CA Colmar, ch. 4 sb, 11 septembre 2025, n° 23/03329
COLMAR
Arrêt
Autre
MINUTE N° 25/580
NOTIFICATION :
Copie aux parties
Clause exécutoire aux :
- avocats
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB
ARRET DU 11 Septembre 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB N° RG 23/03329 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IEVN
Décision déférée à la Cour : 26 Juillet 2023 par le pôle social du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG
APPELANTS :
S.A.S. [O] [1]
ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS [11]
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Loïc RENAUD, avocat au barreau de COLMAR
SAS [11]
[Adresse 3]
[Localité 10]
INTIMES :
S.A. [9]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat au barreau de COLMAR
Monsieur [S] [U]
[Adresse 8]
[Localité 10]
Non représenté, non comparant à l'audience
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU BAS-RHIN
Service contentieux
[Adresse 4]
[Localité 10]
Comparante en la personne de Mme [N], munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Juin 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. LEVEQUE, Président de chambre, et M. LAETHIER, Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. LEVEQUE, Président de chambre
Mme DAYRE, Conseiller
M. LAETHIER, Vice-Président placé
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par M. LEVEQUE, Président de chambre,
- signé par M. LEVEQUE, Président de chambre, et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [S] [U], intérimaire au sein de la Sas [11], a été victime d'un accident sur son lieu de travail le 4 avril 2016 alors qu'il travaillait en qualité de peintre pour le compte de la Sa [9], entreprise utilisatrice.
La déclaration d'accident du travail du 5 avril 2016 décrit les circonstances de l'accident de la façon suivante : « Glissade de l'échelle de toit. S'est blessé en se réceptionnant dans le garde de corps de l'échafaudage ».
M. [U] a présenté une fracture du bras droit.
Cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin au titre de la législation relative aux risques professionnels.
L'état de santé de M. [U] a été déclaré consolidé le 29 septembre 2017 et un taux d'incapacité permanente de 7% lui a été attribué à la date du 30 septembre 2017.
Par requête transmise par voie électronique le 12 juin 2020, M. [U] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg, afin de voir reconnaître la faute inexcusable de la société [11] et de la société [9].
Par jugement du 25 juillet 2022, la société [11] a été placée en liquidation judiciaire par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg qui a désigné la Sas [O] [1] en qualité de mandataire liquidateur.
La Sas [O] [1] a été mise en cause dans la procédure par courrier émanant du greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 10 novembre 2022.
Par jugement mixte réputé contradictoire du 26 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :
- déclaré irrecevable le recours introduit par M. [U] à l'encontre de la société [9],
- déclaré recevable le recours introduit par M. [U] à l'encontre de la société [11],
- dit que l'accident du travail subi par M. [U] le 4 avril 2016 est dû à la faute inexcusable commise par la société [11],
- ordonné, avant-dire droit, une expertise médicale de M. [U] confiée au Professeur [D] [X],
- dit que la CPAM du Bas-Rhin fera l'avance des frais d'expertise,
- ordonné la majoration du capital de M. [U] pour qu'il perçoive la somme de 2 937,03 euros,
- dit que la CPAM du Bas-Rhin versera directement à M. [U] les sommes dues au titre de la majoration du capital et de l'indemnisation des différents postes de préjudices une fois ces derniers liquidés par un jugement à venir,
- dit que la CPAM du Bas-Rhin pourra recouvrer auprès de la Sas [11] par l'intermédiaire de Maître [O] le montant des sommes dues au titre de la majoration du capital et de l'indemnisation des différents postes de préjudices à venir qui seront accordés à M. [U] une fois ces derniers liquidés par un jugement à venir ainsi que le coût de l'expertise judiciaire ordonnée,
- condamné la Sas [11] par l'intermédiaire de Maître [O] au remboursement de l'ensemble des sommes versées par la CPAM du Bas-Rhin à M. [U] relatif à la majoration du capital et à l'indemnisation des différents postes de préjudices ainsi que la somme versée en avance des frais d'expertise,
- déclaré le jugement commun et opposable à la CPAM du Bas-Rhin,
- ordonné à la Sas [11] par l'intermédiaire de Maître [O] de communiquer à la CPAM du Bas-Rhin le nom et les coordonnées de son assureur,
- rejeté toute demande plus ample ou contraire,
- réservé les dépens et la condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour se déterminer ainsi, le tribunal a retenu que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable doit être dirigée contre l'employeur et non contre l'entreprise utilisatrice, de sorte que les demandes dirigées à l'encontre de la société [9] sont irrecevables.
Le premiers juges ont considéré que l'employeur avait commis une faute inexcusable dans la mesure où le salarié avait été mis à disposition d'une entreprise utilisatrice connue pour ses violations réitérées des obligations réglementaires de sécurité imposées par le code du travail.
La Sas [O] [1] a interjeté appel par déclaration réceptionnée au greffe de la cour le 18 septembre 2023.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 12 juin 2025.
Par conclusions du 2 janvier 2024, soutenues oralement à l'audience, la Sas [O] [1] demande à la cour de :
- déclarer l'appel de la Sas [O] [1], es qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11], recevable et bien-fondé,
- annuler en toutes ses dispositions le jugement querellé prononcé le 26 juillet 2023 par le pôle social du tribunal judicaire de Strasbourg,
Subsidiairement,
- infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable le recours formé par M. [U] [S] contre la Sa [9],
Sur évocation, subsidiairement, statuant à nouveau en cas d'infirmation du jugement querellé en toutes ses dispositions,
- déclarer irrecevable comme prescrite l'action de M. [S] [U] dirigée contre la Sas [O] [1], es qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11],
- déclarer inopposable à la liquidation judiciaire de la Sas [11], respectivement à la Sas [O] [1], es qualité de mandataire judiciaire de la Sas [11], la créance de M. [S] [U] et de la CPAM,
- déclarer que l'accident du travail subi par M. [S] [U] survenu le 4 avril 2016 n'est pas dû à la faute inexcusable de la Sas [11],
En tout état de cause,
- débouter M. [S] [U] de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la Sas [O] [1], es qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11],
- déclarer commun et opposable à la Sa [9] l'arrêt à intervenir,
- rappeler que la procédure est gratuite et sans frais.
L'appelante fait valoir que le principe du contradictoire n'a pas été respecté en première instance puisque les conclusions au fond et les pièces de M. [U], de la société [9] et de la CPAM ne lui ont pas été communiquées.
La Sas [O] [1] soutient que la prescription biennale de l'article L 431-2 du code de la sécurité sociale est acquise dans la mesure où M. [U] s'est vu attribuer un taux d'IPP de 7% le 10 octobre 2017 et qu'il a saisi le tribunal judiciaire le 12 juin 2020.
L'appelante ajoute que M. [U] et la CPAM ne justifient pas avoir déclaré leur créance au passif de la société [11].
Enfin, elle indique que la société [11] ne disposait d'aucun élément d'information concernant la prétendue mauvaise réputation de la Sa [9], de sorte qu'il n'est pas démontré qu'elle aurait eu ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis M. [U].
Par conclusions du 2 avril 2024, soutenues oralement à l'audience, la Sa [9] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en tant que l'action de M. [U] dirigée contre la société [9] a été déclarée irrecevable,
- statuer ce que de droit sur l'appel de Maitre [O], es qualité de liquidateur de la Sas [11],
- débouter les autres parties de toutes conclusions plus amples ou contraires dirigées contre la société [9].
L'intimée fait valoir que les demandes formulées à son encontre sont irrecevables, n'étant pas l'employeur de M. [U].
Elle ajoute que l'action de M. [U] est prescrite et que les demandes dirigées à l'encontre de la liquidation judiciaire sont irrecevables, en l'absence de créance régulièrement déclarée.
Convoqué par courrier recommandé réceptionné le 4 juin 2024, M. [U] n'était pas présent, ni représenté à l'audience.
Par conclusions du 21 janvier 2024, soutenues oralement à l'audience, la CPAM du Bas-Rhin demande à la cour de :
- constater que la CPAM s'en remet à la sagesse de la Cour concernant la demande de nullité du rapport du Professeur [X],
- constater que la CPAM du Bas-Rhin a avancé le montant d'indemnisation des préjudices de Monsieur [U] soit la somme de 9471 euros,
Si par extraordinaire le rapport d'expertise du Professeur [X] était annulé, la CPAM demande :
- d'ordonner une nouvelle expertise afin que soit évaluer les préjudices de Monsieur [U],
- rendre opposable à la Sas [O] [1], es-qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11] le nouveau rapport d'expertise,
- condamner Monsieur [U] à rembourser à la CPAM du Bas-Rhin la différence en cas de minoration de l'évaluation de ses préjudices,
Si en toute vraisemblance la Sas [O] [1], es-qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11] était débouté de sa demande tendant à l'annulation du rapport d'expertise, fixer la créance de la caisse au passif de la procédure collective de la Sas [11],
- débouter la Sas [O] [1], es-qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11] de sa demande de condamner la caisse primaire d'assurance maladie à lui payer la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la Sas [O] [1], es-qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11] de sa demande de condamner la caisse primaire d'assurance maladie aux dépens,
- débouter la Sas [O] [1] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la Sas [O] [1], es-qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11] aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux conclusions précitées pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande d'annulation du jugement déféré :
L'article 15 du code de procédure civile énonce que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.
Selon l'article 16 alinéas 1 et 2 du code précité, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
L'atteinte au principe du contradictoire est une cause de nullité du jugement.
En l'espèce, il résulte du jugement entrepris et du dossier de première instance communiqué à la cour que la Sas [O] [1] a été régulièrement mise en cause le 10 novembre 2022 dans la procédure pendante devant le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg et qu'elle a été régulièrement convoquée à l'audience de plaidoirie du 7 juin 2023 par courrier du 17 mai 2023.
Les débats dans le cadre d'une procédure orale sont contradictoires à l'audience, ce qui permet à chaque partie de répliquer aux moyens développés par les autres parties et/ou de solliciter un éventuel renvoi ou l'autorisation de déposer une note en délibéré.
En procédure orale, rien n'obligeait les parties à communiquer leurs conclusions et pièces à la Sas [O] [1] avant l'audience du 7 juin 2023 à laquelle, si la Sas [O] [1] ou son conseil s'était présentée, le tribunal aurait renvoyé l'affaire à une prochaine audience pour faire respecter le principe de contradiction et permettre à la Sas [O] [1] d'assurer sa défense.
Dès lors que la Sas [O] [1] n'a pas comparu ni personne pour la représenter à l'audience à laquelle elle avait été régulièrement convoquée, l'appelante ne peut se prévaloir d'aucun manquement à son égard au principe du contradictoire.
Le jugement en cause n'encourt donc aucune nullité tirée d'une atteinte au principe de contradiction.
Sur la recevabilité de l'action dirigée à l'encontre de l'entreprise utilisatrice :
En application des articles L412-6 et L452-3 du code de la sécurité sociale, l'entreprise utilisatrice est regardée comme substituée dans la direction à l'entreprise de travail temporaire, qui, en qualité d'employeur de la victime, reste seule tenue, envers la caisse primaire d'assurance maladie, des obligations découlant de la reconnaissance de la faute inexcusable.
En l'espèce, l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur dirigée par M. [U] à l'encontre de la Sa [9], entreprise utilisatrice, sera déclarée irrecevable.
Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur la prescription :
Selon l'article 122 du code de procédure civile « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
Aux termes de l'article L.431-2 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au présent litige, les droits de la victime d'un accident de travail ou d'une maladie professionnelle, ou de ses ayant droits, aux prestations et indemnités dues se prescrivent par deux ans. Toutefois, en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux articles L.452-1 et suivants est interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.
Il résulte par ailleurs de l'article 2242 du code civil que cet effet interruptif de l'action pénale subsiste jusqu'à l'expiration du délai d'appel du ministère public ou jusqu'à ce qu'une décision mette définitivement fin à l'instance.
Il est également constant que le point de départ du délai de prescription biennal prévu par le texte susvisé peut être fixé à la date de la cessation du paiement de l'indemnité journalière.
En l'espèce, le point de départ du délai biennal de prescription doit être fixé à la date du 29 septembre 2017 correspondant à la date de consolidation de M. [U] et de la cessation corrélative du versement des indemnités journalières.
La citation pénale délivrée le 28 février 2019 à la Sa [9] à l'initiative du procureur de la République de Strasbourg a régulièrement interrompu la prescription jusqu'à ce que la décision soit rendue par le tribunal correctionnel le 19 novembre 2019.
.../...
Ainsi, la prescription biennale n'était pas acquise lorsque M. [U] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg d'une demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, par requête du 12 juin 2020.
En conséquence, il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription.
Sur l'existence de la faute inexcusable :
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur sur le fondement des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il suffit que la faute de l'employeur soit en lien de causalité avec le dommage pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée alors même que d'autres fautes auraient concouru à la réalisation du dommage.
La preuve de la faute inexcusable incombe à la victime ou à ses ayants droit.
Aux termes des dispositions de l'article L1251-21 du code du travail, pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, notamment en matière de santé et de sécurité au travail, telles qu'elles sont déterminées par les dispositions légales et conventionnelles applicables au lieu de travail.
En application des articles L412-6 et L452-3 du code de la sécurité sociale, l'entreprise utilisatrice est regardée comme substituée dans la direction à l'entreprise de travail temporaire, qui, en qualité d'employeur de la victime, reste seule tenue, envers la caisse primaire d'assurance maladie, des obligations découlant de la reconnaissance de la faute inexcusable.
La société de travail temporaire est fondée, en pareil cas, à exercer une action récursoire contre l'entreprise utilisatrice, dont la demande de remboursement peut toutefois être limitée en cas de partage de responsabilité dans la survenance de la faute.
En application de l'article 1355 du code civil, la chose définitivement jugée au pénal s'imposant au juge civil, l'employeur définitivement condamné pour des blessures involontaires commises, dans le cadre du travail, sur la personne de son salarié et dont la faute inexcusable est recherchée, doit être considéré comme ayant eu conscience du danger auquel celui-ci était exposé et n'avoir pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce, le 4 avril 2016, M. [U], salarié de la société [11], mis à disposition de l'entreprise utilisatrice [9], a été victime d'un accident du travail qui lui a occasionné une fracture du bras droit à la suite d'une chute depuis l'échelle de toit.
La société [9] a été convoquée devant le tribunal correctionnel de Strasbourg par citation délivrée à la requête du procureur de la République le 28 février 2019.
Par jugement du 19 novembre 2019, la société [9] a été condamnée par le tribunal correctionnel de Strasbourg à :
- deux amendes de trois mille euros pour des faits d'emploi de travailleurs sur toiture sur chantier de bâtiment et travaux publics sans respect des règles de sécurité commis le 4 avril 2016 à [Localité 10],
- une amende de six mille euros pour des faits de blessures involontaires par personne morale avec incapacité n'excédant pas trois mois dans le cadre du travail commis le 4 avril 2016 à [Localité 10],
Ces condamnations présentent un caractère définitif.
Il résulte de la condamnation pénale de la société utilisatrice, la société [9], que celle-ci avait nécessairement conscience du danger auquel était exposé M. [U] et n'a pas pris les mesures pour éviter l'accident du 4 avril 2016, ce qui caractérise une faute inexcusable dans la survenance de cet accident pour laquelle l'entreprise de travail temporaire est seule tenue envers l'organisme de sécurité sociale des obligations découlant de la reconnaissance de la faute inexcusable.
En conséquence, l'accident du travail subi par M. [U] le 4 avril 2016 est dû à la faute inexcusable commise par la société [11].
Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur l'absence de déclaration de créance de M. [U] au passif de la Sas [11] :
En application de l'article L. 622-7 du code de commerce, l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire emporte de plein droit l'interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L. 622-17 du même code.
Les créanciers sont tenus de déclarer leur créance auprès des organes de la procédure collective et peuvent uniquement solliciter la fixation de leur créance au passif de celle-ci.
En matière de faute inexcusable, la victime, ou l'ayant-droit, qui réclame la reconnaissance d'une faute inexcusable ne peut être considérée comme demandant la condamnation de l'employeur et de l'entreprise utilisatrice au paiement d'une somme d'argent et n'a donc pas à déclarer sa créance en cas de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire de cette dernière, l'indemnisation complémentaire demandée étant versée directement par la CPAM.
En l'espèce, M. [U] n'était donc pas tenu de déclarer une créance auprès de la procédure collective de la Sas [11].
La fin de non-recevoir soulevée à l'encontre de M. [U] pour défaut de déclaration de créance doit donc être écartée.
Sur l'absence de déclaration de créance de la CPAM du Bas-Rhin au passif de la Sas [11] :
Aux termes des articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce, à partir de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans un délai de deux mois.
La créance de restitution de l'indemnisation complémentaire versée par la caisse à la victime d'un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur, qui a pour origine la faute de celui-ci, est soumise à déclaration au passif de la société placée sous le régime d'une procédure collective dès lors qu'un accident est antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
En application de l'article L. 622-26 du même code, sauf relevé de forclusion par le juge commissaire dans un délai de six mois, les créances non déclarées régulièrement dans ces délais ne sont pas éteintes mais sont inopposables à la liquidation judiciaire.
En l'espèce, il est constant que l'accident à l'origine de la faute inexcusable est antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
Il s'ensuit que, la caisse ne justifiant ni d'une déclaration de créance ni d'un relevé de forclusion, sa créance est inopposable à la liquidation judiciaire et son action récursoire à l'encontre de l'employeur est irrecevable.
Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
La cour rappelle que l'organisme de sécurité sociale, subrogé dans les droits de la victime d'un accident du travail causé par la faute inexcusable de l'employeur après versement de l'indemnité complémentaire, peut agir par voie d'action directe à l'encontre de l'assureur de l'employeur des conséquences financières de la faute inexcusable, sans être tenu de se soumettre à la procédure de vérification de sa créance conformément aux articles L. 124-3 du code des assurances et L. 452-3, alinéa 3, du code de la sécurité sociale. (Cass. com. 18 juin 2013, pourvoi n° 12-19.709).
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront confirmées.
Chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement déféré SAUF en ce qu'il a :
- dit que la CPAM du Bas-Rhin pourra recouvrer auprès de la Sas [11] par l'intermédiaire de Maître [O] le montant des sommes dues au titre de la majoration du capital et de l'indemnisation des différents postes de préjudices à venir qui seront accordés à M. [U] une fois ces derniers liquidés par un jugement à venir ainsi que le coût de l'expertise judiciaire ordonnée,
- condamné la Sas [11] par l'intermédiaire de Maître [O] au remboursement de l'ensemble des sommes versées par la CPAM du Bas-Rhin à M. [U] relatif à la majoration du capital et à l'indemnisation des différents postes de préjudices ainsi que la somme versée en avance des frais d'expertise,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée à l'encontre de M. [S] [U] pour défaut de déclaration de créance à la procédure collective de la Sas [11],
DECLARE irrecevable l'action récursoire de la CPAM du Bas-Rhin à l'encontre de la Sas [11] en l'absence de déclaration de créance à la procédure de liquidation judiciaire,
ORDONNE le renvoi de l'affaire devant le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg, pour liquidation des préjudices subis par M. [S] [U],
DIT que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.
La greffière, Le président de chambre,
NOTIFICATION :
Copie aux parties
Clause exécutoire aux :
- avocats
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB
ARRET DU 11 Septembre 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB N° RG 23/03329 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IEVN
Décision déférée à la Cour : 26 Juillet 2023 par le pôle social du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG
APPELANTS :
S.A.S. [O] [1]
ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS [11]
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Loïc RENAUD, avocat au barreau de COLMAR
SAS [11]
[Adresse 3]
[Localité 10]
INTIMES :
S.A. [9]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat au barreau de COLMAR
Monsieur [S] [U]
[Adresse 8]
[Localité 10]
Non représenté, non comparant à l'audience
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU BAS-RHIN
Service contentieux
[Adresse 4]
[Localité 10]
Comparante en la personne de Mme [N], munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Juin 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. LEVEQUE, Président de chambre, et M. LAETHIER, Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. LEVEQUE, Président de chambre
Mme DAYRE, Conseiller
M. LAETHIER, Vice-Président placé
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par M. LEVEQUE, Président de chambre,
- signé par M. LEVEQUE, Président de chambre, et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [S] [U], intérimaire au sein de la Sas [11], a été victime d'un accident sur son lieu de travail le 4 avril 2016 alors qu'il travaillait en qualité de peintre pour le compte de la Sa [9], entreprise utilisatrice.
La déclaration d'accident du travail du 5 avril 2016 décrit les circonstances de l'accident de la façon suivante : « Glissade de l'échelle de toit. S'est blessé en se réceptionnant dans le garde de corps de l'échafaudage ».
M. [U] a présenté une fracture du bras droit.
Cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin au titre de la législation relative aux risques professionnels.
L'état de santé de M. [U] a été déclaré consolidé le 29 septembre 2017 et un taux d'incapacité permanente de 7% lui a été attribué à la date du 30 septembre 2017.
Par requête transmise par voie électronique le 12 juin 2020, M. [U] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg, afin de voir reconnaître la faute inexcusable de la société [11] et de la société [9].
Par jugement du 25 juillet 2022, la société [11] a été placée en liquidation judiciaire par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg qui a désigné la Sas [O] [1] en qualité de mandataire liquidateur.
La Sas [O] [1] a été mise en cause dans la procédure par courrier émanant du greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 10 novembre 2022.
Par jugement mixte réputé contradictoire du 26 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :
- déclaré irrecevable le recours introduit par M. [U] à l'encontre de la société [9],
- déclaré recevable le recours introduit par M. [U] à l'encontre de la société [11],
- dit que l'accident du travail subi par M. [U] le 4 avril 2016 est dû à la faute inexcusable commise par la société [11],
- ordonné, avant-dire droit, une expertise médicale de M. [U] confiée au Professeur [D] [X],
- dit que la CPAM du Bas-Rhin fera l'avance des frais d'expertise,
- ordonné la majoration du capital de M. [U] pour qu'il perçoive la somme de 2 937,03 euros,
- dit que la CPAM du Bas-Rhin versera directement à M. [U] les sommes dues au titre de la majoration du capital et de l'indemnisation des différents postes de préjudices une fois ces derniers liquidés par un jugement à venir,
- dit que la CPAM du Bas-Rhin pourra recouvrer auprès de la Sas [11] par l'intermédiaire de Maître [O] le montant des sommes dues au titre de la majoration du capital et de l'indemnisation des différents postes de préjudices à venir qui seront accordés à M. [U] une fois ces derniers liquidés par un jugement à venir ainsi que le coût de l'expertise judiciaire ordonnée,
- condamné la Sas [11] par l'intermédiaire de Maître [O] au remboursement de l'ensemble des sommes versées par la CPAM du Bas-Rhin à M. [U] relatif à la majoration du capital et à l'indemnisation des différents postes de préjudices ainsi que la somme versée en avance des frais d'expertise,
- déclaré le jugement commun et opposable à la CPAM du Bas-Rhin,
- ordonné à la Sas [11] par l'intermédiaire de Maître [O] de communiquer à la CPAM du Bas-Rhin le nom et les coordonnées de son assureur,
- rejeté toute demande plus ample ou contraire,
- réservé les dépens et la condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour se déterminer ainsi, le tribunal a retenu que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable doit être dirigée contre l'employeur et non contre l'entreprise utilisatrice, de sorte que les demandes dirigées à l'encontre de la société [9] sont irrecevables.
Le premiers juges ont considéré que l'employeur avait commis une faute inexcusable dans la mesure où le salarié avait été mis à disposition d'une entreprise utilisatrice connue pour ses violations réitérées des obligations réglementaires de sécurité imposées par le code du travail.
La Sas [O] [1] a interjeté appel par déclaration réceptionnée au greffe de la cour le 18 septembre 2023.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 12 juin 2025.
Par conclusions du 2 janvier 2024, soutenues oralement à l'audience, la Sas [O] [1] demande à la cour de :
- déclarer l'appel de la Sas [O] [1], es qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11], recevable et bien-fondé,
- annuler en toutes ses dispositions le jugement querellé prononcé le 26 juillet 2023 par le pôle social du tribunal judicaire de Strasbourg,
Subsidiairement,
- infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable le recours formé par M. [U] [S] contre la Sa [9],
Sur évocation, subsidiairement, statuant à nouveau en cas d'infirmation du jugement querellé en toutes ses dispositions,
- déclarer irrecevable comme prescrite l'action de M. [S] [U] dirigée contre la Sas [O] [1], es qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11],
- déclarer inopposable à la liquidation judiciaire de la Sas [11], respectivement à la Sas [O] [1], es qualité de mandataire judiciaire de la Sas [11], la créance de M. [S] [U] et de la CPAM,
- déclarer que l'accident du travail subi par M. [S] [U] survenu le 4 avril 2016 n'est pas dû à la faute inexcusable de la Sas [11],
En tout état de cause,
- débouter M. [S] [U] de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la Sas [O] [1], es qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11],
- déclarer commun et opposable à la Sa [9] l'arrêt à intervenir,
- rappeler que la procédure est gratuite et sans frais.
L'appelante fait valoir que le principe du contradictoire n'a pas été respecté en première instance puisque les conclusions au fond et les pièces de M. [U], de la société [9] et de la CPAM ne lui ont pas été communiquées.
La Sas [O] [1] soutient que la prescription biennale de l'article L 431-2 du code de la sécurité sociale est acquise dans la mesure où M. [U] s'est vu attribuer un taux d'IPP de 7% le 10 octobre 2017 et qu'il a saisi le tribunal judiciaire le 12 juin 2020.
L'appelante ajoute que M. [U] et la CPAM ne justifient pas avoir déclaré leur créance au passif de la société [11].
Enfin, elle indique que la société [11] ne disposait d'aucun élément d'information concernant la prétendue mauvaise réputation de la Sa [9], de sorte qu'il n'est pas démontré qu'elle aurait eu ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis M. [U].
Par conclusions du 2 avril 2024, soutenues oralement à l'audience, la Sa [9] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en tant que l'action de M. [U] dirigée contre la société [9] a été déclarée irrecevable,
- statuer ce que de droit sur l'appel de Maitre [O], es qualité de liquidateur de la Sas [11],
- débouter les autres parties de toutes conclusions plus amples ou contraires dirigées contre la société [9].
L'intimée fait valoir que les demandes formulées à son encontre sont irrecevables, n'étant pas l'employeur de M. [U].
Elle ajoute que l'action de M. [U] est prescrite et que les demandes dirigées à l'encontre de la liquidation judiciaire sont irrecevables, en l'absence de créance régulièrement déclarée.
Convoqué par courrier recommandé réceptionné le 4 juin 2024, M. [U] n'était pas présent, ni représenté à l'audience.
Par conclusions du 21 janvier 2024, soutenues oralement à l'audience, la CPAM du Bas-Rhin demande à la cour de :
- constater que la CPAM s'en remet à la sagesse de la Cour concernant la demande de nullité du rapport du Professeur [X],
- constater que la CPAM du Bas-Rhin a avancé le montant d'indemnisation des préjudices de Monsieur [U] soit la somme de 9471 euros,
Si par extraordinaire le rapport d'expertise du Professeur [X] était annulé, la CPAM demande :
- d'ordonner une nouvelle expertise afin que soit évaluer les préjudices de Monsieur [U],
- rendre opposable à la Sas [O] [1], es-qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11] le nouveau rapport d'expertise,
- condamner Monsieur [U] à rembourser à la CPAM du Bas-Rhin la différence en cas de minoration de l'évaluation de ses préjudices,
Si en toute vraisemblance la Sas [O] [1], es-qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11] était débouté de sa demande tendant à l'annulation du rapport d'expertise, fixer la créance de la caisse au passif de la procédure collective de la Sas [11],
- débouter la Sas [O] [1], es-qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11] de sa demande de condamner la caisse primaire d'assurance maladie à lui payer la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la Sas [O] [1], es-qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11] de sa demande de condamner la caisse primaire d'assurance maladie aux dépens,
- débouter la Sas [O] [1] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la Sas [O] [1], es-qualité de mandataire liquidateur de la Sas [11] aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux conclusions précitées pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande d'annulation du jugement déféré :
L'article 15 du code de procédure civile énonce que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.
Selon l'article 16 alinéas 1 et 2 du code précité, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
L'atteinte au principe du contradictoire est une cause de nullité du jugement.
En l'espèce, il résulte du jugement entrepris et du dossier de première instance communiqué à la cour que la Sas [O] [1] a été régulièrement mise en cause le 10 novembre 2022 dans la procédure pendante devant le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg et qu'elle a été régulièrement convoquée à l'audience de plaidoirie du 7 juin 2023 par courrier du 17 mai 2023.
Les débats dans le cadre d'une procédure orale sont contradictoires à l'audience, ce qui permet à chaque partie de répliquer aux moyens développés par les autres parties et/ou de solliciter un éventuel renvoi ou l'autorisation de déposer une note en délibéré.
En procédure orale, rien n'obligeait les parties à communiquer leurs conclusions et pièces à la Sas [O] [1] avant l'audience du 7 juin 2023 à laquelle, si la Sas [O] [1] ou son conseil s'était présentée, le tribunal aurait renvoyé l'affaire à une prochaine audience pour faire respecter le principe de contradiction et permettre à la Sas [O] [1] d'assurer sa défense.
Dès lors que la Sas [O] [1] n'a pas comparu ni personne pour la représenter à l'audience à laquelle elle avait été régulièrement convoquée, l'appelante ne peut se prévaloir d'aucun manquement à son égard au principe du contradictoire.
Le jugement en cause n'encourt donc aucune nullité tirée d'une atteinte au principe de contradiction.
Sur la recevabilité de l'action dirigée à l'encontre de l'entreprise utilisatrice :
En application des articles L412-6 et L452-3 du code de la sécurité sociale, l'entreprise utilisatrice est regardée comme substituée dans la direction à l'entreprise de travail temporaire, qui, en qualité d'employeur de la victime, reste seule tenue, envers la caisse primaire d'assurance maladie, des obligations découlant de la reconnaissance de la faute inexcusable.
En l'espèce, l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur dirigée par M. [U] à l'encontre de la Sa [9], entreprise utilisatrice, sera déclarée irrecevable.
Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur la prescription :
Selon l'article 122 du code de procédure civile « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
Aux termes de l'article L.431-2 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au présent litige, les droits de la victime d'un accident de travail ou d'une maladie professionnelle, ou de ses ayant droits, aux prestations et indemnités dues se prescrivent par deux ans. Toutefois, en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux articles L.452-1 et suivants est interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.
Il résulte par ailleurs de l'article 2242 du code civil que cet effet interruptif de l'action pénale subsiste jusqu'à l'expiration du délai d'appel du ministère public ou jusqu'à ce qu'une décision mette définitivement fin à l'instance.
Il est également constant que le point de départ du délai de prescription biennal prévu par le texte susvisé peut être fixé à la date de la cessation du paiement de l'indemnité journalière.
En l'espèce, le point de départ du délai biennal de prescription doit être fixé à la date du 29 septembre 2017 correspondant à la date de consolidation de M. [U] et de la cessation corrélative du versement des indemnités journalières.
La citation pénale délivrée le 28 février 2019 à la Sa [9] à l'initiative du procureur de la République de Strasbourg a régulièrement interrompu la prescription jusqu'à ce que la décision soit rendue par le tribunal correctionnel le 19 novembre 2019.
.../...
Ainsi, la prescription biennale n'était pas acquise lorsque M. [U] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg d'une demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, par requête du 12 juin 2020.
En conséquence, il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription.
Sur l'existence de la faute inexcusable :
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur sur le fondement des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il suffit que la faute de l'employeur soit en lien de causalité avec le dommage pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée alors même que d'autres fautes auraient concouru à la réalisation du dommage.
La preuve de la faute inexcusable incombe à la victime ou à ses ayants droit.
Aux termes des dispositions de l'article L1251-21 du code du travail, pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, notamment en matière de santé et de sécurité au travail, telles qu'elles sont déterminées par les dispositions légales et conventionnelles applicables au lieu de travail.
En application des articles L412-6 et L452-3 du code de la sécurité sociale, l'entreprise utilisatrice est regardée comme substituée dans la direction à l'entreprise de travail temporaire, qui, en qualité d'employeur de la victime, reste seule tenue, envers la caisse primaire d'assurance maladie, des obligations découlant de la reconnaissance de la faute inexcusable.
La société de travail temporaire est fondée, en pareil cas, à exercer une action récursoire contre l'entreprise utilisatrice, dont la demande de remboursement peut toutefois être limitée en cas de partage de responsabilité dans la survenance de la faute.
En application de l'article 1355 du code civil, la chose définitivement jugée au pénal s'imposant au juge civil, l'employeur définitivement condamné pour des blessures involontaires commises, dans le cadre du travail, sur la personne de son salarié et dont la faute inexcusable est recherchée, doit être considéré comme ayant eu conscience du danger auquel celui-ci était exposé et n'avoir pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce, le 4 avril 2016, M. [U], salarié de la société [11], mis à disposition de l'entreprise utilisatrice [9], a été victime d'un accident du travail qui lui a occasionné une fracture du bras droit à la suite d'une chute depuis l'échelle de toit.
La société [9] a été convoquée devant le tribunal correctionnel de Strasbourg par citation délivrée à la requête du procureur de la République le 28 février 2019.
Par jugement du 19 novembre 2019, la société [9] a été condamnée par le tribunal correctionnel de Strasbourg à :
- deux amendes de trois mille euros pour des faits d'emploi de travailleurs sur toiture sur chantier de bâtiment et travaux publics sans respect des règles de sécurité commis le 4 avril 2016 à [Localité 10],
- une amende de six mille euros pour des faits de blessures involontaires par personne morale avec incapacité n'excédant pas trois mois dans le cadre du travail commis le 4 avril 2016 à [Localité 10],
Ces condamnations présentent un caractère définitif.
Il résulte de la condamnation pénale de la société utilisatrice, la société [9], que celle-ci avait nécessairement conscience du danger auquel était exposé M. [U] et n'a pas pris les mesures pour éviter l'accident du 4 avril 2016, ce qui caractérise une faute inexcusable dans la survenance de cet accident pour laquelle l'entreprise de travail temporaire est seule tenue envers l'organisme de sécurité sociale des obligations découlant de la reconnaissance de la faute inexcusable.
En conséquence, l'accident du travail subi par M. [U] le 4 avril 2016 est dû à la faute inexcusable commise par la société [11].
Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur l'absence de déclaration de créance de M. [U] au passif de la Sas [11] :
En application de l'article L. 622-7 du code de commerce, l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire emporte de plein droit l'interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L. 622-17 du même code.
Les créanciers sont tenus de déclarer leur créance auprès des organes de la procédure collective et peuvent uniquement solliciter la fixation de leur créance au passif de celle-ci.
En matière de faute inexcusable, la victime, ou l'ayant-droit, qui réclame la reconnaissance d'une faute inexcusable ne peut être considérée comme demandant la condamnation de l'employeur et de l'entreprise utilisatrice au paiement d'une somme d'argent et n'a donc pas à déclarer sa créance en cas de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire de cette dernière, l'indemnisation complémentaire demandée étant versée directement par la CPAM.
En l'espèce, M. [U] n'était donc pas tenu de déclarer une créance auprès de la procédure collective de la Sas [11].
La fin de non-recevoir soulevée à l'encontre de M. [U] pour défaut de déclaration de créance doit donc être écartée.
Sur l'absence de déclaration de créance de la CPAM du Bas-Rhin au passif de la Sas [11] :
Aux termes des articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce, à partir de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans un délai de deux mois.
La créance de restitution de l'indemnisation complémentaire versée par la caisse à la victime d'un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur, qui a pour origine la faute de celui-ci, est soumise à déclaration au passif de la société placée sous le régime d'une procédure collective dès lors qu'un accident est antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
En application de l'article L. 622-26 du même code, sauf relevé de forclusion par le juge commissaire dans un délai de six mois, les créances non déclarées régulièrement dans ces délais ne sont pas éteintes mais sont inopposables à la liquidation judiciaire.
En l'espèce, il est constant que l'accident à l'origine de la faute inexcusable est antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
Il s'ensuit que, la caisse ne justifiant ni d'une déclaration de créance ni d'un relevé de forclusion, sa créance est inopposable à la liquidation judiciaire et son action récursoire à l'encontre de l'employeur est irrecevable.
Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
La cour rappelle que l'organisme de sécurité sociale, subrogé dans les droits de la victime d'un accident du travail causé par la faute inexcusable de l'employeur après versement de l'indemnité complémentaire, peut agir par voie d'action directe à l'encontre de l'assureur de l'employeur des conséquences financières de la faute inexcusable, sans être tenu de se soumettre à la procédure de vérification de sa créance conformément aux articles L. 124-3 du code des assurances et L. 452-3, alinéa 3, du code de la sécurité sociale. (Cass. com. 18 juin 2013, pourvoi n° 12-19.709).
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront confirmées.
Chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement déféré SAUF en ce qu'il a :
- dit que la CPAM du Bas-Rhin pourra recouvrer auprès de la Sas [11] par l'intermédiaire de Maître [O] le montant des sommes dues au titre de la majoration du capital et de l'indemnisation des différents postes de préjudices à venir qui seront accordés à M. [U] une fois ces derniers liquidés par un jugement à venir ainsi que le coût de l'expertise judiciaire ordonnée,
- condamné la Sas [11] par l'intermédiaire de Maître [O] au remboursement de l'ensemble des sommes versées par la CPAM du Bas-Rhin à M. [U] relatif à la majoration du capital et à l'indemnisation des différents postes de préjudices ainsi que la somme versée en avance des frais d'expertise,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée à l'encontre de M. [S] [U] pour défaut de déclaration de créance à la procédure collective de la Sas [11],
DECLARE irrecevable l'action récursoire de la CPAM du Bas-Rhin à l'encontre de la Sas [11] en l'absence de déclaration de créance à la procédure de liquidation judiciaire,
ORDONNE le renvoi de l'affaire devant le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg, pour liquidation des préjudices subis par M. [S] [U],
DIT que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.
La greffière, Le président de chambre,