CA Besançon, 1re ch., 9 septembre 2025, n° 24/00884
BESANÇON
Arrêt
Autre
Le copies exécutoires et conformes délivrées à
MW/FA
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° de rôle : N° RG 24/00884 - N° Portalis DBVG-V-B7I-EY6U
COUR D'APPEL DE BESANÇON
1ère chambre civile et commerciale
ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2025
Décision déférée à la Cour : jugement du 02 mai 2024 - RG N°22/00382 - TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BELFORT
Code affaire : 63B - Demande en réparation des dommages causés par l'activité des auxiliaires de justice
COMPOSITION DE LA COUR :
M. Michel WACHTER, Président de chambre.
M. Cédric SAUNIER et Madame Bénédicte MANTEAUX, Conseillers.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DEBATS :
L'affaire a été examinée en audience publique du 03 juin 2025 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, M. Cédric SAUNIER et Madame Bénédicte MANTEAUX, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.
Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTS
Madame [N] [E]
née le [Date naissance 4] 1976 à [Localité 15], de nationalité française,
demeurant [Adresse 5]
Monsieur [K] [U]
né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 16], de nationalité française,
demeurant [Adresse 5]
Représentés par Me Sarah WEINRYB de la SELARL SYLVIE TISSERAND-MICHEL-BRICE MICHEL-LEANDRO GIAGNOLINI-SARA H WEINRYB, avocat au barreau de BELFORT
ET :
INTIMÉ
Monsieur [W] [F]
né le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 11], de nationalité française, avocat,
demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Camille BEN DAOUD de la SELARL HBB AVOCAT, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représenté par Me Nicolas HERZOG de la SELEURL H2O Avocats, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
*************
La SCI [14] a conçu un projet immobilier prévoyant la construction de deux maisons jumelées sur les parcelles cadastrées commune de [Localité 13] (68) section 21 n° [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8]. Ces deux maisons devaient composer deux lots, qui devaient se partager la propriété du sol et des parties communes générales par moitié.
Par acte authentique du 29 juillet 2005, M. [K] [U] et Mme [N] [E] ont acquis en l'état futur d'achèvement le lot n°2, tandis que, par acte authentique du 25 juillet 2005, Mme [G] [M] a quant à elle acquis le lot n°1.
A la fin des travaux de construction, il est apparu que l'implantation de l'ensemble immobilier ne correspondait pas à celle prévue au plan, de sorte que les consorts [U]-[E] se trouvaient privés partiellement de la jouissance du terrain en copropriété, laquelle privation partielle profitait à Mme [M].
Le 11 juillet 2007, la SCI [14] a cédé aux consorts [U]-[E] les parcelles contiguës n°[Cadastre 9] et [Cadastre 10] pour le prix d'un euro.
Le 1er juillet 2008, les consorts [U]-[E] ont saisi Maître [W] [F], avocat au barreau de Mulhouse, afin de faire cesser l'empiétement.
Le 8 janvier 2009, celui-ci a fait assigner la SCI [14] et Mme [M] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Mulhouse, lequel, par ordonnance du 7 avril 2009, a mis en oeuvre une expertise judiciaire, dont le rapport a été rendu le 2 mai 2012, confirmant une implantation non conforme du bâtiment, et un déséquilibre dans la jouissance des surfaces des terrains entre les deux lots.
Le 12 août 2012, Maître [F] a saisi le juge des référés d'une demande de retour du dossier à l'expert afin de déterminer l'incidence de l'erreur d'implantation sur la jouissance du terrain non affecté à la construction pour les consorts [U]-[E].
Par ordonnance du 30 octobre 2012, le juge des référés a rejeté cette demande et condamné les consorts [U]-[E] à payer à Mme [M] la somme de 400 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, en considérant qu'il était dessaisi du dossier depuis sa précédente ordonnance, de sorte qu'il n'était plus compétent pour ordonner un complément d'expertise.
Par exploit du 17 décembre 2019, considérant que Maître [F] avait commis une faute en ayant négligé d'actionner la SCI [14] et son assureur sur le fondement de la responsabilité décennale, ce qui leur avait fait perdre une chance d'obtenir la démolition et la reconstruction conforme de la maison, les consorts [U]-[E] ont fait assigner leur ancien avocat en responsabilité ainsi qu'en réparation de leur préjudice devant le tribunal de grande instance de Colmar.
Par ordonnance en date du 18 janvier 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar a accueilli la demande de dépaysement formée par Maître [F], et a renvoyé l'affaire devant le tribunal judiciaire de Belfort.
Maître [F] a soulevé la prescription de l'action, subsidiairement a conclu au rejet des demandes formées à son encontre en l'absence de commission d'une faute dans le cadre du mandat qui lui avait été confié, et en tout état de cause en l'absence de preuve d'un préjudice faute pour les demandeurs d'établir qu'ils bénéficiaient d'une chance d'obtenir la démolition et la reconstruction de l'immeuble. A titre reconventionnel, il a sollicité la condamnation des défendeurs à lui verser la somme de 26 400 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.
Par jugement du 2 mai 2024, le tribunal a :
- rejeté l'exception de prescription de l'action soulevée par Maître [W] [F] ;
- débouté M. [K] [U] et Mme [N] [E] de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de Maître [W] [F] ;
- débouté Maître [W] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné in solidum M. [K] [U] et Mme [N] [E] aux dépens de l'instance ;
- condamné in solidum M. [K] [U] et Mme [N] [E] à verser à Maître [W] [F] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :
- sur la prescription :
* que, selon convention de mandat et d'honoraires signée le 11 octobre 2010, Maître [F] avait été chargé de 'représenter et de défendre les intérêts de M. [U] et Mme [E] dans le cadre d`une expertise judiciaire, en ce compris la procédure de référé expertise et concernant une affaire les opposant à Mme [M] et la SCI [14]' ;
* que, dans le cadre de ce mandat, Maître [F] avait obtenu une expertise judiciaire en référé ; que par décision du 30 octobre 2012, le juge des référés avait refusé le retour du dossier à l'expert ; que, le 15 novembre 2012, Maître [F] avait adressé à ses clients un mail leur demandant de lui indiquer s'ils lui donnaient mandat pour mettre en oeuvre une procédure au fond ; que si aucun mandat écrit ne lui avait été donné postérieurement pour agir en justice, l'avocat avait cependant continué à intervenir pour le compte des demandeurs, en recherchant une solution amiable avec Mme [M] ; que le 1er mars 2018, Maître [F] avait adressé à l'assureur protection juridique des demandeurs une facture relative l'assistance de ceux-ci ;
* qu'il y avait donc lieu de conclure que le mandat donné le 11 octobre 2010 s'était tacitement poursuivi jusqu'à son dessaisissement en 2018, de sorte que l'action engagée en décembre 2019 n'encourait pas la prescription ;
- sur la faute :
* qu'à l'égard de ses clients, l'avocat devait remplir l'obligation de conseil et d'information découlant de son contrat de mandat et devait rapporter la preuve de son exécution, étant rappelé qu'il n'était débiteur que d'une obligation de moyens, consistant, dans le domaine judiciaire, à mettre en oeuvre les moyens de nature à parvenir à la défense des intérêts de son client et à prendre toutes les initiatives nécessaires en ce sens ; que, par ailleurs, le mandat de représentation en justice emportait pouvoir et devoir d'accomplir au nom du mandant les actes de la procédure tandis que la mission d'assistance en justice comportait le devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l'obliger, le mandat de représentation emportant en principe mission d'assistance ;
* que le mandat du 11 octobre 2010 faisait suite à une analyse du litige dressée le 1er juillet 2008 par Maître [F] à la demande de l'assureur protection juridique des demandeurs, dans laquelle il envisageait le problème tant à l'égard de la SCI que de Mme [M] ;
que, s'agissant de la SCI, il expliquait que le défaut de conformité dont celle-ci s'était rendue responsable permettait de réclamer 'au moins une indemnisation en réparation des troubles causés à la seule jouissance du bien acheté, voire la démolition de la construction dans la mesure où une mise en conformité ne serait pas possible'; que Maître [F] indiquait qu'il était parfaitement envisageable d'intenter une action contre la SCI afin de voir engager sa responsabilité contractuelle de droit commun consécutive à l'erreur d'implantation de la maison, et en vue d'obtenir l'indemnisation de toutes les conséquences dommageables en découlant ; il ajoutait 'afin de tenter de trouver une solution à son erreur, la SCI du [14] a cédé à vos assurés une parcelle de terrain jouxtant leur maison de manière à leur assurer un minimum de jardin' ; qu'à l'égard de Mme [M], il estimait que celle-ci disposait, au détriment des demandeurs, de 4 mètres de terrain linéaire en plus ; qu'il ajoutait que l'action à engager sur ce point serait une action sur le fondement du règlement de copropriété qui accordait 500/1000èmes à chaque copropriétaire, pour voir attribuer à M. [U] et Mme [E] la jouissance effective de la moitié du terrain en copropriété ; que Maître [F] avait adressé ce document à l'assurance, mais également aux demandeurs, qui en avaient accusé réception sans émettre de critique sur le fond et sans remettre en cause le fait que la vente à titre gratuit qui leur avait été consentie avait pour objet de remédier à l'erreur commise par la SCI [14] ;
* qu'à ce stade de son intervention, Maître [F] avait correctement analysé la situation tant à l'égard de la SCI que de Mme [M] en évoquant la possibilité d'actions au fond ;
* qu'après le dépôt du rapport d'expertise et le refus de complément d'expertise du juge des référés, Maître [F] était intervenu uniquement dans le cadre amiable afin de trouver un terrain d'entente avec Mme [M] pour permettre aux demandeurs de jouir de la moitié du terrain à laquelle ils avaient droit, nonobstant le fait qu'ils étaient devenus propriétaires, à titre personnel, d'un terrain qui leur avait été cédé gratuitement par la SCI ;
* que, dans les échanges postérieurs aux décisions de justice, à aucun moment, les demandeurs ou leur assureur n'avaient demandé à Maître [F] d'intervenir à l'encontre de la SCI, alors même qu'ils avaient été informés de cette possibilité par l'analyse menée en 2008 ; qu'il résultait des pièces versées aux débats que les parties s'étaient focalisés sur la manière de restituer amiablement aux demandeurs la jouissance de leur partie indivise, ce qui ne concernait pas la SCI, mais uniquement Mme [M] et d'autres voisins ; que le 24 octobre 2012, Maître [F] avait informé M. [U] du placement en liquidation judiciaire de M. [L], gérant de la SCI et du fait que l'administrateur devait être mis en cause, et que M. [U] avait répondu le lendemain à son conseil qu'il n'avait 'pas beaucoup d'illusion sur la solidité de M. [L], ni l'envie réelle de récupérer quelque chose", ce dont il résultait que la préoccupation des demandeurs n'était pas alors d'engager quelque responsabilité que ce soit à l'encontre de la SCI ; que Maître [F] avait porté la même information relative à la liquidation judiciaire de la SCI à l'assureur des demandeurs, sans qu'aucune réponse n'ait été apportée ;
* que le défendeur indiquait que les demandeurs étaient informés dès le stade des opérations d'expertise de l'absence d'assurance de la SCI, en dépit des mentions contraires portées à l'acte notarié, aucun assureur n'ayant pu être mis en cause lors de l'expertise ;
* qu'il ne pouvait donc être reproché à Maître [F] de ne pas avoir envisagé avec les demandeurs, de manière exhaustive, les moyens de droit susceptibles d'être développés au fond à l'encontre de la SCI voire de son assureur ;
- sur la demande reconventionnelle, que le caractère abusif de la procédure ne pouvait être déduit du seul montant des demandes, d'autant qu'il était en rapport avec le préjudice envisagé par Maître [F] dans sa consultation initiale ; qu'aucune pièce n'étayait les problèmes de santé que le défendeur mettait en lien avec la procédure, alors que, pour la profession d'avocat, le risque d'engagement de responsabilité était connu et prévisible, au point de faire l'objet d'une obligation d'assurance ; qu'enfin il n'était pas justifié de la perte de chiffre d'affaires alléguée.
Les consorts [U]-[E] ont relevé appel de cette décision le 17 juin 2024.
Par conclusions transmises le 16 septembre 2024, les appelants demandent à la cour :
Vu l'article 47 du code de procédure civile,
Vu l'article 1147 du code de civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016,
Vu les articles 1792 et suivant du code civil,
Vu l'article 1231-1 du code civil,
- de déclarer recevable et bien fondée la demande des consorts [U]-[E] ;
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les consorts [U]-[E] de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de Maître [F], à savoir à faire constater que Maître [F] a commis une faute engageant sa responsabilité et en conséquence le condamner à les indemniser à hauteur de 416 400 euros au titre de la perte de chance, rembourser l'intégralité des honoraires versés, 4 000 euros au titre du préjudice subi, 10 000 euros au titre du préjudice moral, ou 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau :
- de constater que Maître [W] [F] a commis une fauteengageant sa responsabilité contractuelle à l'égard des consorts [U]-[E] ;
- de condamner Maître [W] [F] au paiement de la somme de 416 400 euros TTC en raison du préjudice subi par les consorts [U]-[E] au titre de la perte de chance d'obtenir la démolition et la reconstruction de leur maison d'habitation et l'engagement de la responsabilité décennale de la SCI [14] et de son assureur ;
- de condamner Maître [W] [F] à rembourser l'ensemble des honoraires versé par les consorts [U]-[E] pour garantir la défense de leurs intérêts ;
- de condamner Maître [W] [F] à verser aux consorts [U]-[E] la somme de 400 euros versée au titre de l'article 700 du CPC, et la somme de 13 euros au titre des droits de plaidoirie, suite à l'ordonnance de référé du 30 octobre 2012, ainsi qu'aux frais et dépens de la procédure de référé ;
- de condamner Maître [W] [F] à verser la somme de 10 000 euros aux consorts [U]-[E] au titre de leur préjudice moral et du temps perdu ;
- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir (sic) ;
- de condamner Maître [W] [F] à payer aux consorts [U]-[E] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner Maître [W] [F] aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel, de la procédure de première instance, en ce compris tous les frais et dépens engagés par les consorts [U]-[E] au titre de procédures inefficientes ainsi que des avances sur frais d'expertise versés par eux.
Par conclusions notifiées le 12 décembre 2024, Maître [F] demande à la cour :
Vu les articles 32-1 et 122 du code de procédure civile,
Vu l'article 2225 et 1149 ancien et suivants du code civil,
Vu la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971,
A titre principal,
- d'infirmer le jugement déféré en ce quîl a débouté Me [F] de sa fin de non-recevoir liée à la prescription de l'action de M. [U] et Mme [E] ;
Statuant à nouveau,
- de déclarer irrecevables les demandes de M. [U] et Mme [E], en ce qu'elles sont prescrites ;
A titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [U] et Mme [E] de leurs demandes, en ce qu'ils ne démontrent pas que Me [F] aurait commis une quelconque faute susceptible d'engager sa responsabilité ;
A titre infiniment subsidiaire,
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [U] et Mme [E] de leurs demandes en ce qu'ils ne démontrent pas qu'ils auraient perdu une chance de voir prospérer une action en démolition et reconstruction de leur maison ;
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [U] et Mme [E] de leurs demandes à son encontre, en ce qu'ils ne justifient ni du principe ni du quantum du préjudice qu'ils allèguent avoir subi ;
A titre reconventionnel,
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Me [F] de sa demande de condamnation des consorts [U]-[E] au titre de la procédure abusive intentée à son encontre ;
Statuant à nouveau,
- de condamner M. [U] et Mme [E] à lui payer une somme de 29 600 euros à titre de
dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;
En toute hypothèse,
- de condamner solidairement M. [U] et Mme [E] à payer à [F] une somme de
10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner solidairement M. [U] et Mme [E] aux entiers dépens d'instance.
La clôture de la procédure a été prononcée le 13 mai 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
M. [F] forme appel incident de la disposition du jugement ayant écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription qu'il avait soulevée devant le premier juge. Dès lors que l'examen du fond est subordonnée à la recevabilité de l'action, il convient de statuer en premier lieu sur cet appel incident.
M. [F] fait valoir que la mission qui lui avait été confiée par les consorts [U]-[E] était expressément cantonnée à la procédure de référé-expertise, qui avait trouvé son issue par l'ordonnance du 30 octobre 2012 ayant rejeté la demande de complément d'expertise, de sorte que la prescription quinquennale, qui avait commencé à courir à l'expiration du délai de recours contre cette décision, était acquise à la date de l'assignation en responsabilité délivrée à son encontre. Il ajoute que s'il était effectivement intervenu postérieurement pour tenter de trouver une solution amiable avec la voisine des appelants, cela relevait d'une mission distincte.
Les appelants ne font pas valoir de moyen s'agissant de la prescription invoquée, et sont donc, sur ce point, réputés s'en remettre aux motifs du premier juge.
L'article 2225 du code civil dispose que l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.
Il est de jurisprudence établie que la fin de la mission s'entend de la date à laquelle ont expiré les délais d'exercice des voies de recours ouvertes contre la décision au titre de laquelle la mission de représentation ou d'assistance a été confiée.
Il est en l'espèce constant que la responsabilité de M. [F] est recherchée par les appelants au titre de manquements commis dans la mise en oeuvre des responsabilités encourues par la SCI [14].
La mission confiée à l'avocat dans ce cadre résulte de l'article préliminaire de la 'convention de mandat et d'honoraires' régularisée entre les parties le 11 octobre 2010, selon lequel 'Maître [F] est chargé, dans le cadre de la présente convention d'honoraires, de représenter et de défendre les intérêts de M. [K] [U] et Mme [N] [E] dans le cadre d'une expertise judiciaire, en ce compris la procédure de référé-expertise et concernant une affaire les opposant à Mme [M] et la SCI [14].'
Il n'est pas contesté que M. [F] a, pour l'exécution de cette mission, saisi le juge des référés d'une demande d'expertise judiciaire, qui a été ordonnée, puis d'une demande de complément d'expertise, qui a été rejetée par ordonnance de référé du 30 octobre 2012. En application de l'article 490 du code de procédure civile, cette dernière décision était susceptible d'un appel dans le délai de 15 jours, voie de recours dont il est constant qu'elle n'a pas été mise en oeuvre.
Cette mission a donné lieu à l'établissement par M. [F] d'une facture le 29 octobre 2012, qui a été transmise à la compagnie [12], assureur protection juridique des consorts [U]-[E], et réglée par elle.
Par ailleurs, il ressort des pièces produites aux débats qu'en suite de l'achèvement de cette mission, M. [F] a adressé le 15 novembre 2012 aux consorts [U]-[E] un mail les interrogeant expressément sur leur volonté de lui confier un mandat pour mettre en oeuvre une procédure au fond à l'encontre notamment de la SCI [14]. Or, il n'est justifié d'aucune réponse positive qui aurait été donnée à cette demande par les appelants, et il n'est en tout état de cause produit aux débats aucune nouvelle convention qui serait intervenue entre les parties au sujet de l'engagement d'une procédure au fond.
S'il est certes établi, et d'ailleurs non contesté par l'intimé, que celui-ci est ultérieurement intervenu aux côtés des consorts [U]-[E] dans le cadre d'une tentative de règlement amiable du litige à l'égard de la seule Mme Mme [M], cette intervention avait clairement un objet étranger à l'engagement de la responsbailité de la SCI [14], comme étant de nature extra-judiciaire, et n'impliquant pas cette dernière. Dans ces conditions, cette intervention ne peut pas s'analyser comme constituant la poursuite de la mission confiée à M. [F] par le mandat du 11 octobre 2010.
La seule mission confiée à l'avocat en relation avec la SCI [14] a donc pris fin avec l'ordonnance de référé du 30 octobre 2012. Les délais de recours ouverts contre celle-ci étant expirés depuis plus de 5 ans à la date à laquelle les consorts [E]-[U] ont fait assigner M. [F] aux fins d'engagement de sa responsabilité professionnelle, soit le 17 décembre 2019, leur action était prescrite.
Les demandes des consorts [U]-[E] seront donc déclarées irrecevables, le jugement entrepris étant infirmé en ce sens.
La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande indemnitaire formée par M. [F] pour procédure abusive et vexatoire, l'irrecevabilité des demandes ne suffisant pas en elle-même à caractériser un abus de la part des consorts [U]-[E], et le premier juge ayant relevé à juste titre que l'engagement de sa responsabilité professionnelle, fût-ce à tort, constituait pour l'avocat un risque consubstantiel à l'exercice de sa profession, qui rend peu vraisemblable l'allégation du développement d'une phobie, alors au demeurant qu'il n'est pas justifié que l'affaire ait connu un retentissement tel qu'elle aurait préjudicié de manière particulière à l'image de l'intéressé auprès de sa clientèle.
Le jugement sera encore confirmé s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.
Les appelants seront condamnés in solidum aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à l'intimé la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Confirme le jugement rendu le 2 mai 2024 par le tribunal judiciaire de Belfort en ce qu'il a débouté Maître [W] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais de défense irrépétibles ;
Infirme le jugement déféré pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et ajoutant :
Déclare irrecevables les demandes formées par M. [K] [U] et Mme [N] [E] à l'encontre de M. [W] [F] ;
Condamne M. [K] [U] et Mme [N] [E] aux dépens d'appel ;
Condamne M. [K] [U] et Mme [N] [E] à payer à M. [W] [F] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,
MW/FA
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° de rôle : N° RG 24/00884 - N° Portalis DBVG-V-B7I-EY6U
COUR D'APPEL DE BESANÇON
1ère chambre civile et commerciale
ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2025
Décision déférée à la Cour : jugement du 02 mai 2024 - RG N°22/00382 - TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BELFORT
Code affaire : 63B - Demande en réparation des dommages causés par l'activité des auxiliaires de justice
COMPOSITION DE LA COUR :
M. Michel WACHTER, Président de chambre.
M. Cédric SAUNIER et Madame Bénédicte MANTEAUX, Conseillers.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DEBATS :
L'affaire a été examinée en audience publique du 03 juin 2025 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, M. Cédric SAUNIER et Madame Bénédicte MANTEAUX, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.
Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTS
Madame [N] [E]
née le [Date naissance 4] 1976 à [Localité 15], de nationalité française,
demeurant [Adresse 5]
Monsieur [K] [U]
né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 16], de nationalité française,
demeurant [Adresse 5]
Représentés par Me Sarah WEINRYB de la SELARL SYLVIE TISSERAND-MICHEL-BRICE MICHEL-LEANDRO GIAGNOLINI-SARA H WEINRYB, avocat au barreau de BELFORT
ET :
INTIMÉ
Monsieur [W] [F]
né le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 11], de nationalité française, avocat,
demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Camille BEN DAOUD de la SELARL HBB AVOCAT, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représenté par Me Nicolas HERZOG de la SELEURL H2O Avocats, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
*************
La SCI [14] a conçu un projet immobilier prévoyant la construction de deux maisons jumelées sur les parcelles cadastrées commune de [Localité 13] (68) section 21 n° [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8]. Ces deux maisons devaient composer deux lots, qui devaient se partager la propriété du sol et des parties communes générales par moitié.
Par acte authentique du 29 juillet 2005, M. [K] [U] et Mme [N] [E] ont acquis en l'état futur d'achèvement le lot n°2, tandis que, par acte authentique du 25 juillet 2005, Mme [G] [M] a quant à elle acquis le lot n°1.
A la fin des travaux de construction, il est apparu que l'implantation de l'ensemble immobilier ne correspondait pas à celle prévue au plan, de sorte que les consorts [U]-[E] se trouvaient privés partiellement de la jouissance du terrain en copropriété, laquelle privation partielle profitait à Mme [M].
Le 11 juillet 2007, la SCI [14] a cédé aux consorts [U]-[E] les parcelles contiguës n°[Cadastre 9] et [Cadastre 10] pour le prix d'un euro.
Le 1er juillet 2008, les consorts [U]-[E] ont saisi Maître [W] [F], avocat au barreau de Mulhouse, afin de faire cesser l'empiétement.
Le 8 janvier 2009, celui-ci a fait assigner la SCI [14] et Mme [M] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Mulhouse, lequel, par ordonnance du 7 avril 2009, a mis en oeuvre une expertise judiciaire, dont le rapport a été rendu le 2 mai 2012, confirmant une implantation non conforme du bâtiment, et un déséquilibre dans la jouissance des surfaces des terrains entre les deux lots.
Le 12 août 2012, Maître [F] a saisi le juge des référés d'une demande de retour du dossier à l'expert afin de déterminer l'incidence de l'erreur d'implantation sur la jouissance du terrain non affecté à la construction pour les consorts [U]-[E].
Par ordonnance du 30 octobre 2012, le juge des référés a rejeté cette demande et condamné les consorts [U]-[E] à payer à Mme [M] la somme de 400 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, en considérant qu'il était dessaisi du dossier depuis sa précédente ordonnance, de sorte qu'il n'était plus compétent pour ordonner un complément d'expertise.
Par exploit du 17 décembre 2019, considérant que Maître [F] avait commis une faute en ayant négligé d'actionner la SCI [14] et son assureur sur le fondement de la responsabilité décennale, ce qui leur avait fait perdre une chance d'obtenir la démolition et la reconstruction conforme de la maison, les consorts [U]-[E] ont fait assigner leur ancien avocat en responsabilité ainsi qu'en réparation de leur préjudice devant le tribunal de grande instance de Colmar.
Par ordonnance en date du 18 janvier 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar a accueilli la demande de dépaysement formée par Maître [F], et a renvoyé l'affaire devant le tribunal judiciaire de Belfort.
Maître [F] a soulevé la prescription de l'action, subsidiairement a conclu au rejet des demandes formées à son encontre en l'absence de commission d'une faute dans le cadre du mandat qui lui avait été confié, et en tout état de cause en l'absence de preuve d'un préjudice faute pour les demandeurs d'établir qu'ils bénéficiaient d'une chance d'obtenir la démolition et la reconstruction de l'immeuble. A titre reconventionnel, il a sollicité la condamnation des défendeurs à lui verser la somme de 26 400 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.
Par jugement du 2 mai 2024, le tribunal a :
- rejeté l'exception de prescription de l'action soulevée par Maître [W] [F] ;
- débouté M. [K] [U] et Mme [N] [E] de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de Maître [W] [F] ;
- débouté Maître [W] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné in solidum M. [K] [U] et Mme [N] [E] aux dépens de l'instance ;
- condamné in solidum M. [K] [U] et Mme [N] [E] à verser à Maître [W] [F] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :
- sur la prescription :
* que, selon convention de mandat et d'honoraires signée le 11 octobre 2010, Maître [F] avait été chargé de 'représenter et de défendre les intérêts de M. [U] et Mme [E] dans le cadre d`une expertise judiciaire, en ce compris la procédure de référé expertise et concernant une affaire les opposant à Mme [M] et la SCI [14]' ;
* que, dans le cadre de ce mandat, Maître [F] avait obtenu une expertise judiciaire en référé ; que par décision du 30 octobre 2012, le juge des référés avait refusé le retour du dossier à l'expert ; que, le 15 novembre 2012, Maître [F] avait adressé à ses clients un mail leur demandant de lui indiquer s'ils lui donnaient mandat pour mettre en oeuvre une procédure au fond ; que si aucun mandat écrit ne lui avait été donné postérieurement pour agir en justice, l'avocat avait cependant continué à intervenir pour le compte des demandeurs, en recherchant une solution amiable avec Mme [M] ; que le 1er mars 2018, Maître [F] avait adressé à l'assureur protection juridique des demandeurs une facture relative l'assistance de ceux-ci ;
* qu'il y avait donc lieu de conclure que le mandat donné le 11 octobre 2010 s'était tacitement poursuivi jusqu'à son dessaisissement en 2018, de sorte que l'action engagée en décembre 2019 n'encourait pas la prescription ;
- sur la faute :
* qu'à l'égard de ses clients, l'avocat devait remplir l'obligation de conseil et d'information découlant de son contrat de mandat et devait rapporter la preuve de son exécution, étant rappelé qu'il n'était débiteur que d'une obligation de moyens, consistant, dans le domaine judiciaire, à mettre en oeuvre les moyens de nature à parvenir à la défense des intérêts de son client et à prendre toutes les initiatives nécessaires en ce sens ; que, par ailleurs, le mandat de représentation en justice emportait pouvoir et devoir d'accomplir au nom du mandant les actes de la procédure tandis que la mission d'assistance en justice comportait le devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l'obliger, le mandat de représentation emportant en principe mission d'assistance ;
* que le mandat du 11 octobre 2010 faisait suite à une analyse du litige dressée le 1er juillet 2008 par Maître [F] à la demande de l'assureur protection juridique des demandeurs, dans laquelle il envisageait le problème tant à l'égard de la SCI que de Mme [M] ;
que, s'agissant de la SCI, il expliquait que le défaut de conformité dont celle-ci s'était rendue responsable permettait de réclamer 'au moins une indemnisation en réparation des troubles causés à la seule jouissance du bien acheté, voire la démolition de la construction dans la mesure où une mise en conformité ne serait pas possible'; que Maître [F] indiquait qu'il était parfaitement envisageable d'intenter une action contre la SCI afin de voir engager sa responsabilité contractuelle de droit commun consécutive à l'erreur d'implantation de la maison, et en vue d'obtenir l'indemnisation de toutes les conséquences dommageables en découlant ; il ajoutait 'afin de tenter de trouver une solution à son erreur, la SCI du [14] a cédé à vos assurés une parcelle de terrain jouxtant leur maison de manière à leur assurer un minimum de jardin' ; qu'à l'égard de Mme [M], il estimait que celle-ci disposait, au détriment des demandeurs, de 4 mètres de terrain linéaire en plus ; qu'il ajoutait que l'action à engager sur ce point serait une action sur le fondement du règlement de copropriété qui accordait 500/1000èmes à chaque copropriétaire, pour voir attribuer à M. [U] et Mme [E] la jouissance effective de la moitié du terrain en copropriété ; que Maître [F] avait adressé ce document à l'assurance, mais également aux demandeurs, qui en avaient accusé réception sans émettre de critique sur le fond et sans remettre en cause le fait que la vente à titre gratuit qui leur avait été consentie avait pour objet de remédier à l'erreur commise par la SCI [14] ;
* qu'à ce stade de son intervention, Maître [F] avait correctement analysé la situation tant à l'égard de la SCI que de Mme [M] en évoquant la possibilité d'actions au fond ;
* qu'après le dépôt du rapport d'expertise et le refus de complément d'expertise du juge des référés, Maître [F] était intervenu uniquement dans le cadre amiable afin de trouver un terrain d'entente avec Mme [M] pour permettre aux demandeurs de jouir de la moitié du terrain à laquelle ils avaient droit, nonobstant le fait qu'ils étaient devenus propriétaires, à titre personnel, d'un terrain qui leur avait été cédé gratuitement par la SCI ;
* que, dans les échanges postérieurs aux décisions de justice, à aucun moment, les demandeurs ou leur assureur n'avaient demandé à Maître [F] d'intervenir à l'encontre de la SCI, alors même qu'ils avaient été informés de cette possibilité par l'analyse menée en 2008 ; qu'il résultait des pièces versées aux débats que les parties s'étaient focalisés sur la manière de restituer amiablement aux demandeurs la jouissance de leur partie indivise, ce qui ne concernait pas la SCI, mais uniquement Mme [M] et d'autres voisins ; que le 24 octobre 2012, Maître [F] avait informé M. [U] du placement en liquidation judiciaire de M. [L], gérant de la SCI et du fait que l'administrateur devait être mis en cause, et que M. [U] avait répondu le lendemain à son conseil qu'il n'avait 'pas beaucoup d'illusion sur la solidité de M. [L], ni l'envie réelle de récupérer quelque chose", ce dont il résultait que la préoccupation des demandeurs n'était pas alors d'engager quelque responsabilité que ce soit à l'encontre de la SCI ; que Maître [F] avait porté la même information relative à la liquidation judiciaire de la SCI à l'assureur des demandeurs, sans qu'aucune réponse n'ait été apportée ;
* que le défendeur indiquait que les demandeurs étaient informés dès le stade des opérations d'expertise de l'absence d'assurance de la SCI, en dépit des mentions contraires portées à l'acte notarié, aucun assureur n'ayant pu être mis en cause lors de l'expertise ;
* qu'il ne pouvait donc être reproché à Maître [F] de ne pas avoir envisagé avec les demandeurs, de manière exhaustive, les moyens de droit susceptibles d'être développés au fond à l'encontre de la SCI voire de son assureur ;
- sur la demande reconventionnelle, que le caractère abusif de la procédure ne pouvait être déduit du seul montant des demandes, d'autant qu'il était en rapport avec le préjudice envisagé par Maître [F] dans sa consultation initiale ; qu'aucune pièce n'étayait les problèmes de santé que le défendeur mettait en lien avec la procédure, alors que, pour la profession d'avocat, le risque d'engagement de responsabilité était connu et prévisible, au point de faire l'objet d'une obligation d'assurance ; qu'enfin il n'était pas justifié de la perte de chiffre d'affaires alléguée.
Les consorts [U]-[E] ont relevé appel de cette décision le 17 juin 2024.
Par conclusions transmises le 16 septembre 2024, les appelants demandent à la cour :
Vu l'article 47 du code de procédure civile,
Vu l'article 1147 du code de civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016,
Vu les articles 1792 et suivant du code civil,
Vu l'article 1231-1 du code civil,
- de déclarer recevable et bien fondée la demande des consorts [U]-[E] ;
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les consorts [U]-[E] de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de Maître [F], à savoir à faire constater que Maître [F] a commis une faute engageant sa responsabilité et en conséquence le condamner à les indemniser à hauteur de 416 400 euros au titre de la perte de chance, rembourser l'intégralité des honoraires versés, 4 000 euros au titre du préjudice subi, 10 000 euros au titre du préjudice moral, ou 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau :
- de constater que Maître [W] [F] a commis une fauteengageant sa responsabilité contractuelle à l'égard des consorts [U]-[E] ;
- de condamner Maître [W] [F] au paiement de la somme de 416 400 euros TTC en raison du préjudice subi par les consorts [U]-[E] au titre de la perte de chance d'obtenir la démolition et la reconstruction de leur maison d'habitation et l'engagement de la responsabilité décennale de la SCI [14] et de son assureur ;
- de condamner Maître [W] [F] à rembourser l'ensemble des honoraires versé par les consorts [U]-[E] pour garantir la défense de leurs intérêts ;
- de condamner Maître [W] [F] à verser aux consorts [U]-[E] la somme de 400 euros versée au titre de l'article 700 du CPC, et la somme de 13 euros au titre des droits de plaidoirie, suite à l'ordonnance de référé du 30 octobre 2012, ainsi qu'aux frais et dépens de la procédure de référé ;
- de condamner Maître [W] [F] à verser la somme de 10 000 euros aux consorts [U]-[E] au titre de leur préjudice moral et du temps perdu ;
- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir (sic) ;
- de condamner Maître [W] [F] à payer aux consorts [U]-[E] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner Maître [W] [F] aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel, de la procédure de première instance, en ce compris tous les frais et dépens engagés par les consorts [U]-[E] au titre de procédures inefficientes ainsi que des avances sur frais d'expertise versés par eux.
Par conclusions notifiées le 12 décembre 2024, Maître [F] demande à la cour :
Vu les articles 32-1 et 122 du code de procédure civile,
Vu l'article 2225 et 1149 ancien et suivants du code civil,
Vu la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971,
A titre principal,
- d'infirmer le jugement déféré en ce quîl a débouté Me [F] de sa fin de non-recevoir liée à la prescription de l'action de M. [U] et Mme [E] ;
Statuant à nouveau,
- de déclarer irrecevables les demandes de M. [U] et Mme [E], en ce qu'elles sont prescrites ;
A titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [U] et Mme [E] de leurs demandes, en ce qu'ils ne démontrent pas que Me [F] aurait commis une quelconque faute susceptible d'engager sa responsabilité ;
A titre infiniment subsidiaire,
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [U] et Mme [E] de leurs demandes en ce qu'ils ne démontrent pas qu'ils auraient perdu une chance de voir prospérer une action en démolition et reconstruction de leur maison ;
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [U] et Mme [E] de leurs demandes à son encontre, en ce qu'ils ne justifient ni du principe ni du quantum du préjudice qu'ils allèguent avoir subi ;
A titre reconventionnel,
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Me [F] de sa demande de condamnation des consorts [U]-[E] au titre de la procédure abusive intentée à son encontre ;
Statuant à nouveau,
- de condamner M. [U] et Mme [E] à lui payer une somme de 29 600 euros à titre de
dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;
En toute hypothèse,
- de condamner solidairement M. [U] et Mme [E] à payer à [F] une somme de
10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner solidairement M. [U] et Mme [E] aux entiers dépens d'instance.
La clôture de la procédure a été prononcée le 13 mai 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
M. [F] forme appel incident de la disposition du jugement ayant écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription qu'il avait soulevée devant le premier juge. Dès lors que l'examen du fond est subordonnée à la recevabilité de l'action, il convient de statuer en premier lieu sur cet appel incident.
M. [F] fait valoir que la mission qui lui avait été confiée par les consorts [U]-[E] était expressément cantonnée à la procédure de référé-expertise, qui avait trouvé son issue par l'ordonnance du 30 octobre 2012 ayant rejeté la demande de complément d'expertise, de sorte que la prescription quinquennale, qui avait commencé à courir à l'expiration du délai de recours contre cette décision, était acquise à la date de l'assignation en responsabilité délivrée à son encontre. Il ajoute que s'il était effectivement intervenu postérieurement pour tenter de trouver une solution amiable avec la voisine des appelants, cela relevait d'une mission distincte.
Les appelants ne font pas valoir de moyen s'agissant de la prescription invoquée, et sont donc, sur ce point, réputés s'en remettre aux motifs du premier juge.
L'article 2225 du code civil dispose que l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.
Il est de jurisprudence établie que la fin de la mission s'entend de la date à laquelle ont expiré les délais d'exercice des voies de recours ouvertes contre la décision au titre de laquelle la mission de représentation ou d'assistance a été confiée.
Il est en l'espèce constant que la responsabilité de M. [F] est recherchée par les appelants au titre de manquements commis dans la mise en oeuvre des responsabilités encourues par la SCI [14].
La mission confiée à l'avocat dans ce cadre résulte de l'article préliminaire de la 'convention de mandat et d'honoraires' régularisée entre les parties le 11 octobre 2010, selon lequel 'Maître [F] est chargé, dans le cadre de la présente convention d'honoraires, de représenter et de défendre les intérêts de M. [K] [U] et Mme [N] [E] dans le cadre d'une expertise judiciaire, en ce compris la procédure de référé-expertise et concernant une affaire les opposant à Mme [M] et la SCI [14].'
Il n'est pas contesté que M. [F] a, pour l'exécution de cette mission, saisi le juge des référés d'une demande d'expertise judiciaire, qui a été ordonnée, puis d'une demande de complément d'expertise, qui a été rejetée par ordonnance de référé du 30 octobre 2012. En application de l'article 490 du code de procédure civile, cette dernière décision était susceptible d'un appel dans le délai de 15 jours, voie de recours dont il est constant qu'elle n'a pas été mise en oeuvre.
Cette mission a donné lieu à l'établissement par M. [F] d'une facture le 29 octobre 2012, qui a été transmise à la compagnie [12], assureur protection juridique des consorts [U]-[E], et réglée par elle.
Par ailleurs, il ressort des pièces produites aux débats qu'en suite de l'achèvement de cette mission, M. [F] a adressé le 15 novembre 2012 aux consorts [U]-[E] un mail les interrogeant expressément sur leur volonté de lui confier un mandat pour mettre en oeuvre une procédure au fond à l'encontre notamment de la SCI [14]. Or, il n'est justifié d'aucune réponse positive qui aurait été donnée à cette demande par les appelants, et il n'est en tout état de cause produit aux débats aucune nouvelle convention qui serait intervenue entre les parties au sujet de l'engagement d'une procédure au fond.
S'il est certes établi, et d'ailleurs non contesté par l'intimé, que celui-ci est ultérieurement intervenu aux côtés des consorts [U]-[E] dans le cadre d'une tentative de règlement amiable du litige à l'égard de la seule Mme Mme [M], cette intervention avait clairement un objet étranger à l'engagement de la responsbailité de la SCI [14], comme étant de nature extra-judiciaire, et n'impliquant pas cette dernière. Dans ces conditions, cette intervention ne peut pas s'analyser comme constituant la poursuite de la mission confiée à M. [F] par le mandat du 11 octobre 2010.
La seule mission confiée à l'avocat en relation avec la SCI [14] a donc pris fin avec l'ordonnance de référé du 30 octobre 2012. Les délais de recours ouverts contre celle-ci étant expirés depuis plus de 5 ans à la date à laquelle les consorts [E]-[U] ont fait assigner M. [F] aux fins d'engagement de sa responsabilité professionnelle, soit le 17 décembre 2019, leur action était prescrite.
Les demandes des consorts [U]-[E] seront donc déclarées irrecevables, le jugement entrepris étant infirmé en ce sens.
La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande indemnitaire formée par M. [F] pour procédure abusive et vexatoire, l'irrecevabilité des demandes ne suffisant pas en elle-même à caractériser un abus de la part des consorts [U]-[E], et le premier juge ayant relevé à juste titre que l'engagement de sa responsabilité professionnelle, fût-ce à tort, constituait pour l'avocat un risque consubstantiel à l'exercice de sa profession, qui rend peu vraisemblable l'allégation du développement d'une phobie, alors au demeurant qu'il n'est pas justifié que l'affaire ait connu un retentissement tel qu'elle aurait préjudicié de manière particulière à l'image de l'intéressé auprès de sa clientèle.
Le jugement sera encore confirmé s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.
Les appelants seront condamnés in solidum aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à l'intimé la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Confirme le jugement rendu le 2 mai 2024 par le tribunal judiciaire de Belfort en ce qu'il a débouté Maître [W] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais de défense irrépétibles ;
Infirme le jugement déféré pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et ajoutant :
Déclare irrecevables les demandes formées par M. [K] [U] et Mme [N] [E] à l'encontre de M. [W] [F] ;
Condamne M. [K] [U] et Mme [N] [E] aux dépens d'appel ;
Condamne M. [K] [U] et Mme [N] [E] à payer à M. [W] [F] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,