Cass. crim., 24 septembre 2025, n° 24-84.249
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
N° W 24-84.249 F-B
N° 01087
SL2
24 SEPTEMBRE 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 SEPTEMBRE 2025
M. [J] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 28 septembre 2023, qui, pour abus de biens sociaux, abus de biens sociaux aggravé et exercice illégal de la profession de prestataire de services de paiement, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis probatoire, 20 000 euros d'amende, une interdiction définitive de gérer, cinq ans d'inéligibilité, des confiscations et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [J] [R], et les conclusions de M. Micolet, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 juin 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite d'une information, M. [J] [R] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs d'abus de biens sociaux aggravés, escroquerie en bande organisée et exercice illégal de l'activité d'intermédiaire en financement participatif.
3. Par jugement du 18 mars 2022, le tribunal l'a déclaré coupable d'escroquerie, abus de biens sociaux aggravés et exercice illégal de l'activité de prestataire de services de paiement, l'a condamné, notamment, à quatre ans d'emprisonnement, et a prononcé sur les intérêts civils.
4. M. [R] et le ministère public ont interjeté appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et cinquième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [R] coupable d'abus de biens sociaux réalisé ou facilité par interposition d'une personne établie à l'étranger s'agissant du versement par la société [1] de la somme de 32 000 euros à la société [2], alors « qu'en retenant que le versement par la société [1] de la somme de 32 000 euros à la société [2] avait été réalisé ou facilité par interposition de personne établie à l'étranger, à savoir la société [2] sis au Luxembourg, là où elle constatait que les fonds avaient été directement versés à cette société, ce dont il résultait que la seule personne morale étrangère qui était intervenue dans l'opération avait la qualité de destinataire des fonds et ne s'était pas interposée, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer le prévenu coupable d'abus de biens sociaux aggravé par l'interposition d'une personne morale de droit étranger au préjudice de la société [1] dont il était le dirigeant, l'arrêt attaqué énonce que la circonstance aggravante apparaît établie concernant la somme de 32 000 euros versée à la société [2] sise au Luxembourg, dont M. [R] était également le dirigeant.
8. En statuant ainsi, et dès lors que l'interposition d'une personne morale de droit étranger, au sens de l'article L. 242-6 du code de commerce, s'entend de l'interposition entre la société victime et le dirigeant prévenu, la cour d'appel a justifié sa décision.
9. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [R] coupable d'exercice illégal de l'activité de prestataire de services de paiement, alors :
« 1°/ que s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition de n'y rien ajouter ou de ne pas substituer des faits distincts à ceux de la prévention, sauf acceptation expresse par le prévenu d'être jugé sur des faits et circonstances non compris dans la poursuite ; qu'il résulte des pièces de la procédure que monsieur [R] était poursuivi du chef d'exercice illégal de l'activité d'intermédiaire en financement participatif pour avoir exercé une telle activité sans s'être immatriculé auprès du registre unique des intermédiaires ; qu'en déclarant le prévenu coupable du chef d'exercice illégal de l'activité de prestataire de services de paiement, infraction distincte, pour avoir fourni des services de paiement à titre de profession habituelle sans y avoir été habilité, sans constater l'acceptation expresse par le prévenu d'être jugé sur ces faits non compris dans la prévention, la cour d'appel a violé l'articles 388 du code de procédure pénale ;
2°/ en tout état de cause, que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'après avoir relevé que le prévenu n'avait jamais obtenu le moindre agréement auprès de l'APCR en tant qu'agent de services de paiement et la moindre immatriculation en tant qu'intermédiaire de financement participatif, la cour d'appel retient que le prévenu s'est rendu coupable du chef d'exercice illégal de l'activité de prestataires de services de paiement ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradictoire de motifs quant au point de savoir si monsieur [R] a été déclaré coupable uniquement du chef d'exercice illégal de l'activité de prestataire de services de paiement pour avoir fourni des services de paiement à titre de profession habituelle sans y avoir été habilité ou également du chef d'exercice illégal de l'activité d'intermédiaire en financement participatif pour avoir exercé une telle activité sans s'être immatriculé auprès du registre unique des intermédiaires et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Dès lors que le tribunal a procédé, dans son jugement, à la requalification critiquée, le moyen, nouveau et mélangé de fait, est irrecevable en sa première branche.
12. Tant les motifs que le dispositif de l'arrêt étant dépourvus d'ambiguïté sur l'infraction pour laquelle M. [R] a été condamné, la mention de l'absence d'immatriculation en tant qu'intermédiaire de financement participatif étant surabondante, le moyen manque en fait en sa seconde branche.
13. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de parties civiles de MM. [U] [C], [D] [T], [W] [O] et [K] [B], a déclaré entièrement responsable de leur préjudice et l'a condamné à payer, au premier, la somme de 412,10 euros en réparation de son préjudice matériel, au deuxième, les sommes de 4 593,20 euros en réparation de son préjudice matériel et 200 euros en réparation de son préjudice moral, et au troisième, la somme de 940,08 euros en réparation de son préjudice matériel, alors « que si le délit d'exercice illégal de l'activité de prestataire de services de paiement est susceptible de causer aux victimes un préjudice résultant directement du non-respect des obligations statutaires édictées aux articles L. 521-1 à L. 521-4 du code monétaire et financier, il appartient aux juges d'établir un lien direct entre au moins l'un des manquements sanctionnés, précisément identifié, et le préjudice financier allégué ; qu'en se bornant à énoncer, pour dire que les préjudices des parties civiles résulteraient directement de l'infraction d'exercice illégal de l'activité de prestataire de services de paiement, que cette infraction a privé les souscripteurs des garanties posées par la loi dans l'intérêt des consommateurs, sans établir un lien direct entre au moins l'un des manquements sanctionnés, précisément identifié, et les préjudices allégués, la cour d'appel a violé les articles 2 et 593 du code de procédure pénale et 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale, et 1240 du code civil :
15. Aux termes de l'alinéa premier du premier de ces textes, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.
16. Il résulte du troisième que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
17. Selon le deuxième, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
18. Pour allouer diverses sommes aux parties civiles, l'arrêt attaqué énonce que l'infraction d'exercice illégal de l'activité de prestataire de services de paiement a privé les souscripteurs des garanties posées par la loi dans l'intérêt des consommateurs.
19. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
20. En effet, si le délit d'exercice illégal de l'activité de prestataire de services de paiement est susceptible de causer aux victimes un préjudice résultant directement du non-respect des obligations statutaires édictées notamment aux articles L. 521-3 et L. 522-1 à L. 522-20 du code monétaire et financier, il appartient aux juges d'établir un lien direct entre au moins l'un des manquements sanctionnés, précisément identifié, et le préjudice financier allégué, lequel n'équivaut pas nécessairement au montant des sommes investies et perdues, compte tenu notamment de l'aléa inhérent à tout placement financier.
21. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
22. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux intérêts civils. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 28 septembre 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille vingt-cinq.