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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 15 septembre 2025, n° 23/04421

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 23/04421

15 septembre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 15 SEPTEMBRE 2025

N° RG 23/04421 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NOBM

S.E.L.A.R.L. EKIP'

c/

S.A. [Adresse 3]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 août 2023 (R.G. 2022F02023) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 25 septembre 2023

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. EKIP', représentée par Maître [V] [U], ès qualités de mandataire liquidateur de Monsieur [G] [Y], nommé à ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de BORDEAUX en date du 19 juin 2019, domicilié en cette qualité [Adresse 2]

Représentée par Maître Patrick TRASSARD de la SELARL TRASSARD & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.A. [Adresse 3], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

Représentée par Maître Mark URBAN de la SELARL ABR & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Sophie JARNEVIC, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

Exposé du litige :

1 - M. [G] [Y] a exercé sous la forme personnelle une activité de marin pêcheur et vente de détail alimentaire sur éventaires et marchés en ambulant.

Dans le cadre de son activité, il a acquis le 16 août 2017 un navire de pêche au prix de 450 000 euros, financé au moyen d'un prêt n°05607779 consenti le 19 août 2017 par la Caisse régionale de crédit maritime mutuel, devenue la [Adresse 3] (ci-après BPACA), d'un montant initial de 430 000 euros au taux fixe de 1,86% l'an, à rembourser en 120 échéances mensuelles. Le prêt a été garanti par une hypothèque maritime sur le navire à hauteur de 430 000 euros.

Le 16 mai 2019, le navire a été vendu par M. [Y] au prix de 310 000 euros.

Le 23 mai 2019, M. [Y] a procédé au remboursement partiel anticipé du prêt. La BPACA a donné mainlevée de la garantie d'hypothèque maritime.

Le 13 juin 2019, M. [Y] a été déclaré en état de cessation des paiements.

Par jugement du 19 juin 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à son égard et la SELARL Ekip' a été désignée en qualité de liquidateur. Il a fixé la date de l'état de cessation des paiements au 1er octobre 2018.

Par courrier recommandé du 11 juillet 2019, la BPACA a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur au titre du solde du prêt pour un montant de 360 400,56 euros.

2 - Par acte du 14 décembre 2022, la SELARL Ekip' ès qualités a assigné la BPACA devant le tribunal aux fins d'obtenir l'annulation du remboursement partiel anticipé du prêt et la restitution de la somme de 310 000 euros.

Par acte du 21 février 2023, la BPACA a formulé une requête en relevé de forclusion et a sollicité du juge commissaire l'autorisation de déclarer sa créance au passif de la procédure collective de M. [Y] pour la somme privilégiée de 360 400,56 euros au titre du solde du prêt professionnel.

Par jugement du 8 août 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- Ordonné à la [Adresse 3] de restituer à la SELARL EKIP', ès qualités de liquidateur de Monsieur [G] [Y], la somme de 310 000 euros correspondant au paiement d'une dette non échue postérieurement à la date de cessation des

paiements,

- Autorisé la [Adresse 3] à déclarer sa créance au passif de la procédure collective de Monsieur [G] [Y] pour la somme privilégiée et échue de 360 400,56 euros ;

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- Condamné la Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique à payer à la SELARL Ekip', prise en la personne de Maître [V] [U], en qualité de liquidateur de Monsieur DamienFelix, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la [Adresse 3] aux entiers dépens.

Par ordonnance du 21 septembre 2023, le juge commissaire a fait droit à la demande de relevé de forclusion de la PBACA.

Par déclaration au greffe du 25 septembre 2023, la SELARL Ekip' a relevé appel partiel du jugement du tribunal de commerce du 8 août 2023, énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la BPACA.

Par courrier recommandé du 4 octobre 2023, la BPACA a déclaré auprès de la SELARL Ekip' sa créance au passif de la procédure pour la somme privilégiée de 360 400,56 euros au titre du solde du prêt professionnel.

Prétentions des parties :

3 - Par dernières écritures notifiées par message électronique du 8 janvier 2024, la SELARL Ekip' demande à la cour de :

Vu l'article L. 632-1 du code de commerce,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

- Déclarer la SELARL Ekip' es qualité de liquidateur judiciaire de l'entreprise [G]

[Y] recevable en ses demandes.

- Confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a autorisé la BPACA à déclarer sa créance au passif de la procédure collective de Monsieur [G] [Y].

Statuant à nouveau,

- Constater l'inopposabilité de la créance de la BPACA à la procédure collective, faute d'avoir été déclarée dans les délais impartis,

- Rejeter la demande d'autorisation de la BPACA à déclarer sa créance au passif de la procédure collective de Monsieur [G] [Y] pour un montant de 360 400,56 euros,

- Condamner la BPACA à payer à la SELARL Ekip', prise en la personne de Maître

[V] [U], en qualité de liquidateur judiciaire de l'entreprise [G] [Y],

la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la BPACA aux entiers dépens.

- Dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un commissaire de justice et que le montant des émoluments retenus en application de l'article 444-32 du code de commerce devra être supporté par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

4 - Par dernières écritures notifiées par message électronique le 20 décembre 2023 formant appel incident, la BPACA demande à la cour de :

Vu les article L 632-1 et suivants du code de commerce,

Vu les articles 700 du code de procédure civile

A titre principal pour la BPACA

- Déclarer que conformément aux stipulations de l'article 11 du prêt « prêt équipement » n°05607779 ayant servi au financement de l'acquisition du navire de pêche, le prêt était devenu exigible sans aucune formalité ni mise en demeure préalable en raison de la vente du bien financé nécessaire à l'exploitation de l'activité de l'emprunteur, de sorte la dette était échue avant la date d'état de cessation de paiements et le paiement fait par Monsieur [Y] pour la somme de 310 000 euros au profit de la BPACA n'est pas concernée par les nullités de plein droit de l'article L 632-1 du code de commerce.

En conséquence,

- Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 8 août 2023, RG 2022F02023, en l'ensemble de ses dispositions en ce qu'il a :

- Ordonné à la BPACA de restituer à la SELARL EKIP', ès qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur [G] [Y], la somme de 310 000 euros correspondant au paiement d'une dette non échue postérieurement à la date de cessation de paiements.

- Condamné la BPACA à payer à la SELARL Ekip', prise en la personne de Maître [V] [U], ès qualité de liquidateur de Monsieur [G] [Y], la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné la BPACA aux entiers dépens.

En statuant à nouveau :

- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la SELARL Ekip' à l'encontre de la BPACA ;

A titre subisidiaire pour la BPACA :

- Déclarer que le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 8 août 2023 était parfaitement compétent pour autoriser la BPACA à déclarer sa créance au passif de la procédure collective de Monsieur [G] [Y] pour la somme privilégiée et échue de 360 400,56 euros outre intérêts au taux contractuel de 1,86% à compter du 16 mai 2019 jusqu'à parfait paiement.

En conséquence,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 8 août 2023, RG 2022F02023 en l'ensemble de ses dispositions en ce qu'il autorisé la BPACA à déclarer sa créance au passif de la procédure collective de Monsieur [G] [Y] pour la somme privilégiée et échue de 360 400,56 euros outre intérêts au taux contractuel de 1,86% à compter du 16 mai 2019 jusqu'à parfait paiement.

- Rejeter l'ensemble des autres demandes, fins et prétentions de la SELARL Ekip' à l'encontre de la BPACA.

En tout état de cause :

- Condamner la SELARL Ekip' à payer à la BPACA la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 juin 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la déclaration de créance de la BPACA

Moyens des parties

5. La SELARL Ekip' ès qualités fait valoir, au visa des articles L 622-24, L 622-26 et R 622-24 du code de commerce, que la BPACA devait déclarer sa créance avant le 30 août 2019 et que celle-ci doit donc être déclarée inopposable au passif de la procédure en raison de la forclusion. Elle indique que seul le juge commissaire a le pouvoir de se prononcer sur une demande de relevé de forclusion.

6. La BPACA soutient que le tribunal de commerce était compétent pour l'autoriser à déclarer sa créance. Elle ajoute que par ordonnance du 21 septembre 2023, le juge commissaire l'a autorisée à déclarer sa créance pour la somme de 360 400,56 euros.

Réponse de la cour

7. En vertu des dispositions de l'article L622-24 du code de commerce :

'A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat.'

En vertu des dispositions de l'article R 624-3 du code de commerce :

'Les décisions d'admission sans contestation sont matérialisées par l'apposition de la signature du juge-commissaire sur la liste des créances établie par le mandataire judiciaire.'

8. Le tribunal de commerce, dans son jugement du 19 juin 2019, a fixé la date de l'état de cessation des paiements au 1er octobre 2018. Le remboursement partiel anticipé du prêt est intervenu le 23 mai 2019, au cours de la période suspecte.

9. Le juge-commissaire a seul compétence pour statuer sur la déclaration ainsi que sur l'existence de la créance. De même, le relevé de forclusion doit être présenté par requête au juge commissaire, en application des dispositions de l'article L 622-24 du code de commerce.

10. Dès lors, le tribunal de commerce n'avait pas le pouvoir juridictionnel pour autoriser lui-même la banque à déclarer sa créance au passif de la procédure collective pour la somme de 360 400,56 euros.

11. Sans examiner plus avant l'argumentation des parties, il convient d'infirmer la décision du tribunal de commerce de ce chef.

Sur la restitution de la somme de 310 000 euros

Moyens des parties

12. A titre incident, la BPACA relève, au visa de l'article L 632-1 du code commerce que le paiement d'une dette échue postérieurement à la cessation des paiements est valable. Au visa de l'article 11 du contrat de prêt, elle explique que sa créance est devenue exigible de plein droit sans mise en demeure préalable en raison de la vente du bien financé nécessaire à l'exploitation de l'emprunteur.

13. La SELARL Ekip' ès qualités fait valoir que le remboursement anticipé du prêt souscrit à hauteur de 310 000 euros correspond au paiement d'une dette non échue. Elle indique que la BPACA n'a pas respecté les conditions posées par l'article 11 du contrat qui prévoit l'envoi par la banque d'une lettre recommandée avec accusé de réception, et que l'article 6 n'est pas applicable au cas d'espèce.

Réponse de la cour

14. L'article L 632-1 du code de commerce dispose :

'I. - Sont nuls, lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants :

3° Tout paiement, quel qu'en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement.'

- L'article 6 - Remboursement anticipé du contrat de prêt prévoit que 'le crédit peut être remboursé par anticipation à l'initiative soit de l'emprunteur soit de la banque.

Le remboursement anticipé du crédit donne lieu au paiement par l'emprunteur d'une indemnité gale à 5% du capital remboursé par anticipation'.

Le remboursement anticipé est possible sous réserve :

'- d'un préavis par lettre recommandée adressée à la banque un mois avant la date prévue pour la libération anticipée,

- de faire coïncider ledit remboursement avec l'une des dates d'échéance initialement prévues.'

- L'article 11 - Exigibilité du contrat de prêt prévoit :

' Toutes les sommes dues en principal, intérêts échus et non payés, frais et accessoires par l'emprunteur seront exigibles (...) Dans l'un des cas suivants :

- lorsque l'emprunteur est entrepreneur individuel à responsabilité limitée, en cas de vente ou retrait de bien(s) nécessaire(s) à l'exploitation, sans avoir préalablement recueilli l'accord écrit de la banque (...).

La créance de la banque sera exigible dans l'un ou l'autre des cas ci-dessus énoncés, de plein droit, huit jours après notification adressée à l'emprunteur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sans qu'il soit besoin de mis en demeure ou d'autres formalités et malgré toutes offres et consignations ultérieures.

Le remboursement anticipé du crédit, suite à l'exigibilité prononcée par la banque, donne lieu au paiement de l'indemnité prévue à l'article 6 des présentes.'

15. Le tribunal de commerce a considéré que la BPACA ne produisait aucune lettre recommandée émanant de la banque ou de l'emprunteur et que le remboursement du prêt n'était pas valable.

16. En cause d'appel, il n'est versé au débat aucune pièce supplémentaire et il n'est par ailleurs pas établi que le remboursement ait coïncidé avec une échéance du prêt.

Dès lors, les modalités de remboursement anticipé du prêt, réalisé le 23 mai 2019, ne répondent pas aux conditions posées par les articles 6 et 11 du contrat.

17. En conséquence, le versement du 23 mai 2019 de la somme de 310 000 euros par M. [Y] à la BPACA correspond au paiement d'une dette non échue postérieurement à la date de cessation des paiements.

18. Le tribunal a ordonné à bon droit la restitution de cette somme à la SELARL Ekip' ès qualités.

Sa décision sera confirmée de ce chef.

Sur les demandes accessoires

- Partie succombante, la BPACA sera condamnée aux dépens d'appel.

Il n'y a pas lieu d'inclure dans les dépens l'émolument prévu à l'article A 444-32 du code de commerce et mis à la charge du créancier en application de l'article R 444-55 du code de commerce.

La BPACA sera également condamnée à verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 8 août 2023 en ce qu'il a autorisé la BPACA à déclarer sa créance au passif de la procédure collective de M. [Y] pour la somme de 360 400,56 euros,

Statuant à nouveau de ce seul chef,

Dit que le tribunal ne disposait pas du pouvoir juridictionnel pour autoriser, au lieu et place du juge-commissaire, la BPACA à déclarer sa créance au passif de la procédure collective de M. [Y] pour la somme de 360 400,56 euros,

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions.

Y ajoutant,

Condamne la BPACA aux dépens d'appel, étant précisé que ceux-ci n'incluront pas l'émolument prévu par l'article A 444-32 du code de commerce

Condamne la BPACA à verser à la SELARL Ekip' en sa qualité de liquidateur de M. [Y], la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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