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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 4 septembre 2025, n° 21/01385

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

AMP Automatisme (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gerard

Conseillers :

Mme Combrie, Mme Vincent

Avocats :

Me Mairau-Courtois, Me Schreck

T. com. Draguignan, du 15 déc. 2020, n° …

15 décembre 2020

EXPOSE DU LITIGE

La société AMP Automatisme, soupçonnant des actes de concurrence déloyale de la part de deux de ses anciens salariés, M. [G] [M] et M. [T] [Y], a initié en 2017 diverses mesures d'investigation par voie de requêtes auprès du président du tribunal de commerce de Draguignan. M. [G] [M] et M. [T] [Y] ont sollicité pour leur part l'appréhension de certains documents auprès de la société AMP Automatisme.

A la suite de ces mesures, la société AMP Automatisme a fait assigner M. [G] [M] et M. [T] [Y] les 11 et 22 décembre 2017 devant le tribunal de commerce de Draguignan afin d'obtenir la condamnation de M. [G] [M] à lui payer la somme de 160 000 euros de dommages et intérêts, celle de M. [T] [Y] à lui payer la somme de 110 000 euros de dommages et intérêts, outre leur condamnation solidaire à la somme de 5 000 euros pour préjudice moral.

La société AMP Automatisme a sollicité en outre la publication de la décision, ainsi que le paiement des frais et dépens par la partie adverse.

Le 20 juin 2018 M. [G] [M] et M. [T] [Y] ont assigné à leur tour la société AMP Automatisme afin d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice à hauteur des montants suivants :

- 270 000 euros de dommages et intérêts au bénéfice de M. [G] [M] outre 5 000 euros pour préjudice moral,

- 180 000 euros de dommages et intérêts au bénéfice de M. [T] [Y] outre 5 000 euros pour préjudice moral

Les deux affaires ont été jointes par le tribunal de commerce.

Par jugement en date du 15 décembre 2020 le tribunal de commerce de Draguignan a :

- Dit et jugé que Monsieur [G] [M] et Monsieur [T] [Y] sont responsables d'avoir effectué des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société AMP Automatisme Sarl.

- Condamné Monsieur [G] [M] au paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts à la société AMP Automatisme Sarl.

- Condamné Monsieur [T] [Y] au paiement de la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts à la société AMP Automatisme Sarl.

- Ordonné la publication de la décision de ce jugement aux frais partagés de Monsieur [G] [M] et Monsieur [T] [Y] dans le quotidien Var Matin, éditions de [Localité 5] et [Localité 3].

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

- Condamné solidairement Monsieur [G] [M] et Monsieur [T] [Y] à payer à la société AMP Automatisme Sarl la somme totale de 1.200 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- Condamné solidairement Monsieur [G] [M] et Monsieur [T] [Y] aux entiers dépens de la présente instance, et dit et jugé que M. [T] [Y] devra régler également les dépens résultant du constat d'huissier en application de l'ordonnance du 01/06/2017.

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

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Par acte du 29 janvier 2021 M. [T] [Y] a interjeté appel du jugement (RG 21/01388).

Par acte du même jour M. [G] [M] a également interjeté appel (RG 21/01385).

Par décision en date du 26 mars 2021 le magistrat de la mise en état a ordonné la jonction des deux procédures sous le numéro 21/01385.

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Par dernières conclusions notifiées par voie dématérialisée le 24 février 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [T] [Y] et M. [G] [M] demandent à la cour de :

Vu les articles 1382 et suivants anciens du Code civil ;

Vu les articles 1240 et suivants du Code civil ;

Infirmer le jugement rendu le 15 décembre 2020 par le Tribunal de commerce de Toulon en ce qu'il a :

« dit et jugé que Monsieur [G] [M] et Monsieur [T] [Y] sont responsables d'avoir effectué des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société AMP Automatisme Sarl.

« condamné Monsieur [G] [M] au paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts à la société AMP Automatisme Sarl.

« Condamné Monsieur [T] [Y] au paiement de la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts à la société AMP Automatisme Sarl.

« Ordonné la publication de la décision de ce jugement aux frais partagés de Monsieur [G] [M] et Monsieur [T] [Y] dans le quotidien Var Matin, éditions de [Localité 5] et [Localité 3].

« Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

« Condamné solidairement Monsieur [G] [M] et Monsieur [T] [Y] à payer à la société AMP Automatisme Sarl la somme totale de 1.200 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile.

« Condamné solidairement Monsieur [G] [M] et Monsieur [T] [Y] aux entiers dépens de la présente instance, et dit et juge que Monsieur [T] [Y] devra régler également les dépens résultant du constat d'huissier en application de l'ordonnance du 01/06/2017.

« Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision. »

Statuant de nouveau :

Rejeter l'existence d'une concurrence déloyale commise par Monsieur [G] [M] et Monsieur [Y] au préjudice de la SARL AMP Automatisme.

Retenir l'existence d'une concurrence déloyale commise par la Sarl AMP Automatisme au préjudice de Monsieur [G] [M] et Monsieur [Y].

Débouter la Sarl AMP Automatisme de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

Condamner la Sarl AMP Automatisme à régler à Monsieur [G] [M] la somme de 270.000 € au titre de ses dommages et intérêts ;

Condamner la Sarl AMP Automatisme à régler à Monsieur [T] [Y] la somme de 180.000 € au titre de ses dommages et intérêts ;

Condamner la Sarl AMP Automatisme à régler à Monsieur [G] [M] la somme de 5.000 € au titre de son préjudice moral ;

Condamner la Sarl AMP Automatisme à régler à Monsieur [T] [Y] la somme de 5.000 € au titre de son préjudice moral ;

Condamner la Sarl AMP Automatisme à régler à Monsieur [G] [M] et Monsieur [T] [Y], la somme de 5.000 € chacun sur le fondement de l'article 700 du CPC

Condamner la Sarl AMP Automatisme aux entiers dépens de première instance et d'appel.

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Par dernières conclusions notifiées par voie dématérialisée le 11 juin 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société AMP Automatisme (Sarl) demande à la cour de :

Vu les articles 1382 et 1383 anciens et 1240 et 1241 nouveaux du Code Civil,

Confirmer le jugement dont appel, en ce qu'il a qualifié les actes de concurrence déloyale.

Déclarer Messieurs [G] [M] et [T] [Y] responsables d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société AMP Automatisme

Débouter les appelants de leurs demandes.

Recevoir la société AMP Automatisme en son appel incident et en conséquence :

Condamner Monsieur [G] [M] au paiement de la somme de 160.000 € de dommages et intérêts.

Condamner Monsieur [T] [Y] au paiement de la somme de 110.000 € de dommages et intérêts.

Les condamner solidairement au paiement de la somme de 5.000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Ordonner la publication, par extrait de la décision à intervenir, aux frais des défendeurs, dans le quotidien Var Matin, éditions de [Localité 5] et de [Localité 3].

Condamner solidairement Messieurs [M] et [Y] à payer à la société AMP Automatisme la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile

Les condamner aux entiers dépens, comprenant le coût des constatations des Huissiers désignés par Monsieur le Président du Tribunal de Commerce.

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Le magistrat de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 28 avril 2025 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 22 mai 2025.

MOTIFS

Sur les faits de concurrence déloyale :

Au soutien de leur appel, M. [G] [M] et M. [T] [Y] contestent tout acte de concurrence déloyale de leur part en rappelant qu'ils n'étaient tenus d'aucune clause de non-concurrence et qu'aucune faute n'est démontrée, notamment au regard des attestations produites, lesquelles ne respectent pas en outre les prescriptions des articles 202 du code de procédure civile. Ils contestent également la production de certaines pièces recueillies dans le cadre d'une ordonnance sur requête annulée par la cour d'appel.

M. [G] [M] et M. [T] [Y] dénoncent l'intention de nuire de la société AMP Automatisme qui entend répercuter la baisse de son chiffre d'affaires sur ses anciens salariés alors que celle-ci ne procède que des choix et de la gestion financière de l'entreprise, et ils mettent en exergue le trouble commercial engendré par l'attitude de la société AMP Automatisme à leur encontre.

En réplique, la société AMP Automatisme fait valoir qu'il ressort des diverses attestations produites que M. [G] [M] et M. [T] [Y] ont démarché sa propre clientèle, notamment alors qu'ils étaient encore salariés, en dénigrant la société et en la présentant comme au bord du dépôt de bilan. Elle relève en outre que cette entreprise de déstabilisation a entraîné une baisse de son chiffre d'affaires, facilitée par le statut d'auto-entrepreneurs de M. [G] [M] et M. [T] [Y] et l'absence notamment de coûts de publicité.

Sur ce, aux termes de l'article 1240 du code civil tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

A cet égard, la concurrence existant entre deux entreprises, spécialisées dans un secteur de marché similaire, ne constitue pas en soi un acte fautif en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

De même, en l'absence de clause de non-concurrence, ne constitue pas une faute le fait pour des salariés de constituer une société concurrente de celle de leur ancien employeur en utilisant l'expérience professionnelle acquise précédemment, ni le fait de démarcher la clientèle d'autrui dès lors que ce démarchage ne s'accompagne d'aucun acte déloyal.

En revanche, la concurrence est déloyale lorsqu'elle procède d'agissements fautifs contraires aux règles de probité professionnelle applicables dans les activités économiques.

Ainsi, la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur les produits ou services d'un concurrent constitue un dénigrement. Et un préjudice, fût-il seulement moral, s'infère nécessairement d'un acte de dénigrement (Cass. Com. 26 juin 2024, n°23-11.020).

En l'espèce, et à titre liminaire, il convient de préciser que le procès-verbal établi sur la base d'une ordonnance rétractée est nul et inopposable à quelque titre que ce soit.

Ainsi, la société AMP Automatisme n'est pas fondée à se prévaloir du procès-verbal de constat établi le 25 juillet 2017 par Maître [U] [E] (pièce 13 de la société intimée) à la suite de l'ordonnance sur requête rendue le 24 mai 2017 par le président du tribunal de commerce de Draguignan dès lors que cette ordonnance a fait l'objet d'une rétractation par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 24 mai 2018 (pièce 20 des appelants). La pièce 13 est dès lors écartée des débats.

En outre, il convient de rappeler que les formalités imposées par les articles 202 et suivants du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité et que le juge peut en tout état de cause apprécier souverainement si une attestation non conforme à l'article 202 présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

Au cas d'espèce, il ressort des pièces communiquées que M. [G] [M] a été licencié pour motif économique par la société AMP Automatisme le 3 juillet 2014 et M. [T] [Y] pour le même motif le 14 mars 2016.

Ils ont par la suite créé une activité concurrente de celle de la société AMP Automatisme sous le statut d'auto-entrepreneurs, étant relevé que les contrats de travail de M. [G] [M] et M. [T] [Y] ne comportaient pas de clause de non-concurrence. Il n'est pas contesté que partie de leur clientèle était composée d'anciens clients de leur employeur, tel que cela ressort des propres attestations communiquées aux débats par les appelants et de la comparaison avec les clients listés par la société AMP Automatisme.

En premier lieu, la concurrence déloyale dénoncée par la société AMP Automatisme, qui procéderait de la forme juridique de l'activité exercée en qualité d'auto-entrepreneurs par d'anciens salariés, ne s'apparente pas à un agissement prohibé ou déloyal, chaque acteur économique étant libre d'exercer sous la forme sociale de son choix, dans la limite des règles légales.

En second lieu, le dénigrement d'une société par un concurrent, en ce qu'il porte atteinte à l'image de marque de la société dénigrée et induit une forme de suspicion à son égard, constitue un procédé déloyal visant à jeter le discrédit sur la société afin notamment d'en détourner la clientèle. Ce procédé est dès lors constitutif d'une concurrence déloyale.

Si les attestations produites par M. [G] [M] et M. [T] [Y], établies par d'anciens clients de la société AMP Automatisme, témoignent de l'absence de propos malveillants ou dénigrants de la part des deux anciens salariés, ces témoignages ne sont pas incompatibles avec ceux produits par ailleurs par la société AMP Automatisme de la part d'autres clients, aux termes desquels, au contraire, il apparaît que l'activité de M. [G] [M] et M. [T] [Y] s'est développée notamment en jetant le discrédit sur la société AMP Automatisme, en ce que les propos tenus par ces derniers, alléguant que la société était en passe de déposer son bilan, ont nécessairement induit dans l'esprit de ses clients, essentiellement des particuliers, une suspicion sur ses capacités à honorer ses chantiers.

Ainsi, la défiance distillée dans l'esprit de la clientèle par les allégations de M. [G] [M] et M. [T] [Y] sur les capacités de la société à assumer la poursuite de ses activités a participé à détourner partie de cette clientèle au profit de M. [G] [M] et M. [T] [Y], quand bien même ces derniers ont fait l'objet d'un licenciement économique avéré (pièces 6 et 7 de la société AMP Automatisme).

Ainsi, Mme [W] relate la venue de M. [T] [Y] pour la pose d'une climatisation en précisant que celui-ci l'a informée « que l'entreprise AMP était fort mal en point étant le seul personnel non licencié donc une entreprise avec un avenir financier très incertain » (pièce 26 de l'intimée).

Les époux [A][R] évoquent également le « dépôt de bilan » avancé par M. [G] [M] et M. [T] [Y] pour proposer leurs services (pièce 28) tandis que les époux [C] font également état de la proposition de M. [G] [M] « pour commander des produits pour moins cher » et ce, alors que celui-ci était salarié de la société AMP Automatisme (pièce 29).

Les attestations produites par la société AMP Automatisme, outre l'absence de formalisme imposé par des articles 202 et suivants du code de procédure civile, ne caractérisent pas toutes un procédé déloyal. Ainsi, l'évocation de leur seul licenciement par les deux salariés est insuffisant à caractériser à elle-seule un acte de dénigrement. En outre, la relation personnelle qu'ont pu développer M. [G] [M] et M. [T] [Y] avec la clientèle, de par leur présence sur le terrain en leur qualité de vendeur et de technicien pour le premier et de technicien pour le second, a favorisé l'émergence d'une proximité incitant les clients à placer leur confiance dans les salariés intervenant à leur domicile, et ce, d'autant qu'il n'est pas contesté que les salariés ne disposaient pas de téléphone dédié à leur activité professionnelle.

Ainsi, il ressort des attestations produites par M. [G] [M] et M. [T] [Y] que certains évoquent tantôt des « liens amicaux » noués avec M. [G] [M], ou encore « un familier et un ami » pour M. [T] [Y] et nient tout propos dénigrant à l'encontre de la société AMP Automatisme.

Néanmoins, les pièces produites au dossier, par leur concordance et leur crédibilité, permettent de corroborer les actes de dénigrement dénoncés par la société AMP Automatisme, lesquels ont contribué au détournement de la clientèle, sans pour autant, en constituer la cause unique au regard des éléments relevés ci-dessus.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société AMP Automatisme.

Sur le trouble commercial et la perte de chance :

S'agissant des faits allégués par M. [G] [M] et M. [T] [Y] à l'encontre de la société AMP Automatisme, au titre d'un trouble commercial et d'une perte de chance, il ressort du témoignage de Mme [L] [I] (pièce 4) que celle-ci a dénoncé le comportement excessif de M. [O], représentant de la société AMP Automatisme, après la découverte de l'activité concurrente développée par ses anciens salariés, celui-ci n'hésitant pas à manifester ouvertement sa colère et son mécontentement devant elle. Il est également mis en exergue la pose d'autocollants au nom de la société AMP Automatisme sur des volets installés par M. [T] [Y] (pièce 22).

Pour autant, ces faits, circonscrits à deux attestations, s'ils traduisent à tout le moins une réaction excessive de M. [O] face à la concurrence développée par M. [T] [Y] et M. [G] [M], s'agissant en outre d'une société rencontrant d'ores et déjà des difficultés économiques, sont insuffisants à justifier le trouble commercial ou la perte de chance allégués par les deux entrepreneurs, étant observé en outre que leur licenciement a nécessairement induit une concurrence entre trois acteurs économiques positionnés sur un même marché et sur un secteur géographique similaire ([Localité 3]-[Localité 5]), expliquant les difficultés économiques invoquées.

Le jugement est dès lors confirmé également en ce qu'il a débouté M. [T] [Y] et M. [G] [M] de leur demande de ce chef.

Sur le préjudice subi par la société AMP Automatisme :

La société AMP Automatisme soutient que l'effondrement de son chiffre d'affaires en 2014, 2015 et 2016 est proportionnel à l'essor du chiffre d'affaires de M. [G] [M] et M. [T] [Y], lesquels ont généré un revenu de 300 000 euros grâce à leurs man'uvres déloyales. Elle fait grief aux premiers juges d'avoir retenu une indemnisation symbolique à hauteur de 15 000 euros, qui n'est pas en relation avec son préjudice et constitue au contraire une incitation à la poursuite de tels actes.

Sur ce, le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle.

En matière de concurrence déloyale, la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de son concurrent, modulé à proportion du volume d'affaires de la partie affectée par ces actes.

En l'espèce, la société AMP Automatisme produit une attestation de M. [F] [Z], expert-comptable, exposant les chiffres d'affaires réalisés par la société sur les périodes du 1er juillet 2013 au 28 février 2014, du 1er juillet 2014 au 28 février 2015, du 1er juillet 2015 au 28 février 2016 et du 1er juillet 2016 au 28 février 2017 (pièce 2 de la société intimée).

Il ressort effectivement de cette attestation que le chiffre d'affaires de la société AMP Automatisme, évalué à 230 504 euros hors taxes avant le licenciement de M. [G] [M] le 3 juillet 2014, a diminué pour les années suivantes pour atteindre 109 663 euros sur la dernière période.

Pour autant, cette baisse de chiffre d'affaires, qui ne peut être assimilée à une perte de marge, doit être examinée, d'une part, au regard du contexte des licenciements des deux salariés, lesquels ont été motivés dès 2014, soit avant la concurrence déloyale reprochée a minima à M. [G] [M], par le contexte économique, attestant que la baisse du chiffres d'affaires s'est inscrite dans une phase conjoncturelle indépendante du dénigrement à l'encontre de la société AMP Automatisme (pièces 6 et 7 de la société AMP Automatisme, lettres de licenciement).

D'autre part, le chiffre d'affaires généré du 1er juillet 2016 au 28 février 2017 à hauteur de 109 663 euros, et ce, alors que la société AMP Automatisme admet que seul M. [O], son gérant, était encore en activité, rapporté à la masse salariale, n'atteste pas nécessairement d'une baisse de marge mais atteste au contraire de volumes d'activité conséquents, étant observé que la société AMP Automatisme fait état d'un chiffre d'affaires de 93 000 euros pour M. [G] [M] sur la période du 1er juillet 2016 au 7 juillet 2017, et fait état d'un chiffre d'affaires de 110 000 euros pour M. [T] [Y] de juin 2016 au 10 février 2017.

Enfin, pour attester du chiffre d'affaires effectué par ses concurrents, la société AMP Automatisme produit aux débats les pièces numérotées 16 et 17, lesquelles sont en réalité constituées de factures émises à sa propre en-tête, dont il ne peut être tiré aucune conséquence probatoire, quand bien même elles correspondraient à des clients captés postérieurement par M. [G] [M] ou M. [T] [Y].

En conséquence, il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société AMP Automatisme échoue à établir la réalité d'un préjudice économique induit par les propos dénigrants tenus par M. [T] [Y] et M. [G] [M], outre l'intuitu personae évoqué ci-dessus, à l'origine de la volonté de certains clients de poursuivre leur collaboration avec ces derniers, indépendamment de la société à laquelle ils appartenaient.

Dès lors, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a condamné M. [G] [M] à payer à la société AMP Automatisme la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice économique et a condamné M. [T] [Y] à payer la somme de 5 000 euros au même titre.

De fait les demandes incidentes de la société AMP Automatisme tendant à voir majorer son préjudice économique sont sans objet.

En revanche, comme rappelé ci-dessus, un préjudice moral s'infère nécessairement d'un acte de dénigrement, de sorte que le jugement sera également infirmé de ce chef en ce qu'il a débouté la société AMP Automatisme de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Ainsi, statuant à nouveau, il y a lieu de faire droit à la demande de la société AMP Automatisme au titre du préjudice moral et de condamner in solidum M. [T] [Y] et M. [G] [M] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication de la présente décision, les faits de l'espèce ne justifiant pas une telle mesure au regard de leur rayonnement limité et de l'absence d'intérêt majeur pour le public concerné.

Sur le préjudice subi par M. [G] [M] et M. [T] [Y] :

M. [G] [M] et M. [T] [Y] invoquent leur préjudice matériel constitué du trouble commercial et de la perte de chance en raison des agissements de la société AMP Automatisme. Ils soulignent la perte de chiffre d'affaires générée sur leur activité et ajoutent qu'ils ont été affectés par les attaques et le dénigrement sur la qualité de leur travail auprès de leur clientèle après avoir travaillé pendant de nombreuses années pour la société AMP Automatisme, justifiant également leur préjudice moral.

Néanmoins, en l'état de l'absence de lien de causalité entre les faits reprochés à la société AMP Automatisme et les préjudices allégués par M. [T] [Y] et M. [G] [M], le jugement doit être confirmé en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts.

Sur les frais et dépens :

Chaque partie succombant partiellement en ses prétentions, il y a lieu de juger que chacune d'elles conservera la charge de ses frais et dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rappelle que la pièce 13, communiquée par la société AMP Automatisme, doit être écartée des débats au vu de l'arrêt rendu le 24 mai 2018 par la présente cour,

Infirme le jugement rendu le 15 décembre 2020 par le tribunal de commerce de Draguignan en ce qu'il a :

- condamné Monsieur [G] [M] au paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts à la société AMP Automatisme Sarl,

- condamné Monsieur [T] [Y] au paiement de la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts à la société AMP Automatisme Sarl,

- débouté la société AMP Automatisme Sarl de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral

Statuant à nouveau,

Déboute la société AMP Automatisme de ses demandes de dommages et intérêts au titre de son préjudice économique dirigées à l'encontre de M. [G] [M] et de M. [T] [Y],

Condamne in solidum M. [G] [M] et M. [T] [Y] à payer à la société AMP Automatisme la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Déboute la société AMP Automatisme de sa demande de publication par extrait de la décision à intervenir, aux frais des défendeurs, dans le quotidien Var Matin, éditions de [Localité 5] et de [Localité 3].

Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens.

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