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CA Montpellier, 3e ch. civ., 11 septembre 2025, n° 21/02797

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 21/02797

11 septembre 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

3e chambre civile

ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/02797 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O7JO

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 09 MARS 2021

TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE PERPIGNAN

N° RG 16/00984

APPELANTE :

S.N.C. EIFFAGE [Adresse 10] inscrite au RCS de Salon de Provence sous le n°398.762.211, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège social

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 3]

Représentée par Me Jérémy BALZARINI de la SCP ADONNE AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant substitué par Me Alysée BECUWE, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEES :

Madame [M] [L] prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL SOMOTP

[Adresse 2]

[Localité 5]

Assignée le 27/7/2021 à étude

S.A ALLIANZ représenté par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social en qualité d'assureur de la société SOMOTP

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Julien CARMINATI, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

SCI PLEIN SUD prise en la personne de son gérant en exercice

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Eric NEGRE substituant Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 23 avril 2025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 mai 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

M. Gilles SAINATI, président de chambre

M. Thierry CARLIER, conseiller

Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Hélène ALBESA

ARRET :

- réputé contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Hélène ALBESA, greffier.

* * * *

EXPOSE DU LITIGE

En 2007, la SCI Plein Sud a fait réaliser un lotissement dénommé '[Adresse 9]" à [Localité 8]. Les travaux de voirie et de réseau ont été confiés à la SARL Somotp, assurée au titre de sa responsabilité civile décennale auprès de la société AGF devenue la SA Allianz IARD.

La SARL Somotp a été placée en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire le 27 novembre 2013, Maître [M] [L] ayant été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Se plaignant de désordres affectant l'enrobé, la SCI Plein Sud a, par actes du 19 février 2016, fait assigner ls SA Allianz IARD et Maître [L] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Somotp. Par actes des 13 et 15 avril 2016, la SA Allianz IARD a appelé en cause la SNC Eiffage [Adresse 11], dont la filiale, la société Appia Aude Roussillon aurait sous-traité les travaux d'enrobés et la SARL Egbt, laquelle serait intervenue en qualité de maître d''uvre. Par ordonnance en date du 19 janvier 2017, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des instances et une mesure d'expertise judiciaire(sollicitée par la SA Allianz IARD) .

L'expert a déposé son rapport définitif le 1er octobre 2018.

Par jugement contradictoire du 9 mars 2021, le tribunal judiciaire de Perpignan a notamment :

rejeté le moyen d'irrecevabilité tiré de la prescription soulevé par la société Eiffage [Adresse 11] et la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la SCI Plein Sud ;

condamné in solidum la SA Allianz IARD et la société Eiffage [Adresse 11] à payer à la SCI Plein Sud la somme de 114 752,81 euros HT au titre des travaux de reprise de la voirie,

ordonné l'inscription au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Somotp de la créance de la SCI Plein Sud à hauteur de la somme de 28,688,20 euros HT (25 % de 114 752,81 euros HT),

dit que dans leurs rapports entre elles, la SA Allianz IARD et la société Eiffage [Adresse 11] devront contribuer à la dette dans les proportions suivantes :

SA Allianz IARD 25 %,

Eiffage [Adresse 11] : 75 %,

mis la société Egbt hors de cause,

débouté la SCI Plein Sud de ses demandes de dommages et intérêts formées au titre de la résistance abusive,

condamné in solidum Me [L], ès qualités de liquidateur de la SARL Somotp, la SA Allianz IARD et la société Eiffage [Adresse 11] à payer à la SCI Plein Sud la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné in solidum Maître [L], ès qualités de liquidateur de la SARL Somotp, la SA Allianz IARD et la société Eiffage [Adresse 11] aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration enregistrée au greffe le 28 avril 2021, la SNC Eiffage [Adresse 10] a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Par ses conclusions enregistrées par le greffe le 20 juillet 2021, la SNC Eiffage [Adresse 10] demande notamment à la cour d'appel d'infirmer le jugement rendu sauf en ce qu'il a retenu la garantie de la compagnie Allianz et de juger la SCI Plein Sud irrecevable en ses demandes pour cause de prescription et de défaut d'intérêt à agir.

Subsidiairement, elle demande à voir débouter la SCI Plein Sud et les autres parties de leurs demandes dirigées contre elle.

A titre infiniment subsidiaire, elle demande à voir :

juger que la SCI Plein Sud ne peut solliciter en cause d'appel autre chose que ce qu'elle a demandé en première instance, soit la condamnation de la société Eiffage à concurrence de la somme de 13 196,70 euros,

juger que la compagnie Allianz doit sa garantie,

condamner in solidum la compagnie Allianz et la société Somotp à la relever et garantir intégralement de toute condamnation en principal, intérêts, frais et dépens et à défaut à concurrence de 88,5 %.

En tout état de cause, elle sollicite la condamnation la SCI Plein Sud et à défaut de la compagnie Allianz aux dépens et à lui payer la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses conclusions enregistrées au greffe le 25 novembre 2021, la SCI Plein Sud demande à la cour d'appel de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a retenu qu'elle cantonait sa demande à la somme de 114 752,81 euros HT au lieu de 119 534 euros HT et a débouté la SCI Plein Sud de sa demande de condamnation pour procédure abusive et abus de droit.

Elle demande à la cour de :

condamner in solidum la SA Allianz IARD et la société Eiffage [Adresse 11] à lui payer la somme de 119 534 euros HT au titre des travaux de reprise de la voirie,

ordonner l'inscription au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Somotp de sa créance à hauteur de la somme de 29 883,50 euros HT (25% de 1 19 534 euros HT),

dire que dans leurs rapports entre elles, la SA Allianz IARD et la société Eiffage [Adresse 11] devront contribuer à la dette dans les proportions suivantes : SA Allianz IARD : 25 % ; Eiffage [Adresse 11] : 75%,

condamner in solidum Maître [L], ès qualités de liquidateur de la société Somotp, ainsi que l'assureur de ce dernier, la compagnie Allianz IARD, à lui verser la somme de 10 000 euros pour résistance abusive,

condamner la société Eiffage [Adresse 11] à lui verser la somme de 5 000 euros pour abus de droit,

Subsidiairement, elle demande à voir :

condamner in solidum la SA Allianz IARD et la société Eiffage [Adresse 11] à lui payer la somme dc 119 534 euros HT au titre des travaux de reprise de la voirie,

ordonner l'inscription au passif de la liquidation judiciaire dc la SARL Somotp de sa créance à hauteur de la somme de 105 787,59 euros HT (88,5% de 119 534 euros HT),

dire que dans leurs rappons entre elles, la SA Allianz IARD et la société Eiffage [Adresse 11] devront contribuer à la dette dans les proportions suivantes :

La SA Allianz IARD : 88,5 %,

Eiffage [Adresse 11] : 11,5 %,

Elle demande en tout état de cause de voir débouter les parties de leurs demandes dirigées contre elle et de condamner in solidum Maître [L], ès qualités de liquidateur de la société Somotp, la SA Allianz IARD et la société Eiffage [Adresse 11] aux dépens avec droit de recouvrement direct, et à lui verser la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses conclusions enregistrées au greffe le 14 octobre 2021, la SA Allianz IARD demande à la cour d'appel de réformer le jugement déféré sauf en ce qu'il a jugé que la société Eiffage [Adresse 11] a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de la SCI Plein Sud et débouté la SCI Plein Sud de ses demandes de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive. Elle sollicite de voir juger recevable son appel incident et de voir :

juger qu'elle n'est pas prescrite dans ses demandes à l'encontre de la société Eiffage [Adresse 10],

juger que la SCI Plein Sud ne dispose d'aucun intérêt à agir,

débouter la SCI Plein Sud de l'intégralité de ses demandes.

Elle demande sa mise hors de cause.

Subsidiairement, elle demande à la cour de :

juger que dans leurs rapports entre elles, la compagnie Allianz IARD et la société Eiffage [Adresse 11] devront contribuer à la dette à proportion de 25 % pour la première et de 75 % pour la seconde,

condamner la société Eiffage [Adresse 10] à la relever et garantir indemne la compagnie Allianz IARD pour le surplus,

débouter la SCI Plein Sud de sa demande de réparation du préjudice matériel sur une base TTC,

rejeter la demande de condamnation pour résistance abusive formulé par la SCI Plein Sud,

juger que les condamnations des parties succombantes au titre des frais irrépétibles et des dépens doivent être opérées à proportion des parts de responsabilité leur incombant respectivement, et non par part virile.

En tout état de cause, elle sollicite de voir condamner Ia SCI Plein Sud et la société Eiffage [Adresse 10] aux entiers dépens et à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance en date du 23 avril 2025.

Pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et à la décision déférée.

MOTIFS

Sur la question de la prescription des demandes de la SCI Plein Sud à l'égard de la SNC Eiffage [Adresse 10] (anciennement dénommée Eiffage [Adresse 11])

Le tribunal a estimé que les demandes de la SCI Plein Sud à l'égard de la SNC Eiffage n'étaient pas prescrites en application de l'article 2224 du code de procédure civile, le point de départ de la prescription quinquennale étant le 21 décembre 2015, date de dépôt du rapport de l'expert [Y] aux termes duquel la SCI Plein Sud a eu connaissance des désordres.

La SCI Plein Sud souscrit à cette analyse, soulignant que la SCI Plein Sud est réputée constructeur au sens de l'article 1792-1 du code civil. Elle soutient en revanche que le point de départ du délai de prescription se situe au 1er octobre 2018, date du rapport d'expertise judiciaire qui a pleinement mis en lumière la responsabilité de la SNC Eiffage. Elle ajoute que si le point de départ du délai de prescription était fixé à la date de la réception, ses demandes dirigées contre la SNC Eiffage ne seraient pas prescrites eu égard d'une part à la suspension du délai de prescription pendant l'expertise judiciaire, d'autre part au fait que les réserves ont été levées le 31 mai 2020, cette date devant être retenue comme point de départ de la prescription.

Toutefois, la SCI Plein Sud, qui agit en l'espèce en qualité de maître d'ouvrage et non en qualité de constructeur, puisqu'elle n'est réputée constructeur de l'ouvrage au sens de l'article 1792-1 du code civil en sa qualité de promoteur immobilier qu'à l'égard des acquéreurs des lots, disposait, en application des dispositions de l'article 1792-4-2 du code civil d'un délai de dix années à compter de la réception des travaux pour exercer une action en responsabilité contre la SNC Eiffage en sa qualité de sous-traitant de la SARL Somotp.

Ce délai n'étant pas un délai de prescription mais un délai de forclusion, il n'est pas susceptible d'interruption. Il n'a donc pas été interrompu pendant le temps de l'expertise judiciaire.

Il a commencé à courir à la réception de l'ouvrage, soit le 6 octobre 2008, la date de levée des réserves étant sans incidence sur la date de la réception, de sorte qu'il a expiré le 6 octobre 2018.

Les demandes de la SCI Plein Sud ayant été formulées à l'encontre de la SNC Eiffage le 25 octobre 2008, elles se trouvent prescrites.

Le jugement déféré sera par conséquent infirmé sur ce point et les demandes de la SCI Plein Sud à l'égard de la société Eiffage [Adresse 11] seront déclarées prescrites.

Sur la qualité et l'intérêt à agir de la SCI Plein Sud

La SA Allianz IARD soutient de nouveau en cause d'appel que la SCI Plein Sud n'aurait pas qualité à agir puisque les lots ont nécessairement été commercialisés, la réception datant de 2008, et qu'elle n'a dès lors pas pu conserver la propriété des voiries sur lesquelles les travaux ont été effectués, lesdites voiries appartenant désormais soit à la commune ou à un établissement public de coopération communale, soit à l'association syndicale libre des acquéreurs des lots, soit encore aux acquéreurs des lots.

La SCI Plein Sud prétend pour sa part que les lots n'ont pas tous été commercialisés et qu'elle reste propriétaire de la parcelle sur laquelle ont été effectués les travaux litigieux.

Ainsi que parfaitement relevé par le tribunal, la SCI Plein Sud justifie être propriétaire de la parcelle sur lesquels les travaux litigieux ont été réalisés (attestation notariée en date du 26 août 2019).

Dans ces conditions, elle a bien qualité et intérêt à agir, et le jugement sera sur ce point confirmé.

Sur la nature des désordres

Le tribunal, relevant que les désordres étaient apparus postérieurement à la réception et dans le délai décennal, a estimé que l'ouvrage, au vu notamment du rapport d'expertise judicaire, était rendu impropre à sa destination.

La SA Allianz IARD conteste de caractère actuel de l'impropriété à destination retenue.

L'expert judiciaire (p 35 du rapport d'expertise judiciaire) estime que '(') la stabilité et la solidité de l'ouvrage sont en cours d'évolution et rendront la voie impropre à l'usage à laquelle elle est destinée en l'affectant dans ses éléments constitutifs de par sa faible capacité structurelle'.

Ainsi, si les désordres sont apparus postérieurement à la réception et dans le délai décennal, l'expert considère qu'à la date du dépôt du rapport d'expertise (le 1er octobre 2018, soit quelques jours avant l'expiration du délai décennal, le 6 octobre 2018) lesdits désordres ne rendaient pas encore l'ouvrage impropre à sa destination.

Certes, l'expert considère que la stabilité et la solidité de l'ouvrage sont en cours d'évolution et aboutiront à une impropriété à destination, mais cette impropriété à destination ne s'est manifestement pas réalisée dans le délai décennal.

Dans ces conditions, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité décennale de la SRL Somotp au titre des désordres.

Sur la garantie de la SA Allianz IARD

Ainsi qu'il n'est pas contesté, la SA Allianz IARD doit sa garantie décennale à la SARL Somotp.

La responsabilité décennale de la SARL Somotp n'étant pas engagée, la SCI Plein Sud sera déboutée de ses demandes dirigées à l'encontre de la SA Allianz IARD.

L'appel en garantie de la SA Allianz IARD à l'égard de la SNC Eiffage devient quant à lui sans objet.

Sur les chefs de jugement ayant ordonné l'inscription au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Somotp de la créance de la SCI Plein Sud à hauteur de la somme de 28 688,20 euros et mis la société Egbt hors de cause

Ces chefs de jugement n'étant pas discutés devant la cour, ils seront confirmés.

Sur les frais irrépétibles non compris dans les dépens et les dépens

Eu égard à l'issue du litige, mais également à la réalité des désordres constatés par l'expert judiciaire, les parties seront déboutées de leurs demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI Plein Sud, qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, par jugement réputé contradictoire,

Infirme le jugement rendu le 9 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Perpignan sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la SCI Plein Sud, ordonné l'inscription au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Somotp de la créance de la SCI Plein Sud à hauteur de la somme de 28 688,20 euros, mis la société Egbt hors de cause et débouté la SCI Plein Sud de ses demandes de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive ;

Statuant des chefs infirmés,

Déclare prescrites les demandes de la SCI Plein Sud à l'égard de la société Eiffage [Adresse 11] ;

Déboute la SCI Plein Sud de ses demandes à l'égard de la SA Allianz IARD ;

Déboute les parties de leurs demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI Plein Sud aux dépens.

le greffier le président

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