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Décisions

CJUE, 4e ch., 11 septembre 2025, n° C-115/24

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Demandeur :

UJ (Sté)

Défendeur :

Österreichische Zahnärztekammer (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jarukaitis

Juges :

M. Jääskinen, M. Arabadjiev, M. Condinanzi (rapporteur), Mme Frendo

Avocat général :

M. Rantos

CJUE n° C-115/24

10 septembre 2025

Arrêt

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, d’une part, de l’article 56 TFUE et, d’autre part, de l’article 2, sous n), de l’article 3, sous d) et e), de l’article 4, paragraphe 1, sous a), et de l’article 7 de la directive 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2011, relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (JO 2011, L 88, p. 45), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1), et de l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22).

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant UJ, médecin-dentiste, à l’Österreichische Zahnärztekammer (chambre autrichienne des médecins-dentistes) au sujet de la demande en référé introduite par cette dernière et visant à ce qu’il soit provisoirement enjoint à UJ de cesser de participer directement ou indirectement à des activités de médecine dentaire exercées en Autriche par des sociétés étrangères ne disposant pas des autorisations prévues par le droit autrichien.

Le cadre juridique 

Le droit de l’Union 

Les directives 98/34 et (UE) 2015/1535

La directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 1998, L 204, p. 37), telle que modifiée par le règlement (UE) n° 1025/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012 (JO 2012, L 316, p. 12) (ci-après la « directive 98/34 »), a été abrogée par la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1), entrée en vigueur le 7 octobre 2015.

L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2015/1535 prévoit :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

[...]

b) “service”, tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Aux fins de la présente définition, on entend par :

i) “à distance”, un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes ;

ii) “par voie électronique”, un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques ;

iii) “à la demande individuelle d’un destinataire de services”, un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.

Une liste indicative des services non visés par cette définition figure à l’annexe I ;

[...] »

Aux termes de l’article 10, second alinéa, de cette directive :

« Les références faites à la directive [98/34] s’entendent comme faites à la présente directive et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe IV. »

Il résulte de ce tableau, d’une part, que l’article 1er, paragraphe 1, sous b), premier alinéa, de la directive 2015/1535 correspond à l’article 1er, premier alinéa, point 2, premier alinéa, de la directive 98/34 et, d’autre part, que l’annexe I de la directive 2015/1535 correspond à l’annexe V de la directive 98/34.

L’annexe I de la directive 2015/1535 est intitulée « Liste indicative des services non couverts par l’article 1er, paragraphe 1, point b), deuxième alinéa ».

Le point 1 de cette annexe, intitulé « Services non fournis “à distance” », mentionne :

« Services prestés en présence physique du prestataire et du destinataire, même s’ils impliquent l’utilisation de dispositifs électroniques :

a) examen ou traitement dans un cabinet de médecin au moyen d’équipements électroniques, mais en présence physique du patient ;

[...] »

Le point 2 de ladite annexe, intitulé « Services non fournis “par voie électronique” », mentionne :

« [...]

– Services qui ne sont pas fournis au moyen de systèmes électroniques de stockage et de traitement de données :

[...]

d) consultation d’un médecin par téléphone/télécopieur ;

[...] »

La directive 2000/31

Le considérant 18 de la directive 2000/31 énonce :

« Les services de la société de l’information englobent un large éventail d’activités économiques qui ont lieu en ligne. Ces activités peuvent consister, en particulier, à vendre des biens en ligne. Les activités telles que la livraison de biens en tant que telle ou la fourniture de services hors ligne ne sont pas couvertes. Les services de la société de l’information ne se limitent pas exclusivement aux services donnant lieu à la conclusion de contrats en ligne, mais, dans la mesure où ils représentent une activité économique, ils s’étendent à des services qui ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent, tels que les services qui fournissent des informations en ligne ou des communications commerciales, ou ceux qui fournissent des outils permettant la recherche, l’accès et la récupération des données. Les services de la société de l’information comportent également des services qui consistent à transmettre des informations par le biais d’un réseau de communication, à fournir un accès à un réseau de communication ou à héberger des informations fournies par un destinataire de services. [...] L’utilisation du courrier électronique ou d’autres moyens de communication individuels équivalents par des personnes physiques agissant à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leurs activités commerciales ou professionnelles, y compris leur utilisation pour la conclusion de contrats entre ces personnes, n’est pas un service de la société de l’information. La relation contractuelle entre un employé et son employeur n’est pas un service de la société de l’information. Les activités qui, par leur nature, ne peuvent pas être réalisées à distance ou par voie électronique, telles que le contrôle légal des comptes d’une société ou la consultation médicale requérant un examen physique du patient, ne sont pas des services de la société de l’information. »

L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) “services de la société de l’information” : les services au sens de [l’article 1er, paragraphe 1, sous b), premier alinéa, de la directive 2015/1535] ;

[...]

h) “domaine coordonné” : les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux.

i) Le domaine coordonné a trait à des exigences que le prestataire doit satisfaire et qui concernent :

– l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences en matière de qualification, d’autorisation ou de notification,

– l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences portant sur le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service, y compris en matière de publicité et de contrat, ou sur la responsabilité du prestataire.

ii) Le domaine coordonnée ne couvre pas les exigences telles que :

– les exigences applicables aux biens en tant que tels,

– les exigences applicables à la livraison de biens,

– les exigences applicables aux services qui ne sont pas fournis par voie électronique. »

L’article 3 de ladite directive, intitulé « Marché intérieur », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné. »

 La directive 2005/36

Les considérants 4 et 5 de la directive 2005/36 énoncent :

« (4) Afin de faciliter la libre prestation de services, il convient de prévoir des règles spécifiques en vue d’étendre la possibilité d’exercer des activités professionnelles sous le titre professionnel d’origine. Pour les services de la société de l’information fournis à distance, les dispositions de la directive [2000/31] devraient également être applicables.

(5) Compte tenu des différents régimes instaurés, d’une part, pour les prestations de services transfrontalières temporaires et occasionnelles et, d’autre part, pour l’établissement, il convient de préciser les critères de distinction entre ces deux concepts en cas de déplacement du prestataire de services sur le territoire de l’État membre d’accueil. »

L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique à tout ressortissant d’un État membre, y compris les membres des professions libérales, voulant exercer une profession réglementée dans un État membre autre que celui où il a acquis ses qualifications professionnelles, soit à titre indépendant, soit à titre salarié. »

L’article 5 de ladite directive, intitulé « Principe de libre prestation de services », dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2. Les dispositions du présent titre s’appliquent uniquement dans le cas où le prestataire se déplace vers le territoire de l’État membre d’accueil pour exercer, de façon temporaire et occasionnelle, la profession visée au paragraphe 1.

Le caractère temporaire et occasionnel de la prestation est apprécié au cas par cas, notamment en fonction de la durée de la prestation, de sa fréquence, de sa périodicité et de sa continuité.

3. S’il se déplace, un prestataire est soumis aux règles de conduite de caractère professionnel, réglementaire ou administratif en rapport direct avec les qualifications professionnelles telles que la définition de la profession, l’usage des titres et les fautes professionnelles graves qui ont un lien direct et spécifique avec la protection et la sécurité des consommateurs, ainsi qu’aux dispositions disciplinaires applicables dans l’État membre d’accueil aux professionnels qui y exercent la même profession. »

 La directive 2011/24

Le considérant 10 de la directive 2011/24 énonce :

« La présente directive a pour but d’établir des règles visant à faciliter l’accès à des soins de santé transfrontaliers sûrs et de qualité élevée dans l’Union, et à garantir la mobilité des patients conformément aux principes établis par la Cour de justice et à promouvoir la coopération en matière de soins de santé entre les États membres, dans le plein respect des responsabilités des États membres en matière de définition des prestations de sécurité sociale liées à la santé et en matière d’organisation et de prestation de soins de santé, de soins médicaux et de prestations de sécurité sociale, en particulier pour la maladie. »

Cette directive se compose de cinq chapitres, à savoir le chapitre I, intitulé « Dispositions générales », qui contient les articles 1er à 3, le chapitre II, intitulé « Responsabilités des États membres en matière de soins de santé transfrontaliers », qui contient les articles 4 à 6, le chapitre III, intitulé « Remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers », qui contient les articles 7 à 9, le chapitre IV, intitulé « Coopération en matière de soins de santé », qui contient les articles 10 à 15, et, enfin, le chapitre V, intitulé « Dispositions finales et de mise en œuvre », qui contient les articles 16 à 23.

L’article 1er de ladite directive, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1. La présente directive prévoit des règles visant à faciliter l’accès à des soins de santé transfrontaliers sûrs et de qualité élevée et encourage la coopération en matière de soins de santé entre les États membres, dans le plein respect des compétences nationales en matière d’organisation et de prestation des soins de santé. La présente directive vise également à clarifier ses liens avec le cadre existant relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale, le règlement (CE) n° 883/2004, en vue de l’application des droits des patients.

2. La présente directive s’applique à la prestation de soins de santé aux patients, indépendamment de leur mode d’organisation, de prestation ou de financement. »

L’article 2 de la même directive, intitulé « Lien avec d’autres dispositions de l’Union », dispose :

« La présente directive s’applique sans préjudice des dispositions suivantes :

[...]

e) la directive [2000/31] ;

[...]

n) la directive [2005/36] ;

[...] »

L’article 3 de la directive 2011/24, intitulé « Définitions », est rédigé comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) “soins de santé”, des services de santé fournis par des professionnels de la santé aux patients pour évaluer, maintenir ou rétablir leur état de santé, y compris la prescription, la délivrance et la fourniture de médicaments et de dispositifs médicaux ;

[...]

d) “État membre de traitement”, l’État membre sur le territoire duquel les soins de santé sont effectivement dispensés au patient. Dans le cas de la télémédecine, les soins de santé sont considérés comme dispensés dans l’État membre où le prestataire de soins de santé est établi ;

e) “soins de santé transfrontaliers”, des soins de santé dispensés ou prescrits dans un État membre autre que l’État membre d’affiliation ;

f) “professionnel de la santé”, un médecin, un infirmier responsable des soins généraux, un praticien de l’art dentaire, une sage-femme ou un pharmacien au sens de la directive [2005/36], ou un autre professionnel exerçant des activités dans le secteur des soins de santé qui sont limitées à une profession réglementée telle que définie à l’article 3, paragraphe 1, point a), de la directive [2005/36], ou une personne considérée comme un professionnel de la santé conformément à la législation de l’État membre de traitement ;

g) “prestataire de soins de santé”, toute personne physique ou morale ou toute autre entité qui dispense légalement des soins de santé sur le territoire d’un État membre ;

[...] »

L’article 4 de cette directive, intitulé « Responsabilité de l’État membre de traitement », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Compte tenu des principes d’universalité, d’accès à des soins de bonne qualité, d’équité et de solidarité, les soins de santé transfrontaliers sont dispensés conformément :

a) à la législation de l’État membre de traitement ;

b) aux normes et orientations en matière de qualité et de sécurité établies par l’État membre de traitement ; et

c) à la législation de l’Union relative aux normes de sécurité. »

L’article 7 de ladite directive, intitulé « Principes généraux applicables au remboursement des coûts », dispose, à son paragraphe 7 :

« L’État membre d’affiliation peut imposer à une personne assurée désireuse de bénéficier du remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers, y compris des soins de santé reçus par les moyens de la télémédecine, les mêmes conditions, critères d’admissibilité et formalités réglementaires et administratives – que celles-ci soient fixées à un niveau local, régional ou national – que ceux qu’il imposerait si ces soins de santé étaient dispensés sur son territoire. Cela peut inclure une évaluation par un professionnel de la santé ou un administrateur de la santé fournissant des services pour le système de sécurité sociale obligatoire ou le système de santé national de l’État membre d’affiliation, tel que le médecin généraliste ou le prestataire de soins de santé primaires auprès duquel le patient est inscrit, si cela s’avère nécessaire pour déterminer le droit d’un patient aux soins de santé, à titre individuel. Cependant aucun(e) des conditions, critères d’admissibilité et formalités réglementaires et administratives imposés en vertu du présent paragraphe ne peut être discriminatoire ou constituer une entrave à la libre circulation des patients, des services ou des marchandises, sauf s’il (elle) est objectivement justifié(e) par des impératifs de planification liés à l’objectif de garantir sur le territoire de l’État membre concerné un accès suffisant et permanent à une gamme équilibrée de soins de qualité élevée ou à la volonté d’assurer une maîtrise des coûts et d’éviter autant que possible tout gaspillage de ressources financières, techniques et humaines. »

 Le droit autrichien

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que ni le EU-Patientenmobilitätsgesetz (loi relative à la mobilité des patients dans l’Union européenne) (BGBl. I, 32/2014), transposant la directive 2011/24, ni le Zahnärztegesetz (loi relative aux médecins-dentistes) (BGBl. I. 126/2005), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « ZÄG »), ne contiennent de dispositions relatives aux prestations de télémédecine.

En vertu de l’article 3, paragraphe 1, du ZÄG, la profession de médecin-dentiste ne peut être exercée que selon les modalités prévues par cette loi.

Selon l’article 4, paragraphe 2, de ladite loi, la profession de médecin-dentiste comprend toute activité fondée sur des connaissances scientifiques en matière de médecine dentaire, y compris les procédés thérapeutiques relevant de la médecine complémentaire et alternative, qui est exercée directement sur l’être humain ou indirectement pour celui-ci.

Conformément à l’article 4, paragraphe 3, de la même loi, le domaine d’activité réservé aux membres de la profession de médecin-dentiste comprend, entre autres, l’examen de la présence ou de l’absence de maladies et d’anomalies des dents, leur traitement, y compris les interventions cosmétiques et esthétiques sur les dents, dans la mesure où elles nécessitent un examen et un diagnostic de médecine dentaire, ainsi que la prescription de médicaments, de remèdes et d’aides au diagnostic en médecine dentaire.

En vertu des articles 24 à 26 du ZÄG, les membres de la profession de médecin-dentiste doivent exercer leur profession personnellement et directement, le cas échéant en collaboration avec d’autres membres de cette profession ou avec des membres d’autres professions de santé, notamment sous la forme de groupements de cabinets et de groupements de matériel ou de cabinets de groupe. En outre, ils peuvent, dans le cadre de l’exercice de leur profession, faire appel à des auxiliaires, à condition que ceux-ci agissent selon leurs instructions précises et sous leur surveillance permanente. Si un cabinet de groupe peut être exploité sous la forme juridique d’une société à responsabilité limitée, cela est toutefois subordonné à la condition, notamment, que tous les associés soient des membres de la profession de médecin-dentiste habilités à exercer cette profession de manière indépendante.

L’article 31 de cette loi concerne la libre prestation des services et est ainsi libellé :

« (1) Les ressortissants d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) et ceux de la Confédération helvétique qui exercent légalement la profession de médecin-dentiste dans l’un des autres États parties à cet accord ou en Suisse peuvent, dans le cadre de la libre prestation des services, exercer temporairement, à partir de leur domicile professionnel ou de leur lieu de travail à l’étranger, une activité de médecine dentaire en Autriche sans être inscrits sur la liste des médecins‑dentistes.

(2) Avant de fournir en Autriche pour la première fois une prestation de médecine dentaire qui requiert un séjour temporaire sur le territoire fédéral, le prestataire de services doit en informer par écrit la chambre autrichienne des médecins-dentistes, par l’intermédiaire de la chambre des médecins‑dentistes du Land dans lequel la prestation doit être fournie, en joignant les documents suivants : [...] »

Il ressort de la décision de renvoi que des juridictions nationales ont, s’agissant d’affaires relevant du domaine du droit de la concurrence, jugé que l’article 31 du ZÄG vise uniquement les personnes physiques autorisées à exercer la profession et non pas les sociétés à responsabilité limitée, et ce a fortiori lorsque la structure de leurs parts sociales n’est pas conforme à l’article 26 du ZÄG.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

La chambre autrichienne des médecins-dentistes est un organisme de droit public dont le siège est à Vienne (Autriche) et qui a pour mission, selon la réglementation nationale, de défendre les intérêts des médecins-dentistes et des dentistes autrichiens.

UJ est une médecin-dentiste établie en Autriche et habilitée, sur le territoire de cet État membre, à traiter des patients dans le cadre d’un contrat de soins passé avec eux.

Urban Technology GmbH et DZK Deutsche Zahnklinik GmbH sont établies en Allemagne et font partie d’un groupe d’entreprises actif dans la médecine dentaire et présent dans le monde entier.

Urban Technology a pour objet social « la fourniture de services dans le domaine des produits lifestyle pour les clients finaux ». Elle fait la promotion, par l’intermédiaire de son site Internet, d’aligneurs dentaires invisibles constitués par des gouttières buccales transparentes et commercialisés sous la marque DrSmile. Les clients potentiels peuvent, à partir de ce site, demander un rendez-vous auprès d’un « médecin-dentiste partenaire » en Autriche, tel que UJ, établi au lieu qu’ils ont choisi. Lorsqu’un tel rendez-vous est convenu, ce médecin-dentiste partenaire procède, dans son cabinet, à une anamnèse, à un entretien d’information et à un scanner 3D de la mâchoire, ainsi qu’aux soins préliminaires éventuellement nécessaires à la future mise en place de gouttières dentaires. Ledit médecin-dentiste partenaire transmet ensuite à DZK Deutsche Zahnklinik le matériel d’imagerie et une recommandation concernant la procédure d’alignement dentaire.

DZK Deutsche Zahnklinik, dont les associés ne sont pas des médecins-dentistes, dispose d’un agrément et des autres autorisations nécessaires pour exploiter en Allemagne un centre de soins en médecine dentaire, dénommé « clinique dentaire », dans lequel des médecins-dentistes traitent des patients, en conformité avec le droit allemand applicable à ce type d’établissement.

Seule DZK Deutsche Zahnklinik conclut avec les patients un contrat de soins qui comprend toutes les prestations relatives à la mise en place d’un aligneur dentaire de la marque DrSmile. Elle se procure les gouttières dentaires auprès de Urban Technology, qui, pour sa part, les commande à des tiers. Le suivi ultérieur est assuré au moyen d’une application de DZK Deutsche Zahnklinik, les patients lui transmettant régulièrement des images de leur dentition. DZK Deutsche Zahnklinik est en relation contractuelle avec le médecin-dentiste partenaire et lui rémunère les prestations fournies dans le cadre du traitement concerné.

La chambre autrichienne des médecins-dentistes a introduit, devant le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt, Autriche), une action en cessation dirigée contre UJ, assortie d’une demande en référé. Cette dernière visait à interdire à UJ, par voie d’injonction provisoire et jusqu’à ce que l’arrêt statuant sur cette action soit passé en force de chose jugée, toute participation directe ou indirecte à des activités de médecine dentaire exercées en Autriche par des sociétés étrangères qui ne disposent pas des autorisations prévues par le droit autrichien, par exemple en prenant des empreintes en cas de malpositions dentaires, même de manière numérique au moyen d’un scanner intra-oral, pour le compte desdites sociétés.

UJ a fait valoir que DZK Deutsche Zahnklinik est un établissement de soins dentaires privé agréé en Allemagne, dont tant les activités de télémédecine que la répartition du travail dans le cadre du traitement orthodontique en cause sont licites. En outre, UJ exercerait ses activités directement, personnellement et indépendamment de toute instruction.

Le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt) a rejeté la demande en référé. Il a considéré, premièrement, que UJ ne participe pas à des activités de médecine dentaire exercées par Urban Technology et DZK Deutsche Zahnklinik ; deuxièmement, qu’il existe deux contrats de soins qui doivent être considérés séparément ; troisièmement, que, pour cette raison, UJ ne doit pas être qualifiée d’auxiliaire d’exécution et, quatrièmement, qu’elle ne participe donc pas non plus, sur le territoire national, à des activités de médecine dentaire menées par une personne étrangère.

Saisi en appel, l’Oberlandesgericht Graz (tribunal régional supérieur de Graz, Autriche) a, pour l’essentiel, accueilli la demande en référé. Il a notamment considéré, premièrement, que UJ agit en tant qu’auxiliaire d’exécution de DZK Deutsche Zahnklinik dans le cadre des contrats de soins conclus entre cette dernière et les patients ; deuxièmement, que DZK Deutsche Zahnklinik n’est pas autorisée à fournir des prestations de médecine dentaire en Autriche ; troisièmement, que les prestations de soins fournies par DZK Deutsche Zahnklinik en Autriche par l’intermédiaire de UJ, agissant en tant qu’auxiliaire d’exécution, sont fournies directement et sans avoir recours à une technologie de l’information et de la communication ; quatrièmement, que UJ participe donc à des activités de médecine dentaire qui sont exercées sur le territoire national par une société étrangère non habilitée à exercer la profession de médecin-dentiste au titre du ZÄG et ne disposant pas d’autorisation d’exploitation au titre du droit autrichien applicable aux établissements de soins ; cinquièmement, que UJ a ainsi, d’une part, enfreint les règles de coopération prévues à l’article 24 du ZÄG et, d’autre part, participé, en tant qu’auxiliaire d’exécution, à une atteinte commise, par une société étrangère, au domaine professionnel réservé prévu à l’article 3 et à l’article 4, paragraphe 3, de cette loi.

L’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), qui est la juridiction de renvoi, est saisi d’un pourvoi formé par UJ contre la décision de l’Oberlandesgericht Graz (tribunal régional supérieur de Graz).

En premier lieu, la juridiction de renvoi se demande si UJ participe réellement à des activités de médecine dentaire exercées en Autriche par des sociétés étrangères.

Elle relève qu’il existe un contrat de soins unique liant le patient et DZK Deutsche Zahnklinik, de sorte que ce n’est que cette dernière qui, juridiquement, fournit la prestation. UJ, quant à elle, n’agirait que dans le cadre de sa relation contractuelle avec DZK Deutsche Zahnklinik, en tant qu’auxiliaire d’exécution de celle-ci. La juridiction de renvoi s’interroge, en conséquence, sur le lieu d’exécution des prestations de médecine dentaire en cause.

Cette juridiction cherche ainsi à savoir si l’article 3, sous d), de la directive 2011/24, aux termes duquel, dans le cas de la télémédecine, les soins de santé sont considérés comme dispensés dans l’État membre où le prestataire de soins de santé est établi, a vocation à s’appliquer uniquement aux fins du remboursement des coûts, au sens de l’article 7 de cette directive, ou s’il établit, pour les prestations de télémédecine, un principe général du pays d’origine, ou encore si ce principe peut être déduit de la directive 2000/31.

En deuxième lieu, afin de déterminer si la directive 2011/24 s’applique en l’occurrence, ladite juridiction s’interroge sur la question de savoir si la mention, contenue à l’article 3, sous d), de cette directive, relative aux soins de santé dispensés dans le cas de la télémédecine, se rapporte exclusivement à des prestations médicales spécifiques effectuées, de manière transfrontalière, à l’aide des technologies de l’information et de la communication ou si elle concerne un contrat de soins complet qui peut comprendre des examens physiques effectués dans l’État membre de résidence du patient, et si, dans un tel cas, les prestations effectuées à l’aide de ces technologies doivent être prépondérantes pour que des soins de santé soient considérés comme étant dispensés dans le cas de la télémédecine, conformément à cette disposition. En outre, la juridiction de renvoi se demande si, en cas de lien entre ces deux types de prestations, comme en l’occurrence, il peut être considéré qu’il s’agit dans l’ensemble de soins de santé transfrontaliers au sens de l’article 3, sous d) et e), de la directive 2011/24.

À cet égard, la Cour aurait déjà considéré qu’un service d’intermédiation peut être qualifié de « service de la société de l’information », mais qu’il doit en aller autrement s’il apparaît que ce service d’intermédiation fait partie intégrante d’un service global dont l’élément principal est un service relevant d’une autre qualification juridique (arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland, C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 50).

En troisième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur le droit applicable à la télémédecine. À cet égard, serait pertinente l’interaction entre, d’une part, l’article 2, sous n), l’article 3, sous d), et l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/24 et, d’autre part, l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2005/36, en vertu duquel un prestataire de services qui « se déplace » dans un autre État membre est soumis aux règles de conduite de caractère professionnel, réglementaire ou administratif applicables dans l’État membre d’accueil. Serait également pertinente la relation entre la directive 2000/31, notamment son article 2, sous h), ii), et son considérant 18, la directive 2005/36, notamment son article 5 et son considérant 4, et la directive 2011/24, notamment son article 2, sous n), son article 3, sous d), et son article 4, paragraphe 1, sous a).

La Cour aurait en effet déjà jugé, dans un autre contexte, que l’assistance commerciale en matière fiscale, qui est fournie de manière transfrontalière sans que les personnes agissant dans ce cadre se déplacent vers un autre État membre, ne relève pas de l’article 5 de la directive 2005/36, car cet article s’applique uniquement en cas de déplacement du prestataire vers le territoire de l’État membre d’accueil (arrêt du 17 décembre 2015, X-Steuerberatungsgesellschaft, C‑342/14, EU:C:2015:827, points 34 et 35).

Selon la juridiction de renvoi, s’agissant des soins de santé, il pourrait être nécessaire, afin de protéger le patient, que les règles professionnelles de l’État de résidence de ce dernier soient respectées.

En quatrième lieu, la juridiction de renvoi se demande, pour le cas où il devrait être considéré que les prestations de médecine dentaire effectuées par UJ sont fournies en Autriche, si celle-ci, en agissant non pas sur la base d’un contrat de soins propre, mais uniquement en tant qu’auxiliaire d’exécution de DZK Deutsche Zahnklinik, enfreint la réglementation autrichienne régissant la profession des médecins-dentistes. En effet, DZK Deutsche Zahnklinik, même si elle est agréée en Allemagne en tant que clinique dentaire, ne disposerait, en Autriche, ni d’une autorisation d’exploitation au titre du droit applicable aux établissements de soins ni d’une habilitation au titre du ZÄG. En outre, la structure de ses parts sociales serait contraire aux dispositions de cette loi.

Cette juridiction doute que les dispositions du ZÄG, prévoyant principalement un exercice direct et personnel de la profession et une libre prestation des services uniquement « à titre temporaire » pour les « ressortissants de l’EEE », soient conformes à la libre prestation des services prévue aux articles 56 TFUE et suivants, en particulier dans la situation en cause au principal. Ladite juridiction souligne, à cet égard, que le médecin-dentiste étranger fournit, de manière permanente, ses prestations dans le cadre d’un contrat de soins unique, en partie depuis l’étranger, à l’aide des technologies de l’information et de la communication, et en partie sur le territoire national, en faisant appel, en tant qu’auxiliaire d’exécution, à un médecin-dentiste habilité à exercer cette profession en Autriche.

En ce qui concerne DZK Deutsche Zahnklinik, la juridiction de renvoi se demande si l’application à celle-ci des dispositions relatives aux cabinets de groupe figurant à l’article 26 du ZÄG, selon lesquelles les associés ne peuvent être que des médecins-dentistes, est, elle aussi, contraire à la libre prestation des services. Elle se réfère, sur ce point, à la jurisprudence selon laquelle il est permis aux États membres de restreindre la libre prestation des services médicaux et hospitaliers, dans la mesure où le maintien d’une capacité de soins ou d’une compétence médicale sur le territoire national est essentiel pour la santé publique, voire pour la survie de sa population (arrêts du 28 avril 1998, Kohll, C‑158/96, EU:C:1998:171, point 51, et du 13 mai 2003, Müller-Fauré et van Riet, C‑385/99, EU:C:2003:270, point 67). Selon cette juridiction, les personnes physiques ne garantiraient pas nécessairement un niveau plus élevé de compétence médicale que les personnes morales.

Compte tenu de ce qui précède, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) a) L’article 3, sous d), de la directive [2011/24], aux termes duquel, dans le cas de la télémédecine, les soins de santé sont considérés comme dispensés dans l’État membre où le prestataire de soins de santé est établi, a‑t‑il vocation à s’appliquer uniquement aux fins du remboursement des coûts au sens de l’article 7 de cette directive ?

b) En cas de réponse négative à la question [1) a)], l’article 3, sous d), de la directive 2011/24 établit‑il, pour les prestations de télémédecine, un principe général du pays d’origine ?

c) La directive [2000/31] établit‑elle, pour les prestations de télémédecine, un principe du pays d’origine ?

2) a) Les “soins de santé” “dispensés” “dans le cas de la télémédecine”, au sens de l’article 3, sous d), de la directive 2011/24, se rapportent-ils exclusivement à des prestations médicales distinctes effectuées (de manière transfrontalière) à l’aide des technologies de l’information et de la communication, ou se rapportent‑ils à un contrat de soins complet qui peut également comprendre des examens physiques effectués dans l’État de résidence du patient ?

b) Si les “soins de santé” “dispensés” “dans le cas de la télémédecine” peuvent comprendre des examens physiques, les prestations effectuées à l’aide des technologies de l’information et de la communication doivent-elles être prépondérantes pour que des “soins de santé” soient “dispensés” “dans le cas de la télémédecine”, et, si cette question appelle une réponse affirmative, selon quels critères convient‑il d’apprécier cette prépondérance ?

c) Un traitement médical doit‑il être considéré dans son ensemble comme relevant de “soins de santé transfrontaliers”, au sens de l’article 3, sous d) et e), de la directive 2011/24, lorsque le prestataire de soins de santé (en l’espèce, une clinique dentaire) qui est établi, du point de vue du patient, dans l’autre État membre et avec lequel le patient a conclu un contrat de soins dispense une partie du traitement d’ensemble à l’aide des technologies de l’information et de la communication, tandis que l’autre partie de la prestation d’ensemble est fournie par un prestataire de soins de santé (exerçant la profession de médecin-dentiste) établi dans le même État membre que le patient ?

3) a) Les dispositions combinées de l’article 2, sous n), de l’article 3, sous d), et de l’article 4, [paragraphe 1,] sous a), de la directive 2011/24, lues en combinaison avec l’article 5, paragraphe 3, de la directive [2005/36], doivent‑elles être interprétées en ce sens qu’une clinique dentaire établie en Allemagne est tenue, lorsqu’elle “dispense” des “soins de santé” par “télémédecine” en Autriche, de respecter les règles de conduite de caractère professionnel, réglementaire ou administratif en vigueur dans ce pays [notamment les articles 24, 26 et 31 du ZÄG] ?

b) L’article 5, paragraphe 3, de la directive 2005/36 doit-il être interprété en ce sens qu’un prestataire de soins de santé se déplace dans un autre État membre lorsqu’il se limite à fournir des prestations médicales à l’aide des technologies de l’information et de la communication ? Si cette question appelle une réponse négative, existe-t-il un déplacement dans un autre État membre lorsque ce prestataire fait effectuer par des auxiliaires d’exécution des examens physiques ou des traitements dans l’État de résidence du patient ?

4) Dans des cas de figure tels que celui de l’espèce, dans lequel un médecin‑dentiste étranger fournit, en principe de manière permanente, des prestations dans le cadre d’un contrat de soins unique, en partie depuis l’étranger à l’aide des technologies de l’information et de la communication (au sens d’un service de correspondance transfrontalier) et en partie sur le territoire national en faisant appel, en tant qu’auxiliaire d’exécution, à un médecin-dentiste autrichien habilité à exercer, la libre prestation des services prévue aux articles 56 TFUE et suivants s’oppose-t-elle aux dispositions du [ZÄG], dont les articles 24 et suivants prévoient principalement un exercice direct et personnel de la profession, en n’envisageant une libre prestation des services que dans le cadre de l’article 31 de cette loi, “à titre temporaire” pour les “ressortissants de l’EEE” ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité des questions préjudicielles

La République d’Autriche et la chambre autrichienne des médecins-dentistes excipent de l’irrecevabilité des questions préjudicielles.

Tout d’abord, les première à troisième questions seraient hypothétiques dès lors qu’elles seraient fondées sur la prémisse erronée que le traitement dentaire en cause au principal peut être qualifié de télémédecine. En réalité, la télémédecine impliquerait la fourniture à distance d’un service de santé. En l’occurrence, la partie essentielle du traitement médical serait réalisée par le médecin-dentiste partenaire, en présence du patient. Par conséquent, il n’existerait, en l’occurrence, aucun acte de télémédecine de sorte que les directives 2011/24, 2000/31 et 2005/36 ne seraient pas applicables.

Ensuite, la troisième question serait aussi hypothétique en raison de la circonstance que la directive 2005/36 ne s’appliquerait pas aux personnes morales, telles que DZK Deutsche Zahnklinik.

Enfin, la quatrième question ne répondrait pas aux exigences de clarté et de précision prévues à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour.

À cet égard, il suffit de relever, d’une part, que, lorsque, comme dans la présente affaire, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, l’objection tirée de l’inapplicabilité de cette disposition à l’affaire au principal n’a pas trait à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, mais relève du fond des questions (arrêt du 5 juin 2025, Elektrorazpredelitelni mrezhi Zapad, C‑310/24, EU:C:2025:406, point 46 et jurisprudence citée).

D’autre part, il résulte clairement de la demande de décision préjudicielle que la quatrième question, portant sur l’interprétation de l’article 56 TFUE, est liée à la circonstance que la juridiction de renvoi n’exclut pas que les directives 2011/24, 2000/31 et 2005/36 pourraient être inapplicables en l’occurrence. Ainsi, selon cette juridiction, il pourrait être considéré que DZK Deutsche Zahnklinik fournit des services de santé transfrontaliers, susceptibles de relever du champ d’application de cet article.

Il s’ensuit que les questions préjudicielles sont recevables.

 Sur la deuxième question

Par sa deuxième question, qu’il convient de traiter en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, sous d) et e), de la directive 2011/24 doit être interprété en ce sens que la notion de soins de santé transfrontaliers dispensés dans le cas de la télémédecine, au sens de cette disposition, correspond uniquement aux soins de santé dispensés à un patient par un prestataire de soins de santé établi dans un État membre autre que l’État membre d’affiliation de ce patient, à distance et donc sans la présence physique simultanée au même endroit dudit patient et de ce prestataire, exclusivement au moyen des technologies de l’information et de la communication, ou bien cette notion peut-elle correspondre à un traitement médical complexe, incluant, outre les soins de santé fournis à distance au moyen de ces technologies, des soins de santé dispensés dans l’État membre d’affiliation par un autre prestataire, établi dans cet État, en présence physique du patient. Dans ce second cas, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la part des soins de santé effectuée au moyen desdites technologies doit être prépondérante et, le cas échéant, sur la base de quels critères cette prépondérance doit être appréciée.

Il convient de relever d’emblée que, d’une part, l’article 3, sous d), de la directive 2011/24 se limite à prévoir que l’État membre de traitement est défini comme l’État membre sur le territoire duquel les soins de santé sont effectivement dispensés au patient et que, dans le cas de la télémédecine, les soins de santé sont considérés comme dispensés dans l’État membre où le prestataire de soins de santé est établi. D’autre part, conformément à l’article 3, sous e), de cette directive, les soins de santé transfrontaliers sont des soins de santé dispensés ou prescrits dans un État membre autre que l’État membre d’affiliation.

Étant donné que ni cet article 3, sous d) et e), ni aucune autre disposition de ladite directive ne définit le terme « télémédecine » et ne contient aucun renvoi au droit des États membres en ce qui concerne une telle définition, ce terme constitue une notion autonome du droit de l’Union. Ainsi, il doit être interprété conformément à son sens habituel en langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel il est utilisé et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie (arrêt du 30 avril 2025, Galte, C‑63/24, EU:C:2025:292, point 29 et jurisprudence citée). Par ailleurs, la genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également revêtir des éléments pertinents pour son interprétation (arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

S’agissant de l’interprétation littérale, le sens habituel du terme « télémédecine », par son étymologie même, fait référence à des prestations de médecine qui sont fournies à distance, le préfixe « télé » renvoyant précisément à l’idée de la distance. De même, ainsi qu’il résulte du libellé de l’article 3, sous d) et e), de la directive 2011/24, pour qu’un soin de santé dispensé dans le cas de la télémédecine relève de la notion de soin de santé transfrontalier, il est nécessaire qu’il soit dispensé ou prescrit dans un État membre autre que l’État membre d’affiliation.

S’agissant de l’interprétation contextuelle, il convient de relever, premièrement, que l’article 3, sous d), première phrase, de la directive 2011/24 prévoit la règle générale s’appliquant, en principe, à tout soin de santé, à savoir que l’État membre de traitement est celui sur le territoire duquel les soins de santé sont effectivement dispensés. La seconde phrase de cet article 3, sous d), selon laquelle, dans le cas de la télémédecine, les soins de santé sont considérés comme dispensés dans l’État membre où le prestataire de soins de santé est établi, érige ainsi une exception à cette règle générale.

Or, selon une jurisprudence constante, les exceptions sont d’interprétation stricte afin que les règles générales ne soient pas vidées de leur substance [arrêt du 30 avril 2025, Generalstaatsanwaltschaft Frankfurt am Main (Exportation d’argent liquide en Russie), C‑246/24, EU:C:2025:295, point 27 et jurisprudence citée].

Il s’ensuit que cette seconde phrase ne saurait être interprétée en ce sens que des soins de santé autres que ceux relevant de la télémédecine peuvent relever de cette exception. Partant, l’État membre de traitement pour des soins autres que ceux relevant de la télémédecine doit être déterminé sur le fondement du territoire où ces soins sont effectivement dispensés.

Deuxièmement, l’article 3, sous a), de la directive 2011/24 définit les « soins de santé » comme des services de santé fournis par des professionnels de la santé aux patients pour évaluer, maintenir ou rétablir leur état de santé, y compris la prescription, la délivrance et la fourniture de médicaments et de dispositifs médicaux.

Ainsi, la notion de soins de santé est susceptible de recouvrir une large variété de services de santé. Si ces services concourent, en principe, à une même finalité thérapeutique, chacun d’eux peut être fourni par des professionnels différents ou à des fins spécifiques dans le cadre du même soin de santé, dès lors que celui-ci constitue un traitement médical complexe. Le cas échéant, certains de ces services peuvent être dispensés ou prescrits dans un État membre autre que l’État membre d’affiliation.

Par conséquent, un service de santé fourni dans le cadre de la télémédecine est susceptible de relever d’un soin de santé transfrontalier, au sens de l’article 3, sous d) et e), de la directive 2011/24, alors même que, en raison des modalités de prestation propres à un tel service, celui-ci est soumis à des règles spécifiques, notamment en ce qui concerne la détermination du droit applicable à sa fourniture. Ces règles peuvent être différentes de celles applicables à d’autres services de santé compris dans le même traitement médical complexe.

Troisièmement, il convient de rappeler que l’article 7, paragraphe 7, de la directive 2011/24 prévoit que l’État membre d’affiliation peut imposer à une personne assurée désireuse de bénéficier du remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers, « y compris des soins de santé reçus par les moyens de la télémédecine », les mêmes conditions que celles fixées pour des soins dispensés dans cet État. Ainsi que l’a souligné, en substance, M. l’avocat général au point 56 de ses conclusions, l’expression « y compris » implique clairement que les soins de santé dispensés ou prescrits au moyen de la télémédecine peuvent relever des « soins de santé transfrontaliers », définis à l’article 3, sous e), de cette directive.

Quatrièmement, ainsi que l’a relevé la Commission dans ses observations écrites, l’article 2 de la directive 2000/31, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535, définit le « service de la société de l’information » comme étant « tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services ». Est fourni à distance « un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes ».

Il importe de souligner que l’annexe I de la directive 2015/1535, concernant la « liste indicative des services non couverts par l’article 1er, paragraphe 1, point b), deuxième alinéa » de celle-ci, indique au point 1 en tant que « services non fournis “à distance” », les « [s]ervices prestés en présence physique du prestataire et du destinataire, même s’ils impliquent l’utilisation de dispositifs électroniques » et, notamment, un « examen ou traitement dans un cabinet de médecin au moyen d’équipements électroniques, mais en présence physique du patient ». De même, le considérant 18 de la directive 2000/31 indique que « les activités qui, par leur nature, ne peuvent pas être réalisées à distance ou par voie électronique, telles que [...] la consultation médicale requérant un examen physique du patient, ne sont pas des services de la société de l’information ».

Ainsi, des services de santé transfrontaliers fournis par un prestataire à un patient, simultanément présents au même endroit, même s’ils impliquent l’utilisation de technologies de l’information et de la communication, ne sauraient être considérés comme des services de la société de l’information et de la communication et ne sauraient dès lors relever de la notion de télémédecine au sens de l’article 3, sous d), de la directive 2011/24.

En revanche, les services de santé qui sont effectivement fournis à distance, c’est-à-dire hors la situation de la présence physique simultanée du prestataire et du patient au même endroit, au moyen de ces technologies sont susceptibles de relever de la notion de service de la société de l’information et donc de celle de « télémédecine », même lorsqu’ils sont dispensés dans le cadre d’un traitement médical complexe incluant aussi des soins de santé prodigués par un prestataire se trouvant physiquement dans le même lieu que le patient.

Cette analyse n’est pas remise en cause par la jurisprudence à laquelle s’est référée la juridiction de renvoi et qui est rappelée au point 45 du présent arrêt.

En effet, il ressort de la jurisprudence, d’une part, qu’un service ayant pour objet de mettre en relation des clients et des prestataires d’un autre service de nature différente et remplissant toutes les conditions prévues à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535 doit être qualifié de « service de la société de l’information » lorsqu’un tel service est un service distinct du service de nature différente fourni par ces prestataires. D’autre part, il doit en aller autrement s’il apparaît que ce service de mise en relation fait partie intégrante d’un service global dont l’élément principal relève d’une qualification juridique autre que celle de « service de la société de l’information » (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Doctipharma, C‑606/21, EU:C:2024:179, point 35 et jurisprudence citée).

Cette jurisprudence concerne des services fournis par l’intermédiaire de plateformes en ligne qui sont nécessairement liés à d’autres services avec lesquels ils sont susceptibles, en fonction de leur degré d’intégration, de constituer un service global unique.

En revanche, chaque soin de santé, y compris lorsque, en association avec d’autres, il compose un traitement médical complexe, est autonome, en ce qu’il requiert des compétences professionnelles spécifiques et répond à des exigences techniques qui lui sont propres.

En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que le traitement orthodontique de la marque DrSmile est de nature complexe. En effet, il comprend plusieurs soins de santé, lesquels, tout en partageant la même finalité thérapeutique, ne sont pas intégrés au point de constituer un service global unique.

En effet, si DZK Deutsche Zahnklinik dispense les soins de santé de télémédecine prévus par ce traitement, UJ, en tant que médecin-dentiste partenaire, procède, dans son propre cabinet, à une anamnèse, à un entretien d’information et à un scanner 3D de la mâchoire, ainsi qu’aux soins préliminaires éventuellement nécessaires à la future mise en place des gouttières dentaires. Indépendamment de toute appréciation de l’éventuelle prépondérance des soins de santé dispensés par UJ ou par DZK Deutsche Zahnklinik, il apparaît que UJ fournit des soins de santé de manière autonome, à la demande du patient, dans le cadre de l’exercice de sa profession de médecin-dentiste en Autriche et consigne le résultat de son activité en une recommandation à l’attention de DZK Deutsche Zahnklinik concernant la procédure d’alignement dentaire. Certes, l’activité de UJ fait partie du traitement orthodontique de la marque DrSmile. Toutefois, cette activité ne se confond pas avec ce traitement, dont la réalisation complète requiert aussi la prestation, tout aussi autonome, des soins de santé de télémédecine distincts par DZK Deutsche Zahnklinik, dans le cadre d’une répartition du travail régie par les relations contractuelles entre celle-ci et UJ.

De telles considérations sont corroborées par l’arrêt du 2 décembre 2010, Ker-Optika (C‑108/09, EU:C:2010:725, points 32 à 40), dans lequel la Cour a précisément procédé à un examen de la prestation d’un service de santé complexe constitué de la vente par Internet et de la livraison de lentilles de contact, précédée d’une consultation médicale. À cette occasion, la Cour a opéré une distinction entre la vente par Internet et la livraison des lentilles de contact, considérant que la directive 2000/31 était applicable seulement à la vente et non à la livraison. En outre, elle a précisé que cette directive ne s’applique pas, conformément à son considérant 18, à la consultation médicale requérant un examen physique du patient, laquelle ne peut pas être considérée comme un service de la société de l’information.

S’agissant de l’interprétation téléologique, il y a lieu de rappeler que la directive 2011/24, conformément à son article 1er, paragraphe 1, première phrase, lu à la lumière de son considérant 10, vise, notamment, à faciliter l’accès à des soins de santé transfrontaliers sûrs et de qualité élevée et encourage la coopération en matière de soins de santé entre les États membres, dans le plein respect des compétences nationales en matière d’organisation et de prestation des soins de santé.

Or, la télémédecine est précisément une pratique médicale, en l’occurrence transfrontalière, permettant de faciliter l’accès à des soins de santé, dispensés dans un État membre dans lequel est établi le prestataire de ces soins, autre que l’État membre d’affiliation où demeurent les patients qui en sont destinataires.

C’est dès lors en raison de la nature et des spécificités de cette pratique médicale, tenant au caractère transfrontalier des soins de santé, à la prestation à distance, c’est-à-dire sans la présence simultanée du professionnel de santé et du patient au même endroit, ainsi qu’au recours aux technologies de l’information et de la communication, que le législateur de l’Union a prévu une réglementation dérogatoire en ce qui concerne la détermination de l’État membre de traitement et le droit applicable à une telle pratique.

Non seulement une telle réglementation dérogatoire ne se justifierait pas pour la prestation de soins de santé requérant la présence physique simultanée du prestataire et du patient, mais elle serait susceptible de se heurter à l’objectif de la directive 2011/24, mentionné au point 82 du présent arrêt, ainsi qu’à l’article 168 TFUE, qui, ensemble avec l’article 114 TFUE, constitue la base juridique de cette directive. Il convient de rappeler, à cet égard, que l’article 168, paragraphes 1 et 7, TFUE fixe l’objectif général de maintenir un niveau élevé de protection de la santé tout en prévoyant le nécessaire respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé publique ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins.

Ainsi que le met en exergue à juste titre la Commission, appliquer à l’activité d’un médecin exerçant dans l’État membre où il est établi, en lien avec les examens physiques de ses patients, les règles de sécurité, d’hygiène et de responsabilité d’un autre État membre au seul motif que le traitement médical complexe, dont cette activité fait partie, inclut également des soins de santé dispensés, au moyen de la télémédecine, par d’autres médecins établis dans d’autres États membres porterait atteinte à la compétence de l’État membre de traitement pour organiser ses soins de santé et exposerait les médecins et les patients à une insécurité juridique.

S’agissant de la genèse de l’article 3, sous d) et e), de la directive 2011/24, il convient de rappeler, tout d’abord, que la communication de la Commission, du 4 novembre 2008, au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions concernant la télémédecine au service des patients, des systèmes de soins de santé et de la société [COM(2008) 689 final], définit la « télémédecine » comme la « fourniture à distance de services de soins de santé par l’intermédiaire des technologies de l’information et la communication dans des situations où le professionnel de la santé et le patient (ou deux professionnels de la santé) ne se trouvent pas physiquement au même endroit. Elle nécessite la transmission en toute sécurité de données et d’informations médicales par le texte, le son, l’image ou d’autres moyens rendus nécessaires pour assurer la prévention et le diagnostic ainsi que le traitement et le suivi des patients ».

Ensuite, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions, cette communication est pertinente pour apprécier la signification du terme « télémédecine » que la Commission a employé dans la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers du 2 juillet 2008 [COM(2008) 414 final], laquelle évoque ladite communication. Dans cette proposition, la Commission a indiqué que l’un des modes de prestation de « soins de santé transfrontaliers » était « la prestation transfrontalière de soins de santé (autrement dit, la fourniture d’un service depuis le territoire d’un État membre vers le territoire d’un autre État membre), tels que les services de télémédecine, de diagnostic et de prescription à distance, ou les services de laboratoire ». Selon ladite proposition, ce mode de prestation se distinguait des trois autres modes de prestation de soins de santé transfrontaliers, à savoir les soins de santé reçus à l’étranger, la présence permanente d’un prestataire de soins de santé dans un autre État membre, et la présence temporaire du prestataire dans l’État membre du patient pour fournir ses services.

Enfin, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 54 de ses conclusions, cette compréhension de la notion de « télémédecine » n’a pas fait l’objet de contestation tout au long du processus législatif.

Il s’ensuit que, dans le cadre de la directive 2011/24, l’élément déterminant de la notion de « télémédecine », selon l’acception de cette dernière voulue par le législateur de l’Union, réside dans le fait que le service de santé est dispensé à un patient par un prestataire de soins de santé établi dans un État membre autre que l’État membre d’affiliation, à distance et donc sans la présence physique simultanée au même endroit de ce patient et de ce prestataire, au moyen des technologies de l’information et de la communication.

Est dès lors exclue de cette notion toute prestation d’un service de santé réalisée dans un contexte de présence physique simultanée au même endroit de ces acteurs, indépendamment de la circonstance que cette prestation est effectuée dans le cadre d’un traitement médical complexe, comprenant la fourniture de services de santé de nature différente, dispensés selon des modalités distinctes.

Dans ces conditions, l’appréciation de la prépondérance de l’un ou de l’autre de ces services composant ce traitement est dépourvue de pertinence aux fins de la qualification juridique de chaque soin de santé au regard de la détermination de l’État membre de traitement, conformément à l’article 3, sous d), de la directive 2011/24.

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 3, sous d) et e), de la directive 2011/24 doit être interprété en ce sens que la notion de soins de santé transfrontaliers dispensés dans le cas de la télémédecine, au sens de cette disposition, correspond uniquement aux soins de santé dispensés à un patient par un prestataire de soins de santé établi dans un État membre autre que l’État membre d’affiliation de ce patient, à distance et donc sans la présence physique simultanée au même endroit dudit patient et de ce prestataire, exclusivement au moyen des technologies de l’information et de la communication.

 Sur la première question

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, d’une part, si l’article 3, sous d), de la directive 2011/24 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à tous les domaines régis par cette directive ou seulement au remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers visés à l’article 7 de ladite directive et, d’autre part, si cet article 3, sous d), et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31 doivent être interprétés en ce sens que les prestations de la télémédecine doivent être dispensées conformément à la législation de l’État membre dans lequel le prestataire est établi.

Il convient, en premier lieu, de relever que, ainsi qu’il a été souligné au point 82 du présent arrêt, conformément à son article 1er, paragraphe 1, première phrase, lu en combinaison avec son considérant 10, la directive 2011/24 vise à faciliter l’accès à des soins de santé transfrontaliers sûrs et de qualité élevée dans l’Union, à garantir la mobilité des patients, conformément aux principes établis par la Cour, et à promouvoir la coopération en matière de soins de santé entre les États membres, dans le plein respect des responsabilités des États membres en matière de définition des prestations de sécurité sociale liées à la santé ainsi que d’organisation et de prestation de soins de santé, de soins médicaux et de prestations de sécurité sociale, en particulier pour la maladie.

En outre, il résulte de la structure même de cette directive, telle que décrite au point 17 du présent arrêt, que celle-ci, afin de satisfaire les objectifs mentionnés au point précédent du présent arrêt, ne se limite pas à édicter des règles en matière de remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers.

Certes, le chapitre III de ladite directive édicte effectivement des règles en cette matière. Toutefois, le chapitre II de la directive 2011/24 prévoit des règles concernant les responsabilités des États membres en matière de soins de santé transfrontaliers. Font notamment partie de ce chapitre II, d’une part, l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, aux termes duquel les soins de santé transfrontaliers sont dispensés conformément à la législation de l’État membre de traitement, aux normes et orientations en matière de qualité et de sécurité établies par cet État membre et à la législation de l’Union relative aux normes de sécurité, et, d’autre part, l’article 5 de ladite directive, selon lequel l’État membre d’affiliation veille non seulement à ce que les coûts des soins de santé transfrontaliers soient remboursés conformément au chapitre III de la même directive, mais aussi, notamment, aux droits des patients en ce qui concerne le suivi médical et l’accès au dossier médical.

De même, le chapitre IV de la directive 2011/24 énonce des règles concernant la coopération en matière de soins de santé, de telles règles ne se limitant pas à la coopération nécessaire afin d’assurer le remboursement des coûts de ces soins.

Il s’ensuit que le champ d’application de la directive 2011/24 et donc la portée de l’article 3, sous d), de celle-ci ne se limitent pas au remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers.

En second lieu, il résulte du libellé de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2011/24 que, comme il a été rappelé au point 97 du présent arrêt, les soins de santé transfrontaliers sont dispensés conformément à la législation de l’État membre de traitement, aux normes et orientations en matière de qualité et de sécurité établies par cet État membre et à la législation de l’Union relative aux normes de sécurité.

Ainsi, en dehors de la législation de l’Union relative aux normes de sécurité, la seule législation nationale ainsi que les seules normes et orientations nationales en matière de qualité et de sécurité que la prestation de soins de santé doit respecter, dans le cadre du champ d’application de la directive 2011/24, sont celles de l’État membre de traitement, tel que défini à l’article 3, sous d), de cette directive.

Partant, les soins de santé transfrontaliers qui relèvent de la télémédecine, étant donné qu’ils sont considérés comme dispensés dans l’État membre où le prestataire de ces soins est établi, doivent être conformes à la législation ainsi qu’aux normes et aux orientations en matière de qualité et de sécurité de cet État membre, de même qu’à la législation de l’Union relative aux normes de sécurité.

Par ailleurs, il convient de relever que l’article 2, sous e), de la directive 2011/24 précise que l’application de celle-ci est sans préjudice de la directive 2000/31. Dans la mesure où une prestation de télémédecine est susceptible de correspondre à la notion de « service de la société de l’information » au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2000/31, elle relève du champ d’application de cette dernière.

L’article 3 de la directive 2000/31 prévoit que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi dans un État membre respectent les dispositions nationales y applicables relevant du domaine coordonné.

Or, conformément à l’article 2, sous h), de cette directive, ce domaine coordonné inclut les exigences concernant, notamment, les qualifications ou les autorisations pour l’accès à une activité d’un service de la société de l’information.

Par conséquent, s’agissant de la prestation d’un soin de santé dans le cas de la télémédecine, tant la directive 2011/24 que la directive 2000/31, chacune dans son champ d’application respectif, rendent applicable à cette prestation la législation de l’État membre dans lequel le prestataire est établi.

Compte tenu de ces considérations, il convient de répondre à la première question que, d’une part, l’article 3, sous d), de la directive 2011/24 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à tous les domaines régis par cette directive et non pas seulement au remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers visés à l’article 7 de ladite directive, et, d’autre part, que cet article 3, sous d), et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31 doivent être interprétés en ce sens que les prestations de télémédecine doivent être dispensées conformément à la législation de l’État membre dans lequel le prestataire est établi.

 Sur la troisième question

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5 de la directive 2005/36 doit être interprété en ce sens que cette directive s’applique, d’une part, à un prestataire de soins de santé transfrontaliers dans le cas de la télémédecine et, d’autre part, à un prestataire, établi dans un État membre, qui, sans se déplacer lui‑même, fait effectuer, par un prestataire établi dans un autre État membre, des soins de santé en la présence physique du patient résidant dans ce dernier État membre.

S’agissant du premier volet de cette question, il convient de rappeler que l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2005/36 prévoit explicitement que les dispositions du titre II de cette directive relatif à la libre prestation de services, y compris l’article 5 de celle-ci, s’appliquent uniquement en cas de déplacement du prestataire vers le territoire de l’État membre d’accueil aux fins d’un exercice professionnel temporaire et occasionnel.

Ainsi qu’il résulte du point 90 du présent arrêt, la notion de « télémédecine », telle que mentionnée dans la directive 2011/24, comprend tout service de santé qui est dispensé à un patient par un prestataire de soins de santé établi dans un État membre autre que l’État membre d’affiliation, à distance et donc sans la présence physique simultanée au même endroit de ce patient et de ce prestataire, exclusivement au moyen des technologies de l’information et de la communication.

Par conséquent, la télémédecine implique nécessairement que le service de santé soit fourni en l’absence de tout déplacement, non seulement du patient vers l’État membre où est établi le prestataire, mais également de celui-ci vers l’État membre où réside le patient. En réalité, c’est le service de santé qui, en raison de son caractère transfrontalier, « se déplace ».

Par le second volet de la troisième question, la juridiction de renvoi se demande s’il ne pourrait pas être considéré qu’un prestataire de soins de santé se déplace vers le territoire de l’État membre d’accueil si, dans ce dernier, ce prestataire dispense des soins de santé par l’intermédiaire d’un autre prestataire, établi dans cet État membre et en relation physique directe avec le patient, sur la base des dispositions d’un contrat liant ces deux prestataires.

Il suffit de relever à cet égard que, conformément à l’article 3, sous g), de la directive 2011/24, est un prestataire de soins de santé toute personne physique ou morale ou toute autre entité qui dispense légalement des soins de santé sur le territoire d’un État membre. En vertu de l’article 3, sous a), de cette directive, constituent des soins de santé des services de santé fournis par des professionnels de la santé, c’est-à-dire, au sens de l’article 3, sous f), de ladite directive et pour autant qu’il soit pertinent en l’occurrence, outre un médecin ou un praticien de l’art dentaire, une personne considérée comme un professionnel de la santé conformément à la législation de l’État membre de traitement.

Or, d’une part, l’État de traitement étant, en l’occurrence, l’Autriche pour les prestations de médecine dentaire effectuées en présentiel, DZK Deutsche Zahnklinik ne saurait être considérée comme le prestataire de soins de santé dans cet État membre, dès lors qu’elle n’a pas la qualité de professionnel de la santé conformément aux dispositions du ZÄG, et que, en tout état de cause, elle n’est pas autorisée à dispenser des soins de santé dans ledit État.

D’autre part, dans la mesure où des soins de santé sont dispensés par UJ, il convient de relever, en premier lieu, que celle-ci, autorisée à exercer la profession de médecin-dentiste en Autriche, est, en ce qui concerne le fait même de dispenser légalement ces soins, un professionnel de la santé pouvant être considéré comme le prestataire de ces soins. La circonstance que le patient n’a conclu aucun contrat avec ce prestataire et que, dès lors, il n’est pas tenu de rémunérer directement celui-ci, lesdits soins faisant partie d’un traitement médical complexe prévu par un contrat conclu entre ce patient et une entité établie dans un autre État membre, ne saurait être pertinente aux fins de la qualification de ce professionnel de prestataire de soins de santé.

En deuxième lieu, il serait artificiel de considérer qu’un soin de santé dispensé en présentiel par un premier professionnel de santé, en l’occurrence UJ, dans l’État membre où il est établi, l’est en réalité par une entité, en l’occurrence DZK Deutsche Zahnklinik, établie dans un autre État membre, uniquement en raison des stipulations du contrat liant ce professionnel à cette entité et que, par conséquent, il conviendrait de conclure que ladite entité s’est déplacée pour fournir physiquement ce soin.

En troisième lieu, la circonstance que le prestataire exerçant dans l’État membre de résidence du patient ait pu agir au nom du professionnel de santé établi dans un autre État membre ne permet pas de considérer que ce dernier se soit, pour cette seule raison, déplacé dans le premier État membre (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015, X-Steuerberatungsgesellschaft, C‑342/14, EU:C:2015:827, points 34 et 35).

Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que l’article 5 de la directive 2005/36 doit être interprété en ce sens que cette directive ne s’applique ni à un prestataire de soins de santé transfrontaliers dans le cas de la télémédecine ni à un prestataire, établi dans un État membre, qui, sans se déplacer lui‑même, fait effectuer, par un prestataire établi dans un autre État membre, des prestations de soins de santé en présentiel au profit d’un patient résidant dans ce dernier État membre.

 Sur la quatrième question

Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 56 TFUE s’oppose à la législation d’un État membre prévoyant principalement un exercice direct et personnel de la profession de médecin-dentiste et envisageant la possibilité, pour les ressortissants de l’EEE, d’exercer cette profession dans cet État membre uniquement à titre temporaire.

Compte tenu des réponses fournies aux première à troisième questions, il convient de relever, s’agissant, en premier lieu, des soins de santé dispensés par DZK Deutsche Zahnklinik, que, d’une part, les soins de santé de télémédecine relèvent de la directive 2011/24 de sorte que la législation nationale autrichienne, en cause dans la quatrième question, ne leur est pas applicable. D’autre part, ainsi qu’il résulte des points 114 à 117 du présent arrêt, DZK Deutsche Zahnklinik ne saurait être considérée comme un prestataire de soins de santé en Autriche eu égard à ceux dispensés en présentiel par UJ dans cet État.

En second lieu, en ce qui concerne les soins de santé dispensés en présentiel par UJ, si cette législation est applicable à celle-ci en tant que prestataire de ces soins, il résulte du dossier soumis à la Cour qu’aucun élément transfrontalier ne caractérise la prestation desdits soins de sorte que l’article 56 TFUE n’est pas applicable à cette prestation.

Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de statuer sur la quatrième question.

 Sur les dépens

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1) L’article 3, sous d) et e), de la directive 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2011, relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers,

doit être interprété en ce sens que :

la notion de soins de santé transfrontaliers dispensés dans le cas de la télémédecine, au sens de cette disposition, correspond uniquement aux soins de santé dispensés à un patient par un prestataire de soins de santé établi dans un État membre autre que l’État membre d’affiliation de ce patient, à distance et donc sans la présence physique simultanée au même endroit dudit patient et de ce prestataire, exclusivement au moyen des technologies de l’information et de la communication.

2) L’article 3, sous d), de la directive 2011/24

doit être interprété en ce sens que :

il s’applique à tous les domaines régis par cette directive et non pas seulement au remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers visés à l’article 7 de ladite directive.

3) L’article 3, sous d), de la directive 2011/24 et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »),

doivent être interprétés en ce sens que :

les prestations de télémédecine doivent être dispensées conformément à la législation de l’État membre dans lequel le prestataire est établi.

4) L’article 5 de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles,

doit être interprété en ce sens que :

cette directive ne s’applique ni à un prestataire de soins de santé transfrontaliers dans le cas de la télémédecine ni à un prestataire, établi dans un État membre, qui, sans se déplacer lui‑même, fait effectuer, par un prestataire établi dans un autre État membre, des prestations de soins de santé en présentiel au profit d’un patient résidant dans ce dernier État membre.

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