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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 11 mars 2014, n° 12/17653

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Société B PARK REAL ESTATE PARTNER I LP INCORPORATED, B PARK REAL ESTATE PARTNERS II LP INCORPORATED

CA Paris n° 12/17653

10 mars 2014

La S.A de droit français Y (Y) a décidé à la fin de l'année 2006 de réviser sa stratégie de gestion de son portefeuille hôtelier et entrepris de faire appel à cet effet à des investisseurs à long terme désireux d'investir dans 91 établissements hôteliers situées en Allemagne et aux Pays-Bas, dans le cadre d'une opération simultanée de cession-bail ('sale and lease-back'), la vente des murs des hôtels devant s'accompagner d'une location immédiate au profit de ses filiales, Y entendant conserver l'exploitation des hôtels concernés.

C'est dans ces conditions qu'Y a conclu le 4 mars 2007 avec les sociétés en commandite soumises au droit de Guernesey (Îles anglo-normandes) B PARK REAL ESTATE PARTNERS I LP et B PARK REAL ESTATE PARTNERS II LP Incoporated (qui seront collectivement désignées sous le nom B PARK) un contrat expressément qualifié intuitu personae intitulé 'Contrat cadre au titre de certains éléments d'actif allemands et néerlandais et d'éléments passifs néerlandais' dans lequel les parties faisaient part de leur intention d' 'organiser… un dispositif de partenariat à long terme' puis le 29 juin 2007 un accord de partenariat stratégique (Strategic Partnering Agreement, ci-après le « SPA »).

Au terme des ces opérations, B PARK directement ou par ses entités affiliées est devenu propriétaire des locaux transférés, un bail commercial étant conclu pour chaque hôtel entre un membre du groupe de l'investisseur et une entité affiliée néerlandaise ou allemande d'Y, ce pour une durée minimale de 12 ans et, à la seule discrétion d'Y, d'une durée maximale de 84 ans.

Les parties s'opposant sur l'interprétation de l'article 11 du SPA, inséré à la demande de Merryll Lynch et de la Société Générale, établissements financiers ayant financé 85% de l'opération, disposition prévoyant un droit dérogatoire de résiliation en faveur du bailleur si le chiffre d'affaires réalisé par un des hôtels concernés venait à être inférieur à certains seuils, B PARK a saisi la Cour arbitrale de la Chambre de commerce internationale (CCI) d'une demande d'arbitrage en application de la clause compromissoire stipulée à l'article 17.3 du SPA à l'effet de voir prononcer 'sur la confirmation du sens et de la portée de l'une des stipulations de l'un des documents contractuels, à savoir l'article 11 du SPA' .

C'est dans ces conditions que le tribunal arbitral constituée sous l'égide de la CCI de Messieurs Laurent Lévy (Président), F Z et D E, arbitres, a par une sentence rendue à Paris, le 3 septembre 2012, à la majorité de ses membres, une opinion dissidente étant exprimée par Monsieur Z, jugé et déclaré que :

« (1) Pour chacun des Huit Hôtels, en vertu des articles 11.1 et 11.6 du SPA, la Défenderesse est tenue de faire en sorte que ses filiales concernées :

— mettent en 'uvre le mécanisme de liste de surveillance conformément à l'article 11.6; et – acceptent et respectent tout congé donné par application du droit exceptionnel de résiliation des Baux par le Bailleur concerné si, à quelque moment que ce soit au cours des trois exercices suivants ' se clôturant le 31 décembre 2012 ' le montant du chiffre d'affaires du ou des Hôtels concernés baisse à nouveau de 20 % ou plus par rapport à l'exercice au cours duquel cette nouvelle baisse est subie (exercices « N-2 » ou « N-1 »).

(2) Au titre de chacun et/ou de tout ou partie des Cinq Hôtels, en vertu des articles 11.1 et 11.7 du SPA, les Demanderesses peuvent faire en sorte que leurs filiales concernées soient en mesure de donner aux filiales concernées de la Défenderesse un congé exceptionnel de résiliation du Bail.

(3) Au titre de chacun et/ou de tout et partie des Cinq Hôtels, en vertu des articles 11.1 et 11.7 du SPA, la Défenderesse est tenue de faire en sorte que ses filiales concernées acceptent et respectent tout congé donné par application du droit exceptionnel de résiliation des Baux par le Bailleur concerné.

(4) Chaque Partie prendra en charge sa part propre des frais de l'arbitrage (frais administratifs et honoraires/frais des arbitres).

(5) La Défenderesse paiera la somme de 508.713,74 livres sterling aux Demanderesses au titre de leurs honoraires d'avocats et autres frais, avec des intérêts simples arrêtés sur la base du taux GBP-X, courant de la date de notification de la Sentence jusqu'à la date de paiement des honoraires et frais susvisés.

(6) Toutes autres demandes et requêtes sont rejetées" .

Par acte du 3 janvier 2013, Y a formé un recours en annulation à l'encontre de cette sentence.

Vu les conclusions récapitulatives n°2 signifiées le 14 janvier 2014 par Y aux termes desquelles il est demandé à la cour au visa des articles 1482, 1506, 1510, 1512, 1520 du Code de procédure civile de :

— dire que le Tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ;

En conséquence :

— annuler la sentence arbitrale rendue le 3 septembre 2012 ;

— condamner B Park à payer à Y la somme de 35.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens.

Vu les conclusions signifiées le 28 novembre 2013 par B PARK tendant au rejet de la demande et à la condamnation d'Y au paiement d'une somme de 120.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens ;

SUR QUOI,

— Sur le moyen d'annulation tiré de ce que les arbitres ne se sont pas conformés à leur mission (article 1520 3° du Code de procédure civile) et de ce que le tribunal arbitral a manqué à son obligation de motivation (articles 1482 et 1506 du Code de procédure civile).

Y fait valoir que le Tribunal arbitral, saisi d'une action de nature déclaratoire s'est abstenu en se bornant à statuer sur l'interprétation et l'application de certaines stipulations contractuelles, de s'interroger sur l'utilisation qui serait faite de la sentence, s'interdisant de la sorte toute appréciation du caractère équitable ou non des effets de sa décision.

Elle considère plus largement que la nature déclaratoire de la sentence est incompatible avec la mission de statuer en amiable composition et relève que le Tribunal a mis lui-même en évidence 'la contrariété fondamentale'à vouloir concilier une mission d'amiable composition avec une demande dont le caractère met les arbitres dans l'impossibilité d'apprécier les conséquences de la sentence qu'ils vont rendre et partant leur caractère équitable ou non.

Y soutient qu'en rendant une décision de caractère général, sans la confronter à la situation particulière de chacun des 13 hôtels pour lesquels B Park demandait l'application du contrat et en ne recherchant pas si la décision était conforme à l'équité hôtel par hôtel, le Tribunal arbitral a manqué à sa mission de statuer en amiable composition dès lors qu' "il était de [son] office de procéder à l'évaluation des différentes options possibles offertes à B Park résultant de l'interprétation donnée par lui des clauses afin de ne retenir que les options équitables au regard de la situation des différents hôtels'.

Y prétend enfin que le tribunal arbitral a manqué à son obligation de motiver en équité sa décision ainsi qu'il y était tenu tant par les articles 1482 et 1506 du Code de procédure civile que par l'article 25, 2° du Réglement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 1998.

Considérant qu'aux termes de l'article 17.3 du Strategic Partnering Agreement (SPA) les parties sont convenues de soumettre à l'arbitrage les différends nés de l'interprétation du contrat ;

qu'Y ne conteste plus contrairement à ce qu'elle avait soutenu devant le tribunal arbitral, la recevabilité d'une action déclaratoire ;

qu'une telle action n'est nullement antinomique de la mission donnée aux arbitres, aux termes de la clause compromissoire convenue entre les parties, de statuer en amiable composition ;

qu'en effet, le caractère d'une telle action m'emporte pas nécessairement une solution en droit en ce qu'elle n'est nullement exclusive de la possibilité pour les arbitres de se prononcer en équité sur la question qui leur est posée ;

Considérant qu'il ne peut être fait grief au tribunal arbitral d'avoir prononcé par voie de décision à caractère général sans examiner concrètement la situation de chacun des établissements qui pour avoir été placés sur la liste de surveillance instituée en application de l'article 11.6 du SPA étaient susceptibles d'être concernés à terme, sauf redressement de leur chiffre d'affaires, par l'application du droit exceptionnel de résiliation du bail commercial ouvert au bailleur par l'article 11.7 dudit SPA dès lors qu'au regard des limites de leur saisine, les arbitres ne pouvaient envisager, dans le cadre d'une action déclaratoire, faute de connaître les conditions dans lesquelles B Park choisirait de mettre en oeuvre ultérieurement ses droits, les conséquences effectives de l'exécution des dispositions contractuelles dont l'interprétation leur était soumise ;

Considérant que dans sa décision, le tribunal arbitral a pris soin, après avoir rappelé qu'il avait reçu mission de statuer en amiable composition et analysé précisément ses obligations à ce titre (paragraphes 413 à 417 de la sentence), de relever d'une part que 'la survenance de la crise financière ne suffit pas en soi à exclure l'application de l'article 11 du SPA ou à en atténuer les effets' (paragraphe 422), d'autre part que 'le dossier n'établit qu'il serait juste et favorable à la relation à long terme entre les parties de refuser à B Park la protection particulière de l'article 11 du SPA dans les circonstances particulières de cette affaire' (paragraphe 423), enfin que 'la majorité du Tribunal ne voit de raison valable de s'écarter de l'application de la solution contractuelle' (paragraphe 424);

qu'il a également précisé qu'il entendait s'attacher 'aux conséquences pratiques de sa sentence' dans la mesure même où 'dans le cadre d'une amiable composition, il est nécessaire de déterminer que la décision amène effectivement à une solution équitable' (paragraphe 431) et tout en admettant qu'il n'était pas en mesure de connaître dans quelles conditions B Park exercerait ses droits, a expressément retenu qu''il n'y a rien d'inique à juger qu'une partie peut choisir d'exercer certains recours (contractuels) en lui laissant en dernière analyse le droit de préférer de les mettre en oeuvre en partie, intégralement ou pas du tout, ou de conclure des négociations avec son cocontractant' (paragraphe 433) pour considérer enfin que priver B Park 'd'exercer à un moment quelconque ses droits contractuels' conduirait à un 'résultat [qui] serait injuste et contraire aux attentes légitimes des parties' ;

Considérant dès lors que le tribunal arbitral contrairement à ce qui est prétendu par Y a, ce faisant, confronté à l'équité, sa décision rendue en droit et satisfait par-là même à son obligation de motivation ;

Considérant qu'ainsi, le tribunal arbitral n'encourt pas le grief du moyen qui doit

être rejeté avec le recours lequel ne tend en réalité qu'à obtenir la révision au fond de la sentence interdite au juge de l'annulation ;

Considérant qu'Y qui succombe, doit supporter les dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile et sera condamnée sur ce même fondement au paiement d'une somme de 100.000 euros.

PAR CES MOTIFS,

Rejette le recours en annulation formée par la S.A de droit français Y à l'encontre de sentence rendue à Paris, le 3 septembre 2012 dans l'instance l'opposant aux sociétés en commandite soumises au droit de Guernesey (Îles anglo-normandes) B PARK REAL ESTATE PARTNERS I LP et B PARK REAL ESTATE PARTNERS II LP Incoporated.

Déboute la S.A de droit français Y de ses demandes.

Condamne la S.A de droit français Y aux dépens et au paiement d'une somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

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