Livv
Décisions

CA Amiens, ch. économique, 11 septembre 2025, n° 23/01948

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 23/01948

11 septembre 2025

ARRET



[J]

S.A.R.L. PARTICIPATION MANAGEMENT [J] (PMH)

C/

S.A.R.L. POLE ASSISTANCE CONSEIL ENTREPRISE

S.A.R.L. CENTRE DE REGULATION AMBULANCIER

copie exécutoire

le 11 septembre 2025

à

Me Tondriaux-Gautier

Me Leclercq

FM

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2025

N° RG 23/01948 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IX7D

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE D'AMIENS DU 21 MARS 2023 (référence dossier N° RG 2022J00150)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTS

Monsieur [H] [J]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Aude TONDRIAUX-GAUTIER de la SELAS DOREAN AVOCATS, avocat au barreau D'AMIENS

S.A.R.L. PARTICIPATION MANAGEMENT [J] (PMH) agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Aude TONDRIAUX-GAUTIER de la SELAS DOREAN AVOCATS, avocat au barreau D'AMIENS

ET :

INTIMEES

S.A.R.L. POLE ASSISTANCE CONSEIL ENTREPRISE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Antoine CANAL, avocat au barreau D'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Jean LECLERCQ de la SARL THERET & ASSOCIES, avocat au barreau de LILLE

S.A.R.L. CENTRE DE REGULATION AMBULANCIER agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Antoine CANAL, avocat au barreau D'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Jean LECLERCQ de la SARL THERET & ASSOCIES, avocat au barreau de LILLE

***

DEBATS :

A l'audience publique du 15 Mai 2025 devant :

Mme Odile GREVIN, présidente de chambre,

Mme Florence MATHIEU, présidente de chambre,

et Mme Valérie DUBAELE, conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi, la présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2025.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Charlotte RODRIGUES

PRONONCE :

Le 11 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, présidente de chambre a signé la minute avec Madame Elise DHEILLY, greffière.

*

* *

DECISION

La société Centre de Régulation Ambulancier ( CRA) a pour objet notamment la régulation des transports sanitaires dans le département de la Somme.

Par acte sous seing privé en date du 18 juin 2018 deux associés de la CRA, M.[H] [J] également gérant et la SARL PMH (participation management [J]) ont cédé leurs actions à la SARL Pole Assistance Conseil Entreprise ( PACE) moyennant un prix global de 500000 euros incluant le remboursement du compte courant

d'associé de M. [J] pour un montant de 175000 euros payable à raison de 6000 euros par mois à compter du premier jour du mois suivant la signature de l'acte et donc pour un prix net vendeur de 325000 euros payable au plus tard le 30 septembre 2018.

Par acte sous seing privé intitulé ' Reconnaissance de dettes' en date du 8 janvier 2019, les parties ont indiqué vouloir exprimer clairement leur volonté et définir ensemble le montant réel du prix des actions cédées. Elles reconnaissent aux termes de cet acte s'être entendues sur un prix de cession de 345000 euros et la société CRA reconnaît être redevable envers M. [J] de la somme de 155000 euros au titre du remboursement de son compte courant d'associé sur laquelle reste due une somme de 142284 euros.

La société PACE reconnaît pour sa part être redevable de la somme de 26 euros envers M.[J] au titre de la cession des actions et également de la somme de 341974 euros envers la société PMH.

Les parties ont également fixé les modalités de paiement des sommes dues, la société PACE s'engageant à payer à M. [J] la somme de 26 euros avant le 31 janvier 2019 et la somme de 341974 euros sous forme d'un crédit vendeur au taux de 1,5% et la société CRA s'engageant au remboursement du compte courant d'associé sans intérêt avant le 31 décembre 2025 par mensualités de 1693,86 euros.

Le 14 juin 2022 la société PMH a mis en demeure la société PACE de lui payer la somme de 64366,95 euros correspondant aux échéances non honorées et de fournir la levée des engagements de cautions. Cette mise en demeure était signifiée à la société PACE le 1er juillet 2022.

Par acte de commissaire de justice en date du 2 novembre 2022, M. [J] et la société PMH ont fait assigner la société PACE et la société CRA devant le tribunal de commerce d'Amiens aux fins de voir ordonner la résolution de l'acte de cession du 18 juin 2018 et de la reconnaissance de dettes associée pour inexécution de ses obligations essentielles par la société PACE et de voir ordonner que les parts sociales soient transférées immédiatement aux demanderesses et le prix restitué à hauteur des paiements effectués ou à titre subsidiaire de voir condamner la société PACE au paiement des sommes leur restant dues et de voir enjoindre la société PACE à lever l'intégralité des cautions directes et indirectes de M. [J] et de la société PMH au profit de la société CRA et ses filiales et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard et voir ordonner qu'à défaut du paiement intégral et de la régularisation des cautions dans un délai d'un mois la résolution des actes interviendra de plein droit.

Par jugement du tribunal de commerce d'Amiens en date du 21 mars 2023, M. [J] et la société PMH ont été déboutés de leurs demandes et ont été condamnés à payer globalement à chacune des sociétés PACE et CRA la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il a été enjoint à la société PMH de procéder au transfert de son siège social et à justifier d'un extrait Kbis à jour à la société CRA sous astreinte de 100 euros par jour passé le délai de deux mois de la signification de la décision.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 20 avril 2023 M. [J] et la société PMH ont interjeté appel de cette décision.

Par une ordonnance rendue le 20 juin 2024, le conseiller de la mise en état a':

- débouté les sociétés CRA et PACE de leurs demandes tendant à voir prononcer l'irrecevabilité de l'action en nullité de la cession pour vil prix et de l'action en nullité pour vice du consentement,

- condamné in solidum les sociétés CRA et PACE à payer à M. [J] et à la société PMH la somme de 1000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'incident.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées électroniquement le 28 mars 2025, M. [H] [J] et la SARL PMH demandent à la cour':

- in limine litis, de déclarer irrecevables les fins de non-recevoir des intimés, les en débouter,

- d'infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau':

- d'annuler la cession de parts sociales pour vice de consentement et vil prix et l'acte intitulé « reconnaissance de dettes » subséquent, et ordonner toutes conséquences de droit.

- subsidiairement d'ordonner la résolution de l'acte de cession en date du 18 juin 2018 et de la reconnaissance de dettes associée en date du 8 janvier 2019 relatives aux actions de la SARL CRA, pour inexécution de ses obligations essentielles par la SARL PACE, et toutes conséquences de droit,

- de débouter les intimées de leur demande en expertise puisque contraire à la nullité et la résolution pour inexécution,

- d'ordonner que les parts sociales appartenant à la SARL PACE soient transférées immédiatement aux demanderesses selon la situation entre les parties avant l'acte de cession en date du 18 juin 2018 ;

- d'ordonner la restitution des documents de la société cédée sans délais,

- d'ordonner la restitution du prix à hauteur des paiements effectués.

-à titre infiniment subsidiaire':

- d'ordonner la caducité des délais de paiement pour violation des échéanciers et délais prévus et ordonner l'exigibilité immédiate du prix,

- de condamner la SARL PACE en paiement de la somme de 105.961,85 euros à la SARL PMH au titre du solde restant dû du crédit vendeur,

- de condamner la SARL PACE en paiement de la somme de 2.000 euros à la SARL PMH au titre des intérêts non payés somme à parfaire jusqu'au paiement,

- de condamner la SARL CRA en paiement de la somme de 52.509,42 euros au titre du solde restant dû du remboursement de compte courant,

- de condamner la SARL CRA en paiement de 3.387,72 euros au titre des arriérés de mensualités impayées pour le remboursement du compte courant,

le tout avec intérêt au taux légal à compter de chaque incident de paiement et jusqu'à l'entier paiement.

- de dire y avoir lieu à anatocisme ;

- d'enjoindre la SARL PACE à lever l'intégralité des cautions directes et indirectes de Monsieur [H] [J] et la SARL PMH au bénéfice de la SARL CRA et ses filiales, le tout sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir et se réserver la liquidation

- de se réserver la liquidation de l'astreinte,

- d'ordonner la signification de la décision aux organismes bancaires concernés aux frais de la SARL PACE ;

- d'ordonner qu'à défaut de paiement intégral et de régularisation desdites cautions dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, la cession d'actions en date du 18 juin 2022 et de la reconnaissance de dettes associée en date du 8 janvier 2019 seront purement et simplement résolues de plein droit sans autre décision, et à défaut de condamner la SARL PACE en paiement à la SARL PMH de la somme de 346.580 euros au titre de dommages et intérêts pour les cautions non encore levées.

- En tout état de cause, de condamner la SARL PACE en paiement de la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts et de 8.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées électroniquement le 2 avril 2025, la SARL PACE et la SARL CRA demandent à la cour de confirmer le jugement déféré et de prononcer l'irrecevabilité de l'action en nullité pour cession à vil prix de Monsieur [H] [J] et de la SARL PMH, ainsi que des prétentions visant au paiement du compte courant de Monsieur [H] [J], ces prétentions étant nouvelles.

A titre subsidiaire':

- en cas d'annulation de l'acte de cession du 18 juin 2018, elles demandent l'organisation d'une mesure d'expertise afin de déterminer la valeur des parts de la SARL CRA et de condamner la SARL PMH à payer la différence entre le prix des parts valorisées et le prix de vente des titres de la SARL CRA au 18 juin 2018, et à procéder à la répétition de toutes les sommes intercalaires versées,

- en cas de débouté de la SARL PMH et Monsieur [H] [J] de leurs prétentions tendant à la nullité de l'acte du 18 juin 2018, elles demandent à la cour de':

- constater le paiement par la SARL PACE à Monsieur [H] [J] de la somme de 26 euros,

- constater le paiement par la SARL PACE du crédit-vendeur dû à la SARL PMH jusqu'à la date de clôture,

- constater le paiement par la SARL CRA du compte-courant d'associé dû à Monsieur [H] [J] jusqu'à la date de clôture,

- juger que tout intérêt ne peut être exigé après le 23 février 2023 et doit être arrêté à cette date,

- juger que Monsieur [H] [J] ne produit aucun acte de cautionnement et constater la levée des cautionnements personnels souscrits par Monsieur [H] [J] antérieurement à la date de la cession,

- En tout état de cause, de condamner in solidum Monsieur [H] [J] et la SARL PMH au paiement d'une somme de 15.000 euros à la SARL PACE et à la SARL CRA à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 avril 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de la prétention visant l'annulation de la vente pour vileté du prix

La SARL PACE et la SARL CRA soulèvent l'irrecevabilité de la demande d'annulation de l'acte cession pour vileté du prix sur le fondement de l'article 566 du code de procédure civile en ce qu'il s'agit d'une demande nouvelle inexistante en première instance et qui n'est ni l'accessoire, ni la conséquence ni le complément nécessaire d'une autre prétention.

M.[H] [J] et la SARL PMH répliquent que cette question a déjà été tranchée par le conseiller de la mise en état.

La cour relève que par ordonnance rendue le 20 juin 2024, le conseiller de la mise en état a débouté les sociétés CRA et PACE de leurs demandes tendant à voir prononcer l'irrecevabilité de l'action en nullité de la cession pour vil prix et de l'action en nullité pour vice du consentement, sur le fondement de l'absence de prescription.

S'agissant de la recevabilité d'une demande nouvelle, elle relève de la compétence de la cour. Or, en l'espèce, il résulte des débats que la prétention visant l'annulation de la vente pour vileté du prix poursuit le même objectif que la demande d'annulation de la cession de parts sociales et de l'acte de reconnaissance subséquent.

Par conséquent, il convient de déclarer M.[H] [J] et la SARL PMH recevables en leur action en nullité de la cession pour vil prix.

Sur la nullité pour vice du consentement

M. [H] [J] et la SARL PMH soutiennent que la cession des actions est nulle du fait d'un vice de consentement. Ils expliquent que Me [P] était l'avocat de M. [H] [J] et de la SARL PMH au moment de la cession, alors que ce dernier est également intervenu en qualité d'avocat de la SARL PACE sans qu'ils n'en soient informés.

Ils estiment que cette information essentielle, sciemment dissimulée à M. [H] [J] a contribué à le tromper dans le cadre de la cession de ses actions à une valeur largement dépréciée, puisque celui-ci pensait que Me [P] défendait ses intérêts.

Ils indiquent que Me [P] a rédigé le 14 juin 2018 à l'attention de M. [H] [J] un courrier le pressant de signer l'acte de cession, alors que ce dernier était en situation de faiblesse (dépression). Ils estiment que ces comportements constituent des manoeuvres dolosives au sens de l'article 1137 du code civil, mais également des faits de violence.

La SARL PACE et la SARL CRA répliquent que les conditions prévues à l'article 1130 du code civil ne sont pas réunies.

Elles font valoir que la circonstance d'un épisode dépressif passager mais surtout, antérieur à la date de cession, est indifférente à la capacité et au consentement de M. [H] [J], qui de plus est un professionnel aguerri aux affaires.

Elles indiquent que Maître [P] a assisté successivement les deux parties qui avaient un intérêt commun, sans que celles-ci ne s'en émeuvent.

Aux termes de l'article 1130 du code civil, l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s'apprécient eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

Aux termes de l'article 1137 du même code, le dol et le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres des mensonges.

Constitue également un dol, la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.

Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.

Au cas présent, bien que M. [J] justifie avoir présenté un syndrome dépressif réactionnel tel qu'attesté le 27 novembre 2017 par son médecin accompagné d'un traitement médicamenteux et avoir divorcé de son épouse suivant jugement prononcé le 28 novembre 2019, toutefois celui-ci ne démontre pas que cet épisode dépressif passager, antérieur à la date de la cession critiquée ait entravé son consentement lors de la signature de l'acte. De plus, il ressort des pièces produites que M. [J] gère et dispose de nombreuses parts sociales dans plusieurs sociétés, de sorte qu'il est aguerri à la vie des affaires.

De même, M.[J] ne peut sérieusement soutenir avoir subi la contrainte morale de Me [P] qui s'est avéré selon lui défendre les seuls intérêts de la société PACE. Ainsi, le courriel du 14 juin 2018 que Me [P] a adressé à [Courriel 6] et pour lequel M. [J] était en copie, décrivait une situation pécuniaire de la CRA difficile, à savoir un état de cessation des paiements, les conséquences d'une procédure collective sur les actifs et engagements de M. [J] et concluait ainsi «'(') La proposition de la société PACE (M. [T] [Y]) a le mérite d'éviter cette situation mais celle-ci est une vente définitive sans conditions suspensives afin de pouvoir mettre en 'uvre immédiatement les mesures de redressement qui s'imposent. Le prix sera payé le 30 septembre 2018, le remboursement des comptes courants d'associés de M. [H] [J] et la SARL PMH dès la signature à hauteur de 6.000 euros par mois, le bail avec la SCI Victor sera maintenu et le loyer payé. Cette proposition est valable jusqu'au samedi 16 juin 2018'; à défaut de signature à cette date, elle sera caduque'».

Ce document ne caractérise aucunement une pression morale constituant une man'uvre dolosive dans la mesure où le conflit d'intérêts dénoncé par M. [J] concernant Me [P] n'est pas démontré. En effet, il ressort du mail précité que cet avocat est intervenu pour les deux parties dans la phase de négociation, ce que celles-ci ont accepté, de sorte que l'intervention antérieure de ce dernier au soutien des seuls intérêts de M. [J] dans une instance l'opposant à une autre partie (et étrangère à la présente procédure) ne prouve pas le dol invoqué. Au demeurant, il y a lieu de souligner que M. [J] ne justifie d'aucune action en responsabilité engagée contre cet avocat.

Dès lors, au vu de ces éléments, la cour estime que M. [J] et la SARL PMH échouent à prouver que leur consentement a été vicié lors de la signature de l'acte de cession du 18 juin 2018.

Par conséquent,'il convient de les débouter de leur demande en nullité de la vente pour vice du consentement.

Sur la nullité pour vileté du prix

M. [J] et la SARL PMH se fondent sur l'article 1658 du code civil pour faire valoir que le prix de la cession a été réduit de manière drastique pour une somme finale dérisoire, indiquant une différence entre le prix de cession et la valeur réelle de 1.405.000 euros.

La SARL PACE et la SARL CRA répliquent que la charge de la preuve incombe aux appelants qui doivent démontrer que le prix convenu est complètement dérisoire, peu sérieux et s'assimile à une absence de prix. Elles insistent sur le fait que lors de la vente critiquée, la société était en état de cessation des paiements et aurait probablement fait l'objet d'une liquidation judiciaire.

M.[J] et la SARL PMH s'appuient sur la lettre d'intention datée du 6 octobre 2017 rédigée par la SARL PACE et dans laquelle le prix d'acquisition de la totalité des participations appartenant à M. [J] et à la SARL PMH a été proposé à la somme globale de 3.250.000 euros pour prouver la vileté du prix. Or, il résulte de l'examen exhaustif de cette pièce que des conditions suspensives ont été prévues «'avec la signature d'un protocole sous conditions suspensives de financement au plus tard le 30 octobre 2017 et une levée des conditions suspensives de financement au plus tard le 31 janvier 2018». Il a été stipulé':

«'l'absence d'éléments internes à la société cédée et à ses filiales, de nature à affecter de façon significative la situation financière et/ou l'activité des sociétés,

l'obtention avant le 31 janvier 2018 au plus tard du financement du prix d'acquisition des actions et des sommes nécessaires au remboursement des comptes courants d'associés ainsi que du prix d'acquisition du fonds de commerce. Durée de financement maximal : huit ans, taux maximal : 2,5 %

l'obtention de la mainlevée des éventuels nantissements sur les titres cédés'».

Toutefois, force est de constater que M. [J] et la SARL PMH ne justifient pas de la réalisation de ces conditions suspensives. En revanche la production des bilans de la société établit que l'endettement de la société était important':

En 2016': actif circulant (415.921 euros) passif (1.004.875 euros) passif bancaire (541.132 euros) chiffre d'affaires (1.382.363 euros), résultat (-87.184 euros),

En 2017': actif circulant (113.639euros) passif (2.340.231 euros) passif bancaire (1.540.814 euros) chiffre d'affaires (1.511.378 euros), résultat (-417.896 euros),

En 2018': actif circulant (328.028 euros) passif (2.319.583 euros) passif bancaire (1.291.841 euros) chiffre d'affaires (1.109.343 euros), résultat (-268.740 euros).

Aussi, les appelants ne peuvent valablement soutenir que la situation financière de la société était des plus florissantes au vu du passif bancaire important qui s'est au demeurant accru postérieurement à l'émission de la lettre d'intention. Ainsi la valorisation des parts sociales contenue dans ce document, à la lumière de la production des bilans postérieurs et de la non réalisation des conditions suspensives mises à la charge de M. [H] [J] et de la SARL PMH, ne constitue pas un élément déterminant et indiscutable à la fixation du prix de cession.

Dès lors, la cour estime que M. [H] [J] et la SARL PMH échouent à démontrer la vileté du prix de cession.

Par conséquent, il convient de débouter M. [H] [J] et la SARL PMH de leurs demandes en nullité de la vente.

Sur la demande subsidiaire en résolution de la vente

M. [H] [J] et la SARL PMH invoquent les articles 1217, 1224, 1227 et 1654 du code civil au soutien de leur demander en résolution de l'acte du 18 juin 2018 et de l'acte du 8 janvier 2019. Ils indiquent que les inexécutions contractuelles sont multiples et actuelles, notamment vis-à-vis du défaut de paiement du prix de cession (défaut de remboursement du compte-courant de M. [J]) et de l'absence de levée des cautions bancaires.

La SARL PACE et la SARL CRA répliquent que le remboursement des actions cédées n'a pas fait l'objet de défaut de paiement, le solde de 26 euros étant réglé par la SARL PACE le 24 février 2023. Elles indiquent qu'aucune demande n'a été présentée au titre du remboursement du compte-courant en première instance et précisent que le compte-courant de M. [H] [J] a été régularisé au 31 mars 2025 et que depuis cette date, tous les virements ont été mensuellement respectés.

Aux termes de l'article 1224 du code civil, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

L'article 1654 du même code précise que si l'acheteur ne paie pas le prix, le vendeur peut demander la résolution de la vente.

Il ressort des pièces produites que si au jour de la délivrance de l'assignation, le prix de cession n'était pas réglé par la SARL PACE, toutefois la reconnaissance de dettes datée du 8 janvier 2019 et signée par les parties prévoit des modalités progressives de paiement du prix et stipule que':

«'La SARL PACE s'oblige à rembourser à':

M. [J] l'intégralité de la somme de 26 euros avant le 31 janvier 2019,

la SARL PMH la somme de 341.974 euros (au taux de 1,5% par an), soit au total la somme de 360.454,92 euros avant le 31 décembre 2025.

Ce remboursement se fera suivant l'échéancier ci-après annexé

La SAS CRA s'oblige à rembourser à M. [J] la somme de 142.284 euros sans intérêt avant le 31 décembre 2025.

Absence de prise de garanties': les créanciers reconnaissent que le rédacteur d'acte a attiré particulièrement leur attention sur les dangers d'un paiement à terme en l'absence de prise de garantie tel que nantissements de parts de la société, cautions hypothécaires ou bancaires, ils confirment cependant ne pas prendre de garantie, et déchargent le rédacteur de toute responsabilité à cet égard'».

Les intimées produisent les avis de paiement et relevés de compte justifiant que les mensualités dues au titre du crédit-vendeur à la SARL PMH (4.291,13 euros par mois jusqu'au 31 décembre 2025) et celles dues en remboursement du compte-courant associé ouvert au nom de M. [J] (1.693,86 euros par mois jusqu'au 31 décembre 2025 ) sont payées à échéances et que les retards de paiement dénoncés lors de l'assignation ont été apurés les 24 février 2023 et 7 mars 2023, à hauteur de 26 euros, 1.696,86 euros et 60.075,82 euros.

En outre, la CRA communique un document intitulé «'attestation de l'emprunt consenti par M. [J] [H] dans la SARL CRA à la date du 31 décembre 2022'», aux termes duquel, M. [T] [F], expert comptable écrit'le 27 février 2023 :

«'En notre qualité d'expert-comptable de votre entité et en réponse à votre demande, nous vous présentons notre rapport sur la concordance du solde du prêt de Monsieur [J] [H] dans les livres de la SARL CRA, avec celui figurant dans les comptes annuels de l'exercice clos le 31 décembre 2022 (').

Nous avons effectué les rapprochements nécessaires entre le solde du compte-courant objet de la présente attestation et le solde de ce même compte-courant figurant dans les comptes annuels approuvés par l'assemblée générale et avons vérifié leur concordance.

Sur la base de nos travaux, nous attestons que le solde du prêt de Monsieur [J] [H] figurant dans les comptes annuels de la SARL CRA à la date de clôture de l'exercice clos le 31 décembre 2022 est créditeur de 62'672,72 €'».

Force est dès lors de constater que les sociétés PACE et CRA démontrent être désormais à jour du paiement échelonné du prix de cession.

Dès lors, la cour estime que les conditions de la résolution ne sont pas remplies et qu'il convient de confirmer le jugement entrepris ayant débouté M. [J] et la SARL PMH de leur demande de ce chef.

S'agissant de la demande de levée des cautions, il y a lieu de souligner que l'acte de cession daté du 18 juin 2018 stipule au paragraphe «'cautions'» que': «'Le cessionnaire s'engage à obtenir la levée des engagements des cautions personnelles que Monsieur [H] [J] a donné pour garantir les engagements de la SAS CRA et de ses filiales'». Aussi, la rédaction de cette clause signifie clairement que la levée des cautions ne concerne que les engagements pris par M. [J] à titre personnel, en qualité de personne physique, et non M. [J], en qualité de représentant légal de la personne morale PMH. En l'espèce, M. [J] ne communique aucune pièce établissant qu'il est engagé à titre de caution à l'égard des intimées. Il n'est donc justifié d'aucun préjudice

Par conséquent, il convient de débouter M.[J] et la SARL PMH de leurs demandes de levée des cautionnements ainsi que de paiement de dommages et intérêts et de confirmer le jugement déféré de ce chef.

Sur la demande subsidiaire pour caducité de l'échéancier et exigibilité immédiate du prix

M.[J] et la SARL PMH se fondent sur l'article 1186 du code civil pour demander la caducité de l'échéancier et l'effectivité du contrat de cession, ce qui implique l'exigibilité immédiate de la somme de 105.961,85 euros au titre du solde restant dû pour le crédit vendeur, de 52.509,42 euros au titre du solde restant dû pour le remboursement de compte courant, outre 3.387,72 euros au titre des arriérés de mensualités impayées pour le remboursement du compte courant, avec intérêts au taux légal à compter de chaque incident de paiement et anatocisme.

Les sociétés PACE et CRA répliquent que ni l'acte de cession, ni l'acte de reconnaissance de dettes ne prévoient de clause de déchéance du terme. Elles indiquent que la société PACE aurait pu exciper de l'imprévision due à la crise sanitaire pour solliciter un différé de règlement mais qu'elle a préféré régulariser la situation. Elles reconnaissent que la demande d'intérêt est légitime au regard des impayés antérieurs au 23 février 2023 et que le règlement sera effectué lorsque le détail leur sera notifié.

Selon l'article 1186 alinéa 1 du code civil, un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît.

En l'espèce, la cour relève que le contrat de reconnaissance de dettes qui lie les parties ne stipule pas une exigibilité immédiate des sommes dues en cas de non-respect de l'échéancier, de sorte qu'aucune caducité n'est encourue. En revanche, il est prévu un paragraphe «'intérêts de retard'» qui énonce que «'Tout retard dans le versement de l'une quelconque des sommes dues par les débiteurs à l'une ou l'autre des parties, en exécution des présentes, sera productive d'intérêts au taux légal en vigueur, à compter de son exigibilité sans nécessité d'une mise en demeure préalable.

En outre, les intérêts échus et dus pour une année entière au moins, porteront eux-mêmes intérêts conformément à la possibilité offerte par l'article 1342-2 du code civil'».

M.[J] et la SARL PMH produisent un document nommé «'calcul d'intérêts'» qui synthétise les retards de paiement et l'imputation des paiements jusqu'au 23 février 2023 s'agissant du prêt «'crédit-vendeur'» régularisé pour un montant de 60.075,82 euros et qui mentionne des intérêts de retard d'un montant de 1.498,38 euros.

Au vu de la clause contractuelle, et la société PACE reconnaissant sur le principe être débitrice des intérêts de retard, il convient de condamner la société PACE à payer à la SARL PMH la somme de 1.498,38 euros et d'ordonner l'application de l'article 1342-2 du code civil.

Sur la demande de M.[J] et de la SARL PMH de paiement de dommages et intérêts

M.[J] et la SARL PMH sollicitent la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts invoquant un préjudice d'anxiété ainsi que l'impossibilité pour eux d'investir dans de nouveaux projets en raison de l'absence de levée des cautions.

En l'espèce, la cour rappelle qu'aucune faute n'a été retenue du chef de l'absence de levée des cautions et relève que M.[J] et la SARL PMH ne caractérisent pas le préjudice d'anxiété invoqué.

Dans ces conditions, il convient de les débouter de leur demande en paiement de dommages et intérêts et par conséquent de confirmer le jugement déféré de ce chef.

Sur les autres demandes

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés PACE et CRA succombant partiellement, elles seront tenues in solidum aux dépens d'appel.

Les circonstances de l'espèce commandent de débouter les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et contradictoirement et par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,

Déclare M.[H] [J] et la SARL PMH recevables en leur action en nullité de la cession pour vil prix.

Confirme le jugement rendu le 21 mars 2023 par le tribunal de commerce d'Amiens, en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Condamne la SARL PACE à payer à la SARL PMH la somme de 1.498,38 euros et ordonne l'application de l'article 1342-2 du code civil.

Déboute les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Condamne in solidum les sociétés PACE et CRA aux dépens d'appel.

La Greffière, La Présidente,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site