Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 16 septembre 2025, n° 24/04177

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/04177

16 septembre 2025

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16

ARRET DU 16 SEPTEMBRE 2025

(n° 57 /2025 , 17 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/04177 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJANG

Décision déférée à la Cour : Jugement du tribunal de commerce de Paris 3ème chambre rendu le 1er février 2024 sous le numéro RG 2022029657

APPELANTES

[Adresse 9]

société par actions simplifiée

immatriculée au RCS de [Localité 12] sous le n° 844 880 492

ayant son siège social : [Adresse 2]

prise en la personne de ses représentants légaux,

JT HOLDING

société par actions simplifiée

immatriculée au RCS de [Localité 11] sous le n°439 099 656

ayant son siège social : [Adresse 4]

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Emmanuel JARRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209

Ayant pour avocats plaidants : Me Arash ATTAR-REZVANI et Me Valentin AUTRET, du cabinet SKADDEN ARPS SLATE MEAGHER & FLOM LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J 034

INTIMES (et appelants à titre incident)

Monsieur [G] [M]

né le 12 juin 1981

demeurant : [Adresse 5]

UNITEL SARL

société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois

immatriculée au RCS de LUXEMBOURG sous le n° B186699

ayant son siège social : [Adresse 1]

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant : Me Frédéric LALANCE, du cabinet ORRICK RAMBAUD MARTEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P 134

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

M. Jacques LE VAILLANT, Conseiller

Mme Joanna GHORAYEB, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par M. Jacques LE VAILLANT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

* I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie de l'appel d'un jugement rendu, le 1er février 2024, par le tribunal de commerce de Paris (3ème chambre), dans un litige opposant les sociétés par actions simplifiées Iliad 10 et JT Holding à M. [G] [M] et la société de droit luxembourgeois Unitel SARL, détenue par ce dernier.

2. Le 15 janvier 2019, la société Iliad 10, filiale du groupe Iliad qui est un acteur du secteur des télécommunications opérant sous l'enseigne Free, la société Unitel et M. [G] [M] ont conclu un contrat de cession d'actions de la société par actions simplifiées JT Holding portant sur l'acquisition par la société Iliad 10 d'actions représentant 75 % du capital de cette société.

3. Le même jour, un pacte d'associés a été conclu entre la société Iliad 10, la société Unitel et M. [G] [M], en présence de la société JT Holding. Il prévoyait que le président de JT Holding et de sa filiale Jaguar Network serait nommé sur proposition de la société Iliad et que M. [M] assurerait la fonction de directeur général de JT Holding.

4. Le pacte d'associés contenait une promesse de vente au bénéfice de la société Iliad 10 de la participation minoritaire de la société »Unitel en cas de départ de M. [M] de la société JT Holding et, le cas échéant, de ses filiales, le prix d'exercice de cette promesse étant fixé à un prix de marché éventuellement assorti d'une décote de 30% (cas de départ dit de " bad leaver ") ou d'une prime de 15% (cas de départ dit de " good leaver "). Cette clause prévoyait que si le départ de M. [M] résultait d'une révocation pour " Faute de Gestion " ou faute grave ou lourde et/ou d'un licenciement pour faute grave ou lourde, la décote de " bad leaver " s'appliquerait. A l'inverse, si le départ résultait d'une révocation non fondée sur une " Faute de Gestion " ou une faute grave ou lourde, la prime de " good leaver " s'appliquerait.

5. Le 30 juillet 2021, s'est tenu un comité de surveillance de la société JT Holding pour statuer sur une éventuelle révocation de M. [G] [M].

6. Le 20 septembre 2021, l'assemblée générale de la société JT Holding a révoqué M. [M] de son mandat de directeur général pour fautes graves et " Fautes de Gestion " au sens du pacte d'associés.

7. Le 24 septembre 2021, l'associé unique de la société Predictiv Pro, soit la société JT Holding, a révoqué M. [M] de son mandat de directeur général pour fautes graves et " Fautes de Gestion " au sens du pacte d'associés.

8. Le 22 juillet 2021, M. [M] a été convoqué pour un entretien préalable à son licenciement de la société JT Holding. Le 24 septembre 2021, M. [M] a été licencié par la société JT Holding pour faute grave, sous réserve de l'existence d'un contrat de travail.

9. Le 25 novembre 2021, la société Iliad 10 a notifié à la société Unitel la mise en 'uvre de la clause de " bad leaver ".

10. Le 7 décembre 2021, la société Unitel a contesté la valeur de marché retenue par la société Iliad et revendiqué l'application de la clause de " good leaver " en lieu et place de la clause de " bad leaver ".

11. Les sociétés Unitel et Iliad 10 ont alors mis en 'uvre le mécanisme de détermination de la valeur de marché à dire d'experts prévu dans le pacte d'associés. Ce processus a abouti à la fixation de la valeur de marché de la société JT Holding à la somme de 205,4 millions d'euros.

12. La société Unitel a cédé à la société Iliad 10 la totalité de sa participation au capital de la société JT Holding contre le paiement de la somme de 35 172 306,80 euros correspondant à la valeur de marché après application d'une décote de 30 %. Compte tenu des contestations judiciaires élevées par M. [M] et Unitel sur le licenciement et la révocation de M. [M], les sociétés Iliad 10 et Unitel ont conclu, le 1er août 2022, une convention de séquestre portant sur la somme de 22 610 768,66 euros, correspondant à la différence entre le prix de cession payé par la société Iliad 10 et celui qu'elle devrait payer si la clause de " good leaver " était jugée applicable.

13. Le 15 juin 2022, M. [G] [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille de la contestation de son licenciement pour faute grave par la société JT Holding. Cette dernière a invoqué l'inexistence du contrat de travail et l'incompétence corrélative du conseil de prud'hommes.

14. Par jugement du 31 octobre 2024, le conseil de prud'hommes de Marseille a retenu qu'il n'existait pas de contrat de travail et s'est déclaré incompétent.

15. Par ailleurs, le 16 juin 2022, M. [M] et la société Unitel ont assigné les sociétés Iliad 10 et JT Holding devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de faire juger que la révocation de M. [M] ne reposait pas sur une faute grave ou une « Faute de Gestion » au sens du pacte d'associés et de voir la société Iliad 10 condamnée à procéder à la libération les fonds séquestrés au profit de la société Unitel, qui a également sollicité la condamnation de la société Iliad 10 à lui payer la somme de 2 400 000 euros à titre de dommages et intérêts pour cause de mise en 'uvre prématurée et fautive de son option d'achat par la société Iliad 10.

16. Par jugement du 1er février 2024, ce tribunal a statué en ces termes :

39. Condamne la SAS ILIAD 10 à verser à la SARL UNITEL la somme de 22 610 768,66 €, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2022, somme qui sera libérée du séquestre constitué par la SAS ILIAD 10 sur notification du jugement définitif, déboutant pour la demande d'astreinte.

40. Déboute M. [M] et la SARL UNITEL de leur demande d'indemnisation au titre du gain manqué.

41. Sursoit à statuer sur l'indemnité de non-concurrence réclamée par M. [M] et la SARL UNITEL dans l'attente de la décision de la juridiction prudhommale.

42. Condamne la SAS ILIAD 10 à payer à M. [M] et à la SARL UNITEL la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 CPC.

43. Condamne la SAS ILIAD 10 aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 101,64 € dont 16,73 € de TVA.

44. Ecarte l'exécution provisoire du jugement.

45. Rejette les demandes des parties autres, plus amples ou contraires.

17. Les sociétés Iliad 10 et JT Holding ont interjeté appel de cette décision par déclaration du 22 février 2024.

18. La clôture a été prononcée le 27 mai 2025 et l'audience a été fixée au 16 juin 2025.

II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES

19. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 mars 2025, les sociétés Iliad 10 et JT Holding demandent à la cour, de bien vouloir :

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du1er février 2024 en ce qu'il a condamné la société Iliad 10 à verser à la société Unitel la somme de 22 610 768,66 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2022, et a condamné les sociétés Iliad 10 et JT Holding au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 1er février 2024 en ce qu'il a rejeté les demandes formées par Iliad 10 et JT Holding ;

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 1er février 2024 en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation au titre du gain manqué formée par Monsieur [G] [M] et Unitel ;

- Rejeter les demandes présentées par Monsieur [G] [M] et Unitel ;

Statuant nouveau,

- Ordonner la libération au profit d'Iliad des fonds séquestrés auprès du Séquestre Juridique de l'Ordre des Avocats du Barreau de Paris dès lors que l'arrêt à intervenir sera devenu irrévocable ;

- Condamner Monsieur [G] [M] et Unitel à payer, chacun, la somme de 50 000 euros à chacune des sociétés JT Holding et Iliad 10, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

20. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 janvier 2025, M. [G] [M] et la société Unitel demandent à la cour, au visa des articles 1217, 1221, 1227, 1228 et 1231-2 du code civil, de :

Sur l'appel principal :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Iliad 10 à verser à la SARL Unitel la somme de 22.610.768,66 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2022, somme qui sera libérée du séquestre constitué par la SAS Iliad 10 sur notification du jugement définitif ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Iliad 10 à payer à Monsieur [G] [M] et la SARL Unitel la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur l'appel incident :

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel incident formé par la société Unitel et Monsieur [G] [M] ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Unitel de sa demande d'indemnisation du gain manqué causé par l'exercice prématuré et fautif de son option d'achat par Iliad ;

Statuant à nouveau,

- Condamner la SAS Iliad 10 à payer à la SARL Unitel la somme de 2.400.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2022.

En tout état de cause, y ajoutant,

- Condamner la SAS Iliad 10 à payer à Monsieur [G] [M] et à la SARL Unitel la somme de 100.000 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la SAS Iliad 10 au paiement des entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue [Localité 12]-Versailles conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

21. En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à ces écritures pour le complet exposé des moyens des parties.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

A. Sur l'exécution de la promesse de vente en cas de départ de M. [M]

i. Enoncé des moyens des parties

22. Les sociétés Iliad 10 et JT Holding font valoir que la révocation du mandat social de M. [M] a été exactement prononcée pour cause de « faute grave » ou « Faute de Gestion » au sens du pacte d'associés.

23. Elles énumèrent neuf griefs mais n'en développent que trois faisant valoir que chacun d'eux suffit à justifier la révocation du mandat social.

24. Elles reprochent en premier lieu à M. [M] d'avoir perçu indirectement la somme totale de 256 083 euros du fait de la location à la société Jaguar Network, entre mars 2008 et mars 2020, d'un appartement situé dans le centre-ville de [Localité 11], lui appartenant, sans respecter la procédure applicable aux conventions réglementées, sans justification d'une utilité pour les besoins de l'activité de la société Jaguar Network, puisque, s'agissant d'un local d'habitation, il n'est pas justifié par M. [M] qu'il ait été utilisé pour loger des salariés de cette société, et pour un loyer très supérieur aux conditions du marché.

25. Les sociétés Iliad 10 et JT Holding reprochent en deuxième lieu à M. [M] d'avoir validé un devis de travaux d'aménagement des locaux de la société Predictiv Pro, filiale de la société JT Holding, dont il était le directeur général jusqu'à sa révocation décidée le 24 septembre 2021, et d'avoir fait présenter à cette dernière par la société Foncière Jaguar, bailleresse de ces locaux qu'il détient à 100 %, une facture de travaux de 132 063 euros émise par la société MGL 13 dirigée par un de ses amis, avec surfacturation par cette dernière de frais de gestion d'un montant de 10 000 euros intégrés dans les prestations de travaux.

26. En troisième lieu, elles reprochent à M. [M] d'avoir permis la mise à disposition gratuite pendant trois ans de locaux de la société Jaguar Network situés dans le [Localité 7] à la société Omycron, dont il est actionnaire à concurrence de 50 % du capital.

27. En réponse, M. [M] et la société Unitel font valoir qu'il appartient aux sociétés Iliad 10 et JT Holding de caractériser une « Faute de Gestion » ou une « faute grave » telle que définie dans le pacte d'associés du 15 janvier 2019, de sorte qu'il leur appartient de prouver, pour la « Faute de Gestion », dans sa définition contractuelle, non seulement un fait personnel du dirigeant commis dans un but contraire à l'intérêt social mais également un « Préjudice grave » pour la société JT Holding, lequel s'entend du préjudice susceptible de mettre en cause la survie financière de l'entreprise et qui n'est en l'espèce constitué pour aucun des faits dommageables allégués.

28. Ils exposent que la « faute grave » est définie dans le pacte d'associés comme devant être comprise au sens de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, de sorte qu'il incombait à la société JT Holding de faire preuve de célérité dans l'engagement de la procédure de révocation à compter de la découverte des faits qu'elle invoque ainsi que dans la conduite de la procédure de révocation, ce qui n'a pas été le cas. Ils en déduisent que ce constat permet d'exclure la qualification de faute grave, sans examen au fond des griefs invoqués.

29. M. [M] et la société Unitel contestent que les fautes allégués aient été commises et font valoir qu'en tout état de cause le « Préjudice grave » devant être caractérisé pour chacune d'elles n'est pas démontré.

30. Ils font valoir que la société Iliad 10 était parfaitement informée du bail relatif à l'appartement de [Adresse 10] à [Localité 11], dont elle a reconnu le caractère professionnel, qui a été conclu dans des conditions normales et dans l'intérêt de la société Jaguar Network puisqu'il était utilisé par ses salariés itinérants, par des collaborateurs de clients et fournisseurs du groupe Jaguar et pour des réunions d'acteurs de l'écosystème « Tech » de la région.

31. Ils soutiennent que les travaux d'aménagement des locaux de la société Predictiv Pro, en qualité de preneur à bail, ont été réalisés par la société MGL 13 de manière transparente et concertée avec une facturation conforme aux prestations réalisées, l'existence d'un « Préjudice grave » subi par la société Predictiv Pro n'étant en tout état de cause pas caractérisée.

32. Enfin, ils font valoir que la mise à disposition ponctuelle à la société Omycron d'un local technique était conforme à l'intérêt social de la société Jaguar Network et n'est pas imputable en tout état de cause à M. [M], outre le fait qu'elle n'a pu générer un « Préjudice grave » pour la société Jaguar Network.

ii. Appréciation de la cour

33. En application des articles 1102 et 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

34. L'article 7 du pacte d'associés conclu entre la société Iliad 10, la SARL Unitel et M. [G] [M] en présence de la société JT Holding, le 15 janvier 2019, régit les modalités de mise en 'uvre de la promesse de vente des actions détenues par la société Unitel dans le capital de la société JT Holding en cas de cessation des fonctions de M. [M].

35. Cet article stipule, en ses paragraphes 7.1 et 7.3 c et d, ce qui suit :

" 7.1 Dans le cas où le Fondateur [ M. [G] [M] ] cesserait d'exercer ses Fonctions au sein de la Société [ JT Holding SAS ] et, le cas échant, ses filiales, à raison de l'un des cas visés à l'article 7.3 ci-dessous (un "Cas de Départ"), Iliad pourra exiger du Holding Fondateur [ Unitel SARL ] qu'il cède, et le Holding Fondateur s'engage irrévocablement à céder à Iliad, l'intégralité des Titres de la Société détenus par le Holding Fondateur à Iliad (ou à toute personne qu'Iliad se substituerait), dans les conditions du présent article 7 (la " Promesse de Vente en Cas de Départ ").

[']

7.3 Le Prix de cession des Titres de la Société détenus par le Holding Fondateur en cas d'exercice de la Promesse de Vente en Cas de Départ sera :

[']

(c) la Valeur de Marché des Titres à la Date de Départ diminuée d'une décote de trente pour cent (30%) si le Cas de Départ résulte de l'un des cas de figure suivants :

[']

(ii) licenciement du Fondateur pour faute grave ou lourde au sens de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation ; ou

(iii) non-renouvellement ou révocation du mandat social du Fondateur motivé par une Faute de Gestion, une faute grave ou une faute lourde au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation.

(d) la Valeur de Marché des Titres à la Date de Départ augmentée d'une prime de quinze pour cent (15%) si le Cas de Départ résulte de l'un des cas de figure suivants :

(i) révocation ou non-renouvellement du mandat social du Fondateur non motivé par une Faute de Gestion, une faute grave ou une faute lourde au sens de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, sauf si la révocation ou le non-renouvellement est précédée ou suivie d'un licenciement pour l'un des motifs visés à l'article 7.3 (b) [i.e. licenciement pour un motif personnel] ou 7.3 (c)(ii) [i.e. licenciement pour faute grave ou faute lourde] ci-dessus (auquel cas l'Article concerné sera applicable) ; ou

(ii) licenciement du Fondateur pour tout autre motif que ceux visés à l'article 7.3 (b) ou 7.3 (c)(ii) ci-dessus "

36. Il convient tout d'abord de constater que les sociétés Iliad 10 et JT Holding énumèrent neuf griefs à l'encontre de M. [M] dans leurs dernières conclusions mais, comme en première instance, n'en étayent que trois, ne présentant aucun moyen et aucune pièce justificative à l'appui des six autres griefs dont la cour n'est donc pas saisie.

37. Concernant les trois griefs motivés par les appelantes, ces dernières soutiennent qu'ils caractérisent, chacun, une « Faute de Gestion » ou une « faute grave » selon la définition donnée à ces deux fautes par le pacte d'associés du 15 janvier 2019, imputable à M. [M].

38. La faute grave « au sens de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation » correspond à la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

39. Les fautes imputées par les sociétés Iliad 10 et JT Holding à M. [G] [M] portent sur des faits anciens à la date de la convocation des membres du conseil de surveillance de la société JT Holding en vue d'une réunion devant se tenir le 30 juillet 2021 pour consultation sur une révocation de M. [M] de ses fonctions de direction générale par l'assemblée générale des actionnaires (pièces n° 12 et 13 des intimés).

40. En effet, le bail conclu entre la société Jaguar Network, dont la société JT Holding est la présidente depuis le 10 avril 2014 (pièce n° 6 des appelantes : page 14 du rapport de Advisorem) et la SCI Jaguar Immobilier, détenue par M. [M], a pris effet en mars 2008 et s'est terminé en mars 2020.

41. Les sociétés Iliad 10 et JT Holding ne soutiennent pas qu'elles n'auraient découvert l'existence de ce bail qu'en juillet 2021 et qu'il aurait été dissimulé jusqu'alors par M. [M].

42. Il est au contraire établi que les sociétés Iliad 10 et JT Holding avaient connaissance de ce bail puisque l'attestation d'assurance émise par la société Allianz le 10 mars 2020 au profit du « Groupe Iliad pour son propre compte et pour celui de ses filiales » précise que le risque assuré au titre du contrat Multirisque Entreprise ayant pris effet le 1er juillet 2019 inclut le « Site assuré de type " POP " : [Adresse 3] », ce qui correspond au local d'habitation loué par la SCI Jaguar Immobilier à la société Jaguar Network (pièces n°17 et 55 des intimés et pièce n°4 des appelantes attestant de l'adresse du local donné à bail).

43. La facture de travaux d'aménagement des locaux de la société Predictiv Pro au [Adresse 6] [Localité 11] a été émise à l'ordre de cette dernière le 11 février 2021 (pièce n°27 des appelantes).

44. Les sociétés Iliad 10 et JT Holding précisent que cette facture et le devis correspondant accepté par M. [M] pour le compte de la société Predictiv Pro ont été remis directement à la directrice administrative et financière de la société Jaguar Network par un représentant de la société Foncière Jaguar au moment de l'émission de la facture de la société MGL 13 (paragraphe n°104 des dernières conclusions des appelantes), ce qui était déjà indiqué dans le courrier de notification des griefs adressés à M. [M] en juillet 2021 en vue de la réunion du comité de surveillance de la société JT Holding du 30 juillet 2021 (pièce n° 13 des intimés).

45. Il en résulte que les sociétés Iliad 10 et JT Holding avaient connaissance de la signature du devis de la société MGL par M. [M] en tant que directeur général de la société Predictiv Pro et de la facture subséquente émise par la société MGL dès le mois de février 2021, ce qu'elles ne contestent pas, ne soutenant pas en avoir découvert l'existence au mois de juillet 2021.

46. La mise à disposition à titre gratuit à la société Omycron d'une pièce située dans les locaux de la société Jaguar Network à [Localité 12] a duré trois ans. Elle a débuté le 1er février 2008.

47. Les sociétés Iliad 10 et JT Holding ne soutiennent pas avoir découvert l'existence de cette mise à disposition en juillet 2021 uniquement, le lieu de l'occupation d'un local par la société Omycron, dans les locaux parisiens de la société Jaguar Network, dirigée par la société JT Holding, excluant au demeurant que ce fait puisse avoir été ignoré de cette dernière.

48. Par suite, les griefs formulés à l'encontre de M. [G] [M] pour fonder la décision de révocation de son mandat social de la société JT Holding puis de celui qu'il exerçait au sein de sa filiale Predictiv Pro reposent sur des faits anciens, connus des sociétés Iliad 10 et JT Holding depuis plusieurs mois à la date de la mise en 'uvre de la procédure de révocation de M. [M] en juillet 2021 et ne peuvent en conséquence servir de fondement au soutien d'une révocation pour faute grave telle que définie par les parties dans le pacte d'associés du 15 janvier 2019.

49. En outre, ces griefs ont été formulés par la société JT Holding dans la lettre de notification de griefs adressée à M. [M] en juillet 2021 dans la perspective de la réunion du comité de surveillance de la société JT Holding du 30 juillet 2021.

50. La révocation de M. [G] [M] de sa fonction de directeur général des sociétés JT Holding et Predictiv Pro est intervenue notamment pour faute grave en considération de ces griefs plus d'un mois après cette notification préalable du mois de juillet 2021, soit respectivement les 20 et 24 septembre 2021.

51. Il est acquis que M. [M] a conservé ses fonctions jusqu'à ces dates (pièce n° 11 des intimés) et a également été sollicité, après ces révocations, pour intervenir auprès de tiers pour le compte de la société Jaguar Network pour présenter le projet « 5G Business Connect » (pièces n° 24 et 25 des intimés).

52. Il n'est donc pas établi par les sociétés Iliad 10 et JT Holding que les violations aux obligations du dirigeant qu'elles imputent à M. [G] [M] aient été d'une importance telle qu'elles ont rendu impossible la poursuite de son mandat social par ce dernier et qu'elles puissent dès lors recevoir la qualification de faute grave dans son acception donnée par le pacte d'associés du 15 janvier 2019.

53. La « Faute de Gestion » est définie à l'article 1.1 du pacte d'associés comme suit :

« Désigne un acte ou une omission étant la cause unique ou déterminante d'un Préjudice grave pour la société concernée. » (pièce n° 1 des appelantes)

54. Le « Préjudice » est défini dans cet article comme suit :

« Désigne toute perte, préjudice, passif ou coût direct (en ce compris, tous les frais raisonnables de procédure, d'avocats ou d'experts) qui serait subi par une ou plusieurs sociétés du Groupe. »

55. Le « Groupe » est quant à lui défini comme désignant la société JT Holding et ses filiales.

56. Le pacte d'associés ne donne pas une définition spécifique du « Préjudice grave ». Il doit donc correspondre à la définition du « Préjudice » précitée, avec pour complément que, pour être constitué, c'est-à-dire être grave, il doit porter une atteinte importante à la situation financière d'une ou plusieurs sociétés du Groupe.

57. Il en résulte que, pour être constituée, la « Faute de Gestion » telle que définie dans le pacte d'associés du 15 janvier 2019 requiert que soit prouvée par la société Iliad 10 et la société JT Holding non seulement une faute, consistant en un acte ou une omission de M. [M] dans l'exercice de son mandat social au sein de la société JT Holding et, le cas échéant, d'une de ses filiales, commise pendant le temps de son mandat social au sein des sociétés sur lequel porte le pacte d'associés, soit la société JT Holding et ses filiales, mais également que cette faute est la cause unique ou déterminante d'un Préjudice grave pour la société concernée.

58. Concernant la mise à disposition à titre gratuit à la société Omycron, dont il est admis que M. [G] [M] est actionnaire à concurrence de 50 % , d'un local professionnel au sein des locaux de bureaux de la société Jaguar Network situés dans le 8ème [Localité 8], les sociétés Iliad 10 et JT Holding, à qui la preuve de la « Faute de Gestion » incombe, ne produisent aucune pièce permettant d'imputer à M. [M] la décision de maintien à disposition de ce local à titre d'occupation précaire à la société Omycron.

59. Le fait que M. [M] soit actionnaire de la société Omycron ne suffit pas à établir l'existence d'une intervention positive de sa part.

60. Il ressort au contraire des pièces produites par les appelantes qu'une négociation du montant du loyer a été conduite en février 2018 entre le dirigeant de la société Omycron et M. [S] [R], « CFO / DAF » de la société Jaguar Network, sans que M. [M] ne soit impliqué (pièce n° 44 des appelantes et pièce n°78 des intimés).

61. Il est établi qu'un projet de bail a été échangé entre les sociétés Jaguar Network et Omycron pour la location de ce local professionnel (pièce n°77 des intimés). Il n'est pas établi que le défaut de signature de ce bail puisse être imputé à M. [M].

62. Par suite, les sociétés Iliad 10 et JT Holding ne sont pas fondées à imputer la commission d'une « Faute de Gestion » par M. [M] du fait de la mise à disposition d'un local professionnel à la société Omycron jusqu'au mois de septembre 2021.

63. Concernant la location à la société Jaguar Network d'un appartement appartenant à la SCI Jaguar Immobilier de mars 2008 à mars 2020 pour un loyer d'un montant de 1790 euros hors taxes, les sociétés Iliad 10 et JT Holding soutiennent qu'il en résulte pour la société Jaguar Network, filiale de la société JT Holding qui en est la présidente depuis 2014, un préjudice total d'un montant de 265 083 euros hors taxes correspondant à l'ensemble des loyers payés sur cette période.

64. Seule est susceptible d'être qualifiée de « Faute de Gestion » au sens qui y est donnée par le pacte d'associés du 15 janvier 2019, la faute commise par M. [M] dans l'exercice de son mandat social de directeur général de la société JT Holding, par action ou omission, alors que les parties étaient liées par les termes du pacte d'associés dont l'article 7 précité ne prévoit aucune rétroactivité pour d'éventuelles actions commises par M. [M] en tant que dirigeant de droit de la société JT Holding et de ses filiales avant que n'intervienne la cession d'actions du 15 janvier 2019.

65. Il en résulte, concernant la location de l'appartement litigieux, que seul est en cause le maintien du bail entre le 15 janvier 2019 et le mois de mars 2020, date de sa terminaison, soit une période de quatorze mois, ce qui représente un montant total de loyers exigibles de 25 060 euros hors taxes.

66. Les sociétés Iliad 10 et JT Holding ne présentent aucun moyen et aucune pièce susceptible de démontrer que le préjudice qu'elles invoquent est constitutif d'un " Préjudice grave " au sens du pacte d'associés pour la société Jaguar Holding.

67. La seule pièce comptable figurant aux débats est l'actif du bilan de la société Jaguar Network au 30 septembre 2018 attestant d'un actif net total à cette date de 36 256 861 euros, en progression de 2 438 763 euros par rapport à l'exercice précédent (pièce n°14 des appelantes).

68. Il ressort en outre du rapport du cabinet Advisorem désigné par les sociétés Iliad 10 et JT Holding dans le cadre de l'expertise d'évaluation des titres de la société JT Holding pour la mise en 'uvre de la promesse de vente prévue à l'article 7 du pacte d'associés (pièce n° 6 des appelantes) que le chiffre d'affaires de la société Jaguar Network pour un exercice de quinze mois arrêté au 31 décembre 2019 était de 52 683 000 euros et que la marge était de 32 325 000 euros.

69. Il en résulte que le préjudice allégué pour la période à laquelle s'applique le pacte d'associés n'est pas susceptible de porter une atteinte importante à la situation financière de la société Jaguar Holding.

70. Par suite, indépendamment de l'éventuel caractère fautif du maintien du bail litigieux du 15 janvier 2019 au mois de mars 2020 et de l'imputabilité de cette faute à M. [M] dans le cadre de l'exercice de son mandat social de directeur général de la société JT Holding, les sociétés Iliad 10 et JT Holding n'établissent pas que le grief qu'elles invoquent est constitutif d'une « Faute de Gestion » telle que définie par le pacte d'associés du 15 janvier 2019, faute pour elles de caractériser le « Préjudice grave » qu'aurait consécutivement subi la société Jaguar Network.

71. Enfin, concernant l'attribution des travaux d'aménagement des locaux de la société Predictiv Pro à Marseille à la société MGL 13, sur devis accepté par M. [G] [M] en qualité de directeur général de la société Predictiv Pro, il a été jugé par le tribunal de commerce de Marseille le 21 janvier 2025 que ces travaux ont été effectivement réalisés par la société MGL 13 au bénéfice de la société Predictiv Pro et que cette dernière était redevable du montant de la facture émise le 11 février 2021 pour un total de 158 476,43 euros (pièce n° 89 des intimés).

72. M. [M] et la société Unitel produisent également un rapport d'audit des différents postes de la facture de la société MGL 13 par analyse des travaux effectivement réalisés sur place établi à leur demande par M. [K] [Y], architecte DPLG (pièce n° 69 des intimés).

73. Ce rapport a été soumis au débat contradictoire et ses conclusions ne font pas l'objet de contestations étayées de la part des appelantes.

74. Il conclut ce qui suit :

« En l'état des constatations effectuées le 27 avril 2023 à chacun des trois niveaux du bâtiment, en référence aux précisions contenues sur la facture de la SARL MGL 13 du 11 février 2021, nous indiquons n'avoir relevé aucune inadéquation significative entre les prestations facturées et les cloisonnements effectués, cela aussi bien sur la nature des prestations, que sur le plan quantitatif et sur les prix pratiqués. » (page 4 de la pièce n°69).

75. Il en résulte que les échanges de courriels sur lesquels se fondent les appelantes pour invoquer la facturation de travaux non réalisés par la société MGL 13 au profit de la société Predictiv Pro ne sont pas corroborés par les éléments techniques et comptables du dossier de travaux.

76. Il demeure donc le grief tiré de la facturation de frais de gestion pour un montant de 10 000 euros par la société MGL qui serait dissimulée dans les différents postes de prestations détaillés dans la facture du 11 février 2021 (pièce n° 35 des appelantes), étant ici observé qu'une telle surfacturation de prestations n'a pas été relevée par l'architecte mandaté par M. [M].

77. Pour les motifs exposés aux paragraphes 65 à 68 du présent arrêt, indépendamment du mérite de la faute alléguée par les appelantes et de son imputation à M. [M] dans l'exercice de son mandat social de directeur général de la société Predictiv Pro, les sociétés Iliad 10 et JT Holding n'apportent pas la preuve qui leur incombe du « Préjudice grave » qui en aurait résulté pour la société Predictiv Pro, alors qu'elles ne produisent aucun élément comptable contemporain aux faits allégués susceptible de caractériser un tel « Préjudice grave ».

78. Il en découle que les sociétés Iliad 10 et JT Holding ne sont pas fondées à se prévaloir du " Cas de départ " de M. [M] prévu à l'article 7.3 c (iii) du pacte d'associés du 15 janvier 2019, étant observé qu'il a été à présent jugé par jugement du conseil de prud'hommes de Marseille du 31 octobre 2024 que le " Cas de départ " prévu à l'article 7.3 c (ii) tiré d'un licenciement de M. [M] pour faute grave ou faute lourde au sens de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est sans objet en l'absence de contrat de travail valable au profit de M. [M].

B. Sur la libération du séquestre

i. Enoncé des moyens des parties

79. Les sociétés Iliad 10 et JT Holding soutiennent que les fonds placés en compte de séquestre ne peuvent être libérés au profit de la société Unitel qu'à la condition que le mérite de chaque « Cas de Départ » mis en 'uvre à l'encontre de M. [M] soit définitivement jugé, en ce compris la révocation de M. [M] de son mandat social de directeur général de la société Predictiv Pro pour « Faute de Gestion » ou pour « faute grave ou lourde ».

80. Elles soutiennent que cela résulte des termes de l'article 3.4 et du point B du préambule de la convention de séquestre.

81. Elles font valoir que M. [M] n'a engagé aucune action en justice afin de contester sa révocation de ses fonctions au sein de la société Predictiv Pro, que le juge compétent pour connaître d'une telle action serait le tribunal de commerce de Marseille et que la société Predictiv Pro n'est pas partie à la présente instance de sorte que la cour, comme le tribunal de commerce de Paris avant elle, ne peut se prononcer sur le mérite de cette révocation et de ses motifs et ne peut ordonner la libération des fonds placés en séquestre au profit de la société Unitel.

82. En réponse, la société Unitel et M. [M] font valoir que le moyen développé pour la première fois en appel par les sociétés Iliad 10 et JT Holding est en contradiction avec la conclusion de la convention de séquestre du 1er août 2022, qu'au surplus un des trois griefs soutenus par ces dernières est relatif à la gestion de la société Predictiv Pro et que la décision de la société JT Holding de révoquer M. [M] de son mandat de directeur général de la société Predictiv Pro n'explicite aucun grief spécifique mais se limite à viser la décision du conseil de surveillance de la société JT Holding du 30 juillet 2021 et l'entretien préalable au licenciement de M. [M] de la société JT Holding du 26 août 2021.

83. Ils font valoir en outre que leur action a pour objet d'obtenir l'exécution forcée des stipulations du pacte d'associés et l'indemnisation de manquements commis par les appelantes à cette convention et que, dans ce cadre, le fait que la révocation de M. [M] de ses mandats sociaux tant au sein de la société JT Holding que de la société Predictiv Pro ne reposait sur aucune " Faute de Gestion " ou " faute grave ou lourde " au sens donné à ces dernières par le pacte d'associés ne constitue qu'un moyen au soutien de la demande d'exécution forcée de la clause de " good leaver ".

ii. Appréciation de la cour

84. La convention de séquestre conclue entre la société Iliad 10, la SARL Unitel et l'ordre des avocats de [Localité 12] en tant que séquestre juridique, en présence de M. [M], le1er août 2022, rappelle au point (I) de son préambule qu'elle intervient en exécution de l'article 7.6 du pacte d'associés du 15 janvier 2019 du fait " d'une contestation judiciaire du motif de la cessation des fonctions du Fondateur [M. [G] [M]] " (pièce n° 8 des appelantes et n°31 des intimés).

85. En l'espèce, l'application de l'article 7 du pacte d'associés est le seul objet du procès, comme le soulignent exactement M. [M] et la société Unitel.

86. Or, cet article 7 du pacte d'associés, intitulé " Cessation des fonctions du Fondateur ", est d'application globale puisqu'il vise l'hypothèse d'une cessation des fonctions de M. [M] au sein de la société JT Holding (la Société) et, le cas échéant, de ses filiales.

87. L'article 7.1 du pacte d'associés stipule en effet que : " Dans le cas où le Fondateur [ M. [G] [M] ] cesserait d'exercer ses Fonctions au sein de la Société [ JT Holding SAS ] et, le cas échant, ses filiales, à raison de l'un des cas visés à l'article 7.3 ci-dessous (un "Cas de Départ"), Iliad pourra exiger du Holding Fondateur [ Unitel SARL ] qu'il cède, et le Holding Fondateur s'engage irrévocablement à céder à Iliad, l'intégralité des Titres de la Société détenus par le Holding Fondateur à Iliad (ou à toute personne qu'Iliad se substituerait), dans les conditions du présent article 7 (la " Promesse de Vente en Cas de Départ "). "

88. Il en résulte que la fait générateur de la " Promesse de Vente en Cas de Départ " est la cessation des fonctions de M. [M] au sein de la société JT Holding, dont seul les titres sont cédés en cas d'exercice de cette promesse de vente moyennant un prix déterminé selon les stipulations de l'article 7.3 uniquement en considération de la valeur de marché des titres de cette société (" le prix de cession des Titres de la Société ").

89. Pour l'application de la " Promesse de Vente en Cas de Départ " prévue à l'article 7 du pacte d'associés, il est indifférent de déterminer si la révocation de M. [M] du mandat social qu'il exerçait dans une filiale de la société JT Holding était, elle-même, exactement fondée sur une " Faute de Gestion " ou " une faute grave ou lourde au sens de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation " pour justifier l'application d'une décote de 30 % sur la " Valeur de Marché des Titres de la Société ".

90. En effet, en raison de l'utilisation de la conjonction et de la locution " et, le cas échéant " à l'article 7.1, la cessation des fonctions exercées par M. [M] seulement au sein de l'une des filiales de la société JT Holding, telle que la société Predictiv Pro, n'était pas susceptible d'entraîner la mise en 'uvre de la " Promesse de Vente en Cas de Départ ". En revanche, dans l'hypothèse d'une cessation des fonctions tant au sein de la société JT Holding qu'au sein d'une filiale, les parties sont convenues d'un traitement global des " Cas de départ " puisque la décote de 30 % de la valeur de marché des titres de la société JT Holding en cas de " Faute de Gestion " ou de " faute grave ou lourde " s'applique sans qu'il soit précisé si la faute poursuivie a été commise dans le cadre des fonctions de M. [M] au sein de la société JT Holding ou au sein de sa filiale.

91. Les sociétés Iliad 10 et JT Holding ne s'y sont au demeurant pas trompées puisque le deuxième grief qu'elles imputent à M. [M] en l'espèce est afférent à l'exercice de son mandat social de directeur général de la société Predictiv Pro, filiale de la société JT Holding.

92. En outre, il est établi que la révocation de M. [M] de son mandat social au sein de la société Predictiv Pro n'est que la conséquence de la révocation préalable de son mandat social au sein de la société JT Holding puisqu'elle est motivée par simple renvoi aux griefs formulés à l'encontre de M. [M] dans le cadre de ses fonctions au sein de cette dernière et qu'elle n'est fondée sur aucun motif propre (pièce n° 21 des intimés).

93. Il n'y a donc pas lieu, pour l'application de l'article 7 du pacte d'associés du 15 janvier 2019, de déterminer séparément si la révocation de M. [M] du mandat social qu'il exerçait au sein de la société JT Holding ou celle du mandat social qu'il exerçait au sein de la société Predictiv Pro correspondait, chacune, à un " Cas de Départ " défini à l'article 7.3.

94. Les sociétés Iliad 10 et Unitel ont au demeurant expressément limité le champ d'application de la convention de séquestre aux deux procédures engagées par la société Unitel et/ou M. [M], à savoir la présente action engagée devant le tribunal de commerce de Paris et l'action engagée par M. [M] devant le conseil de prud'hommes de Marseille par requête du 15 juin 2022, seules visées au point G du préambule de la convention de séquestre.

95. Or l'article 3.4 de la convention de séquestre prévoit expressément la libération des fonds séquestrés au profit de la société Unitel en cas « d'infirmation » des « Cas de Départ du Fondateur » par « les juridictions saisies par le Fondateur » par une « Décision Judiciaire Définitive ».

96. En considération de l'énumération limitée aux deux procédures susvisées au point G du préambule de la convention de séquestre, la libération des fonds placés en séquestre ne peut, sans ajout à l'accord des parties, être subordonnée à l'issue d'une procédure qu'elles n'ont pas envisagée.

C. En conclusion sur l'appel principal

97. Pour les motifs énoncés dans les sections A et B ci-dessus et pour les motifs non contraires adoptés par les premiers juges, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Iliad 10 à payer à la SARL Unitel la somme de 22 610 768,66 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2022 et en ce qu'il a dit que cette somme sera libérée du séquestre constitué par la société Iliad 10 sur notification d'une décision définitive.

D. Sur l'appel incident portant sur la demande d'indemnisation de la société Unitel pour cause de gain manqué

i. Enoncé des moyens des parties

98. La société Unitel fait valoir qu'il était prévu dans le pacte d'associés des " Promesses de Ventes annuelles " qui permettaient à la société Iliad 10 d'acquérir, si elle décidait de les exercer, à compter du 1er janvier 2023, 50 % de la participation détenue par la société Unitel, puis à compter du 1er janvier 2024, la totalité de la participation alors détenue par cette dernière et que la mise en 'uvre artificielle de la " Promesse de Vente en Cas de Départ " stipulée à l'article 7 du pacte d'associés, pour des motifs infondés, lui a causé un préjudice en la privant de l'augmentation conséquente et prévisible de la valeur des titres de JT Holding jusqu'en 2023 et 2024.

99. Elle soutient que ce préjudice de perte de gain, même s'il devait être qualifié de perte de chance de réaliser un gain, est certain dès lors que la volonté de la société Iliad 10 de devenir seule actionnaire est établie par l'exercice de son option d'achat en novembre 2021.

100. Elle expose qu'elle a fait pratiquer une expertise par la société Ricol Lasteyrie Conseil qui a évalué ce préjudice à concurrence de 2,4 millions d'euros en se fondant sur les deux rapports d'expertise utilisés par les parties dans le cadre de la mise en 'uvre de la " Promesse de Vente en Cas de Départ ".

101. La société Unitel souligne que cette évaluation tient compte de la réparation partielle offerte par la mise en 'uvre de la clause de " bad leaver " puisqu'elle correspond à la différence entre les valeurs de marchés 2023/2024 (sans prime) et la valeur de marché 2021 avec une prime de 15% de " good leaver ".

102. Elle fait enfin valoir qu'à supposer que la société Iliad 10 n'aurait pas exercé ses options d'achat aux dates annuelles fixées dans le pacte d'associés, cela aurait en tout état de cause permis à la société Unitel de percevoir encore davantage la création de valeur liée à la mise en 'uvre du plan stratégique FreePro au-delà de 2023 et 2024.

103. En réponse, les sociétés Iliad 10 et JT Holding font valoir que le préjudice allégué est inexistant car les " Promesses de Ventes annuelles " des titres détenus par la société Unitel au capital de la société JT Holding étaient stipulées au profit de la société Iliad 10 et qu'il n'y a aucune certitude qu'elle les aurait exercées.

104. Elles soutiennent que la valeur donnée à ces titres par la société Unitel repose sur les projections des plans d'affaires qui ont servi à l'évaluation des titres de la société JT Holding à fin novembre 2021 et relève donc de simples hypothèses mais qu'il n'est proposé aucune démonstration de la valeur qu'auraient eue ces titres en 2023 puis en 2024.

105. Enfin, elles soutiennent que, dans l'hypothèse où il serait jugé que le préjudice allégué existe alors il serait déjà réparé par la majoration de 15 % de la valeur de marché des titres de la société JT Holding appliquée en cas de cessation des fonctions de M. [M] pour un « Cas de Départ » non fondé sur la « Faute de Gestion » ou la « faute grave ou lourde ».

ii. Appréciation de la cour

106. Le préjudice allégué par la société Unitel consistant en une perte d'un gain qu'elle aurait réalisé si les titres qu'elle détenait dans le capital de la société JT Holding avaient été cédés aux dates de réalisation des « Promesses de Vente Annuelles » de ces titres prévues à l'article 8 du pacte d'associés du 15 janvier 2019 et non à leur valeur de marché, déterminée à dire d'experts, au 25 novembre 2021 du fait de la réalisation de la " Promesse de Vente en Cas de Départ " mise en 'uvre par la société Iliad 10 à la suite de la révocation de M. [M] de ses fonctions exercées au sein des sociétés JT Holding et Predictiv Pro pour des motifs contestés en justice, s'analyse en un préjudice de perte de chance de réaliser un gain sur cession de titres.

107. La perte de chance est la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. Toute perte de chance ouvre droit à réparation dès lors que la chance perdue est réelle et non hypothétique.

108. En l'espèce, les parties ont stipulé, à l'article 8 du pacte d'associés, des promesses de vente par la société Unitel à la société Iliad 10 des titres détenus par la société Unitel au capital de la société JT Holding en cas d'exercice de ces promesses de vente par la société Iliad 10 suivant une notification donnée par cette dernière pendant une période de quarante-cinq jours à compter du 1er janvier 2023 pour 50 % de ces titres puis à compter du 1er janvier de chaque année à partir de 2024 pour le solde des titres.

109. Il est spécifié à l'article 8.3 du pacte d'associés qu'à défaut de notification d'exercice d'une promesse de vente dans le délai convenu par la société Iliad 10, cette dernière est réputée y avoir renoncé.

110. Il en résulte que la société Unitel ne peut se prévaloir d'un droit acquis à la cession de ses titres de la société JT Holding à la société Iliad 10 au 1er janvier 2023 et au 1er janvier de chaque année à partir de 2024. L'exercice des promesses de ventes annuelles relevait de la décision discrétionnaire de la société Iliad 10.

111. En outre, les sociétés JT Holding et Predictiv Pro, dont M. [G] [M] était le directeur général, sont des sociétés par actions simplifiées au sein desquelles le mandat social peut être révoqué à tout moment (pièce n° 90 des intimés pour les statuts de la société Predictiv Pro).

112. La révocation de M. [M] par les organes de la société JT Holding demeurait donc libre, seules les conséquences de cette révocation étant réglées par les parties à l'article 7 du pacte d'associés par la réalisation de plein droit de la « Promesse de Vente en Cas de Départ » des titres de la société Unitel à la société Iliad 10 au prix déterminé conformément aux stipulations de l'article 7.3, et ce que la révocation intervienne pour « Faute de Gestion » ou « faute grave ou lourde » ou pour une autre cause.

113. A compter de la réalisation de cette promesse de vente de l'intégralité des titres détenues par la société Unitel, les « Promesses de Vente Annuelles » de l'article 8 du pacte d'associés sont devenues sans objet.

114. Aux termes de l'article 7.6 du pacte d'associés, les parties ont entendu régler l'intégralité des modalités de traitement d'une contestation judiciaire du motif de la cessation des fonctions en enfermant définitivement la rémunération et l'indemnisation intégrales de la société Unitel dans la double limite d'un plancher correspondant à la valeur de marché des titres diminuée de 30 % en cas de départ pour « Faute de Gestion » ou « faute grave ou lourde » et d'un plafond correspondant à la valeur de marché des titres augmentée de 15 % pour tout autre motif de départ, y compris en cas de révocation sans motif.

115. L'invocation de motifs erronés de révocation par la société JT Holding à l'égard de M. [M] est donc indifférente.

116. Il en résulte que, sauf à porter atteinte à la faculté de révocation du mandataire social à tout moment et au mécanisme contractuel de réalisation de la " Promesse de Vente en Cas de Départ " des titres détenus par la société Unitel au capital de la société JT Holding, la société Unitel ne peut valablement se prévaloir d'une perte de chance réelle de bénéficier d'un gain par la réalisation des " Promesses de Vente Annuelles " prévues à l'article 8 du pacte d'associés du 15 janvier 2019.

117. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Unitel de sa demande de dommages et intérêts pour cause de gain manqué.

E. Sur les frais du procès

118. Compte tenu du sens de la présente décision, le jugement sera également confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure prévue à l'article 700 du code de procédure civile.

119. Partie perdante en appel, la société Iliad 10, à l'égard de laquelle seulement sont formées des demandes accessoires, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Selarl LX [Localité 12]-Versailles-Reims qui en fait la demande.

120. Pour ce motif, la société Iliad 10 et la société JT Holding seront déboutées de leurs demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile. La société Iliad 10 sera condamnée à payer, sur ce fondement, la somme de 50 000 euros à chacun des intimés.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

2) Condamne la société par actions simplifiée Iliad 10 aux dépens, dont distraction au profit de la Selarl LX [Localité 12]-Versailles-Reims prise en la personne de Maître Matthieu Boccon-Gibod, avocat au barreau de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

3) Déboute les sociétés par actions simplifiées Iliad 10 et JT Holding de leurs demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile ;

4) Condamne la société par actions simplifiée Iliad 10 à payer la somme de cinquante mille euros (50 000,00 euros) tant à la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois Unitel qu'à M. [G] [M], en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site