ont pas été définis par le législateur (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 17 mars 2016, Parlement/Commission, C‑286/14, EU:C:2016:183, point 50). Or, dans la mesure où, dans le règlement délégué 2023/1127, la Commission se borne à indiquer de manière générale trois sources d’information, à savoir les données communiquées par le fournisseur en application de l’article 24, paragraphe 2, du DSA, les informations demandées en vertu de l’article 24, paragraphe 3, du DSA et toute autre information dont elle dispose, il ne saurait être considéré que la Commission a respecté l’article 43, paragraphe 4, du DSA.
Par ailleurs, en se contentant d’affirmer, lors de l’audience, que l’insertion d’une méthodologie de calcul du NMDA trop détaillée dans un acte délégué ne serait pas appropriée et qu’une telle solution serait « contre-productive », car cela entraînerait le risque de devoir mettre à jour cette méthodologie d’une année sur l’autre, notamment à la lumière de nouvelles solutions d’estimation, la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit en quoi la méthodologie commune annexée à la décision attaquée serait excessivement détaillée au regard du libellé pourtant clair et précis de l’article 43, paragraphe 4, du DSA.
Au demeurant, un tel argument contredit également le considérant 77 du DSA, selon lequel, « la détermination [du NMDA] pouvant être influencée par les évolutions du marché et les évolutions techniques, la Commission devrait être habilitée à compléter les dispositions du[dit] règlement en adoptant des actes délégués établissant la méthode permettant de déterminer les destinataires actifs d’une plateforme en ligne ou d’un moteur de recherche en ligne ».
Ensuite, l’argument soulevé par la Commission lors de l’audience, selon lequel le choix de ne pas inclure des informations détaillées dans le règlement délégué 2023/1127 répondrait à une préoccupation liée à la protection du secret d’affaires et des données confidentielles des sociétés tierces utilisées pour effectuer le calcul des NMDA, ne saurait prospérer. En effet, d’une part, la Commission n’a pas démontré en quoi la confidentialité de certaines données serait davantage protégée dans un acte d’exécution comme la décision attaquée que dans un acte délégué. D’autre part, force est de constater que, en tout état de cause, les informations confidentielles auxquelles fait référence la Commission ne figurent ni dans le règlement délégué 2023/1127 ni dans la méthodologie commune, annexée à la décision attaquée, de sorte que cet argument ne peut qu’être écarté.
Dans ces conditions, dès lors que le NMDA est tant un élément essentiel de la méthode de détermination de la redevance de surveillance qu’une notion qu’il convient d’appréhender de manière uniforme et cohérente dans l’ensemble du DSA (voir point 36 ci-dessus), il découle de l’article 43, paragraphe 3, du DSA, lu en combinaison avec l’article 33, paragraphe 3, dudit règlement, que, en adoptant la méthodologie de calcul du NMDA dans un acte d’exécution et non dans un acte délégué, la Commission a violé l’article 43, paragraphes 3 à 5, et l’article 87 du DSA.
Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments de la Commission.
En effet, premièrement, contrairement à ce que prétend la Commission, la méthodologie commune qui a été annexée à la décision attaquée ne saurait être considérée comme une simple explication motivée de la manière dont le NMDA a été calculé, mais, ainsi que l’atteste le titre même de l’annexe, une véritable méthodologie de calcul détaillée.
Bien qu’elle puisse servir à faire comprendre le raisonnement suivi par la Commission et qu’elle soit commune à tous les fournisseurs, comme la Commission l’a souligné lors de l’audience, il n’en demeure pas moins qu’une telle méthodologie, par son libellé, son contenu et sa longueur, revêt les caractéristiques d’un document de caractère général qui a vocation à s’appliquer à tous les fournisseurs, et non un simple élément de la motivation de la décision attaquée.
Deuxièmement, il convient de relever que, dès lors qu’aucune disposition du DSA, ni du règlement délégué 2023/1127 ne prévoit d’habilitation en faveur de la Commission pour compléter ou concrétiser la méthode et les procédures visées à l’article 43, paragraphe 4, du DSA, au moyen d’un acte d’exécution, le fait d’avoir annexé la méthodologie commune à la décision attaquée est également dépourvu de toute base juridique.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir la quatrième branche du premier moyen et, par conséquent, d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments, griefs ou moyens soulevés par la requérante et de statuer sur la demande d’adoption de mesures d’organisation de la procédure formée par celle‑ci.
Sur le maintien des effets de la décision attaquée
La Commission demande au Tribunal de maintenir, dans le cas où celui-ci annulerait l’article 5, paragraphes 2 ou 4, du règlement délégué 2023/1127 ou la décision attaquée, les effets dudit règlement ou de la décision attaquée jusqu’à ce que la Commission ait pris les mesures nécessaires pour remédier aux vices constatés. Cette suspension serait nécessaire, étant donné qu’une telle annulation aurait une incidence sur le niveau des redevances dues et déjà payées, pour l’année 2023, par les autres fournisseurs de services désignés ainsi que sur le niveau global des ressources dont la Commission disposerait et qu’elle aurait déjà utilisées pour mener à bien ses missions de surveillance.
La requérante soutient qu’une limitation dans le temps des effets d’une éventuelle annulation de la décision attaquée n’est pas justifiée, dans la mesure où une telle annulation ne donnerait pas lieu à des conséquences négatives graves pour la Commission ou pour le régime instauré par le DSA.
Conformément à l’article 264, premier alinéa, TFUE, si le recours est fondé, le Tribunal déclare nul et non avenu l’acte attaqué.
En vertu de l’article 266, premier alinéa, TFUE, il appartient alors à l’institution dont émane l’acte annulé de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt d’annulation.
Cela étant, aux termes de l’article 264, second alinéa, TFUE, le juge de l’Union peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer les effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, pour exercer le pouvoir que lui confère cette disposition, le juge de l’Union prend en compte le respect du principe de sécurité juridique et d’autres intérêts publics ou privés (voir arrêt du 25 février 2021, Commission/Suède, C‑389/19 P, EU:C:2021:131, point 72 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 122).
Ainsi, l’article 264, second alinéa, TFUE a notamment été interprété comme permettant, pour des motifs de sécurité juridique, mais aussi pour des motifs visant à éviter une discontinuité ou une régression dans la mise en œuvre des politiques conduites ou soutenues par l’Union, de maintenir pour un délai raisonnable les effets d’un acte annulé [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 février 2025, de Volksbank/CRU (Contributions ex ante 2018), T‑406/18, EU:T:2025:151, point 104 et jurisprudence citée].
En l’espèce, si la décision attaquée a été prise en violation de l’article 43, paragraphe 4, du DSA, ainsi que cela ressort du point 50 ci-dessus, le Tribunal n’a, en revanche, pas constaté d’erreur affectant l’obligation en soi de la requérante de verser la redevance de surveillance pour l’année 2023.
Dans ces conditions, l’annulation de la décision attaquée, sans prévoir le maintien de ses effets jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par une nouvelle décision, serait de nature à porter atteinte à la mise en œuvre de l’article 43 du DSA qui prévoit que la Commission perçoit auprès des fournisseurs de TGP et de TGMR une redevance de surveillance annuelle, dont le montant total couvre les frais engagés par la Commission pour mener à bien les missions de surveillance qui lui ont été confiées par le DSA (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 177). En effet, si la Commission était tenue de rembourser, avec effet immédiat, le montant de la redevance de surveillance de la requérante ainsi que les montants des redevances d’autres fournisseurs tels que ceux qui ont introduit un recours similaire fondé sur les mêmes moyens que ceux accueillis dans le présent recours, alors que ces fournisseurs restent en principe soumis à l’obligation de verser lesdites redevances, un tel remboursement risquerait de priver la Commission des moyens financiers nécessaires pour mener à bien les missions de surveillance qui lui ont été confiées par le DSA.
Par ailleurs, il convient de relever que, compte tenu des raisons justifiant l’annulation de la décision attaquée, à savoir le fait que la Commission a utilisé une méthodologie commune visant le calcul du NMDA en l’annexant aux actes d’exécution, la Commission ne sera pas en mesure d’adopter une nouvelle décision imposant le paiement de la redevance de surveillance à la requérante, sans préalablement établir la méthodologie pour calculer le NMDA au moyen d’un acte délégué. En effet, il incombe à la Commission, au titre de l’article 266, paragraphe 1, TFUE, de tirer les conséquences nécessaires de l’annulation de la décision attaquée en tenant compte non seulement du dispositif du présent arrêt, mais également des motifs qui en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2007, Italie/Commission, C‑417/06 P, non publié, EU:C:2007:733, point 50 et jurisprudence citée, et du 14 juillet 2016, Lettonie/Commission, T‑661/14, EU:T:2016:412, point 90). Ainsi, une nouvelle décision établissant la redevance de surveillance applicable à TikTok pour l’année 2023 ne pourrait être prise, le cas échéant, qu’à la suite d’une modification du règlement délégué 2023/1127 ou de l’adoption d’un nouvel acte délégué établissant la méthodologie pour calculer le NMDA, ce qui, en l’état actuel, pourrait par ailleurs avoir un impact sur la détermination des redevances de surveillance dans les actes d’exécution adoptés pour l’année 2024.
Par conséquent, le rejet de la demande de maintien des effets de la décision attaquée risquerait de porter atteinte à la sécurité juridique et à la bonne mise en œuvre des missions de surveillance que le DSA confie à la Commission.
Dans ces circonstances, il y a lieu de maintenir les effets de la décision attaquée jusqu’à ce que les mesures nécessaires que comporte l’exécution du présent arrêt soient prises, et ce dans un délai raisonnable qui ne saurait dépasser douze mois à compter du jour où le présent arrêt devient définitif.
Sur les dépens
Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision d’exécution C(2023) 8173 final de la Commission, du 27 novembre 2023, portant fixation du montant de la redevance de surveillance applicable à TikTok en vertu de l’article 43, paragraphe 3, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil, est annulée.
2) Les effets de la décision d’exécution C(2023) 8173 sont maintenus jusqu’à ce que les mesures nécessaires que comporte l’exécution du présent arrêt soient prises, et ce dans un délai raisonnable qui ne saurait dépasser douze mois à compter du jour où le présent arrêt devient définitif.
3) La Commission européenne est condamnée aux dépens.