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Décisions

CA Bastia, ch. civ. sect. 2, 10 septembre 2025, n° 24/00264

BASTIA

Arrêt

Autre

CA Bastia n° 24/00264

10 septembre 2025

Chambre civile

Section 2

ARRÊT N°

du

10 SEPTEMBRE 2025

N° RG 24/264

N° Portalis DBVE-V-B7I-CIRF FD-C

Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de BASTIA, décision attaquée du 18 avril 2024, enregistrée sous le n° 22/01145

Société SMA SA

C/

[K]

[O]

[X]

Copies exécutoires délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU

DIX SEPTEMBRE DEUX-MILLE-VINGT-CINQ

APPELANTE :

Société SMA SA

Société d'assurance venant aux droits de la société Sagena, immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 332 789 296, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Valérie GASQUET SEATELLI de l'ASSOCIATION SEATELLI-GASQUET, avocate au barreau de BASTIA

INTIMÉS :

M. [L] [K]

né le 4 septembre 1956 à [Localité 7] (Italie)

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représenté par Me Laure Anne THIBAUDEAU, avocate au barreau de BASTIA, substituée par Me Caroline SALICETI, avocate au barreau de BASTIA

Mme [P] [O] épouse [K]

née le 12 Février 1963 à [Localité 8]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représenté par Me Laure Anne THIBAUDEAU, avocate au barreau de BASTIA, substituée par Me Caroline SALICETI, avocate au barreau de BASTIA

M. [V] [X]

né le 17 mars 1971 à [Localité 4] (Corse)

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 1]

Défaillant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 mai 2025, devant François DELEGOVE, vice-président placé, chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Jean-Jacques GILLAND, président de chambre

Guillaume DESGENS, conseiller

François DELEGOVE, vice-président placé

En présence de [N] [Z], attachée de justice

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Graziella TEDESCO

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 septembre 2025

ARRÊT :

Rendu par défaut,

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par François DELEGOVE, vice-président placé,

Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, Guillaume DESGENS, conseiller, étant empêchés et Mathieu ASSIOMA, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [L] [K] et Mme [P] [O], son épouse, ont chargé

M. [V] [X], artisan, de travaux de pose de carrelage dans leur maison située [Adresse 6] à [Localité 5] (Haute-Corse), pour un montant de 16 609, 32 euros.

Ces travaux ont été réceptionnés sans réserve le 29 octobre 2011 mais les époux

[K]-[O] ont constaté l'apparition de désordres affectant leur habitation et ont formalisé une déclaration de sinistre le 1er juin 2018 auprès de l'assureur de l'artisan, avant de faire procéder à des constatations non-contradictoires par le cabinet

[E], expert en bâtiment et immobilier.

Par lettre du 30 janvier 2019, la compagnie d'assurances Sma btp leur a signifié son refus de garantir ces dommages au motif qu'ils n'étaient pas de nature décennale.

Par acte du 27 septembre 2021, M. [L] [K] et Mme [P] [O] ont assigné la Sma btp et son assuré M. [V] [X] devant le juge de référé du tribunal judiciaire de Bastia en sollicitant la désignation d'un expert.

Par ordonnance du 3 novembre 2021, M. [H] [B] a été désigné pour procéder à une expertise et a rendu son rapport définitif le 14 mars 2022.

Par exploits des 3 et 4 novembre 2022, M. [L] [K] et Mme [P] [O] ont assigné la Smma btp et son assuré M. [V] [X] devant le tribunal judiciaire de Bastia aux fins de les voir condamner à leur payer la somme de 29 339,96 euros au titre du remplacement du carrelage intérieur et de la remise en état du carrelage extérieur par nettoyage et réfection des joints, outre 5 000 euros au titre du préjudice de jouissance et 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.

Par jugement du 28 avril 2024, le tribunal judiciaire de Bastia a :

- Condamné in solidum M. [V] [X] et la compagnie d'assurance SMA SA à payer à M. [L] [K] et à Mme [P] [K] la somme de 28 569, 96 euros en réparation du préjudice matériel ;

- Condamné [V] [X] à payer à M. [L] [K] et à Mme [P] [K] la somme de 3 000 euros ;

- Condamné in solidum M. [V] [X] et la compagnie d'assurance SMA SA à payer à M. [L] [K] et à Mme [P] [K] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné in solidum M. [V] [X] et la compagnie d'assurance SMA SA à payer à M. [L] [K] et à Mme [P] [K] aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire et de constat de commissaire de justice ;

Par déclaration en date du 2 mai 2024, la S.A. Sma sa a interjeté appel de ce jugement en ces termes :

' Objet/Portée de l'appel : Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués en ce qu'il a : Condamné in solidum Monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance SMA SA à payer à Monsieur [L] [K] et à Madame [P] [K] la somme de 28 569.96 € (VINGT HUIT MILLE CINQ CENT SOIXANTE NEUF EUROS et QUATRE VINGT SEIZE CENTIMES) en réparation du préjudice matériel, Condamné in solidum Monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance SMA SA à payer à Monsieur [L] [K] et à Madame [P] [K] la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, Condamné in solidum Monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance SMA SA aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire et de constat de commissaire de justice'.

Par dernières écritures communiquées le 9 décembre 2024, la S.A. Sma sa, venant aux droits de la Sagena, prise en la personne de son représentant légal, sollicite de la cour de :

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Bastia le 18 avril 2024 en ce qu'il a :

' Condamné in solidum Monsieur [X] et la SMA SA à payer aux époux [K] la somme de 28 569.96 € en réparation du préjudice matériel affectant le revêtement de sol intérieur.

Condamné in solidum Monsieur [X] et la SMA SA à payer aux époux [K] la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure

Condamné in solidum Monsieur [X] et la SMA SA à payer aux époux [K] aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire et de constat de commissaire de justice.

Statuant à nouveau,

- Débouter les époux [K] de leur demande à l'encontre de la SMA SA concernant

les dommages affectant le revêtement de sol en carrelage intérieur au motif qu'ils ne constituent pas un désordre futur ou évolutif susceptible d'être réparé sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs ;

En tout état de cause,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les époux [K] de leur demande à

l'encontre de la SMA SA en réparation des dommages affectant le revêtement extérieur au motif qu'ils ne constituent pas des désordres de nature décennale et en réparation du préjudice de jouissance ;

- Débouter les époux [K] de leur demande subsidiaire à l'encontre de la SMA SA au titre de la garantie responsabilité civile en cours ou après travaux ;

- Condamner les époux [K] à payer à la SMA SA la somme de 3 000 € au titre de

l'article 700 du CPC ;

- Les condamner aux entiers dépens.

Par dernières écritures communiquées le 28 février 2025, M. [L] [K] et Mme [P] [O] sollicitent de la cour de :

- Confirmer le jugement rendu le 18 avril 2024 par le Tribunal judiciaire de Bastia en ce

qu'il a :

' CONDAMNÉ in solidum monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance

SMA SA à payer à monsieur [L] [K] et à madame [P] [K] la somme de 28 569,96 € (VINGT HUIT MILLE CINQ CENT SOIXANTE NEUF EUROS et QUATRE VINGT SEIZE CENTIMES) en réparation du préjudice matériel,

CONDAMNÉ in solidum monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance

SMA SA à payer à monsieur [L] [K] et à madame [P] [K] la somme de 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNÉ in solidum monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance SMA SA aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire et de constat de commissaire de justice '.

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

' CONDAMNÉ monsieur [V] [X] à payer à monsieur [L] [K] et à madame [P] [K] la somme de 3 000€ (TROIS MILLE EUROS) en réparation

du préjudice de jouissance,

REJETÉ le surplus des demandes '.

Statuant à nouveau,

- Condamner in solidum Monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance

SMA SA à payer à monsieur [L] [K] et madame [P] [K] la somme de 3 000,00 euros au titre du préjudice de jouissance ;

- Condamner in solidum Monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance

SMA SA à payer à monsieur [L] [K] et madame [P] [K] la somme de 2 605,00 euros (revêtement extérieur) ;

À titre subsidiaire,

- Condamner in solidum monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance SMA SA à payer à monsieur [L] [K] et à madame [P] [K] la somme de 28 569,96 € en réparation du préjudice matériel ;

- Condamner in solidum Monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance

SMA SA à payer à monsieur [L] [K] et madame [P] [K] la somme de 2 605,00 euros (revêtement extérieur) ;

- Condamner in solidum Monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance

SMA SA à payer à monsieur [L] [K] et madame [P] [K] la somme de 3 000,00 euros au titre du préjudice de jouissance ;

En tout état de cause,

- Condamner in solidum monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance SMA SA à payer à monsieur [L] [K] et à madame [P] [K] la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner in solidum monsieur [V] [X] et la compagnie d'assurance SMA SA aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire et de constat de commissaire de justice ;

- Débouter la SMA SA de ses demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 2025.

L'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoiries du 15 mai 2025 et mise en délibéré au 10 septembre suivant.

SUR CE,

Sur les demandes d'indemnisation au titre de la garantie décennale

L'article 1792 du code civil dispose que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

La réalité de malfaçons imputables à l'artisan n'est pas contestée, l'expert ayant conclut que les désordes constatés résultaient d'un non-respect des règles de l'art et d'un défaut d'exécution.

Cependant, la compagnie d'assurance dénie sa garantie en soutenant que les dommages, bien que constatés et dénoncés dans le délai légal, ne sont pas de nature décennale.

Les intimés maintiennent l'ensemble de leurs demandes et sollicitent, dans le cadre de leur appel incident, l'indemnisation des dommages affectant le carrelage extérieur et de leur préjudice de jouissance qui leur avait été refusée par le tribunal judiciaire.

- S'agissant du carrelage intérieur

L'appelante expose que le premier juge a commis une erreur d'appréciation en considérant, en contradiction avec les conclusions de l'expert, que les malfaçons avaient rendu l'ouvrage litigieux impropre à sa destination.

Elle précise qu'aucun désordre futur ou évolutif de nature décennale n'est caractérisé, notamment dans la mesure où il n'a pas été expressément constaté que l'atteinte prévisible interviendrait avec certitude dans le délai de dix ans.

C'est cependant à juste titre que les intimés relèvent que les conditions prévues par l'article 1792 du code civil ne sont pas nécessairement cumulatives et que l'existence de dommages compromettant la solidité de l'ouvrage est suffisante pour caractériser leur caractère décennal.

En l'espèce, l'expert a notamment relevé sur les sols intérieurs qu'environ trois-cent-vingt carreaux sonnaient creux, bougeaient, étaient dépourvus de joints, manquaient de planéité et a certifié que ces désordres constituent une atteinte à la solidité de l'ouvrage (carrelage). Il a également précisé que les carreaux pouvaient à tout moment craquer et se soulever sous la pression des pas, présentant alors un risque de danger.

La cour observe, en conséquence, que les dommages sur les sols intérieurs, dénoncés par les intimés et constatés par l'expert, compromettent la solidité de l'ouvrage et revêtent un caractère décennal.

C'est donc à bon droit que le premier juge a condamné in solidum l'artisan et son assureur à indemniser les intimés à hauteur de 28 569, 96 euros, conformément au devis produit dont le montant, initialement approuvé par l'expert, a été actualisé et n'est pas discuté par les appelants.

- S'agissant du carrelage extérieur

Le premier juge a, par ailleurs, rejeté la demande d'indemnisation pour les dommages affectant le carrelage extérieur en indiquant que l'expert n'avait pas exactement relevé les mêmes désordres et qu'il n'avait pas constaté de danger, d'atteinte à la solidité de l'ouvrage ou d'impropriété à sa destination.

L'expert a pourtant relevé que le manque de joints entre certains carreaux à l'extérieur est identique au manque de joints situés à l'intérieur de la maison, que toutes les plinthes sonnaient creux, présentaient un défaut d'étanchéité et qu'une grande partie d'entre elles étaient dépourvues de colle ou se décollaient.

Ces désordres compromettent également la solidité de l'ouvrage et relèvent donc de la garantie décennale ce qui justifie qu'ils soient indemnisés à hauteur de 2 605 euros, conformément au devis produit par les intimés, et que la décision du premier juge soit infirmée sur ce point.

- S'agissant du préjudice de jouissance

Pour rejeter partiellement la demande présentée par les intimés en ne condamnant à ce titre que l'artisan à l'exclusion de son assureur, le premier juge a relevé que les attestations d'assurance produites stipulaient une garantie décennale qui ne couvrait pas, par principe, le préjudice de jouissance, de sorte que seul l'entrepreur pouvait être condamné sur ce fondement.

La cour rappelle pourtant qu'en vertu du principe de réparation intégrale, l'ensemble des dommages, y compris immatériels, consécutifs à des désordres de nature décennale ont vocation à être indemnisés.

Ainsi, la garantie décennale s'étend au préjudice économique de jouissance consécutif à un désordre de nature décennal.

En l'espèce, si l'existence de désagréments résultant de l'impossibilité pour les intimés d'occuper pleinement leur logement le temps des opérations de remplacement du carrelage est établie, ces derniers n'ont pas étayé ni développé leur demande au point de justifier le montant qu'ils réclament et leur préjudice sera justement indemnisé à hauteur de 1 000 euros compte tenu de la nature et de la durée prévisible de ces travaux.

La décision de première instance sera donc infirmée sur ce point et l'assureur sera condamné in solidum avec son assuré au paiement de cette somme.

Sur les autres demandes

L'appelante ayant succombé en ses demandes, la décision de première instance l'ayant condamné in solidum avec son assuré au paiement des dépens et des frais irrépétibles sera confirmée.

La S.A. Sma sa ayant succombé en son appel, elle sera également condamnée au paiement des dépens de l'instance.

L'équité justifie sa condamnation à verser aux intimés la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement du tribunal de Bastia du 18 avril 2024 dans toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne l'indemnisation des dommages affectant le carrelage extérieur et du préjudice de jouissance ;

Statuant de nouveau,

Condamne solidairement la S.A Sma sa et M. [V] [X] à payer à M. [L] [K] et Mme [P] [O] la somme de 2 605 euros sur le fondement de la garantie décennale en réparation du préjudice matériel résultant des dommages affectant le carrelage extérieur de leur habitation située [Adresse 6] à [Localité 5] (Haute-Corse) ;

Condamne solidairement la S.A. Sma sa et M. [V] [X] à payer à M. [L] [K] et Mme [P] [O] la somme de 1 000 euros sur le fondement de la garantie décennale en réparation de leur préjudice de jouissance ;

Y ajoutant,

Condamne la S.A. Sma sa au paiement des dépens ;

Condamne la S.A. Sma sa à payer à M. [L] [K] et Mme [P] [O] la somme globale de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel.

LE GREFFIER

P/LE PRÉSIDENT

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