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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 11 septembre 2025, n° 24/03955

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Monteiro (SAS)

Défendeur :

Boccard (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Grimaud, Me Khawaja, Me Mihajlovic, Me Hosri

T. com. Romans-sur-Isère, du 22 oct. 202…

22 octobre 2024

EXPOSE DU LITIGE

Créée en 1999, la société Monteiro est notamment spécialisée dans les activités de tuyauterie et de soudage à destination principalement du secteur de l'industrie nucléaire

Depuis sa création, Monteiro intervient sur l'ensemble du parc nucléaire français, en commande directe notamment pour des donneurs d'ordre tels que EDF, ORANO ou le CEA.

La société Boccard a une activité d'installation de structures métalliques, chaudronnées et de tuyauterie destinée aux filières nucléaire / énergie, l'industrie agro-alimentaire et l'industrie pharmaceutique.

Se prévalant d'actes de débauchage de 32 de ses salariés par la société Monteiro sur « l'année 2022/2023 », la société Boccard, a, par requête en date du 12 janvier 2024, sollicité du président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère de commettre un commissaire de justice avec pour mission de se rendre au siège social de la société Monteiro sis à l'époque à Pierrelatte aux fins de pratiquer une mesure d'instruction in futurum en vue d'établir la preuve de prétendus actes de concurrence déloyale.

Par ordonnance non contradictoire du 12 février 2024, le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a fait droit à la requête de la société Boccard et a désigné un commissaire de justice chargé de se rendre au siège social de la société Monteiro aux fins de réaliser la mission suivante :

- se rendre au siège social de la société Monteiro sis [Adresse 1] à l'effet de :

* signifier à toute personne présente sur les lieux l'ordonnance à intervenir,

* se faire assister, pour l'aider dans sa mission, en tant que de besoin, par tout technicien Informatique, et/ou serrurier de son choix,

* rencontrer toute personne présente en ces lieux - notamment le responsable des ressources humaines,

* recueillir toutes déclarations, leur demander de préciser leur activité professionnelle, d'indiquer si elles sont en possession de tous documents dont l'objet est visé ci-après ou, à défaut, si elles ont connaissance de l'endroit où sont situés lesdits documents,

* faire injonction aux parties requises ainsi qu'à leurs gérants et préposés, de n'avoir à accéder à aucun des postes informatiques, qu'ils soient fixes ou portables,

* se faire présenter, rechercher, compulser, parapher, et prendre copie en un ou deux exemplaires, dans les lieux visés ci-dessus et sur quelque support qu'ils trouvent (papier, informatique ou électronique, y compris sur clefs USB ou disque dur externe), et par quelques moyens que ce soit (photocopie, photographie, impression ou sauvegarde informatique y compris sur clefs USE ou disque dur externe), de tout document (correspondances papiers, courriels, contrats, contrats de travail, livre d'entrée et de sortir du personnel, factures...) relatifs aux faits reprochés et permettant notamment d'établir l'existence et l'ampleur d'un débauchage fautif de salariés de la société Entourage avec la saisie de tout document, fichier, courriel, daté à compter de janvier 2022, contenant un des noms suivants :

.« [HG] [ZL] » à compter du 13 avril 2023 jusqu'au 13 août 2023, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 13 juin 2023,

.«[OD] [Y] » à compter du 3 décembre 2022 jusqu'au 3 avril 2023, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 3 février 2023,

·« [P] [CP] » à compter du 21 février 2022 jusqu'au 21 juin 2022, soit une période de 2 mots avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 21 avril 2022,

·« [LV] [PH] » à compter du 16 mars 2022 jusqu'au 16 juillet 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 16 mai 2022,

·« [H] [L] » à compter du 9 janvier 2022 jusqu'au 9 mai 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 9 mars 2022,

·« [DU] [A] » à compter du 1er juin 2022 jusqu'au octobre 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 1er août 2022,

·« [SN] [T] » à compter du 8 décembre 2021 jusqu'au 8 avril 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 8 février 2022,

.« [JN] [R]» à compter du 20 mars 2022 jusqu'au 20 juillet 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 20 mai 2022,

.« [KR] [RL] » à compter du 29 septembre 2021 jusqu'au 29 janvier 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 29 novembre 2021,

·« [C] [E] » à compter du 30 mars 2023 jusqu'au 30 juillet 2023, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 30 mai 2023,

·« [LV] [Z] » à compter du 5 février 2022 jusqu'au 5 juin 2022, soit une période de 2 mols avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 5 avril 2022,

·« [V] [YI] » à compter du 29 février 2021 jusqu'au 29 juin 2021, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 29 avril 2021,

·« [KS] [TU] » à compter du 7 novembre 2021 jusqu'au 7 mars 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 7 janvier 2022,

·« [LW] [UX] » à compter du 11 décembre 2021 jusqu'au 11 avril 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 11 février 2022,

.« [IJ] [K] » à compter du 31 mars 2023 jusqu'au 31 juillet 2023, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 31 mai 2023,

·« [F] [U] » à compter du 22 février 2022 jusqu'au 22 juin 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 22 avril 2022,

- « [RK] [GB] » à compter du 7 novembre 2021 jusqu'au 7 mars 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 7 janvier 2022,

. '« [WA] [UW] » à compter du 5 mai 2021 jusqu'au 5 septembre 2021, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 5 juillet 2021,

·« [S] [TT] » à compter du 25 décembre 2021 jusqu'au 25 avril 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 25 février 2022,

.« [EX] [HF] » à compter du 25 décembre 2021 jusqu'au 25 avril 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 25 février 2022,

·« [UY] [W] » à compter du 12 juin 2022 jusqu'au 12 octobre 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 12 août 2022,

·« [DT] [SO] » à compter du 24 février 2023 jusqu'au 24 juin 2023, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 24 avril 2022,

·«[I] [M] » à compter du 30 juillet 2021 jusqu'au 30 novembre 2021, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 30 septembre 2021,

·« [B] [O] » à compter du 23 juillet 2022 jusqu'au 23 novembre 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 23 septembre 2022,

·« [WB] [N] » à compter du 13 novembre 2022 jusqu'au 13 mars 2023, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 13 janvier 2023 ;

·« [G] [MZ] » à compter du 28 novembre 2021 jusqu'au 28 mars 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 28 janvier 2022,

·« [X] [EY] » à compter du 30 novembre 2022 jusqu'au 31 mars 2023, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 31 janvier 2023,

·« [J] [HE] » à compter du 29 juin 2023 jusqu'au 29 octobre 2023, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 29 août 2023,

·« [HG] [D] » à compter du 3 novembre 2021 jusqu'au 3 mars 2022, soit une période de 2 mois avant sa démission et de 2 mois après sa démission du 3 janvier 2022,

- du tout, dresser un procès-verbal attestant du déroulement de toutes les opérations et des constatations effectuées et de conserver les pièces recueillies au rang des minutes de son étude et en être séquestre,

- autorisé le commissaire de justice à se faire communiquer tout identifiant et mot de passe nécessaires à l'accès aux données, qu'elle soit locale ou distante,

- en cas de refus ou de difficulté dans l'exécution de sa mission, autorisé le commissaire de justice à prendre le matériel et en faire faire analyse à posteriori par l'expert informatique sous contrôle du commissaire de justice à charge pour ce dernier de restituer le matériel dans un délai de 48 heures,

- autorisé le commissaire de justice à accéder à l'ensemble des services et postes informatiques de la société Monteiro, locaux ou distants et de tous autres, supports utiles (externes et internes) de données informatiques,

- autorisé le commissaire de justice à connecter et ou installer tout appareil et logiciel sur l'infrastructure informatique, locale ou distante au fin de la mission et pendant la durée de celle-ci, déclarons l'ordonnance exécuteur par provision au seul vu de la minute.

Le 3 avril 2024, le commissaire de justice s'est rendu au siège social de la société Monteiro aux fins d'exécuter la mesure d'instruction in futurum.

Par acte de commissaire de justice en date du 2 mai 2024, la société Monteiro a assigné la société Boccard devant le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère aux fins, à titre principal, de rétractation de l'ordonnance sur requête du 12 février 2024 et, subsidiairement, de modification de la mission du commissaire de justice fixée à ladite ordonnance.

Par ordonnance du 28 octobre 2024, le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a :

- confirmé l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère en date du 12 février 2024 sous la référence RG n°2024OP159,

- ajouté à ladite ordonnance la mention suivante : « ordonne au commissaire de justice nommé de communiquer sans délai à la société Monteiro une copie du procès-verbal de constat dressé par lui le 3 avril 2024 ainsi que les inventaires y étant annexés »,

- renvoyé les parties à mieux se pourvoir pour le surplus de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile;

- laissé les dépens à la charge de la société Monteiro.

Par déclaration du 15 novembre 2024, la société Monteiro a interjeté appel de l'ordonnance rendue le 28 octobre 2024 par le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère.

Prétentions et moyens de la société Monteiro :

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 14 avril 2025, la société Monteiro demande à la cour au visa des articles 145, 493, 496, 497 et 875 du code de :

- la recevoir en son appel,

- infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle :

* l'a déboutée de sa demande principale de rétractation de l'ordonnance sur requête du 12 février 2024 et confirmé en conséquence ladite ordonnance,

* a dit dans ce cadre que la nécessité de déroger au principe du contradictoire est justifiée, la mesure ordonnée est légalement admissible, limitée et proportionnée, la société Boccard justifie d'un motif légitime,

* l'a déboutée partiellement de sa demande subsidiaire de modification de la mission du commissaire de justice fixée à l'ordonnance sur requête du 12 février 2024 en ce qu'elle a refusé d'ordonner au commissaire de justice de remettre à la société Monteiro l'intégralité des documents et fichiers appréhendés lors des opérations de constat du 12 février 2024,

* l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* a condamné la société Monteiro aux dépens,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- juger que les circonstances de l'espèce ne permettaient pas de déroger au principe du contradictoire,

- juger que la mesure ordonnée n'est pas légalement admissible,

- juger que la société Boccard ne justifie d'aucun motif légitime,

En conséquence,

- rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 12 février 2024,

- prononcer la nullité subséquente de tous les actes dressés en exécution de cette ordonnance, en ce compris les procès-verbaux de constat de la Selarl Mouret-Ayache & Associes du 3 avril 2024,

- ordonner la restitution à la société Monteiro de tous les éléments recueillis par la Selarl Mouret-Ayache & Associes lors des opérations de constat réalisées en exécution de l'ordonnance sur requête du 12 février 2024,

- faire interdiction à la société Boccard de se prévaloir des éléments recueillis ou des actes dressés en exécution de l'ordonnance ainsi rétractée,

A titre subsidiaire,

- modifier l'ordonnance sur requête rendue le 12 février 2024 comme suit:

* ordonner à la Selarl Mouret-Ayache & Associes de remettre à la société Monteiro une copie du procès-verbal de constat dressé le 3 avril 2023 et des inventaires y annexés ainsi qu'une copie de l'intégralité des documents et fichiers appréhendés lors des opérations de constat du 12 février 2024,

- prendre acte qu'elle s'oppose à la communication des pièces saisies à la société Boccard,

En tout état de cause,

- débouter la société Boccard de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions (en ce compris son appel incident),

- déclarer irrecevable la demande nouvelle de levée du séquestre des pièces recueillies lors des opérations de constat formée pour la première fois en cause d'appel par la société Boccard,

- condamner la société Boccard à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans la cadre de la première instance,

- condamner la société Boccard à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans la cadre de la présente instance d'appel,

- la condamner aux dépens de la première instance et de l'instance d'appel.

Pour contester l'existence de justifications de la nécessité de déroger au principe du contradictoire, elle expose que :

- il est de jurisprudence constante que l'éviction du contradictoire, principe directeur du procès, nécessite que le requérant justifie de manière concrète, les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise et la motivation ne peut consister en une formule de style,

- il est de jurisprudence constante que le juge de la rétractation doit se placer à la date à laquelle il a été fait droit à la requête, les débats devant le juge de la rétractation ne pouvant suppléer la carence de la requête initiale et de l'ordonnance attaquée,

- en l'espèce, la requérante s'est contentée, aux termes de sa requête, de reproduire des figures de style, à savoir le risque de disparition de preuves détenues sur des supports informatiques et la nécessité d'un effet de surprise,

- la société Boccard n'explique nullement aux termes de sa requête en quoi la nature et le type de documents et informations requis (contrat de travail, bulletins de salaires, DPAE, etc.) seraient particulièrement exposés à un risque de déperdition, étant rappelé que la seule circonstance que certains éléments de preuve recherchés soient de nature informatique est, en tout état de cause, inopérant pour recourir à une procédure non contradictoire,

- le risque de transfert des contrats de travail sur d'autres structures et de modification des contrats de travail qui est évoqué dans la requête ne justifie pas de déroger au contradictoire, alors que ces pièces ne risquaient pas de disparaître, l'employeur étant tenu de conserver le registre des entrées et des sorties du personnel, les contrats de travail et les bulletins de salaires conformément aux articles L.12211-13 et L.3243-4 du code du travail,

- en vertu d'une jurisprudence constante (en ce compris de la Cour de cassation), l'envoi d'une mise en demeure préalable sollicitant la cessation d'agissements de concurrence déloyale est exclusif de tout recours à la procédure non contradictoire, dès lors que le requérant ne peut plus se prévaloir d'aucun effet de surprise,

- la dérogation au principe du contradictoire ne se justifiait pas, dès lors que la société Monteiro avait reçu de la société Boccard, respectivement 17 mois et 6 mois avant le dépôt de la requête de cette dernière, des mises en demeure lui reprochant des agissements de concurrence déloyale, au titre du débauchage d'une trentaine de salariés, de sorte que la société Boccard ne pouvait plus se prévaloir, dans ce contexte, d'un effet de surprise justifiant la dérogation du contradictoire puisque Monteiro était parfaitement informée de ses intentions 17 mois avant le dépôt de la requête et aurait donc pu supprimer, dès réception des mises en demeure, les prétendues pièces compromettantes,

- le premier juge, n'a pas tiré les conséquences qui s'imposaient de ses propres constatations puisqu'il a retenu, aux termes d'un raisonnement relevant du contresens, que les mises en demeure préalables de la société Boccard justifiaient de plus fort la nécessité de préserver un effet de surprise, et donc de déroger au principe du contradictoire,

- l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 mars 2022 dont se prévaut la société Boccard et qui a retenu que les mises en demeure préalables atténuent l'effet de surprise, mais ne le font pas pour autant disparaître n'est pas transposable en l'espèce alors qu'il s'agit d'une affaire de communication de pièce et que si la cour d'appel a retenu que l'effet de surprise est seulement atténué c'est parce que, contrairement aux faits de la présente affaire, le requérant n'avait pas, préalablement au dépôt de sa requête, informé précisément la personne visée par la requête de ses intentions en cas de non-communication des pièces sollicitées, alors qu'elle a quant à elle, mis en demeure de cesser toute tentative de débauchage et l'a menacé de procédures judiciaires, en visant ' toute procédure nécessaire à la préservation de nos droits'.

Pour contester le caractère légalement admissible de la mesure, elle expose que :

- la mesure n'est pas limitée dans le temps, puisque le commissaire de justice n'aurait jamais dû être autorisé à saisir les documents comportant le nom des salariés démissionnaires pour une période postérieure à leur démission, mais uniquement pour la période antérieure à leur démission, dès lors que l'objectif affiché par la société Boccard aux termes de sa requête était de démontrer des man'uvres fautives de débauchage, lesquelles, à supposer qu'elles existent, sont nécessairement antérieures à la démission des salariés,

- la mesure est particulièrement large dans son objet, dès lors que le commissaire de justice a été autorisé à saisir tout document (quelle qu'en soit la nature : contrat commercial, proposition commerciale et financière, document d'appel d'offres, etc.) comportant le nom d'un des 28 salariés démissionnaires, ce qui est de nature à permettre à la société Boccard de consulter tous les emails adressés ou reçus par des salariés en poste au sein de la société Monteiro, d'appréhender potentiellement des milliers de documents et de se livrer ainsi à un audit de son activité commerciale et partant, à une atteinte disproportionnée et injustifiée au secret des affaires de la société Monteiro,

- les mots clés listés à l'ordonnance ' qui se résument aux noms des 28 salariés démissionnaires sans être associés à d'autres mots clefs ' ne sont nullement de nature à circonscrire les recherches aux fait litigieux de débauchage visés à la requête,

- la mesure confère au commissaire de justice le pouvoir de porter une appréciation au fond sur la pertinence des documents à appréhender et de qualifier juridiquement les pièces qu'il découvre, de sorte que la mission ainsi confiée au commissaire de justice par l'ordonnance du 12 février 2024 s'analyse

donc en une mesure d'investigation générale, qui n'était pas circonscrite et proportionnée au regard des faits allégués, et qui n'était pas légalement admissible.

Pour justifier de l'absence de motif légitime, elle fait valoir que :

- une demande de mesure d'instruction préventive ne peut être accueillie lorsque les faits dont on souhaite découvrir et prouver l'existence, relèvent de la simple hypothèse et ne présentent pas un caractère de plausibilité suffisante,

- s'agissant d'une mesure d'instruction sollicitée en vue d'un éventuel procès en concurrence déloyale, il appartient au requérant de justifier « d'indices laissant présumer l'existence d'actes de concurrence déloyale » réalisés à son préjudice, faute de quoi le motif légitime n'est pas caractérisé (Cass. Com, 17 mars 2021, n° 19-16.423),

- la société Boccard reconnaît implicitement que ses anciens salariés étaient libres de toute obligation de non-concurrence, dès lors qu'elle ne se prévaut de la violation d'aucun engagement de cette nature,

- si elle soutient aux termes de sa requête que 32 de ses salariés auraient démissionné sur « l'année 2022/2023 », ce qui l'aurait désorganisé, la société Boccard ne fait état, aux termes de sa requête, d'aucun indice laissant présumer l'existence de débauchages fautifs de la part de la société Monteiro, ni même d'une quelconque sollicitation de ses salariés,

- la société Boccard ne justifie d'aucun recrutement « massif » de ses salariés, dès lors qu'elle ne justifie au total que de 28 démissions et non de 32, étant précisé que la société Boccard comptait au 31 décembre 2022 1.033 collaborateurs en France, de sorte que les 28 salariés qui ont quitté la société représentent à peine 2,7% des collaborateurs en France,

- la société Boccard ne justifie d'aucune désorganisation à raison des 28 démissions précitées, étant précisé que les salariés n'ont pas quitté la société sur l'année 2022/2023, mais sur une période de 2 ans et demi, les 28 démissions s'étalant sur la période du 29 janvier 2021 au 13 juin 2023 et qu'ils ont, pour la majorité, soit 15 salariés sur 28, été dispensés en tout ou partie de l'exécution de leur préavis, de sorte qu'elle ne saurait se prévaloir d'une quelconque désorganisation en vertu d'une jurisprudence constante,

- les salariés en question occupaient pour la majorité, soit 16 sur 28 des postes de mécaniciens, monteur, tuyauteurs ou de soudeurs correspondant à une qualification d'ouvrier ou d'ETAM et non de cadre et justifiaient, à l'exception de 6 salariés, d'une faible ancienneté comprise entre 6 mois et 4 ans et demi, ce qui témoigne d'un important « turn-over » au sein de la société Boccard,

- la société Boccard ne verse pas au soutien de sa requête le moindre indice crédible d'une quelconque sollicitation de ses personnels par la société Monteiro,

- elle ne justifie pas du moindre indice d'une quelconque désorganisation consécutive aux départs des salariés en question, étant précisé qu'aucun crédit ne saurait être accordé aux attestations de circonstance qu'elle a fait rédiger pour les besoins de la cause à ses propres salariés, et ce compte tenu du lien de subordination,

- les deux attestations des salariés de la société Boccard versées à l'appui de la requête (pièces n°15 et 18) afin d'accréditer la thèse d'une prétendue désorganisation ne sont étayées par aucune pièce justificative (pertes de marché, insatisfactions clients, difficulté de recrutement pour remplacer les salariés démissionnaires, etc.),

- il ressort au contraire des pièces produites au soutien de la requête que les départs des salariés ne sont pas liés à un quelconque débauchage, mais notamment à une dégradation du climat social à la suite de la restructuration de la filière nucléaire, tel que cela ressort expressément de la lettre de démission de M. [Y], ce qui est parfaitement licite.

En réponse à la société Boccard, elle indique que si elle verse aux débats de nombreuses jurisprudences relatives à des actions au fond en matière de concurrence déloyale, c'est tout simplement parce que les conditions du succès d'une action en concurrence déloyale intéressent le juge des requêtes, puis le juge des référés en cas de demande de rétractation, dans le cadre de l'appréciation de l'existence du motif légitime justifiant l'octroi d'une mesure d'instruction in futurum sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. Et pour cause, puisque pour caractériser l'existence d'un motif légitime, le juge des requêtes doit faire le constat d'un procès potentiel, non manifestement voué à l'échec.

Au soutien de sa demande subsidiaire visant à compléter la mission du commissaire de justice, afin de lui ordonner la remise d'une copie de l'intégralité des pièces saisies elle expose que :

- cette demande relève du bon sens dès lors que si l'ordonnance n'est pas rétractée, il devra être ultérieurement statué sur la levée du séquestre dans le cadre des dispositions des articles R.153-3 à R.153-10 du code de commerce et dans ce cadre, elle devra, après examen des pièces saisies, faire état de la liste des pièces dont elle souhaite écarter, en tout ou partie, la communication à la société Boccard, notamment parce qu'elles sont couvertes par le secret des affaires et non nécessaires à la solution du litige,

- dès lors, la seule remise du procès-verbal de constat et de l'inventaire annexé sont insuffisants car pas assez précis, de sorte que la remise d'une copie de l'intégralité des pièces saisies est donc indispensable à l'effet de lui permettre de faire utilement valoir ses droits dans le cadre d'une éventuelle procédure de levée du séquestre.

Pour s'opposer à la demande de levée de séquestre des pièces recueillies lors des opérations de constat, elle fait valoir que cette demande est nouvelle en appel et donc contraire à l'article 564 du code de procédure civile.

Prétentions et moyens de la société Boccard France:

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 14 avril 2025, la société Boccard France, demande à la cour au visa des articles 145, 496, 497, 566, 567, 696 et 700 du code de procédure civile de :

- confirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère le 22 octobre 2024 en ce qu'elle a :

* confirmé l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère le 22 octobre 2024 en date du 12/02/2024 sous la référence RG n°2024OP159,

* ajouté à ladite ordonnance la mention suivante : « ordonne au commissaire de justice nommé de communiquer sans délai à la société Monteiro une copie du procès-verbal de constat dressé par lui le 3 avril 2024 ainsi que les inventaires y étant annexés »,

* laissé les dépens à la charge de la société Monteiro,

- infirmer l'ordonnance rendue par le Président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère le 22 octobre 2024 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- débouter la société Monteiro de l'ensemble de ses demandes,

- déclarer la société Boccard France recevable en sa demande de levée du séquestre des pièces recueillies lors des opérations de constats,

- ordonner la levée du séquestre des pièces recueillies lors des opérations de constats,

- dire, en conséquence, que le commissaire de justice instrumentaire devra remettre à la société Boccard France le procès-verbal et les pièces saisies une fois une fois le présent arrêt rendu,

- condamner la société Monteiro à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Monteiro aux entiers dépens.

Pour justifier de la nécessité de déroger au principe du contradictoire, elle expose que :

- elle ne s'est pas contentée de faire usage de figures de style , mais a motivé sa requête en considération de la nature des faits de concurrence déloyale, de leur ampleur et de la volonté de dissimulation de ces faits par leur auteur, la société Monteiro, en toute mauvaise foi n'ayant jamais répondu à ses lettres de mise en demeure et du risque de dépérissement des preuves informatiques, la requête faisant état du risque de modification des contrats de travail et non du risque de leur suppression et également du risque de suppression des courriels,

- selon la jurisprudence, le fait d'adresser une lettre de mise en demeure de cesser le débauchage de salariés ne fait pas obstacle à la mise en 'uvre d'une procédure non contradictoire, elle atténue l'effet de surprise, mais elle ne le fait pas pour autant disparaître, comme l'a jugé la cour d'appel de Paris le 24 mars 2022,

- la requête est également fondée sur la volonté de dissimulation de la société Monteiro qui est caractérisée dès lors qu'elle n'a même pas répondu à ses courriers de mise en demeure.

Pour justifier de la proportionnalité de la mesure, elle expose que :

- elle est limitée dans le temps puisque dans la requête et dans l'ordonnance sur requête, les mesures d'investigations sont limitées à une période de 2 mois avant la démission des salariés débauchés et une période de 2 mois après,

- cette limitation dans le temps a pour point de repère non pas l'arrivée des salariés débauchés au sein de la société Monteiro, mais bien leur démission de la société Boccard,

- la liste des mots-clefs est strictement limitée aux salariés débauchés par la société Monteiro.

Pour justifier de l'existence d'un motif légitime, elle indique que l'appelante justifie sa demande de rétractation par un grand nombre de décisions de jurisprudence qui ne s'appliquent pas en l'espèce, car elles sont relatives à des actions au fond en matière de concurrence déloyale.

Pour s'opposer à la demande subsidiaire de l'appelante de modification de l'ordonnance sur requête, elle indique que :

- l'article 495, alinéa 3 du code de procédure civile prévoit qu'une copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée, de sorte qu'il n'existe aucune obligation à communiquer à la société requise le constat établi par le Commissaire de justice, ainsi qu'une copie des pièces saisies,

- l'appelante tente de fonder sa demande sur un usage dont elle peine à justifier l'existence même, dès lors qu'il n'existe aucune utilité à ce que la société Monteiro dispose des documents saisis, alors même qu'ils sont déjà en sa possession.

Au soutien de sa demande de levée de séquestre, elle indique que :

- sur le fondement de l'article 566 du code de procédure civile, la jurisprudence retient que la demande de levée du séquestre n'est qu'une conséquence éventuelle d'une décision de confirmation de l'ordonnance rendue dans le cadre du référé rétractation,

- en l'espèce, sa demande de levée du séquestre des pièces recueillies lors des opérations de constats est une demande reconventionnelle ayant un lien suffisant avec la demande initiale de rétractation formulée par la société Monteiro en première instance de la requête l'ayant autorisé à faire réaliser ces mêmes opérations de constats,

- en tout état de cause, la demande de levée du séquestre n'est qu'une conséquence éventuelle d'une décision de confirmation de l'ordonnance du 28 octobre 2024 ayant rejeté la demande de rétractation de la société Monteiro.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2025, l'affaire a été appelée à l'audience du 22 mai 2025 et la décision mise en délibéré a été prononcée le 11 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la demande de rétractation

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 493 du même code prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue, devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s'y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci.

Il doit ainsi apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

Le juge doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

Une simple affirmation ne suffit pas (Cass. 2e civ., 16 mars 2017, n° 16-13.064). Cette nécessité doit être démontrée et reposer sur l'évocation d'éléments propres au cas d'espèce (Cass. 2e civ., 19 mars 2015, n° 14-14.389; Cass. 2e civ., 11 avr. 2019, n° 18-13.947; Cass. 2e civ., 30 janv. 2020, n° 18-24.855).

En l'espèce, s'agissant de la nécessité de déroger au principe du contradictoire, la requête indique en page 8 ainsi qu'il suit : « qu'il convient d'éviter que la société Monteiro, informée de la volonté de la société Boccard, de procéder à des mesures de constat, procède à la dissimulation, l'altération et/ou la destruction de documents pouvant caractériser la commission des actes de concurrence déloyale. L'efficacité de la mesure sollicitée est subordonnée à un facteur de surprises et de discrétion, exclusive de toute contradiction. En effet, les preuves objet de la demande d'instruction sont intrinsèquement fragile dès lors qu'elles sont essentiellement constituées de courriel et de documents informatiques qui pourraient être supprimés ce qui constitue en soi un motif qui autorise à procéder par voie de requête. Dans le cadre d'un débat contradictoire, la société Monteiro pourrait profiter des délais de procédure pour procéder à des transferts de contrat de travail sur d'autres structures, modifier les contrats et ainsi faire obstacle à la preuve des actes commis ou de tenter d'en minimiser l'ampleur. Elle pourrait aussi faire disparaître des courriels et vider des boîtes mail ».

Or, la société Monteiro était parfaitement informée des griefs de débauchage de salariés formulés à son encontre par la société Boccard puisqu'en effet, antérieurement au dépôt de la requête le 12 janvier 2024, cette dernière lui a délivré, suivant un premier courrier du 29 juillet 2022, puis un second courrier le 28 juillet 2023, deux mises en demeure de cesser tout acte incitant ses salariés à quitter l'entreprise et toute tentative de débauchage massif des salariés et de dénigrement.

Ces courriers de mise en demeure contiennent chacun l'indication ainsi libellée : « nous espérons que vous mettrez tout en 'uvre pour que cessent ces man'uvres anticoncurrentielles à défaut de quoi nous serons contraints de diligenter toute procédure nécessaire à la préservation de nos droits ».

Ainsi, la société Monteiro était parfaitement informée des critiques et griefs formulées par la société Boccard à son encontre et de son intention de saisir la justice en cas de difficulté et elle était donc en mesure, si elle le souhaitait, dès la réception de ces mises en demeure, reçues respectivement 17 mois et 6 mois avant le dépôt de la requête, de procéder à des mesures de dissimulation, d'altération ou de destruction de documents pouvant caractériser la commission des actes de concurrence déloyale reprochés.

Il résulte de ces éléments que la nécessité de procéder par effet de surprise n'est donc pas établie, étant au demeurant observé que la menace d'action en justice étant expressément formulée, il ne saurait en résulter une simple atténuation de l'effet de surprise.

Il s'ensuit que la dérogation au principe du contradictoire n'était nullement justifiée et, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'existence d'un motif légitime, il y a lieu d'infirmer la décision du juge de la rétractation qui a rejeté la demande de rétractation formulée par la société Monteiro.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

La société Boccard doit supporter les dépens de première instance et d'appel comme la totalité des frais irrépétibles exposés et verser à la société Monteiro la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure

civile au titre de la première instance et en cause d'appel. Il convient en outre d'infirmer l'ordonnance déférée. Il y a également lieu de débouter la société Boccard de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme l'ordonnance du 22 octobre 2024 du juge des référés du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et ajoutant,

Ordonne la rétractation de l'ordonnance du 12 février 2024 rendue par le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère,

Prononce en conséquence la nullité des procès-verbaux de constat dressés le 3 avril 2024 qui en découle,

Ordonne à la société Boccard la restitution des éléments appréhendés et séquestrés en l'étude des huissiers mentionnés sur les significations, à savoir la Selarl Mouret-Ayache & Associés, et la destruction de toute copie,

Condamne la société Boccard à payer à la société Monteiro la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel.

Déboute la société Boccard de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Boccard aux dépens de première instance et d'appel.

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