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Décisions

CJUE, gr. ch., 11 septembre 2025, n° C-59/23 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Annulation

PARTIES

Demandeur :

République d’Autriche

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Vice-président :

M. von Danwitz

Juges :

M. Arabadjiev, Mme Ziemele, M. Passer, Mme Spineanu‑Matei, M. Condinanzi, Mme Frendo

Avocat général :

Mme Medina

Avocat :

Me Kristoferitsch

Présidents de chambre :

M. Gavalec, M. Biltgen, M. Jarukaitis, Mme Arastey Sahún, M. Rodin, M. Jääskinen, M. Gratsias (rapporteur)

CJUE n° C-59/23 P

10 septembre 2025

Arrêt

1 Par son pourvoi, la République d’Autriche demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 30 novembre 2022, Autriche/Commission (T‑101/18, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:728), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision (UE) 2017/2112 de la Commission, du 6 mars 2017, relative à la mesure/au régime d’aides/à l’aide d’État SA.38454 – 2015/C (ex 2015/N), que la Hongrie envisage de mettre à exécution à titre de soutien en faveur du développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires de la centrale nucléaire Paks II (JO 2017, L 317, p. 45, ci-après la « décision litigieuse »).

I. Le cadre juridique

A. La directive 2004/17/CE

2 L’article 40 de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1), intitulé « Utilisation des procédures ouvertes, restreintes et négociées », disposait, à son paragraphe 3 :

« Les entités adjudicatrices peuvent recourir à une procédure sans mise en concurrence préalable dans les cas suivants :

[...]

c) lorsque, en raison de sa spécificité technique, artistique ou pour des raisons tenant à la protection des droits d’exclusivité, le marché ne peut être exécuté que par un opérateur économique déterminé ;

[...] »

B. La directive 2014/25/UE

3 L’article 50 de la directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243), intitulé « Recours à la procédure négociée sans mise en concurrence préalable », prévoit :

« Les entités adjudicatrices peuvent recourir à une procédure négociée sans mise en concurrence préalable dans les cas suivants :

[...]

c) lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique particulier, pour l’une quelconque des raisons suivantes :

i) l’objet du marché est la création ou l’acquisition d’une œuvre d’art ou d’une performance artistique unique ;

ii) l’absence de concurrence pour des raisons techniques ;

iii) la protection des droits d’exclusivité, notamment de droit de propriété intellectuelle.

Les exceptions indiquées aux points ii) et iii) ne s’appliquent que lorsqu’il n’existe aucune alternative ou de remplacement raisonnable et que l’absence de concurrence ne résulte pas d’une restriction artificielle des paramètres du marché ;

[...] »

4 L’article 106 de cette directive, intitulé « Transposition et dispositions transitoires », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 18 avril 2016. [...] »

5 L’article 107 de ladite directive, intitulé « Abrogation », prévoit, à son premier alinéa :

« La directive 2004/17/CE est abrogée avec effet à partir du 18 avril 2016. »

II. Les antécédents du litige

6 Les antécédents du litige sont exposés aux points 2 à 9 de l’arrêt attaqué. Ils peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés comme suit.

7 Le 22 mai 2015, la Hongrie a notifié à la Commission européenne, sous le numéro C(2017) 1486, une mesure visant à fournir une contribution financière pour le développement de deux nouveaux réacteurs sur le site de la centrale nucléaire de Paks (Hongrie), dits « Paks II », respectivement l’unité 5 et l’unité 6 de celle-ci (ci-après les « deux nouveaux réacteurs nucléaires »), en plus des quatre réacteurs nucléaires qui y étaient déjà exploités. La bénéficiaire de la mesure notifiée était MVM Paks II Nuclear Power Plant Development Private Company Limited by Shares (ci-après la « société Paks II »), société dans laquelle l’État hongrois détenait 100 % du capital et qui était censée devenir la propriétaire et la société d’exploitation des deux nouveaux réacteurs nucléaires.

8 Aux termes d’un accord intergouvernemental relatif à la coopération en matière d’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, conclu le 14 janvier 2014 entre la Fédération de Russie et la Hongrie (ci-après l’« accord intergouvernemental »), ces deux États se sont engagés à coopérer, dans le cadre d’un programme nucléaire, pour la maintenance et la poursuite du développement de la centrale nucléaire de Paks. En vertu de cet accord, la Fédération de Russie et la Hongrie devaient désigner toutes deux une organisation publique expérimentée et contrôlée par l’État, financièrement et techniquement chargée de remplir ses obligations en tant que contractant ou propriétaire en ce qui concerne, notamment, la conception, la construction et la mise en service des deux nouveaux réacteurs nucléaires. La Fédération de Russie a fait appel à Nizhny Novgorod Engineering Company Atomenergoproekt (ci-après « JSC NIAEP »), une société de capitaux, pour la construction de ces deux nouveaux réacteurs nucléaires, et la Hongrie a désigné la société Paks II pour la détention et l’exploitation de ceux-ci. À cette fin, JSC NIAEP et la société Paks II ont signé, le 9 décembre 2014, un accord portant sur un contrat d’ingénierie, d’achat et de construction relatif auxdits réacteurs.

9 Dans l’accord intergouvernemental, la Fédération de Russie s’est engagée à accorder à la Hongrie un prêt d’État afin de financer le développement des deux nouveaux réacteurs nucléaires. Ce prêt était régi par un accord intergouvernemental de financement du 28 mars 2014 et permettait de fournir une ligne de crédit renouvelable de 10 milliards d’euros dont l’utilisation était limitée exclusivement à la conception, à la construction et à la mise en service de ces deux nouveaux réacteurs. La Hongrie s’est engagée à fournir un montant supplémentaire de 2,5 milliards d’euros provenant de son propre budget afin de financer l’investissement relatif auxdits réacteurs. Elle ne devait pas transférer les fonds nécessaires pour payer le prix d’achat des mêmes réacteurs sur les comptes de la société Paks II. La majeure partie de ces fonds devait être détenue par la banque de développement et des affaires économiques étrangères de Russie, la Vnesheconombank. À l’achèvement de chaque étape, la société Paks II devait déposer une demande auprès de cette banque pour le paiement de 80 % du montant dû directement à JSC NIAEP. Elle devait également déposer une demande auprès de l’agence de gestion de la dette gouvernementale de Hongrie pour le paiement des 20 % restants.

10 Dans la décision litigieuse, adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, la Commission a constaté que la mesure notifiée constituait une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui, sous réserve des conditions énoncées à l’article 3 de cette décision, était compatible avec le marché intérieur, conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. En ce qui concerne l’attribution directe de la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires à JSC NIAEP, la Commission a considéré que celle-ci ne pouvait pas produire une distorsion supplémentaire de la concurrence et des échanges sur le marché pertinent, à savoir celui de l’électricité, et que, dès lors, elle n’était pas, au vu de la jurisprudence applicable, tenue de contrôler si cette attribution était conforme à la réglementation de l’Union en matière de marchés publics. La Commission a indiqué, dans la décision litigieuse, que, en tout état de cause, une procédure distincte avait été conduite à cet égard sur le fondement de l’article 258 TFUE, dans le cadre de laquelle le respect de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics par la Hongrie avait été examiné, sans que cet examen aboutisse à un constat de violation de cette réglementation par cet État membre.

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

11 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 21 février 2018, la République d’Autriche a introduit un recours en annulation contre la décision litigieuse.

12 Le 19 juillet 2018 ont été admis à intervenir dans la procédure devant le Tribunal, au soutien des conclusions de la République d’Autriche, le Grand-Duché de Luxembourg et, au soutien des conclusions de la Commission, la République tchèque, la République française, la Hongrie, la République de Pologne, la République slovaque ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

13 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné et écarté tous les moyens soulevés par la République d’Autriche, à l’exception des deuxième et troisième moyens, auxquels cet État membre avait renoncé lors de l’audience, et a, ainsi, rejeté le recours.

IV. Les conclusions des parties au pourvoi

14 La République d’Autriche demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué dans son intégralité ;

– d’accueillir dans son intégralité le recours introduit en première instance tendant à l’annulation de la décision litigieuse, et

– de condamner la Commission aux dépens.

15 Le Grand-Duché de Luxembourg demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de faire entièrement droit à la demande d’annulation de la décision litigieuse présentée en première instance, et

– de condamner la Commission aux dépens.

16 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la République d’Autriche aux dépens.

17 La République tchèque demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la République d’Autriche aux dépens.

18 La République française, la Hongrie et, en substance, la République de Pologne demandent à la Cour de rejeter le pourvoi.

V. Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

19 Par un acte déposé au greffe de la Cour le 13 mars 2025, la Hongrie a demandé que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de sa demande, elle fait valoir, en substance, qu’elle est en désaccord avec certaines des appréciations figurant dans les conclusions de Mme l’avocate générale. En particulier, la Hongrie conteste les appréciations relatives à la portée de l’obligation qui pèse sur la Commission d’examiner, dans le cadre d’une procédure telle que celle ayant donné lieu à la décision litigieuse, si une mesure d’aide est compatible avec des dispositions du droit de l’Union autres que celles en matière d’aides d’État, notamment lorsque la Commission a déjà procédé à un tel examen dans le cadre d’une procédure en manquement à l’égard de l’État membre concerné.

20 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure ne prévoient pas la possibilité, pour les parties, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a., C‑638/19 P, EU:C:2022:50, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

21 D’autre part, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles-ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la phase orale de la procédure (arrêt du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a., C‑638/19 P, EU:C:2022:50, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

22 Certes, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 83 du règlement de procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour.

23 En l’espèce, la Cour considère, toutefois, l’avocate générale entendue, qu’elle dispose, au terme de la phase écrite de la procédure et de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue devant elle, de tous les éléments nécessaires pour statuer dans la présente affaire. Elle relève que, en tout état de cause, la demande de réouverture de la phase orale de la procédure introduite par la Hongrie, qui se concentre, pour l’essentiel, sur des questions de droit déjà débattues dans le cadre de la phase écrite de la procédure et lors de l’audience de plaidoiries, ne révèle aucun fait nouveau de nature à pouvoir exercer une influence sur la décision qu’elle est appelée à rendre dans ladite affaire.

24 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

VI. Sur le pourvoi

25 À l’appui de son pourvoi, la République d’Autriche soulève quatre moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en ce qu’il aurait conclu que l’absence de procédure de passation de marché public pour la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires n’entachait pas la décision litigieuse d’illégalité, le deuxième, d’une erreur de droit concernant le contrôle du caractère proportionné de la mesure d’aide en cause, le troisième, d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise s’agissant de la question de l’existence de distorsions disproportionnées de la concurrence ainsi que de celle du renforcement et/ou de la création d’une position dominante sur le marché et, le quatrième, d’une erreur de droit concernant la détermination des éléments constitutifs de l’aide en cause.

A. Sur le premier moyen

26 Le premier moyen de pourvoi vise les points 27 à 50 et 196 à 203 de l’arrêt attaqué.

27 En premier lieu, ce moyen est dirigé contre le rejet, par le Tribunal, du premier moyen du recours introduit en première instance, par lequel la République d’Autriche faisait valoir que la décision litigieuse était entachée d’une illégalité en raison du fait que la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires, « modalité indissociable », selon elle, de l’objet de l’aide en cause, avait été confiée à JSC NIAEP sans qu’une procédure d’appel d’offres ait été organisée, en violation de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics.

28 À cet égard, il y a lieu de relever que, aux points 25 à 50 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en substance, constaté, d’une part, que, aux considérants 279 à 287 de la décision litigieuse, la Commission s’était à bon droit fondée, à titre principal, sur le principe selon lequel elle était tenue de respecter la cohérence entre le droit des aides d’État et les dispositions régissant d’autres domaines du droit de l’Union, uniquement s’agissant des modalités de l’aide en cause à ce point indissolublement liées à son objet qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément. Se référant à l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), invoqué par la République d’Autriche, le Tribunal a constaté, tout d’abord, qu’aucune violation de dispositions du droit de l’Union du fait de l’activité économique promue par l’aide en cause, à savoir la production de l’énergie nucléaire, n’avait été invoquée devant lui. Ensuite, selon le Tribunal, aucune conséquence ne pouvait être tirée du fait que, dans cet arrêt, la Cour n’avait pas examiné l’existence d’un lien indissociable entre les modalités de l’aide concernée et cette aide elle-même, dès lors que, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, la violation des principes du droit de l’Union invoquée aurait découlé de l’objet même de ladite aide, à savoir le développement d’une centrale de production d’électricité d’origine nucléaire. Enfin, selon le Tribunal, il ne ressortait pas du même arrêt que la Cour avait entendu élargir la portée du contrôle qui incombait à la Commission en la matière, car imposer une obligation de contrôle indépendamment de l’existence d’un tel lien indissociable se serait heurté tant aux règles et aux garanties procédurales propres aux diverses procédures spécifiques à d’autres domaines du droit de l’Union qu’au principe de l’autonomie des procédures administratives et des voies de recours. Eu égard à ces considérations, le Tribunal a indiqué, au point 34 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle a estimé qu’il convenait de limiter son contrôle, dans le cadre d’une procédure menée en vertu de l’article 108 TFUE, à la mesure d’aide en cause elle-même ainsi qu’aux modalités présentant un lien indissociable avec celle-ci.

29 D’autre part, le Tribunal a jugé, au point 35 de l’arrêt attaqué, que c’était à tort que la République d’Autriche faisait valoir que constituait une « modalité indissociable » de l’objet de l’aide en cause l’attribution directe de la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires à JSC NIAEP au motif qu’une mise en concurrence aurait pu aboutir à une aide totalement différente, notamment en ce qui concerne le montant et la structure de cette dernière. À cet égard, après avoir précisé que l’aide en cause consistait en la mise à disposition, à titre gratuit, de deux nouveaux réacteurs nucléaires au profit de la société Paks II aux fins de leur exploitation, le Tribunal a considéré, au point 36 de l’arrêt attaqué, que la question de savoir si l’attribution du marché de construction de ces deux nouveaux réacteurs aurait dû faire l’objet d’une procédure d’appel d’offres concernait la fabrication et l’approvisionnement du bien qui serait mis à disposition à titre gratuit et se situait, ainsi, en amont de la mesure d’aide proprement dite, de sorte que la décision d’attribution du marché de développement et de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires ne constituait pas une modalité de l’aide elle-même.

30 À cet égard, le Tribunal a jugé, au point 37 de l’arrêt attaqué, que la conduite d’une procédure de passation de marché public et l’éventuel recours à une autre entreprise pour la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires n’aurait pas modifié l’objet de l’aide en cause, à savoir la mise à disposition à titre gratuit de deux nouveaux réacteurs aux fins de leur exploitation, ni le bénéficiaire de cette aide, à savoir la société Paks II. Par ailleurs, une violation de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics ne saurait produire des effets que sur le marché des travaux de construction des centrales nucléaires et ne saurait, dès lors, avoir des conséquences sur le marché visé par l’objet de la mesure d’aide en cause, à savoir le marché de l’électricité.

31 S’agissant, en particulier, de l’influence de l’absence d’une procédure d’appel d’offres publique sur le montant de cette aide, le Tribunal a considéré, au point 38 de l’arrêt attaqué, qu’il n’avait pas été démontré que d’autres soumissionnaires auraient pu fournir deux réacteurs de la technologie concernée « à de meilleures conditions ou à un prix inférieur ». En outre, même dans l’hypothèse où le recours à une telle procédure d’appel d’offres aurait pu affecter le montant de l’aide en cause, cette circonstance n’aurait eu en soi aucune conséquence sur l’avantage que cette aide constituait pour son bénéficiaire, étant donné que cet avantage aurait consisté en la mise à disposition gratuite des deux nouveaux réacteurs nucléaires en vue de leur exploitation. Par conséquent, selon le Tribunal, une augmentation ou une diminution du montant de l’aide en cause n’aurait affecté ni l’aide proprement dite ni son effet anticoncurrentiel.

32 En deuxième lieu, le premier moyen de pourvoi est dirigé contre le rejet par le Tribunal de la première branche du dixième moyen du recours en première instance, tiré d’une insuffisance de motivation de la décision litigieuse quant à la compatibilité de l’aide avec d’autres dispositions du droit de l’Union. En particulier, la République d’Autriche faisait valoir devant le Tribunal que la Commission n’avait pas exposé de manière adéquate les raisons pour lesquelles elle n’avait pas constaté une violation de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics du fait de l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires, qui constituerait une modalité indissociable de l’objet de l’aide en cause. Le Tribunal a jugé, à cet égard, aux points 197 et 198 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait expliqué, à titre principal, aux considérants 280 à 284 de la décision litigieuse, que, en raison de l’absence d’un lien indissociable entre la violation éventuelle de la directive 2014/25 et l’objet de l’aide en cause, la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur ne saurait être affectée par cette violation. Dès lors, la Commission n’était pas tenue, selon le Tribunal, d’indiquer dans la décision litigieuse les raisons pour lesquelles les conditions prévues à l’article 50, sous c), de la directive 2014/25 étaient satisfaites.

33 En troisième lieu, ainsi qu’il ressort des points 40 et 43 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que, au considérant 285 de la décision litigieuse, la Commission avait relevé que, en tout état de cause, elle avait évalué le respect par la Hongrie de la directive 2014/25 dans le cadre d’une procédure distincte, à savoir la procédure en manquement portant la référence NIF 2015/4231-32 (ci-après la « procédure en manquement de 2015 »), au terme de laquelle elle avait conclu que les procédures établies par cette directive étaient inapplicables à l’attribution des travaux de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires, en vertu de l’article 50, sous c), de celle-ci.

34 En examinant, en substance, ces motifs surabondants de la décision litigieuse, le Tribunal a jugé, au point 41 de l’arrêt attaqué, que c’était à bon droit que la Commission avait considéré qu’elle pouvait renvoyer à son appréciation effectuée dans le cadre de la procédure en manquement de 2015, dans l’intérêt de la cohérence des résultats de l’examen de la compatibilité de l’aide en cause et de cette procédure en manquement. Ainsi qu’il ressort du point 42 de l’arrêt attaqué, la Commission aurait plus spécifiquement considéré, au terme d’une analyse approfondie, que l’attribution directe à JSC NIAEP des travaux de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires pouvait être effectuée sans mise en concurrence préalable, étant donné que, pour des raisons techniques, il n’aurait pas existé de concurrence et, dès lors, l’article 50, sous c), ii), de la directive 2014/25 était pertinent. À cet égard, selon les points 43 à 46 de l’arrêt attaqué, la Commission a produit devant le Tribunal, à la suite d’une mesure d’organisation de la procédure, des documents dont il convenait, selon ce dernier, de déduire que la Hongrie s’était engagée à suivre des procédures de mise en concurrence pour la plupart des autres parties du projet concerné de manière transparente et en respectant les principes de base de traitement égal et de non‑discrimination. Ainsi qu’il ressort, en particulier, du point 45 de l’arrêt attaqué, selon les déclarations de la Commission lors de l’audience devant le Tribunal, cet engagement de la Hongrie serait reflété au considérant 372 de la décision litigieuse, qu’il conviendrait de lire conjointement avec son considérant 285.

35 Par ailleurs, au point 47 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré qu’il ne saurait être admis que, au titre de la procédure relative à la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur, toutes les décisions prises antérieurement et qui ont déjà fait l’objet d’une procédure distincte, régie par des règles spécifiques, au sens de l’arrêt du 15 juin 1993, Matra/Commission (C‑225/91, EU:C:1993:239, point 44), et différentes de celles applicables en matière d’aides d’État, soient remises en cause. Le principe de sécurité juridique s’opposerait à ce que la Commission réexamine l’attribution d’un marché de construction dans le cadre d’une procédure d’aide d’État alors même qu’elle ne dispose pas de nouvelles informations par rapport à celles dont elle disposait au moment auquel elle a décidé de clore une procédure en manquement menée précédemment. Or, selon la Commission, tel était le cas au moment de l’adoption de la décision litigieuse s’agissant de l’examen du respect par la Hongrie de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics dans le cadre de l’attribution du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires sur le site de Paks.

36 En ce qui concerne l’argument de la République d’Autriche selon lequel une procédure en manquement ne saurait préjuger de l’appréciation d’une éventuelle violation de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics dans le cadre d’une procédure d’aide d’État, dans la mesure où une procédure en manquement est régie par le principe d’opportunité, le Tribunal a considéré, au point 48 de l’arrêt attaqué, que cet argument était dénué de pertinence étant donné que la Commission avait effectivement engagé cette dernière procédure, dans le cadre de laquelle elle avait procédé à une analyse des raisons techniques sur lesquelles s’appuyait la Hongrie et à l’issue de laquelle elle était parvenue à la conclusion selon laquelle les conditions de l’article 50, sous c), de la directive 2014/25 étaient satisfaites. Le résultat de la procédure en manquement de 2015 aurait été qualifié en outre de « conclusion préliminaire » au considérant 285 de la décision litigieuse uniquement en raison de la possibilité d’ouvrir à tout moment une nouvelle procédure de même nature sur la base de nouvelles informations.

37 Le premier moyen de pourvoi comporte trois branches, dont il convient d’examiner les deux premières ensemble.

1. Sur les première et deuxième branches du premier moyen de pourvoi

a) Argumentation des parties

38 Dans le cadre de la première branche du premier moyen de pourvoi, la République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, reproche, tout d’abord, en substance, au Tribunal d’avoir, notamment aux points 27 et 201 de l’arrêt attaqué, opéré une distinction « artificielle » entre la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires et leur mise à disposition à titre gratuit au profit de la société Paks II, celui-ci n’ayant retenu comme objet de la mesure d’aide en cause que cette seule mise à disposition. Plus spécifiquement, la République d’Autriche considère que les mesures concourant à l’objet de l’aide en cause doivent être considérées dans leur ensemble. La « distinction stricte » opérée par le Tribunal entre la mise à disposition à titre gratuit des deux nouveaux réacteurs nucléaires et les ressources que la Hongrie y a consacrées se révélerait, ainsi, erronée. Ensuite, se référant, en particulier, aux points 2, 65, 73 et 188 de l’arrêt attaqué, la République d’Autriche fait observer, certes formellement dans le cadre du deuxième moyen de pourvoi, mais dans le cadre d’une argumentation qui relève, en substance, toujours du premier moyen de pourvoi, que le Tribunal n’a pas fourni une seule, mais plusieurs descriptions de la mesure d’aide en cause dans cet arrêt.

39 Le Tribunal aurait, par ailleurs, commis une erreur de droit en considérant que, par l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), la Cour n’avait pas entendu élargir la portée du contrôle qui incombe à la Commission dans le cadre d’une procédure telle que la procédure d’aide en cause.

40 La Commission considère que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit à cet égard et fait valoir que la République d’Autriche confond à tort l’objet de l’aide en cause et les modalités de celle-ci. Invoquant, notamment, l’arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a. (C‑284/21 P, EU:C:2023:58), elle rappelle que les modalités d’une aide ne doivent être appréciées dans le cadre d’une procédure telle que la procédure d’aide en cause que lorsqu’elles sont à ce point indissolublement liées à l’objet de l’aide concernée qu’il serait impossible de les apprécier isolément. Selon la Commission, le Tribunal a correctement opéré une distinction, en l’espèce, entre, d’une part, l’aide en cause et son objet, et, d’autre part, les modalités de cette aide et a considéré à bon droit, au point 36 de l’arrêt attaqué, qu’une procédure d’appel d’offres relative au marché de développement et de construction de deux réacteurs nucléaires se situait en amont de la mesure d’aide proprement dite, à savoir la « mise à disposition à titre gratuit de deux nouveaux réacteurs nucléaires au profit de la société Paks II aux fins de leur exploitation », et ne constituait donc pas une modalité de l’aide en cause elle-même.

41 Par ailleurs, le Tribunal aurait à bon droit constaté que la conduite d’une procédure de passation de marchés publics et l’éventuel recours à une autre entreprise pour la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires n’aurait modifié ni l’objet ni le bénéficiaire de l’aide en cause. À supposer même qu’il y aurait eu une violation de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics, ce qui ne serait pas le cas, les effets de celle-ci se seraient limités au marché des travaux de construction de centrales nucléaires et n’auraient pas de conséquences sur le marché de l’électricité, visé par la mesure d’aide en cause. De même, à supposer que le montant de l’aide en cause aurait pu être affecté par l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires, ce qui ne serait pas non plus le cas, la Commission soutient qu’elle a, en tout état de cause, effectué son appréciation de la proportionnalité de la mesure concernée de manière diligente, en tenant compte de tous les éléments pertinents.

42 Par la deuxième branche du premier moyen de pourvoi, la République d’Autriche fait valoir, tout d’abord, en substance, que, contrairement à ce que le Tribunal a indiqué, notamment aux points 35 à 39 de l’arrêt attaqué, l’attribution du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires présentait un lien direct avec la mesure d’aide en cause. Elle invoque, à cet égard, l’objectif visant à garantir une concurrence équitable et non faussée dans le marché intérieur, commun au droit des marchés publics et au droit des aides d’État. Ensuite, la République d’Autriche fait observer que, en réalité, la mise à disposition des deux nouveaux réacteurs nucléaires et le prêt accordé par la Fédération de Russie à la Hongrie présentaient un lien extrêmement étroit, les autorités russes et hongroises ayant conçu et mis en œuvre, ainsi que cela ressortirait de l’accord intergouvernemental, l’opération concernée en tant que « processus global ».

43 Toujours dans le cadre du premier moyen de pourvoi, renvoyant, sur ce point, à ses arguments formulés dans le cadre du deuxième moyen de celui-ci, la République d’Autriche souligne en outre que la violation de règles du droit des marchés publics se répercute sur l’aide elle-même, et plus précisément sur la proportionnalité et le montant de cette aide. Elle explique, par ailleurs, qu’une mise en concurrence conformément aux dispositions du droit de la passation des marchés publics aurait pu aboutir à une aide totalement différente, en ce qui concerne, en particulier, le montant et la structure de celle-ci, en ce sens qu’une offre plus avantageuse pour la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires aurait réduit directement le montant de l’aide en cause.

44 À cet égard, la République d’Autriche conteste les points 36 et 38 de l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal y a conclu qu’une augmentation ou une diminution du montant de l’aide en cause n’aboutirait pas à une modification de l’aide proprement dite ni à une modification de l’effet concurrentiel de celle-ci. Si une offre plus avantageuse avait pu être présentée, dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence, et retenue, l’aide en cause aurait pu être différente du point de vue de son montant et de sa structure. Ainsi, en l’absence d’une procédure de mise en concurrence, il ne saurait être garanti que l’aide en cause soit réellement proportionnée, à savoir limitée au minimum requis.

45 La Commission rappelle qu’il ressort de l’arrêt du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi (74/76, EU:C:1977:51), que sont indissolublement liées à l’objet d’une aide les seules modalités qu’il ne serait pas possible d’apprécier isolément. Or, en l’espèce, la question de la conformité de l’aide en cause avec la réglementation de l’Union en matière de marchés publics pourrait être appréciée séparément et l’aurait, d’ailleurs, été, dans le cadre de la procédure en manquement de 2015.

46 En ce qui concerne l’argument que la République d’Autriche tire de l’accord intergouvernemental (voir point 42 du présent arrêt), la Commission fait valoir, ensuite, que cet argument est invoqué pour la première fois dans le cadre du pourvoi et qu’il est, dès lors, irrecevable.

47 Par ailleurs, la Commission fait observer que la possibilité que le montant et la structure de l’aide en cause auraient pu être différents si une procédure de mise en concurrence avait été menée n’est pas non plus un élément pertinent, étant donné que le contrôle de la proportionnalité de l’aide en cause n’aurait pas abouti à un résultat différent. Ainsi qu’il ressortirait du point 38 de l’arrêt attaqué, l’objet de cette aide consistant en la mise à disposition gratuite de deux nouveaux réacteurs nucléaires, une augmentation ou une diminution du montant de celle-ci n’impliquerait pas, en tant que telle, une appréciation différente.

48 Lors de l’audience devant la Cour, la Commission a indiqué que le montant de l’investissement qui faisait l’objet de la mesure d’aide en cause était de 12,5 milliards d’euros, dont 10 milliards de crédit étaient accordés par la Fédération de Russie sur la base de l’accord intergouvernemental et 2,5 milliards d’euros étaient des fonds propres de la Hongrie. Elle a affirmé qu’un opérateur économique sur le marché n’aurait pas obtenu suffisamment de bénéfices par l’intermédiaire d’un tel investissement avant de conclure que, sans l’aide de la Hongrie, le projet en cause n’aurait pas été mis à exécution et que, par conséquent, cet État membre devait investir un montant de 12,5 milliards d’euros. À cet égard, en réponse à une question de la Cour, la Commission a confirmé que ce dernier montant correspondait au coût de la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires ainsi qu’à certains investissements liés à l’exploitation de ces derniers par la société Paks II.

49 La République française soutient, en substance, que, par son argumentation portant sur l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires en tant que modalité indissociable de l’aide en cause, la République d’Autriche cherche, en réalité, à contester l’appréciation, effectuée par le Tribunal, des faits et des éléments de preuve. Or, sous réserve du cas de la dénaturation, une telle appréciation ne constituerait pas une question de droit soumise, en tant que telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

b) Appréciation de la Cour

50 Par les première et deuxième branches du premier moyen de pourvoi, la République d’Autriche vise à remettre en cause l’analyse exposée aux points 35 à 38 de l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal a, au terme de cette analyse, validé la conclusion formulée, à titre principal, au considérant 284 de la décision litigieuse, selon laquelle, en l’absence d’un lien indissociable entre la violation éventuelle de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics et l’objet de l’aide en cause, l’évaluation de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur ne saurait être affectée par cette violation.

51 La République d’Autriche soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit, d’une part, en ce qu’il a exclu la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires de la définition de l’objet de la mesure d’aide en cause et, d’autre part, en ce qu’il a validé la conclusion de la Commission selon laquelle l’attribution directe du marché de cette construction ne constituait pas une modalité de cette aide indissociable de l’objet de cette dernière.

52 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité. Ainsi, une aide d’État qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 96 et jurisprudence citée).

53 Ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, au point 33 de ses conclusions, il ressort dès lors de la jurisprudence de la Cour que la Commission doit tenir compte des violations de dispositions du droit de l’Union autres que celles en matière d’aides d’État dans le cas où une telle violation découle de l’activité économique financée, de l’aide ou de son objet en tant que tels ou encore des modalités indissolublement liées à l’objet de l’aide (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74/76, EU:C:1977:51, point 14, et du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, points 98 et 103 ainsi que jurisprudence citée).

54 Ainsi, lorsque les modalités d’une aide sont à ce point indissolublement liées à son objet qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément, leur effet sur la compatibilité ou l’incompatibilité de ladite aide dans son ensemble doit nécessairement être apprécié dans le cadre de la procédure prévue à l’article 108 TFUE (arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 97 ainsi que jurisprudence citée). De telles modalités relèvent, donc, des éléments que la Commission est appelée à examiner ainsi que, le cas échéant, à approuver, de telle sorte que, si elles aboutissent à une violation de dispositions ou principes généraux du droit de l’Union, une décision adoptée par la Commission autorisant la même aide serait nécessairement entachée d’illégalité (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 99).

55 À cet égard, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 30 de l’arrêt attaqué, qu’il ne saurait être déduit de l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), que la Cour a entendu abandonner sa jurisprudence selon laquelle il convient d’opérer une distinction entre les modalités présentant un lien indissociable avec l’objet de l’aide et celles qui ne présentent pas un tel lien, et que, partant, il y avait lieu d’écarter les arguments de la République d’Autriche qui y sont afférents. Certes, la Cour ne s’est pas référée, dans l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742), à sa jurisprudence portant sur les modalités indissociables d’une aide ou de l’objet de celle-ci. Toutefois, cela tient au fait que, dans l’affaire ayant donné lieu à ce dernier arrêt, seule était en cause une prétendue violation du droit de l’Union découlant de l’activité économique même que l’aide concernée dans cette affaire visait à financer et qui, de ce fait, ne pouvait être dissociée de l’objet de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 98).

1) Sur la définition de l’objet de l’aide en cause

56 Il convient tout d’abord de vérifier si c’est à bon droit que le Tribunal a défini l’objet de l’aide en cause au point 36 de l’arrêt attaqué comme consistant en la seule « mise à disposition à titre gratuit de deux nouveaux réacteurs nucléaires au profit de la société Paks II aux fins de leur exploitation », en excluant, ainsi, de cet objet, leur construction.

57 En ce qui concerne, à titre liminaire, la recevabilité de l’argumentation dirigée contre le point 36 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de relever, d’une part, que, si, conformément à l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal, un requérant est toutefois recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens et arguments nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (voir arrêt du 4 octobre 2024, Aeris Invest/Commission et CRU, C‑535/22 P, EU:C:2024:819, point 146 et jurisprudence citée). Dès lors, contrairement à ce que soutient la République française dans sa duplique, la République d’Autriche est recevable à soulever, pour la première fois au stade du pourvoi, une argumentation dirigée contre la délimitation par le Tribunal de l’objet de l’aide en cause effectuée au point 36 de l’arrêt attaqué.

58 D’autre part, selon la jurisprudence, en cas de pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Le pouvoir de contrôle de la Cour sur les constatations de fait opérées par le Tribunal s’étend, notamment, à la dénaturation des faits, à savoir l’inexactitude matérielle de ces constatations résultant des pièces du dossier, à la dénaturation des éléments de preuve, à la qualification juridique de ceux-ci et à la question de savoir si les règles en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées (voir arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a., C‑465/20 P, EU:C:2024:724, points 168 et 169 ainsi que jurisprudence citée). Or, en l’espèce, par son argumentation visant la délimitation de l’objet de la mesure d’aide en cause effectuée par le Tribunal, la République d’Autriche conteste non pas la constatation des faits par le Tribunal, mais la qualification juridique par celui-ci de ces faits.

59 Quant au fond de l’appréciation figurant au point 36 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est basé sur la prémisse rappelée au point 56 du présent arrêt pour considérer que « [l]a question de savoir si l’attribution du marché de construction de ces deux réacteurs aurait dû faire l’objet d’une procédure d’appel d’offres concerne la fabrication et l’approvisionnement du bien qui sera mis à disposition à titre gratuit et se situe ainsi en amont de la mesure d’aide proprement dite », avant de conclure que, « [a]insi, la décision de l’attribution du marché de développement et de construction des deux nouveaux réacteurs [nucléaires] ne [constituait] pas une modalité de l’aide elle-même ».

60 Or, ne saurait être exclue de l’objet de la mesure d’aide en cause une opération dont les éléments essentiels ressortent de la notification de cette mesure et qui fait partie intégrante de celle-ci, en ce qu’elle constitue un élément nécessaire à la réalisation de ladite mesure et, partant, à l’accomplissement de son objectif.

61 En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 2 de l’arrêt attaqué, l’objectif visé par l’aide envisagée par la Hongrie était de soutenir l’activité de production d’énergie nucléaire, objectif qui était poursuivi au moyen d’un projet visant, selon l’intitulé même de la notification de la mesure d’aide en cause, le « développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires ». Il ressort également des points 5 et 6 de l’arrêt attaqué que, selon l’accord intergouvernemental, le développement de ces deux nouveaux réacteurs nucléaires incluait leur conception et leur construction, opération dont les éléments essentiels, à savoir, notamment, l’identité du constructeur et les spécifications techniques desdits deux nouveaux réacteurs nucléaires, ressortaient de la notification de la mesure d’aide en cause.

62 De surcroît, au considérant 9 de la décision litigieuse, cité au point 116 de l’arrêt attaqué, il est indiqué, au point 2.1, intitulé « Description du projet », que « [l]a mesure concerne le développement de deux réacteurs nucléaires [...] en Hongrie, dont la construction est entièrement financée par l’État hongrois au profit de l’entité Paks II [...] qui détiendra et exploitera les nouveaux réacteurs ». Dans le même contexte, aux considérants 324 à 328 de cette décision, la mesure d’aide notifiée est décrite par la Commission comme un « instrument approprié pour la construction des [...] nouveaux réacteurs » répondant à l’« objectif d’intérêt commun de la promotion de l’énergie nucléaire ».

63 S’agissant du montant de l’aide en cause, il ressort du point 188 de l’arrêt attaqué, qui reprend les indications figurant au considérant 15 de ladite décision, que cette aide « [comprenait] une ligne de crédit renouvelable de 10 milliards d’euros et un montant supplémentaire de 2,5 milliards d’euros versé par l’État hongrois ». Ainsi qu’il ressort du point 7 de cet arrêt, cette ligne de crédit était, selon l’accord intergouvernemental, fournie au moyen du prêt accordé à la Hongrie par la Fédération de Russie et son utilisation était limitée exclusivement à la conception, à la construction et à la mise en service des deux nouveaux réacteurs nucléaires. Enfin, comme il est indiqué au point 48 du présent arrêt, lors de l’audience, la Commission a confirmé que le montant investi par la Hongrie dans le cadre du projet en cause correspondait, notamment, au coût de la construction de ces deux nouveaux réacteurs nucléaires.

64 Force est, dès lors, de constater que, dans la mesure où la construction desdits réacteurs était, d’une part, un élément nécessaire pour l’accomplissement de l’objectif poursuivi par la mesure notifiée en cause et, d’autre part, une opération financée, à tout le moins indirectement, au moyen de ressources de la Hongrie, cette construction faisait partie intégrante de la mesure d’aide notifiée par cet État membre et ne pouvait pas, partant, être valablement exclue par le Tribunal de l’objet de la même mesure.

65 Partant, l’affirmation du Tribunal, au point 36 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le seul objet de cette aide était la « mise à disposition à titre gratuit des deux nouveaux réacteurs nucléaires au profit de la société Paks II aux fins de leur exploitation » procède d’une qualification juridique erronée des faits pertinents.

2) Sur l’existence d’une modalité indissociable

66 Dans ces conditions, il convient ensuite de vérifier si, malgré l’erreur dans la qualification juridique des faits constatée au point 65 du présent arrêt, c’est à bon droit que le Tribunal a, au point 39 de l’arrêt attaqué, confirmé la conclusion formulée à titre principal dans la décision litigieuse, selon laquelle l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires, à savoir l’attribution de ce marché à JSC NIAEP sans procédure d’appel d’offres public, ne constituait pas une modalité indissociable de l’objet de ladite aide, au sens de la jurisprudence citée au point 54 du présent arrêt.

67 Il y a, en effet, lieu de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de cet arrêt apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation dudit arrêt et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (arrêt du 14 décembre 2023, Commission/Amazon.com e.a., C‑457/21 P, EU:C:2023:985, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

68 À cet égard, l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires constituait nécessairement une modalité liée à l’objet de l’aide en cause, dès lors que, ainsi qu’il est constaté au point 64 du présent arrêt, cette construction faisait partie intégrante de la mesure en cause telle que notifiée par la Hongrie et visant à la mise à disposition à titre gratuit des deux nouveaux réacteurs en faveur de la société Paks II.

69 Néanmoins, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, au point 48 de ses conclusions, il convient encore d’examiner si cette modalité peut être considérée comme étant à ce point indissolublement liée à l’objet de l’aide en cause que la Commission était tenue d’inclure une appréciation de la conformité de cette modalité à la réglementation de l’Union en matière de marchés publics dans le cadre de son examen de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur.

70 Ainsi qu’il est rappelé au point 54 du présent arrêt, doivent être appréciées par la Commission dans le cadre de la procédure prévue à l’article 108 TFUE les modalités indissociables de l’objet d’une aide, à savoir celles qui sont à ce point indissolublement liées à cet objet qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément, de telle sorte que leur effet sur la compatibilité ou l’incompatibilité de cette aide dans son ensemble avec le marché intérieur doit nécessairement être apprécié dans le cadre de cette procédure.

71 En revanche, ne constituent pas des modalités indissociables de l’objet d’une aide des modalités qui, bien que faisant partie de la mesure d’aide en cause, ne sont pas concrètement nécessaires à la réalisation de son objet ou à son fonctionnement (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74/76, EU:C:1977:5, point 14, et du 2 mai 2019, AFonds, C‑598/17, EU:C:2019:352, point 47 et jurisprudence citée). Ainsi, la Cour a jugé que ne constituent pas des modalités indissociables d’une mesure d’aide des mesures, certes liées dans les faits, mais juridiquement distinctes, adoptées par l’État membre concerné (ordonnance du 14 décembre 2023, CAPA e.a./Commission, C‑742/21 P, EU:C:2023:1000, point 93 ainsi que jurisprudence citée).

72 En l’espèce, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 39 de l’arrêt attaqué, l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires constitue une modalité indissociable de l’objet de la mesure d’aide notifiée par la Hongrie à la Commission, laquelle visait à développer ces réacteurs en vue de leur mise à disposition, à titre gratuit, en faveur de la société Paks II. En effet, ainsi qu’il ressort des constatations opérées par le Tribunal aux points 6 à 8 de l’arrêt attaqué, la modalité consistant dans une telle attribution était indispensable à la réalisation de l’objet de l’aide ainsi défini.

73 Selon ces constatations, la Fédération de Russie s’est engagée à accorder à la Hongrie un prêt afin de financer le développement des deux nouveaux réacteurs nucléaires de la centrale nucléaire de Paks, dont la construction serait réalisée par JSC NIAEP, désignée par la Fédération de Russie, étant entendu que la majeure partie des fonds nécessaires à ce développement devait être détenue par la banque de développement et des affaires économiques étrangères de Russie et que cette dernière devait effectuer des versements en faveur de JSC NIAEP, à la demande de la société Paks II, pour chaque étape de construction de ces réacteurs considérée comme étant satisfaite. Ce prêt consistait ainsi en une ligne de crédit renouvelable de 10 milliards d’euros dont l’utilisation était limitée exclusivement à la conception, à la construction de ces nouveaux réacteurs et à leur mise en service. De surcroît, il était prévu que le montant supplémentaire de 2,5 milliards d’euros provenant du propre budget de la Hongrie, nécessaire pour financer ledit développement, devait également être versé directement à JSC NIAEP sur demande de la société Paks II, dans ce cas par l’agence de gestion de la dette gouvernementale de cet État membre.

74 Or, cette formule de financement, destinée spécifiquement à développer les nouveaux réacteurs en vue de leur mise à disposition à titre gratuit en faveur de la société Paks II et qui prévoyait une libération graduelle des fonds en faveur de JSC NIAEP au fur et à mesure de l’avancement des travaux de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires concernés, confirme que l’attribution directe du marché de construction de ces réacteurs à cette dernière société était indissolublement liée à ladite mise à disposition.

75 Il s’ensuit que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 52 du présent arrêt, une éventuelle violation, par cette modalité indissociable de la mesure d’aide en cause, de dispositions ou principes généraux du droit de l’Union, tels que la réglementation de l’Union en matière de marchés publics, était susceptible de faire obstacle à ce que cette mesure soit déclarée compatible avec le marché intérieur, dans le cadre d’une procédure menée au titre de l’article 108 TFUE.

76 Une analyse de la conformité de l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires à cette réglementation s’imposait d’autant plus que l’organisation d’une procédure d’appel d’offres ouverte, impartiale et inconditionnelle en vue de l’attribution d’un marché portant sur la construction d’une infrastructure est, comme le fait valoir à juste titre la République d’Autriche, susceptible d’avoir une incidence, notamment, sur le coût de l’investissement requis pour cette construction et sur les propriétés de cette infrastructure et, partant, sur l’étendue de l’avantage éventuellement accordé à une entreprise ou à un groupe d’entreprises par ce biais (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 24 octobre 2013, Land Burgenland e.a./Commission, C‑214/12 P, C‑215/12 P et C‑223/12 P, EU:C:2013:682, point 94 ; du 7 mars 2018, SNCF Mobilités/Commission, C‑127/16 P, EU:C:2018:165, point 140, ainsi que du 17 novembre 2022, Volotea et easyJet/Commission, C‑331/20 P et C‑343/20 P, EU:C:2022:886, point 126 et jurisprudence citée).

77 Certes, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il n’incombe pas à la Commission de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est saisie, quand bien même de telles informations se trouveraient dans le domaine public (arrêt du 5 septembre 2024, Slovénie/Commission, C‑447/22 P, EU:C:2024:678, point 56 et jurisprudence citée). Toutefois, en l’espèce, ainsi qu’il ressort des considérants 279 à 287 de la décision litigieuse auxquels renvoie le point 25 de l’arrêt attaqué, la question de la compatibilité de l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires avec la réglementation de l’Union en matière de marchés publics avait été soulevée par de nombreuses parties intéressées au cours de la procédure ayant abouti à la décision litigieuse.

78 Force est, dès lors, de constater, en premier lieu, que c’est à tort que le Tribunal a jugé, au point 38 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait pu considérer à bon droit que la légalité de la décision litigieuse ne dépendait pas du respect par la Hongrie des règles de l’Union en matière de passation de marchés publics étant donné que, même dans l’hypothèse où le recours à une procédure d’appel d’offres aurait pu altérer le montant de l’aide, cette circonstance n’aurait eu en soi aucune conséquence sur l’avantage que cette aide constituait pour son bénéficiaire, ayant consisté en la mise à disposition gratuite de deux nouveaux réacteurs nucléaires en faveur de la société Paks II, en vue de leur exploitation. Un tel constat est en effet incompatible avec la circonstance que la modalité constituée par l’attribution directe du marché de construction de ces réacteurs était indissolublement liée à cette mise à disposition et devait ainsi être incluse dans l’examen de compatibilité de la mesure d’aide en cause avec le marché intérieur, dans le cadre de la procédure menée en vertu de l’article 108 TFUE.

79 En second lieu, est également entachée d’erreur la constatation formulée par le Tribunal au point 37 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « une violation des règles relatives aux marchés publics produirait des effets uniquement sur le marché des travaux de construction de centrales nucléaires et ne saurait avoir de conséquences sur le marché visé par l’objet de la mesure d’aide ». En effet, une condition telle que celle ainsi formulée à ce point de l’arrêt attaqué ne ressort aucunement de la jurisprudence citée au point 52 du présent arrêt. Ainsi que Mme l’avocate générale l’a rappelé au point 56 de ses conclusions, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsque la Commission apprécie si une aide envisagée satisfait à la condition posée à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE de ne pas altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, elle doit tenir compte des effets négatifs que cette aide peut avoir sur la concurrence et les échanges entre les États membres en général (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 101).

80 Partant, il ne saurait être exclu que la violation d’une disposition du droit de l’Union susceptible de produire une distorsion de concurrence sur un marché différent, mais lié à celui visé par la mesure d’aide notifiée, doive être prise en considération par la Commission dans le cadre de son examen de la compatibilité de celle-ci avec le marché intérieur. Il en va ainsi, en l’occurrence, d’une éventuelle distorsion de concurrence ayant pu résulter, sur le marché de la construction de centrales nucléaires, de l’attribution du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires sur le site de Paks en méconnaissance de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics, dès lors que cette attribution constituait une modalité indissociable de l’objet de la mesure d’aide en cause.

81 Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que, au regard de la conclusion formulée à titre principal par la Commission dans la décision litigieuse, selon laquelle elle n’était pas tenue d’examiner si l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires était conforme à la réglementation de l’Union en matière de marchés publics, le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a considéré, d’une part, au point 36 de l’arrêt attaqué, que l’objet de la mesure d’aide en cause ne comprenait pas la construction de ces deux nouveaux réacteurs et, d’autre part, au point 39 de l’arrêt attaqué, que c’était à bon droit que la Commission avait estimé que l’attribution du marché de construction de ces deux nouveaux réacteurs nucléaires ne constituait pas une modalité de cette aide qui présentait un lien indissociable avec celle-ci.

82 Par conséquent, il y a lieu d’accueillir les première et deuxième branches du premier moyen de pourvoi.

83 Il convient, toutefois, d’examiner également la troisième branche de ce premier moyen, par laquelle la République d’Autriche conteste l’examen par le Tribunal de la conclusion formulée à titre surabondant par la Commission, selon laquelle, en substance, l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires n’entraînait, en tout état de cause, aucune violation de la directive 2014/25.

2. Sur la troisième branche du premier moyen de pourvoi

a) Argumentation des parties

84 Par la troisième branche du premier moyen de pourvoi, la République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, conteste les points 40 à 50 de l’arrêt attaqué, notamment le point 41 de celui-ci, auquel le Tribunal a indiqué, en substance, que, même à considérer que l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires pouvait être qualifiée de modalité indissociable de la mesure d’aide en cause ou de l’objet de celle-ci, c’était à bon droit que la Commission avait considéré, au considérant 285 de la décision litigieuse, qu’elle pouvait renvoyer, à titre surabondant, à son appréciation effectuée à cet égard dans le cadre de la procédure en manquement de 2015. La République d’Autriche précise que, ainsi qu’il ressort du point 40 de l’arrêt attaqué, la Commission a relevé que, en tout état de cause, le respect, par la Hongrie, de la réglementation de l’Union en matière des marchés publics avait été apprécié dans le cadre de cette procédure en manquement, dont la conclusion préliminaire avait été que les procédures établies par la directive 2014/25 étaient inapplicables à l’attribution de ce marché de construction sur le fondement de l’article 50, sous c), de cette directive.

85 Selon la République d’Autriche, un simple renvoi à une procédure en manquement non publique clôturée, à savoir la procédure en manquement de 2015, ne constitue pas une motivation suffisante, d’autant plus que des observations concernant la possible violation du droit des marchés publics avaient été soumises à la Commission avant l’adoption de la décision litigieuse. Ce constat serait confirmé par le fait que le Tribunal a dû demander à la Commission, à la suite d’une mesure d’organisation de la procédure, de lui fournir les documents pertinents sur la procédure en manquement de 2015, sans lesquels il n’aurait pas pu établir s’il y avait eu violation de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics.

86 Par ailleurs, la République d’Autriche soutient que l’exception prévue à l’article 50, sous c), ii), de la directive 2014/25 doit être interprétée de manière stricte. Or, il serait probable que les exigences techniques du projet en cause, qui se concentreraient sur les aspects de la sécurité, aient été restreintes artificiellement au modèle de construction russe afin qu’un financement russe pût être obtenu.

87 À cet égard, la République d’Autriche fait valoir que, contrairement à ce que le Tribunal a indiqué au point 38 de l’arrêt attaqué, il ne lui appartenait pas de démontrer que d’autres soumissionnaires auraient pu fournir les deux nouveaux réacteurs nucléaires « à de meilleures conditions ou à un prix inférieur ».

88 Enfin, la République d’Autriche soutient que ni le principe de l’autorité de la chose jugée ni celui de la sécurité juridique ne s’opposent à ce qu’une procédure en manquement clôturée soit rouverte à tout moment. Ainsi, selon elle, si la Commission avait conclu en l’espèce, dans le cadre de son appréciation de la mesure d’aide en cause, qu’il y avait eu violation de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics, rien ne l’aurait empêchée d’ouvrir une nouvelle procédure en manquement contre la Hongrie.

89 La Commission allègue que c’est à bon droit que le Tribunal a constaté, au point 41 de l’arrêt attaqué, qu’elle pouvait se fonder sur une procédure en manquement clôturée. Il ressortirait des éléments de preuve produits devant le Tribunal, à la suite d’une mesure d’organisation de la procédure, que l’attribution directe de la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires pour des raisons techniques conformément à l’article 50, sous c), de la directive 2014/25 était justifiée « pour les parties essentielles du projet ». La Commission souligne que, pour parvenir à une solution satisfaisante, la Hongrie s’était également dite prête à agir de manière transparente « à l’égard de la plupart des autres parties du projet ». Cet engagement aurait « permis à la Commission de clore la procédure de manquement ». Par ailleurs, examiner la conformité au droit de l’Union de l’attribution directe de la construction de ces deux nouveaux réacteurs dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à la décision litigieuse alors qu’elle l’avait déjà fait dans le cadre d’une procédure en manquement aurait nui à l’utilisation efficace des ressources de la Commission.

90 Selon la Commission, la décision de la Hongrie en la matière constitue une « décision stratégique souveraine de l’État membre », qu’elle n’avait aucune raison de contester. Cette décision serait également justifiée par l’expérience acquise auparavant avec le constructeur concerné et, ainsi que le Tribunal l’aurait indiqué au point 46 de l’arrêt attaqué, le Centre commun de recherche (JRC) et les experts de la direction générale (DG) « Énergie » de la Commission auraient confirmé la singularité technique du réacteur VVER 1200 produit par ce constructeur et choisi par la Hongrie. Du reste, comme il n’existait qu’un seul contractant pour les parties essentielles du projet, il aurait été justifié d’attribuer l’intégralité du marché en cause audit constructeur.

91 La Commission allègue qu’il ne suffit pas que la République d’Autriche relève une violation de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics, étant donné, en particulier, que, en l’espèce, « une évaluation du marché avait révélé qu’aucun autre fournisseur n’était disponible ». Partant, le Tribunal n’aurait pas demandé à la République d’Autriche de fournir une « preuve impossible », mais se serait contenté de constater, au point 64 de l’arrêt attaqué, que, dans les circonstances de l’espèce, il incombait à cet État membre de présenter des éléments indiquant qu’il existait une autre solution pour la construction de ces deux nouveaux réacteurs.

92 Du reste, les éléments de preuve que la Commission avait produits devant le Tribunal concernant la procédure en manquement de 2015 (voir point 34 du présent arrêt) auraient clairement démontré que l’attribution directe de la construction desdits réacteurs était justifiée pour les parties essentielles du projet en cause. Selon la Commission, le Tribunal a constaté à bon droit, au point 47 de l’arrêt attaqué, qu’il aurait été contraire au principe de sécurité juridique d’adopter, dans la décision litigieuse, une position contraire à celle défendue par la Commission dans le cadre de la procédure en manquement de 2015.

93 Enfin, lors de l’audience devant la Cour, la Commission a affirmé que, à l’époque de l’adjudication, en 2014, JSC NIAEP était le seul fournisseur disponible de la technologie nucléaire concernée et que cette technologie était la plus appropriée, voire la seule, pour réaliser le projet en cause. Elle a expliqué qu’aucune autre technologie ne pouvait répondre aux cahiers des charges techniques en lien avec les 2 400 mégawatts appropriés pour le marché hongrois et que c’était pour cette raison que les deux nouveaux réacteurs nucléaires devaient être considérés comme faisant partie de l’objet de l’aide en cause. En outre, il conviendrait, pour la Cour, d’effectuer son appréciation par rapport à la situation du marché de construction de réacteurs nucléaires en 2017. À cette époque, seuls les réacteurs de ladite technologie auraient été adaptés pour le site de Paks, ne serait-ce que pour des motifs de sécurité.

94 La République française fait valoir que, en ce que la République d’Autriche soulève un défaut de motivation de la décision litigieuse, son argumentation est irrecevable, dans la mesure où ce dernier État membre n’aurait pas soulevé une telle argumentation devant le Tribunal. À cet égard, la Commission allègue, dans sa duplique, que la République d’Autriche ne fait même pas valoir que les points 40 et suivants de l’arrêt attaqué, relatifs à la procédure en manquement de 2015, sont entachés d’un défaut de motivation. La République de Pologne fait valoir que toute argumentation de la République d’Autriche tendant à contester les constatations de fait effectuées par le Tribunal s’agissant de la procédure en manquement de 2015 est irrecevable.

95 En tout état de cause, la République française considère que la Commission a motivé à suffisance de droit la décision litigieuse s’agissant du respect, par la Hongrie, de la directive 2014/25. Dans la mesure où les motifs correspondants avaient été formulés « à titre entièrement surabondant », il aurait été loisible à la Commission d’adopter une motivation limitée, sans méconnaître l’article 296 TFUE, tout en conciliant l’exigence de motivation avec le caractère de principe confidentiel des éléments relevant d’une procédure en manquement clôturée. À cet égard, la République de Pologne fait valoir que, au vu de la sensibilité des informations qui y étaient afférentes, la République d’Autriche ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient rendues publiques.

b) Appréciation de la Cour

96 Par la troisième branche du premier moyen de pourvoi, la République d’Autriche reproche au Tribunal, d’une part, d’avoir commis une erreur de droit en considérant que la Commission avait motivé à suffisance de droit sa conclusion formulée à titre surabondant au considérant 285 de la décision litigieuse. À ce considérant, la Commission a indiqué, en substance, que, même à supposer qu’elle fût tenue d’examiner la compatibilité de l’attribution directe de la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires avec la réglementation de l’Union en matière de marchés publics, il n’y avait pas eu de violation de la directive 2014/25, dans la mesure où cette attribution directe relevait de l’application de l’article 50, sous c), de cette dernière.

97 D’autre part, la République d’Autriche invoque une série d’arguments dirigés contre la constatation effectuée par la Commission quant à l’absence de violation de la directive 2014/25.

98 S’agissant des arguments invoqués notamment par la République française concernant la recevabilité du grief tiré de l’absence de constatation du défaut de motivation de la décision litigieuse, il suffit de relever que, par la première branche du dixième moyen du recours introduit devant le Tribunal, la République d’Autriche avait allégué un défaut de motivation de la décision litigieuse. Il ressort d’ailleurs sans ambiguïté du point 41 de l’arrêt attaqué que la République d’Autriche a également contesté de manière expresse devant le Tribunal le fait que la Commission avait, à titre surabondant, au considérant 285 de la décision litigieuse, renvoyé à l’appréciation qu’elle avait effectuée dans le cadre de la procédure en manquement de 2015.

99 En tout état de cause, un défaut de motivation, qui relève de la violation des formalités substantielles, constitue un moyen d’ordre public dont l’examen peut avoir lieu à tout stade de la procédure, même si la partie qui l’invoque s’est abstenue de le faire devant le Tribunal (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, points 48 à 50, ainsi que du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, point 57).

100 Partant, le grief tiré de l’absence de constatation du défaut de motivation de la décision litigieuse, soulevé dans le cadre de la troisième branche du premier moyen de pourvoi est recevable.

101 S’agissant du bien-fondé de l’argumentation présentée dans le cadre de cette troisième branche, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. La motivation exigée à cet article doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de cet acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. À cet égard, il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences dudit article doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a., C‑465/20 P, EU:C:2024:724, points 389, 391 et 392 ainsi que jurisprudence citée).

102 C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, en substance, que la conclusion formulée à titre surabondant au considérant 285 de la décision litigieuse était motivée à suffisance de droit par le renvoi qui y était effectué à la procédure en manquement de 2015.

103 Il y a lieu de rappeler que, par ce considérant, la Commission s’est contentée d’affirmer que « le respect, par la Hongrie, de la directive [2014/25] [avait] été évalué dans le cadre d’une procédure distincte par la Commission, dans laquelle la conclusion préliminaire posée à partir des informations disponibles [était] que les procédures établies par [cette] directive [...] seraient inapplicables à l’attribution des travaux de construction de deux réacteurs sur la base de son article 50, [sous] c) ».

104 Certes, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 70 de ses conclusions, une procédure en manquement et une procédure menée en vertu de l’article 108 TFUE peuvent se cumuler dans le cas où une mesure étatique entre en même temps dans le champ d’application des dispositions en matière d’aides d’État et d’autres dispositions du traité.

105 Toutefois, il convient également de rappeler que la Cour a jugé que la Commission n’a pas le pouvoir de déterminer de manière définitive, dans le cadre d’une procédure en manquement, les droits et obligations d’un État membre ou de lui donner des garanties concernant la compatibilité avec le droit de l’Union d’un comportement déterminé, étant donné que, en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE, la Cour est seule compétente pour constater qu’un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombe en vertu des traités. Partant, la clôture par la Commission d’une procédure en constatation de manquement contre un État membre, qui constitue l’exercice d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire de celle-ci, sur lequel, par ailleurs, la Cour ne peut exercer un contrôle juridictionnel, ne saurait être déterminante aux fins de l’appréciation de la conformité au droit de l’Union de la réglementation ou de la mesure nationale ayant fait l’objet de cette procédure (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Tecno*37, C‑242/23, EU:C:2024:831, points 29, 32 et 33 ainsi que jurisprudence citée).

106 Ainsi, en l’espèce, certes, rien n’empêchait la Commission de se référer, dans la décision litigieuse, à la procédure en manquement de 2015 et, en particulier, aux conclusions qu’elle avait tirées au terme des appréciations effectuées à cette occasion, en tenant, le cas échéant, compte d’informations ou d’éléments qui auraient pu lui être parvenus depuis la clôture de cette procédure et avant l’adoption de la décision litigieuse.

107 En revanche, eu égard à la jurisprudence citée au point 105 du présent arrêt, une simple référence à une telle procédure en manquement ainsi qu’à la disposition qui serait, selon la Commission, applicable au cas d’espèce, sans aucune indication des autres éléments concrets pris en considération par cette institution et de la méthodologie selon laquelle celle-ci est arrivée à sa conclusion, ne saurait satisfaire aux exigences de l’article 296 TFUE.

108 Or, ainsi qu’il ressort du point 103 du présent arrêt, les motifs exposés par la Commission au considérant 285 de la décision litigieuse ne comportent aucun élément susceptible de faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de cette institution lui ayant permis d’aboutir au constat que l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs sur le site de Paks était conforme à la directive 2014/25.

109 Il ne saurait non plus en être déduit le motif pour lequel la Commission s’est fondée sur cette directive dans la décision litigieuse, alors que, conformément à l’article 106, paragraphe 1, et à l’article 107, premier alinéa, de ladite directive, le délai de transposition de celle-ci était fixé au 18 avril 2016 et que la directive 2004/17 n’a été abrogée qu’avec effet à partir de cette date. Il en est d’autant plus ainsi que, interrogée à cet égard par la Cour lors de l’audience, la Commission a déclaré que c’était la directive 2004/17 qui était, ratione temporis, applicable au cas d’espèce.

110 En tout état de cause, à supposer même que le Tribunal aurait tenu compte, dans le cadre de son appréciation, non seulement du considérant 285 de la décision litigieuse, mais également du considérant 372 de celle-ci, comme la Commission l’a invité à le faire (voir point 34 du présent arrêt), force est de constater que ce dernier considérant ne fait pas davantage apparaître d’éléments de justification tels que visés aux points 108 et 109 du présent arrêt. En effet, le considérant 372 de ladite décision relève de la partie de celle-ci consacrée aux effets potentiels de l’exploitation parallèle des réacteurs nucléaires existants sur le site de Paks et des deux nouveaux réacteurs nucléaires. S’il y est mentionné que ce serait la première fois que la technologie choisie pour la construction de ces deux nouveaux réacteurs nucléaires était utilisée en Europe ainsi que le fait que « la partie techniquement non exemptée du projet [devait] être obtenue […] selon les exigences en matière de passation de marchés de l’Union européenne », ces éléments sont mentionnés dans le cadre de la présentation des observations de la Hongrie sans être expressément validés par la Commission.

111 Par ailleurs, concernant les éléments obtenus à la suite d’une mesure d’organisation de la procédure et dont le Tribunal a tenu compte aux points 42 à 46 de l’arrêt attaqué, visés au point 34 du présent arrêt, ainsi que ceux auxquels la Commission s’est référée lors de l’audience devant la Cour, visés au point 93 du présent arrêt, il suffit de rappeler que le fait que la Commission a fourni, en cours d’instance, tant devant le Tribunal que devant la Cour, de tels éléments, le cas échéant, susceptibles de motiver la décision litigieuse ne saurait compenser l’insuffisance de la motivation initiale de cette décision. En effet, la motivation ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être explicitée, pour la première fois et a posteriori devant le juge (voir, par analogie, arrêt du 11 mai 2023, Commission/Sopra Steria Benelux et Unisys Belgium, C‑101/22 P, EU:C:2023:396, point 88 ainsi que jurisprudence citée). Or, de telles circonstances ne ressortent ni de l’arrêt attaqué et ni du dossier soumis à la Cour.

112 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que c’est en commettant une erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 48 de l’arrêt attaqué, que, en l’espèce, la Commission s’était à bon droit fondée, à titre surabondant, sur le résultat de la procédure en manquement de 2015.

113 Par ailleurs, il y a lieu de relever que la présente affaire ne saurait être comparée avec celles ayant donné lieu aux arrêts du 23 novembre 2023, Ryanair et Airport Marketing Services (C‑758/21 P, EU:C:2023:917), ainsi que du 23 janvier 2025, Neos/Ryanair et Commission (C‑490/23 P, EU:C:2025:32).

114 En effet, certes, au point 97 de l’arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair et Airport Marketing Services (C‑758/21 P, EU:C:2023:917), la Cour a affirmé que, dans le cadre d’une procédure menée au titre de l’article 108 TFUE, la Commission pouvait satisfaire à son obligation de motivation sans qu’il soit nécessaire de répondre aux arguments de parties intéressées autres que l’État membre concerné, dans la mesure où il ressortait de manière à tout le moins implicite de la décision litigieuse dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt que la Commission considérait que l’argumentation que ces parties avaient invoquée devant elle ne pouvait pas être retenue. Toutefois, ainsi qu’il peut être déduit des points 92 et 93 dudit arrêt, lesdites parties avaient été destinataires de documents adressés par la Commission dont elles devaient pouvoir déduire les éléments qu’elles reprochaient à la Commission de ne pas avoir indiqués de manière spécifique dans cette décision.

115 Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné qu’il n’a pas été établi que l’ensemble des éléments de la procédure en manquement susceptibles de compenser les insuffisances du considérant 285 de la décision litigieuse à cet égard étaient publics ou, à tout le moins, accessibles aux intéressés ayant participé à la procédure menée par la Commission au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

116 La présente affaire ne saurait non plus être comparée à celle ayant donné lieu à l’arrêt du 23 janvier 2025, Neos/Ryanair et Commission (C‑490/23 P, EU:C:2025:32). En effet, ainsi qu’il ressort des points 35 et 51 de cet arrêt, la Cour a, dans cette dernière affaire, appliqué la jurisprudence selon laquelle une décision de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une mesure d’aide en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, prise, par ailleurs, dans des délais brefs, doit uniquement contenir les raisons pour lesquelles la Commission estime ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur. Cette jurisprudence n’est, en tout état de cause, pas transposable au cas d’espèce, dès lors que la décision litigieuse n’a pas été prise à l’issue de la phase préliminaire d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

117 Du reste, l’argumentation de la République française exposée au point 95 du présent arrêt, par laquelle cet État membre prétend, en substance, que, lorsqu’elle se réfère à une procédure en manquement clôturée, la Commission est obligée de respecter le principe de confidentialité, ce qui pourrait justifier qu’une motivation succincte à cet égard puisse satisfaire aux exigences de l’article 296 TFUE, ne saurait prospérer. Il suffit, en effet, à cet égard, de rappeler que, selon la jurisprudence, si une décision de la Commission en matière d’aides d’État peut, au regard d’une telle obligation, être suffisamment motivée sans comporter l’ensemble des éléments sur lesquels s’appuie le raisonnement de cette institution, elle doit, néanmoins, faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de ladite institution, ainsi que la méthodologie employée par celle-ci, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et au juge de l’Union d’exercer son contrôle à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 111 ainsi que jurisprudence citée).

118 Partant, il y a lieu d’accueillir la troisième branche du premier moyen de pourvoi, en ce qu’elle reproche au Tribunal d’avoir omis de constater un défaut de motivation de la décision litigieuse.

119 Il résulte de tout ce qui précède, d’une part, que c’est en commettant une erreur de droit que le Tribunal a considéré que, dans la décision litigieuse, la Commission pouvait se fonder sur les motifs exposés par cette institution à titre principal, selon lesquels elle n’était pas tenue, en l’espèce, d’examiner la compatibilité de l’attribution directe de la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires avec la réglementation de l’Union en matière de marchés publics. C’est, d’autre part, en commettant également une erreur de droit que le Tribunal a considéré que la Commission avait motivé à suffisance de droit sa conclusion formulée à titre surabondant au considérant 285 de la décision litigieuse.

120 Dès lors, le premier moyen de pourvoi devant être accueilli, il convient d’annuler l’arrêt attaqué, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs soulevés dans le cadre de ce premier moyen et les autres moyens de pourvoi.

B. Sur le recours devant le Tribunal

121 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

122 En l’espèce, le litige est en état d’être jugé, la Cour disposant des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur le recours introduit par la République d’Autriche.

123 En effet, il ressort des points 78 à 81, 112, 118 et 119 du présent arrêt que la décision litigieuse est entachée, d’une part, d’une erreur de droit s’agissant de l’affirmation de la Commission selon laquelle cette institution n’était pas tenue de vérifier, en l’espèce, si l’attribution directe du marché de la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires était conforme avec la réglementation de l’Union en matière de marchés publics et, d’autre part, d’un défaut de motivation en ce que ladite institution a considéré qu’elle pouvait, en tout état de cause, se contenter d’un simple renvoi à la procédure en manquement de 2015 afin de justifier sa conclusion formulée à titre surabondant selon laquelle il n’y avait pas eu violation de cette réglementation du fait de cette attribution directe.

124 Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir, d’une part, le premier moyen du recours introduit devant le Tribunal, tiré, en substance, de ce que la Commission n’avait pas examiné, dans la décision litigieuse, si l’attribution directe du marché de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires entraînait une violation de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics ainsi que d’un défaut de motivation concernant sa conclusion formulée à cet égard à titre surabondant et, d’autre part, la première branche du dixième moyen de ce recours, tiré de la violation de l’obligation de motivation en vertu de l’article 296, paragraphe 2, TFUE, et, partant, d’annuler la décision litigieuse dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs soulevés dans le cadre de ce dixième moyen ni les autres moyens dudit recours.

VII. Sur les dépens

125 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

126 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

127 En l’espèce, la Commission ayant succombé et la République d’Autriche ayant conclu à la condamnation de celle-ci aux dépens, il y a lieu de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens, ceux de cet État membre afférents à la procédure de première instance et à la procédure de pourvoi.

128 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, dudit règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, les États membres et les institutions intervenues au litige supportent leurs propres dépens. Partant, la République tchèque, la République française, le Grand‑Duché de Luxembourg, la Hongrie et la République de Pologne supporteront leurs propres dépens afférents à la procédure de première instance et à la procédure de pourvoi.

129 Enfin, en vertu de l’article 184, paragraphe 4, du même règlement de procédure, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé de pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Eu égard à cette disposition, il y a lieu de décider que la République slovaque et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporteront leurs propres dépens afférents à la procédure de première instance.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 30 novembre 2022, Autriche/Commission (T‑101/18, EU:T:2022:728), est annulé.

2) Ladécision (UE) 2017/2112 de la Commission, du 6 mars 2017, relative à la mesure/au régime d’aides/à l’aide d’État SA.38454 – 2015/C (ex 2015/N) que la Hongrie envisage de mettre à exécution à titre de soutien en faveur du développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires de la centrale nucléaire Paks II, est annulée.

3) La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la République d’Autriche tant dans la procédure de première instance que dans la procédure de pourvoi.

4) La République tchèque, la République française, le Grand‑Duché de Luxembourg, la Hongrie et la République de Pologne supportent leurs propres dépens afférents à la procédure de première instance et à la procédure de pourvoi.

5) La République slovaque et le Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord supportent leurs propres dépens afférents à la procédure de première instance.

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